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Entre pittoresque et gardenesque : l'architecture et les jardins périurbains du XIXe siècle de la ville de Québec

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Academic year: 2021

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Entre pittoresque et gardenesque

L’architecture et les jardins périurbains du XIX

e

siècle de

la ville de Québec

Mémoire

Véronique Fortier

Maîtrise en histoire de l’art

Maître ès arts ( M.A. )

Québec, Canada

(2)

Entre pittoresque et gardenesque

L’architecture et les jardins périurbains du XIX

e

siècle de

la ville de Québec

Mémoire

Véronique Fortier

Sous la direction de :

(3)

iii

RÉSUMÉ

Ce mémoire a pour objet d’étude les théories esthétiques du paysage et les aménagements paysagers des jardins périurbains du XIXe siècle de la ville de Québec. Afin de poser un regard nouveau sur le sujet, nous examinerons les liens concrets entre l’aménagement des jardins, les pratiques horticoles, l’architecture des serres et l’architecture des résidences, en tenant en compte des influences anglaises et américaines. Notre but est de montrer que le courant dit « pittoresque » est en fait très diversifié et contient des pratiques variées ; on constate que le souci de l’environnement évolue considérablement à travers le XIXe siècle. Nous analyserons d’abord les différentes théories esthétiques et nous présenterons leurs théoriciens, puis de manière plus élaborée, nous étudierons l’esthétique pittoresque et son influence sur la ville de Québec. Nous nous baserons sur quelques représentations picturales ainsi que sur des ouvrages du XIXe au XXIe siècle portant sur l’architecture et les aménagements paysagers des domaines périurbains de la ville de Québec. Enfin, nous proposerons une nouvelle vision de l’esthétique du paysage avec le

gardenesque en analysant l’architecture des résidences et leurs aménagements paysagers

ainsi que différents événements historiques de la deuxième moitié du XIXe siècle à Québec.

(4)

iv

SOMMAIRE

RÉSUMÉ ... iii

SOMMAIRE ... iv

LISTE DES FIGURES ... vi

REMERCIEMENTS ... xi

AVANT PROPOS ... xii

INTRODUCTION ... 1

CHAPITRE 1 ... 10

1.1 De l’Angleterre à l’Amérique ... 11

1.1.1 Edmund Burke : le beau et le sublime ... 11

1.1.2 William Gilpin, Uvedale Price et Richard Payne Knight : le pittoresque .. 14

1.1.2.1 Humphrey Repton... 20

1.1.3 John Claudius Loudon et Andrew Jackson Downing : le gardenesque... 23

CONCLUSION ... 29

CHAPITRE 2 ... 31

2.1 Les jardins et paysages de la Nouvelle-France et du Bas-Canada ... 32

2.2 La vision anglaise du paysage étranger ... 38

2.2.1 Le pittoresque illustré : James Pattison Cockburn ... 41

2.2.1.1 La nature ... 43 2.2.1.2 Le paysage colonial ... 45 2.3 Le pittoresque en architecture ... 48 2.3.1 La serre... 53 CONCLUSION ... 56 CHAPITRE 3 ... 59

3.1 Andrew Jackson Downing : le gardenesque en Amérique du Nord ... 60

3.2 Les grands domaines et le style gardenesque ... 65

3.2.1 Woodfield ... 65

3.2.2 Spencer Wood et Spencer Grange ... 67

3.3 Le jardin canadien au XIXe siècle ... 70

(5)

v

CONCLUSION ... 86

CONCLUSION ... 89

BIBLIOGRAPHIE ... 94

FIGURES ... 104

(6)

vi

LISTE DES FIGURES

Figure 1.1 : Loudon, John Claudius. Arbres arrangés dans le style gardenesque, 1838. Dessin à l’encre noire. Londres. (Image tirée de John Claudius Loudon, The Suburban

Gardener and Villa Companion, Londres, Longman, Orme, Brown, Green, and

Longmans; and W. Black, 1838, p. 165.)

Figure 1.2 : Loudon, John Claudius. Arbres arrangés dans le style pittoresque, 1838. Dessin à l’encre noire. Londres. (Image tirée de John Claudius Loudon, The Suburban

Gardener and Villa Companion, Londres, Longman, Orme, Brown, Green, and

Longmans; and W. Black, 1838, p. 165.)

Figure 2.1 : Villeneuve, Robert de. Plan de la ville et Chasteau de Quebec fait en 1685

mezuree exactement par sieur de Villeneuve, 1685. Encre noire. Québec. (image tirée de

Marie-Josée Fortier. Les jardins d’agrément en Nouvelle-France. Étude historique et

cartographique. Québec, Les Éditions GID, 2012, p. 308.)

Figure 2.2 : Chaussegros de Léry, Gaspar-Joseph. Jardin de l’intendant, Québec, 1752. Encre noire. Détail du plan de Chaussegros de Léry. Québec. (image tirée de Marie-Josée Fortier. Les jardins d’agrément en Nouvelle-France. Étude historique et cartographique. Québec, Les Éditions GID, 2012, p. 308).

Figure 2.3: Cockburn, James Pattison. Mr. Sheppard’s Villa at Woodfield, 1830. Aquarelle avec pinceau et encre brune sur crayon sur du papier vélin. 23.8 cm x 15.2 cm. Canada, Bibliothèque et Archives du Canada, nᵒMikan 2836100.

Figure 2.4 : Cockburn, James Pattison. Quebec from Pointe à Piseau, 1831. Aquarelle avec pinceau et encre brune sur crayon sur du papier vélin. 31.2 cm x 52,2 cm. Québec. (image tirée de Christina Cameron & Jean Trudel. Québec au temps de James Patterson

Cockburn. Québec, Éditions Garneau, 1976, p.36).

Figure 2.5: Cockburn, James Pattison. Cape Diamond from Spencer-Wood, september

20th 1830, 1830. Sépia. 15.2 cm x 22,5 cm. Québec. (image tirée de Christina Cameron

& Jean Trudel. Québec au temps de James Patterson Cockburn. Québec, Éditions Garneau, 1976, p. 35).

Figure 2.6: Cockburn, James Pattison. Spencer Wood [a residence in Sillery near

Quebec], 1829. Aquarelle et encre sur papier vélin. 45.5 cm x 28.30 cm. Canada,

Bibliothèque et Archives du Canada, nᵒMikan 2838622.

