PUBLICATION MENSUELLE
N° 75
OCTOBRE195 2
Brochures
d'Education Nouvelle Populaire
Marthe BEAUVALOT
. *
L~ M[T~UU( N~TUR(LL[
D( L((TUR(
D~NS UN( ((OL( D( VILL(
Editions de l'Ecole Moderne Française
CA N NES (Alpes-Maritimes)
La
Marthe BEAUV ALOT
méthode naturelle de lecture dans
école
ville ,
une de
Kiki et ses amis à l'Ecole Freinet
Les lem,ps ont /lw/'clté depuis le 'IHOlllent où nous publiions en, BENP notre expérience de Dal : Méthode naturelle de Leclure. De nombreux essais Ont été faits depuis pœr les matel'neUes Ott dans tes dasses d plusieurs COUTS de village cwec les tout~petits. Ce n'est qu'acC'identellem.ent que nous en. con'naissons les résultats encourageants, û. let point qu'on, peut paTler aujourd'hui en France, d c6té des aut'res méthodes de lecture, de noU'c Méthode naturelle dont. l'usage il'a nécessairement cToissant.
Les principes que nous avons to'rmulés, la technique employée, la compm'aison avec la pratique des mamans P()UT le langage sont si simples que tout éducatrice
· u
est nécessail'ement sensible, On est d'accord avec nous, mais .. , dans ia pl'U.tique, nous dit-on ...
li est certain que, si les (fl'a/tdes classes œvaient cont1'e eLLes, autrefois la nécessité de réussir aux exa1nens, Les l1ULte1'11.el1es ont cont1'e elles '
- l'exigence l1WnStl'Ueuse des progl'al1t1neS ou des inspecteuTS d'avoir des enfants qui sa.chent Li're à une époque dét.e1'minée, toujow's pl'ématu1'ée, comme
2
LA TECHNIQUE FREINETsi on oserait imposer aux lItam. ans
que lc'ursenfants
sachent lJa1'lc't' à 16ou
18mois,
A quel moment l'enfant saiL-il pm'ter? A quet mO'lnent saiH,l Lire? L'enfant qui rechigne à paTlel' ou à lire hdtivement est-il pour cela à refouleT parmi les retardés ?
Les
éducateursn'ont aucune
sagesse. ILleu' t' serait
pOul'tantsi
simple des'imprégner
de laconfiance des
1namans quine se désespèrent -jamais si leur
enfant tarde à parle1· ... Il n'en sera peut-U1'e que pLus inteLligent. ,Mais il apP"endl'e à parlel' comm.e tout le monde. Pourquoi n'aP1J1'endrait-il pas li part!;:T? Et tous les enfants apP'J"ennent à parleT, alors qu'its n'app,'ennent pas tous à lire par les méthodesarbitraius
habitueLLes.Il faut que nous
tassions
c01npTend'l'epa1' la lJ1'atique le bien
fondé dece retour
àune saine conception du pTocessus 1wnnal
d'apprentissagede la lectu1'e et de
l'écriture,et que nous 1J1..ont1·ions en
m~metentps
queles 'résultats obtenus sont, en définitive,
supé1'iew's àceux
desméthodes traditionnelles : sÛ1'eté des
acquisitions,Liaison entre le
fond,ta pensée et
la forme, harm,oniedu tTavait nouveau intégré dans les 1tQl'meS du milieu, 1'6le nouveau,
com.bien apaisant, del'éducateuT.
Il
seTaitsouhaitable que Mutes
lesinspect1'ices
s'habituent,d(ms leurs
1mS-pections,
àtenÏ1'
compte deces nonnes nouvelles d
'ans les jugementsqu'eUes seront amenées
à formuler.- Il
nous
faudradéh'ui1'e auss' i, dans l'eS1J1'it
despa'renls et de certains inspecteu1'S, cette manie de la mesUl'e, de la
faussemesure, qui laisse croire qu'un enfant avance pas
àpas chans les acquisitions,
cmnmel'ouvrier qui
'peut calculeren
finde jO'l.L,née le nombre de bTouettes transportées. Nous ne
dlisonspas que toutes meSU1'es seront illtpossibles ni
mêm,einulUes. Elles ne doivent pas Ure des meSU?'es
fausses.Sûon les méthodes
traditionneLles,l'enfant avançait d''Ul/1.e page chaque JOU?',
etcelui qui était
àla page
25 était en avance SU1' celui,qui traînait à
La!page
10.Mais l'enfant qui avait terminé
seslivrets
savait déchiftre'l~mais ne c01npl'enait 1"ien
à cequ'il Lisait,
n'avait aucun sensde la
valeurde l'éc1'iture
et dela lectu1'e,
etne savait pas
s'exp'rime' ''' Savait·il Cire?
Nous Tappe1.le1'O?ts
sans cesseI
,'exem,ple des
mamans et noushabitueTons les
paTents àdes nonnes nouvel.l.es,
àbase d'inteUigence el
(l'humanité.
Nous p1'ouvons le mouvement en
'I1'/..U?'chant.Nous mont1'ons
com:rnentdes
édu- cateurs,placés dans les conditions habituelles
detoutes
~es écoles,ont 1'ésolt4 dans leur
classe,les pl'oblèmes posés paT les nécessités de
cetappnntissage,
C'est àl'usage,
etaux ,.ésultats obten.us que les pl'aticiens jugcTont.
Voilà don.c l'excellente
expérience siméthodi.1ue,
sip1'obante, menée par Marthe Beauvalot dans une école matcl'neUe
devûle,
Lesp1'oblèmes
ysont posés d'une
façonexceUente, y com,pris
cet exposé surle
milieu aidant,qui accom·
pagne chaque étape.
Lisez
méditez, essayez dans vosclasses.
li'aitesconnaît?'e les ?'ésultats de
votrep1!opl'e expéTience.
Nous nepublions pas
ces d!ocum.entspOUl'
11tettl'eun
pointfinal mais
pour ouvl'irle débat et les
confrontations.Nous avons déjà
entreles mains d'autres documents que nous
nousexcuson
s d'e nepO'l.tvoi1·
donne?' -q,ujoul'd'hui.. Ils t1'Ouvc1'ont place dans un
autrenumé?'o,
C'est
de
n~tre expéTiencecollective.
scientifique1nentm,enée, que
sm·tiTala vraie
etdéfin'f,tive méthode
nat.urelle de lecture et d'écriture .qui laisseTa bient6t dC?'rièl'e eUe toutes les méthodes scolas/.1.ques que la
vie aU1'adél1assées.
c.
F.I!i...
