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Objet et statut possibles d’une linguistique diachronique

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Academic year: 2022

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Objet et statut possibles d'une linguistique diachronique

BRONCKART, Jean-Paul

BRONCKART, Jean-Paul. Objet et statut possibles d'une linguistique diachronique. In: Bruno, M.W., Chiricò, D., Cimatti, F., Cosenza, G., De Marco, A., Fadda, E., Lo Feudo, G., Mazzeo, M.

& Stancati, C. Linguistica e filosofia del linguaggio. Studi in onore di Daniele Gambarara . Milano : Mimesis Edizioni, 2018. p. 87-97

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:129371

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36,00 euro

ISBN 978-88-5754-798-5

Mimesis Edizioni

Semiotica e filosofia del linguaggio Collana diretta da Felice Cimatti e Claudia Stancati www.mimesisedizioni.it

MIMESIS

La vita scientifico-accademica di Daniele Gambarara coincide in gran parte con quella dell’Università della Calabria, in cui arrivò nel 1974, a poca distanza dalla fondazione. Da allora, non ha mai lasciato l’Unical. Questo non significa che si sia votato all’isolamento: la cifra del suo lavoro è esattamente opposta. Il compito che egli si è assegnato in tutti questi anni è stato quello di porre l’Università della Calabria (e il gruppo che attorno a lui negli anni si è formato – rappresentato dai curatori di questo volume) al centro di una rete che non si limita ai contatti più stretti, e nemmeno alla variegata galassia demauriana, ma si apre al dialogo, alla collaborazione e allo scambio con le realtà più diverse. Di questo dialogo, che dura da più di quarant’anni, il libro è una testimonianza e un rilancio.

Iimmagine di copertina: Bruno La Vergata

PER DANIELE GAMBARARA LINGUISTICA E FILOSOFIA DEL LINGUAGGIO

MIMESIS / SEMIOTICA E FILOSOFIA DEL LINGUAGGIO

LINGUISTICA E FILOSOFIA DEL LINGUAGGIO

STUDI IN ONORE DI DANIELE GAMBARARA

9 788857 547985

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LINGUISTICA E FILOSOFIA DEL LINGUAGGIO

Studi in onore di Daniele Gambarara

a cura di

M. W. Bruno, D. Chiricò, F. Cimatti, G. Cosenza, A. De Marco, E. Fadda, G. Lo Feudo, M. Mazzeo, C. Stancati

MIMESIS

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MIMESIS EDIZIONI (Milano – Udine) www.mimesisedizioni.it

mimesis@mimesisedizioni.it

Collana: Semiotica e filosofia del linguaggio, n. 20 Isbn: 9788857547985

© 2018 – MIM EDIZIONI SRL Via Monfalcone, 17/19 – 20099 Sesto San Giovanni (MI)

Phone: +39 02 24861657 / 24416383

Volume pubblicato con un contributo del Dipartimento di Studi Umanistici dell’Università della Calabria

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INDICE

Perdiscutereancorainsiemea daniele 11

Pubblicazionidi daniele Gambarara 13

ilseGnozero, saussure, ballyeGlialtri (Gauthiote Jakobson).

unanota

Federico Albano Leoni 33 attualitàdelmetodostorico-Genetico

Francesco Aqueci 47 lanozionediabitudinenelleriflessionilinGuistiche

di ferdinandde saussure

Grazia Basile 57 saussureet Proustfaceauxeffetsdu temPs:

quandles « intermittencesducœur » éclairentlévolution

deladéclinaisonlatine

Marie-José Béguelin 71 obJetetstatutPossiblesdunelinGuistiquediachronique

Jean-Paul Bronckart 87 Polemosefiction. iltestoasocialedi roland barthes

Marcello Walter Bruno 99 lanaturePraxéoloGiquedulanGaGe: aPPortsd’euGenio coseriu Ecaterina Bulea Bronckart 111 fascistimalGradonoi. tuttacolPadellalinGua?

