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Le risque chez les personnes âgées à domicile : un objet relationnel

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Texte intégral

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M. Droz

Mendelzweig M. Chappuis D. Vuilleumier N. Kuhne

C. Piguet M.-G. Bedin

introduction

Cet article engage à voir le risque comme une réalité dynami­

que. Sur la base de trois situations,1 nous observons comment la personne âgée, les proches et la soignante perçoivent res­

pectivement l’exposition au risque. Nous prêtons particulière­

ment attention aux moments de transition qui modifient la mesure des risques. Ces tournants, souvent causés par une dégradation de l’état de santé, suscitent des réaménagements du mode de vie de la personne âgée concernée, mais impli­

quent aussi son entourage.

Cette synthèse soutient que la valence du risque est le produit instable d’un contexte évolutif, déterminé par l’état de santé et les conditions de vie du sujet âgé. Elle exprime le statu quo momentané entre le sujet âgé, ses proches et la soignante. Cette approche plaide en faveur de la relativité de la notion de risque.

le risque

:

unenotionà problématiser

Le risque est inhérent à la vie.2 On y est exposé comme on est exposé aux aléas de la vie. On peut aussi prendre volontairement des risques. Dans le premier cas, le risque est subi ; dans le second, la prise de risque est généralement sous­

tendue par l’attente d’un bénéfice potentiel. Le risque peut se définir comme un danger éventuel, plus ou moins prévisible, inhérent à une situation ou à une activité.3,4 La notion de risque, et plus particulièrement de risque pour la santé, est investie très diversement selon les contextes socio­historiques, les paramètres individuels et les cultures familiales spécifiques.5 De cet investissement dépend la percep­

tion d’une situation comme à risque ou comme dénuée de risque.6,7 En raison de sa dimension axiologique, l’application de la notion de risque à des événements concrets est nécessairement sujette à des appréciations subjectives variées, cha­

cun pouvant estimer que les conséquences d’un événement futur sont plus ou moins bénéfiques ou funestes, pour soi ou pour autrui. Ainsi, une prise de risque pourrait être définie comme toute initiative délibérée qui – dans un spectre allant d’une position ultra­conservatrice/protectrice à l’audace et à l’intrépidité – opte pour une démarche qui envisage l’éventualité d’une issue dommageable comme moindre que le bénéfice attendu.8

Risk in the elderly home dwelling : a relational object

Risk is an unavoidable «partner» of the life course for single home dwelling elderly, es­

pecially in the older age. The primary concer­

ned person is not the only one to make deci­

sions, his/her proxy and the community care professionals are also involved. Crisscrossing the point of view of these three types of ac­

tors with the same situation shows that risk is a notion which has to be problematized. Due to the large part of underlying life principles its understanding can’t easily be objectified nor easy to reach by consensus. The three case studies presented suggest a dynamic grid of interpretation for an approach of risk concept.

Rev Med Suisse 2014 ; 10 : 1835-7

Le maintien à domicile dans le très grand âge institue le risque comme «partenaire» incontournable du cours de la vie des personnes vivant seules. La personne concernée au premier titre n’est pas la seule engagée dans l’évaluation du risque, ses proches et les soignants des services d’aide et de soins à domicile (SASD) le sont également. Le croisement des regards de ces trois types d’acteurs autour d’une même situation mon­

tre que le risque est une notion à problématiser. Du fait de sa forte dimension axiologique, son entendement est loin de re­

couvrir une réalité aisément objectivable et consensuelle. Les trois cas de figure présentés en vignette suggèrent une grille d’interprétation dynamique de la notion de risque.