LA TECHNIQUE FREINET
3
A propos d'une méthode naturelle
de lecture contre les méthodes ". mIxtes "
" d'"
ou amen ees
Cette mise au point fait suite à l'étude sur (( Méthode naturelle de lecture et résultats d'une expérience» que j'ai donnée l'an der·
nier et qui a été, en partie publiée dans
« Coopération pédagogique » du 16 juin 1951.
Les réponses de CROS, très intéressantes, et qui traduisent le souci bien lfgitime de donner aux enfants le maximum de connais·
sances dans un minimum de temps situent nettement le climat dans lequel évoluent la plupart des Instituteurs de petites classes.
d'une part, 1( conception pédagogique qui pousse vers la pédagogie fonctionnelle » parce qu'on a la certitude de l'efficience de l'acquisition née de l'intérêt venu du dedans et non du dehors,
d'autre part, « solution de compromis par·
ce qu'il faut hâter la décomposition et la reconstitution des mots pour s' entraîner rapidement ensuite à la lecture :
«les enfants doivent se préparer il. lire après Pâques, li
« les familles aiment contrôler parfois les acquisitions des enfants .0" et si les fa·
milles ne le font pas, l'Inspecteur Pri·
maire, lui, contrôle,
«il faut une adaptation il. la classe suffi.
sante pour faire fond sur le Ii~re de vie. li
solution de transition qui permet au maître de petite classe de
r
ranchir le stade de tâtonne·ment.
(j'ai étudié J'an dernier toutes les raisons qui font hésiter, même les convaincus, il. ap·
pliquer intégralement la méthode naturelle,) - Ces difficultés et ces inqui;tudes sem· blent avoir été depuis « Méthode Naturelle JI
de Freinet, en 1947, assez dominantes pour provoquer dans 1( l'Educateur li plus d'articles relatant l'avalanche de procédés qui hâfent la décomposition que de comptes rendus d'une' totale expérience par la méthode naturelle, ... A moins que la magnifique et décisive ex·
périence de 1( Baloulette )1 ait définitivement conquis droit de cité, dHinitivement installé la technique dans les classes rénovées et qu'on n'ait plus rien à dire sur ce sujet.
Personnefl"ment, je constate ceci
• Autour de moi, on s'en tient 8 fois sur 10 prudemment au syllabaire et l'on traite d'utopiste celui qui croit à la vertu de la
méthode naturelle pour acquérir le mécanisme de la lecture.
• Il n'y a pas maternelles qui son ifitégralité.
dans le département 5 c1aNe.
emploient la méthode dan.
• Dans les réunions de Croupe d'Educatioll Nouvelle même, il faut encore persuader que la méthode globale, avec des sons tirés de mots n'est pas la mhhode naturelle; on con- fond encore l'une et l'autre, et les résultats d'une expérionce faite sérieusement n'inté·
resse que quelques rares camarades. 1( L'Edu·
cateur .. (ou Coopération pédagogique) nous a rarement relaté une expérience complète et réussie (mis à part le très intéressant article de Mme Dhenain, de l'Yonne - Educateur nO 4, de 1951),
Et je crois qu'on n'a guère avancé collec_
tiVement depuis Il Méthode na.turelle de lec.
ture Il dans la voie des Il réalisations pédago- giques servant une méthode na/urelle adaptée à nos classes nombreuses li.
Freinet nous a donné, avec K Baloulette li,
la plus poussée, la plus vraie des expériences personnelles qui soit, la première aussi.
Pour moi, qui avais intuitivement senti, chez les Petits, la poussée de vie et J'effi·
cience de procédés qui allaient dans le sens de cette poussée, ce fut une révélation, une mise au point solide et précise de l''évolution du cerveau enfantin quand il va il. la décou·
verte des textes écrits.
C'était « tout à fait ça li
Freinet avait jeté la base solide pour d'ou.
tres Ob:l:TI~ah\:>ns tlimilaires et l'élaboration d'une technique efficiente et rationnelle.
Si nous sommes nombreux à avoir opere le revirement .à avoir expérimenté et conclu, il est temps de s'appuyer sur l'expérience de plusieurs classes, dans des milieux différents.
ruraux, urbains, pour établir scientifiquement la lTl\!thode qui sert les expériences tâtonnées de l'enfant dans le domaine de fa lecture
Mme Dhenain vient de relater son expé- rience; elle est concluante si l'on en jug~ par l'enthousiasme qui tran.sparaît dans son arti· de.
Celle de J'Ecole maternelle Voltaire, à. Di- jon, n~ peut être qu'incomplète, puisque les enfants quittent la classe avant l'abouti!se.
4
LA TECHNIQUE FREINETment de la .mp$thode, mais elle a été, il y a quelques années, poursuivi~ intégralement avec;
des enfants qui ont' maintenant 10 ans j elle cst concluante, non seulement en lecture, mais en français et surtoùt en orthographe.
Que: p.'autres apportent la leur.
A mon se pose le
avis. voici problème
comment
Quatre poin:.ts sont acquis. Je pense être :d'accord avec CROS sur ces points qui ne se discutent plus. On souhaiterait même que les Groupements d'Education Nouvelle ne camp- -tent plus que ceux qui ont admis, assimilé,
mis en pratique ces principes essentiels ; cela .é"iterait bien des discussions stériles et bien des découragements.
1° Une acquisition qui est née d'un besoin Eonctionnel ou d'un désÎc affectif ~'intègre
-organiquement à l' Sire ct on ne s'en sépare plus,
20 L'acquisi\ion est d'autant plus rapide- que l'enfant est plaQ~ dans un milieu enrichis-
'hnt permettant ~ujours plus d'expériences
tâtonnées: tout le problème de l'éducation est là : « milieu aidant, dit F reinet,-et expé- rience tâtonnée ~uffjsante »,
30 « L'acquisition de la lecture et de l'écri- ture qui est ainsi faite spontanément por le 3eul jeu des facultés de l'enfant que le milieu
<Il développée3 au maximum, e3t la plu3 im-
. portan.te d'f!3 victoires intellectuelle3 e!t elle conditionne toutes les autres, »
40 Mais cette acquisition « naturelle " est plus lente (si l'on considère plus particulière- ment "acquisition du mécanisme) bien que plus sûre, et il ne faut pas ~tre pressé; l'acquisition ne se fait jamais, à parl de très rares excep- tions, avant 6 ans,
Ceci ~tant admis, il ne peut y avoir, à mon sens, aucun compromis pour ({ forcer le pro- cessus naturel li, mis il part les procédés qui enrichissent le milieu; et tous les exercices qui hâtent la décomposition et la reconstitu- tion des mots sont des exercÎce3 de forçage qui détruisent le pouvoir d·acquisition du proces- sus naturel, et, de ce fait, sont dangereux ..
Mais ils s'expliquent par l'impatience bien légitime du maître à recueillir les résultats tan- gibles d'un apprentissage qui est difficile et primordial.
