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Entre cerisiers et barbelés : Haïkus de prison (Lutz Bassmann)

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Academic year: 2022

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Entre cerisiers et barbelés : Haïkus de prison (Lutz Bassmann)

BOSSI, Magali Amandine

Abstract

Parmi les adaptations contemporaines du haïku, celle de Lutz Bassmann dans le recueil

"Haïkus de prison" (2008) se distingue par son originalité. Tordant les caractéristiques traditionnellement attachées au petit poème japonais, Bassmann déroute ses lecteurs en proposant une vision post-exotique du haïku, dans un univers carcéral désenchanté. Cet article explore les torsions qu'il fait subir à la forme en analysant de près ses poèmes.

BOSSI, Magali Amandine. Entre cerisiers et barbelés : Haïkus de prison (Lutz Bassmann). In:

Détrie, M. & Chipot, D. Fécondité du haïku dans la création contemporaine. Paris : Pippa, 2019. p. 135-147

Available at:

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MB est doctorante en Langue et Littérature françaises modernes à l’université de Genève. Sa thèse est consacrée aux réappropriations françaises du haïku entre 

et . En marge de ses activités académiques, elle est très active sur la scène musicale genevoise et est l’auteure de deux ouvrages publiés : Les Inchangés () et Si Genève m’était conté (), ainsi que de plusieurs nouvelles parues dans des recueils collectifs.

M B

Entre cerisiers et barbelés : Haïkus de prison

(Lutz Bassmann)

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P

eut-on être zen dans un goulag ? Cette boutade n’est pas gratuite. Elle vient à l’esprit en lisant Haïkus de prison, un étrange recueil publié par Lutz Bassmann en 2008. En voici deux extraits :

L’odeur d’oignon chevauche l’odeur d’urine bientôt la soupe du soir La nuit sans douceur se glisse par la fenêtre

balafrée de stries verticales (Bassmann : 9)

Lutz Bassmann est l’un des hétéronymes d’Antoine Volodine. Ses écrits prennent place au sein d’un édifice littéraire cohérent, le post-exotisme, qui met en scène des personnages brisés en lutte contre un pouvoir répressif, dans un décor post-apocalyptique 1. Ces thématiques paraissent bien éloignées de la définition du haïku la plus courante en Occident, à savoir, un petit poème qui exalte la nature et l’instant en reposant sur trois critères principaux – la coupe ternaire en 5-7-5 syllabes, le mot de saison (kigo) et le mot de coupe (kireji). Cette conception est largement héritée de la relecture anglo-saxonne initiée par Reginald Horace Blyth dès la fin des années 1940 2. Bassmann ne s’inscrit toutefois pas dans cette vision. Comment conçoit-il son haïku carcéral dans l’univers post-exotique 3 ? Pour répondre à cette question, je partirai de deux textes de statut différent. Le premier est la quatrième de couverture de Haïkus de prison qui, sans être argument d’autorité ou discours critique, fournit quelques indices :

1. De nombreuses études récentes sont consacrées au post-exotisme : voir Ruffel, Lionel, 2007 ; Detue, Frédérik, 2013 ; Soulès, Dominique, 2016.

2. Blyth, Reginald Horace, 1949-1952 et 2017.

3. Bassmann n’est pas le seul à mêler haïkus et prison : voir Tranströmer, Thomas, 2001.

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Le monde est devenu plus rude. On ne peut plus comme avant contempler les fleurs de cerisier ni philosopher avec des amis autour d’une coupe de vin. Désormais, quand on regarde les nuages, c’est à travers les barbelés. […] La poésie persiste en dépit des circonstances, l’humour et le détache- ment continuent à ordonner l’existence, mais la voix s’éraille.

(Bassmann : quatrième de couverture)

Le tableau est sombre, l’idéal japonisant s’effondre. Cette description fait écho à celle que donne Volodine du post-exotisme, dans « Écrire en français une littérature étrangère » :

Le xxe siècle malheureux est la patrie de mes personnages, c’est la source chamanique de mes fictions, c’est le monde noir qui sert de référence culturelle à cette construction roma- nesque. La langue de mes personnages n’est pas une langue nationale, c’est la langue générale de ceux qui subissent le malheur et qui, pour contrer le malheur, trouvent des solutions révolutionnaires qui pourraient fonctionner mais qui ne fonctionnent pas, des solutions insurrectionnelles qui pendant un moment éphémère concrétisent une espérance, puis dégénèrent, se dégradent, deviennent un malheur d’un type nouveau. (Volodine, 2002 : 57)

Voilà le décor de Haïkus de prison. Criminels ou dissi- dents, les prisonniers y sont condamnés à perpétuité, dans des structures qui rappellent celles des goulags de l’Est.

