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IL avait repris le soir même son petit sac de voyage : un

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Academic year: 2022

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BERNARD

D E R N I È R E P A R T I E (1)

I

I

L avait repris le soir même son petit sac de voyage : un vieux squaremouth en peau de porc, cassé aux angles, éràilléaux coutures. E t il était parti, comme tant de fois, en disant qu'il ne savait pas au juste à quel moment il rentrerait.

Le surlendemain, il était de retour. I l n'avait pas prévenu.

Il arriva seul, à la nuit, quelques instants après le dîner. Les deux femmes et Bernard étaient encore dans la salle à manger.

Il apparut dans l'encadrement de la porte, le visage calme et triste, les épaules courbées par une lassitude infinie.

— Bonsoir, dit-il avec une grande douceur. Je suis content de vous revoir.v

Il expliqua, d u même ton égal et paisible, qu'il était revenu de Paris en même temps que Ducatel, u n confrère de Mari- gny ; que Ducatel avait sa voiture aux Aubrais, qu'il l'avait déposé en passant.

— Je comptais m'arrêl;er à Orléans, y passer la journée de demain... J ' y retournerai, voilà tout. Pour le moment, je suis avec vous. Je suis content.

Sa fatigue était si manifeste qu'ils en avaient le cçeur serré.!

Ses yeux rougis par l'insomnie, la lenteur de sa voix exténuée

Copyright by Maurice Genevoix, 1937.

(1) Voyez la Revue des 1 " et 15 novetnbre.

TOME XX.11. 1e r DÉCEMBRE 1937. ? 1

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révélaient un homme à bout de forces. Mais ils voyaient à ses regards, à leur douceur inaccoutumée, qu'il était en effet heureux de se retrouver près d'eux, dans sa maison ; et aussi qu'il voulait, ce soir, le leur faire sentir à tous les trois.

Il demanda qu'on lui servît une collation, un potage, une tranche de viande froide.

— Maman, veux-tu ? Pas! de domotique... Apporte tout sur u n plateau... Inutile qu'on vienne desservir : j'ai besoin de vous parler tranquillement.

Ils avaient, autour de la table, retrouvé leurs places habi- tuelles. Chambarcaud mangeait rapidement, avec une vora- cité machinale. I l reprit de la viande, d u fromage, but de grandes rasades de v i n rouge, dit en soupirant :

— J'avais faim...

Et, soudain, repoussant son assiette :

•— Est-ce qu'on sait quelque chose, au pays ?

— Rien encore, je crois, dit Bernard.

Il leur avait confié seulement, à la minute de son départ,

« que Bourjot avait fait des bêtises et qu'il allait arranger ça ».

Depuis qu'il était revenu, qu'il était apparu devant eux avec ce visage défait, ils n'avaient pas osé l'interroger. Il sembla soulagé par la réponse de Bernard. Il leur dit, reprenant le mot même qu'il avait eu deux jours auparavant :

— •'-C'est arrangé. J'ai arrangé ça.

: Puis il songea; u n long moment. Ils voyaient passer dans ses yeux dès souvenirs qu'ils devinaient sinistres. Des houles profondes, par intervalles, faisaient frémir ses lourdes épaules.

Il lés regarda, Tun après l'autre, et ses prunelles s'éclairèrent un peu.

— T u as eu d u mal, dit Pauline. Est-ce que.,, est-ce que c'était très grave ?

'••.-— Oui, maman. Plus que tu ne peux croire.

— M o n Dieu ! dit la vieille femme. E t Rose ?

Il fit un geste de la main, qui trahissait u n retour d'impa- tience, de colère. Mais il se domina très vite, et, sans répondre à l'interrogation, se reprit, à parler de la même voix lasse et

paisible :

— Écoutez-moi. J'ai des choses pénibles à vous dire. Mais je sais que je peux vous les dire. E t d'ailleurs, je dois vous les dire... Je viens d'avoir une meute autour de moi. Pendant.

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B E R N A R D . 483 deux jours» Des mâchoires terribles. Il a fallu faire front de partout, manier le fouet sans prendre garde aux coups de dents, sans vouloir même les sentir. Une curée... Mais ils né m'ont pas eu.

Bernard, tandis qu'il parlait, ne le quittait pas des yeux.

Ce calme, cet empire sur soi-même, cette résignation fière et simple, cette dignité, il en sentait jusqu'au fond de soi l'émou- vante et vraie grandeur. E n cet instant, il vénérait son père, il était comme anéanti par la ferveur de son admiration.

— Ce monde, ce monde où ils vivaient... Une écume, ce qu'on appelle maintenant des nommes d'affaires. E t ça durait depuis des années. Trente sociétés, il en fondait une tous les mois, u n écheveau de combines où lui-même, les derniers temps, ne devait plus se reconnaître. Laissons ça, voulez- vous... Ça n'est pas beau.

Il se tourna lentement vers sa femme :

— Je te demande pardon, Antoinette. A cause d'eux, nlâ sœur, mon beau-frère, notre situation va changer, notre manière de vivre, tu comprends... Il va falloir désormais nous restreindre, compter de près, rogner sur le train de maison, Impossible de garder Jean-Louis, Anna non plus. Nous n'au- rons qu'une bonne à tout faire, pour nous, pour toi aussi, maman... T u viendras t'installer ici : deux maisons, ce serait trop lourd. L a conduite intérieure, nous allons nous en débar- rasser, le faux cabriolet suffira pour mes déplacements...

Il continuait, sans hâte, à leur énumérer ainsi les mesures qu'il comptait prendre. E u x ^écoutaient, gagnés par son tran- quille courage, et silencieux : car ils devinaient que l'épreuve leur serait moins dure qu'à lui ; que tous les sacrifices qu'il leur demandait à présent n'étaient que peu de chose auprès de ses angoisses à lui.

— Cela durera peut-être longtemps. J'ai commencé à faire u n tri... Naturellement, je me suis engagé.

De nouveau, il se prit à songer. Il y avait maintenant, sur son visage, une sérénité grave et pure, la lumière d'une cons- cience en repos.

— Les escrocs, les complices, je connais le moyen de faire taire leurs aboiements. Mjais les autres, tous ceux qu'il a volés, je les désintéresserai. Soyez tranquilles : nous sortirons de cette tourmente à notre honneur. Des Chambarcaud après

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484 R E V U E D E S D E U X M O N D E S .

comme avant, des gens qui peuvent lever haut la tête. Je crois même...

Il sourit presque :

— . . . U n peu plus haut' après qu'avant.

Il se leva. Il vint à eux. Bernard, lorsqu'il s'approcha, était encore plus pâle que lui.

— M o n petit, murmura-t-il.

Antoinette avait les yeux brillants. U n e vie chaude affleu- rait à ses joues. Il devina qu'elle voulait lui parier et aussitôt une émotion profonde lui souleva toute la poitrine. I l l'étrei- gnit longuement, à pleins bras, dit tout bas contre son oreille :

— Aie confiance en moi, Antoinette.

Elle recula u n peu le buste, lui appuyant ses mains aux épaules, le regarda jusqu'au fond de l'âme. U n moment, elle apparut transfigurée : une autre femme, ardente, passion- née, qu'une grande vague de tendresse revêtait d'une beauté magnifique. Il murmura d'une voix oppressée :

— M a chère femme...

E t brusquement il se détacha d'elle. Puis, de nouveau, il les regarda tous, les yeux redevenus brumeux, sans trans- parence. Pendant quelques secondes, son visage u n peu égaré trahit encore le désarroi où le maintenait l'intensité de son émotion. Mais la brume chaude qui flottait dans ses yeux se dissipa ; ses prunelles sombres recouvraient peu à peu une opacité minérale. Lorsqu'il s'approcha de sa mère, il demeurait un peu contracté ; mais il était sûr de lui, certain de ne point céder à ce besoin d'attendrissement qui venait de l'amollir.

Pauline pleurait doucement, silencieusement, sans dissi- muler ses traits, sans essuyer les lentes larmes qui ruisselaient le long de ses joues.

•— Ne pleurez plus, maman, dit-il. Ça n'avance à rien de pleurer.

Elle leva un peu le front et le regarda, sans reproche, avec u n étonnement douloureux.

— Voyons, poursuivit-il, tant que la Forestière est là, nous ne sommes pas des gens ruinés ! Je ferai encore de l'ar- gent. Mais pendant quelque temps, voilà tout, l'argent que je gagnerai ne nous appartiendra pas. Quelque temps, peut-être pas tellement... Je suis parti sur de très gros marchés, un surtout, énorme, décisif. Si je l'emporte, — et je l'emporterai,

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*

B E R N A R D . 485

— l'avenir s'éclaire, la vie nous deviendra moins dure.

Pauline hocha la tête avec une sorte de désespoir, inclina lentement le front. Ses larmes coulaient toujours. Elle mur- mura :

— O h ! Comment peux-tu croire ? Ce n'est pas pour ça que je pleure.

Bernard, debout à quelques pas, la bouche crispée, s'était rapproché de sa mère. Il s'écria d'une voix vibrante :

-— O u i , comment, comment peux-tu croire ? Personne ne pense à ça, aucun de nous. S i tu as cru que nous pensions à ça...

Chambarcaud se retourna, le considéra durement :

—• Tais-toi, Bernard, c'est à ta grand-mère que je parle.