Donata Chiricò 125

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dentrolalinGua, sottolaloGica. storiaefortunadelconcetto

disubloGica

Lorenzo Cigana 133 ilbrusiodellalinGua. saussure (chomsky) e lacan

Felice Cimatti 149 dalla bibliotecadi saussurealla saladiricerca tullio de mauro:

leoPerediconsultazionetrateoriaePraticascientifica

Giuseppe Cosenza 159 i seGnalidiscorsivinelcontattolinGuistico: ilcasodiallora

Anna De Marco 173 ilParlantecomeuomototale

Marina De Palo 185

«Sīmantini, dichiSeilaSpoSa

Giuseppe D’Ottavi 199 sentimento, Prassie Prodotto sociale. résumédiunateoria

delleistituzioni (Post-)saussuriana

Emanuele Fadda 213

«lorsquelonParledefautequeveut-ondirePar

Claire A. Forel 225 kantelaquestionedelcontenutonon-concettualenella

criticadellafacoltàdelGiudizio

Luca Forgione 237 creativitàeoriGinidellasemiosiumana

David Gargani 251 a ProPositodizoosemiotica: liniziodellastoria

Stefano Gensini 263 ferdinandde saussure (elafilosofiadellinGuaGGio)

altemPodelweb 3.0

Elisabetta Gola 283

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from saussureto rask: the curious traJectoryof louis hJelmslev John E. Joseph 295 selenunciatorenonParla. notesullanozioneducrotiana

di «Puntodivista»

Francesco La Mantia 307 realeevirtualetraPercezioneecomunicazione. alcunebrevi

considerazioni

Giorgio Lo Feudo 321 direlindicibile. dante, wittGenstein, lucrezio

Franco Lo Piparo 331 brevenotasultermineelanozionedisimboloin saussure

Giovanni Manetti 335 ancorasulladatazionedi Phonétique

Maria Pia Marchese 355

“GiuraiconlalinGua, nonconlamente”: iPPolitoeilPirata

Marco Mazzeo 363 PrinciPiodicooPerazione, razionalitàarGomentativa, felicità

Marco Mazzone 375 ProblemimetodoloGicinellafiloloGiasaussuriana.

l’aPPortodelleraPPresentazionisemantichedellinformazione

Francesca Murano 387 bioloGiadelfalso. cateGoriePerlostudiodellaviralità

nellinGuaGGioPolitico

Raffaella Petrilli 397 semioloGiasaussurianaesemioticadellatraduzione

Susan Petrilli 415 lalinGuisticadi saussurePrimadeisuoicorsidilinGuistica

Generale. Gli écritsdelinGuistiqueGénérale

Augusto Ponzio 429

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questionidiforma

Massimo Prampolini 437 alleoriGinidellafilosofiadellinGuaGGio: unaProsPettivaeterodossa

Mauro Serra 447 laPluPartdeslinGuistesfontdelaPhiloloGie: lecasitalien

Claudia Stancati 459 sullaletturaelascrittura: ciòche benvenistehalettoin saussure,

eciòchenonhaletto

Pierre-Yves Testenoire 475

«l’inconscientsaussurien». a ProPosdunedissolutionbilatérale

Anne-Gaëlle Toutain 491 ilcramPoaGostinianosultemPosecondo wittGenstein

Sebastiano Vecchio 503 l’oGGettodiunanuovascienza: condizioniePistemoloGiche

della linGuisticaeducativa

Massimo Vedovelli 511 letriomPhedustructuralismeetletriomPhedu cours

delinGuistiqueGénéraleen urss danslesannées 1950-1960

Ekaterina Velmezova 525 cartesioeilPriGioniero

Paolo Virno 535

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ronckart*1

OBJET ET STATUT POSSIBLES D’UNE LINGUISTIQUE DIACHRONIQUE

Dans sa présentation de l’édition des notes prises par Constantin au troisième cours de linguistique générale de Saussure, Daniele Gambarara a reconstitué le programme et le déroulement effectif de cet enseignement particulièrement « décousu », et mis en évidence le caractère explosif des leçons données de la mi-mai au début juillet 1911. Au cours de celles-ci, Saussure a en effet introduit diverses propositions neuves et fondamentales, ayant trait au statut et à la structure des signes, au caractère systémique de la langue et au rôle fondamental de la temporalité, en même temps qu’il a simplifié sa présentation de problématiques traitées de manière riche et profonde dans ses notes et cours antérieurs (c’est le cas des rapports entre langue et parole/discours – cf. Bronckart, 2018), et en même temps que, par l’introduction de nouveaux arguments et de nouvelles notions, il a réouvert d’anciens chantiers… qui par la force des choses sont demeurés en friche.

Une de ces thématiques à la fois enrichies et laissées en suspens a trait aux changements phonétiques et analogiques, ou au statut et à la possibilité d’une linguistique diachronique, ou encore aux rapports entre langue statique et langue évolutive.