Ils s'expliqu..ent aussi par le besoin de tout éducateur de faire, lui aussi, ses expériences tâtonnées avant d'avoir opéré en pédagogie le revirement qui s'impose et dont il a pressenti la poussée.
Ceci étant admis, il n'y a plus de cas de dYiJlexie avec des enfants normaux et les études .. en vase clos 11 des savants et techniciens sont d'un coup périmées.
Il
JI
faudrait pr~UV=TloQue la méthode naturelle employée non pas individuellement mais colleciitJement dans une c1aue, même nombraue, mène sllrement ci la leclure tous les enfants ~anormaux exceptés
- et, ce serait encore à prouver 1)
( C'~st-à-dire, pour reprendre la définition de:
: CROS à ce double but:
- apprendre à saisir la pensée d'autrui, - apprendre à exprimer la sienne propre, auquel j'ajouterais celui-ci:
donner le goût de la lecture qui reste un outil primordial de culture et une utile dis- traction malgré la radio et le cinéma : donner le goût d·écrire et de fixer sa pen- sée pour soi ou pour les autres,
DE.LAUNAY affirme « L'analyse peut être hâ- tée, provoqu.ée, ou être spontanée. A mon avis, l'analyse présente des difficultés qui dé- passent la majorité de nos élèves. Sans doute font-ils des découvertes, mais sans raide du maître elles sont limitées "li,
20 Que la méthode naturelle (Jrésente, non patl iJeul~ent pour l'enfant, mais pour la con- duite d'une classe de:! avantageiJ primordiaux.
FREINET a mieux que moi exposé, stade par stade, la supériorité de la tTéthode pour le comporlement intellecluel de l'individu:
l'enfant s'épanouit dans son besoin d'ex- pression: l'acquisition est définitive et massive;
elle est sûre :
toutes les facultés et non pas seulement l'attention visuelle et la mémoire entrent en jeu, etc."
1/ y a de nets avantagros pour le comporte_
ment de foute la classe:
Dans les Ecoles maternelles, les enfants soustraits à l'influence desséchante du mi- lieu éducatif, du jeu éducatif l'éloignant de la vie et placés dans un milieu où la dis- cipline s'impose seule parce que le travail éducatif sert l'expression libre et l'activité à la mesure de l'enrant
Dans les petites c1asses~ l'enfant qUI fait un travail scolaire à sa mesure, servant son besoin d'activi~f et d'expression, qui n'est pa~ placé en ~marge de l'activité des grands, qUI ne connalt plus les éternels échecs mar- quant une vie scolaire,
L'éducateur qui n'a plus la hâte d'en finir . avec l'apprentissage de la lecture pour pou-
voir (( ,Occuper )) les plus jeunes à un tra- vail purement scolaire.
L'enseignement du français, de l'orthogra- phe: .qui se fait naturellement, sans exces f~shdleux; les textes qui naissent, glan-
~Is~ent, se précisent, di!viennent personnels, mteressants et mènent tout droit à la com- position française de l'examen et il l'art d'exprimer sa pensée,
30 Que l'Ecole, avec son organisation acfuelle
f
LA TECHNIQUE FREINET-
5 -
(il s'agit surtout des écoles à classes multiples) permet ,dilficilement J'attendre c l'édoaion na_
turelle Il de la fac'ullé de lire et d'écrire - et qu'il faudrait une Réorganisation pédagogique.
les mêmes enfants devant gardet le même éducateur pendant les premières années de leur scolarité ;
la lecture rapide globale fi' étant plus exi- gée au bout d'une année de présence au Cours Préparatoire :
les enfants n' étant plus soumis en matière d'enseignement à la II: douche écossaise » : classes nouvelles - classes traditionnelles.
avec changement chaque année, comme nous le voyons dans plus d'une école de
ville. .
A titre d'in~ic~tion, je cite n:t0n e~emple
personnel : . ,
Pour faire une expGrience intégrale et ·Ioyale,' j' avais de~andé pendant 2 années à une· Ins- pectrice compréhensi:ve de me laisser le champ' libre et toute liberté d'esprit pour. étudier le comportement du cerveau enfantin et me ris- quer à des tâtonnements, et même à des erreurs s'i! le fallait. Ma collègue, Directrice d'une école de filles à 12 classes a décidé de poursuivre l'éducation des mêmes enfants pen- dant plusieurs années, se donnant jusqu'au troisième trimestre de la première année pour appliquer la méthode intégrale et changer eh~
suite si les IIGsultats avaiEnt été décevanta . . Les résultats furent très encourageants au contraire.
LES ETAPES DU PROCESSUS D'ACQUISIT ION
Si la preuve est faite de la nette supériorité pour la valeur de l'acquisition d'une méthode naturelle, il resterait à préciser les étapes suc- cessives de ce processus d'acquisition pour un enfant placé dans une classe ordinaire et à indiquer les moyens de rendre le milieu capa- ble d'aider au maximum l'expérience tâtonnée.
Voici comment est appliquée la méthode dans 2 classes de mon Ecole maternelle, com-
ment se comportent des enfants de 4 à
6 ans 1 /2 plocés dans un milieu qu'on a essayé de rendre enrichissant:
10 Organisation pédagogique du milieu où vivent les enfants,
Chaque classe comprend des enfants de 4 ans à 6 ans .1/2, réunissant tous les stades de l'âge mental et non, comme on le voit en Côte-d'Or, des enfants groupés par similitude d'âge mental (classe de 4 à 5 ans, classe de 5 à 6 ans, et même 4 à 5 et 5 à 6 « fans», ou « moyens », ou « faibles », comme si on portait depuis la Maternelle et pour longtemps sans doute, l'~tiquette de « faible» ou « fort», quand ce n'est pas celle de « retardé» ou de
« crétin».
Le contact d'enfants plus développés et leur activité sont par' eux-mêmes enrichissants au même titre, plus encore peut-être que le con- tact des adultes et de l'éducateur. On sait les résultats de certaines écoles de campagne où le contact des grands favorise la montée des petits.
2° Organisation matérielle: c'est le milieu aidant par excellence.
Un coin de la classe pour les dessinateurs, les gribouilleurs; papiers de plusieurs formats à la disposition des exécutants, crayons, crayons
de couleurs.. •
Un coin pour les imprimeurs, la casse, le limographe, la presse (autour desquels on tra- vaille, on s'affaire librement), les feuilles im- primées la veille, les albums imprimés.
Le meuble ayant, classés par ordre de diffi-
cult~s, dés albums des petits enfants de l'an- née précédente, plusieurs textes réunis par cen- tres d'intérêt : Noël, les bêtes, histoire de gre- nouilles, histoire de pêche, etc. des albums de la C.E.l., des pages du milieu de « La Gerbe >l,
les albums du commerce intéressant les en- fants (Père Castor ... ).