Bernard tremblait de tout son corps. Quelques larmes lui jaillirent des yeux. Antoinette lui saisit la main, la garda serrée avec force. Il se contint, mais toute sa chair continuait de frissonner.

— Maman... dit alors Chambarcaud. Est-ce à cause d'elle que vous pleurez ?

Pauline fit seulement oui, de la tête : rien q u ' u n signe humble et désolé ; et pourtant, ce fut assez. L a grosse main de son fils s'était posée sur son épaule. Sans qu'il en eût conscience, elle appuyait d'un poids grandissant, d'un poids qui devenait terrible.

E t il disait, assénant ses paroles avec des coups de menton brutaux :

— L a plaindre, alors ? Plaindre cette aventurière ! Car elle a tout su, la gredine, elle a été depuis vingt ans la complice de son flibustier. Leur histoire... de l'ignominie. Rien de plus bas, de plus vilainement banal. Rose ? Jamais elle n'a pensé à nous. A dix-huit ans, rappelez-vous, elle commençait à nous salir ; et toute sa vie cette audace scandaleuse, cet égoïsme qui ne s'embarrassait de rien, ni de vos larmes, ni de notre misère, et ni même de notre honte. Ce qu'elle a fait...

Presque gamin encore, il m'a fallu ruser contre elle, ma propre sœur, pour qu'elle ne nous vole pas la machine à sabots d u père. E t elle voulait nous la voler, déjà, pour la donner à son Bourjot, son amant, u n de ses amants, le préféré...

Pauline, encore une fois, leva vers lui son visage nu. Ses yeux s'agrandissaient sous les larmes, pleins d'une suppli-

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cation déchirante. Mais il continuait de parler, avec ces coups de tête en avant : et l'on eût dit qu'il la frappait.

•—' Notre honneur, la netteté de notre nom. Pendant vingt ans ils ont joué avec ça, joué de ça, elle autant que lui.

L a plaindre ? Je ne veux pas, maman. Je veux, entendez-vous, que vous soyez plus fière. Par souci de vous épargner, je vous ai caché trop de choses. J'ai eu tort, je le vois à présent ; comme j'ai eu tort d'espérer des années, oui, d'espérer que ça changerait u n jour. C'était u n cœur pourri jusqu'au fond, il n ' y avait rien à faire : la preuve, elle a flairé Bourjot, elle l'a tout de suite reconnu pour sien ; et elle lui est restée fidèle, à celui-là, jusqu'au bout, jusqu'à cette fuite de détrousseurs que la police signale et recherche.

I l ricana. I l allait devant lui. I l jouissait à présent de sa fureur, de son indignation :

— Vous me croyez sans pitié, maman. E t c'est vrai, je n'ai plus de pitié, c'est fini. Mais dix fois j'ai donné ma

caution. Cela m'a coûté cher, et pourtant je n'ai rien regretté : je le pouvais, je le devais. E t puis, u n jour, il m'a bien fallu voir : le chantage me crevait les yeux. Leurs actions de la Forestière qu'ils faisaient habilement miroiter, il y avait beau temps qu'elles n'étaient plus entre leurs mains, qu'ils les avaient vendues à m o n associé Audrouard. Attendez, ça n'est pas le plus beau. L a carambouille, savez-vous ee que c'est ? N o n ? Vous allez le savoir : depuis deux ans il achetait en forêt, autour de moi, à des marchands qui lui vendaient parce qu'il était mon beau-frère, des hommes à qui je serrais la main chaque jour, qui m'avaient désigné pour diriger leur syndicat, qui avaient confiance en moi.

Il en a payé quelques-uns, des acomptes ; en attendant du papier, des traites dont il savait déjà qu'il ne leur ferait pas honneur : car ça n'est pas en tripotant à la Bourse qu'on paie des arbres, de la charpente ; c'est avec de l'argent qu'on a.

E t cependant il revendait, pour son compte quelquefois, d'autres fois en se disant commissionnaire. I l faisait patienter, Dieu sait comme, jusqu'à ses employés qu'il escroquait aux gages : u n échaufaudage de mensonges, pour ça il avait du génie. Je ne sais pas comment il a tenu deux ans, trompé les banques, de vieux renards comme Ducatel, comme Perrin. C'était la crise : trop heureux de vendre au

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BERNA-BD. 487

beau-frère de Cbambarcaud. E t maintenant, maintenant...

Il revivait les heures abominables, la débâcle brutale, sans recours, révélait les plaintes successives, toute une rafale qui avait déferlé après les premiers grêlons. Il haletait, le sapg aux yeux, l'air fou :

— Et personne, personne ne m'a prévenu, Audrouard...

Celui-là savait tout, il attendait en se frottant les mains, Il ne s'est pas trouvé un homme pour me crier à temps casse- cou. Confiance en moi quand même ? Ou peur de moi ?.Ou jalousie ? Tout ça, tout ça, et pis encore. À h ! les sales têtes que j'ai pu voir ! Assez! Je paierai, je vous dis. Je Sais dépouiller une créance. Ce qui est dû, je le paierai, je le paierai.

U se calma presque tout à coup. Ce calme qui suivait ses furieuses crises d'emportement, Pauline le connaissait.

Elle le redoutait plus encore que la violence de ses colères.

Il souffla bruyamment, desserra son faux-col à pleines mains.

-— A présent ils sont loin, Dieu sait où. U n paquebot, et bon voyage ! Bourjot est de cette race d'aventuriers qui recommencent où qu'ils se trouvent. Mais Paris, la France, c'est fini : un homme brûlé, disparu à jamais.

Debout devant sa mère, il regardait sa nuque inclinée.

Il dit lentement, d'une voix sans colère :

— Elle l'a suivi, nous ne la reverrons plus, Redressez- vous, maman ; c'est une morte qu'il ne faut pas pleurer.

I I

A quelques jours de là, comme il traversait la scierie, il sentit à l'attitude des hommes que « l'on savait quelque chose au pays ». Cela était inévitable. Il s'agissait mainte- nant de faire front une fois de plus, de cacher sa souffrance et son humiliation : ici même, au milieu de ses ouvriers.

Il ralentit exprès le pas, aborda quelques hommes et leur dit un mot au passage, en affectant une cordialité un peu bourrue qui leur montrât sa liberté d'esprit. Bernard, à ce moment, était avec Pierquin dans la cabine vitrée qui domi- nait l'immense atelier. C'était un jour d'éclatant soleil.

Malgré la grande distance qui les séparait encore, il distin-

guait très bien le visage de son père, assez bien pour qu'aucune

inflexion n'en pût échapper à ses yeux-

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488 R E V U E D E S D E U X M O N D E S .

. Chambarcaud poursuivait son chemin, approchait de la caisserie. E t cependant il continuait, comme au hasard, d'aborder u n ouvrier, u n autre encore. Jamais il n'eût pensé que cela pût lui être aussi dur. Jamais autant qu'en ce moment, pas même devant des créanciers dupés, il ne s'était senti le beau-frère d'un malhonnête homme. L a honte était en lui, Une sensation de brûlure à vif que le moindre regard trop direct eût suffi à irriter. Il passa devant Pieuchot, hésita, fit u n pas au-devant de lui.

. Quelques secondes plus tard, Bernard le vit changer de visage. Le bruit de l'atelier empêchait que sa voix lui parvînt.

Mais il criait, on voyait qu'il criait: De toutes parts les ouvriers levaient la tête, non pas à la dérobée, mais carrément, hardi- ment, avec une insistance où l'on sentait comme u n défi.

Déjà, plusieurs machines tournaient à vide.

Bernard, sans réfléchir, dégringola l'escalier volant, bondit à travers la caisserie. A l'instant où il rejoignait son père, Pieuchot disait, en ricanant :

— O n ne sait rien, c'est entendu; on a le droit de ne rien savoir. E t pourtant, on sait ce qu'on sait.

Chambarcaud, les yeux flambants, le regardait en pleine face. Bernard, immédiatement, comprit qu'il était hors de lui, que toute maîtrise de soi l'avait cette fois abandonné.

E t en même temps l'attitude des hommes lui apparaissait effrayante comme si, tout à coup, une trop longue et trop dure contrainte cessant de leur être possible, ils eussent arraché devant lui u n masque mensonger qui eût caché leur vrai

visage. \

— Qu'est-ce que tu sais ? criait Chambarcaud. T u en as trop dit ou trop peu. Je veux avoir u n homme en face de moi.

Pieuchot, devant ses camarades, continuait de ricaner.

A u fond de soi, il avait peur : la carrure seule de Chambarcaud, la fureur qui luisait dans ses yeux avaient de quoi inspirer de la crainte à u n homme moins chétif que lui. Mais cette peur même le galvanisait. I l redressait son torse voûté, pos- sédé lui aussi par une fureur soudaine, non moins intense que celle de Chambarcaud, mais acceptée et comme triom- phante. O n le sentait joyeux, quoi qu'il pût désormais arriver, d'avoir contraint cet homme redouté, respecté, à dépouiller

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*

BERNARD. 489 lui aussi u n masque, à se montrer devant ses ouvriers le

visage nu, vulnérable. Ses éclats de voix, sa colère, la menace même de son grand corps agressivement tendu en avant n'étaient que des preuves nouvelles de sa faiblesse enfin révélée.

— Ge que je sais ? jeta Pieuchot. Rien de plus que tout le monde. Je ne vais pourtant pas vous l'apprendre ?