Le 19 mai, Saussure […] montre alors le paradoxe qui relie “immutabilité et mutabilité du signe”, et il indique ainsi la place primordiale qui revient au facteur Temps dans l’ordre des principes théoriques, et, partant, expose la seconde bifurcation, entre linguistique statique et linguistique historique. Il emprunte la voie de la linguistique statique. […] Dans le feu d’artifice sur lequel le IIIe Cours se termine, sans se conclure, reviennent et se transforment des questions qui poursuivent Saussure et l’ont fait désespérer dès les premières années de sa réflexion.

Ainsi, le dernier jour du cours, le 4 juillet, il doit remarquer en terminant […] qu’il n’a traité qu’une partie du programme : les principes généraux de la linguistique synchronique. Il manque encore l’application de détail, mais aussi la linguistique de la parole et toute la linguistique évolutive… (Gambarara, 2005, p. 34)

* Université de Genève, Jean-Paul.Bronckart@unige.ch

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88 Linguistica e filosofia del linguaggio

Dans la phrase conclusive de son texte de présentation, Gambarara relevait que Saussure avait « dessiné en silhouette » des lieux théoriques qu’il nous invitait à construire, et c’est une ébauche de reconstruction de la problématique diachronique que nous présenterons dans ce qui suit, en nous permettant de redistribuer ou de réarticuler, aux plans logique et chronologique, des matériaux analytiques qui, eux, sont et demeurent intégralement saussuriens.

1. Un point de départ : le permanent mouvement des langues

Dans le cadre de ses Conférences de 1891, Saussure a insisté sur le fait que toute langue se caractérise par la continuité de son déploiement au cours du temps. Prenant l’exemple du français et du latin, il admet certes qu’il s’agit là de deux états de langue bien différents, mais il relève que le passage du premier au second s’est effectué de manière progressive, sans la moindre solution de continuité, et il souligne sur la base de ce type d’exemple que les langues ne sont jamais en repos, mais témoignent au contraire d’un mouvement constant :

Nous arrivons ainsi au second principe, de valeur universelle comme le premier […]: c’est le point de vue du mouvement de la langue dans le temps, mais d’un mouvement qui à aucun moment, car tout est là, n’arrive à être en conflit avec le premier principe de l’unité de la langue dans le temps. Il y a transformation, et toujours et encore transformation, mais il n’y a nulle part reproduction ou production d’un être linguistique nouveau, ayant une existence distincte de ce qui l’a précédé et de ce qui suivra. (Ecrits de linguistique générale, 2002 [désormais ELG], p. 157)

Dans ces mêmes Conférences et dans diverses notes, Saussure a procédé à un examen des processus générant ce mouvement permanent des langues, en reprenant et modifiant à la fois les analyses émanant de la linguistique historique et portant sur les changements phonétiques et analogiques. Dans ses analyses propres, il a confirmé que les changements phonétiques sont généraux et réguliers, mais il a aussi souligné que ces processus échappent à la conscience des sujets parlants et ne concernent que le niveau des figures vocales : ce type de processus « représente le côté physiologique et physique de la parole », il est « inconscient », et il relève d’« opérations purement mécaniques, c’est-à-dire où on ne peut découvrir ni but ni intention ». Quant aux changements analogiques, Saussure leur a attribué trois propriétés, s’opposant terme à terme à celles du changement

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J.-P. Bronckart - Objet et statut possibles d’une linguistique diachronique 89

phonétique : ce type de changement « répond au côté psychologique et mental [de l’acte de parole], il est « conscient » et il repose sur « des opérations intelligentes, où il est possible de découvrir un but et un sens » (ivi, pp. 159-160). Puis plus tard, dans le Cours I notamment, il a insisté sur le caractère créatif de ce processus: « <Une forme analogique est une forme créée à l’image d’une autre […] C’est une création librement faite par l’esprit d’abord et par la langue ensuite> » (Cours I, in Komatsu &Wolf, 1996 [désormais Cours I], p. 56).

Dans les parties du corpus saussurien que nous venons de convoquer, Saussure ne s’est pas prononcé sur la place qu’il convenait d’attribuer aux processus de changement dans le cadre d’une linguistique générale et il n’y a pas abordé non plus la problématique de la distinction entre linguistique synchronique et linguistique diachronique. Mais dans d’autres parties du corpus ces questions ont fait l’objet de divers traitements, que l’on peut organiser en trois étapes: – la discussion des rapports entre événements et états langagiers entreprise dans des notes de la décennie 1890 et dans le Cours I ; – l’analyse des composants et des lois des champs synchronique et diachronique, effectuée dans le Cours II ; – le réexamen du statut des deux sous-disciplines concernées, ébauché dans les dernières leçons du Cours III.