Les boîtes aux lettres: une pour les lettres que reçoivent les enfants, une pour les lett"os qu'on adresse à la maîtresse ou qu'on remettra au facteur.
Deux ou trois grands panneaux de tableaux muraux avec les craies: le tableau où demeure le texte du moment, le panneau où sont expo_
sées les jolies pages.
Une collègue d'école maternelle fjxe au mur un large rouleau de papier kraft qu'on déroule à volonté et qui porte tous les textes déjà imprimés: l'idée est intéressante.
Sur la table de la maîtresse, des cahiers que l'enfant connaît bien, le grand livre où "on écrit toutes les histoires si possible, et si l'on peut aussi, les activités de la journée (sur un carnet personnel, j'ai écrit mon nom et, par analogie, Monique prend le stylo à bille et écrit le sien en dessous).
3° L'atmosphère, libre de toute contrainte et de tout forçage.
La maîtresse, non pas préoccupée de loger dans les six heures de classe tous les exercices préparés la veille, mais attentive à la vie Qui jaillit des l'arrivée, le matin, dans les regards heureux et capable de saisir l'intérêt qui va être le plus puissant et dominer tous les au- tres: c'est le « moment sensible ».
JI ne s'agit pas toujours d'une conver"ia- tian·: « Moi, Madame, écoutez que je ra- conte ... ». Les histoires qui ne tarissent pas dès qu'on laisse les enfants raconter, tiennent parfois du verbiage sans valeur : il faut s'en méfier - bien qu'il soit nécessaire de bisser·
j'enfant se libérer d'un souci majeur pour pro- fiter vraiment du travail de la classe.
6
LA TECHNIQUE FREINETC'est quelquefois une danse, quelquefois un dessin ...
C'est cet instable ou caractériel Serge qui, pendant que d'autres soignent plantes et bêtes ou rangent le travail de la veille, couvre le tableau de dessins de bêtes dignes d'un peintre animalier, et qui, de sa conversation il lui-
même' fait surgir l'intérêt du jour. C'est, une
autre fois, un jeu dans la cour: on « cueillait»
des coccinelles dans un mur!
Il s'agit plutôt de l'expression d'un fait qui s'est imprégné dans l'être, de l'expression d'un état affectif, et non pas d'une histoire sans résonance. Il faut que la sensibilité de l'enfant, bien plu. que .a curiosité, y soit mêlée.
Et yoilà l'histoire « bien .entie ».
Librement, le travail s'organise autour de cet intérêt; travail moti,vé, besoin fonctionnel, matériel aidant.
Je dois garder cette belle histoire dans mon grand cahier (j'ai beaucoup de raisons de garder toutes les belles histoires écrites sur ce cahier Qu'on peut feuilleter et que les étrangers adul- tes liront comme on lit le journal ou des livres).
Ne va-t'on pas l'imprimer pour enrichir notre petit album, ou le petit livre imprimé qu'on emporte le soir à la maison, ou le petit album qu'on enverra aux petits enfants de l'autre classe ? .. à moins qu'on ne l'envoie à Cannes!
Ou bien l'écrire pour envoyer une petite lettre à Annick, ou pour placer dans le livre manuscrit qu'on emportera aux vacances à la maison, et qu'on va agrémenter du dessin?
Moi j'imprime, moi je dessine, moi j'écris, moi je fais un beau modelage qui raconte l'his- toire.
Mais moi, je veux faire mon histoire à moi.
La maîtresse viendra m'aider à l'écrire, à moins que je n'essaie tout seul, en cherchant un peu, ou que je sache (( faire» déjà les mots tout seul (stade de la reconstitution active).
Irrésistiblement et infailliblement, les en- fants qui n'en sont qu'au premier ou deuxième stade par imitation, émulation ou simple besoin
d~ création prennent la craie ou le crayon et s'essaient à des graphismes qu'on gardera dans un petit album et qu'on racontera à la maî- tresse, à moins qu'ils ne préfèrent colorier le dessin du plus grand, reproduit au limographe.
Irrésistiblement, ils sont entraînés vers l'ex- pression écrite.
Le lendemain, il y aura du travail autour du texte imprimé: un travail individuel, justement adapté au stade de développement de chaque petit cerveau
Il faudra, pour les uns, lire et illustrer l'his- toire imprimée Qu'on placera dans l'album;
Découper le petit texte, le reconstituer, le coller;
Essayer de l'écrire da mémoire au tableau;
Ure le petit modèle Qui l'accompagnera sur le cahier (voir procédé du cahier répertoire) et
s'essayer à une écriture parfaite, etc .. , L'intérêt dure toujours plus d'une journée, à moins Que le lendemain un intérêt plus fort ne chasse le premier, à moins que justement, ce jour-là, il n'y ait, dans la boite aux lettres qui reçoit les envois, une petite lettre que Jacotte a écrite hier soir et qu'elle a déposée subrepticement en arrivant, ou la lettre de Bernard qui a le bras cassé, ou une lettre de la petite fille partie dans une autre ville, ou une lettre de la maîtresse à ses petits enfants, ou un texte de l'autre classe ...
Voilà l'intérêt captivé, voilà qu'on a envie de lire ceci, de lire cela, de faire tel travail qui va s'y rap!!,orter, de chercher tels docu- ments dans le fichier pour expliquer, compren- dre, raisonner, etc.
A moins encore qu'on ait justement une pe- tite lettre à communiquer à la famille, ou à la cousine, ou aux enfants de l'autre classe, ou simplement à la maîtresse.
Là, il faut essayer de s'en tirer tout seul.
On s'en tiendra au dessin graphisme si on ne peut mieux faire, ou bien on se servira de mOts qu'on connaît bien, qu'on aime répéter, ou bien on fera un très gros effort pour es- sayer de « construire» les mots avec les formes graphiques des consonnances qu'on connaît bien, ou bien encore on en sera au stade de reconstitution active, et on écrira d'un seul jet
Sil petite histoire tout seul - et ce sera l'exer- cice le plus efficient qui soit, si la maîtresse a soin de le mettre en valeur.
Ou bien, ce matin-là, l'album de la C.E.L.
vient d'arriver, et il faut le lire, le raconter.
Et on recherche tel autre album qu'on aime bien et la maîtresse lit en suivant les mots, en attirant l'attention sur ceux qu'on cannait; la maîtresse lit et relit, et laisse les albums fi la disposition des enfants pour que, par imi- tation, ils s'essaient à lire, eux aussi.
