A^NÈE 1896-1897
N° 44
CONTRIBUTION A I/ÉTUDE
DE
L INSERTION VICIEUSE Dïï PLACENTA
SANS HÉMORRAGIES
THÈSE POUR LE DOCTORAT EN MÉDECINE
Présentée et soutenuepubliquementle 23décembre 189S
PAR
Jeatv-Axjgtjstb
GIBI AT
Né à Saint-Vivien (Gironde), le 5juin 1856.
MM. MOUSSOUS,profes., Président.
c • i i i /
FERRÉ, professeur l
Examinateursdelàthèse... RIVIÈRE, id. Juges.
CHAMBRELENT,id.
)
Le Candidat répondra aux questions qui lui seront faites sur
les diverses
parties de l'enseignement médical.
BORDEAUX
IMPRIMERIE NOUVELLE
DEMACHY, PECII
ET(M*
16 — RUE.CAB1ROL — 16
1896
MITÉ DE MÉDECINE El DE PHARMACIE DE BORDEABX
M. PITRES
Doyen.
PROFESSEURS :
MM. MICE.
AZAM.
Clinique interne Clinique externe ...
Pathologie interne...
Paihnlogie et Théra¬
peutiquegénérales.
Thérapeutique
Médecine opératoire..
Clinique d'accouchements.
Anatomie pathologique...
Anatomie
Anatomie générale et
Histologie
MM.
PICOT.
PITRES.
DEMONS.
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Professeurshonoraires.
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Physiologie Hygiène Médecinelégale Physique Chimie,
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LAYET.
MORACHE.
BERGONIÉ.
BLARFZ.
GUIUUAUD.
FIGUIKR.
de NABIAS FERRÉ.
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AGRÉGÉS EN EXERCICE
section de médecine (Pathologie interneetMédecine légale.)
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LE DANTEC.
section de chirurgie et accouchements IMM.VILLAR.
Pathologie exlernet BINAUD.
/ BRAQUE1IAYE.
Accouchements. MM. RIVIÈRE.
CIIAMBRELENT.
Anatomie.
section des sciences anatomiques et physiologiques MM. PRINCETEAtl. | Physiologie MM. PACIION.
CANNIEU. Histoire naturelle BE1LLE.
Physique— M.VI. SIGALAS.
ChimieetToxicologie. DEN1GÈS.
section des sciences physiques
Pharmacie M. BARTIIE.
COURS COMPLEMENTAIRES
Clinique interne des enfants
Clinique desmaladies cutanées et syphilitiques Clinique des maladies des voiesurinaires Maladies du larynx, desoreilles et du nez
Maladies mentales Pathologie externe Accouchements Chimie
MM. MOUSSOUS.
DUBREUILH.
POUSSON.
MOURE.
RÉGIS.
DENUCÉ.
RIVIÈRE.
DENIGÈS.
Le Secrétaire de laFaculté, LEMAIRE.
Par délibération du S août -1879, la Faculté a arrêté que les opinions émises dans les thèses qui lui sont présentées doivent être considérées comme propres à leursauteurs et qu'elle n'entend leurdonner ni approbation ni improbation.
DE MON
PÈRE
ET DE MA MEREMEIS ET AMICIS
Le 5septembre 1896,
entra clans le service de M. Moussous,
professeur
de clinique obstétricale à l'hôpital Saint-André de
Bordeaux, une malade
dont l'histoire est racontée tout au
longdans notre
observation XI.
M. le Prof, agrégé
Chambrelent, qui remplaçait, pendant
les vacances, M. le Prof. Moussous,
profita des particularités
présentées par
cette femme
pourappeler notre attention sur
les insertions vicieuses du placenta
qui
nedonnent lieu à
aucune hémorragie, et nous
conseilla de réunir les observa¬
tions analogues à la nôtre
et d'en tirer les conclusions. Ce
sont ces recherches que nous vous
soumettons aujourd'hui et
qui font
le sujet de notre thèse inaugurale.
S'il nous était permis de nous
abriter
sousl'autorité du
poètetant
aimé de la jeunesse de notre époque, nous dirions
'avec lui :
Que l'on fasse,après tout, un enfant
blond
oubrun,
Pulmoniqueoubossu, borgneouparalytique,
C'estdéjàbienjoliquand on en afait un.
Mais en médecine les
poètes ont rarement raison et puis
sous ces paroles de
tant joli scepticisme se cacherait malgré
toutun contentementde
soi-même qui est loin de notre pensée.
Ce que nous espérons, c'est quenotre travail, sans
prétention,
soit trouvé par vous consciencieux.
