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Article pp.109-119 du Vol.7 n°2 (2015)

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doi:10.3166/r2ie.7.109-119 © 2015 Lavoisier SAS. Tous droits réservés

L’émergence d’un « Relevant Network » : Fondement central d’une Intelligence

Stratégique Localisée

Par Viviane du Castel

a

et Patrice Schoch

b

a Docteur en Sciences Politiques, Directeur pédagogique, Enseignant-Chercheur ISEG- ISERAM, ISMEA, Analyste géopolitique spécialisée sur les problématiques énergétiques.

b Docteur en Sciences de Gestion et Membre associé, Chercheur Institut de l’Ouest Droit et Europe UMR CNRS 6262, CAP-IRIS - Centre d’Applications et de Prospective- CAP-IRIS,

Entrepreneur - Projet ACTIV’LINKS

Résumé

Certaines entreprises présentent une vision étriquée et très focales de leur stratégie.

Cette attitude conduit généralement à ne pas se préoccuper de signaux faibles ou de réseaux pourtant pertinents, pouvant permettre la détection d’opportunités ou de menaces dans leurs environnements. Le Relevant Network présente un intérêt novateur dans le domaine de la gestion des réseaux pour définir les meilleurs réseaux pertinents à développer au vu d’atteindre les objectifs fixés. Compte tenu des interconnexions entre acteurs d’un même territoire, il est possible d’envisager un modèle d’Intelligence straté- gique localisée qui serait applicable, à tout type d’organisations (privées ou publiques, économiques ou non marchandes). © 2015 Lavoisier SAS. All rights reserved

Mots clés : intelligence stratégique, organisation, vision périphérique, entreprise, information, lobbying, influence, réseaux, collectivité, association, service public, cartographie.

Abstract

The emergence of a «Relevant Network Management»: Central Foundation of a Localized Strategic Intelligence. Some companies present a narrow and very focal vision of their strategy. This attitude leads generally not to worry about weak signals or about nevertheless relevant networks, which could allow the detection of opportunities or threats in their environments. The Relevant Network presents an innovative interest in the field of the management of networks to define the best relevant networks to be developed to reach the fixed goals. Considering the interconnections between actors of

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the same territory, it is possible to envisage a model of localized strategic intelligence which would be applicable, to every type of organizations (private or public, economic or not tra-

ders). © 2015 Lavoisier SAS. All rights reserved

Keywords: strategic intelligence, organization, peripheral vision, company, information, lobbying, influence, networks, community, association, public service, mapping.

Introduction

En France, le secteur industriel apparaît souvent comme l’une des préoccupations majeures des politiques, compte tenu de l’évolution constante du chômage. Face à cette problématique, toutes les initiatives sont bonnes et doivent être encouragées pour trouver des solutions. Le secteur industriel est, de fait, un levier à ne pas négliger.

L’intelligence stratégique (IS) regroupe l’ensemble des pratiques managériales de ges- tion de l’information et de l’influence, afin de permettre l’atteinte des objectifs pour une entreprise. Elle a ainsi, un rôle fondamental à jouer dans le domaine industriel et l’innova- tion entrepreneuriale. Mais les entreprises industrielles, innovantes, à forte valeur ajoutée doivent-elles être les seules concernées par ces pratiques ?

L’emploi est l’affaire de tous. Ainsi, l’Intelligence Stratégique (IS) doit s’appliquer et s’adapter à l’ensemble des acteurs d’un même territoire.

Compte tenu de la nature et des missions diversifiées de ces acteurs, il est essentiel de considérer les interconnexions qui existent entre eux. La défaillance d’un acteur impacte nécessairement les autres acteurs limitrophes. Par exemple, si une entreprise dépose son bilan, il faut envisager son impact sur les autres entreprises, la population, les territoires, les services publics, les transports, etc. Si les différences entre certains acteurs (notamment secteur public/secteur privé) marquent souvent des préjugés et des oppositions, force est de constater que les uns dépendent mutuellement des autres.

Bon nombre de pays dans le monde, doivent gérer actuellement les défaillances et l’absence d’anticipation passées dans certains bons nombre de domaines. Négliger les autres secteurs (économiques, sociaux, politiques et publics), c’est aussi, à terme, prendre le risque de créer des dysfonctionnements futurs.