Il se peut que tous ces exercices soient ba- layés par un intérêt plus puissant qui sorte du cadre de la lecture et écriture (mesures, comp- tage, opérations calculées) et qui encore pour- rait se traduire par un graphisme dessiné ou éc.rit: c'est la tourterelle qui couve, ce sont les poussins de Madame Jeanne qui sortent des œufs, c'est un camion qui fait une livrai- son, etc.
EST -CE UNE MÉTHODE 7 Les exercices ne sont ni imposés, ni mesurés, ni gradués, ni même disciplinés arbitrairement. Chacun avance à son rythme, suivant ses possibilités intellec- tuelles; le travail s'organise par groupes, de lui-même, mais dans chaque groupe il y a des enfants à des stades différents, et c'est indi- viduellement que l'enfant, dans la communauté, fait ses expériences tâtonnées, ses répétitions d'expériences, et les découvertes qui l'amènent à un autre stade.
C'est la vie d'une ruche dans toute sa com- plexité, avec les jaillissements qui échappent,
LA TECHNIQUE FREINET
7
ou qui émerveillent si on sait les saisir. Chaque petit cerveau, à quelque stade qu'il soit, y trou- ve sa pâture intellectuelle, et l'émulation Ou
les émerveillements de la maîtresse aidant, le besoin de se surpasser suscite les bonds en avant.
C'est, il faut l'avouer, diHicile à conduire.
Il faut savoir sous-estimer le rôle de l'édu- cat~ur qui doit laisser J'enfant libre du choix de son travail, libre de son effort, qui doit seulement canaliser l'intérêt le plus puissant et aider à franchir le stade quand la maturité est là.
Les mêmes procédés ont servi à ma collè- gue, directrice de l'école de filles, pour ensei- gner de façon remarquable avec la lecture, l'orthographe et même la grammaire aux en- fants de plus de 6 ans 1 /2, c'est~il-dire aux 5· et 6e stades.
«les enfants, dit-elle (article publié dans
fi l'Educateur»). sont appelés à écrire au ta~
bleau le texte qui a été relevé rapidement par l'instituteur. Cela constitue une sorte de dic- tée, au sens I;;rge du mot. la première phrase
. étant relue, des volontaires viennent tour à tour
écrire les mots sous le contrôle de la classe et dès les premiers textes des problèmes impor- tants se posent ... Faut-il écrire et ou est? le nom, l'adjectif, doivent-ils se mettre au plu- riel? Comment met-on ce verbe au pluriel?
« Très vite, les enfants raisonnent, et les résul tats sont étonnants ...
« Ma préoccupation constante a été d'éviter de retomber dans les méthodes rituelles. Je ne fais jamais, à propos d'un texte, chercher de mots en eau, en, am, ou, etc., de même que la maman apprend à son enfant à parler en lui parlant elle-même, sans se préoccuper de lui faire retenir tel ou tel mot, tel ou tel son, je m'efforce de n'imposer aucune contrainte inutile ... ))
.. •
4° Voici plus schématisés que la réalité ne les présente, les stades par les:quels passent, il me semble, les enfants (anormaux exceptés) et quel milieu enrichissant sert leur montée naturelle, étant bien entendu que les expérien~
ces tâtonnées plus ou moins nombreuses sui- vant le degré d'intelligence des enfants, les fait franchir plus ou moins rapidement les sta- des ou les immobilise même parfois sur celui qui semble le plus décisif.
Comme il s'agit pour tous les enfants des étapes qu'a franchies Bal. et qu'en définitive c'est bien Baloulette qui a raison, comme le dit Mme Dhenain, je reprends les termes de Freinet qui a dit cela beaucoup mieux que moi.
PREMIER STADE
STADE DES GRAPHISMES
Qu'on répète, multiplie, auxquels on donne a posteriori une signification et une explica- tion.
Aucun besoin de communiquer sa pensée. aucune idée de la signification profonde de la lecture (l'enfant a seulement besoin de créer).
mais étape indispensable pour accession normale à la lecture.
L'enfant qui prend un album ne fait plus
« semblant de lire)) comme l'enfant de 2 ans ; il raconte les images sans regarder le texte, c'est donc qu'inconsciemment, intuitivement, il attribue à la lecture une certaine signification mais Qui n'est certainement pas la signification réelle du texte écrit.
Il regarde écrire le texte du grand camarade, mais il n'essaie pas de lire, et ne s'y intéresse en aucune façon, de même qu'il ne s'intéresse pas aux « lettres)) Qui arrivent dans la boîte aux lettres, pourtant, il aime qu'on reproduise
S3 propre histoire.
Il demande à ranger ses dessins graphismes dans un album comme on range les textes des grands dans un album de vie.
Et surtout il aime toutes les manipulations (adresse manuelle) autour de la presse, mais il n'est pas capable de différencier les formes des- lettres pour les ranger correctement dans la casse (trop grande attention visuelle; il est vrai que j'ai le caractère 24 qui est petit, il faudrait deux imprimeries, gros et moyens ca- ractères, dans chaque école maternelle),
A ce premier stade: milieu aidant:
Toute la classe avec le travail des grands : textes au tableau, album de vie, travail autour de l'imprimerie, travail de manipulation de la presse, de rangement des feuilles à sécher, etc.
Ce travail est par lui-même enrichissant.
« Enrichissants)) aussi les livres-albums avec images et textes qu'il feuillette avec les grands, Mais il a plus spécialement à sa disposition constante, en dehors des feuilles pour dessin, des pinceaux, des peintures, de grands tableaux muraux, de la craie et ii est libre d'écrire et de dessiner; des papiers de formats différents avec des crayons (le nombre des feuilles est limité pour qu'on ne dessine pas toute la journée; c'est un grand qui les compte et on en sait le prix).
L'enfant range ses graphismes, non pas dans une « chemise)) mais dans un album de papier à dessins (2 cahiers de dessin format in-8) portant des pages blanches qui déjà sont sug~
gestives parce qu'elles invitent à l'impression d'un petit texte ou à "écriture et elles font penser au futur album de vie (c'est une moti- vation Qui a sa valeur),
l'album porte le nom de l'enfant Qu'on doit reconnaître globalement pour ranger ses gra- phismes.
A côté des graphismes, aussi souvent que le permet la conduite d'une classe nombreuse, on écrit les explications données à posteriori par l'enfant, il s'habitue ainsi à associer graphis_
mes et écrIture.
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LA TECHNIQUE FREINETr' STADE 6'
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L'ÉCRITU.RE SE DÉTACHE DU CRAPHISME Une imitation des formes graphiques des adultes apparaît - mais « gribouillage » sans signification intuitive. sans aucune raison d'être.