2. Status et motus : des événements et des états en linguistique

Dans ses notes Status et motus Saussure a d’abord posé que tous les faits de langue relèvent soit de l’événement, soit de l’état, et il a relevé la tendance des savants à s’intéresser surtout aux événements (plus saillants) et à négliger ce faisant les états. Selon lui, si cette centration sur les événements peut se justifier dans certaines sciences, elle est inacceptable en linguistique pour deux raisons. Tout d’abord parce que c’est au seul niveau des états que se manifestent les significations qui sont ce par quoi une langue vit réellement ou existe : « […] dans la langue c’est aux états, et à ceux-ci seuls, qu’appartient le pouvoir de signifier » (ELG, p. 226).

Ensuite parce que c’est à ce même plan des états que sont observables les relations d’interdépendance entre formes caractérisant l’organisation de toute langue [toute opération attestable dans une langue « porte sur la diversité ou sur le rapport des formes simultanées » (ivi, p. 189)], et donc, plus profondément, parce que l’identité de ces formes dépend entièrement de leur environnement à une époque donnée : « Le présent d’une forme est dans les formes qui l’entourent de moment en moment (choses qui sont hors d’elles) et qui ne dépendent pas d’elle » (ivi, p. 232).

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90 Linguistica e filosofia del linguaggio

Dans les réflexions dont témoignent ces notes, Saussure s’est placé à un niveau de généralité supérieur à celui caractérisant les analyses des deux types de changement évoquées sous 1. Pour lui désormais les changements analogiques relèvent de l’ordre du statique, alors que dans les changements phonétiques, si le phénomène initial d’altération des sons relève de l’événement, les processus subséquents de réorganisation syntagmatique relèvent de l’ordre du statique.1 Et cette distinction événement-état a ouvert de nouvelles perspectives théoriques, évoquées d’abord dans le Cours I.

Dès l’introduction du troisième point du programme de ce cours, intitulé linguistique, l’enseignant a annoncé que cette discipline pouvait se déployer dans deux directions distinctes :

[…] deux portes s’ouvrent sur la langue : 1. <(côté statique)> il y a le côté de la langue où chacun est chez lui, dont il a le sens immédiat, le contrôle ; c’est tout ce qui compose un état de langue […]

2. Il y a le côté où l’instinct ne sert de rien et dont beaucoup n’ont même pas le soupçon : tout le côté historique de la langue, tout ce qui est dans le passé <est forcé d’>échapper à notre sens linguistique immédiat, il faut l’apprendre. (Cours I, p. 27) Saussure a ainsi soutenu que la linguistique peut, soit aborder la langue dans sa dimension statique (dont les sujets parlants peuvent avoir la connaissance et le contrôle), soit saisir la langue dans sa dimension historique (que les sujets ne peuvent connaître, si ce n’est au prix d’un apprentissage). Et dans les Conclusions et remarques complémentaires du même Cours, pour désigner les champs d’analyse correspondant aux saisies de la langue respectivement événementielle et statique, il a introduit le concept nouveau2 de diachronie, s’opposant à celui de synchronie:

Le grand domaine des évolutions linguistiques n’est pas très bien nommé quand on l’appelle l’histoire de la langue. Il n’est pas mauvais d’adopter un mot nouveau qui soit tout à fait clair : il vaut mieux dire : ce qui est diachronique dans la langue (= les états de langue successifs considérés les uns en face des autres) et ce qui est synchronique (= les faits de langue donnés quand on s’enferme dans un seul état). (ivi, p. 102)

1 Cette analyse des changements analogiques fait apparaître à quel point l’acception saussurienne du terme de « statique » a souvent été mal comprise ; cet adjectif n’est nullement porteur de la connotation « inerte » ou « figé », mais s’applique au contraire à des états de langue en tant que lieux de mise en œuvre des processus dynamiques d’organisation et de réorganisation.

2 Ce concept avait cependant été utilisé dans une note antérieure :

« Diachroniquement la question : est-ce le même mot ? signifie uniquement : est- ce le même aposème ? » Mais pas du tout synchroniquement » (ELG, p. 108).