Chambarcaud était devenu livide. Bernard, le temps d'un éclair, crut qu'il allait s'engager davantage, obliger son adversaire à proclamer ici, publiquement, cette nouvelle que savait tout le monde. Il se jeta devant son père, presque à toucher la poitrine de Pieuchot. Il cria d'une voix méconnais- sable, mordante, autoritaire, qui résonna avec une netteté saisissante :

— T u n'as pas honte ?... E t vous... E t vous ?

Cela fut si soudain, si imprévu, que tous eurent dans l'ins- tant l'impression de ne plus voir que lui. Son jeune visage bouleversé révélait à la fois tant de tendresse filiale, d'indi- gnation et de confiance mêlées, il brûlait d'une franchise si douloureuse et si fière qu'il n ' y eut pas u n homme à ne point se sentir atteint. Quelque chose venait de surgir, qui avait fait passer dans l'air empoisonné comme u n grand souffle violent et pur. Il regardait ces hommes l'un après l'autre, sans plus rien dire, les lèvres u n peu entr'ouvertes. E t chacun d'eux, lorsque ce regard le touchait, devenait étrangement grave, reprenait u n visage pacifié.

— Une honte... Une honte...

Deux fois encore il balbutia ce mot, comme pour chasser les derniers miasmes. Ses cheveux blonds brillaient, touchés par le soleil. Ses yeux bleus, son front lisse et n u , ses tendres joues encore duvetées par une fleur d'adolescence, tout en lui était jeunesse ardente. Son père, les ouvriers en étaient pareillement frappés. A u c u n d'eux, même parmi les plus frustes, qui n'eût conscience d'une minute exceptionnelle, humainement belle, et qui n'en fût ému : ce que Bernard venait de jeter dans cet abîme brusquement apparu, ce n'était point de vaines paroles, reproches, menaces, adjurations, mais sa vie même et son cœur tout entier. Il s'était tourné vers son père. Il lui disait, d'une voix qui vibrait de nouveau, se haussait dans le silence de tous :

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— Papa, ils savent ce que vous êtes. Ils nous connaissent aussi, nous autres, depuis vingt ans... E t moi, je sais que ce sont des hommes justes.

Chambarcaud s'était ressaisi. Sa colère faisait place à quelque chose d'obscur encore, mais qui montait en lui avec une impétuosité joyeuse, enivrante, et lui mettait au cœur u n grand désir d'indulgence, de bonté:

—" Allons, dit-il aux hommes qui l'entouraient. Il faut nous remettre au travail.

Ils allèrent à leurs machines. Le sifflement aigu dés lames s i m p l i f i a jusqu'à la verrière. Chambarcaud regarda Pieuchot avec une insistance Où ne persistait nulle colère, mais lourde, pénétrante, et qui se prolongea jusqu'au moment où l'ou- vrier détourna enfin les yeux.

— A la pause de quatre heures, tu passeras à mon bureau.

Nous avons à causer entré nous. ,

Des wagonnets roulaient, s'arrêtaient devant les piles de

bois.

— Ne les laisse pas attendre, dit encore Pierre Cham- barcaud. Quel marché, ce lot de madriers ?

•— Le marché Dormoy, dit Pieuchot.

On eût p u croire que rien ne s'était passé. L a trépidation des machinés faisait trembler doucement le plancher.

— Viens, Bernard.

Côte à côte, le père et le fils, ils s'éloignèrent vers la cais-.

série.

I I I

L a joie, maintenant, était en lui. Jusqu'au soir il avan travaillé, étudié u n marché possible qu'il achevait dé mettre au point. C'était ce marché décisif auquel il avait fait allu- sion, l'autre nuit, devant sa mère : cinquante mille caisses par mois au minimum, de quoi tourner à Marchéloup et à Pôrtvieux enserhble, le tiers de sa fabrication assuré, proba- blement pour des années.

Le lendemain, à trois heures, il devait recevoir ici même un administrateur de la firme. Il avait obtenu la promesse de cette visite, et c'était une première victoire. Il était presque sûr de la parachever demain, d'enlever la signature du marché :

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BERNARD. 491 car il savait l'impression de puissance que donnait son usine au travail.

Il avait feuilleté le dossier, rectifié quelques chiffres au crayon, dans les marges. S a pensée fermentait, lucide, active :

« Une société internationale, soit. Mais, en France, elle a sept usines. Elle importait ses caisses de Finlande. Elle ne peut plus, à cause des contingentements. Coûte que coûte, donc, il lui faut s'adresser à la production nationale. Tout se ramène pour moi à une question de concurrence. Comme prix, 2omme qualité, je sais que je suis bien placé; le mieux placé, je saurai le prouver demain. »

De nouveau il s'était penché sur les feuillets dactylo- graphiés. S a victoire y était comme inscrite. Ilx avait beau passer mentalement en revue les plus dangereux de ses rivaux, sa confiance ne vacillait pas. A u contraire, elle s'affermissait : un dossier solide, convaincant, tel qu'il savait en établir.

Tout à l'heure, lorsque Pieuchot viendrait, il lui parlerait ouvertement. Pas tout de suite. I l lui ferait d'abord réciter la leçon qu'on lui avait apprise. Ce meneur, ce Thiellement était aujourd'hui à Portvieux. L u i , Chambarcaud, irait à Port- vieux dès demain. Il y passerait toute la matinée, convoquerait les contremaîtres, s'arrangerait pour neutraliser à l'avance la propagande de cet agent payé : il n'était pas mauvais qu'il connût ses arguments.

« Pieuchot... Ce n'est qu'un pauvre bougre. A quoi bon même le mettre sur le gril ? O n sait que Bourjot a filé, qu'il y a eu des plaintes contre lui ? Mais on saura demain ce que Chambarcaud a promis ; on verra qu'il tient sa parole, qu'il ne travaille que pour la tenir... L a leçon apprise par Pieuchot : argent gagné pendant la guerre et l'après-guerre sur le travail des ouvriers, tout ce pactole drainé au profit d'un seul homme, d'une seule famille. E t maintenant, la crise vernie, baisse des salaires, licenciements, le bon plaisir* et l'arbitraire encore...

Mais, bon D i e u ! avoir pu, seulement pu ne pas arrêter les usines, c'est u n miracle ! Que j ' y aie été obligé, . où en seraient-ils avec moi ? Demain soir, cinquante mille caisses par mois, et le carcan se desserre pour nous tous : je réem- bauche. Cela aussi, je le dis à Pièiichot. Il faut qu'ils soient prévenus demain, quand je traverserai l'usine en Compagnie de l'homme qui commande, le client, notre client, que ça

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492 REVUE D E S D E U X MONDES.

ronfle, qu'ils décrochent le marché avec moi. Demain soir...

ça v a certainement basculer du bon côté : un démarrage sur la bonne pente, et en avant, tous francs du collier ! »

Il s'était retrouvé. Il abordait en terrain ferme. Toute sa force remontait en lui, haussant son cœur et durcissant ses muscles. Demain soir, à trois heures, Louise Hugonin frap- perait à la porte de son bureau. Il n ' y serait pas seul, Bernard serait à son côté. Louise annoncerait le visiteur. Il dirait de sa voix la plus calme : « Faites entrer » et se lèverait, Bernard toujours auprès de lui. L'homme serait là, enfin, dans son bureau. U n peu surpris de ne pas le trouver seul, il regarde- rait Bernard. A ce moment, Chambarcaud le lui présente- rait. Il dirait seulement : « M o n fils », et cela voudrait tout dire.

Ce petit... Son énergie inattendue. Une révélation magni- fique. Qu'il était beau, ainsi dressé de tout son corps, dévisa- geant les hommes avec ces yeux clairs et brûlants ! Quels regards ! Quelle autorité ! A h ! ce serait une joie sans prix, demain, de discuter avec u n autre homme fort, calmement, d'égal à égal. E t son fils serait là, écouterait, observerait. Il verrait, ce futur patron, ce dont son père était encore capable.

Le sang-froid, la présence d'esprit, comme tout redeviendrait facile avec u n pareil témoin !

A sept heures, quand il rentra chez lui, sa joie était restée la même, aussi pleine, aussi exaltée. Immédiatement, il s'en- quit de Bernard. I l avait hâte, maintenant, de le revoir.

Quatre grandes heures qu'il l'avait laissé, avec Pierquin, dans la cabine de la caisserie. Mais, à présent, le travail accompli, il allait se livrer à sa joie, la laisser déborder tout entière devant celui qui la lui avait donnée.

— I l n'est pas là ? Vous ne l'avez pas v u ?

Antoinette et Pauline, surprises, alarmées déjà, répon- dirent qu'elles^le croyaient à l'usine, avec lui, qu'elles s'atten- daient à les revoir ensemble.

— Mais non, mais non, fit Chambarcaud. J'ai traversé les ateliers. Cela faisait une demi-heure que les équipes étaient sorties. I l n ' y avait personne, j'en suis sûr, que les deux veil- leurs de nuit.

Il n'était pas inquiet. L a soirée était belle : Bernard, avant le dîner, avait dû éprouver le désir de se détendre u n petit

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B E R N A R D . ,493 peu. Il était allé prendre l'air, jusqu'à Mourches probable-

ment. Quelques instants : il serait là.