Voici ladivision que nous avons adoptée :
Dans le premier chapitre, nous passerons en revue les différentes théories qui ont été émises pour expliquer les insertions vicieuses du placenta, les accidents provoqués par
ces insertionsvicieuses, surtout les
hémorragies,
et lafréquence
de ces insertions.
Dans le second chapitre, nous ferons
l'historique
des cas où il n'y a pas eud'hémorragie
et nous donnerons les raisons fournies à cesujetpar lesauteurs; nous yjoindrons les obser¬vations que nous avons trouvées et la nôtre.
Dans le troisième chapitre, nous essaierons d'établir la
pathogéniede l'insertion vicieuseduplacentasans
hémorragie;
puis nous tirerons nos conclusions.
Mais, avant d'aborder notre étude, qu'il nous soit permis d'adresser publiquement l'expression de notre reconnaissance à tous ceux qui ont bien voulu, depuis si
longtemps,
nous pro¬diguer et leur enseignement etleurs conseils.
Ce n'estpas, en effet, pour nousconformerà un usage banal quenous écrivons ces lignes; mais pour nousacquitter duplus
doux des devoirs.
Depuis 1876, époque à laquelle nous prîmes notre première inscription à
l'École
de médecine de Bordeaux,jusqu'en
1896,—vingt ans après, —époque à laquelle nous passons notre thèse à cette même
École,
transforméeenFaculté demédecine,nous avons trouvé nos maîtres, tant des hôpitaux que de
la Faculté, toujours aussi dévoués, aussi affables à notre
égard.
Que M. le professeur de clinique
Lanelongue
reçoive ici letémoignage
de notre respectueuse admiration;Que M. le Dr Mandillon, médecin en chef de l'hôpital Saint- André, nouspermettede le remercier deses excellents conseils;
Que nos anciens camarades d'autrefois, des maîtresaujour¬
d'hui, dont l'enseignement est si goûté, M. le Prof. Ferré,
MM. les professeurs agrégés Princeteau,
Lagrange,
Rivière,A. Moussons,
Chambrelent, me laissent leur dire combien
m'a été agréable
la persistance de leur amitié;
Que M. le
docteur de la marine A. Chemin et M. L. Ver¬
delet, interne
à l'hôpital Saint-André, soient également
remerciéspour les
bonnes leçons qu'ils nous ont prodiguées
après la
longue interruption de nos études médicales.
Nous remercions tout
particulièrement M. loProf. Moussous
du grand
honneur qu'il nous fait en acceptant la présidence
de notrethèse.
.
.
'
CHAPITRE PREMIER
Nous emploierons
indistinctement les termes de placenta
preevia
et d'insertion vicieuse du placenta pour désigner les
insertions du placenta
qui
sefont
surla zone inférieure de
l'utérus, zonequeBarnes a
fort justement appelée dangereuse
et qui
s'étend, dans
unutérus gravide et à terme, du col à
dixcentimètres environ de ce
dernier.
Onadmet généralement
quatre variétés d'insertion vicieuse:
l'insertion centrale,
l'insertion partielle, l'insertion marginale
et l'insertion latérale. Nous
n'ignorons pas que l'insertion
centre pour
centre est excessivement rare, que même elle a
été niée et que M. le
Prof. Pinard déclare ne l'avoir jamais
rencontrée; mais
d'autre part il existe dans la science des
autopsies où
l'implantation centrale, où le centre même du
placenta
correspondait
aumilieu de l'orifice utérin (1).
Mais avant d'aborder
franchement notre étude, nous allons
montrer dans un court
historique les différentes phases par
lesquelles est
passée la question. C'est Portai qui, le premier,
déclareen 1685 avoir
trouvé le placenta inséré sur le segment
inférieur de l'utérus. Quelques
auteurs avant lui, Guillemeau
en 1609, Mauriceau en
1668, avaient bien parlé de la présen¬
tation de l'arrière-faix,
mais ils avaient considéré ce dernier
comme tombé du fond
de l'utérus où il s'était constamment
inséré. Schacher,en 1709,
montre dans
uneautopsie la réalité
dufait, etJohannvon
Hoorn,
en1715, élève de Portai, attribue
l'hémorragie des
femmes enceintes à l'insertion vicieuse du
placenta sur ou
dans l'orifice du col.
(1) HuteretRickeii.— Neue
Zeitschrift fur Geburtskunde, Bd XIV.