Quelques détails apparaissent: les chiffres, les majuscules imprimées du nom (apprises
souvent à la maison). les T, les boucles, 'etc.' (voir document), les numéros des 'trolleybus, l'incription d,es magasins (COOP). le numéro de l'habitation, le prénom de l'enfant, 'les mots simples, mais ['enfant ne donne aucune signification particulière à l'écriture. Certains enfants franchissent très rapidement ce stade;
pour certains même, il est inexistant.
A ce 2" stade, milieu enrichissant:
C'est le moment de donner de l'importance au petit texte que la maîtresse écrit à côté du graphisme et fourni a posteriori par J'auteur.
On le met en évidence.
On commence à reproduire sur les pages de l'album, le dessin d'un « grand }) (tiré au limographe) qu'il faudra colorier; et si l'enfant s'y intéresse, on accompagne ce dessin de deux ou trois lignes de texte écrit très gros.
L'enfant a à sa disposition des pinceaux, des couleurs, du papier pelure, et s'amuse à repro- duire ce texte au pinceau comme un dessin, s'il le désire. On suit ainsi la progression très rapide dans l'acquisition de la forme écrite.
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LA TECHNiaUE FREINET
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3'" STADE
L'ENFANT ACQUIERT LA TECHNIQUE DE L'ECRITURE ; IL S'Y INTERESSE PARCE QU'IL Y REUSSIT, IL COPIE;
C'EST LA PREMIERE PHASE DE L'ECRITURE Il comprend qu'il peut y avoir certaines rè- gles et certaines formes fixes à imiter.
Il arrive à une maîtrise du graphisme écrit assez grande pour reproduire, avec sûreté mê- me, le petit texte.
Mais l'écriture n'a pas de valeur outil pour exprimer un désir ou une pensée; elle n'est encore qu'une répétition de réussite, un besoin de réussir mieux en imitant l'adulte.
L'enfant ne s'intéresse toujours pas à la lecture et n'essaie pas de lire le texte des grands; il ne pense qu'à copier. Pourtant il reconnaît la nature du petit texte imprimé sur
son album, dans son aspect global: « C'est
le texte de Monique », {( C'est l'histoire de Jean-Claude )l, « C'est la Choupette n, « C'est la petite sœur )) ...
Le dessin est toujours création, répétition de graphismes, et rarement expression.'
Pour la majori té des enfants, on arrive à ce stade après une année de formation pré- scolaire: fin de l'année, 4 à S ans environ.
Mais l'écriture ne supplante pas le gra- phisme qui va se développant, répétition de réussites et toujours création.
A ce 3e stade, milieu aidant:
L'enfant continue à vivre dans le sillage des grands dont le livre de vie imprimé et manuscrit, s'enrichit (voir 4" stade,
se
et 6°stades).
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Mais l'histoire choisie pour être imprimée et conservée est de plus en plus souvent celle d'un enfant arrivé au 3" stade et prêt à don- ner un sens aux mots qu'il peut écrire (voir 4" stade); il suffit quelquefois de ce petit coup d'épaule pour lui faire franchir le palier.
Le petit album de graphismes va aussi cou- vrir ses pages blanches du texte imprimé par les grands, et du coloriage qui l'accompagne (limogrilphe, procédé du caoutchouc).
La maîtresse écrit chaque fois le texte en grosses lettres manuscrites -à côté du texte imprimé, et sous les yeux des enfants.
Il est très rare qu'on ne demande pas à l'écrire aussi sur la même page comme les grands.
Si l'enfant est maladroit, il reproduit le texte au pinceau avec le papier pelure qui sert de calque ; il a ainsi le plaisir d'une quasi-réussite (le procédé ne vaut que par cette nécessité de l'encourager dans la réussite. Pour les classes trop nombreuses où chaque enfant a peine à se faire une place individuelle, se placeraient sans entrave pour le développe- ment naturel de petits exercices graphiques initiant à l'écriture et habituant les petits à tourner tous les ronds, toutes les boucles dans le sens convenu, à lier les lettres, etc., ceci peut se faire en copiant un dessin modèle: escargots, fumée des trains.. sur papier trans- parent, par procédé de calque, à l'aide du pinceau, c'est un exercice d'adresse qui plait aux enfants et qui n'est pas inutile.
4
m•STADE
LE SENS DES MOTS ÉCRITS SE PRÉCISE, C'EST -A-DIRE QU'UN RAPPORT S'ÉTABLIT
DANS L'ESPRIT DE L'ENFANT 1° Entre ce qui se dit et ce qui s'écrit.
(cette phrase, c'est : {( la petite sœur de Ray- monde ))) ;
2(1 Entre les graphismes des mots et la parole ou la pensée.
\( Quelques mots sont reconnus, retenus et
même. employés. »
L'écriture prend sa valeur par sa fonction d'outil, de truchement, pour exprimer un désir, une pensée; il sent qu'il peut se traduire par c;e moyen.
Le texte manuscrit qu'il peut reproduire en imitant exprime vraiment pour lui une histoire connue, et· il demande à l'écrire d'abord, puis à le concrétiser mieux ensuite par le dessin.
A moins qu'ayant d'abord fait son dessin- hlstoire, il demande ensuite à l'écrire pour
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LA TECHNIQUE FREINET~,\
mieux préciser ce qu'il a voulu traduire.
Le graphisme-dessin commence à devenir expression.
Le voilà qui éprouve le besoin d'écrire tout seul; il écrit déjà au tableau des lettres qui se tiennent toutes, puis des groupes de mots qu'un espace très net sépare, et tout émaillé de mots retenus (papa, maman, petite sœur, traîneau, Noël, va, Choupette. vélo ... ). puis il écrit des lettres, dessins graphismes, suite de lettres accolées, suite de mots sans significa- tion, émaillés de mots retenus globalement, qu'il glisse dans une enveloppe et Qu'il va placer dans la boîte aux Jettres pour la maî- tresse, le papa, la grand-mère, les enfants qu'il connaît. Ce texte n'a de signification que pour lui; il est illisible; mais l'enfant prend con- science de la villeur de correspondance des lettres: C'EST LA OEUXnME PHASE DE L'ECRITURE.
Certains enfants sont pendant longtemps satisfaits de ce genre de lettres qui ne veu- lent rien dire. D'autres, plus intelligents, ont une certaine pudeur à écrire une histoire qui ne peut pas se lire ; ils retiennent des phrases à eux qu'ils ressortent pour tous les usages:
« mon traîneau à moi », « le vélo de mon papa }), « ma petite sœur Francinette» - ou s'ils ressentent fortement le besoin d'exprimer leur pensée, ils demandent un modèle. La maî- tresse écrit autant de modèles que l'enfant en demande, sans jamais faire attendre et sans jamais lasser. Mais contrairement à une acti- vité d'enfant exposée souvent par mes collè- gues d'école maternelle, je n'ai jamais vu d'en- fant composer librement un petit texte en cherchant dans une boite ou dans un réper- toire les mots dont il a besoin; il les a pre- sents à l'esprit et s'il ne les a pas, il s'en
passe ou il demande. L'enfant lit ses histoires.
