• Aucun résultat trouvé

Des indicateurs pour gouverner la qualité hospitalière. Sociogenèse d’une rationalisation en douceur

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Des indicateurs pour gouverner la qualité hospitalière. Sociogenèse d’une rationalisation en douceur"

Copied!
27
0
0

Texte intégral

(1)

HAL Id: hal-02188042

https://hal-sciencespo.archives-ouvertes.fr/hal-02188042

Submitted on 18 Jul 2019

HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers.

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés.

Des indicateurs pour gouverner la qualité hospitalière.

Sociogenèse d’une rationalisation en douceur

Hugo Bertillot

To cite this version:

Hugo Bertillot. Des indicateurs pour gouverner la qualité hospitalière. Sociogenèse d’une rationalisa- tion en douceur. Sociologie du Travail, Association pour le développement de la sociologie du travail, 2016, 58 (3), pp.227 - 252. �10.4000/sdt.1133�. �hal-02188042�

(2)

Sociologie du travail 58 (2016) 227–252

Prix du jeune auteur 2015

Des indicateurs pour gouverner la qualité hospitalière.

Sociogenèse d’une rationalisation en douceur

GoverningHospitalQualitythroughIndicators:TheSociogenesisofa“Soft Rationalization”

Hugo Bertillot

École des Hautes Études en Santé Publique (EHESP) et Centre de sociologie des organisations (CSO), UMR 7116 CNRS et Sciences Po, 19, rue Amélie, 75007 Paris, France

Disponible sur Internet le 29 juillet 2016

Résumé

Le secteur hospitalier franc¸ais est affecté par de multiples réformes prétendant optimiser sa gestion.

Dans l’ombre du déploiement de nouveaux instruments de tarification inspirés des logiques duNew Public Management, des dispositifs d’évaluation de la qualité des soins sont discrètement généralisés, parmi lesquels des indicateurs censés évaluer la qualité hospitalière. Nourris de savoirs diversifiés, équivoques dans leurs usages, ces indicateurs sont suffisamment plastiques pour ne pas brusquer les professionnels de santé.

Ils n’en constituent pas moins une technologie normative robuste, déployée à grande échelle, qui s’est imposée en profondeur dans la régulation hospitalière. Cet article retrace la sociogenèse de ces indicateurs de qualité sur une vingtaine d’années. L’idée que les hôpitaux doivent rendre des comptes en matière de qualité a émergé comme un motif d’action publique à la fin des années 1990, dans un contexte marqué par les infections nosocomiales, la mobilisation de patients et les palmarès hospitaliers des médias. Dans les années 2000, experts et régulateurs ont dû inventer une réponse acceptable à ces pressions en faveur de l’« auditabilité », sous la forme d’une instrumentation aux caractéristiques singulières. Notre analyse de la sociogenèse discrète, prudente et incrémentale des indicateurs de qualité montre comment une entreprise de rationalisation gestionnaire a pu s’épanouiren douceurdans la régulation d’un secteur à dominante professionnelle.

Mots clés : Action publique ; Santé ; Hôpital ; Indicateurs ; Quantification ; Auditabilité ; Rationalisation

Adresse e-mail : hugo.bertillot@gmail.com http://dx.doi.org/10.1016/j.soctra.2016.06.010

(3)

228 H. Bertillot / Sociologie du travail 58 (2016) 227–252

Abstract

Many reforms claiming to optimise hospital management have been introduced into the French healthcare system. In the shadow of highly visible and much criticised reforms, such as new health service pricing instruments inspired by New Public Management principles, another process is quietly taking place, through the implementation of various institutional devices to evaluate quality of care. These “quality indicators”

arebasedonmanagerialaswellasprofessionalcriteria.Constructedasa“soft”assessmentmechanism, they nevertheless constitute a robust auditing technique, which has been carefully but widely disseminated to hospitalsthroughoutthehealthcaresector.Thisarticleretracesthesociogenesisofqualityindicatorsoverthe last two decades. The idea of hospital accountability first emerged in the late 1990s, in a context characterised bynosocomialinfections,patientactivismandmedia-basedhospitalrankings.Inthe2000s,expertsand hospital regulators had to come up with an acceptable response to external pressure for accountability, which shapedthesingularcharacteristicsoftheseinstruments.Wearguethatthroughoutthisdiscreetprocessof sociogenesis, quality indicators allowed French regulatory institutions to take a softly-softly approach to the rationalisation of hospital activities, while buffering conflicts with health professionals.

Keywords: Public Policy; Health Care; Hospitals; Indicators; Quantification; Auditability; Rationalization

Depuis plusieurs décennies, le secteur hospitalier franc¸ais est affecté par des réformes pré- tendant optimiser son organisation et sa régulation (Moisdon, 2000;Pierru, 2007), faisant de ce secteur un véritable laboratoire des démarches de rationalisation gestionnaire. Parallèlement au déploiement à forte visibilité d’instruments de tarification inspirés des logiques duNew Public Management(Belorgey, 2010), des dispositifs d’évaluation de la qualité des soins ont été discrè- tement généralisés par les pouvoirs publics depuis la fin des années 1990 (Robelet, 2002), parmi lesquels des indicateurs de qualité censés mesurer la qualité des prises en charge. Austères et techniquement complexes, les indicateurs de qualité évaluent la structuration des établissements dans la lutte contre les infections nosocomiales, la trac¸abilité des activités médicales et paramédi- cales dans le dossier patient, ou encore la conformité des pratiques aux normes professionnelles et bureaucratiques. Ces dispositifs sont censés informer les patients, doter les gestionnaires et les professionnels d’outils pour améliorer la qualité des soins et rationaliser la régulation du sec- teur. Ils sont de plus en plus utilisés pour comparer les établissements et afficher publiquement l’évaluation des prises en charge. Leurs usages en termes de contractualisation et de tarifica- tion hospitalière sont en train de s’imposer. Aujourd’hui tenus pour acquis à l’échelle du secteur hospitalier, ces indicateurs de qualité sont loin d’être neutres : leurs critères d’évaluation corres- pondent à des choix techniques et politiques ; leurs usages sociaux sont le fruit de mobilisations, de négociations et de glissements institutionnels progressifs.

Cet article retrace la genèse de l’action publique par les indicateurs de qualité depuis une vingtaine d’années. L’étude de cette dynamique a d’autant plus d’intérêt qu’elle prend place dans un secteur où la capacité d’une rationalisation « industrielle » à s’imposer est loin d’aller de soi (Gadrey, 1994), en raison de l’autonomie traditionnellement forte de la profession médicale (Hassenteufel, 1997) et des formes d’organisation particulières qui caractérisent les bureau- craties professionnelles (Mintzberg, 1982). Or, les auteurs qui ont étudié les transformations induites par les instruments d’évaluation à l’hôpital soulignent surtout leur caractère contrai- gnant et hétéronome : leNew Public Managementmet l’hôpital « sous pression » (Belorgey, 2010), voire « en réanimation » (Mas et al., 2011), en incarnant le « modèle néolibéral » qui se

(4)

H. Bertillot / Sociologie du travail 58 (2016) 227–252 229

déploie dans les politiques publiques hospitalières (Pierru, 2013). En cela, ils rejoignent, plus généralement, les travaux qui expliquent la propagation de la forme gestionnaire par l’action volontariste d’un État réformateur (Le Galès et Scott, 2008), la diffusion d’un nouvel « esprit gestionnaire » (Ogien, 1995), emprunt des logiques du secteur privé, vers toutes les sphères de l’activité sociale. En analysant de manière stimulante la propagation transversale de nouvelles formes de calculabilité, de prévisibilité et de commensurabilité, ces travaux ont tendance à mettre en avant des mécanismes généraux, linéaires et spontanés, parfois désincarnés et brutaux, qui laissent dans l’ombre les mécanismes d’émergence et de diffusion différenciés selon les contextes institutionnels et les configurations sectorielles. Leur répondent des travaux qui accordent plus d’intérêt aux contingences, et saisissent les rationalisations gestionnaires comme l’agencement de mécanismes locaux dépendant des situations étudiées (Crozier et Friedberg, 1977;Segrestin, 1997;Castel et Merle, 2002). L’attention salutaire alors accordée aux différences contextuelles, aux jeux organisationnels et aux mécanismes concrets de propagation peut toutefois avoir pour conséquence de diluer la « charge propre » des instruments d’évaluation dans les jeux de pou- voir qui marquent inexorablement leur élaboration et leur déploiement. Dans cet article, nous voudrions contribuer à la compréhension des mécanismes par lesquels de telles entreprises de rationalisation gestionnaire peuvent s’épanouir dans des univers à dominante professionnelle, à la lumière de l’étude empirique fouillée de la sociogenèse des indicateurs de qualité à l’hôpital (voir l’Encadré 1).