La réalité ainsi construite est à la fois connue (car fondée sur des souvenirs traumatiques communs) et inconnue (car travaillée pour devenir radicalement autre). Le haïku s’inscrit donc dans ce cadre. Je retourne à la quatrième de couverture :

En choisissant le haïku comme forme d’expression, Lutz Bassmann raconte une histoire. Il décrit les menus événe- ments du quotidien de la prison, il donne vie aux figures qui

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l’entourent, il invente des personnages : l’idiot, le révolution- naire dogmatique, le bonze désenchanté, le cannibale, et tant d’autres que de nouveaux malheurs menacent. (Bassmann : quatrième de couverture)

La démarche est claire : « raconte [r] une histoire », en privilégiant le haïku. Mon analyse examinera les implica- tions d’une telle volonté narrative, ainsi que les effets du post-exotisme sur la forme.

Lutz Bassmann raconte : du bref au global

En Occident, le haïku est la plupart du temps présenté comme un tercet de dix-sept syllabes, réparties en 5-7-5 4. Dans Haïkus de prison, cette brièveté met paradoxalement en place un véritable récit. La recherche narrative s’illustre à travers deux stratégies principales : la perspective globale du recueil et le travail sur les mises en série.

Rassemblés sous un titre unique, les poèmes appar- tiennent d’emblée à un ensemble dont ils sont autant de fragments. Les parcourir fait apparaître trois phénomènes.

Tout d’abord, la règle métrique du 5-7-5 est abandonnée ; Bassmann ne conserve pas même le souvenir d’une dispo- sition en bref-long-bref. Ensuite, l’utilisation du tercet est respectée. Enfin, le caractère ternaire s’extrapole au-delà des limites de chaque poème : le recueil lui-même est divisé en trois parties qui ont pour titres « Prison », « Transfert » et « Enfer ». Elles composent une histoire suivie, à forte cohésion interne. Chaque section se déroule dans un lieu différent : la prison, le train et le camp de travail. Volodine explique cette démarche de la manière suivante :

[Un des objectifs] était [de] ne permettre aucun isolement d’un haïku dans l’ensemble. Les Haïkus de prison constituent

4. Cette partition est absente en japonais, où le haïku se déploie d’un seul tenant, en 5-7-5 mores.

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un roman en haïkus, ce qui est une entreprise inédite à ma connaissance. Il s’agissait d’accumuler de petites nota- tions pour construire à la fois une description renvoyant à l’Histoire (prisons et goulag) et d’accompagner cette description d’une intrigue collective. (Volodine : interview) Un souci de continuité dépasse donc les tercets qui, s’ils peuvent être compris de manière indépendante au niveau syntaxique, ne prennent sens que mis en rapport avec la totalité de l’ouvrage. Au sein du post-exotisme, cette stratégie n’est pas inhabituelle ; elle se retrouve en 2004 dans les Slogans de Maria Soudaïeva, un autre hétéronyme d’Antoine Volodine. Trois cent quarante-trois slogans se déploient dans trois parties intitulées « Programme minimum », « Programme maximum » et « Instructions aux combattantes ». L’ensemble fournit des instructions visant à organiser une lutte armée – des instructions difficiles à comprendre pour qui n’en a pas la clef. Là encore, c’est la récurrence des fragments qui finit par dessiner un paysage intelligible pour le lecteur.

Dans l’œuvre de Bassmann, la construction globale du recueil est renforcée par un phénomène plus resserré : les mises en série qui relient plusieurs poèmes entre eux.

Elles peuvent être disjointes (les pièces qui les composent ne se suivent pas), ou conjointes (constituées de tercets enchaînés). La série disjointe la plus étendue constitue l’ossature de « Prison ». En voici les premiers haïkus :

L’organisation s’est constituée on attend que les chefs surgissent pour les haïr (Bassmann : 9) L’organisation s’est constituée désormais quoi qu’il arrive

ce sera chacun pour soi (Bassmann : 12)

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La série est identifiable grâce à un premier vers récurrent, véritable leitmotiv qui rattache toutes les pièces de la séquence entre elles, alors qu’elles sont parfois éloignées de plusieurs pages. Ces retours rappellent les formules répétées de certains slogans de Soudaïeva. La genèse, l’évolution et la dissolution de l’organisation se produisent ainsi par bonds.