E t il raconta aussitôt, avec des rires, de grands gestes exubérants, la scène de l'après-midi. Les deux femmes l'écou- taient, s'entre-regardant parfois ; et leurs traits s'altéraient peu à peu. Il poursuivait sans remarquer leur trouble, évoquait la minute tragique, les ouvriers délaissant leurs machines, les entourant, Pieuchoù et lui. « E t tout à coup... »

Il riait encore ; il s'accusait soi-même d'avoir cédé à l'es- pèce de folie qui avait passé sur eux; tous, perdu pied, risqué ce saut terrible dans le vide. « Mais lui, alors... oui, Bernard, leur petit Nanot. Il avait bondi comme u n diable, si bra*

vement, avec une décision foudroyante ; il avait révélé tout à coup une si juste intuition d u danger, u n tel sens de l'acte opportun... » E t il le décrivait, debout devant Pieuchot, se retournant vers les ouvriers, les fixant avec cet air d'autorité, sans rudesse, sans bravade, mais fier et simple, naturel.

« A h ! j'en ai toujours été sûr. B o n sang ne pouvait pas mentir! » Il prodiguait les mots, plus volubile qu'elles ne l'avaient jamais v u , sinon en ses colères subites. E t c'était en effet u n emportement de bonheur, une fougue énorme, toute-puissante, qui le soulevait encore devant elles.

Elles n'osaient plus se regarder l'une l'autre. Mais toutes deux,, à chaque instant, tournaient leurs yeux d u côté de la porte, épiaient les bruits de la maison, l'espace nocturne qui les entourait. Cette voix sonore, exultante, elles eussent voulu qu'elle fît enfin silence, qu'elle leur permît de déceler au dehors, du plus loin qu'il leur fût possible, le bruit d'un pas, u n gai sifflotement familier... E t elles songeaient, avec un brusque effroi, que Bernard ne sifflotait plus ; que la mai- son, depuis longtemps, n'avait plus retenti de son insoucieuse gaieté.

— Pierre !... appela enfin Pauline.

Il s'arrêta, frappé par le tremblement de sa voix.

— E h b i e n ! dit-il, encore tout frémissant. >

— Je suis inquiète. Il devrait être là.

— Allons, bon ! Vous voilà encore.7.. — A ce moment, distinctement, ils entendirent u n pas sur le perron. — Vous voyez bien ! s'écria Charnbarcaud.

Le pas glissa dans le vestibule, passa vite lé long de la

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494 REVUE DES D E U X MONDES.

porte, et s'éloigna sans s'arrêter. Les deux femmes et Çham- barcaud lui-même avaient été saisis par l'étrangeté de ce frô- lement rapide, presque irréel. Pourtant, ils avaient bien entendu : quelqu'un avait passé près d'eux, comme une ombre, d'une démarche sans poids et pourtant trébuchante, harassée. Antoinette s'élança vers là porte. Son mari déjà la suivait. Elle se retourna sur le seuil, brusquement, lui barrant presque le passage :

— N o n ! dit-elle d'une voix pressante, impérieuse. N o n , restez là. Mieux vaut que j ' y aille seule.

Ils demeurèrent, Pauline et lui, désemparés par l'enchaî- nement rapide, comme haletant, des incidents qui venaient de fondre sur eux. N'eût été l'absence d'Antoinette, la place vide qu'elle laissait entre eux, ils eussent pu croire à u n rêve éveillé, absurde et quasi fantastique. Pierre regarda sa mère.

Ses beaux yeux, aux prunelles chaudes et sensibles, trahis- saient une alarme profonde. -Il secoua les épaules, et de nouveau fit mine de marcher vers la porte. Mais cette fois ce fut Pau- line qui l'arrêta, d'une voix basse, suppliante, et cependant non moins pressante que tout à l'heure celle d'Antoinette :

— N ' y va pas. Je crois aussi... Oui, je crois que cela vaut mieux.

Interdit, irrité, il secoua de nouveau les épaules ; mais il resta, il obéit. Ils attendirent encore quelques instants. U n pas net, bien réel celui-là, s'entendit dans l'escalier.

— Elle revient, murmura Pauline.

; Antoinette apparut. Elle était seule. Son visage était calme et froid.

— Ce n'était rien, dit-elle. Il doit avoir u n peu de fièvre.

Il s'est couché, il repose déjà.

Chambarcaud respira largement. Cette journée l'avait ébranlé plus à fond qu'il ne l'eût pensé. Le soulagement qu'il éprouvait en cet instant avait quelque chose d'excessif, de follement disproportionné. Bernard aussi, parbleu, avait dû être rudement secoué. Quoi de plus naturel? Il reposait maintenant. Lui-même, soudain, se sentait las, aspirait à la paix du sommeil. Une bonne nuit leur rendrait à tous leur équilibre u n moment compromis.

Ils dînèrent vite, presque sans parler. Par deux fois, Antoinette-sortit encore, comme poussée tout à coup par une

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B E R N A R D , 495 impulsion étrangère, à demi somnambulique. Elle rentrait ; il leur semblait qu'elle n'était point là, mais son corps seul, son apparence humaine. Peu à peu les choses redevenaient normales, retrouvaient leur ordonnance accoutumée. Cham- barcaud étouffa u n bâillement, se leva eii s'étirant :

— Je vais au lit. Demain matin, il faut que je sois à Port- vieux avant l'arrivée des équipes,

Il alla décrocher le téléphone privé -: '

— Allô ! Carine ?... L'auto dans la cour a six heures.

I l donna le bonsoir à sa mère, à sa femme. I l dit douce- ment, tout à fait détendu :

—' Le petit doit dormir. Dormir d u sommeil d u juste:

E t , plus doucement encore, avec u n vague et lointain sourire : '=•—' T u iras tout de même écouter, Antoinette ; entre- bâiller u n peu sa porte... S i par hasard il était réveillé, tu l'embrasserais aussi pour îmoij n'est-ce p a s ? A deux bras, comme quand il était tout petit.

Antoinette attendit à peine qu'il eût atteint le premier palier. Debout au seuil du vestibule, le front serré, les yeux fixés et durs, elle écoutait cette marche pesante. Une porte se referma à l'étage. Alors seulement elle regarda Pauline ; et, très vite, sûre d'être comprise :

— Ne craignez rien, mère, je suis là.

Pauline tremblait en nouant à son coU son fichu noir dé paysanne. Elle, aussi, elle aurait bien v o u l u monter... Mais Antoinette s'éloignait déjà, avec une hâté impatiente, presque panique. L à vieille femme, seule, à tout petits pas accablés, s'en alla vers la galerie couverte. « Ne craignez rien », lui avait dit sa bru. Elle se signa, comme autrefois, d'un geste qui veilàit d'Un passé bien plus vieux qu'elle-même, ce geste de conjuration, d'humilité devant le destin qu'avaient eu au long des siècles tant de pauvres femmes de sa race.

Lôrsqu'Antoinette sortit de la chambre de Bernard, c'était l'aube. Elle avait mis à ses pieds des chaussons à semelles de feutre. Elle avançait dans le couloir sans qu'une lame du parquet grinçât. Il lui fallait, pour regagner sa chambre, tra- verser celle de son mari. Ces deux chambres, naguère, ne faisaient qu'une seule pièce, très vaste, que l'on avait divisée en deux par une cloison intérieure. Elle tourna très doucement

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496 R E V U E D E S D E U X M O N D E S .

le bouton de la porte, entra, la referma avec les mêmes pré- cautions. L a lueur du jour pointait déjà entre les lames des persiennes. Le lit de Chambarcaud était juste devant elle : une faible clarté blanche, un peu bleuâtre sur les draps, le tou- chait d'un glissement oblique.

Il dormait, la bouche ouverte, sa tête ronde creusant l'oreiller. I l dormait allongé sur le dos, profondément. Son souffle égal et fort montait dans le silence de la chambre.

Antoinette s'approcha, s'arrêta, regarda cet homme endormi.

Toute droite, vêtue encore de sa robe étroite et sombre, elle se tenait debout contre le lit dans une immobilité rigide.

"Elle regardait le front couleur de cire sous la frange des che- veux serrés, drus et ras, les lourdes paupières brunes, à pré- sent closes sur des creux d'ombre morte, le cou musculeux et massif, la poitrine à demi découverte qui se soulevait et s'abaissait paisiblement. Comme il dormait ! Tout près de lui, sur la table de chevet, un réveil battait les secondes à petits coups durs et pressés. L a sonnerie était armée. Encore une demi-heure et elle éclaterait dans la chambre : les gros yeux maintenant voilés s'ouvriraient, tâtonneraient dans la naissante lumière, redeviendraient des yeux vivants.

Antoinette ne bougeait pas. Elle regardait ces deux, creux d'ombre que scellaient les épaisses paupières. S o n visage las, pâli par la longue veille, s'imprégnait d'une tristesse et d'une lassitude infinies. Elle sentit qu'elle allait pleurer, saisir peut-être cette main inerte qui s'entr'ouvrait presque sous sa main, et puis s'abattre contre ce lit et crier, enfin crier un appel qui l'étoufîait. Elle se raidit, son expression changea.

Ses minces lèvres décolorées se tiraient, ses yeux humides prenaient une âpreté qui demeurait encore douloureuse, mais peu à peu devenait méprisante, impitoyable.

Elle recula lentement, pas à pas, se détourna enfin brus- quement pour disparaître, silencieuse et furtive, derrière la porte de sa chambre.

I V

Le lendemain, il rentra de Portvieux vers onze heures.

Il était content, rassuré : l'usine lui avait semblé calme.