Quel que soit le secteur, chaque organisation évolue sur un territoire avec une mul- titude de réseaux et de contacts. À la recherche systématique de données, il est essentiel de considérer l’existence, en filigrane, d’un Relevant Network1 permettant une gestion raisonnée des réseaux d’acteurs pertinents sur le territoire. En d’autres termes, il s’agit de la capacité à sélectionner les contacts pertinents et nécessaires dans son environnement, afin d’établir une démarche planifiée d’actions permettant de répondre à ses missions et d’atteindre ses objectifs.

1 Relevant Network : Réseau Pertinent formalisant l’ensemble des contacts et liens utiles favorables à l’aboutissement des objectifs de l’organisation. La notion de pertinence souligne ici l’utilité d’entretenir certains liens. Le choix d’un terme anglais s’explique par la simplicité et la clarté du terme.

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Cette gestion des réseaux d’influence repose sur une démarche d’Intelligence Stratégique Localisée (ISL) :

– Intelligence pour comprendre et analyser un environnement en corrélation avec les besoins de l’organisation,

– Stratégique pour mettre en place une démarche d’anticipation et de pro-activité adaptée aux objectifs de l’organisation,

– Localisée afin de déterminer territorialement et dans l’environnement de l’organisation les informations et les réseaux dont elle a réellement besoin.

Cette démarche est nécessairement spécifique à chaque organisation mais partageable afin d’aller ensemble vers une compréhension commune des environnements réciproques.

Ainsi, comment les organisations privées et publiques d’un territoire, peuvent-elles devenir suffisamment alertes pour anticiper, s’adapter et se projeter dans leur devenir ?

Toute donnée, toute information a une origine humaine. Qu’elle ait été obtenue online ou offline, au moins une personne en est à l’origine. Parler uniquement de veille2 ou de données, c’est finalement faire peu de cas de l’origine même de l’information et du dédale titanesque que représentent les réseaux humains. Pour chaque organisation, chaque territoire, chaque mission et chaque objectif, il existe un ou plusieurs réseaux de contacts pertinents.

C’est ce que nous avons appelé Relevant Network ou Réseau pertinent d’influences.

Pour formaliser ce Relevant Network, il est essentiel d’étendre, à tous, le champ d’appli- cation de l’intelligence stratégique (1.) et d’y intégrer une méthodologie adaptée (2.).

1. Vers une démarche d’intelligence stratégique applicable à tous

Si les analystes s’accordent à définir l’intelligence comme l’« aptitude d’un être humain à s’adapter à une situation, à choisir des moyens d’action en fonction des circonstances » (Larousse 2015), la notion française d’Intelligence Économique (I.E.) a longtemps fait l’objet d’intenses débats théoriques et pratiques. De la première définition de l’intelligence écono- mique faite par Harold Wilensky en 1967 au rapport Intelligence économique, compétitivité et cohésion sociale en 2003 en passant par les principes fondamentaux du Rapport Martre de 1994, les définitions sont multiples mais se centralisent, malgré tout, sur la recherche et l’utilisation de l’information utile. (Martre, 1994) (Carayon, 2003)

1.1. La portée limitée d’une intelligence économique

S’il a été difficile de faire une synthèse de ce que peut être l’intelligence économique, Sophie Larivet en présente, par exemple, une vision managériale. Elle relève que si l’intelli- gence économique repose sur les trois pratiques informationnelles que sont le renseignement, la protection et la fonction d’influence, il s’agit avant tout d’un « mode de management stratégique de l’information de l’entreprise » quelle que soit sa taille. (Larivet, 2006)

L’Entreprise est ainsi la première organisation concernée par le processus d’intelligence économique. Cette dernière a un besoin constant de management de la connaissance aux

2 Ensemble des pratiques de recherche, traitement et de gestion des données et des informations utiles à l’organisation.

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différents niveaux de décisions de son organigramme. L’État, les collectivités territoriales et d’une manière générale, toutes les organisations publiques ont un besoin d’informations et de réseaux pour cadrer leurs missions de services publiques. Néanmoins, leurs actions d’intelligence économique sont généralement définies dans le cadre de politiques publiques de compétitivité, de sécurité économique, d’influence et de formations, dans le cadre des spécificités de chaque économie nationale, pour aider et accompagner les entreprises sur le territoire. (Pautrat, 2003)

Étonnamment, la question de savoir, si ces organisations s’appliquent à elles-mêmes ce processus d’intelligence économique dans le cadre de leur fonctionnement organisationnel, n’est jamais directement abordée. La problématique est autocentrée vers les missions de services publics dédiées à la mise en valeur et à la protection de l’économie et de la com- pétitivité du territoire.

