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"Police exacte, justice humaine", ou la police au temps du réformisme pénal
CICCHINI, Marco
Abstract
Article prévu pour un lectorat grand public, ce texte montre la relation entre le développement des forces de police et la réforme de la justice pénale au temps des Lumières
CICCHINI, Marco. "Police exacte, justice humaine", ou la police au temps du réformisme pénal.
Passé simple
, 2015, vol. 4, p. 10-11
Available at:
http://archive-ouverte.unige.ch/unige:91561
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DOSSIER: LA RÉFORME PÉNALE AU TEMPS DES LUMIÈRES
<<POLICE EXACTE, JUSTICE
HUMAINE>> OU LA POLICE AU TEMPS DU RÉFORMISME PÉNAL
l'évolution de la justice criminelle transforme le rôle et l'organisation des polices européennes. Dans l'espace helvétique, le cas de Genève est exemplaire.
elon le philosophe Michel Foucault, la police «moderne» est «une invention du
XVIII<
siècle et de la monarchie administrative». Comme le montrent de nombreux travaux récents, il est vrai que les appareils de police se transforment partout en Europe au temps des Lumières, avant la césure de la Révolution française. Mais le renouvellement des pratiques et des institu- tions n'est pas une exclusivité monarchique.Le renforcement des missions sécuritaires de la police s'inscrit dans un horizon d'attente qui s'affranchit de tel ou tel régime politique.
Les causes de la nouvelle donne policière sont multiples: rationalisation du contrôle éta- tique, besoin de sécurité qui croise l'exigence de liberté individuelle, réaction aux «patholo- gies» urbaines croissantes (mobilités des indi- vidus, désaffiliations sociales etc.). Un facteur tout aussi déterminant pour l'avènement de la «police moderne» mérite d'être souligné: la réforme pénale. Du
XVI<
auXVIIIe
siècles, la police est conçue essentiellement sur le modèle pastoral. De même que les Églises chrétiennes ont pour mission de conduire leurs membres à la vie éternelle, la policedoit assurer le repos et la douceur de la vie quotidienne, mener les humains au bonheur terrestre. A cette fin, les responsables des po- lices urbaines, généralement dépourvues d'un véritable personnel spécialisé, multiplient les dispositions normatives (ordonnances, règlements) sur tous les domaines: mœurs, voirie, santé, approvisionnement, sécurité, économie, travail, assistance ... Telle cette or- donnance de police genevoise qui, en janvier 1789, menace d'amende et de prison qui- conque s'aventurerait à traverser le lac gelé.
Au cours du XVIIIe siècle, le rôle pastoral de la police s'estompe sans jamais disparaître.
Les fonctions sécuritaires et judiciaires s' af- firment. Les problèmes de «SÛreté» (vol prin- cipalement) occupent une plus grande place dans les priorités gouvernementales, dans les capitales comme Londres (les Bow Street Runners des frères Fielding dès 1754) et Paris (inspecteurs et bureau de sûreté dès 1750 environ) ou dans des villes moyennes comme Genève. Dans cette Cité-État républicaine d'environ 25'000 personnes en 1760, les transformations policières, progressives, tou-
À gauche: au cours du XVIII' siècle, aurorités et cours de justice recourent plus systématiquement aux avis de recherche. Im- primés, les signalements de criminels s'épaississent de rubriques toujours plus précises. Sont indiqués le nom, l'âge et la profes- sion, ainsi que les signes particuliers de la personne recherchée: origine, des- cription physique et mo- rale, vêtements, mœurs, etc. Signalement de l'abbé Lajin, 1779, Archives d'État de Genève.
À droite: Joseph Michel Antoine Servan, Discours mr l'administration de la justice criminelle, Genève
[Grenoble], 1767. Avocat général au Parlement de Grenoble, Joseph Michel Antoine Servan (1737-1807) prononce le 16 novembre 1766 son célèbre discours sur la modération de la justice pénale qu'il lie étroite- ment, dans le sillage du projet beccarien, à l'action vigilante du magistrat.
Il réclame dans le même mouvement la rapidité de l'instruction criminelle, l'abolition des supplices, la salubrité des prisons et un usage très modéré de la peine ca pi tale.