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3. Les propriétés des champs de la synchronie et de la diachronie Dans l’Introduction au Cours II, Saussure a repris la distinction amorcée dans le Cours I et s’est efforcé de qualifier les faits et les lois observables dans les champs synchroniques et diachronique (le premier au pluriel, le second au singulier). Et dans cet exposé, il a corrigé sa définition antérieure de la diachronie (cf. la citation précédente) : les états ne sont pas concernés par ce champ et ce serait donc une erreur de croire que la démarche diachronique consiste à analyser et à comparer des états successifs d’une

“même” langue :

Les objets quelconques dont on peut s’occuper forment donc deux champs : le ou les champs synchroniques (car il y en a autant qu’on peut distinguer d’époques), le champ diachronique. Ce n’est pas se mouvoir dans le diachronique que d’étudier l’un après l’autre plusieurs états d’un idiome.

(Introduction au Cours II, 1957, p. 74)

Dans la suite de ce cours, Saussure a procédé à l’analyse des propriétés des deux types de phénomènes se déployant dans ces champs et a identifié cinq axes par lesquels ils se distinguent. Le premier a trait à la mobilité: l’ordre synchronique se caractérise par l’équilibre des valeurs des signes observables à une époque donnée, et l’ordre diachronique par le mouvement dont peuvent témoigner ces mêmes valeurs quand on les saisit au travers des époques. Le deuxième axe concerne les modalités d’organisation : les faits synchroniques sont organisés en système, alors que les faits diachroniques, s’ils engendrent en permanence des modifications de cette organisation, ne forment néanmoins pas système.

Le troisième axe a trait à l’unicité-diversité des langues impliquées dans les deux champs ; en synchronie on s’adresse à une seule et même langue à un moment donné de son évolution, alors qu’en diachronie, on examine des faits relevant de langues différentes. Le quatrième axe concerne le principe justifiant les découpes des états successifs d’une langue. Si ces états doivent être délimités, c’est parce qu’ils le sont de fait par les sujets parlants, qui ne vivent que la forme actuelle de leur idiome ; c’est donc la perspective des sujets parlants qui fonde l’état et justifie la méthode synchronique :

Dans l’ordre synchronique, il n’y a qu’une variété et qu’une méthode possibles. Cette perspective du grammairien, du linguiste, a pour étalon, pour prototype la perspective des sujets parlants, et il n’y a pas d’autre méthode que de se demander quelle est l’impression des sujets parlants. (ivi, p. 75)

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92 Linguistica e filosofia del linguaggio

Dans le champ diachronique par contre, les faits de langue ne sont pas vécus par les sujets parlants et c’est le linguiste qui les établit dans sa démarche de connaissance rétrospective. Le dernier axe concerne enfin le statut des entités linguistiques impliquées dans les deux champs.

L’approche synchronique prend en considération des termes qui coexistent dans un système et y ont nécessairement une valeur propre, alors que dans l’approche diachronique, on examine des termes relevant de langues ou d’états de langues successifs, et on pose entre eux un rapport d’identité fondé sur l’analyse rétrospective ; les faits ici considérés sont donc des termes successifs considérés comme identiques.

En prolongement de cette analyse, Saussure s’est demandé si les deux types de processus relevaient de lois, c’est-à-dire témoignaient de régularité et avaient un caractère impératif (ou nécessaire). Selon lui, au plan synchronique, les « arrangements d’objets » sont suffisamment stables pour que leur soit attribué le statut de lois ; mais si elles sont « impératives » pour les individus singuliers, ces lois demeurent « précaires » pour la communauté parlante, parce que cette dernière ne dispose d’aucun moyen de s’opposer à leur perturbation ou leur annulation :

[La loi synchronique] n’a pas de caractère impératif; elle a un caractère impératif dans ce sens que les individus ne peuvent s’en écarter, mais vis-à-vis de la communauté, c’est absolument précaire; rien n’en garantit la stabilité, cet ordre est à la merci du lendemain. (ivi, p. 72)

Sur le plan diachronique, Saussure considère que les changements morphologiques et syntaxiques ne sont pas organisés en lois, dans la mesure où, même s’ils paraissent réguliers, cette régularité ne caractérise pas l’événement perturbateur initial mais la réorganisation du système qui s’en suit nécessairement. Quant aux changements phonétiques, il considère qu’ils satisfont pleinement aux deux critères de régularité et de force impérative et relèvent donc pleinement de la loi, mais il ajoute que dans la mesure où elles ne portent que sur les aposèmes (ou des figures vocales) et non sur les signes dotés signification, ces lois ne sont pas d’ordre linguistique.