C’est ainsi que le service de coordination à l’Intelligence Économique du Ministère de l’Économie et des Finances Française, définit toujours, en 2015, l’Intelligence Économique comme : « une ingénierie de la collecte, de l’analyse stratégique et de la valorisation de l’information utile pour un éclairage et une aide à la décision. Elle utilise toutes les ressources des technologies de l’information et de la communication, des réseaux humains et de leur capacité d’influence pour donner aux entreprises, ou à un État, les moyens d’être plus compétitif et plus efficace face à la concurrence. Pratiquée par tous les grands pays industrialisés et émergents, elle permet d’assurer aux entreprises un avantage concurrentiel, et à l’État de pouvoir anticiper les événements et d’accompagner les mutations économiques ».

1.2. Les limites publiques de l’intelligence économique territoriale

La notion d’intelligence économique se décline également d’un point de vue territorial.

L’Intelligence Économique Territoriale (I.E.T.) est l’application de l’intelligence économique à un territoire ou une région (François, 2008). Loin d’être une simple application territoriale du processus précédemment décrit au sein d’une entreprise, l’objectif de l’intelligence éco- nomique territoriale est de développer l’activité économique d’un bassin d’emploi, autour de certaines activités considérées comme stratégiques pour ce territoire, et de favoriser le développement des emplois sur ce même territoire.

L’intelligence économique territoriale, permet d’organiser des pôles de compétence, ou pôles de compétitivité (CIADT, 2004), associant des entreprises, des centres de recherche et développement, des universités et des grandes écoles, et des réseaux de petites et moyennes entreprises, fédérés par les chambres de commerce et d’industrie. (Pautrat, 2003)

De fait, la césure qui sépare l’intelligence économique territoriale de l’intelligence économique repose sur la spatialisation du processus d’intelligence économique. La notion d’Intelligence Économique est étudiée et appliquée du point de vue et au sein de l’entreprise.

L’intelligence économique territoriale repose, quant à elle, sur une vision macro-économique du point de vue des missions des services publiques de l’État ou des collectivités. L’I.E.T.

a pour mission d’assurer et maintenir les avantages compétitifs que les territoires ont su créer en vue de leur propre développement.

Dès lors, force est de constater qu’aucune démarche ne présente in fine une approche stratégique territoriale en entreprise. Même si les différentes étapes de l’intelligence écono-

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mique induisent implicitement une applicabilité dans toutes les branches d’un organigramme, y compris territoriales et opérationnelles, la plupart des cellules de veille (par exemple) sont régulièrement attachées au dirigeant (IAE-Orléans & DIGIMIND, 2007). Elles s’éloignent ainsi de certaines réalités territoriales.

Nous ne pouvons que saluer les différentes initiatives permettant de protéger un certain nombre de secteurs d’activités considérés comme sensibles dont la recherche et la produc- tion d’armements ou les technologies d’information dans le domaine de la défense et de la sécurité nationale. Néanmoins, il convient de souligner la différence entre les intérêts économiques d’un État ou d’un territoire, et le fonctionnement d’une entreprise.

Cette dernière est définie juridiquement comme une unité économique qui implique la mise en œuvre de moyens humains et matériels de production ou de distribution des richesses reposant sur une organisation préétablie. De fait, sa création, son développement ou toutes les phases de son cycle de vie reposent sur la décision souveraine et légale de ses dirigeants.

C’est à l’entreprise de mettre en place sa propre démarche territoriale d’intelligence.

1.3. Une accessibilité offerte à toutes les organisations

Le fait d’accoler l’adjectif économique au mot intelligence propose une vision restrictive et appauvrissante du processus d’intelligence économique qui, de ce fait, n’est liée qu’à la finalité commerciale et productrice de profits.

Un Service Public, quant à lui, désigne un ensemble organisé de moyens matériels et humains mis en œuvre par l’État ou une autre collectivité publique, en vue de l’exécution de ses tâches. Même s’il existe certaines différences entre le secteur privé et le secteur public, il persiste une similitude majeure dans l’organisation des moyens humains et matériels, dans l’exercice des missions de chaque organisation. (Guillemot & Jeannot, 2010)

Ainsi, si nous retirons les objectifs intrinsèques et personnels des organisations (publiques/

privées, civiles/économiques/non marchandes), nous pouvons délimiter un cadre commun lié à l’organisation et la mise en commun de ressources matérielles et humaines, en vue d’atteindre un ou plusieurs objectifs. Ces organisations représentent chacune un acteur stratégique dans leur environnement propre.