Il avait parlé aux contremaîtres de la visite qu'il attendait

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B E R N A R D . 497 l'après-midi, révélé son espoir, sa confiance. Il avait faim, il se sentait alerte, vigoureux. E t il songeait, surtout, qu'il allait enfin revoir son fils, u n Bernard reposé, rasséréné, heureux de vivre comme lui-même l'était ce matin.

A u fait, où devait-il travailler aujourd'hui, Bernard ? A l'usine, naturellement. Depuis plusieurs semaines, il n'allait plus qu'un seul jour en forêt : les coupes étaient débardées, on charroyait maintenant par les routes. Jusqu'à l'automne prochain, il n'avait plus grand chose à apprendre dans les ventes : cette promenade hebdomadaire était comme une récréation que lui consentait Chambarcaud.

Il remisa lui-même sa voiture. Il pensait aller tout de suite à son bureau, pour y jeter u n dernier coup d'oeil sur le dossier qu'il avait préparé. Mais à Portvieux il avait eu très chaud ; une poussière de sciure, restée collée à son visage, lui agaçait le bord des paupières. Il songea qu'il avait le temps de passer dans sa salle de bain, de s'y rafraîchir la figure.

Il gagna donc rapidement la maison. E n traversant le vestibule, il tourna les yeux au passage sur l'enfilade des deux salons. E t il aperçut tout au fond, dans le winddw, Antoinette et Bernard assis auprès l'un de l'autre. Antoinette était dans la bergère, Bernard avait tiré u n tabouret contre ses jambes et s'y était pelotonné. I l avait appuyé sa tête au creux des genoux de sa mère. Antoinette souriait et lui caressait les cheveux.

— Bonjour ! cria Chambarcaud.

Ils avaient tressailli tous les deux- Bernard s'était levé brusquement, comme si son père l'eût pris en faute. Mais lui, avec u n gros rire heureux :

— Je dérange des effusions, il paraît ?

Il était déjà devant son fils, l'attirait contre lui avec une tendre rudesse :

— Embrasse-moi aussi, clampin !

Il ne sentit même pas le raidissement d u corps de Bernard.

Il ne vit pas la crispation soudaine qui avait altéré son visage.

Il le tenait serré sur sa poitrine, se livrait tout entier au bouillonnement de joie qu'il refoulait depuis la veille, qui n'attendait que cet instant pour déferler enfin librement.

— Je suis content de toi, tu sais.

T O M E X L I I . — 1937. 32

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Il l'avait détaché de lui, mais le maintenait encore en le serrant fortement aux deux bras :

-— Hein ? T u as v u ce que ça pouvait être ? T u as compris qu'à de certains moments ça pouvait devenir difficile, ^se tendre à rompre, terriblement ? O n parle de baptême du feu...

Te voilà baptisé, Bernard. Plus tôt que je ne l'avais prévu.

Tant mieux donc ! T a première affaire était rude, tu as tenu comme Un vétéran. Tant mieux et encore tant mieux :• le métier est rentré de lui-même. Mais gare ! Pendant que nous y sommes, nous allons retourner sur la brèche, tous les deux.

A h ! nom d'un petit bonhomme, ça v a barder, ou je ne suis plus Chambarcaud. Voyez-vous ce gaillard, qui menaçait de me gagner à la main ? Halte-là, je prends l'initiative.

Aujourd'hui même pour commencer. A trois heures dans m o n bureau, Bernard 5 quelques minutes avant trois heures, compris ? T u verras ças une grosse partie à jouer. T u ouvriras

•tes yeux, tes oreilles. Le type qui v a venir tantôt, c'est un client qui a. u n stylo dans sa poche. Tout le problème, c'est d'arriver à lui faire sortir ce stylo, à le lui mettre au bout des doigts : quelques secondes, le temps exact de tracer une signa- ture, u n paraphe au bas d'un marché. T u te rappelles, mon vieux, l'été dernier... quand tu m'as demandé à ne plus retourner en taupe ? T u voulais « mettre la main à la pâte, tâter des réalités vivantes ». Voilà tes mots, des mots de gamin à ce moment-là. T u étais loin de te douter, n'est-ce pas ? T u prévoyais une partie de plaisir ? E h bien ! voilà, tu as été servi. Des mots, des rêves d'enfant aussi... et puis la vraie réalité, toute nue, toute brute. Qu'est-ce que tu en penses, à présent ? D u plaisir ? A h ! bien mieux que ça ! U n envoû- tement : la fièvre, le cœur qui bat, qui s'arrête, qui repart au galop. Les hommes ! T u me parlais aussi des hommes... T u les as eus en face de toi, les bûcherons, les ouvriers. De tout, là-dedans, du meilleur au pire ; une pâte, tu l'as dit sans savoir. Mais à présent que tu y as mis la main, tu sais : une pâte chaude, hein ? brûlante et lourde... Aujourd'hui, ça v a être autre chose. Je vais te montrer u n homme seul, u n de ceux qui accordent ou refusent. Ça se passera bien calmement, tu verras, avec des poignées de main, des sourires, une char- mante cordialité. Rien de pareil à l'accrochage brutal d'hier.

Mais dans le fond, tu le sentiras tout de suite, quelque chose

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BERNARD. 499 d'au moins aussi âpre. Je ne veux pas préparer mes effets,

tu peux me croire ; il faut pourtant que je te prévienne, pour que tu juges en connaissance de cause et que la leçon te pro- fite : il s'agit, d'un marché capital, comme on en rencontre un ou deux, en toute une vie d'industriel ; actuellement, pour la Forestière, u n virage terriblement sec ; celui, je crois, qui décidera de toute la course. Alors, voilà : il faut réussir le virage. E t je veux que tu sois là, Bernard.

Il parlait dans une exaltation sourde, en proie à cet envoû- tement, à cette fièvre qu'il avait tout à l'heure évoqués.

Antoinette, à deux pas de lui, le regardait sans précautions, avec une fixité tendue, comme si elle l'eût surveillé. O n la sentait tout entière en alerte, prête à intervenir tout à coup, s'il le fallait, s'il l'y obligeait.

Bernard, les bras serrés dans les deux puissantes mains, ressemblait à u n prisonnier. Peu à peu, inconsciemment, il avait cambré le buste, rejeté en arrière les épaules ; et cependant il baissait le front, dérobait constamment son regard. S o n visage blêmi, diminué, avait pris une dureté immobile, une expression de souffrance aveugle, sans recours.

Mais cela même, aux yeux d'un homme possédé par la vio- lence de ses propres pensées, pouvait passer pour*un air d'attention profonde, presque fervente. E t de fait, en cette minute, Chambarcaud était incapable de regarder réelle- ment son fils, de concevoir seulement qu'il pût ne pas être entraîné avec lui dans la grande vague de joie qui le portait et le soulevait. Il n'était pas jusqu'au frémissement qu'il sentait dans les bras de Bernard, sous ses paumes, qui n'ajou-

tât en passant dans sa chair à l'ardeur de sa propre ivresse.

Il répéta :

— Je veux que tu sois là. T u l'as mérité, mon petit.

E t sais-tu ? Je vais tout de suite te dire une chose : dès ton retour d u régiment, je t'associe, c'est décidé. O n s'épaulera, mon vieux, ça fera bisquer Audrouard, ça l'invitera à la circonspection. T u le connaîtras, Audrouard. I l est redou- table, le bougre ; mais à nous deux, on le mettra dans notre poche. Figure-toi...

Il s'était mis à rire tout bas. Une expression d'astuce matoise plissait ses épaisses paupières brunes :

— Figure-toi qu'il se trompe sur ton compte. Il te croit

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une espèce d'amateur, u n freluquet, quelque chose comme ça. I l oublie que tu es mon fils... Qu'est-ce que tu dis, Ber- nard ? Qu'est-ce que tu as ?

Il avait entr'ouvert les mains, surpris par la violence soudaine, effrayante, d u tressaillement léger qu'il avait jusque-là perçu : u n frisson brutal, saccadé, qui parcourait les épaules de Bernard, comme les secousses d'un être qui se débat. A u même moment, avec stupeur, il découvrait enfin son visage, sa pâleur blême, ses larges yeux traqués.

— Bernard ! cria Antoinette.

Il s'échappait, bondissait vers la porte.

— Bernard ! appela-t-elle de nouveau.

Sa voix avait l'accent d u désespoir. Elle s'élança comme il disparaissait, heurta le corps massif de son mari.

— A h ! ça, qu'est-ce que ça signifie ?

— Laisse-moi, dit-elle. Pour l'amour de Dieu, laisse-moi.

Mais il venait de la saisir, furieux soudain, lui barrant le passage :

— Est-ce que cette comédie va durer ? Est-ce que tu es folle, Antoinette ? Est-ce que tout le monde est fou, ici ?

E t cependant elle le repoussait,, elle se débattait à son tour avec des élans des épaules, de grands sursauts désespérés :

— Laisse-moi... Laisse-moi... Laisse-moi...

Elle haletait, hors d'elle-même, le regardait avec des yeux de haine.

— Mais tu ne vois donc rien, malheureux ? T u ne vois pas que tu l'as mis à bout, qu'il est capable...

— E n voilà assez, dit-il.