— 12
Jusqu'à lui on no vit dans les
hémorragies
qui surve¬naientpendant la grossesse que des pertes de sang acciden¬
telles dues soit à un étatparticulier de
l'organisme,
soit àune malformation del'utérus,
soit à un débutd'avortement,
soit même à untraumatisme,
mais l'oeuf n'étaitpas incriminé.Petit à petit les travaux de
Gitfard,
de Levret, montrèrent lesrapports existant entre leplacenta praevia et les hémorra¬
gies, au point qu'il était derègle lorsqu'onvoyait survenir ces
dernières,
et qu'il est même encore de règle, de porter le diagnosticde placenta praevia.Si en effet, nous ouvrons les auteurs
classiques,
nous allons voir posé comme axiome que l'insertion vicieuse du placenta égalehémorragie.
Nous lisons en effet dans Cazeaux (1) : « Depuis Levret, l'insertion du placenta sur le col de l'utérus est considérée
comme une cause inévitable
d'hémorragies
pendant les trois derniers mois de la grossesse etpendant le travail de l'accou¬chement. »
Nous pourrions prendre tour à tour les
différents ouvrages qui en parlent; mais partout nous trouverions les mêmes con¬
clusions. Nous nous contenterons de relever dans le Diction¬
naire de Dechambre (2) : « L'insertion vicieuse se traduit
des
hémorragies
au lit, surtout la nuit,hémorragies
intermit¬par tentes et mêmepériodiques,
sanscauseapparente, trèsrarement continues. »Dans le compte rendu du Congrèsallemand de
gynécologie,
tenu à Munich (3), nous voyons que M. Bayer a établi une
classification des insertions vicieuses du placenta. Il les divise
en insertion
simplement
basseou latérale et enplacenta prsevia proprement dit, mais dans les deux cas l'auteur conclut qu'ilse produiratoujours une
hémorragie
soit pendant lagrossesse soit pendant le travail.(1)Cazeaux. — Traitéthéorique etpratique de l'art des
accouchements, 1858, p. 699.
(2) Delore. —Dictionnaireencyclopédiquedessciences médicales.
(3) Annales degynécologie, année1886, p. 190.
Enfin dans les ouvrages récents
destinés
auxétudiants,
dans Auvard (1), c'est
toujours la même chose : « Toute
hémorragie abondante
qui survient pendant les trois derniers
mois de la grossesse est
due à
uneinsertion vicieuse du
placenta. »
L'insertion vicieuse du placenta
est
une causede rupture
des membranes ou
d'hémorragie
:elle entraîne souvent une
hémorragie abondante
pendant le travail et au moment de la
délivrance.
Pénard et Abelin (2) écrivent : «
L'hémorragie peut être
considérée comme inévitable
dans les
casde placenta prsevia,
car elle est la conséquence de
l'insertion irrégulière, du déve¬
loppement
de l'utérus et de la marche du travail. »
Commenous levoyons parces
citations, partout ou presque
partout le
placenta inséré vicieusement est considéré comme
cause d'hémorragie. Cela
tient évidemment à ce que le
diagnostic
n'est porté
quelorsque l'attention est attirée par ce
symptôme,lorsque
les accidents apparaissent; et encore faut-il
attendrela délivrance pour que, par
la mensuration des mem¬
branes, il soit
établi
avec unecertaine probabilité; je ne mets
pas
certitude,
car, commenous le verrons plus tard, les
auteurs ne sont pas
d'accord
surla manière de faire l'examen
rétrospectif,
d'où des écarts très considérables dans les
statistiques ayant pour
but d'établir la fréquence de cette
insertion.
Mais à quoiest due
cette insertion vicieuse si souvent cause
d'accidents très graves,
mortels même et pour la mère et pour
l'enfant? Un très grand
nombre d'explications, trop grand
même, ont été
données
: nous nenous arrêterons pas à celle
qui
incrimine la position de la femme après le coït.
Pour Gendrin, les trompes au
lieu de s'ouvrir à la partie
supérieure
de l'utérus viendraient par suite d'anomalie s'ouvrir
tout près du
col, après avoir cheminé au travers du corps de
l'utérus.
(1) Auvard. — Traité desaccouchements.
(2)I'énardetArelix.—Guidede
l'accoucheur et de la sage-femme.
— 14 -
Pour Moreau (1), la
trompe
qui est musculaire projetteraitl'ovule à une distance plus ou moins grande.
Pour Michalon (2), l'ovule fécondé arrive dans la cavité utérine soit au moment, soit après la turgescence de la muqueuse utérine provoquée par la période menstruelle. S'il arrive après, il ne trouve plus de plis et peut glisser
jusque
sur l'orifice du col.