À l’intelligence économique, nous pouvons mettre en valeur une notion plus uni- verselle d’Intelligence Stratégique (IS) fondée sur la dynamique des organisations.

Déjà utilisée en Belgique, cette notion d’Intelligence Stratégique a fait l’objet d’une définition dans le cadre d’une démarche de normalisation par l’AFNOR3. L’intelligence stratégique y est définie comme la capacité d’une organisation, quelle qu’elle soit, à prendre des décisions stratégiques de structuration d’activité, d’anticipation, de positionnement, d’influence ou de protection, basée sur la production de réflexions et d’analyses de son écosystème, de ses caractéristiques et des objectifs qu’il souhaite atteindre. (Diallo, 2010)

S’intéresser à une intelligence stratégique élargie et accessible à tous doit nécessaire- ment nous conduire à une démarche proactive, prenant en compte l’ensemble des facteurs et réseaux humains d’un territoire.

3 L’Association Française de Normalisation

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2. L’intégration territoriale des réseaux en faveur d’un entrepreneuriat économique, social, public et politique : l’émergence d’un relevant network

La gestion de l’information au sein d’une organisation, quelle qu’elle soit, relève prin- cipalement des organes de direction. La prise en compte de l’humain et des spécificités des territoires d’actions est primordiale pour favoriser l’émergence d’un entrepreneuriat sociétal.Nous définissons cette dernière comme la capacité d’entreprendre différentes actions, que ce soit économiques, sociales, publiques ou politiques, au sein d’un territoire, afin de l’impacter.

2.1. La prise en compte de l’approche humaine par des réseaux identifiés

Depuis les années 1970, un certain nombre de chercheurs ont mis en exergue l’impor- tance de l’être humain comme source d’information utile (Cleland & King, 1975). W.J.

KEEGAN a démontré, en 1974, que 67 % des informations avaient une origine humaine (Keegan, 1974). Bien que le développement de l’internet et des réseaux sociaux virtuels ait apporté une nouvelle donne dans la recherche d’information, il est apparu que le rôle des fonctions opérationnelles sur le terrain pouvait être décisif. Ces fonctions, comme les forces de vente, ont un contact fréquent avec les clients et les concurrents, et ont ainsi une position stratégique pour collecter ces informations clés extérieures. (Carbonnel & Dorrance, 1973) La motivation des individus est la clé de voûte pour s’assurer d’un reporting régulier et fiable l’information utile (Thiétart & Vivas, 1981). L’implication des forces de vente, et d’une manière plus générale de toutes les fonctions opérationnelles et territoriales, est une réponse à la détection de signaux faibles dans l’environnement d’une organisation. Ces signaux faibles constituent des informations infimes qui, mises bout à bout, permettent de détecter une menace ou une opportunité pour l’activité de l’organisation. (Le Bon, 2006)

Selon Thomas Legrain, dans le Guide du Routard de l’Intelligence Économique, pour évoluer dans une société qui se qualifie de « société de l’information », recourir à des stratégies et à des expertises spécifiques en matière d’influence (directes- comme la com- munication -, ou indirectes- comme le lobbying) est devenu une nécessité (D2IE, OEC, &

CCI France, 2012). Pour Alain Juillet et Bruno Racouchot, l’influence, parce qu’elle repose sur le libre jeu des idées permet d’ouvrir de nouvelles perspectives. Elle joue la carte de l’analyse et de l’intelligence. (Juillet & Racouchot, 2012)

Il est nécessaire, ici, de préciser la portée de la notion d’influence. Le modèle de l’A.F.D.I.E. (Association Française pour le Développement de l’Intelligence Économique) définit l’influence comme le processus qui, à l’initiative d’un organisme, vise à modifier favorablement les interactions de celui-ci avec son environnement.

Il est important de souligner que l’influence, et d’une manière générale la gestion des réseaux, peut prendre des formes très variées. L’action peut très bien viser l’influence sur le comportement d’un consommateur, sur ses concurrents, sur l’opinion publique, l’obtention d’un marché public, etc. L’influence peut également revêtir une forme plus solennelle comme l’influence politique, autrement dit le lobbying. Il est essentiel de lier la gestion des réseaux publics et celle des réseaux privés, afin de bénéficier d’une straté- gie et d’une vue d’ensemble. Une fois réuni, il est nécessaire de structurer une approche innovante pour définir les « réseaux pertinents », permettant à chaque acteur du territoire d’atteindre ses objectifs.