L’idée que nous défendons ici est la suivante : une démarche de rationalisation peut s’imposer dans un secteur qui lui est hostile en prenant formeen douceur. En effet, saisir les grandes étapes de l’invention-conception-institutionnalisation des indicateurs de qualité conduit à retracer la trajectoire d’une entreprise collective, hésitante et négociée, qui aboutit néanmoins au déploiement étatique massif d’instruments normatifs porteurs de discipline. En d’autres termes, la douceur

— entendue ici comme la recherche incrémentale du compromis, la discrétion institutionnelle et la dilution des tensions dans des ambiguïtés instrumentales — constitue un mode opératoire puissant quoique méconnu de la rationalisation gestionnaire. Pour comprendre comment ce processus a pu s’épanouir, il faut saisir qu’il a été déployé dans l’ombre de l’introduction d’instruments de tarification à l’activité (T2A) sur lesquels se sont largement focalisées les mobilisations sociales du secteur hospitalier. D’autre part, il faut admettre que cette histoire n’est pas seulement celle de l’« instrumentation » (Lascoumes et Le Galès, 2004) déployée dans les années 2000. L’action publique par les indicateurs de qualité repose sur un ensemble composite d’acteurs sociaux, de techniques et de raisonnements, qui se mettent en mouvement dès la fin des années 1990, autour d’une idée : celle que l’hôpital doit être « auditable » (Power, 2005) en matière de qualité.

C’est pourquoi cette trajectoire institutionnelle se laisse mieux saisir comme celle d’un « motif cognitif », « composition de parties, intégrant des éléments cognitifs, sociaux et matériels, dont l’organisation plus ou moins réussie produit des effets de conviction », des « systèmes socialement organisés de bonnes raisons » (Benamouzig, 2005, pp. 11–12), c’est-à-dire comme des « éléments cognitifs composites dont les formes objectives consistent en un assemblage variant selon les usages » (Benamouzig, 2014, p. 109). Sujets aux variations, les motifs n’en sont pas moins dotés d’une force propre, résidant dans les formes, les savoirs, ou la matérialité qui les composent, susceptibles de leur conférer une certaine autonomie dans l’action par rapport aux différents usages sociaux dont ils font l’objet. Retracer la sociogenèse de cette entreprise de rationalisation revient à suivre le fil rouge des compositions et recompositions du motif cognitif en faveur de l’« auditabilité » des hôpitaux. Pour ce faire, nous montrons d’abord comment l’auditabilité des hôpitaux s’impose comme un motif d’action publique dans la seconde moitié des années 1990 (section1), puis comment les indicateurs de qualité sont prudemment institutionnalisés dans les

(5)

230 H. Bertillot / Sociologie du travail 58 (2016) 227–252

Encadré 1 : Méthodologie d’enquête

Cet article est issu d’une thèse consacrée aux processus de transformation que les indicateurs de qualité induisent dans le secteur hospitalier (Bertillot, 2014). Ancrée dans la sociologie de l’action organisée (Musselin, 2005), l’approche méthodologique mobilisée prend au sérieux la dimension instru- mentale (Lascoumes et Le Galès, 2004) et cognitive (Benamouzig, 2005) de ces indicateurs. La thèse saisit cette action publique depuis sa genèse institution- nelle, dont il est question dans cet article, jusqu’à son déploiement dans les établissements, qui ne sera pas abordé ici.

Plus précisément, l’article s’appuie sur deux corpus de données empiriques, constitués de manière parallèle :

• Une cinquantaine d’entretiens réalisés entre 2009 et 2012 auprès des acteurs institutionnels qui ont participé au développement de ces indicateurs en France : acteurs du ministère de la Santé et de la Haute Autorité de Santé (HAS), chercheurs en gestion et en santé publique développant les indi- cateurs, représentants des fédérations hospitalières, des sociétés savantes d’anesthésie-réanimation, des structures régionales mobilisées sur la qua- lité, journalistes à l’origine des palmarès hospitaliers, représentants des usagers. Ces divers acteurs ont été interrogés sur la place qu’ils ont tenue dans l’histoire des indicateurs de qualité en France ainsi que sur la manière dont ces instruments ont vu le jour et se sont imposés au fil du temps.

• L’analyse bibliographique d’un corpus de 170 sources écrites retrac¸ant le déploiement des indicateurs de qualité en France entre 1997 et 2012 : rap- ports institutionnels, articles dans des revues scientifiques, publications dans des revues professionnelles. Ces documents ont permis d’identifier les acteurs et les institutions pertinents, de retracer les débats autour de la quantification, d’objectiver le contenu technique et cognitif de ces indica- teurs.

Les propos recueillis lors des entretiens ont été croisés avec les informations révélées par les sources écrites, de manière à restituer aussi fidèlement que possible la trajectoire institutionnelle de cette action publique par les indica- teurs.

années 2000 (section2), avant d’analyser les caractéristiques techniques et cognitives qui font d’eux une douce technologie de gouvernement (section3).

1. Les hôpitaux doivent rendre des comptes : émergence d’un motif d’action publique Le premier moment de cette histoire prend place entre le milieu des années 1990 et le début des années 2000, à une époque où ni les « instruments » ni la « politique » qu’ils équipent ne sont encore formulés comme tels. C’est alors une idée, au contenu incertain et composite, qui émerge comme un problème public : les hôpitaux doivent rendre des comptes sur la qualité de leurs

(6)

H. Bertillot / Sociologie du travail 58 (2016) 227–252 231

prises en charge, et l’État se doit d’y veiller1. Durant cette période séminale, les principes et les premiers outils sont progressivement explorés et travaillés par un petit nombre d’entrepreneurs de la mesure ; le motif cognitif en faveur de l’auditabilité de la qualité à l’hôpital connaît ses premières compositions. Son émergence se joue pour partie dans des mobilisations sociales sur la scène publique, et pour partie dans des espaces d’expertise plus confinés.

1.1. Des mobilisations en faveur de l’«auditabilité»

La fin des années 1990 est marquée par des mobilisations en faveur de l’idée que les hôpitaux devraient rendre compte publiquement de la qualité de leurs prises en charge. Deux mouvements convergent pour faire de cette question un véritable problème public.

Le premier se déploie dans l’espace médiatique, à travers l’émergence d’un nouveau genre journalistique : les palmarès des hôpitaux publiés dans la presse constituent une première forme de mesure publique qui échappe à l’État2. Dès 1992, le magazine50 millions de consommateurs publie un premier palmarès des services d’urgence. En 1997, le magazine Sciences et Avenir publie à son tour une liste noire des hôpitaux puis, un an plus tard, un palmarès des hôpitaux3. Les premiers classements sont le fruit d’un trio de journalistes qui, inspirés par les premiers classements publiés aux États-Unis, se spécialisent progressivement sur cette question lors de leur circulation entre ces différents titres de la presse. Dans la manière dont ils traitent des questions hospitalières, ces « pionniers » entreprennent de sortir d’une approche en termes de faits divers pour mettre en cause le corporatisme médical, le manque de sécurité à l’hôpital, et l’incapacité des pouvoirs publics à réformer le système de santé.