à lui, en attachant à chaque mot sa valeur, mais il n'essaie pas de lire des textes étran- gers à la vie de la dasse, et même si je risque une réponse à la lettre de l'un d'eux, la lecture de ce texte ne l'intéresse pas, parce qu'il y faut un effort trop grand. L'imprimerie du texte est une fin en soi, elle sert son besoin de création, mais ne sert pas vraiment un besoin de correspondance avec les autres.
A ce 4" stade. milieu aidant: c'est le mo- ment de baigner l'enfant dans une atmosphère de mots qui concrétisent "expression libre de sa pensée vivante.
L'enfant a ressenti fortement une impres- sion, il a été témoin d'un fait qui l'a frappé.
" communique son émotipn, son histoire vé- cue à tout l'auditoire et il a traduit en son langage qui est assez expressif pour intéresser et captiver à peu près toute la dasse.
Puisqu'on « sent» l'histoire et qu'on la vit, on va la traduire dans sa totalité sur le grand cahier où j'écris sous les yeux des enfants de préférence toutes les histoires intéressantes.
Puis, sur le tableau, en réduisant au besoin la longueur du texte : une ligne, une idée.
Ce qu'est le texte? Il est l'expression aussi fidèle que possible de la pensée de l'enfant. Il n'est pas nécessaire qu'il soit toujours un texte court. Si la forme est correcte, quoique maladroite ou naïve, on la garde intacte; si elle est incorrecte, on corrige puis on fait en- trer dans le vocabulaire de l'enfant l'expression juste.
Le texte, presque toujours, a des longueurs (les enfants sont prolixes et abusent de d~
ta1ls) ; il faut faire ressortir l'important et ré- duire en conservant surtout ce qui vient de
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LA TECHNIQUE FREINET
11
"état émotif de l'enfant ou ce que "enfant a vécu, par l'action, de tout son être.
Souvent le petit texte est vivant 1 rythmé. plein de charme. On le récite par cœur, comme un petit texte d'auteur, avant de le lire, et les formes, inconsciemment, imprègnent le langage des enfants comme les expressions des auteurs.
Qu'importe le moment de la journée, l'his- toire sera concrétisée sur le tableau au moment favorable, c'est-à-dire quand la sensibilité est vraiment touchée.
On lit l'histoire, collectivement, individuelle_
ment, jusqu'à~ ce que l'intérêt fléchisse.
On reconnaît chaque idée; on suit chaque mot, en disant ce qu'il exprime.
On va la concrétiser mieux encore: par l'im- primerie, par le dessin, par le modelage.
Travail motivé: besoin de créer, de fixer sa pensée vivante.
Bonheur de sortir de la presse l'histoire im- primée Qui va être gardée.
on est dans
descendu la cave la cave est comme un tunnel
en montant les escaliers on faisait
la des
marche Indiens
Bonheur et fierté de la communiquer à la famille, à d'autres petits enfants (un petit livre de vie est sacrifié).
Une feuille imprimée sera illustrée le len- demain.
Une autre, non illustrée, ira dans le petit livre (sacrifié) qu'on emportera le soir à la famille.
Une autre entrera dans le petit album qu'on prépare pour les enfants de l'autre classe, pro- che ou lointaine.
Une autre, avec lignes espacées, sera décou- pée par les enfants d'un stade plus avancé.
Une petite partie du texte sera imprimée sur j'album des graphismes des petits, si on le désire par les petits eux-mêmes, un à un aidés de la maîtresse (idée de Mlle Chateau qui est excellente).
Chacun s'affaire et choisit son travail qui est justement profitable parce qu'il est libre- ment choisi.
Un groupe écrit le texte qui sera ensuite illustré puis rangé dans le livre manuscrit.
Un autre illustre ce texte ou modèle avec de la pâte. Le meilleur dessin sera tiré au limographe pour le coloriage des petits.
Un groupe imprime:
Voici le texte écrit ligne par ligne, idée par idée, sur le papier en lettres d'imprimerie.
On numérote les lignes; on découpe.
Autant de lignes, autant de composteurs, comptons les caractères et les blancs.
Chacun compose. Pour les enfants n'ayant pas dépassé le 4" stade, c'est un pur exercice sensoriel d'identification: l'enfant aligne les lettres à l'envers et à reculons, ce qui ne constitue pas une difficulté; il faut attirer son attention sur les blancs qui séparent les mots.
U semble qu'il ne fait, au début, aucun rap- prochement entre la forme visuelle et le son qui l'accompagne;, il y a seulement pour lui forme visuelle de toute la ligne qui correspond à une idée tout entière; il n'apportè aucun intérêt au nom et à la consonnance des lettres.
Le texte écrit est reconstitué à côté de la presse, puis le texte composé est reconstitué avec les composteurs dans la presse.
Puis c'est l'émotion du premier tirage, fa correction et le plaisir de la manipulation et de la réussite, et de la création qui va demeu- rer.
Demain encore, si l'intérêt d'un te)(te nou- veau ne chasse pas l'attrait pour celui-ci, on
« travaillera» autour de ce texte, individuel- lement, suivant le stade de son développement.
tous les dimanches mon Dédé va courir pour gagner des sous
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LA TECHNIQUE FREINETil ne · travaille pas.
tous les jours, il va voir s'il y a
du travail.
mais les messieurs lui disent toujours qu'il n'yen a pas.
On le relira au tableau, on lira les pages qui _ vont entrer dans l'album; on reconnaîtra les
~ mots, on fera des rapprochements, on illustre-
~ ra, ou on écrira le texte ...
~
!! Si on est arrivé à un stade plus avancé, on
~ découpera le texte pour le coller sur le cahier,
~ puis on essaiera d'écrire de mémoire sur le
~ tableau, pour fixer la forme grapnK!ue.
~ Et peut-être qu'on s'amusera tout simple-
~ ment à ranger l'imprimerie, ou à emplir les
~ ccmposteurs de lettres sans ordre, en formant
~ des mots connus puis d'autres qui n'ont pas de sens, et Qu'on insistera pour Que cette - composition soit tirée à la presse ..
_ Ce sera un bon moyen pour reconnaître
~ Qu'on ne peut pas lire, et Que cela ne veut rien
~ dire, et qu'il y a des formes immuables à respecter.
Et puisque l'enfant éprouve le besoin d'écrire
~ pour ecrirc, nous allons lui donner l'élan fonc- tionnel, et nous allons motiver son besoin d'écrire.