N o n , il ne voulait pas se fâcher. Il comprenait : les récents événements, l'inquiétude avaient fini par ébranler ces nerfs de femme. Antoinette devenait comme Pauline, prompte aux alarmes insensées ; u n travers qu'il faudrait combattre. O n ferait venir Chapuis, pour la forme : du repos, peut-être u n court voyage..-. Puisque demain les affaires s'arrangeraient...

— Calme-toi, dit-il plus doucement. Il n ' y a pas de quoi dramatiser. L u i aussi, je le vois à présent, il a les nerfs u n peu patraques. Mais tu le connais mal, Antoinette. Ce gamin- là, il est en fer. D e l'énergie ? Il en a plus que moi.

Elle le considérait avec une dureté méprisante. E t lui, sous le regard de ses yeux clairs, éprouvait une gêne gran-

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BERNARD. 501 dissante, comme u n malaise qui venait de très loin, suscité

par des souvenirs qui se levaient du fond d u passé. Ce regard net, terriblement lucide, il le lui avait déjà v u . I l y avait longtemps, longtemps, dans le grand jardin de Portvieux, elle l'avait regardé ainsi. C'était peu après leur mariage, par une soirée de juin transparente, toute dorée. Il lui parlait de son beau-frère, lui dévoilait ses projets d'éviction, de durs projets tendus contre u n obstacle : non plus u n homme, le frère de sa femme, mais u n obstacle qu'il fallait renverser.

Il lui parlait en lui tenant la main, il ressentait u n avide besoin d'approbation, presque de complicité. Elle avait murmuré : « Oui, oui... », s'était jetée contre sa poitrine dans un mouvement de honte amoureuse. Mais lui, exigeant davan- tage, avait voulu qu'elle le regardât. C'était la dernière lueur du jour. I l lui avait pris la tête dans ses mains, la lui avait renversée en arrière, tendrement, impérieusement. Alors, soudain, elle avait levé les paupières et l'avait regardé avec cette même lucidité, — non pas hostile comme à présent, mais aussi pénétrante, assurée, — qui atteignait déjà le fond de l'être, débusquait les pensées secrètes en leur cou- pant toute échappée.

Chambarcaud, sous les yeux d'Antoinette, avait rentré le cou dans les épaules. A deux reprises il secoua le front, à la fois pour éviter ses yeux et pour chasser ce souvenir. Il ne s'était pas écoulé vingt secondes depuis la fuite de Bernard.

Tous deux, P u n devant l'autre à se toucher, avaient cessé de se regarder. Quelques secondes passèrent eneore dans u n silence énorme, accablant. Antoinette tressaillit, fit de côté deux pas rapides. Elle s'élançait, lui échappait.

Il eut alors u n sursaut de révolte, u n réflexe d'une vio- lence inouïe qui devança toute pensée consciente. Il lui saisit d'une main le poignet, de l'autre main ferma la porte à clef et retira la clef de la serrure.

Il soufflait bruyamment, comme effaré de ce qu'il avait fait. Antoinette se tordait les mains, pleurait maintenant: à grands sanglots secs. Il ne pouvait plus se méprendre à l'expres- sion qu'avaient ses yeux : c'était bien de la haine, une haine élémentaire, animale, dont la révélation le stupéfiait et l'effrayait.

— Voyons, voyons... balbutia-t-il. •

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— I l v a se tuer ! Je te dis qu'il n ' y peut plus tenir ! Cette nui^ déjà... j'ai cru devenir folle. Je l'ai maintenu, je l'ai sauvé.

Des heures, quelles heures ! pour lui arracher cette promesse...

E t tu reviens, tu recommences... T u te jettes sur lui, tu l'étouffés. T u n'as pas v u qu'il se défaisait sous tes yeux, qu'il recommençait à sombrer ?

Il dit tout haut, comme devant un cauchemar :,

— Je rêve. Ce n'est pas possible : je rêve.

De nouveau sa colère grondait. Mais il ne voulait pas, il ne voulait pas lui céder. Serrer les poings, hausser les épaules, ricaner, marcher à grands pas au hasard... Mais au moins garder son sang-froid devant cette malade, cette folle. Des mots pourtant lui jaillissaient des lèvres, des exclamations brèves où sa colère frémissait malgré lui :

— Je suis un monstre, alors, u n monstre ? C'est admirable ! Je suis u n monstre.

E t Antoinette, à ce mot qu'il disait, prononçait d'une voix changée, basse et farouche :

— Oui... oui... oui... c'est la vérité.

- ^ U n oppresseur, u n bourreau des miens, de ma femme, de mon petit ?

— Oui... oui,., répétait Antoinette.

—• E t pendant vingt années, tu es restée, tu as pu résister ? Elle dit alors, une lueur de pitié dans les yeux :

—• E t tu n'as rien v u , rien senti.. T u as suivi ta route, ta route. E t que je sois restée dans ta maison...

— E h bien ? dit-il,, d'une voix qui s'étranglait. Ce n'est pas vrai. Tu.n'as pas songé à partir, Antoinette, à me quitter ?

-— S i , dit-elle. J'ai failli partir.

— Mais pourquoi, pourquoi ? C'est absurde. O u bien alors...

— Que t'importe à présent ?

-T- R a y m o n d Chapuis... N o n , ce n'est pas possible. T u m'aimais, Antoinette, tu m'aimais ?

— N o n , dit-elle, je ne t'aimais plus. J'étais toute seule, tu m'avais laissée toute seule.

Elle eut un lent hochement du front, ses yeux s'em- plirent d'un regret déchirant :

— T u as fait ça, tu ne t'en es même pas aperçu.

Sa colère, sa révolte même chancelaient au fond de-lui.

Cette voix, ces yeux, ce visage pâle et comme usé, tout de

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BERNARD. 503 cette femme était vérité nue, une vérité qui déjà l'accablait.

'—^ T u es restée... murmura-t-il encore.

E t elle, avec la même tristesse, une dérive de tout son être :

— Pour lui, pour lui, mon pauvre petit !

Aussitôt elle s'était redressée, les yeux redevenus secs et brûlants, agrandis par une terreur hagarde. Elle marchait contre lui, vers la porte. Elle voulait passer, elle passerait.

-<*- Ouvre, dit-elle. O u veux-tu que je crie ? Que j'appelle à là fenêtre ? Nous parlons, j'ai pensé à moi-même. E t pen- dant ce temps-là...

Il ouvrit. E t juste dans ce moment Pauline parut dans l'embrasure. Elle arrivait, comme d'habitude, parce qu'il allait être midi. Elle vit leur trouble et balbutia :

-— Mes enfants! Q u ' y a-t-il ? M o n Dieu...

Pierre, à l'apparition de sa mère, s'était comme jeté vers elle. Il lui cria, dans u n transport de toute son âme :

— M a m a n ! Elle est devenue folle. Pour rien, pour rien, parce que Bernard a été u n peu nerveux... Il paraît que c'est moi, oui, moi ; que je l'étouffe, que je le fais mourir à petit feu. E t elle aussi, et vous aussi, depuis vingt ans... Je vous opprime, je vous empêche de vivre. Voilà, voilà ce que je viens d'entendre. Mais répondez-lui, vous, maman ! Dites-lui...

Sa voix, peu à peu, fléchissait. L a certitude qui l'avait fait vibrer la désertait à mesure qu'il parlait. Il regarda autour de lui avec une hébétude anxieuse, comme pour se raccrocher à des choses stables, familières. Pauline avait baissé la tête.

Elle apparaissait toute petite, une très vieille femme au corps diminué, courbé, dont les épaules se séGouaient en tremblant.

— Maman,... dit-il, presque humblement.

Elle se taisait. I l dit encore une fois, comme on jette, un appel de détresse :

— Maman...

Ce silence, toujours ce silence. A son tour il baissa la nuque, les prunelles vagues, semblable à u n homme assommé.

. V

« ... Ici, d u moins; les choses sont à leur place. L a pendule bat paisiblement. Voici la table sous ma main, le plumier de Gien ébréché, les deux agrafes qui le consolident. L a pendule

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marque une heure quarante. Dans cinq minutes, j'entendrai la sirène ; u n peu après les pas des ouvriers. U n peu après encore, les murs, le parquet sous mes pieds se mettront à frémir doucement, comme hier, comme chaque jour lorsque je suis ici, dans mon bureau, à mon travail.

« Dossier Van Gogh. Je n'en ai même plus besoin. Je le tiens, je le possède à fond. Quand l'administrateur sera là, tout à l'heure, quelque question qu'il puisse me poser, ma réponse sera prête, immédiate. E t , derrière moi, l'usine, les stocks, cette présence qu'il devra sentir dans chacune de mes paroles... A trois heures... Bériot sera exact : nous autres, nous sommes toujours exacts. L'autre jour, à Paris, en pleine tourmente, avoir trouvé les arguments qui l'ont décidé à venir. Aujourd'hui, cette autre tourmente. Mais je suis ici, à m o n poste, et je l'attends.

« L a sirène... Son appel va loin. Il monte franchement à travers le ciel. Cette voix est claire, joyeuse, tonique. A u travail, gens de Marcheloup ! Ils me font rire avec leur peine des hommes, le pain à la sueur d u front, la malédiction du labeur. Accomplir toute sa tâche, bon Dieu, s'y donner à plein cœur, comme u n homme ! E t alors cette satisfaction de soi, cette sensation de bien remplir sa peau : pas de poids mort, de pensées inutiles... Toutes ces fumées, cette crasse d'oisiveté... Je ne veux plus songer à ça.