« À chaque fois, c’était une histoire d’accident de chasse, quoi. [...] “La mortalité regret- table” à l’hôpital, ou “la mort sur ordonnance”...Enfin, il n’y avait absolument rien sur le fonctionnement, sur l’efficience, et surtout pas de vision globale des établissements et du système » (Journaliste auPoint, entretien collectif, 2010).

Les journalistes parviennent à accéder à des bases de données médico-administratives alors méconnues hors des institutions, qu’ils utilisent pour équiper les palmarès en données plus sys- tématiques que celles recueillies grâce au questionnaire qu’ils envoient aux établissements. Pour ce faire, ils saisissent à plusieurs reprises la commission d’accès aux documents administratifs (CADA) et parviennent à accéder aux documents issus des commissions d’examen des budgets hospitaliers (CEBH) de l’Assurance Maladie, à la statistique annuelle des établissements de santé (SAE) produite par le ministère de la Santé et, surtout, au programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI) qui permet de mesurer l’activité hospitalière4.

1Parmi les nombreux travaux consacrés à la construction des problèmes publics, nous souscrivons aux approches dégagées d’une vision trop séquentielle ou centrée sur la dimension publique des problèmes pour saisir « les processus sociaux qui contribuent à construire ou à solidifier une définition [...] de ce qui apparaît comme un problème [...], sa solution et le processus qui va conduire à son traitement » (Gilbert et Henry, 2009, p. 21). Nous nous montrons attentifs à la dimension cognitive de ces processus, qui impliquent notamment des activités de cadrage (Goffman, 1974;Snow et al., 1986) et des « opérations de construction et de reconstruction symboliques » (Padioleau, 1982, p. 26).

2Pour des analyses plus détaillées de ces palmarès et de leurs conditions de production, voirPierru, 2004.

3Succès commerciaux majeurs, les palmarès seront appelés à se multiplier et se banaliser. Depuis 1997, une cinquantaine de classements hospitaliers ont été produits dans la presse régionale ou nationale.

4Les sigles mobilisés dans l’article sont tous déployés à leur première apparition ; toutefois, vu leur nombre, on en retrouvera également la liste alphabétique dans l’Annexe 3.

(7)

232 H. Bertillot / Sociologie du travail 58 (2016) 227–252

Ce « détournement » a un effet de cadrage important sur les publications : ces données conduisent les journalistes à établir des palmarès de la « performance » indexés sur les volumes d’activité hospitalière, à partir desquels il s’agit de déduire les « meilleurs » ou les « pires » établissements, sans que le critère général soit parfaitement explicité : s’agit-il de la performance, de la qualité ou de la sécurité des soins ? Ces classements constituent néanmoins une première forme de mesure de la qualité à caractère public, construite à partir de mesures concrètes. Les journalistes utilisent un certain nombre d’« indicateurs » : le volume d’activité par type d’actes des services de chirurgie doit permettre d’évaluer l’entraînement en routine des praticiens ; le taux de mortalité après certaines opérations chirurgicales ne conduisant normalement pas à une issue fatale est utilisé pour estimer la sécurité des soins ; le taux de césariennes des services de mater- nité, pris comme indicateur d’une mauvaise organisation, est mobilisé pour évaluer la qualité des prises en charge. Ainsi, les journalistes procèdent à un premier cadrage du problème : ils traitent d’emblée la question en termes de transparence de l’information. Leur entreprise est loin de passer inaperc¸ue : les palmarès suscitent des dénonciations d’autant plus vives que les indicateurs à partir desquels ils sont construits sont contestés par les professionnels de santé5. En somme, en inventant des classements qui échappent à l’État, les journalistes désignent l’absence de mesure officielle comme un problème visible ; ils étiquettent également un ensemble de « responsables » à l’origine de ce problème : le monde hospitalier et ses régulateurs, accusés de collusion et de conservatisme.

Le deuxième mouvement qui fait de l’absence de mesure officielle de la qualité un problème public se structure autour du combat de patients mobilisés dans la lutte contre les infections noso- comiales. Dans un contexte sanitaire encore bouleversé par l’irruption du sida6, l’affaire de la Clinique du sport éclate sur la scène médiatique en septembre 1997, soit presque une décennie après les premières contaminations de patients de cet établissement parisien lors d’opérations pratiquées dans des conditions de stérilisation insuffisantes7. L’affaire émerge d’abord comme un combat personnel : celui de l’une des personnes contaminées, Béatrice Ceretti, et de son mari, Michel-Alain Ceretti, pour rendre public le calvaire et l’errance médicale de la victime suite à sa contamination au cours d’une opération bénigne, qui l’a peu à peu paralysée. En véritable lanceur d’alerte, le couple va s’appuyer sur la presse pour faire passer les infections nosocomiales « de la sphère médicale vers la sphère politique » (Carricaburu, 2009). Le couple n’a de cesse que de dénoncer « l’incompétence des “spécialistes”, le cynisme froid des responsables de la Clinique du sport, l’impéritie des pouvoirs publics mais aussi l’aveuglement de tous ceux qui n’ont pas su voir sa douleur et n’ont pas cru en sa souffrance » (Ceretti, 2004, quatrième page de couver- ture). Ce combat de deux personnes devient progressivement un véritable mouvement social, à travers la création d’une association de représentation des victimes, nommée « le Lien » (lutte, information et études sur les infections nosocomiales). Tout en publicisant la dimension morale du scandale, l’association milite pour obtenir une juste indemnisation des victimes de la Clinique du sport8, avant d’élargir son combat à la représentation de l’ensemble des victimes d’infections

5 Suite à la publication de 1992, par exemple, 72 procès sont intentés au magazine50 millions de consommateurs, qui accorde une cinquantaine de pages aux droits de réponse des services d’urgences se déclarant lésés (Pierru, 2004).

6 Dès les années 1980, les « malades » se sont mis « en mouvement » en se constituant en associations et en mouvements sociaux (Barbot, 2002). Ils ont commencé à bousculer l’organisation du monde sanitaire, exigeant un droit de regard sur sa régulation et une meilleure prise en compte des patients.

7 Au cours de ces années, une soixantaine de patients ont été contaminés par lexenopi, bactérie dangereuse pour les os.

Pour des analyses plus détaillées de cette affaire et de ses conséquences politiques, voirCarricaburu, 2009.

8 Elle intente notamment une action en justice à l’encontre des praticiens de la clinique, qui sera couronnée de succès de longues années plus tard. En mars 2010, deux des trois praticiens poursuivis sont reconnus coupables d’avoir dissimulé les premières infections aux patients, et condamnés à des peines de prison ferme.

(8)

H. Bertillot / Sociologie du travail 58 (2016) 227–252 233

nosocomiales en France. À la fin des années 1990, elle critique fortement l’opacité du système de surveillance des infections nosocomiales, accusé de rassembler au sein du comité technique des infections nosocomiales (CTIN) des producteurs de risques professionnels également chargés de gérer et d’évaluer ces risques. L’association porte alors une stratégie de « déconfinement » de la question des infections nosocomiales, bien relayée dans les médias (Carricaburu, 2009).

À partir de 1999, le Lien milite pour la création d’un système d’information transparent, contrôlé par l’État, visant à mesurer les « résultats » des établissements relativement à leurs taux d’infections nosocomiales, permettant d’établir des comparaisons rendues publiques. Si les professionnels de l’hygiène en charge du dispositif de surveillance sont d’abord réticents, les responsables politiques se montrent sensibles aux arguments et aux objectifs du Lien, d’autant plus qu’ils sont portés par la personnalité charismatique de M.-A. Ceretti qui, loin de rester dans une stratégie de pure opposition, noue des contacts au plus haut niveau de l’administration et se montre prêt à coopérer avec les institutions sanitaires qui engageraient la démarche. Le Lien fait rapidement de cette idée d’un « palmarès d’État » une revendication essentielle de son combat.

Il contribue ainsi à spécifier le problème public, en le dotant d’une revendication centrale : la mesure des infections nosocomiales pour sensibiliser les professionnels et informer les patients.