S 1 G· NA LEME N~' -T-· DISCOURS
DB
M. L~ A B B É L A F I N.
L'Abbé Lafin fait le metier de peintre en mignature; il parle très· mat li:
jrllnJoÎs, médiocrement l'italien; il eft grand gefticulateur, petit de taille, maigre fans e:-çcès, le teint livide, chauve, les yeux, le$ fourcils, les cheveux noirs, les /evres un peu groffes en dehors, un peu vot1té d'épaules , le ne'{ ordinaire, mais un peu applati , les genoux m dedans ; il portait habituellement au doigt une bague d'un toptrze entre deux petits diamants d'une
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àpeu près tous les renfeigncments qu'on peut donner de
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S U R L'ADMINISTRATION
DE LA JUSTICE
CRIMINELLE, P R o N n N c É F"' AI•· S • • •
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A CENEYE M. DCC. LXVII.
chent aussi bien les humains que les techni- ques. Dès le mitan du siècle, les militaires de la garnison permanente (720 hommes) sont régulièrement affectés aux tâches de police, en principe réservées à la magistrature. Quant aux magistrats -les six auditeurs du Tribunal du lieutenant-, ils recourent plus systéma- tiquement à des agents subalternes (huissiers non armés) mieux payés, plus autonomes: ils sont les «yeux» de la police. Lusage des si- gnalements de justiciables- instruments de l'identification des personnes- se généralise tout comme l'éclairage urbain. Le numéro- tage des maisons, à des fins policières, appa- raît à Genève en 1782. I.:essor de ces outils du travail policier répond au sentiment de vulnérabilité de la population qui jouit dé- sormais d'une certaine aisance, alors que la lecture du jeu social est brouillée par les flux migratoires et que les interconnaissances cita- dines sont fragilisées. A l'échelle européenne, il fait aussi écho aux exigences de vigilance qu'agitent les réformateurs du droit criminel.
Cheval de bataille du réformisme judi- ciaire, la modération des peines prônée par les philosophes, les magistrats ou les publicistes s'adosse à l'idéal d'un appareil de justice œuvrant avec «plus d'exactitude que de rigueur» selon le discours du procu- reur général genevois Jean-Robert Tronchin publié en 17 61 dans le journal helvétique.
Avec une formule similaire, bientôt reprise partout, Cesare Beccaria prône en 1764 la même équation pénale: moins «la rigueur des supplices» que la «certitude de la puni- tion». Exactitude, certitude: la justice doit pouvoir compter sur un magistrat vigilant, sur une surveillance de tous les instants. N'y a-t-il pas le risque de voir se développer une
«dangereuse inquisition», comme s'en in- quiète Joseph Michel Antoine Servan, en écho notamment aux pratiques policières intrusives dont Paris est coutumière? Dans les premiers mois de la Révolution française, l'Assemblée constituante met à l'ordre du jour la séparation fonctionnelle de la justice et de la police. En décembre 1789, dans un discours intitulé Principes fondamentaux de la police et de la justice, Adrien Duport formule les exigences du droit pénal moderne. Repre- nant le credo beccarien de prévention géné- rale (les hommes sont «plutôt retenus par la
certitude de la punition que par l'intensité de la peine»), il délimite et articule police et justice: «police exacte, sans inquisition, justice humaine et publique, peines douces mais inévitables; voilà le système des pays li- bres». C'est sans doute encore aujourd'hui un programme ambitieux pour l'État de droit. • Marco Cicchini Pour en savoir davantage:
Marco Cicchini, La police de la République.
L'ordre public à Genève au XVIII' siècle, Rennes, 2012.
Michel Porret, Marco Cicchini, Vincent Fontana, Ludovic Maugué et Sonia Vernhes Rappaz, La chaîne du pénal Crimes et châti- ments dans la République de Genève sous l'An- cien Régime, Chêne-Bourg, 2010.
PASSÉ SIMPLE
À la suite de la prise de la Bastille, le 14 juillet 1789, les archives du Lieutenam général de police de Paris sont pillées et de nom- breuses pièces policières au parfum de scandale sont rendues publiques.
Pierre Manuel, La Police de Paris dévoilée, Paris, Chez]. B. Garnery, 2 vol, 1791, Frontispice.
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