« M o n concurrent le plus dangereux : Perrin. L u i aussi est sur l'affaire. Il a des stocks, il peut tirer les prix, Bériot le sait aussi bien que moi. Alors, pas d'allusion là-dessus. Insister sur la qualité de mes bois, la précision de m o n usinage, ma puissance de production, bien entendu, la régularité de mes livraisons en corollaire. A u besoin, moi le premier, parler de pénalités : voilà le bon terrain, celui sur lequel je l'aurai.

« Les hommes arrivent. Ils savent ; ils ont repris... ils n'ont jamais perdu confiance en moi. Leur pas aussi résonne fran- chement : de la santé, de la. force, de l'espoir. Ça, c'est une réalité. A h ! les machines recommencent à tourner. Ce bour- donnement... L'usine en est comblée : pas une faille, pas un à-coup ; c'est plein, c'est calme, puissant, normal. Encore une heure... Je vais pourtant reprendre ce dossier. » ,

Il l'ouvre, il en compulse les feuillets. Presque aussitôt, des images s'interposent entre les lignes et ses regards, prennent

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BERNARD. Ô05 tout à coup une précision impitoyable. Une réalité, Châm-

barcaud ? Il voit sa mère qui baisse la tête ; il subit de nou- veau ce silence qui lui glace le cœur. E t c'est dans ce désert, cet affreux désert de silence, qu'ils entendent tous les trois le rnoteur d'une automobile ronfler rageusement à la grille.

De la démence encore, le cauchemar semble rebondir, de plus en plus absurde, odieux.'Antoinette crie, Pauline semble gagnée par sa folie. Encore u n peu, cette panique le gagnerait lui-même. L e cabriolet rouge de Bernard est maintenant sorti de la cour ; son ronflement s'éloigne très vite par la route de Sàint-Liphard, du côté de l'étang de Mourches. Antoinette veut partir à sa suite ; elle réclame la voiture, elle menace.

Elle lui reproche, avec une fureur sanglotante, de n'avoir jamais consenti à ce qu'elle apprît à conduire. Le ridicule se mêle à l'absurde. Cent fois Bernard a pris ainsi la route ; cent fois ils ont entendu dans la cour le ronflement de son cabriolet. L u i , Chambarcaud, se ressaisit enfin, d'un seul coup. I l fait tête à ces femmes délirantes. I l leur oppose le calme de sa voix, l'autorité de ses décisions : « Savent-elles seulement où Bernard est allé ? Dès le premier carrefour, elles auraient perdu sa trace. S'enquérir ? Auprès de qui, en pleine forêt ? E h bien ! oui, il est parti : u n coup de tête, une brève fugue au pis-aller. A v a n t ce soir, il sera de retour. I l n ' y a qu'à l'attendre ici, tranquillement, raisonnablement. »

Il tourne u n feuillet, puis u n autre. I l veut lire, fixer sa pensée. Voyons... Pour éviter des manutentions, on instal- lera des chemins de roulement supplémentaires. Pour réduire la perte de bois, on tronçonnera les billots dès la coupe, exae' tement aux dimensions requises par le type de caisse choisi.

A h M a présentation, l'aspect : ces gens-là y tiennent énor- mément. I l faut que je montre à Bériot notre fabrication Denizet, des panneaux d'une régularité qui frise le dixième de millimètre. Il faut encore...

Le sang lui afflue au visage. I l a u n geste, comme pour lancer bien loin de lui ce dossier qu'il ne peut plus lire. E n appeler à leur r a i s o n ? Il était dit que jusqu'au bout ces malheureuses le défieraient, l'obligeraient à se battre contre elles, à les mater. Cette brutalité... Dieu sait qu'il ne l'eût

• pas voulue. Il pouvait se rendre ce témoignage : c'était elles qui l'y avaient contraint. S i ulcéré qu'il fût par leur mons-

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trueuse injustice, il n'avait pas cédé à u n besoin de repré- sailles. I l n'avait plus que ce parti à prendre : tenter une der»

nière fois une explication sensée ; leur dire, —- c'était la vérité, — qu'il avait, lui, besoin de la voiture ; qu'il voulait

conduire dans les coupes l'homme qu'il attendait ce soir ; et puis, sa volonté une fois signifiée, partir, laisser loin der- rière lui cette atmosphère de cabanon, et retrouver içi? dans ce refuge, dans ce ronronnement des machines, u n air salubre, enfin respirable,

Il respire, son sang s'apaise. L e voici calme, tout à fait calme. A côté, dans les bureaux, il entend crépiter une machine à écrire, résonner le vibreur du standard téléphonique. Est-ce pour lui ? N o n , une communication banale. S i Béript allait ne pas venir ? Mais il viendra. I l aurait déjà prévenu s'il avait eu u n empêchement. Chambarcaud sonne. Louise Hugonin entr'ouvre la porte.

— Louise, quand M , Bériot sera là, vous l'introduirez immédiatement,

Pourquoi a-t-il ainsi appelé Louise ? Pourquoi cette recommandation inutile ? Louise Hugonin a u n frais visage,.

un clair visage de vingt ans. I l l'a plusieurs fois remarqué : lorsque Bernard traverse les bureaux, ce visage-là n'est plus le même : ému, troublé, u n visage de femme.

— Une seconde, Louise, pendant que j ' y songe,.. Donnez- moi le pavillon d'entrée. Tout de suite.

Il a déjà décroché l'écouteur. L a jeune fille disparaît.

Il l'entend qui branche le circuit, qui appelle le vieux Carine.

IJ devance presque son appel :

•^ Allô Carme ? Oui, oui, c'est moi, Dites-moi, Carine...

M , Bernard n'est pas encore rentré ?.., N o n ? Bien, c'est tout...

Pourtant, si ! autre chose : rappelez-vous la-visite que j'attends.

Dans u n quart d'heure, juste u n quart d'heure. Vous accom- pagnerez ce monsieur. Jusqu'aux bureaux. Merci, Carine...

Allô ? Mais naturellement ! A n'importe quel moment ! Je compte ne pas bouger d'ici. Dès qu'il sera rentré, u n petit coup de téléphone. U n mot seulement : « I l est rentré, »

Il raccroche, très lentement, les prunelles perdues devant lui. U n bref sursaut : il reprend le dossier, penche ses gros yeux presque à toucher les pages. A présent, il peut lire,.

vérifier les chiffres u n à un. Cinquante mille caisses, douze

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BERNARD. 507 fois cinquante mille caisses. Ces prix, ces prix définitifs, sont équitables pour tout le inonde ; pour la Société v a n Gogh»

pour lui, pour les Ouvriers des usines, pour les créanciers des Bourjot. U n homme habitué à voir juste, u n Bériot, s'en rendra compte immédiatement. Chambarcaud^ en ces der?

nières minutes, retrouve et parcourt sans broncher le chemin nement qu'il a maintes fois suivi. Il reconnaît, aux mêmeg tournants, les mêmes obstacles déjà mesures qu'il est désor- mais sûr de vaincre. Tout s'enchaîne, avec une logique rigou- reuse qui conclut à sa prochaine victoire : situation générale du marché, concurrence; vingt concurrents» plus que d i x ; Perrin tout seul, fabrication Perrin inférieure, victoire certaine

de la Forestière. I>

I l referme le dossier. L a pendule v i e n t de tinter trois heures.

Presque aussitôt, o n frappe à la porte. L o u i s e H u g o n i n annonce :

— Monsieur Bériot.

— Faites entrer, dit Chambarcaud.

E t il se lève. L'homme qui entre, qui lui tend la main, doit avoir à peu près son âge. Il est grand, osseux, musclé, bien pris dans u n complet gris de fer, une rosette rouge au revers du veston. Il sourit en lui tendant la main.

— ... Ce fauteuil, dit Chambarcaud.

Dès l'abord, ils se sentent de plain-pied : la même aisance de part et d'autre, la même cordialité courtoise. De ces deux hommes, l'un sait ce qu'il apporte ici : u n grand espoir, peut- être le salut. L'autre ne doute pas qu'il ne le sache. Mais Cela n'est point perceptible dans les propos tranquilles, presque détachés, qu'ils échangent.

— ... Touchés ? dit Chambarcaud. Parbleu oui, comme tout le monde. Mais nous aurions tort de nous plaindre : dés relations de trente ou quarante ans, de vieux clients qui sont devenus des amis, qui ne nous ont jamais lâchés. U n privilège en sornme, vous voyez, mais qui a des titres solides et qui nous permet de tourner... de tourner régulièrement.

Il peut le dire : Bériot le verra tout à l'heure, s'il ne l'a déjà remarqué. L a trépidation de l'usine frémit aux vitres et traverse les murs de son ronronnement continu. Les deux hommes sentent cela pareillement : c'est comme une présence en effet, qui donne à leurs moindres paroles une résonance plus étoffée, plus substantielle.

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508 REVUE D E S D E U X MONDES.

— Justement, poursuit Chambarcaud ; tandis que je vous attendais, je réfléchissais encore aux mesures que je devrai prendre si vos ordres nous favorisent. Intercaler dans nos fabrications une fourniture de cette importance, cela pose des problèmes d'organisation intérieure que j'ai, cela v a de soi, étudiés d'extrêmement près. Je crois, monsieur Bériot, pouvoir vous dire au terme de cette étude que je suis en mesure de vous donner satisfaction.