1.2. Les prémisses d’une mesure d’État

Ces mobilisations sociales en faveur de l’auditabilité des hôpitaux rencontrent un troisième mouvement, inscrit dans le monde plus confiné de l’expertise médico-économique née sous l’égide de l’administration et notamment du ministère de la Santé. D’un côté, il apparaît que les respon- sables politiques et administratifs ont « licité » l’émergence du problème qui nous intéresse dans les années 1990, en rendant à la fois pensables et faisables les palmarès hospitaliers : les journa- listes ont bénéficié de la complicité de certains acteurs institutionnels, et de l’existence des bases de données médico-administratives (Pierru, 2004). D’une fac¸on similaire, le combat du Lien trouve prise sur les pouvoirs publics parce qu’il bouscule tout un travail institutionnel préexistant autour de la question de la sécurité des soins et de l’hygiène hospitalière, qui a émergé dès les années 1960 autour des premières résistances bactériennes, avant de donner lieu à un investissement croissant des pouvoirs publics9. D’un autre côté, l’État se trouve, en retour, fortement « sollicité » par la convergence des palmarès et de la mobilisation du Lien. Bousculés chacun à leur niveau, les différents acteurs concernés ne restent pas passifs face à leur mise en cause : ils se mettent en quête de premières formes de mesure de la qualité.

Un petit nombre d’épidémiologistes, d’économistes de la santé, de médecins en santé publique et de chercheurs en sciences de gestion ont participé activement à l’élaboration du PMSI sous l’égide de l’administration de la santé au cours des années 198010. Ils constituent dans la seconde moitié des années 1990 les principaux experts franc¸ais des bases de données médico-administratives. Dans le cadre de leurs activités, ils se sont familiarisés avec les enjeux liés à la mesure des activités hospitalières et aux usages possibles de ce type de données ; ils ont

9Toute une politique de surveillance des infections nosocomiales s’est développée au cours des années 1990 (Carricaburu, 2009). Coordonnée par l’Institut de veille sanitaire (InVS), cette politique consiste à mettre en place un système d’information à l’échelle nationale, dans le but d’évaluer les infections nosocomiales, de suivre leur évolution d’année en année, afin de porter une amélioration des pratiques susceptible de réduire leur fréquence.

10Ces experts sont notamment réunis au sein du groupe IMAGE (information médicale pour l’aide à la gestion des établissements), rattaché à l’École nationale de santé publique (ENSP), qui est chargé de produire des connaissances théoriques et pratiques sur les différents usages possibles du PMSI.

(9)

234 H.Bertillot/Sociologiedutravail58(2016)227–252

étudiélessystèmesd’informationétrangersetsesontconnectésauxexpertsinternationauxde cesquestions.Certainsdecesexpertsréagissentauxpalmarèsenfaisantémergerunecontroverse méthodologique lourde d’enjeux politiques.Dès 1999,la revue LaRecherche leur offreune tribune, sous la forme de trois articles réunisdans un dossier intitulé : « faut-il classer les hôpitaux?»(Naiditchetal.,1999).Souslaformed’unecritiquequiseveut«scientifiquement fondée» et«constructive»despalmarèsdelapresse,cedossierafficheunpointdevueclair dès le titre de l’introduction : « publier de très discutables indicateursde performance n’est pas le meilleur moyend’accompagner la transformation du système de soins ». Les experts remettentencausela«scientificité»desclassementsdesmédias,toutenaffirmantlanécessité demieuxpartagerl’informationaveclepublicetderechercherdavantagela«confiance»des professionnelsévaluésquelapublicationbrutaledeclassements.

Certainsdecesexpertsperc¸oiventl’émergenced’uneattentenouvelleenmatièredemesures publiquesdelaqualitéhospitalière.Avecl’avaldequelquesresponsablesinstitutionnelssensibili- sésàlaquestion,ilsentreprennentdeconstruirelesprémissesd’unemesurepubliquesusceptible d’êtreàlafois«scientifiquementvalidée»et«acceptable»parlesprofessionnelsdelasanté.

Deux cadragesdifférents dece typedemesures commencentàcette époqueàêtre travaillés.

Unpremiergroupedetravailsurlesperformanceshospitalièresestconstituésousl’égidedela directiondelarecherche,del’évaluation,desétudesetdesstatistiques(DREES)duministèrede laSanté.PrésidéparPierreLombrail,professeurdesuniversitésensantépublique,ils’approprie lesréflexionsthéoriquessurlaperformancemenéesauQuébec,dansuneapprochequiseveut ouverte,multidimensionnelleetsensibleauxusagesprofessionnelsdel’évaluation,maisquine produitpasdenouveauxindicateursimmédiatementutilisables.Unsecondprojetderecherche se constitueaumêmemoment sousl’égide del’Union hospitalièreprivée(UHP)avantd’être soutenu parl’Agencenationaled’accréditationdesétablissementsdesanté(ANAES)11,mené parunmédecinquis’estorientéversunecarrièredechercheurensciencesdegestion,Étienne Minvielle.Résolument pragmatique,ceprojetchercheàétablir,trèsconcrètement, un« guide rouge»desindicateurssuffisammentrobustespourévaluerlaqualitédanslesétablissementsde santé,dansuneapprochedavantagegestionnaireetinstitutionnelledel’évaluation.Cesdeuxpro- jetsderechercheserejoignentpoursoulignerlesdifficultésméthodologiquesliéesàl’utilisation desbasesdedonnéesexistantespour produiredesindicateursderésultatincontestablesetdes classementshospitaliersquipuissentêtre«validés».

Deleurcôté,lesresponsablespolitiquesetadministratifsdéveloppentd’abordunestratégie d’«évitementdublâme»(Weaver,1986)quiconsisteaussienunreportdublâmesurlesseuls acteursprofessionnels.Enattesteparexemplel’allocutiondeBernardKouchnerlorsd’uncol- loqueorganiséparl’OCDEen2002,aucoursdelaquelleil regrettel’insuffisancedusystème d’évaluationfranc¸ais,liéeselonluià«unpouvoirmédicalopaqueetuneabsencedeconcurrence médicale»,avantdemettreenavantlavolontéde«rendrelesindicateursdeperformanceles plusvisiblesettransparentspossibles»puisdesoulignerque«cequiestencourageant[...],c’est quelesclassificationsjournalistiquesdesperformancessefontàpartirdeschiffresfournisparles Ministères»(Pierru,2004,pp.268–269).Cettepositiondereportdublâmesurlesseulsprofes- sionnelsestd’autantplusdifficilementtenablequel’impératifd’unemesuredelaperformance dessystèmesdesantéestportéparlesorganisationsinternationales12etquelesexpertsfranc¸ais

11Lesyndicatdedirecteursdecliniquescherchaitalorsàvalorisersesactivitésenmatièredequalité.Lorsqueson président,AlainCoulomb,devientdirecteurdel’Agenceen2002,ilemmèneavecluiceprojet.

12Dansuncontextededénonciationdescoûtscroissants delasanté,l’OMSetl’OCDEportentcetimpératifde performancequifaitdelaqualitél’undesaspectsdel’efficacitédessystèmesdesanté.

(10)

H.Bertillot/Sociologiedutravail58(2016)227–252 235

commencentàdonnercorpsàuneautreorientationpossibledelamesurepubliquecomparative.

Ainsi,l’idéed’une«mesured’État» quipermettraitdereprendrepleinementlamainfaitson cheminauseindescabinetsministérielsàpartirdudébutdesannées2000.L’inscriptiondela mesure sur l’agenda politique etinstitutionnel estactéele 21mars 2003,lorsque leministre Jean-Franc¸oisMattéisaisitformellementl’InVSenpassantcommandepourun«tableaudebord national»desinfectionsnosocomiales13.