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Nous illustrons notre propos à l’aide de trois vignettes mettant en évidence les valences différentielles du risque selon les points de vue et l’évolution des situations. Les trois cas relèvent de l’équilibre fragile à domicile. Nous inspirant du principe de l’«effet Rashomon», nous stipulons que le croisement des subjectivités est utile à la production d’une perception substantiellement différente mais également plau sible d’une seule et même situation.9,10

mmem

. :

le risquecontrôlé

etdéfié Mme M., 80 ans, divorcée depuis 25 ans. Trois enfants, dont un seul habitant à proximité, avec lequel elle entre­

tient des relations régulières. Avec l’aide du Service d’aide et de soins à domicile (SASD), elle a emménagé, il y a sept ans, dans un studio au­dessus d’un centre commercial. Elle maintient une activité intellectuelle malgré ses multiples handicaps : diabète, polyneuropathie avec chutes répétées, malvoyance, insuffisances rénale et cardiaque (un infarctus), surpoids. Mme M. a recours à tous les moyens auxi liaires dont elle a connaissance pour poursuivre ses activités de manière indépendante et définit la prise de risque comme un comportement dangereux.

L’entrée de Mme M. en institution avait été envisagée alors qu’elle séjournait dans un hôpital de réadaptation. S’y opposant fermement, son emménagement dans le studio s’est imposé comme la solution optimale. L’évitement du placement oriente les efforts de tous, sans toutefois qu’il n’y ait concertation entre le fils et l’infirmière. Cette perspec­

tive a un effet stimulant sur Mme M. Eviter une dégradation de son état l’engage dans une position de veille perpétuelle à l’égard d’elle­même. Elle entreprend différentes sortes d’activités afin de continuer à occuper un espace social, à l’intérieur et à l’extérieur de son domicile. Elle se montre stoïque face aux accidents qui lui arrivent et résiste à de­

mander de l’aide.

Hésitant entre le «laisser­faire» et la suppléance, la pro­

fessionnelle admire les démonstrations d’indépendance de la patiente. La relation de confiance qui règne entre les deux semble peser dans ses choix tactiques. Elle est récep­

trice d’aveux de découragement que la patiente ne confie pas à son fils. En effet, le fils est le seul acteur de la triade à mentionner l’entrée en institution comme inéluctable. En lui confiant la charge de décider elle­même du moment du passage à l’institution, le fils contribue indirectement au déploiement des efforts développés par sa mère, repous­

sant ainsi cette échéance à un possible futur franchisse­

ment d’un seuil de dégradation plus accentué. En regard de cet équilibre fragile à domicile, l’entrée en institution tient la place du risque majeur, d’ordres avant tout mental et social.

mmea

. :

lerisque négocié

Mme A., 91 ans, veuve depuis 30 ans, deux fils, habite depuis 50 ans une villa située dans un quartier résidentiel.

Elle a été directrice d’un établissement scolaire. Elle s’ex­

prime de manière décousue, se plaint peu et apprécie l’aide des personnes qui l’entourent. Mme A. estime jouir d’une bonne santé physique en regard de son âge. Elle ne définit

pas la prise de risque mais, lorsqu’elle l’évoque, parle plu­

tôt d’adaptation à la situation.

L’infirmière apprécie sa culture et son dynamisme, mais ajoute au tableau un aspect non mentionné par Mme A. : un syndrome de Diogène, avec anosognosie, troubles de mé­

moire, pertes d’équilibre et douleurs dorsales, tendance à se négliger et à manger peu.

Le maintien à domicile de Mme A. est fonction d’un grand nombre de dispositions pratiques : le fils et une femme de ménage pour les affaires administratives, le ménage, les courses, l’entretien du jardin ; le SASD pour la toilette, l’ha­

billement et la prise de médicaments. Enfin, des moyens auxiliaires – téléalarme, canne – ont été introduits.

Cette organisation fait suite à l’hospitalisation de Mme A., deux ans auparavant, lorsque, déshydratée, elle s’était trou­

vée en situation critique. La question de sa réanimation avait été posée. Le fils laisse entendre que son frère avait penché pour la non­intervention, puis avait insisté pour placer leur mère en institution. Ayant pris, à la demande de sa mère dit­il, la décision de la réinstaller à son domicile, il assume la surveillance que cela implique, son frère ayant rompu tout contact.

