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Humanité et animalité : Droits des hommes et des animaux ; devoirs envers les hommes et les animaux

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Academic year: 2022

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Humanité et animalité : Droits des hommes et des animaux ; devoirs envers les hommes et les animaux

Texte I - Les procès d’animaux. Jean Réal, Bêtes et juges (2006). Rambaud, le défenseur des vermines en Savoie.

Mais les vignes de Saint-Julien n’étaient pas au bout de leurs peines, ni les vignerons de leurs inquiétudes. Quarante ans plus tard, en 1587, de nouvelles colonies de charançons pâturaient sur leurs terres. On les appelait des amblevins. Ils se déplaçaient en nuées, se posaient en tapis et leur appétit paraissait insatiable. Le danger pour l’avenir du vignoble était encore une fois si grand que les villageois et les paysans engagèrent aussitôt une procédure, comme leurs pères autrefois à l’encontre des lisettes.

Le 15 avril, les sieurs Armenet et Bertrand remettent un mémoire à l’évêque du diocèse.

« Le fléau et la fureur extraordinaire desdits insectes doivent cesser. Ils ont repris leurs dégradations et occasionnent un préjudice considérable aux habitants de Saint-Julien.

Si les péchés des hommes sont la cause de ce malheur, il incombe au représentant du Christ sur cette terre de prescrire des mesures capables d’apaiser la colère divine.

« Nous, François Armenet et Petremond Bertrand, venons à nouveau vers vous pour supplier l’official de nommer des défenseurs aux insectes, en place des sieurs Falcon et Morel, qui sont aujourd’hui décédés. Nous vous conjurons de visiter les terrains et d’observer les dommages que font les insectes, puis de procéder à leur excommunication. »

L’évêque accède à la demande, dépêche un clerc et ordonne à l’official l’ouverture d’une procédure. Filliol et Rambaud sont commis d’office pour défendre les amblevins. Le premier est procurateur, responsable administratif de la défense, le second est l’avocat chargé des plaidoiries. Pouvaient-ils se récuser ? Ils ne craignent pas de faire remarquer à la cour la faiblesse de leurs émoluments. Malgré cette ombre de mécontentement, ils vont se montrer habiles. Pour les vignerons, la bataille sera rude et imprévue.

La première audience s’ouvre le 6 juin devant le tribunal ecclésiastique de Saint-Jean-de-Maurienne. Après l’introduction de l’official (une prière et une bénédiction), le vicaire général décrit les circonstances de la plainte, Bertrand dit combien l’alarme des vignerons est justifiée, rappelle que les charançons paissent dans les vignes sans aucun droit, et qu’en détruisant les outils du travail des hommes ils détruisent les bontés de Dieu. Il conclut à un sacrilège qu’il convient de châtier, et qu’en l’espèce, l’excommunication est la seule peine possible.

Chacun se tourne vers Rambaud, le défenseur des charançons, qui doit maintenant

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donner une explication à l’inconduite de ses clients. S’il ne le peut, les bêtes seront damnées, ce dont chacun ne doute pas. L’intérêt habituel de tels procès ne réside pas dans le résultat, convenu, mais dans la virtuosité des débatteurs à produire des citations et à monter des constructions rhétoriques absconses. Chacun attend de voir comment Rambaud se perdra. Il commence :

« Monseigneur, ces insectes de Saint-Julien ne peuvent être sujets à l’excommunication, et la cour ne pourra que maintenir mes clients dans leurs droits.

Nous savons que toutes choses sont des créatures de Dieu : elles ont été voulues et déposées par lui sur la terre. Et chasser les amblevins, c’est comme s’élever contre la volonté divine. »

Ce préalable est difficile à contourner, mais il est connu et peu convaincant. Le public fait la moue. Rambaud laisse un silence curieux s’installer, puis il saisit une Bible qu’il brandit avec grandiloquence en direction de son accusateur :

« Monsieur, respectez-vous les Saintes Ecritures ? » Bertrand se méfie des questions évidentes et inutiles. Mais il n’a pas le temps de réfléchir à la réponse que son adversaire poursuit déjà avec vivacité :

« Oui ? Alors le livre de la Création nous apprend que Dieu a créé les bêtes les plus basses et les moins abouties au matin du sixième jour. Et les amblevins en font partie.