La théorie qui nous semble se rapprocher de la vérité est celle qui attribue l'insertion vicieuse aux altérations de la muqueuse utérine, produites soit par des grossesses anté¬
rieures, soit par des métrites antérieures. On trouve en effet que les multipares en sont bien plus fréquemment atteintes que les
primipares,
que les femmes qui ont eu des métrites y sont également plus sujettes : chez elles existe un ramollisse¬ment et un relâchement de la matrice avec
élargissement
de la cavité utérine.On ne peut nier pour certaines personnes une
prédispo¬
sition spéciale de l'urétus, car Delore
(3)
cite le cas d'une femme qui, dix fois de suite, aprésentécetteparticularité.Il est encore plus difficile de dire pourquoi les cas de pla¬
centa prsevia sont à certaines
époques, beaucoup
plus fré¬quents et pour ainsi dire
épidémiques
(4).Quoi qu'il en soit, le placenta est inséré
vicieusement, l'hémorragie
se produit. Comment se produit-elle?On remarque souvent une rupture du sinus marginal, des caillots anciens ou
récents;
quelquefois on ne trouve sur leplacenta quedes lésions banales et
récentes,
surtoutlorsque
la femme n'a eud'hémorragie
que pendant le travail.Plusieurs théories ont été données pourexpliquer les hémor¬
ragies, et ce n'est qu'en
s'appuyant
sur desprincipes
mécani¬ques que l'on peut se rendre compte de la façon'dont elles doivent seproduire.
(1) Durruty.—Thèse de Paris 1872.
(2) Michalon.—ThèsedeParis 1869.
(3)Delore.— Dictionnaire deDechambre.
(4) 3>Degelé et Greuser. — Traitépratique del'art desaccouchements.
Baudelocque (1)
attribuait l'hémorragie
autiraillement du
placenta, à
la déchirure de
sesvaisseaux,
parla dilatation de
l'orifice interne du col : cette explication n'est
vraie
quepourle travail.
Pour Jacquemier (2),
l'hémorragie
seproduit
parle défaut
deparallélisme entre le
développement du placenta et celui du
segment inférieur : ce
dernier
sedéveloppant surtout à la fin
de la grossesse.
Depaul (3) adopte la
manière de voir de Jacquemier et fait
remarquer que leplacenta ne
peut suivre- le segment inférieur
qui augmente de
volume à la fin de la grossesse, et alors se
produit la
séparation entre les tissus placentaire et utérin, ce
qui amène la rupture
des vaisseaux utéro-placentaires et par
conséquent l'hémorragie.
Barnes (4) pense que c'est au
contraire le placenta qui, se
développant troprapidement, n'aurait plus la place suffisante
puisqu'il existe une
certaine congestion périodique se produi¬
sant tous les mois au niveau duplacenta.
Schroeder (5) a
inventé la théorie du glissement. Pour cet
auteur, le segment
inférieur glisse, à la fin de la grossesse, sur
la partie fœtale de
bas
enhaut, d'où décollement dans la cadu¬
que ou bien entre
l'amnios et le chorion. S'il y a insertion
vicieuse,en même temps que
la caduque
sedécolle, le placenta
en fait autant et l'hémorragie se
produit.
La théorie émise par Pinard
(6) explique les hémorragies
qui se produisent
et pendant la grossesse et pendant le travail.
« Ce sont les contractions utérines qui peuvent
les expliquer.
On sait en effet, depuis Millot,
qu'il
y adans l'utérus des
con¬tractions insensibles, qui
surviennent surtout la nuit et qui
(1) Baudelocque. —Del'artdesaccouchements.
(2) Jacquemier. —Mémoiresurlemécanisme des
hémorragies, 183G.
(3) Depaul. —InDictionnaireDechambre.
(4) Barnes. — In Auvard.
(3) Schroeder. —Manueldes accouchements,1875, traduit par
Charpentier.
(6) Maggiar. —Thèse deParis 1893.
Ribemont-Dessaigxe.— Traitédesaccouchements,p.loo.
augmentent d'intensité à mesureque la grossesse approche de
son terme.
» Ces contractions indolores déterminent une pression qui
s'exerce surtoute lapériphériede l'œuf, mais surtoutau niveau du segment inférieuren voie d'ampliation.
» Lorsque le placenta est inséré dans la zone moyenne et
surtout dans la zone supérieuredel'utérus, la pression s'atténue
parcequ'elle metenjeu l'extensibilitéde toutes les membranes et letiraillement est insignifiantou du moins insuffisant pour produire' le décollement. Il n'en est pas de même lorsque le placenta est inséré sur le segment inférieur; sous l'influence
de la contraction utérine, il se produit une expansion considé¬
rable de la portion du segment inférieur laissée libre par l'insertion placentaire, il y a à ce niveau distension anormale du chorion qui manque
d'élasticité;
le tiraillementmet bien enjeu l'extensibilité des membranes, mais d'un autre côté le tiraillement s'opère directement sur leplacenta, d'où hémor¬
ragie. »
La pression utérine décroît donc'de haut en bas et dans l'insertion vicieuse le sang des sinus placentaires se porte rapidement vers la partie déclive et rompt subitement les frêles parois qui le contiennent.