Figure 2.7 : Anonyme. Asile-Champêtre de Joseph F. Perrault, protonotaire à Québec, 1812. Peinture. Québec, Bibliothèque et Archives Nationale du Québec, Centre de Québec, cote : P600, S5, PAQ83.

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vii

Figure 2.8: Anonyme. Villa Marchmont, 1865. Photographie sépia. Québec. Galerie qui fait trois côtés de la résidence. (image tirée de France Gagnon-Pratte, L’architecture et la

nature à Québec au dix-neuvième siècle : les villas. Québec, Ministère des Affaires

culturelles, 1980, p. 273).

Figure 2.9: Forrest, Charles Ramus. Wolfesfield, a villa residence near Quebec city, 1821-1823. Aquarelle sur crayon sur papier vélin. 51,1 x 33,6cm. Canada, Peter Winkwoth Collection of Canada, Bibliothèque et Archives du Canada, nᵒMikan 2838331. Figure 2.10 : Anonyme. Le château Saint-Louis et une partie de la basse ville. Vers 1818. Aquarelle sur mine de plomb sur papier vélin. 32.1 x 42.2 cm. Canada, Québec. Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa, nᵒ16686.

Figure 3.1: Anonyme. Aménagement des dépendances et des jardins autour d’une

résidence péri-urbaine, 1877. Dessin au crayon et à l’encre brune. Ontario. (image tirée

de Ron Williams, Landscape Architecture in Canada. Canada, McGill-Queen’s University Press, 2014, p. 176).

Figure 3.2: Drummond, William Francis. Contoured plan of the environs of Quebec,

Canada East, surveyed in 1865-1866, 1865-1866. Dessin à l’encre. Détail de

l’aménagement du domaine de Woodfield. Canada, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, cote: G/3452/Q4/1867/C65 CAR.

Figure 3.3: Drummond, William Francis. Contoured plan of the environs of Quebec,

Canada East, surveyed in 1865-1866, 1865-1866. Dessin à l’encre. Détail de

l’arrangement des arbres du domaine de Woodfield. Canada, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, cote: G/3452/Q4/1867/C65 CAR.

Figure 3.4: Drummond, William Francis. Contoured plan of the environs of Quebec,

Canada East, surveyed in 1865-1866, 1865-1866. Dessin à l’encre. Détail du jardin

géométrique à Woodfield. Canada, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, cote: G/3452/Q4/1867/C65 CAR.

Figure 3.5: Drummond, William Francis. Contoured plan of the environs of Quebec,

Canada East, surveyed in 1865-1866, 1865-1866. Dessin à l’encre. Détail de la résidence

et de la serre du domaine de Woodfield. Canada, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, cote: G/3452/Q4/1867/C65 CAR.

Figure 3.6: Lemercier, Alfred Léon. Spencer Wood Near Quebec, 1860. Lithographie. 15.2 cm X 22.6 cm. Canada, Bibliothèque et Archives du Canada, Alfred Léon Lemercier collection, nᵒMikan 2934639.

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viii

Figure 3.7: Drummond, William Francis. Contoured plan of the environs of Quebec,

Canada East, surveyed in 1865-1866, 1865-1866. Dessin à l’encre. Domaine de Spencer

Wood et Spencer Grange. Canada, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, cote: G/3452/Q4/1867/C65 CAR.

Figure 3.8: Drummond, William Francis. Contoured plan of the environs of Quebec,

Canada East, surveyed in 1865-1866, 1865-1866. Dessin à l’encre. Détail du jardin

géométrique du domaine de Spencer Wood. Canada, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, cote: G/3452/Q4/1867/C65 CAR.

Figure 3.9: Livernois, Jules-Ernest. Spencer Wood, 1863. Photographie en noir et blanc. Canada, Bibliothèque et Archives du Canada, Collection de photographies par Jules-Ernest Livernois, nᵒMikan 3329966.

Figure 3.10: Drummond, William Francis. Contoured plan of the environs of Quebec,

Canada East, surveyed in 1865-1866, 1865-1866. Dessin à l’encre. Détail de

l’aménagement des arbres du domaine de Spencer Wood. Canada, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, cote: G/3452/Q4/1867/C65 CAR.

Figure 3.11: Anonyme. Spencer Grange, 1865. Photographie en noir et blanc. Détail de la villa et de la serre. Québec. (image tirée de France Gagnon-Pratte, L’architecture et la

nature à Québec au dix-neuvième siècle : les villas. Québec, Ministère des Affaires

culturelles, 1980, p. 63).

Figure 3.12: Drummond, William Francis. Contoured plan of the environs of Quebec,

Canada East, surveyed in 1865-1866, 1865-1866. Dessin à l’encre. Détail de

l’aménagement paysager du domaine de Spencer Wood. Canada, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, cote: G/3452/Q4/1867/C65 CAR.

Figure 3.13: Anonyme. Morton Lodge, XIXe siècle. Photographie en noir et blanc. Québec. (image tirée de France Gagnon-Pratte, L’architecture et la nature à Québec au

dix-neuvième siècle : les villas. Québec, Ministère des Affaires culturelles, 1980, p. 118).

Figure 3.14: Anonyme. Morton Lodge, XIXe siècle. Photographie en noir et blanc. Détail de la serre. Québec. (image tirée de France Gagnon-Pratte, L’architecture et la nature à

Québec au dix-neuvième siècle : les villas. Québec, Ministère des Affaires culturelles,

1980, p. 118).

Figure 3.15: Anonyme. Serre viticole au domaine Cataraqui, vers 1880. Photographie en noir et blanc. Québec. (image tirée de Nicole Dorio-Poussart. « Mémoire adressé au Conseil du patrimoine culturel du Québec – Renaissance d’un patrimoine inconnu ou oublié : un jardin potager et fruitier dans les grands domaines ». La Charcotte, 2014, vol. 28, nᵒ1, p. 10).