Les rencontres mensuelles des trois membres de la triade sont l’occasion de réajuster les aides, mais surtout un moyen de les légitimer. Elles sont le lieu de constitu­

tion d’une perception partagée du risque, moyennant tou­

tefois nombre de non­dits de part et d’autre. Mme A. perçoit que son maintien à domicile dépend de son acceptation des compromis. Le fils mobilise le SASD comme médiateur, se référant à l’autorité professionnelle pour la décision d’un éventuel passage en institution. Cette tactique lui permet à la fois de persuader sa mère d’accepter les services mis en place et de maintenir la relation filiale dans un cadre de confiance.

Les risques envisagés par chacun de ces acteurs ne sont pas du même ordre. Pour Mme A., seul son maintien à do­

micile compte, ses défauts de discernement ne lui permet­

tent pas d’en mesurer les enjeux. Pour son fils, les enjeux sont d’ordre moral et relèvent des liens familiaux : respecter le refus de placement de sa mère, tout en faisant en sorte de ne pas donner raison à son frère qui exigeait le passage en institution. Quant à l’infirmière, elle juge la situation suffisamment sous contrôle pour espacer les rencontres d’évaluation.

mme v

. :

lerisque réprimé

Mme V., 91 ans, deux filles et un fils, veuve d’un agricul­

teur, habite la même maison qu’une de ses filles, mariée, paysanne. Elle apprécie la lecture, le tricot, la télévision, s’asseoir devant la maison, allumer son fourneau à bois.

Mme V. prépare ses repas matin et soir, ne veut pas déran­

ger, accepte paisiblement les aides et les renoncements auto­imposés dus à son diabète, hypertension, ostéoporose et rhumatisme. Elle ne se plaint pas malgré ses douleurs au dos et à la hanche, sa surdité partielle et ses malaises occasionnels. Elle définit le risque comme une situation dans laquelle on agit malgré la conscience que quelque chose pourrait mal se passer. Mme V. craint essentiellement de compromettre son image, comme d’être perçue comme

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une fainéante si elle prolonge ses pauses au jardin.

Un empoisonnement alimentaire a motivé son hospita­

lisation deux ans auparavant. Comme dans les cas précé­

dents, ceci a eu un effet de tournant : retour à domicile con­

ditionné par le soutien du SASD. L’habitation familiale a évité une modification radicale du mode de vie de Mme V.

Ce n’est que progressivement qu’elle renonce à certaines activités, amenée à cela par ses propres constats successifs de faiblesse ou ceux faits par sa fille. L’attitude obéissante de Mme V. ainsi que son caractère introverti évitent les af­

frontements conflictuels. Le principal défi auquel se me­

sure sa fille con siste surtout à concilier les soins à sa mère avec ses propres activités, sans faire paraître le poids que cela constitue afin de ne pas donner raison à son frère qui serait d’avis de transférer leur mère en institution. Tout en disant que l’assistance à sa mère va de soi, la fille relève le poids du cumul de charges avec ses propres tâches domes­

tiques, mais évite de confier ses soucis aux autres membres de la famille, sachant que l’issue serait une incitation au placement en institution.

Face à une patiente qui se montre apte cognitivement et disposée à adopter les mesures recommandées pour l’évitement de risques, l’infirmière se contente de pallier tout ce que Mme V. ne tient plus à faire elle­même, sans pour autant la déresponsabiliser ou restreindre son auto­

nomie. Le cadre familial joue un rôle de soutien qui lui permet un suivi distant, au point qu’elle n’a croisé la fille de la patiente qu’occasionnellement et informellement.

conclusion

Il n’existe pas de risque en soi, celui­ci est un phénomène dépendant d’un ensemble de facteurs – matériels, relation­

nels et conjoncturels – prenant corps dans une configura­

tion singulière, d’où la relativité de la notion.4 Il suffit qu’un seul de ces facteurs change pour que l’ensemble bascule d’une situation gérable et tolérable à une situation critique.