En parallèle, des séries conjointes renforcent l’impres- sion de récit dans Haïkus de prison : elles sont formées de poèmes enchaînés et décrivent le quotidien carcéral (la pluie, la mort d’un personnage, une panne d’électricité).

Au sein de la globalité, elles offrent une concentration plus forte. C’est le cas de la séquence qui ouvre « Transfert » et souligne un moment charnière : le changement de lieu, de la « Prison » à l’« Enfer » du camp (Bassmann : 39-41).

Elle relate l’entrée des prisonniers dans le train et l’attente du départ. Des retours de construction accentuent le lien entre les haïkus qui la composent :

Le premier qui monte dans le wagon a l’impression fugitive

qu’il est maître de son destin Le deuxième à entrer s’installe le plus loin possible du trou à pisse

Le dernier qui monte là-dedans regarde toujours on ne sait pourquoi

derrière son épaule (Bassmann : 39-40. Je souligne.) Loin d’être isolées, ces mises en série prolifèrent et témoignent de la relecture que Bassmann opère sur la forme : même s’il conserve le tercet, il tisse ses poèmes comme les fils d’une tapisserie cohérente qui raconte une histoire collective.

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L’ombre des barbelés en fleurs : impossibles saisons

Comme le suggère la quatrième de couverture, le monde du post-exotisme remet en question la considération esthétique des saisons : contempler les cerisiers est devenu utopique. Plus encore, c’est l’écoulement même du temps qui est en péril. Certes, Bassmann exploite plusieurs motifs qui peuvent évoquer le kigo, comme les oiseaux, la neige ou la lune que l’on contemple. Toutefois, chercher un modèle japonais à ces mentions me paraît aussi hasardeux que stérile, rien dans le travail de Bassmann ne suggérant une prise en compte d’un strict référent nippon. Ce qu’il faut examiner, c’est la relecture post-exotique de la saison- nalité, au sens le plus large. Cette question est au centre de plusieurs poèmes :

Le Japonais parle des cerisiers pourtant dehors

la neige tombe (Bassmann : 17)

Loin d’être réelle, la saison n’existe qu’à travers le discours, puisque ce sont les paroles du Japonais qui font advenir les cerisiers. La convocation habile de ce personnage permet, une fois n’est pas coutume, d’utiliser un kigo de printemps typiquement nippon qui n’apparaît qu’une seule fois dans le recueil. Un tel terme dans la bouche d’un locuteur japonais n’est pas anodin ; c’est un clin d’œil : en parlant, le Japonais crée les cerisiers… et le printemps. Mais quel printemps ? Tandis que le premier vers laisse planer le doute sur l’existence réelle de la saison (uniquement évoquée par les mots), le décalage entre discours (les cerisiers) et réalité (le dehors) s’accentue dans le deuxième vers, grâce à l’adverbe « pourtant ». La tension n’est résolue qu’au vers final : « la neige tombe ». Nous sommes donc en hiver, le printemps fleuri n’existe pas – si ce n’est à travers le langage.

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Plus que la nature, rythmée par les saisons, c’est l’environ- nement carcéral qui sert de mesure au temps. Le moment présent importe peu et l’hiver s’installe :

Ciel noir ciel très noir

hiver très noir (Bassmann : 77)

Aussi implacable que le ciel (compris à la fois dans sa dimension météorologique et spirituelle), l’hiver est la seule saison possible. C’est une constante qui, prise au piège dans une logique temporelle tournant en boucle, ne connaît pas de fin. Ainsi l’été demeure inaccessible – même pour celui qui s’évade :

L’éleveur est parti sans compagnon il n’aura pas assez de viande pour atteindre l’été (Bassmann : 86) Dans une sacoche de soldat les mains du détenu évadé

on va pouvoir clore l’affaire (Bassmann : 87)

Le recueil s’achève sur ce poème, après avoir évoqué les vaines tribulations de l’éleveur qui n’est pas parvenu à atteindre l’été. Cette conclusion souligne le décalage entre kigo, saisons et post-exotisme. Contaminé par l’atemporalité carcérale, le kigo mute et un nouvel haïku s’élabore autour de mots-clefs différents, propres au temps concentrationnaire :

Engelures corps épuisé souvent une semaine

sans lever la tête vers le ciel (Bassmann : 72. Je souligne.) Comme dans le muki haiku ou « haïku sans kigo », le mot de saison traditionnel n’est plus nécessaire (voir Kervern : 22-28). La saison post-exotique est-elle donc celle de

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la violence, dont de nouveaux kigo témoigneraient ? Cette question n’est, pour l’heure, qu’une intuition qui demanderait à être étayée.