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ix

Figure 3.16: Anonyme. Beauvoir, vers 1890. Photographie en noir et blanc. Québec. (image tirée d’André Bernier. Le Vieux-Sillery. Québec, Direction des arrondissements: Centre de documentation, Direction de l'inventaire des biens culturels, 1977, p. 100). Figure 3.17: Anonyme. La serre à raisins de la famille Dobell à Beauvoir, vers la fin du XIXe siècle. Photographie en noir et blanc. Québec. (image tirée de la Commission de la Capitale Nationale de Québec lors de l’exposition sur Les Grands Domaines de Sillery, Centre d’interprétation du domaine Cataraqui, Québec, photographie prise par Véronique Fortier, le 10 octobre 2016).

Figure 3.18: Anonyme. Wolfefield, 1890. Photographie en noir et blanc. Québec. (image tirée de France Gagnon-Pratte, L’architecture et la nature à Québec au dix-neuvième

siècle : les villas. Québec, Ministère des Affaires culturelles, 1980, p. 321).

Figure 3.19: Drummond, William Francis. Contoured plan of the environs of Quebec,

Canada East, surveyed in 1865-1866, 1865-1866. Dessin à l’encre. Détail du domaine de

Marchmont. Canada, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, cote: G/3452/Q4/1867/C65 CAR.

Figure 3.20: Muerrie, C.A. Holland House, Senator James Gibb Ross lived in this house

until his death in 1888, 1896-1897. Photographie en noir et blanc. Canada, Bibliothèque

et Archives du Canada, nᵒMikan 3330742.

Figure 3.21: Grant, John. Holland House, St. Foye Road, Quebec, 1840. Aquarelle avec pinceau et encre brune sur crayon sur du papier vélin. 26.6 cm X 18.2 cm. Canada, Bibliothèque et Archives du Canada, nᵒMikan 2889843.

Figure 3.22: Muerrie, C.A. Holland House, Senator James Gibb Ross lived in this house

until his death in 1888, 1896-1897. Photographie en noir et blanc. Canada, Bibliothèque

et Archives du Canada, nᵒMikan 3330744.

Figure 3.23: Muerrie, C.A. Holland House, Senator James Gibb Ross lived in this house

until his death in 1888, 1896-1897. Photographie en noir et blanc. Détail de la serre à

Holland House. Canada, Bibliothèque et Archives du Canada, nᵒMikan 3330744.

Figure 3.24: Staveley, Harry. Plan of proposes additions to Highland for John T. Ross, 1897. Dessin à l’encre. Canada, Bibliothèque et Archives du Québec, centre de Québec, Fonds Famille Staveley, cote P541, microfilms 4M00-4637.

Figure 3.25: Anonyme. La villa Hamwood, 1865. Photographie en noir et blanc. (image tirée de France Gagnon-Pratte, L’architecture et la nature à Québec au dix-neuvième

siècle : les villas. Québec, Ministère des Affaires culturelles, 1980, p. 247).

Figure 3.26: Anonyme. La villa Hamwood, 1921. Photographie en noir et blanc. (image tirée de France Gagnon-Pratte, L’architecture et la nature à Québec au dix-neuvième

(10)
(11)

xi

REMERCIEMENTS

Je tiens d’abord à remercier mon directeur de recherche, Marc Grignon, qui a grandement contribué à la réalisation de ce mémoire. Ses nombreux commentaires ont guidé mes réflexions tout au long de mon écriture, rendant cette expérience agréablement enrichissante.

Ensuite, mes remerciements vont à mes parents, Jacquelin et Louise, qui m’ont toujours encouragée dans mes études. Ils m’ont appris que le travail et la persévérance garantissent la réussite et je ne les remercierai jamais assez.

Enfin, je tiens à remercier mon conjoint, Laurent, pour sa présence et son soutien moral dans les moments les plus difficiles. Je le remercie de m’avoir épaulée dans la réalisation de tous mes projets.

(12)

xii

AVANT PROPOS

Ce mémoire se penche sur le courant pittoresque à Québec et examine plusieurs catégories esthétiques anglaises du XIXe siècle. Les sources primaires et secondaires sur lesquelles nous nous appuyons sont souvent en anglais: par souci de précision et de nuance, nous avons choisi de laisser les citations dans la langue originale. Notre propre compréhension de ces textes est explicitée dans les commentaires qui précédent ou qui suivent les citations. En effet, les traductions françaises de ces textes ne nous satisfont pas toujours, et au lieu de mélanger les citations en langue originale, les traductions publiées, et nos propres traductions, nous avons jugé plus utile de conserver l'anglais partout tout en clarifiant notre lecture dans nos commentaires.

Il en va de même pour le terme de gardenesque, que nous conservons en anglais tout en le mettant en italiques. Nous suivons ainsi l'usage favorisé par la majorité des auteurs ayant abordé cette notion en français. Nous reconnaissons toutefois que certains auteurs proposent le terme « jardinesque » (voir: Judith K. Major, « A. J. Downing (1815-1852). Au-delà du traité sur le jardin paysager », Histoire des jardins. De la Renaissance à nos

(13)

1

INTRODUCTION

Dans ce mémoire, nous tenterons de vérifier l’importance accordée, dans les aménagements paysagers à Québec, à l’esthétique pittoresque, considérée comme une clé d’explication s’appliquant à tout le XIXe

siècle. Par exemple, la Commission de la capitale nationale du Québec, lors de l’inauguration du centre d’interprétation des grands domaines de Sillery à l’automne 2016, soulignait que le centre a pour but « de mettre en valeur la richesse historique et patrimoniale des grands domaines qui ont ponctué la falaise de Sillery au XIXe siècle1 ». L’installation du centre dans l’ancien poulailler de la résidence Cataraqui rappelle « l’étroite relation qu’entretenaient leurs propriétaires avec la nature, de même que l’influence du mouvement pittoresque sur l’aménagement de ces lieux de villégiature2. » La renommée de ces domaines, notamment le domaine Cataraqui, est connue grâce à la qualité des descriptions fournies par les rares documents existants encore aujourd’hui. En exposant des éléments liés à l’environnement de l’époque, au mode de vie de la bourgeoisie, aux activités quotidiennes de ces hommes et femmes qui vivaient dans des résidences reflétant leur grande richesse, le centre d’interprétation propose une certaine vision du XIXe siècle à Québec. En notant le niveau d’érudition des propriétaires de ces domaines de Sillery, leur goût pour les sciences naturelles, qui sont en plein essor à l’époque, ainsi que la place de la nature dans l’architecture, les auteurs expliquent cette situation par l’influence notable du mouvement pittoresque tout au long du XIXe siècle. Nous croyons que cette affirmation doit être nuancée, puis précisée.