4. Le Cours III : synchronie et diachronie au regard d’une linguistique de la langue

Dans les leçons du Cours III consacrées à « La langue », Saussure a abordé l’opposition langue-parole et les propriétés du signe linguistique, puis a réorganisé son programme en intercalant deux chapitres centrés sur

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le « facteur Temps » et ses effets sur les faits de langue : le premier intitulé L’immutabilité et la mutabilité du signe, le second La linguistique statique et la linguistique historique. Dualité de la linguistique. Cette réorganisation visait manifestement à intégrer, dans le nouveau cadre conceptuel en cours d’élaboration, les résultats de l’analyse des champs synchronique et diachronique opérée au Cours II, ce qui a débouché sur une réévaluation du statut de ces champs et sur une discussion des conditions de possibilité d’une linguistique diachronique.

Dans le chapitre Immutabilité et mutabilité, l’enseignant a repris d’abord la problématique du caractère à la fois impératif et non impératif des faits synchroniques. Saisissant ces derniers en tant qu’ils impliquent des signes, il a soutenu que leur caractère non impératif découle de l’arbitraire de la relation signifiant-signifié, ce qui l’a conduit à modifier sa position du Cours II selon laquelle ces faits ont un caractère impératif pour les sujets parlants et un caractère précaire pour la communauté. L’opposition « impératif / non impératif » se situe désormais au sein du même du phénomène linguistique ; c’est le signe, parce qu’il est arbitraire, qui a un caractère de liberté (théorique), et c’est la langue, parce qu’elle est imposée, qui a un caractère de contrainte (réelle) :

Nous avons vu :> Par rapport à l’idée qu’il représente, le signifiant <(signe)>, quel qu’il soit est arbitraire, apparaît comme librement choisi, pouvant être remplacé par un autre (table pouvant s’appeler sable ou inversement). Par rapport à la société humaine qui est appelée à l’employer, le s[igne] n’est pas libre mais imposé, sans que cette masse sociale soit consultée, et comme s’il ne pouvait pas être remplacé par un autre. (Constantin, Cours III, p. 238)

Le chapitre consacré à la dualité de la linguistique débute par une argumentation centrée sur l’importance du rôle joué par le « facteur Temps » dans les faits langagiers, et partant sur la nécessité, pour la linguistique, d’une prise en considération spécifique de ce facteur.

Dans les autres sciences ce facteur est parfois pris en compte, mais sans que cela entraine la constitution de deux sous-disciplines distinctes.

En linguistique par contre, la distinction de deux sous-disciplines est impérative dans la mesure où, les signes étant arbitraires, leur valeur ne peut être établie qu’en tenant compte des signes cooccurrents dans un état donné du système de la langue.

Quand on arrive au troisième degré, où valeur est arbitrairement fixable, comme sémiologie <la> nécessité de distinguer les deux axes atteint son maximum. (Cours III, in Engler, 1968, p. 178)

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94 Linguistica e filosofia del linguaggio

Cette argumentation s’est conclue par une reconceptualisation du statut des démarches diachronique et synchronique : la première a comme objets des entités successives, dynamiques, des forces en mouvement qui ne peuvent être saisies que dans la perspective rétrospective du linguiste ; la seconde s’adresse à des entités simultanées, statiques, à des forces en équilibre qui doivent être saisies dans la perspective du sujet parlant.

Dans la suite de ce chapitre, Saussure a traité des rapports qu’entretiennent faits de diachronie et de synchronie et a démontré d’abord que les faits statiques constituent le résultat de plusieurs événements diachroniques successifs, mais que néanmoins ces événements déclencheurs et leur résultat sont d’ordres radicalement différents : les faits diachroniques causaux ne sont nullement finalisés et génèrent des perturbations aléatoires, alors que les faits synchroniques constituent des réactions du système de la langue à ces perturbations, qui tiennent compte de la configuration d’autres signes dans l’état actuel de ce système. Et c’est pour faire comprendre cette relation à la fois d’interdépendance et d’autonomie entre ces deux ordres de faits que l’enseignant a filé d’abord la métaphore célèbre du jeu d’échecs, a invoqué ensuite la figure du croisement de rapports horizontaux (synchroniques) et verticaux (diachroniques) et finalement le schéma du fait synchronique comme résultat de la projection (optique) d’éléments diachroniques.

En un troisième temps de son analyse, Saussure s’est centré sur la question du rapport entre les oppositions synchronie/diachronie et langue/parole ; il a soutenu que les faits diachroniques sont causés par la parole et qu’ils relèvent donc de cette dernière (ce sont des « ballons d’essais » émanant des individus), et il a laissé entendre qu’au contraire les faits synchroniques relèvent de la langue en ce qu’ils résultent de l’acceptation, par la collectivité, d’une proposition-parole formulée en diachronie. Outre qu’elle a fait l’objet d’une présentation très “rapide”, cette mise en rapport s’avère problématique sous deux aspects au moins.