Le verset 25 de la Genèse conclut même en disant : et Dieu vit que cela était bon. Mais ce n’est que plus tard, quelques heures plus tard au soir de ce sixième jour, que Dieu a créé Adam, le premier homme sur la terre, notre aïeul. Les bestioles ont donc occupé le sol avant lui, et vous ne pourrez ôter à mes clients un droit antérieur et ancestral sans commettre une injustice et leur faire subir un préjudice considérable. Et ce serait même sacrilège que le faire car Dieu, notre Seigneur, a voulu les choses ainsi. »

La grande salle du tribunal résonne à ces derniers mots. Rambaud laisse de nouveau le silence peser sur l’assistance, avant de reprendre, sa Bible toujours en main, plus haut et plus fort comme un prêcheur transporté par sa passion :

« Et dans ce même livre sacré, Dieu dit : à tout ce qui rampe sur la terre et qui est animé de vie, je donne pour nourriture toute la verdure des plantes. Toute la verdure des plantes… Réfléchissez à ces termes : c’est Lui qui les a choisis, c’est la parole de Dieu.

La verdure des plantes, il l’a réservée aux bêtes qui rampent… et aussi à mes clients. » L’avocat des villageois se tient debout, aux côtés de Rambaud, face au juge et aux assesseurs. L’argument de son adversaire est fort et inattendu, mais il ne doit pas le laisser se développer dans l’esprit du tribunal. Il lui faut répondre, interrompre, tenter une réplique, forcer la voix des charançons à se taire et les juges à l’écouter, lui qui représente les hommes. Finalement il lance, sur un ton identique à celui de Rambaud, et avec force gestes :

« Mais nous savons aussi que dans ce même livre de la Genèse, il est écrit que l’homme domine sur tous les animaux, qu’il doit les soumettre, y compris ceux qui rampent. Il dit également que Dieu a donné aux hommes les fruits des arbres pour se nourrir. »

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Puis, interpellant le président du tribunal en montrant son adversaire :

« Nous venons d’entendre la preuve de la mauvaise foi des amblevins qui ne lisent pas les versets de la Genèse jusqu’au bout ! »

« - Les verdures ne sont pas les fruits, rétorque aussitôt Rambaud ! Et rien, dans ce que nous savons, ne permet d’affirmer que vos bourgeons dont les insectes se nourrissent sont des petits raisins. Votre argument est fallacieux, et vous le savez. Vous cherchez simplement à m’interrompre, vous voulez empêcher le tribunal d’entendre la voix de mes clients, car elle est juste, et ça aussi vous le savez. Laissez-moi finir, et nous verrons bien alors ce que vous aurez à répondre ! »

Il se retourne avec assurance vers l’official, pendant que l’avocat de Saint-Julien, soumis, semble sonné par la violence de l’apostrophe :

« Il serait absurde d’appliquer la loi civile ou canonique à mes clients qui sont des individus sans esprits, qui ne répondent qu’aux lois de la nature et de l’instinct. Les amblevins sont des bêtes brutes et rudimentaires. Mais ils ne sont pas des diableries : ils volent, ils marchent, ils mangent, ils dorment, comme des créatures vivantes du Seigneur. Ils respirent ! En conclusion je demande que la plainte des vignerons de Saint-Julien soit rejetée, et que le projet de monitoire soit révoqué et annulé. Et au nom de toutes les bêtes du Seigneur que le représente ici, nous implorons Votre Grâce de juger leur droit de vivre avec votre pleine sollicitude. »

Texte II - L’utilitarisme moral et la question des devoirs envers les animaux.

Jéremy Bentham, Introduction aux principes de la morale et de la législation (1789)

Quels sont les agents qui, placés dans la sphère d’influence de l’homme sont susceptibles de bonheur ? Ils sont de deux sortes : d’autres êtres humains, autrement dit des personnes, et d’autres animaux, dont d’anciens juristes négligèrent les intérêts par insensibilité, et qui de ce fait ont été rabaissés au rang d’objet. Les religions indoues et musulmane semblent leur avoir témoigné une certaine attention. Pourquoi n’a-t-on pas tenu compte universellement de leur différence de sensibilité ? Parce que les lois, qui sont le fruit d’une crainte mutuelle, ont tiré part du sentiment que les animaux sont doués de moins de raison et qu’ils ne disposent pas des mêmes ressources vitales que l’homme. Pour quelles raisons ne les auraient-ils pas ? On ne peut en donner aucune explication. Si le fait de manger était tout, nous aurions un bon motif pour dévorer certains d’entre eux de la manière que nous aimons : nous nous en trouverions mieux et eux pas plus mal, puisqu’ils n’ont pas la capacité d’anticiper comme nous les souffrances à venir. La mort qu’ils connaissent en général entre nos mains est par ce moyen toujours plus rapide et moins douloureuse que celle qui les attendait dans l’ordre fatal de la nature. Si le fait de tuer était tout, nous aurions un bon motif pour détruire