Lesentreprisesderationalisationnedoiventpasêtreconsidéréescommeallantdesoi,répondant demanièrenaturelleàdesquestions«évidentes»,aucoursdeprocessusdemiseenœuvrelinéaires (Lefebvre, 2003).Lagenèsedel’entreprisederationalisationparlesindicateursdequalitéest d’abord,durantcettepériodeséminale,unproblème,quiprenduneformecomposite,tâtonnante, exploratoireetincertaine.Elleémergeaucoursd’unprocessuscollectifmettantenscèneunpetit mondehétéroclited’entrepreneursdelamesure,inscritsdansdesuniversdifférents,maisquiont touscontribuéàcomposerlesprémissesd’uneinstrumentationquipermettraitauxhôpitauxde rendredescomptessurleurqualité.En2003,lesconditionssontréuniespourquel’auditabilité deshôpitauxdevienneunvéritablemotifd’actionpublique.Encoreflou,cemotifcognitifdispose déjàd’uncontenu:leprinciped’uncontrôleaccrudelaqualitéhospitalièreparl’Étatcôtoiel’idée qu’untelcontrôledoitêtreinstrumentépardestechniqueslégitimesetacceptables.

2. L’Étatdéploiesesmesures:laprudenteinstitutionnalisationdesindicateurs

Lesecondmomentdecettehistoirepeutêtrecaractérisécommelaprudenteinstitutionnalisa- tiondesindicateursdequalité.Toutaulongdesannées2000,cettedynamiqueprendlaformed’un processusincrémental(Lindblom,1959)dontlatrajectoireestmarquéepardestensions,surmon- téesgrâceàuntravailcognitifetdescompromisinstitutionnels,quifac¸onnentdesinstruments jugéstechniquementrobustesetpolitiquementacceptables.

2.1. Quandlesinstitutionss’investissentàbasbruit

Dans un premier temps, la commande duministre met lesinstitutions de régulation dans l’embarras.Investirdans untelpalmarèsd’Étatapparaîtrisqué,àl’heureoùlestechniquesde mesuresontloind’êtrestabilisées.Danscesconditions,l’engagementduMinistèreestd’abord ambivalent :alors quela direction del’hospitalisation (DHOS) s’attacheà répondredans un délaicourtàlademandeduMinistreens’investissanttrèsdirectementauxcôtésdel’InVS,la DREESresteenretraitetcherchesurtoutàétablirdesconnaissancessurlesindicateursetleurs usagesplutôtqu’à«produire»desindicateursdequalitédansunelogiquepragmatique.Ducôté del’agenceenchargedelarégulationdelaqualité,leséquipesdel’ANAESsontintégréesen 2004dansunenouvelleHauteAutoritédeSanté(HAS),auxcontoursinstitutionnelspluslarges, maisquireprendl’essentieldesmissionsconcernantl’améliorationdespratiquesetl’accréditation desétablissements.L’agencesetransformealorsenuneautoritépubliqueindépendanteàcaractère scientifiquedotéedelapersonnalitémorale,largementfinancéeparleMinistère,maisn’étantplus juridiquementsoustutelle.Lanouvelleinstancehésitequantàlaplaceàaccorderàlamesure delaqualité.Lesacteursdelabranche«évaluationdespratiquesprofessionnelles»sonttrès

13Cetteinscriptionsurl’agendapolitiquedelamesured’Étatalieudansuncontextemouvementé:àlafaveurde l’alternance politiquede2002,lanouvelleéquipeministérielledécidedegénéraliser latarificationàl’activité(dite

«T2A»);suiteàl’épisodedelacaniculedel’été2003,leMinistrechercheaussiàreprendrelamainsurlasécuritédes soins.

(11)

236 H.Bertillot/Sociologiedutravail58(2016)227–252

attachésaucaractèrescientifiquedesoutilsd’évaluationproduitsparlaHAS,quiconstitueune conditionsinequa nondesalégitimité auprèsdesprofessionnels.Or,l’exempledespalmarès hospitalierssusciteunegrandeméfiancequantàlapossibilitédeconstruiredesindicateursde qualitérobustesetlégitimes.Parailleurs,labranche«accréditation»delaHASesttrèsattachée àuneapprochepratiquedel’évaluation«parlespairs»,reposantsuruneanalysequalitative, dansunespritd’améliorationcontinuedeladémarchequalité,quicontrasteavecl’idéed’une évaluationquantitativesouslaformed’indicateursnationauxcomparatifs.

Lesannées2003à2006sontainsicaractériséesparunengagementprudentetdiscretdelapart d’institutionsbousculéesparlacommandepolitique.L’investissementàbasbruitcaractéristique decettepremièreétapedel’institutionnalisationdesindicateursprendsurtoutlaformed’unpro- jetderecherche,nommé«coordinationpourlamesuredelaperformanceetl’améliorationde laqualitéhospitalière»(COMPAQH),quihériteàpartirde2003dufluxd’idées,deprincipes, etd’indicateurs préalablementmisen formepar leprojetde « guiderouge desindicateurs» sousl’égide de l’hospitalisation privée.COMPAQHse constituecomme unprojethybride, à l’intersticede l’universdesinstitutions publiques,de l’universde larechercheetdel’univers hospitalier local. Il s’agit d’un projet de « recherche appliquée » financé par la direction de l’hospitalisationduMinistèreetlaHAS.Samiseenœuvreestconfiéeauchercheuràl’origine du«guiderouge»,E.Minvielle,alorschercheurauCentrederechercheenéconomieetges- tionappliquéesàlasanté(CREGAS),rattachéàl’INSERMetauCNRS.Lemondehospitalier estégalement bienreprésenté dans leprojet,qui s’appuiesur unpanel élargid’une trentaine d’établissementsvolontaires destatuts différents,dans lecadred’un soutien affiché desprin- cipales fédérations del’hospitalisation privéeet publique. Lesintérêts différents deces trois mondesconvergentdansunequêtepragmatique:bâtirdesindicateursdequalitéd’Étatsuscep- tiblesd’êtreplusconsensuels,méthodologiquementplusrobustesetdoncmoinscontestablespar lesprofessionnelsdel’hôpitalqueceuxdespalmarèshospitaliers,quiconstituentsurcepoint uncontre-modèlepourtouslesparticipants.Pourlesdirigeantsdesétablissementsvolontaires, ils’agitdesepositionner commedes«pionniers»delaqualité,dansunelogiquesimilaireà celledesétablissementsdel’UHPayantparticipéau« guiderouge».Pourleschercheurs, de telsindicateursseraientuneinnovationscientifique,àuneépoqueoùlamesuredelaqualitéest unthèmeencoreémergent,dontils’agitdes’emparer.Lesdirigeantsdesinstitutionspubliques cherchentquantàeuxunemanièredes’investirsanstrops’exposersurcethèmejugémontant maisrisqué,carpotentiellementconflictuel.

«Chacunytrouvaitsonintérêt.[...]Pourlesadministrationspubliques,c’estassezinté- ressant comme dispositif, d’avanceravec descoups de sonde,demettre uneéquipe de rechercheINSERM.Bon,sic¸amerdouille,c’estdelarecherche...[Nous,leschercheurs,]

onétaitcontentparce qu’onavaitdesconditions pouravancer,il yavait dusoutien...» (EntretienavecunchercheurCOMPAQH,2011).