La voix qui s’éraille : humour noir et non-sens D’un point de vue occidental, le kireji est sans doute la caractéristique la plus subtile du haïku japonais. Difficile à traduire, le mot de coupe est souvent rendu, dans ses effets, par la ponctuation ou la typographie. Rien de tel dans Haïkus de prison : non ponctués, les tercets sont mis en page avec une régularité monotone. Bassmann use en revanche d’effets de montage qui télescopent deux vers ou deux parties de vers, notamment grâce à la parataxe.

La rupture joue sur le choc que créent les différents niveaux de sens mis en présence. Ces procédés interviennent souvent entre les deux derniers vers, créant une sensation de suspens avant la chute. La méthode se double d’une dimension comique qui rappelle certains haïkus ou senryū japonais. Volodine parle d’un humour noir typiquement post- exotique – l’ humour du désastre :

J’associe depuis toujours le haïku à l’humour. Le sujet traité dans Haïkus de prison est atroce, il était nécessaire pour Bassmann d’adopter des mécanismes de défense et de distance et, comme souvent dans le post-exotisme, il a obtenu cela en pratiquant l’humour du désastre. (Volodine : interview)

Plusieurs haïkus jouent sur cette idée : Personne ne s’est inscrit à la chorale l’animateur

est anthropophage (Bassmann : 11)

À la première lecture, ce poème fait éclater de rire… ou grincer des dents. Pourquoi ? Tout commence par une description du quotidien : une chorale de prisonniers,

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étonnamment peu fréquentée. Le deuxième vers retient le sens en introduisant le personnage de l’animateur, désigné par sa seule fonction. La réussite du haïku se joue entre les deux derniers vers, qui télescopent deux réalités : celle du lecteur, dont l’attente a été conditionnée par le contexte (une chorale avec un animateur, une situation a priori sans danger dans le monde réel) ; et celle de la diégèse post-exotique (où un anthropophage peut sans problème endosser le rôle d’animateur). L’humour s’engouffre dans ce décalage qui pousse à relire pour mieux comprendre : l’animateur étant cannibale, il est logique que personne ne se soit inscrit pour chanter. Le lecteur est pris au dépourvu face à un monde dont le fonctionnement lui échappe. Mais ne nous y trompons pas : il est seul à rire, le danger étant bien réel pour les personnages post-exotiques… D’autres tercets optent pour un ton plus léger :

Pendant la nuit l’analphabète a oublié

la première lettre de son nom (Bassmann : 14)

L’absurdité de la situation provoque le rire : comment un analphabète (qui, par définition, ignore tout des lettres) peut-il oublier celles qui composent son nom ? Dans d’autres cas, humour noir et absurde se rejoignent :

Le Coréen expert en sabre s’est tailladé les poignets

avec une cuillère (Bassmann : 29)

Les deux premiers vers dessinent un lieu où les individus sont désignés par leur nationalité (le Coréen) et leurs aptitudes (« expert en sabre »). Le suicide y est une solu- tion acceptable pour échapper à l’enfermement. Pour le lecteur, tout laisse donc entendre que le Coréen possède les connaissances pour réaliser son projet et trouvera une arme.

Le troisième vers détruit cet horizon d’attente, puisque le

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candidat au suicide utilise… une cuillère, sans doute plus aisée à se procurer qu’un outil tranchant. Le premier sourire est suscité par l’incongruité du constat. Comment se taillader les veines avec une cuillère ? Le non-sens est absolu. Néanmoins, en revenant au début du poème, le lecteur s’interroge : le Coréen ne se serait-il pas quand même « tailladé les poignets », à force d’insister avec sa cuillère ? Ce questionnement morbide active l’humour noir, sans faire disparaître l’absurde. De quoi rions-nous, au final ? D’une tentative avortée de suicide ou d’un suicide avéré, réalisé dans l’énergie du désespoir ? Impossible de trancher – sans mauvais jeu de mots.

Pour le haïku post-exotique, la coupe est donc fonda- mentale. Afin de compenser l’absence de ponctuation ou de typographie particulières, Bassmann joue sur des décalages sémantiques qui soulignent la violence par l’humour. Et c’est peut-être cette transposition du kireji qui fait de Haïkus de prison un recueil si singulier – à la fois drôle et dérangeant.

Post-exotisme : quand le haïku mute

Pourquoi faire entrer le haïku au sein de la constella- tion post-exotique ? Pourquoi l’utiliser, à l’instar d’autres formes avérées (comme la byline 5) ou inventées (comme l’entrevoûte) ? Bassmann ne s’en empare pas par hasard.