D’un côté, elle n’est guère compatible avec les analyses antérieures de l’auteur ayant trait aux changements analogiques, qui soulignaient que ces transformations impliquent un raisonnement sur l’état du système et concernent donc nécessairement la langue. D’un autre côté, dans la mesure où, dans les leçons précédentes, il avait considéré que le plan de la parole était secondaire et de peu d’importance, poser que les faits diachroniques relèvent de ce plan est manifestement en contradiction avec son argumentation du début de ce chapitre sur l’importance capitale du « facteur Temps ».

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J.-P. Bronckart - Objet et statut possibles d’une linguistique diachronique 95

5. Ce que pourrait être la part diachronique d’une linguistique générale Saussure ne pouvait pas ne pas être conscient des difficultés que nous venons d’évoquer, et il a tenté d’y trouver des solutions en introduisant cette ultime dualité que constitue le couple « langue statique - langue évolutive ».

L’expression de langue évolutive semble s’adresser à cette entité dynamique et insécable que l’auteur avait longuement commentée dans ses Conférences de 1891, alors que l’expression de langue statique s’adresse clairement aux entités découpées dans le flux de la langue évolutive et accessibles à la conscience des sujets parlants d’une communauté donnée. L’étude de cette langue statique viserait à établir, en principe pour tous les idiomes, des tableaux décrivant et organisant les faits attestables dans leurs phases historiques successives, pour dégager ensuite des propriétés et des modes d’organisation généraux éventuellement codifiables en lois ; l’étude de la langue évolutive viserait à recenser l’ensemble des faits de transformation ayant caractérisé l’histoire un idiome donné, à les comparer aux mêmes types de faits dans d’autres idiomes, pour identifier et conceptualiser des processus dynamiques généraux. L’objet et le statut respectifs de la linguistique synchronique et de la linguistique diachronique paraissent de ce fait clarifiés : la première traite de la langue statique, la seconde de la langue évolutive. Ce que confirment les définitions formelles que l’auteur propose des deux disciplines :

La linguistique statique s’occupera de rapports logiques et psychologiques

<entre termes> coexistants <tels qu’ils sont> aperçus par la même conscience collective (dont du reste une conscience individuelle peut donner l’image — chacun de nous a en soi la langue) et formant un système.

Maintenant la linguistique évolutive s’occupera de rapports entre termes successifs se remplaçant les uns les autres, non soumis à une même conscience et ne formant pas entre eux de système. (Constantin, Cours III, p. 271)

En dépit de son intérêt, cette ultime proposition ne gomme pas l’ensemble des difficultés de l’approche saussurienne en ce domaine, en particulier celles concernant le statut des faits à traiter dans la démarche diachronique. Dans une partie antérieure de ce Cours III, Saussure avait posé que la diachronie aborde des faits de parole et la synchronie des faits de langue, mais dans sa conclusion, la parole ayant été mise hors jeu, les deux démarches son présentées comme s’adressant l’une et l’autre à la langue (évolutive pour la première, statique pour la seconde) !

Cette indécidabilité du statut des faits diachroniques tient en réalité aux problèmes que pose l’identification d’identités lorsqu’on aborde les faits langagiers “par-dessus” les états de langue:

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96 Linguistica e filosofia del linguaggio

A tout moment nous nous trouvons placés devant une sorte d’identité que M.

de Saussure définit : identité à travers le temps ; et on peut même proposer un terme : diachronique (traversant le temps) ; c’est celle par laquelle nous disons que sevrer, c’est separare. Sur quoi repose exactement cette identité ? C’est de quoi doit s’occuper une partie de la linguistique. […]. Il est mystérieux le lien de cette identité diachronique qui fait que deux mots ont changé complètement et qu’on en affirme cependant l’identité. (Introduction au Cours II, selon la transcription de Mejía, 1998, p. 175)

En évoquant ce caractère « mystérieux » des identités diachroniques, Saussure a introduit aussi une importante considération: si l’on peut affirmer l’identité de deux termes différents relevant d’époques éloignées, c’est qu’il existe un lien qui le justifie, lien qui se situe en amont de cette affirmation (« le lien au nom duquel nous affirmons l’identité ») et lien qui existe donc indépendamment du fait que le linguiste l’identifie ou non.