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La première motivation pour ceux Qui arri--g
vent au 4~ stade avant la fin de l'année, c'est~ Noël {et il n'est pas possible dans nos villes _ où les commerçants déploient tant d'ingénio-
sUé pour susdter les achats et les désirs des gosses, de soustraire les enfants à l'emprise délirante de Noël) ; il y a la lettre de com- mande, la lettre de remerciements.
Puis, ,de Noë', c'est la lettre à la maîtresse qui répondra par une petite histoire toute simple qu'on essaiera de lire ou qu'on fera
lire par un « débrouillard )), .
Il Y a deux boîtes aux 'ettres: celle des enfants où sont reçues les lettres et celle de
"institutrice ou du facteur dans laquelle on dépose les missives pour "expédition.
Il Y a même un petit coffre avec trois tiroirs: un tiroir contenant papier pour lettres et enveloppes, un tiroir où la maîtresse garde les lettres qu'elle a reçues, un autre où les enfants entassent les lettres, textes reçus et qu'ils vont à loisir regarder, ranger ou lire. (De temps en temps, ces lettres sont placées dans l'album de vie imprimé ou manuscrit.)
On écrit aussi à Noël à l'institutrice, au papa, à la maman, à la grand-mère, à Ray- mond parti à la campagne pendant que la ~
petite sœur va naitre, à Jean-Paul qui est ~
malade, à Annick qui a quitté Dijon pour ~
Angers, aux petits el')fants de l'autre classe, ~
etc., les occasions ne manquent pas. ~
Et naturellement, on reçoit les réponses.
Il semble qu'à ce stade il ne peut y avoir
~ ~
de correspondance qu'avec des enfants ou des adultes Qu'on cannait bien, enfants malades et retenus à la maison, enfants partis
a
la cam- -pagne, personnes de la famille. Il semble que ~ les enfants ne s'intéressent pas à ceux qu'ils
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n'ont jamais vus. L'éloignement est aussi abs- - trait que la fuite du temps, et ils ne les réali- ~ sent guère. Mais peut-être que le colis, même ~ à cet âge, est suggestif et éducatif: Edith
~ .
Lallemand dit: (( Le colis, c'est .épatant!» §:
LA
TECHNIQUE FREINET13
5'" STADE
L'ENFANT SE CONSTITUE UN BAGAGE DE MOTS APPRIS GLOBALEMENT, MOTS QU'IL CONNAIT BIEN PARCE QU'IL LES A SOUVENT VUS ET EMPLOYÉS, MOTS QU'IL DEVINE,QU'IL SAISIT PAR INTUITION.
C'EST LA PREMIERE PHASE DE LA LECTURE Il va' 's'essayer à s'en servir pour traduire sa pensée par un besoin fonctionnel et parce qu'il s'agit d'une de ses réussites majeures.
Mais s'il reconnaît visuellement une quantité de mots, il a beaucoup de peine à les repro- duire de mémoire; il doit faire un effort pour retrouver la forme globale et la traduire par écrit, et c'est au cours de cet effort qu'il est amené à faire le rapprochement entre même son et même figure écrite et déjà accouplement entre figures de sons pour donner la conson- nance désirée.
Le texte écrit n'est plus pour l'adulte sans aucune signification; il comprend des mots retenus globalement, d'autres qui ont été « tra- vaillés », cherchés et qui pourtant demeurent illisibles, mais il y a ça et là quelque petite réussite et le texte prend malgré tout une vraie signification d'ensemble,
C'EST LA TROISIEME PHASE DE L'ECRI- TURE.
J'insiste sur ce fait que je n'ai jamais vu d'enfants composer un texte en rapprochant des mots connus dont l'assemblage donne une histoire qui a un sens.
Par exemple, s'il connait.: « Raymond a amené le bois avec la choupette et la voi ture du papa », il n'écrit pas: « Mon papa a un cheval », « La choupette a amené le boi;;
dans la voi ture », ce qui ne veut pas dire que des enfants éduqués différemment ne le fas- sent pas, et peut-être même avec profit.
L'enfant s'habitue, la motivation aidant, à écrire pour exprimer sa pensée. C'est unique- ment à cet effet qu'JI utilise ses connais- sances, mais il ne les utilise pas pour écrire
« une histoire » qû'il n'a pas besoin d'expri- mer, et il est grave, il me semble, de les entraîner à cet exercice de « verbiage écrit », même s'il est profitable par ailleurs.
En même temps, la constitution, lettre par lettre, élément par élément dans le composteur, le rangement des lettres dans la casse, attirent son attention sur la répétition des éléments et
"entraînent à des rapprochements entre les formes visuelles semblables et les consonn:ln- ccs correspondant à chaque signe. Il nomme les lettres en se servant (le rapprochement audi- tif se fait avant le rapprochement visuel).
Chaque mot a un sens, Les syllabes com- mencent il se détacher; il prend deux lettres à la fois: L et A pour former LA, V et U pour former VU. Mais il ne se souçie nulle- ment de "association d'un même son avec des
sons différents: pour lui, MA - MON - MIS qu'il cannait bien n'ont pas de rapport.
Chantal a trouvé un joli petit oiseau
sur le trottoir il courait il dansait il sautillait il gigotait
c'est le grand frère qui l'a pris dans sa main
Yves a dit
« donne le moi
ma maîtresse a un nid vide on le mettra dedans»
Yves l'a bien soigné mais le petit oiseau est mort ce matin
L'enfant commence il pouvoir lire les his- toires individuelles des autres, les petites let- tres qu'il reçoit, les textes de l'autre classe;
il peut lire les mots qu'il cannait bien, mais ne fait pas l'effort de chercher ceux qu'intui- tivement il n'a pas deviné.
Et s'il n'y a pas véritClble intérêt fonction- nel (la curiosité, la réponse à la lettre, le dessin qui accompagne le texte et qui est sugges- tif, etc.), il n'a pas envie de lire la pensée des autres. Les textes des livres ne l'intéres- sent pas: il s'en tient aux images.
L'enfant a-t-il un bagage important de mots appris globalement à la fin de ce stade' C'est tout à fait variable. Certains en ont très vite une vingtaine, une trentaine, d'autres n'en ont que 5 ou 6. Et ce ne sont pas ceux qui en ont le plus qui vont le plus vite à la reconstitution. Je ne m'en soucie d'ailleurs pas: seul compte l'effort pour les retrouver, et la faculté de « saisir» ceux qu'on connaît à peine en les devinant.
A ce 5e stade: milieu aidant,
Tous les procédés qui vont aider l'enfant il enrichir son bagage, et non pas à hâter la décomposition des mots et la reconstitution, sont bienfaisants.
Plus l'enfant aura de mots, plus il se sen- tira capable de traduire sa pensée par écrit, plus il se détachera du dessin pour s'exprimer.
C'est aussi le moment où il faut veiller à