Québec : ville pittoresque ?

La question du pittoresque à Québec et de son influence sur l’architecture et les aménagements paysagers du XIXe siècle a largement été documentée depuis les années 1980. Il est donc bien connu que la bourgeoisie de l’époque développe un goût

1

Anne-Marie Gauthier, « Nouveau Centre d’interprétation des grands domaines de Sillery », Commission de la Capitale Nationale de Québec, [En ligne], http://www.capitale.gouv.qc.ca/commission/zone-medias/nouveau-centre-d-interpretation-des-grands-domaines-de-sillery, (consultée le 5 décembre 2016). 2 Ibid.

(14)

2

prononcé pour les jardins et l’environnement naturel autour de ses résidences, et ce en raison de l’influence du mouvement pittoresque. France Gagnon-Pratte et Philippe Dubé le mentionnent en parlant des nombreuses villas construites à Québec à l’époque victorienne : « Toutes ces villas sont blotties au sein d’une nature luxuriante. Leur construction suscite la création de véritables parcs-jardins ; […]3 ». Luc Noppen abonde dans le même sens et rapporte que « les notables de la ville chercheront [au XIXe siècle] à renouer contact avec la nature4 » en achetant de grands domaines en dehors de la ville. Par ailleurs, Janet Wright signale que la construction de ces villas, presque toutes édifiées dans un jardin ou un parc paysager, est révélatrice des « préoccupations qui sont au cœur de l’esthétique pittoresque soucieuse de créer autour du bâtiment et de son cadre une atmosphère propre à frapper la vue et la sensibilité.5 » Ainsi, les nombreuses villas de la bourgeoisie de Québec sont toutes caractérisées à l’époque par leurs « vastes parcs pittoresques6 » ainsi que par leurs « jardins victoriens7 ». Il en va de même pour l’architecture, comme le démontre France Gagnon-Pratte dans un magnifique inventaire des villas construites au XIXe siècle à Québec. Dans cet ouvrage, elle explique que l’implantation d’une nouvelle classe sociale de grands bourgeois, composée de militaires, de commerçants et de hauts dignitaires du régime colonial anglais provoque un bouleversement dans les structures sociales. Cette situation engendre des changements dans l’architecture et dans l’aménagement des domaines de la ville de Québec qui mènent à l’implantation de l’esthétique pittoresque8. L’auteure consacre, en fait, tout un chapitre au mouvement pittoresque, qui aurait participé à cette « révolution de la relation maison-jardin », d’après les concepts romantiques véhiculés en Angleterre par l’architecte paysagiste William Kent9. Cette cohésion entre la nature et la résidence est aussi constatée par Danielle Dion-McKinnon ; cette dernière critique cependant le besoin d’expression de la richesse des propriétaires des domaines par la construction de villas

3 France Gagnon-Pratte et Philippe Dubé, « La Villa », Magazine Continuité, nᵒ 40, 1988, p. 24. 4 Luc Noppen et al., Québec : trois siècles d’architecture, Québec, Libre expression, 1979, p. 60. 5

Janet Wright, L’architecture pittoresque au Canada, Canada, Agence Parcs Canada et Lieux patrimoniaux du Canada, 1984, p. 7.

6 Frédéric Smith, Parc du Bois-de-Coulonge, Québec, Fides, 2003, p. 21. 7

Ibid, p.53

8 France Gagnon-Pratte, L’architecture et la nature à Québec au dix-neuvième siècle : les villas, Québec, Ministère des Affaires culturelles, Musée du Québec, 1980, p. 5.

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3

« prétentieuses » où « on aménage des jardins avec fontaines et belvédères [et où] on plante des arbres rares.10 » Ces villas, qui entourent Québec d’une véritable couronne de jardins le long du chemin Saint-Louis et du chemin Sainte-Foy, de même que leurs aménagements, jardins, serres, salles de dessins et de musique reflètent bien le romantisme de l’époque11

.

En ce qui concerne Sillery, André Bernier explique que l’aspect « pittoresque du site, la proximité de Québec, la proximité du fleuve et des chantiers de bois ainsi que le prestige du site12 » influencent le choix des propriétaires. Bernier décrit lui aussi les domaines comme des lieux marqués par le romantisme et le naturalisme, admettant qu’ils représentent bien l’époque victorienne et l’influence du mouvement pittoresque13

.

L’attirance de la bourgeoisie anglaise pour les paysages pittoresques et les jardins est aussi démontrée par les recherches de Frédéric Smith sur les deux domaines les plus connus aujourd’hui à Québec, soit le domaine Cataraqui et le domaine de Spencer Wood (Bois-de-Coulonge). Smith relate que dans la deuxième moitié du XIXe siècle les domaines se transforment le plus souvent en raison du goût des propriétaires pour l’horticulture et les jardins. À Cataraqui comme à Spencer Wood, le propriétaire « s’emploie à faire de sa [nouvelle] demeure un lieu de retraite au goût du jour, empreint d’un romantisme proprement victorien » par l’ajout de jardins potagers et de serres14

. Cet apport scientifique aux aménagements paysagers dont parle Frédéric Smith dénote d’une évolution dans les préoccupations des propriétaires et des jardiniers des grands domaines de Québec. Les effets de la popularisation des sciences naturelles dans les jardins de Québec amènent, selon nous, des transformations importantes. En nous appuyant sur les sources de l’époque, nous proposerons que l’esthétique pittoresque évolue vers une autre esthétique, le gardenesque.

10

Danielle Dion-Mc Kinnen, Sillery. Au Carrefour de l’histoire, Montréal, Boréal Express, 1987, p. 94. 11 John Hare, Histoire de la ville de Québec, Montréal, Musée canadien des civilisations, 1987, p. 223 12 André Bernier, Le Vieux-Sillery, Québec, Direction des arrondissements : Centre de documentation, Direction de l’inventaire des biens culturels, 1977, p. 55.

13 Ibid.

14 Frédérick Smith, Cataraqui : histoire d’une villa anglaise à Sillery, Québec, Publications du Québec, 2011, p. 39. ; Parc du Bois-de-Coulonge, Québec, Fides, 2003, p. 21.