Le projetprocède dès cette époque à un ensemble de cadrages trèsstructurants, qui vont permettred’«aligner»(Snowetal.,1986)lesensdesindicateursdequalitéenconstructionavec lesschèmesinterprétatifsdesdifférentspartiesprenantes,demanièreàréduireautantquepossible lestensionsetàtrouverdemultiplesrelaispour cesinstruments. Leprojetdéfinitd’abord un ensembled’objectifscorrespondantauxprioritésdesinstitutionsetdeschercheurs.Aunombre deceux-cifigurelaluttecontrelesinfectionsnosocomiales—thématique chèreauministère de la Santé —,qui s’impose comme lepremier véritable « dossier » du projet COMPAQH, ainsi quele« respect desbonnes pratiquescliniques» portépar laHAS.Le projets’attache ensuite àsélectionner puisà testerun petitnombred’indicateurs de qualitéausein du panel

(12)

H.Bertillot/Sociologiedutravail58(2016)227–252 237

d’établissements,selonuneméthodeconsensuellequidoitpermettredesélectionnerceuxjugés àlafoisrobustesetacceptablesauregarddescritèresdesinstitutions14.Enavril2006,lecomité depilotagesélectionnelesindicateursdequalitésusceptiblesd’êtregénéralisésetpubliés:cinq indicateursdeluttecontrelesinfectionsnosocomiales,élaborésparungroupedetravailmixte entre l’InVSetCOMPAQH, sixindicateurspermettant d’évaluerlaqualitéd’après ledossier patient,etunindicateurdesatisfactiondespatients.Présentéscommetechniques,cescadrages n’enpermettentpasmoinsd’arrêterdeschoixdenaturepolitique.Certainsindicateurspotentiels, parmi lesquels des indicateursde mortalité,sont testés puis éliminéspar leprojet, en raison deproblèmesmétrologiquesquifragilisentleurrobustesseet,dèslors,leuracceptabilité15.Sont développésessentiellementdesindicateursdeprocessusplutôtquederésultats(plusconflictuels), desindicateursévaluantlatrac¸abilitédespratiquesdesoinplutôtquedirectementlaqualitédeces pratiques,etdesindicateursconc¸usavanttoutpouropérerdescomparaisonsinter-établissements et donner lieu à un affichage public, plutôtque desindicateurs de pratique individuelleplus facilementutilisablesdansdesdémarchesprofessionnelles.

LeprojetCOMPAQHinstilleainsileprinciped’unemesurecomparativeàdesfinsd’affichage public,enévitantlesconflits,sanstoutefoismenerderéflexionapprofondiesurlesusagesconcrets de cesindicateursdequalitécomparatifs, quirestenttrèsimplicitesetgénéraux.Enpratique, lesmodalitésd’usages’effacentdevantlaproductionpragmatiqued’indicateurs.Cettepremière étapedel’institutionnalisation aboutitàl’incarnation dumotifcognitif dans lestoutpremiers indicateursdequalitéd’État.Lepassageparuneexpertisescientifiqueextérieureauxinstitutions maisbénéficiantdeleursoutienaconstituéunmoyendefaireprogresserdiscrètementlamesure delaqualitéàdesfinsdecomparaisoninter-hospitalière.S’ils’éloignequelquepeudupalmarès demandéparleMinistre,unpremierensembled’indicateursdequalitéestalorsestampillé«validé etgénéralisable».

2.2. Quandlesinstitutionssedisputentl’usagedesindicateursdequalité

Entre 2006 et 2012, les premiers indicateurs de qualité d’État suscitent un intérêt crois- sant ausein d’unerégulationsanitaireplurielle,composéed’organisations bureaucratiquesen compétition16.Refusantdevoirlecontrôlesurl’auditabilitéde l’hôpitalleuréchapper, toutes tententdesedémarquerenfonctiondeleursenjeuxpropres.Aufildesannées,deplusenplus d’acteurss’approprientlamesured’État,autourd’unevariétéd’objectifsquis’invententaucours dutemps.Cetteétapeestcaractériséeparunevéritable«courseauxindicateurs»quialimentela recherched’uncompromisautourdesdifférentsusagespossiblesdelamesure.

LeMinistèreaétélapremièreinstitutionàs’emparerdecesindicateursdequalité,enmettant aupremierplanl’objectifdediffusionpubliquedesinformationsconcernantlaqualitédessoins.

14Parrapportauxquelque280indicateursdu«guiderouge»dontahéritéCOMPAQH,43indicateurssontprésé- lectionnésen2003;37sontfinalementtestésentre2004et2006.Lescritèresd’un«bonindicateur»sontreprisen Annexe1.

15C’estparexemplelecasdel’indicateurintitulé«tauxdemortalitédanslesGHM[groupeshomogènesdemalades]

àfaiblerisquedesurvenuededécès»,écartéen2004essentiellementenraisondedifficultésd’ajustement,c’est-à-dire dedifficultéspourpondérerlestauxdemortalitébrutsenfonctiondesrisquesspécifiquesquepeuventprésentercertains patients.

16CettecompétitionrenvoieàlatrajectoirehistoriquespécifiquedesinstitutionssanitairesenFrance,marquéeparla constructiond’unerégulationbicéphale,partagéeentrel’Étatetl’Assurancemaladie(Hassenteufel,1997).Larégulation étatiqueestelle-mêmefragmentéeentredifférentescomposantesduministèredelaSantéetplusieursagencesquiontvu lejourdepuislafindesannées1990(BenamouzigetBesanc¸on,2005).

(13)

238 H.Bertillot/Sociologiedutravail58(2016)227–252

La collecte des indicateurs du tableau de bord des infections nosocomiales est imposéeaux établissementsdès2005.Danslesannéesquisuiventlapremièrepublicationministérielle, cet usagedesindicateursdequalités’institutionnalise;ilprendnotammentlaformed’unsiteactualisé chaqueannée,la«plateformed’informationssurlesétablissementsdesanté»(platines.gouv.fr), quiaffichedenombreusesinformationssurl’activitéetlaqualitédesétablissementsfranc¸ais17. LepositionnementdelaDREES évolueàcetteoccasion, lorsqueladirection«scientifique» du Ministère sort de ses réservespour ne pas rester en marge. Sous l’influence d’un acteur convaincuquiporteleprojetauseindeladirection,laDREESparticipeactivementàl’élaboration dusiteministériel,entre danslepilotage duprojetCOMPAQHetinitieun travailautourdes indicateursdesatisfactiondespatients,toutencontinuantdesoutenirdesprojetsderecherche alternatifstelsqueceuxdugroupedetravaildeP.Lombrailévoquésupra,cequiestunemanière defairevivre unusagedesindicateursdequalitéàdesfinsd’évaluation despratiquesparles professionnels.

NesouhaitantpaslaisserauMinistèrelemonopoledesindicateursdequalité,laHASbascule àpartirdumilieudesannées2000dansunepolitiquebeaucoupplusaffirméeencequiconcerne lamesurecomparativeàdesfinsd’affichagepublic.L’institutionfaitsiennelamissiondepublica- tiond’indicateursnationauxetcomparatifsvisantàl’améliorationdelaqualitéhospitalière;elle articuleplusétroitementlesindicateursdequalitéàsesactivitésinternes.Cebasculementnesefait passanstensions,puisquel’investissementdelaHASdanslamesureàdesfinsdecomparaison publiquesuscitedepuisquelquesannéesdesdébats.Eninterne,certainsacteurssontplusproches d’unephilosophied’autorégulationdelaprofessionmédicale,etcraignentqu’untelengagement nemetteendangerleurlégitimitévis-à-visdesprofessionnels,enserapprochantd’unerégulation étatiqueexternequ’ilsconsidèrentcommerelevantplutôtdesmissionsduMinistère18.Cesréti- cencessontvaincuesdel’intérieurpardeuxéconomistesdelasantérecrutésparAlainCoulomb, alorsdirecteurdelaHAS,favorablesaurecoursàlamesurechiffréeetquivontproduiredes notesd’informationetdesrevuesdela littératurepourconvaincreleurs collèguesde l’intérêt stratégiqued’unpositionnementdel’instancesurlesujet,présentécommeinexorable.

«LaHASavaitquandmêmelerôlededirecequ’estlaqualitéensanté...Ellenepouvaitpas nepasêtrelemoteurdecequ’onpouvaitfaireoupasentermesdemesure,commentlefaire bien,etc.[L’argumentétait:]“sionn’existepaslà-dessus,onperdunenjeustratégique...

Sid’autress’enoccupent,ilsleferontmal.Nousaumoins,onsaitcequec’est,onpeut résisteràdespalmarès”...»(EntretienavecunéconomistedelaHAS,2011).