Cette théorie explique en effet parfaitement l'hémorragie.
Si pendant longtemps on a cru que l'hémorragie était
inévitable dans les insertions vicieuses du placenta, il existe
de nos jours une tendance à réagir contre cette idée, et c'est à Pinard que l'on en doit la démonstration. C'est lui qui a
prouvé que
l'hémorragie
était à craindre, c'est vrai, mais non fatalement et qu'elle se produisait même assez rarement.Le placenta prœvia est la cause en effet de bien des acci¬
dents : entre autres la rupture prématurée des membranes; mais là le remède est à côté du mal et c'est pour imiter l'exemple qu'il avait eu sous les yeux que Puzos conseilla la rupture prématurée et artificielle des membranes, ce qui est
encore un des meilleurs traitements de l'hémorragie par insertion vicieuse.
— 17 —
Il y a encore l'avortement provoqué par insertion vicieuse.
Ce qui précède montre que fréquemment lescas de placenta prsevia ne se traduisent pas au dehors par une hémorragie;
généralement c'est parce que les membranes se sont rompues
prématurément et qu'alors le placenta, n'étant plus soumis
aux tiraillements qu'il eût subis si les membranes étaient restées intactes, ne sedécolle pas.
Dans les casd'avortement soit pendant les premiers mois,
soit pendant les derniers mois de la grossesse, il y a presque
toujours une abondante hémorragie : cette dernière attire votre attention et peut vous mettre surla voie du diagnostic;
mais dans les cas où les membranes se rompent prématuré- rément, comme il n'y a pas d'accidents, ils risquent fort de passer inaperçus.
Il y a donc
beaucoup
plus de placenta prsevia que ne le soupçonnaient les anciens auteurs, et ce fait a été mis enlumière par le diagnostic rétrospectifau moyen de la mensu¬
ration des membranes.
Si nous examinons les chiffres fournis, avant ce moyen
d'investigation, nous trouvons que les auteurs dont les noms suiventdéclarent avoir observé :
Lachapelle (Mme) 1 cas deplacentaprmvia sur 2,596
Marchai 1 — — 750
Nsegelé et Greuser 1 — — 778
tandis que dans la thèse de Maggiar, élève de Pinard, nous trouvons une moyenne de 57.52 %. Cette différence énorme tient un peu à l'imperfection de la méthode, qui suivant la personne qui l'applique a fourni des résultatsfort peu concor¬
dants.
Brindeau (1), qui a repris cette question tout dernièrement,
expose qu'ila été trouvé par :
(1) Brindeau. —L'Obstétrique,la septembre189G.
2
— 18 —
Pinard 28.12 % de placentas insérés à moins de 0m,10
Maggiar 57.52 — — Om, 9
Spindler 79.36 — — 0m,17
Brindeau 43.26 — — Om, 7
Maggiar considèrecomme placenta prrnvia tout arrière-faix
dont les membranes sont déchirées à moins de 10 centimètres du bord placentaire; mais Budin fait remarquer avec raison
que seule la déchirure parallèleà ce bord a quelque valeur, et
encore faut-il faire quelques réserves à son sujet, si elle s'est produiteà un degréassez avancé de ladilatation.
Onnepeut donc se basersurla mensuration des membranes
comme procédé infaillible pour reconnaître après la déli¬
vrance quelle était la position exacte du placentapar rapport
à l'orifice interne du col; maisnous devons admettre cepen¬
dantparl'étude attentive des faits queles insertions vicieuses
du placentasontassez fréquentes.
CHAPITRE II
Nous venons de voir dans le chapitre précédent que le placentavicieusement inséré est cause de
nombreux accidents
tels que avortement, accouchement prématuré ou
hémor¬
ragies; il faut cependant reconnaître que
cela
n'est pastoujours exact, etqu'il n'est plus
permis
defaire
rentrerdans
la classe des« hémorragies inévitables »
(1)
les hémorragiesdues au placentaprsevia. Il est donc
maintenant
toutindiqué
de chercher comment s'est faite peu à peu la réaction contre
cette manière de voir, les auteurs qui ont signalé les obser¬
vations, lafaçon dont on peut interpréter ces
dernières.
Les premiersauteurs qui aient
parlé de l'absence de l'hémor¬
ragie dans le cas de placenta
inséré bas sont Mauriceau et
Osiander (1880), qui disent: « Il
arrive
assezsouvent
quele
placenta sortele premier,puis l'enfant;
etcommedans
ces cas l'hémorragie.s'arrête, de là est venu leconseil d'enlever le
placenta avantl'enfant; mais il nefaut lefaire
quesi l'enfant
n'est pas viable (2). » Cependant ces auteurs ne
donnent
pas absolumentà entendrequ'il s'agissait de placentaprsevia.