Le risque prend une tournure différente dans chaque triade et se règle diversement en fonction de la configuration triadi­

que. Bien que relatif à des événements concrets, sa conjonc­

tion relationnelle le rend sujet à des appréciations subjec­

tives.8 Ces appréciations procèdent d’une articulation entre les expériences, les capacités physiques et réflexives des personnes, de leurs conditions spatiales, des aides et sou­

tiens disponibles, et de la présence d’autres risques con­

comitants.

L’hospitalisation constitue souvent une phase de bascu­

lement. A partir de ce moment, le risque quitte de facto la sphère personnelle en forçant l’implication des proches et des professionnels. La perspective d’un placement agit comme stimulant pour développer des stratégies d’évite­

ment. Chacune à leur manière, ces situations révèlent un équilibre fragile, dont un passage en institution marquerait l’effondrement. L’interdépendance des paramètres confère aux risques une configuration dynamique.

Les modalités d’investissement des proches sont toujours sujettes à négociation avec leur aîné. Ces relations recèlent souvent des tensions marquées par les histoires familiales, elles­mêmes parties des risques inhérents aux situations.

C’est ce que nous nommons le «risque relationnel», à dis­

tinguer du risque vu comme objet/situation figée et éva­

luée exclusivement en fonction de paramètres mesurables et objectivables.

Cette approche propose aux professionnels des soins gériatriques, dans le domaine des soins à domicile en par­

ticulier, une compréhension constructiviste et non figée de la notion de risque. Les trois catégories de rapport au ris­

que – contrôlé, négocié, réprimé – indiquent l’aspect dyna­

mique et axiologique des situations. Cette lecture suppose un travail en continu de définition et de description du rapport au risque, au plus proche de chaque patient et de ses proches signifiants.

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5 janvier 2014

Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.

Marion Droz Mendelzweig, Marianne Chappuis, Catherine Piguet et Maria-Grazia Bedin, professeurs HES Drilona Vuilleumier, assistante de recherche

HES-SO

Haute école de la santé La Source Avenue Vinet 30, 1004 Lausanne m.droz@ecolelasource.ch marianne.chappuis@gmail.com c.piguet@ecolelasource.ch mg.bedin@ecolelasource.ch drilona.vuilleumier@gmail.com Nicolas Kuhne, professeur HES

Haute école de travail social et de la santé Chemin des Abeilles 14, 1010 Lausanne nkuhne@gmail.com

Adresses

1 Yin RK. Case study research ; design and methods (4th ed.). London : Sage, 2008.

2 ** Waring A. Constructive risk in the care of the older adult : A concept analysis. Br J Nurs 2000;9:916.

3 Raude J. La perception du risque : théories et don- nées empiriques. Rev Sci Soc 2007:20-9.

4 Risque. Trésor de la langue française informatisé.

UMR Analyse et traitement informatique de la langue française, 2012.

5 * Burton-Jeangros C. Cultures familiales du risque.

Paris : Anthropos, 2004.

6 ** Gilbert C. La fabrique des risques. Cahiers in- ternationaux de sociologie 2003;1:55-72.

7 Heyman B, Alaszewski A, Shaw M, Titterton M.

Risk, safety and clinical practice : Healthcare through the lens of risk. New York, Oxford : Oxford University Press, 2010.

8 * O’Byrne P. The dissection of risk : A conceptual

analysis. Nurs Inq 2008;15:30-9.

9 Alia V. Media ethics and social change. Edinburgh, New York : Edinburgh University Press, Routledge, 2004.

10 Heider KG. The Rashomon effect : When ethno- graphers disagree. Am Anthropol 1988;90:73-81.

* à lire

** à lire absolument

Bibliographie

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