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ceux qui nous importunent : nous ne nous sentirions pas plus mal, et ils ne se porteraient pas moins bien d’être morts. Mais y a-t-il une seule raison pour que nous tolérions de les torturer ? Je n’en vois aucune. Y en a-t-il une pour que nous refusions de les maltraiter ? Oui, et plusieurs. Il y eut une époque, et j’avoue avec tristesse qu’en bien des lieux ce temps n’est pas révolu, où la plus grande partie de l’espèce, sous la dénomination d’esclaves, était considérée aux yeux de la loi de la même manière que les animaux des races inférieures sont traités en Angleterre par exemple. Le jour viendra peut-être où le reste du règne animal obtiendra ces droits que seule la main de la tyrannie a pu lui refuser. Les Français ont déjà découvert que la peau foncée n'est en rien une raison pour qu'un être humain soit abandonné sans recours aux caprices d'un persécuteur. On reconnaîtra peut-être un jour que le nombre de pattes, la pilosité de la peau, ou l'extrémité de l'os sacrum sont des raisons tout aussi insuffisantes pour abandonner un être sensible à ce même sort. Et quel autre critère devrait-on prendre en considération pour tracer la ligne de démarcation ? Serait-ce la faculté de raisonner, ou peut-être la faculté du langage ? Mais un cheval parvenu à maturité, ou un chien, est incomparablement plus rationnel, et aussi plus sociable, qu'un nourrisson d'un jour, d'une semaine ou même d'un mois. Et s'il en était autrement, qu'est-ce que cela changerait ? La question n'est pas : ‘’Peuvent-ils raisonner ?’’, ni ‘’Peuvent-ils parler ?’’, mais bien : ‘’Peuvent-ils souffrir ?’’

Texte III – Emmanuel

Kant, Doctrine de la vertu Les devoirs à l'égard des animaux (et du beau) considérés comme des devoirs envers soi-même.

A travers toute notre expérience, nous ne connaissons aucun être qui soit capable d'obligation (active ou passive), si ce n'est, uniquement, l'homme. L'homme ne peut donc avoir de devoir envers un être quelconque, si ce n'est, uniquement, envers l'homme, et s'il se représente cependant avoir un tel devoir, cela ne se produit que par une amphibolie des concepts de la réflexion, et son prétendu devoir envers d'autres êtres n'est qu'un devoir envers lui-même; il est amené à cette méprise par le fait de confondre son devoir en considération d'autres êtres avec un devoir envers ces êtres.

Concernant le beau, même inanimé, dans la nature, un penchant à la pure et simple destruction est contraire au devoir de l'homme envers lui-même : la raison en est qu'il affaiblit ou anéantit en l'homme ce qui, certes, n'est pas déjà en soi seul moral, mais du moins prépare pourtant cette disposition de la sensibilité qui favorise fortement la moralité, à savoir le sentiment qui consiste à aimer quelque chose sans nul dessein de l'utiliser (par exemple, les belles cristallisations, l'indescriptible beauté du règne vététal).

Concernant la partie des créatures qui est vivante, bien que dépourvue de raison, un traitement violent et en même temps cruel des animaux est de loin plus intimement opposé au devoir de l'homme envers lui-même, parce qu'ainsi la sympathie à l'égard de leurs souffrances se trouve émoussée en l'homme et que cela affaiblit et peu à peu

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anéantit une disposition naturelle très profitable à la moralité dans la relation avec les autres hommes – quand bien même, dans ce qui est permis à l'homme, s'inscrit le fait de tuer rapidement (d'une manière qui évite de les torturer) les animaux, ou encore de les astreindre à un travail (...). Même la reconnaissance pour les services longtemps rendus par un vieux cheval ou un vieux chien (comme s'ils étaient des personnes de la maison) appartient indirectement aux devoirs de l'homme, à savoir au devoir conçu en considération de ces animaux, mais cette reconnaissance, envisagée directement, n'est jamais qu'un devoir de l'homme envers lui-même.

Texte IV - Peter Singer, L'égalité animale expliquée aux humains. Critique utilitariste du "spécisme".

Si un être souffre, il ne peut y avoir de justification morale pour refuser de tenir compte de cette souffrance. Quelle que soit la nature de l'être qui souffre, le principe d'égalité exige que que sa souffrance soit prise en compte autant qu'une souffrance similaire – pour autant que des comparaisons grossières soient possibles – de tout autre être.