(16)

4

La science au cœur des aménagements paysagers

William Taylor se concentre sur ce phénomène dans son ouvrage The Vital Landscape où il explique que, dans le cas de l’Angleterre, les sciences naturelles influencent la population et l’amènent vers une meilleure compréhension de l’être vivant. Taylor parle aussi d’« environmental awareness15

» en expliquant que la population bourgeoise du XIXe siècle prend conscience de son environnement et de l’effet que celui-ci peut avoir sur leur propre bien-être. L’intérêt pour la compréhension des êtres vivants, mais plus particulièrement de l’homme et de son milieu de vie, permet au XIXe

siècle un croisement entre les domaines de l’architecture, de l’horticulture et de l’architecture paysagère qui se manifeste notamment par l’importance accordée au type de bâtiment le plus représentatif de la « culture of environmentality » : la serre. Pour Taylor, la serre devient un élément majeur dans la représentation des nouvelles préoccupations de la population de la seconde moitié du XIXe siècle.

La Grande-Bretagne est alors marquée par la présence d’importants théoriciens, comme John Claudius Loudon qui développe de nouvelles approches autour de préoccupations « environnementalistes ». Comme l’explique Taylor, Loudon crée non seulement un nouveau prototype de serres en accord avec les avancés techniques et industrielles de l’époque, mais il propose une nouvelle vision de l’aménagement paysager qui intègre notamment les sciences naturelles (horticulture et botanique)16. Loudon définit en 1832 un style d’aménagement paysager qu’il nomme le gardenesque17

, popularisé en

Angleterre ainsi que dans ses colonies tout au long de la deuxième moitié du XIXe siècle. Le gardenesque de Loudon incorpore certains principes du pittoresque, tels que la variété, l’harmonie et le contraste, aux nouvelles préoccupations associées au développement et à la popularisation de l’horticulture et de la botanique. Ces préoccupations correspondent bien à ce que Taylor tente de démontrer : « Given the popularization of science, particularly in the second half of the nineteenth century, the

15 William M. Taylor, The Vital Landscape. Nature and the Built Environment in Nineteenth-Century Britain, Angleterre, Ashgate Publishing Limited, 2004, p. 1.

16 Ibid., p. 10.

17 John Claudius Loudon, The Suburban Gardener and Villa Companion, Londres, Longman, Orme, Brown, Green and Longmans; and W. Black, 1838, p. 160.

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5

language of form, functions and appearances was means whereby knowledge of the necessities of domestic life was acquired […]18

. » En effet, il explique que l’intérêt pour l’horticulture et le design résulte du développement au milieu du XIXe

siècle d’une nouvelle conscience de l’environnement, l’« environmental awareness », qui correspond à l’essor et à la popularisation de la serre19

.

Le pittoresque et le gardenesque pourraient s’être côtoyés dans plusieurs jardins coloniaux, rendant difficile les catégorisations tranchées. Nous pensons que le Bas-Canada, en tant que colonie anglaise, s’inscrit dans ce mélange de catégories esthétiques et que les jardins des grands domaines périurbains de la ville de Québec reflètent également l’évolution des styles esthétiques et témoignent de ces nouvelles préoccupations qu’amènent la popularisation des sciences naturelles et les nouvelles théories esthétiques.

Catégories esthétiques et jardins de Québec

À la lumière de ces informations, nous tenterons dans ce mémoire de déterminer quelle catégorie esthétique peut être associée aux aménagements paysagers de la ville de Québec du XIXe siècle. Nous avons choisi d’étudier deux grands domaines situés en périphérie de la ville de Québec, soit Woodfield et Spencer Wood/Spencer Grange. Ce choix est motivé par la quantité d’information et de descriptions qui existe et qui porte sur les aménagements paysagers de ces domaines ainsi que sur l’organisation spatiale des lieux.

Analysant d’abord ces deux domaines pendant la première moitié du XIXe

siècle, en fait jusqu’en 1840, nous déterminerons quelles sont les caractéristiques qui correspondent précisément à l’esthétique pittoresque. Les images de ces domaines réalisées par James Pattison Cockburn nous permettent de voir, à travers les yeux d’un Anglais de l’époque, comment la ville de Québec était représentée et de comprendre les raisons qui ont amené

18 William Taylor, The Vital Landscape. Nature and the Built Environment in Nineteenth-Century Britain, Londres, Éditions Ashgate, 2004, p. 7.

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6

l’artiste à préférer l’esthétique pittoresque pour représenter certains paysages de Québec. Afin de compléter les représentations de Cockburn, nous utiliserons les descriptions des domaines de Woodfield et de Spencer Wood/Spencer Grange tirées de son ouvrage

Quebec and its environs ; being a picturesque guide to the stranger20

ainsi que celles21 que propose James MacPherson LeMoine, auteur et historien prolifique du XIXe siècle né à Québec.

Ensuite, nous nous pencherons sur l’évolution de Woodfield et de Spencer Wood/Spencer Grange après 1840 pour montrer comment se développe l’approche gardenesque. Pour ce faire, nous nous appuierons sur quelques textes22 de John Claudius Loudon qui définissent les principales caractéristiques associées aux aménagements paysagers de style gardenesque. De manière plus élaborée, nous utiliserons le traité23 d’Andrew Jackson Downing, qui présente une approche plus exhaustive de l’esthétique

gardenesque selon les théories de Loudon tout en adaptant ces caractéristiques au

contexte nord-américain.

Le traité de Downing est important dans notre recherche puisqu’il présente une certaine évolution et une adaptation des styles esthétiques au contexte d’implantation et aux préoccupations locales. Par ailleurs, les traités de Downing et de Loudon sont reconnus comme importants par leur popularité qui les rend accessibles aux notables de la ville de Québec. À cet effet, Loudon fait mention dans l’un de ses textes24 de la richesse de l’aménagement paysager de Spencer Wood ainsi que du talent de son jardinier, et

20 James Pattison Cockburn, Quebec and its environs; being a picturesque guide to the stranger, Londres, Thomas Cary & Co. 1831, 42 p.

21

James McPherson LeMoine, Maple Leaves. Canadian History and Quebec Scenery, Third Series, Québec, Hunter, Rose & Company, 1865, 138 p. ; Picturesque Quebec, Montréal, Dawson, 1882, 535 p. ; Monographie et Esquisses, Québec, J.G. Gingras, 1885, 478 p.