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2.2. L’approche pertinente d’une vision périphérique

La définition d’une stratégie concomitante des réseaux doit reposer nécessairement sur une approche permettant de définir la vulnérabilité et la vigilance d’une organisation. Cela permet ainsi de structurer, de manière pertinente, le process de veille et d’établir une stratégie de réseaux. Pour se faire, il a été nécessaire d’y intégrer l’approche de Vision Périphérique développée par George S. Day et Paul J.H. Schoemaker. (Day & Schoemaker, 2006)

Pour mettre en exergue leur théorie sur la Vision Périphérique, ces chercheurs ont réalisé un parallèle intéressant entre la vision d’une organisation et celle d’un œil humain.

Contrairement à l’œil humain qui bénéficie d’un spectre périphérique très large, « l’œil » d’une organisation consacre majoritairement ses ressources organisationnelles à une vision focale, pouvant mettre à mal l’avenir de cette dernière. Se concentrer uniquement sur son activité et son organisation crée une vulnérabilité, du fait même de ne pas détecter les signaux faibles venant d’un environnement plus éloigné : la Périphérie.

La Périphérie y est définie comme partout où l’attention n’est pas. La périphérie n’est pas tellement une région fixe, localisable dans l’environnement externe, puisque chaque attention portée sur un point de l’environnement créé une nouvelle périphérie. Ces auteurs précisent que la périphérie est toujours élusive. Chaque fois que vous tournez la tête pour la regarder, vous créez une nouvelle périphérie. (Day & Schoemaker, 2006) Quand vous changez votre modèle économique, social ou politique vers une nouvelle direction, vous créer de nouveaux angles morts dans d’autres directions.

L’estimation de la vulnérabilité et de la vigilance d’une organisation repose sur cinq éléments déterminants : la direction, la manière dont la stratégie est définie, le management de la connaissance, l’organisation et la culture (Day & Schoemaker, 2006). Ainsi, une organisation rigide et conformiste ne s’intéressant qu’à des données extérieures standards et se focalisant exclusivement sur ses performances et celles de ses concurrents, est pré- sentée comme une organisation vulnérable. Cette vulnérabilité s’explique par une vision étriquée et rigide des informations venant de l’environnement. George S. Day et Paul J.H.

Schoemaker recommandent donc de développer certaines qualités intrinsèques pour que l’organisation soit plus vigilante : curiosité, flexibilité stratégique, collecte et partage des signaux faibles, ouverture sur le cœur et la périphérie de ses activités.

À cette ouverture d’esprit suggérée par ces chercheurs, il convient d’y associer les réseaux d’affaires, les réseaux humains. Ainsi :

– la curiosité et l’ouverture sur le cœur et la périphérie de ses activités doivent permettre de détecter tous les réseaux pertinents et utiles,

– la collecte et le partage des signaux faibles doivent favoriser l’échange en interne de l’organisation, entre certains acteurs clés identifiés,

– et la flexibilité stratégique doit faciliter une certaine agilité pour utiliser habilement les réseaux existants.

Par ailleurs, les auteurs Humbert et Nicolas Lesca, dans le cadre de leur recherche sur la détection des signaux faibles ont présenté, en 2009, quatre types d’obstacles à l’identification précoce de signaux faibles, liés aux organisations : (Lesca & Lesca, 2009)

– la force du court terme reposant sur un mécanisme d’aveuglement fondé sur la ren- tabilité à court terme de chaque agent de l’organisation,

– la force du quantitatif fondée sur l’unique valorisation de données quantifiées et financières, au détriment des données humaines et qualitatives, uniques sources de signaux faibles,

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– la croyance qu’il suffit de poser une question pour obtenir la réponse sans tenir compte de l’importance des retours d’expériences,

– l’habitude d’avoir raison reposant sur un mécanisme psychologique de filtration des signaux faibles par les responsables. À ce titre, les auteurs rappellent qu’observé de l’extérieur, cette attitude est qualifiée de manque de vigilance, de myopie, voire d’attitude arrogante ou d’attitude de mépris. […] Ces signaux sont, par contre, par- faitement perçus par les responsables de proximité.

Ce constat entre en résonance avec la notion de Cécité au changement ou Change Blindness qui se définit comme la défaillance d’observateurs à détecter des changements importants et soudains dans un dispositif visible. En favorisant une meilleure gestion des réseaux pertinents, ce Relevant Network permet d’accroitre la possibilité de mieux connaître et évoluer dans son environnement.