Dans le cas où un être n'est pas capable de souffrir, ou de ressentir de la joie ou du bonheur, il n'y a rien à prendre en compte. C'est pourquoi c'est la sensibilité (pour employer cette expression courte, mais légèrement inexacte, pour parler de la capacité à souffrir et/ou à ressentir du plaisir) qui seule est capable de fournir un critère défendable pour déterminer où doit s'arrêter la prise en compte des intérêts des autres.

Limiter cette prise en compte selon tout autre critère, comme l'intelligence ou la rationalité, serait la limiter de façon arbitraire – pourquoi choisir tel critère plutôt qu'un autre, comme la couleur de la peau ? Les racistes violent le principe d'égalité en accordant plus de poids aux intérêts des membres de leur propre race, quand ces intérêts sont en conflit avec ceux des membres d'une autre race. De même, les spécistes, permettent aux intérêts des membres de leur propre espèce de l'emporter face aux intérêts supérieurs des membres d'autres espèces.

Textes V – Critique humaniste de la défense utilitariste de la cause animale

A- Francis Wolff - Des conséquences juridiques et morales de l'inexistence de l'Animal.

Comme tout "bien meuble", les animaux sont "appropriés" (c'est le cas des animaux de rente) ou, lorsqu'ils ne le sont pas (le gibier sauvage ou les animaux abandonnés), ils sont toujours susceptibles de l'être (par la capture, le placement). Seul l'animal approprié (qu'il soit domestique, apprivoisé ou captif) est défini comme un être

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individualisable juridiquement parlant, plus concrètement comme un "être sensible", et c'est envers lui seul que l'exercice de mauvais traitement est punissable. Les animaux

"sauvages", ou à l'état sauvage, ne sont donc pas concernés. Le fondement actuel du droit français est donc celui-ci : l'Animal en tant que tel n'existe pas. Ce qui existe, ce sont des types de relations homme/animal qui déterminent différents régimes juridiques d'animaux et, le cas échéant, diverses conduites humaines répréhensibles, dans certains cas à l'égard d'individus, dans d'autre cas à l'égard d'espèces : laisser proliférer des espèces nuisibles ou massacrer des espèces protégées. Le droit, dans sa complexité, est sage.

Or certains mouvements de "défense des animaux", sous l'influence de doctrines philosophiques anglo-saxonnes, proposent actuellement de bouleverser cet équilibre juridique soit en tentant de faire reconnaître des "droits de l'animal" en général (en tant qu'animal, c'est-à-dire indépendamment de tout rapport avec l'homme), soit en tentant, plus insidieusement, d'introduire dans notre code civil une nouvelle personnalité juridique, celui de l'animal "être sensible", indépendamment de toute appropriation par l'homme. L'animal pourrait alors devenir un être doté d'une personnalité juridique fonctionnelle comme une personne morale ou un sujet de droit.

(...) Les devoirs vis-à-vis des animaux, en tant qu'individus, dépendent de la relation que nous avons nouée avec eux et ils sont proportionnés à l'affect impliqué par cette relation individualisée. (...) En revanche, vis-à-vis des milliards d'individus des espèces sauvages, quelles qu'elles soient, nous n'avons aucun devoir d'assistance, de protection, de respect, donc aucune obligation morale à proprement parler. (...) Cela n'implique évidemment pas que la cruauté, le fait d'infliger volontairement et gratuitement une souffrance à un être quel qu'il soit, soit moralement neutre ; elle est en effet toujours vicieuse : il faut la censurer comme une conduite méprisable, abjecte, indigne d'un homme, et parfois la réprimer. Mais cela signifie que la chasse ou la pêche sportives, par exemple, n'ont rien de moralement condamnables, pas plus que la consommation de homard, même si elles impliquent la "douleur" du poisson pris à l'hameçon, du lapin tiré, ou du homard ébouillanté, dès lors que ces pratiques respectent, autant que faire se peut, les équilibres écologiques, la biodiversité, et les conditions naturelles de vie et de reproduction de la faune.

(...) La définition de l'Animal en général comme "être sensible", qui commence à s'imposer dans certains codes des pays européens et tente de forcer l'entrée de notre code civil, est en fait l'idée selon laquelle tous les êtres capables de souffrir ou d'éprouver du plaisir doivent être considérer comme moralement égaux parce qu'ils ont un "intérêt égal" à ne pas souffrir : le malade cancéreux comme le poisson pris à l'hameçon du pêcheur à la ligne. (...) Mais comment comparer le mal du loup mourant de faim et celui de l'agneau dévoré ? Et comment déterminer lequel est pire ? Pourtant, il faudrait bien qu'il choisisse, celui qui voudrait "diminuer le mal sur la terre" ; il faudrait bien qu'il vole au secours du loup en lui offrant l'agneau, ou qu'il vole au secours de l'agneau en chassant le loup affamé. Dire que le mal de l'agneau dévoré est pire,

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n'est-ce pas le point de vue de qui n'a jamais éprouvé la faim ?