LeCollègedelaHASdécideen2006decréerunservicespécialisésurlesujetetd’intégrer desindicateursdequalitédanslaprocéduredecertificationdesétablissements19.Cetusagese révèledifficileàmettreenœuvre,maisilprenduneformeconcrèteen2009,dansletroisième référentieldecertification,quiprévoitlacotationdecertainscritèresparlesindicateursdequalité d’Étatetlesancresolidementàl’intérieurdelaprincipaleinstanceenchargedelarégulationde laqualité.

17Lesiteaaujourd’huichangédenompourdevenirwww.scopesante.fr.

18Cettelogiquedeprotectiondesprofessionnelstrouvesesracinesdansl’identitéfondatricedel’institution,quia longtempsincarnéuncompromisentrel’Étatrégulateuretlaprofessionmédicale(Robelet,2002).Ledéploiementde cettemesurecomparatives’inscritdansleglissementtrèsprogressifdelaHASversunerégulationétatiqueplusaffirmée.

19Leshôpitauxetcliniquesdoiventprocéder,touslesquatreans,àuneauto-évaluationàpartird’unréférentielde laHASlistantlescritèresd’évaluation.Cetteauto-évaluationdonnelieuàlavisited’uneéquipepluri-professionnelle d’experts-visiteurs,quiévaluel’établissementàpartirdecettelistedecritèresetproduitunrapportdecertification.

(14)

H.Bertillot/Sociologiedutravail58(2016)227–252 239

CesmobilisationscroissantesetvisiblesdesindicateursdequalitéparleMinistèreetlaHAS nemanquentpasdesusciterl’intérêtd’unensemblehétéroclited’autresacteursàlafindesannées 2000.Cesontd’aborddesresponsablespolitiquesquiredécouvrentl’intérêtdecesindicateurs etenfontunusagecroissantdansleurcommunicationpolitique.LePrésidentdelaRépublique NicolasSarkozyfaitparexemplepreuvedesonvolontarismeenlamatière,ensedéclarantfavo- rableaufaitde«rendrepublics,pourchaqueétablissementdesanté,quelquesindicateurssimples commeletauxdemortalitéouletauxd’infection»20.LaministredelaSantéRoselyneBachelot, seprésentantvolontierscomme«laministredelaqualitédessoins»,n’estpasenrestelorsque soncabinetpasseunaccordaveclejournalL’Expresspourquecedernierpubliesonpalmarès hospitalierintégrantlesindicateursdequalitéd’Étatlejourmêmedelaconférencedepressede laMinistre.Lamesuredelaqualitéestensuiteinvestiepardesacteursinstitutionnelsauparavant pluseffacés,quiformalisentdenouveauxusagespossiblesdesindicateursdequalité,plusproches d’unelogiquederégulationéconomique.LaCaissenationaled’assurancemaladie(CNAM),qui financelesétablissementsmaisaétéévincéedeleurévaluationauprofitdel’Étataudébutdes années2000,suitleprojetCOMPAQHdepuis2007.Poursedémarquer,elleestlapremièreà mettre enplaceuneformede« paiementàlaperformance», enlanc¸anten 2009soncontrat d’amélioration despratiquesindividuelles(CAPI) danslesecteur ambulatoire21.L’Assurance Maladiecontribueainsiàplaceràl’horizoninstitutionnelunnouvelusagepotentieldesmesures de laqualitéà l’hôpital,qui étaitjusqu’ici peumisen exergueparlesinstitutions publiques.

Parallèlementàcela,l’Agencenationaled’appuiàlaperformancedesétablissementsdesanté (ANAP)intègrelesindicateursdequalitéd’Étatdansl’outilqu’elledéveloppepourrationaliser lesnégociationsentreautoritésdetutelleetétablissements:HospiDiag22.Cetoutilavocationà êtrelesocled’unecontractualisationentreladirectiondesétablissementsetlesAgencesrégio- nalesdesanté(ARS).Ilestdoncégalementporteurd’unrapprochement,encoreinabouti,entre levoletfinancieretlevoletqualitédelarégulationhospitalière.

2.3. Lesindicateursdequalitéfontl’objetd’unconsensusambigu

Enquelquesannées,chaque typed’acteurs’estapproprié lesindicateursdequalitéenpro- mouvantsespropresobjectifs.Sicettecompétitioninstitutionnelleautourdelamesureapuse déployer sansconflit tranché,c’est parcequelestensionsnéesdecesperspectives différentes ontétélargementamortiesàl’intérieurduprojetCOMPAQH.C’estensonseinqu’aétéforgé lecompromisautourdesdifférentsusagesdesindicateursdequalitéd’État,parl’intermédiaire dutravailintellectueldéployéparleschercheursdanslesdifférentsrapportsrenduspublics,des échangesauseindesoncomitédepilotageetdesmultiplesnégociationsopéréesparlesgroupes detravailthématiques.Aufuretàmesuredecetteconstructiontechnique,COMPAQHatravaillé lesdifférentsusagesdelamesure,toutenprenantsoinden’enexclureaucun.

20ExtraitdudiscoursdeN.Sarkozy,Bletterans,18septembre2008.

21LeCAPIestuncontratproposéauxmédecinsgénéralistesvolontaires,quis’engagentàaméliorercertainespratiques liéesàdesenjeuxmédico-économiques,commelapréventionetlesuividespathologieschroniquesoul’optimisationdes prescriptions.Unerémunérationspécifiquepermetdevaloriserlaprogressionouleniveauatteint.

22L’ANAPestcenséecontribueràlamaîtrisedesdépensesdesanté,enconcevantetendiffusantdesoutilsdegestion, enorganisantunaccompagnementdesétablissementspardesconsultants,enappuyantlesrégulateurs.HospiDiagétablit unevisionmacroscopiquedelaperformancedechaqueétablissement,pouvantnourrirlescomparaisons,souslaforme d’untableaudebordde76indicateursd’activité,dequalité,d’organisation,deressources.

(15)

240 H.Bertillot/Sociologiedutravail58(2016)227–252

«Biensûrqu’ilyadestensions...Toutl’enjeuc’estd’avoirleminimumd’indicateursqui puissentrépondreauxdifférentsobjectifs.L’indicateuruniversel...Jen’ycroispastrop ! Maisc’estcequ’onsouhaite»(EntretienavecunacteurduMinistère,2010).

Lecompromissefaitainsiauprixd’un«consensusambigu»(Palier,2004):silesdifférents acteurssonttombésd’accordsurlanécessitéd’avoirrecoursàunpetitensembledemesures,ils nesontpasforcémentenphasesurcequedoiventêtrelesobjectifsprioritairesdelapolitiquede diffusiond’indicateurs,quin’ontjamaisvéritablementfaitl’objetd’unchoixtranché.Pourtant, latrajectoireduprojetestloind’êtreneutre:àlafindesannées2000,ils’estconsidérablement rapprochédesinstitutionspubliques.Silesusagesprofessionnelsdesindicateursdequalitéetleur utilitédansdesdémarchesde«pilotageinterne»sontrégulièrementréaffirmésdanslesrapports, COMPAQHasurtoutprogresséenmatièred’usagesinstitutionnelscommeladiffusionpublique, lacontractualisationrégionaleetl’incitationfinancièreàlaqualité.

