Coup de foudre.
Il faisait chaud, très chaud, extrêmement chaud. J'étais en mal d'inspiration. Plume fichée dans la page blanche, tel un soc brisé sur le grain du papier ; dans mon esprit aride, plus rien ne germait. Depuis des heures, fiévreux, paupières pesantes, le front collé au carreau, mon regard s'égarait, roulant tant bien que mal deux yeux lourds jusqu'au carré de blé figé sous mes fenêtres. Cette fixité morbide m'hypnotisait. Rien ne bougeait alentour : pas un brin d'air, pas la moindre ride, la moindre risée ; le ciel retenait son souffle. J'étouffais, comme paralysé. Tout à coup, du petit bois jouxtant les blés plantés à deux pas de la maison, surgit une jeune fille d'un galbe sans pareil : jambes fuselées, cheveux longs châtains clairs, teint hâlé ; et de la tête aux pieds... nue ! totalement nue ; nue comme un ver. Les arabesques que dessinaient les pleins et les déliés de ses reins, de ses hanches, de ses seins, étaient réhaussées d'une fraîche insouciance, et d'une certaine candeur ; c'était comme des touches de fraîcheur sur un tableau aux couleurs décidément trop chaudes. Cette intrusion soudaine, aussi cocasse qu'inattendue dans le paysage, en un éclair m'extirpa de ma torpeur : un coup de foudre ! Mon regard était électrisé, rivé à ce feu-follet qui semblait danser au-dessus des blés. Arrivée à la limite du champ d'épeautre, elle enjamba sans pudeur la clôture qui séparait les épis de la prairie voisine. Ce grand pré s'étirait de toute sa hauteur, pour s'incliner gentiment jusqu'aux abords du village, assez pour permettre aux petits écoliers, et à tous ceux et celles qui n'avaient pas tout à fait perdu leur âme d'enfant, de se laisser rouler jusqu'au chemin en contrebas — et cette jeune fille faisait bien partie de cette frange-là, qui sait garder en soi une part de ce petit enfant qui n'est plus. Lorsque je l'ai vue dévaler la prairie en roulant sur elle-même, ver luisant brillant de mille feux et riant aux éclats, je ne pus m'en empêcher : j'ai ri ; j'ai ri moi aussi, d'un rire salvateur et sans retenue. J'ai toute suite su que cette créature baroque serait mon égérie.