C'est à Mercier (3), en 1816,
qu'il
fautarriver
pourtrouver
une étudetrès bien faite sur l'absence des hémorragies dans
les cas d'insertion vicieuse du placenta. Son travail
très inté¬
ressantporte le titre de : « Les
accouchements où le placenta
setrouve apposésurle col de la matrice
sont-ils constamment
(1) Verrier. —Manueld'accouchement, p. 287.
(2) Simpson.— Cliniqueobstétricale.
(3) Mercier.— Journal général de médecine, de chirurgie et de phar¬
macie, 1816.
— m —
accompagnés d'hémorragies? » Parlant dans cet ouvrage des
casanalogues et des explications qui peuvent en être données,
ilciteune observation deWalter, qu'ilrelève dans leDe Morbis pcritonei et apoplexia de cet auteur et où il était question
d'une femme qui ayant un placenta inséré sur le col de la matrice n'aurait pasperdu desanget serait mortedepéritonite.
L'auteur, du reste, en tire cette conclusion que d'après
l'axiome « Ubi stimulus, ibi fit affluxus », le stimulus fixé
sur le péritoine y a attiré le sang et l'a empêché de couler au
dehors lorsque les contractions utérinesont détruit les adhé¬
rences du placenta et rompu ses rapports avec la matrice; de plus il invoque une large communication entre les radicules veineuses et artérielles de l'utérus qui facilitant le courant circulatoire s'opposeraità
l'hémorragie.
Après avoir rapporté ce fait sans adopter l'explication de l'auteur, Mercier mentionne deux observations
(Obs.
I etII).Dansl'une, l'enfant était mort; dans l'autre il était extrême¬
ment faible, remarquable par la mollesse de ses chairs et ne vécut pas. Dans les deux cas, il n'y eut pas d'hémorragie.
Il fait suivre cette relation des réflexions suivantes : « Il
n'existe, dit-il,aucunecontinuité immédiate entre la muqueuse utérine et le placenta, ni aucune anastomose. La faculté adhésive est due aux éminences du placenta qui sont reçues dans des lacunes corrélatives, appelées sinus, tandis que leurs intervalles, plus ou moins sillonnés, reçoivent les saillies opposées du viscère, et c'est la faculté aspirante due à des orifices imperceptibles des radicules et des capillaires qui
fournit la nutrition et l'accroissement de l'œuf. Or rien ne
démontreque les exhalants utérins ne puissent être dans un état deconstriction, de perversion de leur sensibilité, capable
des'opposerau passage du sang. »
En un mot, Mercier expliquait l'absence de l'hémorragie
par une constriction vasculaire sous la dépendance d'une perversion de sensibilité (1).
(1) Pluyette. — Thèse deParis 1883.
En 1829, Yelpeau (1) publiait un cas qu'il avait observé
avec le même Mercier et dans lequel il n'y eut pas d'hémor¬
ragie. Là aussi le foetus était mort (Obs. III). Il fait suivre
cette observation de ces mots : « Si le sang passait direc¬
tement de la matrice à l'oeuf, il serait impossible que le placenta se détachât avant la sortie de l'enfant sans produire d'hémorragie. » Il dit encore : « Stewart et Rigby ont tort de regarder l'insertion du placenta sur le col comme devant produire une hémorragie inévitable. Chez une femme dont parle Leroux, le placenta, complètement sorti dans un cas où l'enfantprésentait l'épaule, n'amena cependant qu'une hémor¬
ragiepeu abondante. Ilen fut de même dans des cas analogues
fournis par Pardigon, Baudelocque, Cauvière, Dondement et Labayle. »
Bientôt après nous voyons Moreau (2) qui vient donnerune
explication très acceptable et surtout préférableà celle fournie
par Walter, Mercier. Quant à Yelpeau, il avait enregistré les
faits sans les interpréter. Moreau prétend que « dans lescas de mort du foetus, le décollement du placenta vicieusement
inséré sur le col de l'utérus ne peutdonner lieu àune hémor¬
ragie inquiétante, parce que le fœtus ayant cessé de vivre la circulation utéro-placentaire doit naturellement s'arrêter ». Il fait cependant cette restriction, difficile à interpréter mais peut-être bien fondée, c'est que « si la mort date de quelques heures, l'hémorragie ne se produit pas. Il survient alors dans
la circulation de la matrice des changements nécessités par la
cessation de la circulation fœtale. Le sang arrêté dans les
vaisseauxs'y coagule,ceux-ciseresserrent et plusieurs d'entre
eux doivent même s'oblitérer. Il n'arrive plus à la matrice
que le sang nécessaire à sa nutrition, le stimulus qui en appelaitune plus grande quantité n'existantplus, et c'est pour cela que la dilatationdel'orifice peut se faire sanshémorragie
(1) Velpeau. — Traité complet d'accouchement, 1835;t.I, p. 356.