Au contraire, il est suffisamment conscient des codes qui composent l’ADN de la forme pour les déjouer. Son geste consiste à transposer une esthétique appartenant à l’avant- prison : après être passé par le filtre obscur du xxe siècle en souffrance, le haïku devient autre chose. Ce qui existait avant le malheur doit être relu, car les guerres, les dictatures et les camps ont changé la donne. Il faut se rappeler ici le mot prononcé par Adorno : « Écrire un poème après

5. Du russe bylina, chant épique de la Russie médiévale.

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Auschwitz est barbare […]. » (Adorno : 23), et l’essai que Philippe Lacoue-Labarthe consacre à Paul Celan sous le titre La Poésie comme expérience. La poésie est-elle encore possible ? Le haïku post-exotique, dans tous les cas, prend acte de la violence du xxe siècle en entretenant un rapport parodique avec sa forme d’origine (Astruc : 163). Impossible d’être zen dans un goulag. Bassmann rejoint dès lors les poètes de haïkus qui disent les conflits, la souffrance ou la mort : par exemple, Julien Vocance (dans les tranchées en 14-18), les haïjins japonais emprisonnés entre 1929 et 1945 (qui dénoncent la militarisation de leur pays) (voir Mabesoone, 2017), ou ceux frappés par les catastrophes nucléaires contemporaines (témoins d’une situation écolo- gique intenable) (voir Collectif, 2012 et Collectif, 2015).

Jusqu’où cette brutalité contamine-t-elle le haïku ? Induit-elle une relecture de la forme brève, une refonte de ses caractéristiques et de ses thématiques ? Ces questions mériteraient d’être plus sérieusement abordées. Elles ne sont, pour l’heure, que des suppositions, aussi légères que les pétales du cerisier. Cette analyse en constitue, peut-être, les premiers balbutiements.

Bibliographie

Adorno, Theodor W., 1986 : Prismes. Critique de la culture et société, Paris, Payot.

Astruc, Rémi, 2016 : « Poésie de Lutz Bassmann », in Soulès, Dominique (dir.), 2016 : Antoine Volodine et la constellation

« post-exotique », Villeneuve-d’Ascq, Université Charles-de-Gaulle- Lille 3, p. 157-166.

Bassmann, Lutz, 2008 : Haïkus de prison, Lagrasse, Verdier.

Blyth, Reginald Horace, 1949-1952 : Haiku, 4 vol. Tokyo, Hokuseido Press.

—, 2017 : Haïku vol. 1 : La culture orientale, trad. par Daniel Py, Saint-Chéron, Unicité.

[Collectif], 2012 : Après Fukushima, Villeurbanne, Golias. Recueil de haïkus du cercle Seegan.

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[Collectif], 2015 : Trente haïjins contre le nucléaire. Recueil de haïku franco-japonais, coord. Mabesoone Seegan, Paris, Pippa.

Detue, Frédérik (dir.) [et al.], 2013 : Volodine, etc. : post- exotisme, poétique, politique (Colloque de Cerisy), Paris, Classiques Garnier.

Interview d’Antoine Volodine dans le cadre d’un séminaire de master donné par Muriel Détrie (Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle).

Document transmis par Muriel Détrie.

Kervern, Alain, 2010 : Pourquoi les non Japonais écrivent-ils des haïkus ?, Rennes, La Part commune.

Lacoue-Labarthe, Philippe, 1986 : La Poésie comme expérience, Paris, Bourgois.

Mabesoone, Seegan, 2017 : Haïkus de la résistance japonaise (1929-1945), Paris, Pippa.

Ruffel, Lionel, 2007 : Volodine post-exotique, Nantes, C. Defaut.

Soudaïeva, Maria, 2004 : Slogans, Paris, L’Olivier.

Soulès, Dominique (dir.), 2016 : Antoine Volodine et la constellation

« post-exotique », Villeneuve-d’Ascq, Université Charles-de-Gaulle- Lille 3.

Tranströmer, Thomas, 2001 [1959] : Fängelse. Nio Haikudikter från Hällby Ungdomsfängelse, Uppsala, Edda.

Vocance, Julien, mai 1916 : « Cent visions de guerre », La Grande Revue, vol. 90, p. 424-435.

Volodine, Antoine, 2002 : « Écrire en français une littérature étran- gère », Chaoïd, automne-hiver 2002, n° 6, p. 52-58.

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