22 John Claudius Loudon, The Green-House Companion and Natural arrangement of Green-House Plants, Londres, Harding, Triphook and Lepard, 1824, 473 p. ; Remarks on the construction of Hot-Houses, Londres, Architectural Library, 1817, 133 p.

23 A.J. Downing, A Treatise on the Theory and Parctice of Landscape Gardening adapted to North America with a view to The Improvement of Country Residences, New-York & Londres, Wiley and Putnam, 1841, 452 p.

24 John Claudius Loudon, « Art. II Foreign Notices: North America », The Gardener’s Magazine, Octobre 1837, p. 467.

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7

LeMoine fait des commentaires élogieux sur le traité de Downing dans deux importants ouvrages25.

Bien entendu, nous sommes conscients que l’influence de l’esthétique pittoresque peut s’étendre au-delà du milieu du XIXe

siècle ; le pittoresque englobe en fait des pratiques très variées qui s’étendent tout au long de la période considérée. Selon France Gagnon-Pratte, l’influence du mouvement pittoresque en architecture s’exerce entre 1830 et 187026, tandis que Janet Wright date ce même mouvement entre 1780 et 186527. Bien qu’il soit difficile d’attribuer des dates précises à l’esthétique pittoresque, en prenant en compte l’arrivée des notables anglais et le développement du style gardenesque, nous pouvons situer le début de l’influence pittoresque entre 1800 et 1810 et son expansion jusqu’en 1840. La catégorie esthétique du gardenesque, qui s’installe tranquillement en Grande-Bretagne vers 1832, prendrait alors place à Québec entre 184128 et 1845, à la même période que la publication du traité d’Andrew Jackson Downing aux États-Unis, puis son influence s’intensifierait dans les années 1850 jusqu’à la fin du XIXe

siècle.

Ainsi, en examinant les liens concrets entre l’aménagement des jardins, les pratiques horticoles, l’architecture des serres et l’architecture des résidences, puis en tenant compte des influences anglaises et américaines, nous tenterons de poser un nouveau regard sur les théories esthétiques du paysage et sur les aménagements paysagers des jardins périurbains du XIXe siècle de la ville de Québec. Nous voulons démontrer que le courant pittoresque est en fait très diversifié et contient des pratiques variées ; le souci de

25 Monographies et Esquisses (1885) et Picturesque Quebec (1882).

26 Pour France Gagnon-Pratte, l’architecture palladienne, qui est populaire à Québec entre 1780 et 1820 ne fait pas partie du mouvement pittoresque. C’est plutôt à partir de 1830 que les résidences dans le style palladien, transformées par l’ajout d’annexe, font partie, d’après l’auteure, du mouvement pittoresque. Gagnon-Pratte, Ibid., p. 82.

27 Janet Wright, L’architecture pittoresque au Canada, Ottawa, Direction des lieux et parcs historiques nationaux Parcs Canada, Environnement Canada, 1984, p. 102-127

28 L’année de 1841 marque également le Canada par l’Acte d’Union. Cet acte a pour effet de réunir les deux provinces du Canada, le Haut-Canada et le Bas-Canada, et de passer ainsi d’une structure de gouvernance colonialiste à une structure nationale canadienne en donnant plus de responsabilités au gouvernement canadien. « L’Acte d’Union, loi du Parlement britannique, entériné en juillet 1840 et promulgué le 10 février 1841, a réuni les colonies du Haut-Canada et du Bas-Canada sous l’égide d’un seul et unique gouvernement, donnant naissance à la Province du Canada. » Jacques Monet, mise à jour le 3

avril 2015, « L’Acte d’Union », Encyclopédie Canadienne, [En ligne], <

(20)

8

l’environnement évolue considérablement à travers le XIXe

siècle et plus précisément pendant la deuxième moitié du XIXe siècle avec le gardenesque. En bousculant ainsi la vision courante de l’architecture et du paysage de Québec, ce mémoire nous permettra d’apporter de nouvelles perspectives d’interprétation sur l’environnement de la ville de Québec.

Le premier chapitre de ce mémoire nous servira d’introduction aux différents concepts sur les catégories esthétiques du XVIIIe siècle ainsi qu’à leurs théoriciens respectifs. Nous examinerons d’abord les théories d’Edmund Burke portant sur le beau et le sublime, puis nous aborderons les théories de William Gilpin, de Uvedale Price, de Richard Payne Knight et de Humphrey Repton sur le pittoresque. Nous donnerons beaucoup d’importance à la définition du pittoresque, qui évolue et se complexifie pendant tout le XVIIIe siècle et jusqu’au XIXe siècle. Finalement, nous aborderons les concepts de l’anglais John Claudius Loudon et de son homologue américain Andrew Jackson Downing sur le gardenesque. Nous nous intéressons plus particulièrement à ces deux auteurs en raison de leur important rôle dans le développement de la compréhension du paysage au XIXe siècle.

Dans le deuxième chapitre, nous aborderons plus précisément la présence du pittoresque dans le Bas-Canada et son implantation dans les paysages de la ville de Québec. Nous tenterons ainsi de comprendre pourquoi l’esthétique pittoresque est préférée aux autres esthétiques, le beau et le sublime, pour représenter la ville de Québec au XIXe siècle. Pour ce faire, nous parlerons brièvement des premiers jardins en Nouvelle-France, puis nous aborderons le sujet de leur transformation vers le style préféré des colons anglais, le pittoresque. Ensuite, nous traiterons des aspects qui lient les représentations pittoresques de la ville à la vision anglaise de Québec au XIXe siècle en analysant trois représentations des domaines périurbains de Québec, Woodfield, Spencer Wood/Spencer Grange, peintes par James Pattison Cockburn entre 1830 et 1831. Finalement, nous nous intéresserons à l’intégration de l’esthétique pittoresque dans l’architecture et dans l’aménagement paysager de la ville de Québec. Nous donnerons des exemples de villas construites à l’époque afin de comprendre comment l’architecture s’est adaptée à cette esthétique et

(21)

9

ultimement comment l’influence pittoresque a été accompagnée par l’introduction de la serre autour des habitations.