(2) Moreau. —In Pénard, Guide de l'accoucheur,p.463.
_ 22 —
considérable, quoique les gros vaisseaux qui unissent l'utérus
au placenta soient déchirés » (1).
Ce fait a été repris par certainsauteurs, en particulier par
Jacqueinier qui adéclaréque « si l'explication de Moreau était exacte, l'accouchement devrait se produire sans hémorragie quand les fœtus sont putréfiés, ce qui ne se produit pas » (2).
Il peut cependant être vrai pour beaucoup de cas où la mort
du fœtus est récente, car alors on peut admettreavec Jacque¬
inier que « le placenta est décollé entièrement ou d'un seulcôté jusqu'au delà de l'orifice utérin, de façon que la dilatation du
col puissese faire sans étendre davantage le décollement, les
vaisseaux étant bouchés par du sang coagulé, au fur et à
mesureque se produit le décollement ».
C'est donc accessoirement que la mort du fœtus serait ici
enjeu,la grandecauseétant le décollementpréalabledudélivre
et la coagulation sanguine consécutive.
Cazeaux vient ensuite et déclare « que dans beaucoup de
cas la théorie de Moreau est admissible, que dans d'autres on peut se ranger à celle de Jacquemier,et enfin quemalgré cela,
l'accouchement peut se fairesans ces inévitables hémorragies.
Si la rupture des membranes s'opère dès le début du travail,
on conçoit que laréaction de l'utérus qui suivrait l'écoulement
duliquide, que la compression de la têtesurla partie décollée
du placenta, puissent oblitérer complètement les vaisseaux
déchirés et réduire ainsi à néant cette hémorragie, bien quele
fœtus soit vivant » (Obs. IV).
Cette dernière explication pourrait bien à la rigueur se présenter, mais avec ce que nous savons aujourd'hui sur le placenta prœvia, il est plus naturel d'admettreque c'est parce que la rupture des membranes, remèdeà côté du mal, comme nousl'avons vu, a eu lieu, que l'hémorragie a manqué.
AvecDepaul (3) la question entre dans une nouvelle phase.
Reprenant et continuant les travaux de Jacquemier, sans
(1) Cazeaux. — Traité d'accouchement,p.699.
(2) Jacquemier. — In thèse de Pluyette,Paris 1883.
(3) Depaul. —In thèse de Bitot, Paris 1880.
partager
les idées de cet auteur, Depaul étudie d'une façon
approfondie les insertions vicieuses du placenta et montre
l'inégal
développement du segment inférieur de l'utérus. Il est
facile de comprendre alors que
l'hémorragie Ipeut
manquerdansles derniersmoisde lagrossesse,« lorsque
le placenta est
inséréenarrière,parce que c'est
surtout la partie antéro-infé-
rieure du segment
inférieur qui augmente la capacité de
l'utérus,puis, mais au
second plan, les parties latérales ».
Nousvoyons ensuite les
divers accoucheurs mentionner rapi¬
dement l'absence d'hémorragie dans les
insertions vicieuses.,
mais sanss'y arrêter..
Simpson (1)
signale dans
son ouvragesept cas empruntés
àdifférentsauteurs, mais il ne faitque
les signaler.
Chailly (2) se range
à la théorie de Moreau.
Bitot
(3)
acceptela théorie de Depaul, mais n'insiste pas sur
cette question.
Verrier (4) dit que dans
quelques
raresobservations on a
noté des insertions vicieuses du placenta
qui n'avaient point
entraîné depertes, sans
qu'on ait
puencore endonner aucune
explicationsatisfaisante.
TylerSmith
(5),
en1888, donne
uneobservation intéressante
(Obs. V) dans
laquelle le foetus était mort et où il existait des
lésions
placentaires. Il voit dans
uneséparation répétée et
partielle la cause
de la congulation lente du sang au niveau
des vaisseaux sectionnés, et de plus c'estce peu
d'adhérence
aux parois
utérines qui aurait causé la mort du fœtus par
défautd'une nourriture suffisante. Pour
lui, la mort du fœtus
n'aurait donc étéque
l'aboutissant et
nonle point de départ.
Auvard(6),en1888, en
signale
un casdans les Archives de
tocologie où il n'y
eut qu'un
peud'hémorragie au moment de
la délivrance; mais
il n'en donne
aucuneexplication (Obs. VI).