Ceci implique que la linguistique diachronique ne peut relever, comme affirmé dans le Cours III, de la seule perspective du linguiste. Les sujets parlants en effet n’ont pas seulement conscience des faits relevant de la langue qu’ils pratiquent, mais ils peuvent aussi prendre conscience de faits issus de langues autres, et les mettre en rapport avec ceux de leur idiome propre. Sur cette base, il conviendrait de considérer que, alors que dans la démarche synchronique le linguiste se place dans la perspective des rapports qu’entretiennent les sujets à leur propre langue, dans la perspective diachronique il se place dans celle des rapports que peuvent poser ces mêmes sujets entre les entités de leur langue et celles d’autres états de langue (des états antérieurs de leur idiome, aussi bien que des états quelconques d’idiomes autres).

Sur la base de ce qui précède, il paraît possible de donner à la démarche diachronique une place claire au sein de la linguistique générale.

Cette démarche ne peut certes s’adresser aux faits de changements phonétiques purs, dus à l’« irraison » du signe et auxquels aucune démarche scientifique ne peut être appliquée, mais elle peut et doit par contre s’adresser aux faits de changements analogiques parce que ceux- ci impliquent de fait une réelle analyse de l’état du système. Dans la mesure où, comme le démontrent de nombreux exemples saussuriens, les processus analogiques se déploient surtout dans la dimension linéaire de la langue et s’appliquent à des faits morphologiques et/ou syntaxiques, la linguistique diachronique a nécessairement comme objet certains des processus sous-tendant ces faits grammaticaux.

Il résulte de cette réévaluation que, dès lors que les faits phonétiques peuvent être renvoyés à la discipline éponyme, la linguistique diachronique

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J.-P. Bronckart - Objet et statut possibles d’une linguistique diachronique 97

s’adresse bien à la langue, et exclusivement à la langue, mais à la langue dans sa modalité d’existence qualifiée d’évolutive à la fin du Cours III qui est apparemment cette langue « dynamique » évoquée dans les Conférences ou encore cette « langue discursive » mentionnée dans quelques notes éparses.

Bibliographie

Bronckart J.-P., Du coût du COURS III… et du CLG. A propos de la langue, de la parole et du discours, a c. di D. Gambarara, F. Reboul, Le Cours de Linguisti- que Générale, 1916-2016. Le Devenir, Publication électronique, 2018.

Constantin E., Linguistique générale. Cours de M. le professeur F. de Saussure, in Cahiers Ferdinand de Saussure, 58, 2005, pp. 71-289.

Engler R., F. de Saussure. Cours de linguistique générale, Otto Harrassowitz, Wie- sbaden 1968.

Gambarara D., Un texte original. Présentation des textes de F. de Saussure, in Cahiers Ferdinand de Saussure, 58, 2005, pp. 29-42.

Godel, R., Cours de linguistique générale (1908-1909). Introduction (d’après des notes d’étudiants), in Cahiers Ferdinand de Saussure, 15, 1957, pp. 3-103.

Komatsu E., Wolf, G., Premier cours de linguistique générale (1907) d’après les cahiers d’Albert Riedlinger, Pergamon, Oxford/Tokyo 1996.

Mejía C., La linguistique diachronique : le projet saussurien, Droz, Genève 1998.

Saussure F. (de), Ecrits de linguistique générale, Gallimard, Paris 2002.

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Finito di stampare nel mese di marzo 2018 da Digital Team – Fano (PU)

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36,00 euro

ISBN 978-88-5754-798-5

Mimesis Edizioni

Semiotica e filosofia del linguaggio Collana diretta da Felice Cimatti e Claudia Stancati www.mimesisedizioni.it

MIMESIS

La vita scientifico-accademica di Daniele Gambarara coincide in gran parte con quella dell’Università della Calabria, in cui arrivò nel 1974, a poca distanza dalla fondazione. Da allora, non ha mai lasciato l’Unical. Questo non significa che si sia votato all’isolamento: la cifra del suo lavoro è esattamente opposta. Il compito che egli si è assegnato in tutti questi anni è stato quello di porre l’Università della Calabria (e il gruppo che attorno a lui negli anni si è formato – rappresentato dai curatori di questo volume) al centro di una rete che non si limita ai contatti più stretti, e nemmeno alla variegata galassia demauriana, ma si apre al dialogo, alla collaborazione e allo scambio con le realtà più diverse. Di questo dialogo, che dura da più di quarant’anni, il libro è una testimonianza e un rilancio.

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PER DANIELE GAMBARARA LINGUISTICA E FILOSOFIA DEL LINGUAGGIO

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