Le troisième et dernier chapitre examinera comment l’esthétique du gardenesque s’est implantée dans le paysage de la ville de Québec dès 1841. Nous aborderons d’abord les caractéristiques du gardenesque que propose Andrew Jackson Downing dans son ouvrage

A Treatise on the Theory and Practice of Landscape Gardening, Adapted to North America publié en 1841 aux États-Unis. Ensuite, en analysant les domaines de Woodfield

de Spencer Wood/Spencer Grange, nous parlerons du développement des aménagements paysagers vers le style gardenesque en utilisant les caractéristiques énumérées par Downing. Puis, nous étudierons la transformation du jardin canadien au cours du XIXe siècle par l’introduction du style gardenesque en considérant son évolution dans la ville de Québec ainsi que la popularisation des sciences naturelles. Enfin, nous parlerons du déploiement des traités d’horticultures au Canada, de la création de sociétés d’horticulture et enfin de la popularisation de la serre dans les domaines de Québec.

(22)

10

CHAPITRE 1

LES CATÉGORIES ESTHÉTIQUES ANGLAISES

Les historiens de l’art reconnaissent que les catégories esthétiques anglaises ont servi à appréhender les paysages canadiens au tournant du XIXe siècle1.

Avant d’examiner comment elles ont influencé l’architecture et l’aménagement paysager à Québec, il nous semble utile de connaitre les principales catégories esthétiques en nous appuyant sur les auteurs qui, à nos yeux, proposent les meilleures synthèses de leurs idées; nous examinerons successivement les concepts concernant le paysage développées par Edmund Burke, William Gilpin, Uvedale Price, Richard Payne Knight, Humphrey Repton et John Claudius Loudon. Nous verrons comment la catégorie esthétique du beau s’est fragmentée à partir du milieu du XVIIIe

siècle, d’abord avec Edmund Burke et ses idées sur le sublime, ensuite avec l’introduction du pittoresque, lui-même décliné en plusieurs interprétations, de Gilpin à Loudon. À ceci s’ajoutera une autre catégorie, moins connue, mais tout aussi fondamentale pour notre recherche, le gardenesque, que nous continuerons à nommer en employant le terme anglais. Nous considérons ce style comme l’indice d’un développement majeur dans la compréhension du paysage au XIXe siècle, et il mérite par conséquent que nous nous intéressions à ses attributs et à son rapport particulier au paysage au même titre que les autres catégories esthétiques.

1 Ian S. MacLaren, « The Limits of the Picturesque in British North America », Journal of Garden History, Vol. 5, N° 1, 1985, p. 97-111 ; Marylin J. McKay, Picturing the Land. Narrating Territories in Canadian Landscape Art, 1500-1950, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2011, 359 p. ; Alain Parent, « Entre empire et nation. Gravures de la ville de Québec et des environs, 1760-1833 », Thèse de doctorat, Québec, Université Laval, 2003, 299 p. ; Didier Prioul, « Les paysagistes britanniques au Québec : de la vue documentaire à la vision poétique », dans Béland, Mario, dir., La Peinture au Québec, 1820-1850 : nouveaux regards, nouvelles perspectives, Musée du Québec & Les Publications du Québec, 1991, p. 50-59 ; Ron Williams, Landscape Architecture in Canada, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2014, 664 p.

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11

1.1 De l’Angleterre à l’Amérique

Les nombreux essais sur l’esthétique du paysage s’additionnent aux débats suscités par la découverte de nouvelles émotions lors des voyages des Britanniques sur le continent européen, et en particulier du Grand Tour, qui est un moment fondamental dans la formation de tout jeune aristocrate dès le XVIIe siècle2. C’est à cette époque que s’éveille en Angleterre une appréciation pour les paysages en peinture et notamment l’intérêt des membres de l’aristocratie pour la collection de peintures de paysage. En voulant montrer leur connaissance artistique, les membres de l’élite s’approprient les théories sur l’esthétique pour caractériser les paysages représentés3

.

Au XVIIIe siècle, les recherches théoriques d’Edmund Burke, de William Gilpin, d’Uvedale Price, de Richard Payne Knight et de Humphrey Repton portent en majeure partie sur la catégorisation de l’esthétique de la relation au paysage. C’est en revalorisant les qualités visuelles, « susceptibles de produire et de créer chez le spectateur des sensations et des états d’âme variés4

», que sont définies les nouvelles catégories esthétiques. Ainsi, les notions de beau et de sublime prennent place aux côtés du pittoresque et permettent de catégoriser les paysages en fonction des différentes émotions qu’ils suscitent chez les spectateurs.

1.1.1 Edmund Burke : le beau et le sublime

Edmund Burke (1729-1797) est l’auteur d’un essai écrit au XVIIIe siècle qui distingue les catégories esthétiques du beau et du sublime et établit, pour près d’un demi-siècle, « a wholly objective conception of the effect of visible objects on the passions5. » Né à

2 Christopher Hussey, The Picturesque. Studies in a Point of View, 2e éd., Archon Books, 1967, p. 12. 3

Ibid, p. 12.

4 France Gagnon-Pratte, L’architecture et la nature à Québec au dix-neuvième siècle : les villas, Québec, Ministère des Affaires culturelles, 1980, p. 89.

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12

Dublin en 1729, Burke est reconnu comme un politicien engagé6 et un philosophe. Sur le plan politique, il soutient, tout au long de sa carrière, les Américains dans leur quête de l’indépendance et il s’oppose vivement à la Révolution française. Les premiers ouvrages de sa longue carrière d’écriture sont : A Vindication of Natural Society : A View of the

Miseries and Evils Arising to Mankind (1756), A Philosophical Enquiry into the Origin of our Ideas of the Sublime and Beautiful7(1757, révisé en 1765) et An Essay Towards an

Abridgement of English History (1757-1762). Entre 1758 et 1765, il participe comme

rédacteur en chef à l’Annual Registrer, une publication qui permet à plusieurs auteurs d’analyser les événements politiques internationaux de l’année courante. En 1765, Burke devient le secrétaire particulier du marquis de Rockingham, premier ministre de la Grande-Bretagne. Au cours des années suivantes, il publie plusieurs versions de ses discours parlementaires, dont American Taxation (1774), Conciliation with America (1775) et Fox’s East India Bill (1783) ainsi que des commentaires sur la politique domestique et les affaires internationales, comme An Appeal from the New to the Old

Whigs (1791), Letters on a Regicide Peace (1795-1797) et A Letter to a Noble Lord

(1796)8.