2.3. La formalisation d’un Relevant Network en faveur d’un entrepreneuriat sociétal Comme nous l’avons vu précédemment, les différentes notions d’intelligence sont trop restrictives pour répondre aux besoins de toutes formes d’organisations, en tenant compte des spécificités humaines et territoriales.

Nos recherches ont permis de développer une Intelligence Stratégique Localisée : – en intégrant le modèle de Vision Périphérique qui offre une approche pertinente pour

mieux appréhender un environnement professionnel,

– en créant des modules complémentaires adaptés aux territoires et aux réseaux. Si la Vision Périphérique permet de capter au mieux les signaux faibles, elle présentait quelques limites : orientation spécifique pour les entreprises, non prise en compte des réseaux d’influence et absence d’approche territoriale et géographique.

Ainsi en formalisant une approche et des cartographies qui permettent d’identifier et de cartographier les acteurs clés et les informations utiles pour une organisation sur son territoire d’action, il a été possible de créer et de formaliser une démarche concrète d’Intel- ligence Stratégique Localisée.

Nous définissons cette démarche créée comme :

– l’utilisation et la localisation stratégique, opérationnelle et territoriale des pratiques informationnelles de veille, de protection et d’influence,

– par la mise en commun de ressources matérielles et humaines précises, – en vue de capter et sélectionner les signaux faibles utiles,

– et d’agir de manière ciblée sur les réseaux publics et privés identifiés,

– permettant l’atteinte des objectifs de l’organisation, quelle que soit sa finalité intrinsèque.

La gestion de la veille et des réseaux nécessite un investissement important, et parfois très chronophage. Il a fallu les structurer en localisant précisément les informations, les fonctions clés et les interlocuteurs extérieurs réellement utiles dans l’atteinte des objectifs fixés. La démarche est de partir des objectifs collectifs de l’organisation et de déterminer l’ensemble des fonctions concernées dans la structure. Le recensement des besoins et des capacités de chacun au niveau informationnel permet, dans un second temps, de formaliser une Intelligence Collective Localisée, en mettant en réseaux les fonctions clés (figure 1).

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Figure 1 : Intelligence Stratégique Localisée – L’approche structurelle – P. SCHOCH - 2013 La localisation stratégique va reposer, ensuite, sur la territorialisation des besoins et des capacités en information et en réseaux. Ainsi, les fonctions, capacités et besoins concernés doivent être appliqués sur un territoire précis (figure 2). L’étendue du territoire dépend, bien entendu, de l’ampleur des objectifs, du secteur d’activité et du degré de précisions que veut appliquer la direction de l’organisation.

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Cette approche de gestion de l’information et des réseaux humains offre une oppor- tunité réelle à toutes les organisations, privées comme publiques, marchandes ou non, de connaître et comprendre les autres acteurs d’un même territoire. Cette compréhension permet d’optimiser leur approche managériale et ainsi de pouvoir entreprendre toutes les actions nécessaires à la bonne atteinte de leurs objectifs. Cet entrepreneuriat sociétal doit, ici, être défini comme la capacité d’entreprendre toute action (économique, sociale, publique ou politique) permettant de respecter les missions de l’organisation et d’en évaluer les résultats.

*

Cette approche de l’intelligence stratégique localisée a permis de développer un ensemble d’outils permettant :

– de définir les besoins et la capacité à gérer les informations et les réseaux utiles, – de cartographier les acteurs socio-économiques et politiques de l’environnement

pour mieux les comprendre,

– de cartographier géographiquement les stratégies d’influences à mettre en place, en fonction de ses objectifs.

Dans un deuxième temps, ces outils ont été testés sur un certain nombre d’organisations : – un groupe de grande distribution dans le cadre du développement de ses enseignes, – une unité de gendarmerie dans le cadre d’une problématique de gestion des violences

intrafamiliales,

– une commune dans le cadre de développement d’une zone d’activités, – une organisation consulaire sur le sujet de l’économie sociale et solidaire, – une association dans le cadre de l’accompagnement des enfants en difficulté.

Malgré une différence importante de taille, de missions et d’objectifs de ces organisations primo-testeurs, l’intelligence stratégique localisée avec le principe du Relevant Network a permis de répondre, de manière concluante, aux besoins spécifiques de chacune de ses organisations. L’applicabilité concrète de cette démarche auprès de l’ensemble des acteurs d’un territoire doit, indéniablement, permettre à chacun de mieux s’adapter à des évolutions socio-économiques futures, de plus en plus incertaines.

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