(...) Sous cet unique concept de "souffrance", on range la douleur du homard bouilli, celle du chien écrasé, celle de l'enfant agonisant et celle de l'adulte torturé – tous "êtres sensibles", n'est-ce pas ? Mais même muni de cette invention conceptuelle, à l'intersection de cet être forgé qu'on baptise l'Animal et de ce Mal confus qu'on nomme la souffrance, de quel étalon dispose-t-on pour comparer douleurs animales (négatives) et satisfaction (positive) des besoins humains, quelle échelle va-t-on utiliser pour, d'abord, additionner les plaisirs ou le bien-être des uns et des autres – des poissons au fond des océans, des chats sur la moquette, et puis, pour faire bonne mesure, de tous les hommes de tous les peuples de la terre – et en soustraire ensuite toutes les

"peines", la douleur du homard bouilli, l'égarement du chien qui a perdu son maître, le stress du boeuf dans son camion, ainsi que toutes les souffrances, les afflictions, chagrins, frustrations, épreuves, tous les manques, privations, misères et malheurs des hommes sur terre ? A réduire ainsi l'immense diversité animale à l'Animal "être sensible", on amoindrit l'animalité, on réduit l'humanité à l'animalité, et on ampute la morale elle-même.

B - Luc Ferry, Le Nouvel ordre écologique (L'arbre, l'animal et l'homme)

Comment répondre à la question sans cesse mise en avant par Singer : au nom de quel critère rationnel, ou même seulement raisonnable, pourrait-on prétendre dans tous les cas de figure devoir respecter davantage les humains que les animaux ? Pourquoi sacrifier un chimpanzé en bonne santé plutôt qu'un être humain réduit à l'état de légume

? Si l'on adoptait un critère selon lequel il y a continuité entre les hommes et les bêtes, Singer aurait peut-être raison de considérer comme "spéciste" la préférence accordée au légume humain. Si nous prenons en revanche le critère de la liberté, il n'est pas déraisonnable d'admettre qu'il nous faille respecter l'humanité, même en ceux qui n'en manifestent plus que les signes résiduels. C'est ainsi que l'on continue de traiter avec égard un grand homme pour ce qu'il a été dans le passé lors même que les atteintes de l'âge lui ont ôté depuis longtemps les qualités qui avaient pu en faire un artiste, un intellectuel ou un politique de génie. Pour les mêmes raisons, nous devrions mettre la protection des oeuvres de culture au-dessus de celle des modes de vie naturels des animaux bien que, heureuse évidence, les deux ne s'excluent pas mutuellement. Car la préférence éthique accordée au règne de l'anti-nature sur celui de la nature ne nous dispense pas de réfléchir, et si possible de faire droit à la spécificité équivoque de l'animalité.

On connaît la position de Kant lui-même : les bêtes, certes, n'ont pas de droits, mais en revanche, nous avons certains devoirs – indirects – envers elles, ou à tout le moins "à leur propos" (in Ansehung von", dit Kant). La façon dont cet "à propos" est justifié peut

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être jugée insuffisante. Pourquoi y aurait-il des devoirs "à propos" des animaux s'il n'y avait en eux quelque particularité intrinsèquement digne de respect ? Kant suggère toutefois une voie pour la réflexion lorsqu'il écrit ceci : "Parce que les animaux sont un analogon de l'humanité, nous observons des devoirs envers l'humanité lorsque nous les regardons comme analogues de cette dernière et par là nous satisfaisons à nos devoirs envers l'humanité." Pourquoi ? Tout simplement parce que, à l'encontre de ce que pensaient Descartes et ses fabriquants d'automates, le vivant n'est pas une chose, l'animal n'est ni une pierre, ni même une plante. Et alors, demandera-t-on peut-être ? Alors la vie, définie comme "faculté d'agir d'après la représentation d'une fin", est analogon de la liberté. Comme telle (c'est-à-dire sous ses formes les plus élevées) et parce qu'elle entretient un rapport d'analogie avec ce qui nous constitue comme humains, elle fait (ou devrait faire) l'objet d'un certain respect, celui qu'à travers les animaux nous nous témoignons aussi à nous-mêmes.

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