Cetteinstitutionnalisationdesindicateursdequalitétrouveunaboutissementlorsqu’estins- critedanslaloihospitalièrel’obligationpour lesétablissementsd’afficherpubliquementleurs résultats:l’undespremiersdécretsd’applicationdelaloino2009-879du21juillet2009portant réformedel’hôpitaletrelativeauxpatients,àlasantéetauxterritoires,dite«loiHPST»,prévoit quelesdirecteursdesARSontlepouvoirdesanctionnerfinancièrementlesétablissementsqui refuseraientd’afficherlesrésultatsdesindicateursdequalité,àhauteurd’unmaximumde0,1% deleur dotationfinancière.Il nes’agitnidevaloriserlesbonsrésultats,nidesanctionnerles mauvais,maisbiend’obligerréglementairementlesétablissementsàjouerlejeudelatranspa- rence.DanslesdébatsparlementairespourtantparticulièrementhouleuxautourdelaloiHPST, lesindicateursdequalitésontmobilisésparlamajoritéetparl’oppositioncommedesoutilsde connaissanceetd’interventionpragmatiques,sanschargeidéologiquepropre.Lesacteursdela majoritévoientencesindicateursdesdispositifsdepilotageauserviced’unegestionrationalisée del’hôpital,susceptiblesd’êtreutilisésparl’ensembledelalignehiérarchique,enpassantpar ledirecteur,dontlegouvernemententendalorsfaireun«vraipatron»àlatêtedel’hôpital.De manièreplussurprenante,lesindicateurssontégalementmobiliséspardesdéputésetsénateurs politiquementengagésdansladéfensedel’hôpitalpublic.Toutaulongdesdébatssuscitéspar lapremièrelectureduprojetdelaloiHPSTauSénat,lessénateursdugroupe «communiste, républicain,citoyenetdessénateursdupartidegauche»portentunevirulentechargecontrele projetdeloidugouvernement,accuséd’êtreporteurd’uneattaquecontrelesservicespublicset d’uneprivatisationlatentedusystèmedesoins.Maisilsnedénoncentpaslesindicateursdequalité commeparticipantàcettelogiquenéolibérale.Aucontraire,legroupeproposedeuxamendements semblablesàl’automne2009,exigeantquelesétablissementsaffichentdemanièreobligatoire desindicateurs«comportantnécessairementlestauxd’infectionnosocomialeetdemortalité,le nombred’hospitalisationsévitables,lestauxderéadmissionetdemortalitépost-hospitalière»23. Pourlessénateursmobilisés,cesindicateurspourraient êtreuninstrumentd’objectivationdes effetsdélétèresdelatarificationàl’activité(T2A)surlaqualitédesprisesenchargehospitalières.

Cetteapparentedépolitisationdesindicateursdequalitérévèlelesuccèsdel’entrepriseémi- nemmentpolitiquedeconstructiond’indicateurssuffisammentconsensuelspourpermettreàl’État dereprendrelamainsurl’auditabilitédeshôpitaux.Elleverrouillel’engagementinstitutionnel autourdumotifcognitif.Enunequinzained’années,cesindicateursdequalité—dontlacons- tructionavaitpourtantsuscitéd’importantesréticencesaudépart—sontdevenusincontournables

23Amendementno555auprojetdeloiportantréformedel’hôpital(1èrelecture),proposéle8mai2009.Ilneserapas adopté.

(16)

H.Bertillot/Sociologiedutravail58(2016)227–252 241

etcontraignants.Paradoxale,leurinstitutionnalisationaétérenduepossibleparlaprudenceavec laquellesespromoteursontfaitprogresserl’entreprisederationalisationqu’ilsincarnent.C’est pasàpasquel’auditabilitédeshôpitauxaprisformedansdesdispositifsconcrets,quisesont discrètementfaituneplace,aufuretàmesurequelemotifcognitifserecomposaitautourd’une pluralitéd’usages.

3. Gouvernerparlesindicateurs:ladouceurd’unetechnologienormative

À l’issuede leur construction,lesindicateursde qualitésont composésd’un ensemble de savoirs,dethéoriesoudedoctrinesplusoumoinsformalisés,incarnésdansdesformestechniques composéesderèglesdecalcul,deréférentielsd’évaluation,derésultatschiffrés.Ilspeuventdès lorsêtreétudiéscommedes«machines»quel’onpeutdéconstruireanalytiquement,dansune approcheinspiréeparlasociologiedestechniques24.Sansproposericiunefastidieusedescription dechacundecesindicateurs(listésdansl’Annexe2),ilestpossibled’analyserleurscaractéris- tiqueslesplussaillantesafindebienmettreenévidencelemodeopératoiredelarationalisation qu’ilsvéhiculent.Normatifs,cesinstrumentssontbâtispourrégulerlaqualitéhospitalièresans tropbrusquerlesprofessionnels.

3.1. Consensualismeetplasticité:ladouceurconstitutivedesindicateursdequalité

Aucoursduprocessusdeleurconstruction,lesindicateursdequalitéontétébâtiscommeune technologiedouce,quiserévèlecommetelleàtraversdeuxcaractéristiquesgénériques.Enpre- mierlieu,ilsincarnentuneapprocheconsensuelle,c’est-à-direnonconflictuelle,del’évaluation desétablissements.Ceconsensualismeapparaîtnettementlorsquel’onobservedeprèslescarac- téristiquesdequelquesindicateursdequalitétypiques(voirleTableau1).

Lerefusduconflitselitd’aborddanslesdimensionsdelaqualitémesurée:cesindicateurs dequalitésont,pourlaplupart,desindicateursdeprocessus,quinemesurentpaslesrésultats dusoinmaisplutôtl’organisationoulatrac¸abilitédelapriseencharged’aprèslesinformations recueilliesdansdesdocumentsadministratifs(notammentledossierpatient).Siquelquesindica- teurss’approchentdavantaged’indicateursderésultatsdanslesensoùilsmesurentlatrac¸abilité depratiquesrecommandéesdanslapriseenchargedepathologiesspécifiques(commelaprise enchargedel’infarctusdumyocardedanssaphaseaiguë),aucunn’estconstruitpourévaluerles résultatsdusoinentermesdemortalité,àladifférencedescritèresmobilisésparlespremiers palmarès hospitaliers.Cerefus duconflit apparaît ensuite dans l’échelle del’évaluation : les indicateursmesurentlaqualitéàl’échelledel’établissementdesantéplutôtqu’àl’échelledes servicesoudespraticiens,demanièreànepasmettreencausedirectementdesindividusoudes équipescommeontpulefaireleslistesnoiresparuesdanslapresseàlafindesannées1990.

Cetterechercheduconsensusapparaîtenfindanslesconditionsdecollectedesdonnéespermet- tantlecalculdesindicateurs,quiaccordentuneplaceimportanteauxprofessionnelsdesanté: laplupartdecesindicateursrequièrentuntravailspécifiquedevérificationdecritèresàpartir

24Ils’agitalorsdesaisircommentlatechniqueincorporeet«durcit»desidées,dutravail,desrelations,c’est-à-dire de«l’humaincristallisé»(Simondon,1989);de«prendreausérieux»cesdispositifsdotés«d’uncertainnombre decaractéristiques[...]plusoumoinsindépendantesdesvolontésinitiales»(Moisdon,1997,p.92);decomprendre commentcetteinstrumentationdel’actionpublique«estrévélatriced’unethéorisation(plusoumoinsexplicite)du rapportgouvernant/gouverné»(LascoumesetLeGalès,2004,p.27).

Références

Documents relatifs

Ainsi dans un petit misseau du Massif Central par exemple , totale- ment pollué par une laiterie coopé- rative (A. Enfin , les Ephémères constituent un maillon très

Ce document présente les résultats issus des recueils des indicateurs généralisés par la Haute Autorité de Santé depuis 2010 dans le secteur de l’hospitalisation à domicile

 Les résultats relatifs au dépistage des troubles nutritionnels se sont améliorés mais seulement 40 % des ES a atteint ou dé- passé l’objectif de performance pour l’indicateur

Loin de considérer qu’il s’agit là d’une simple coïncidence et en nous appuyant plus particulièrement sur l’étude de la mise en place d’une carte dynamique du bruit routier

Nous rapportons la méthodologie du suivi pendant 5 ans de 5 indicateurs au labora- toire de biologie médicale de l’hôpital Foch : volume de remplissage des flacons

En fait, il y a dans tous les peuplements des espèces rares et des espèces communes mais les différences sont beaucoup plus marquées dans un peuplement peu diversifié que dans un

Avec moins de 20 mesures par an, les intervalles de confiance restent importants: même avec un échantillonnage régulier, 12 mesures sont insuffisantes pour une estimation précise

• Le nombre d’indicateurs récoltés dans le cadre de projet est limité: il faut donc se garder d’in- terpréter les scores comme une évaluation globale de la qualité dans