Bériot écoute. Depuis u n moment il se tait. Mais son atten- tion silencieuse se fait plus nette, plus exigeante. D e temps en temps, une lueur plus vive au fond des yeux, u n léger signe d'approbation laissent pressentir à Chambarcaud l'approche d'une rencontre efficace. A mesure qu'il précise, qu'il explique, il lui semble que Bériot lui-même a conscience de cette approche, qu'il en accueille progressivement l'idée, qu'il en vient peu à peu à souhaiter qu'elle se réalise. Désormais, il en est presque sûr, Bériot ne songera plus à ce pouvoir presque inhumain qu'il détenait : accorder ou refuser une commande, comme on fait grâce ou comme on exécute.

L'usine tourne, elle est vivante. Que la fabrication Deiiizet, par exemple, ne doive être livrée que le 15, qu'elle soit prête dix jours trop tôt, cela ne saurait empêcher que l'usine ne vive d'elle aujourd'hui. Ainsi, d'une fabrication à une autre, elle tourne, elle tourne effectivement. Ce n'est point là une mise en scène, u n faux semblant destiné à leurrer l'homme qui est là, dans ce bureau. Chambarcaud, de son côté, en écoutant la ronde rumeur des machines, est parvenu à oublier la bizarre sensation de vertige qu'il éprouvait encore au début de leur entretien : cette « avance », u n intervalle sans cesse reformé entre la besogne des machines et le départ des wagons chargés, u n creux de jours encore mesurable, qui paraît si facile à combler, et qui pourtant demeure et s'agrandit. « Mais que je prenne cette fourniture... » Déjà, en vérité, le creux se comble, n'existe plus. Bériot encore une fois a eu u n signe d'assentiment.

— U n retard de notre fait, dit Chambarcaud ; et c'est chez vous, automatiquement, Tarrêt des cent ouvriers qui montent et clouent vos emballages. Je ne parle que de votre usine d ' I v r y , celle que j'ai vue le mois dernier. Votre livrable est prêt, se présente à la mise en caisses juste avant l'expédi-

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B E R N A R D . 509 tion. S u r le lapis roulant d u grand hall, les boîtes métalliques arrivent, ponctuellement, à la minute requise : et pas de caisses ; il y a défaillance d u fournisseur à qui vous aviez fait confiance. Inadmissible. Qui a promis doit tenir sa promesse ; ou alors réparer honnêtement le préjudice qu'il vous inflige.

Voulez-vous, monsieur Bériot, que nous nous mettions d'accord sur les pénalités à prévoir ?

I I sourit. Il a pris u n crayon, attiré u n bloc-notes sous sa main. Bériot approche son fauteuil. Tous deux maintenant parlent à tour de rôle, par petites phrases rapides et précises.

Les dates de livraison ? B o n . Les quantités ? Tout cela est possible. Les sanctions ? Chambarcaud les stipule le premier, assez sévères pour que Bériot ne manque point d'en faire la remarque. I l les accepte d'ailleurs aussitôt, comme si déjà le marché venait d'être signé. I l ne peut pas ne pas se dire qu'un homme aussi rigoureux pour lui-même doit être sûr de son personnel, de ses machines, de sa puissance industrielle : proposer contre soi des sanctions aussi lourdes, cela suppose la certitude qu'on est paré, qu'on ne se mettra point dans le cas de les encourir. Le temps passe. Ils travaillent toujours.

L'accord tacite qui les rapproche devient plus net, mieux perceptible à l'un et à l'autre. Ils en éprouvent u n mutuel contentement qui va se muer en sympathie. Leurs répliques mêmes s'ajustent exactement ; elles « tournent rond », au rythme de l'usine qui les enveloppe et les unit.

— Voulez-vous que nous voyions l'usine ? dit Chambar- caud.

Us sont debout, prêts à sortir. Bériot déjà se dirige vers la porte. Chambarcaud fait le tour de sa table, passe devant le téléphone.

— Excusez-moi, dit-il brusquement.

E t très vite, à demi-voix, il demande le pavillon d'entrée.

— C'est vous, Carine ?... E h bien ?... Pas encore ?...

Je ne m'absente qu'une demi-heure. Appelez-moi quand même;

je ne quitterai pas l'usine.

Une demi-heure plus tard, ils ont regagné le bureau. Bériot n'a pas ouvert la bouche de tout le temps qu'a duré la visite.

Il a seulement suivi Chambarcaud et regardé autour de soi.

Maintenant, assis dans le même fauteuil, il se détend, tire de sa poche u n étui à cigarettes.

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—- Vous fumez ?

— Volontiers. Merci.

Chambarcaud n'a plus aucun doute : la décision de Bériot est prise. I l va, pendant quelques instants encore, parler de choses indifférentes, puis se lever, prendre congé. E t c'est alors, à l'instant même de son départ, qu'il dira comme une chose toute naturelle : « Vous pouvez faire établir le marché. »

Chambarcaud fume avec nervosité, écrase au fond du cendrier le bout de sa cigarette. Ce n'est point parce que Bériot tarde. A u contraire : il voudrait qu'il tardât encore.

L a tension d'esprit qui vient d'être la sienne, qui s'est pro- longée deux; grandes heures, a été pour lui une jouissance, un bienfait. Maintenant ce jeu aux phrases serrées, à la fois aisées et dangereuses, va prendre fin et lui manquer. Il cherche, avec une angoisse grandissante, par quel moyen il pourrait / encore retenir son partenaire. Devant lui, pour la première fois, il hésite. Tout à coup, avec u n sursaut d'espoir, il songe qu'ils ne sont pas allés dans les coupes de la forêt. A u début de l'après-midi, cette visite dans les coupes exploitées lui avait paru indispensable. Il s'était dit : « Je le mènerai par- tout, d u Chat-Sauvage au Buisson-Allant. Il verra que notre parc à bois ne risque pas d'être épuisé demain, que les machines ont de quoi se nourrir. » A présent, cette course en forêt lui paraît dérisoirement inutile : une promenade vaine, gaspil- leuse de temps, qu'il serait ridicule de proposer à un homme ménager du sien. Il est déjà presque six heures. Encore une minute peut-être, et Bériot va se lever, tendre la main : Chambarcaud le pressent, le voit. Cela lui devient si pénible qu'il est sur le point de parler ; que déjà il s'entend lui-même prononcer d'une voix qui sonne faux cette invite opportune. :

« J'aurais aimé, monsieur Bériot, vous conduire dans nos coupes de forêt. Disposez-vous encore d'un instant ?... J'ai ma voiture. » Bériot aurait u n petit geste de la main, u n vague sourire u n peu étonné : « A quoi bon, monsieur Chambarcaud ?»

O u peut-être, s'il acceptait par impossible... Cette réponse que pourrait faire Bériot, Chambarcaud croit aussi l'entendre :

« Votre voiture ? Mais prenons la mienne ! » Rien n'est plus simple en vérité : Bériot a aussi sa voiture. Il souriait en répondant cela, en homme bien élevé qu'il est. Chambarcaud semble se réveiller. Ses mains sont froides, son visage s'est

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BERNARD. 511 altéré : une douleur aiguë vient de lui traverser la poitrine une sensation de brisure profonde, presque atroce, comme à»

son cœur s'était brusquement arrêté.

Allons ! Il faut tenir encore, écouter Bériot, lui répondre^

« S'il reste encore du gros gibier dans la forêt ? — Quelques hardes éparses, toutes traquées ; de loin en loin aussi u n passage de sangliers... Oui, cet hiver, l'équipage de Besoiubes a pris encore une demi-douzaine de beaux cerfs, coupé le pied à autant de bêtes noires. Ce ne sont plus les chasses d'autrefois... » Il parle comme au -travers d'une brume, en s'imposant une contrainte effrayante, plus dure mille fois qu'elle ne l'a été lorsqu'il luttait pour convaincre Bériot.

Il Eje faut pas, à aucun prix, que celui-ci soupçonne sa lassi- tude : il y verrait la défaillance d'un homme d'affaires qui a tremblé. A h ! qu'il se lève ! E t qu'il s'en aille ! L'effort que s'impose Chambarcaud va lui devenir impossible. Son corps même v a céder, le trahir, aussi fatalement qu'il arrive à un homme qu'écrase l'insomnie, et qui dégringole brusquement au fond d'un puits noir de sommeil.

Enfin, enfin, Bériot se lève. Chambarcaud le voit, I l ^en- tend. Ce sont leB mots qu'il prévoyait :

— Nous sommes d'accord. Vous pouvez faire établir le marehé.

A h ! c'est fini. E t c'est gagné. U n marché de cinquante mille caisses par mois. Il faut que dès ce soir il le dise à Fierquin, à Rosier ; que les hommes sachent que c'est gagné.

—• ... A nos bureaux de la Chaussée d'Antin, dit Bériot.

Chambarcaud, en le reconduisant, s'appuie à l'angle de la table, au dossier d'un fauteuil, à l'encadrement de la porte.

Toujours ^cette brume, où s'étouffent ses propres paroles : -*r- ... Dès demain. Vous pouvez y compter.

E t il est seul, il peut enfin s'abandonner, se pencher avi- dement sur soi-même, sans témoin, libre de souffrir tout son saoul, de se reconnaître à plein cœur : u n pauvre homme, rien qu'un pauvre homme.

V I

Il a d'abord appelé une dernière fois au téléphone, Il tremblait. Il a dû, à ses premiers mots, s'arrêter pour reprendre

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