(1) Simpson.—Cliniqueobstétricale etgynécologique.
(2) Chailly.— Traitéd'accouchement, 1878.
(3) Bitot.—Thèse deParis1880.
(4) Vermeil —Manueld'accouchement,p.287.
(5) Tyler Smith. —Britishmed.Journal,1882, t. II.
(6) àuvard. —Archives detocologie, 1888, t. XV.
- 24 —
Rouch (1) en 1894, dans sathèse, mentionne une observation (Obs. VII) qui, comme pour le cas d'Auvard, ne peut aussi s'expliquer que par le siège de l'insertion. Cet auteur, du reste, dit que « bien que
l'hémorragie
soit le symptôme domi¬nant du placenta prsevia, elle n'existe pas toujours ». Nous
savons eneffet que l'ampliation de l'utérus, ladilatation, n'est pas identique en tous les points. Il est
beaucoup
plus fréquent qu'on ne le croit généralement de rencontrer le placenta preevia et bien des insertions basses ne sont manifestées paraucun phénomène.
Maggiar ébauche à peine ce sujet dans sa thèse publiée
en 1895.
Virden publieen1895uneobservationdesplus
intéressantes,
caril
donnelesiège
de l'insertion placentaire (Obs. VIII).Brindeau, en 1895, enmentionne également une recueillie à laMaternité de Paris (Obs.
IX);
en 1896, il en mentionne uneseconde recueillie comme la première à la Maternité de Paris (Obs. X).
Enfin cette année nous avons eu la bonne fortune d'en rencontrer une dans le service de M. Chambrelent (Obs. XI).
Voilà à peu près l'évolution subie par la question de non-
hémorragie
dans les insertions vicieuses du placenta. Nous devons voir maintenant à quoi peuventse ramener toutes cesobservations etsi possiblecomment expliquerla pathogénie de
cette question.
(1)Rouch. —Thèse deMontpellier1894.
OBSERVATIONS
OBSERVATION I
(Mercier,Journal
général de médecine, de chirurgie et de pharmacie,
année 1816, p. 305.)
Marie Ledieu, femme Taravant, quarante ans,
accouche le 4 avril
1796. Elle n'ajamais perdu de sangetlors
de
sonaccouchement c'est
àpeine si quelques cuilleréesdesang ont
coulé, outre la petite
quan¬titéquis'étaitécoulée lors de la
section du cordon.
Le placenta étaitd'abordsorti et
la sage-femme avait appliqué
une ligature surle cordon.L'enfant, retiré par le forceps, était mort et ne
paraissait
pasà
terme. Sa sortie ne donna pas lieu à un écoulement
sanguin aussi
important que les lochies
sanguines les plus ordinaires. La femme
mourut neufjoursaprès l'accouchement.
OBSERVATION II (Mercier, loco
citato.)
La femme de JeanMalval en'estàsatroisième grossesse. Perdant
à
peine quelques cuillerées de sang,
elle fait appeler
unesage-femme,
qui aprèsavoir pratiqué le
toucher, m'envoie chercher. A mon tour,
je pratiquede toucher etje
reconnais l'insertion
surle col de l'utérus.
L'accouchement se fit sans perte de trop de sang, car je
pris la
précaution d'exercer desfrictionssur
la matrice.
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La femme seremit, put allaiter un nourrisson; mais son enfant,qui paraissait àterme et qui était remarquable par la mollesse des chairs,
ne donna, malgré tous les soins possibles, que des signes équivoques
d'existence.
OBSERVATION III
(Velpeau, Traité complet des accouchements, 1835, t. I, p. 356.)
J'ai observé un cas où iln'y eut pas d'hémorragie, en 1829, avec M. Mercier.
Je visla femme à onzeheures du matin. Le travail existait depuis plusieursheures.Le placenta, décollé,était presque en entier dans le vagin.
Il n'yavait aucuneapparence de perte. L'accouchement n'eut lieu que le soir à cinq heures. Le délivre sortit le premier et l'enfant étaitmort, mais sans altération.
OBSERVATION IV
(Gazeaux, Paris 1880.)
Il s'agit d'une malade ayant une insertion vicieuse du placenta et qui accoucha sans perdreune goutte de sang.
OBSERVATIONV
(S. T. Smith, in Annales degynécologie, année 1883,p. 237.)
Insertion vicieuseduplacenta sanshémorragieet présentationtransversale-
Mme G..., trente-quatre ans, a déjà eu deux enfants mort-nés, deux faussescouches et trois enfants vivants. Elle comptait accoucherà la fin du mois,mais le travail commence dans le nuit du 13 novembre 1882. Pendant les trois derniers mois, elle a cru qu'elle aurait une