Dans son essai esthétique, A Philosophical Inquiry into the Origins of our Ideas of the

Sublime and Beautiful (1757), Edmund Burke définit les propriétés du beau comme

l’harmonie entre les parties. Dans les mots de Milani, il s’agit de: « smallness, smoothness, variety, fragility, and colour in the appropriate doses » ainsi qu’harmonieux et attirant9. Dans la nature, le beau peut être vu à travers des éléments spécifiques tels que « un cygne, une rose, et un jardin [conçu] par Brown10. » Dans le même sens, le philosophe allemand Emmanuel Kant (1724-1804), qui tient compte de l’essai de Burke

6 Il a longtemps été député à la Chambre des communes britannique, en tant que membre du parti Whig. Ian Harris, « Edmund Burke », The Stanford Encyclopedia of Philosophy, 2012, [En ligne], <http://plato.stanford.edu/archives/spr2012/entries/burke/>, (consulté le 23 août 2016).

7 Ce texte attire l’attention de penseurs tels que Denis Diderot et Emmanuel Kant. James Prior, Life of the Right Honourable Edmund Burke, 5e éd., Londres, Henry G. Bohn, 1854, p. 47.

8

Harris, op. cit.

9 Raffaele Milani, Art of the Landscape. Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2009, p. 109.

10 Edmund Burke, A Philosophical Inquiry into the Origins of our Ideas of the Sublime and Beautiful, Londres, R. and J. Dodsley, 1757, p. 94-95.

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13

notamment sur les jardins de Lancelot « Capability » Brown11, déduit dans Critique du

jugement (1790) que le beau peut être ultimement exprimé dans le paysage par l’ordre,

l’élégance et la symétrie. Raffaele Milanie propose que le beau permet un arrangement parfait entre « the formal garden, where there is representation, the art of landscaping (the imitation and control of nature), and the landscape garden, where we have the garden as nature12. » Cette beauté parfaite a inspiré selon Milanie les observateurs dans les anciens jardins classiques. Enfin, les différentes théories sur le beau dans le paysage s’accordent sur un point : « the idea of Beauty unifies all others in a fusion of the self and nature. Being itself is Beauty and poetry is seen to spring from nature13. »

À l’opposé du beau, le sublime est un concept esthétique qui renvoie aux émotions les plus fortes. La définition du sublime de Burke implique l’idée de la douleur, du danger, de la terreur, de la passion et de l’effroi mélangé avec l’admiration et le respect. Dans la nature, « a storm at sea, a gloomy forest, a lion, a tiger, or a rhinoceros, are all sublime14. » Dans le même sens, Milani explique que « The sublime is that which is vast, rough, dark, and massive; it is a kind of tranquility tinged with terror15. » D’après lui, la définition d’Emmanuel Kant dans Critique du jugement (1790) s’applique bien à ce que l’on peut ressentir à la vue d’un paysage sublime. Kant utilise également des termes que propose Burke dans son essai tels que « power » et « vastness » pour décrire sa vision de l’immensité de la nature16

.

Le sublime est néanmoins perçu et théorisé différemment pendant tout le XVIIIe et le XIXe siècle par d’autres penseurs. Ainsi, Kant voit l’expérience du sublime comme l’ultime libération de l’homme par rapport à la nature, tandis que pour le poète

11

Au XVIIIe siècle, Lancelot Brown (1716-1783) est le concepteur de jardins le plus populaire en Angleterre. Son surnom « Capability » provient de son habitude d’inviter les notables à améliorer les capacités ou « capability » du paysage. Il exploite donc les possibilités des jardins en détruisant le jardin français plus formel et géométrique, qui était alors populaire, pour le remplacer par des éléments plus « naturels ». Stéphanie Ross, « The Picturesque : An Eighteenth-Century Debate », The Journal of Aesthetics and Art Criticism, Vol. 46, N° 2, hiver 1987, p. 273.

12 Milani, op. cit., p. 111. 13

Ibid., p. 113. 14 Burke, op. cit., p. 60. 15 Milani, op. cit., p. 110. 16 Ibid., p. 101.

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14

romantique William Wordsworth (1770-1850) il s’agit d’une expérience participative ou immersive dans la nature17. De manière générale, le sublime peut contenir toute réaction intense engendrée par des paysages naturels éblouissants, majestueux ou extrêmement accidentés, réels ou peints18.

Pendant un certain moment, les concepts du beau et du sublime suffirent pour décrire l’esthétique des paysages et pour définir tous les plaisirs esthétiques ressentis. Par contre, de nouvelles qualités dans la peinture du paysage du XVIIIe siècle amènent une complexité qui n’appartient plus aux catégories esthétiques « anciennement » définies. Comme l’expose Christopher Hussey, « in the landscape painting of Gainsborough appeared a great quality of rough, shaggy, and summarily delineated objects, derived from Dutch landscape, that immediately pleased the connoisseurs but were obviously neither sublime nor beautiful19. »

1.1.2 William Gilpin, Uvedale Price et Richard Payne Knight : le pittoresque

La catégorie esthétique du pittoresque est au centre de nombreux débats de théoriciens esthétiques du XVIIIe et du XIXe siècle. Entre William Gilpin, Uvedale Price et Richard Payne Knight, sa définition diffère un peu ; d’abord très ancrée dans l’aspect « pictural », la catégorie s’ouvre ensuite à d’autres préoccupations, comme la perception multisensorielle et les associations20.

La notion classique du pittoresque a d’abord été formulée par William Gilpin. D’origine anglaise, William Gilpin (1724-1804) est connu pour avoir raffiné les concepts sur les catégories esthétiques du paysage avec l’ajout du pittoresque et pour avoir élaboré des théories sur l’esthétique de l’image. Dès 1748, il consacre un essai à sa visite du domaine

17 Milani, Ibid., p. 102.

18 Ian S. MacLaren, The Influence of Eighteenth-century British Landscape Aesthetics on Narrative and Pictorial Responses to the British North American North and West, 1769-1872, Thèse de doctorat, London, University of Western Ontario, 1983, p. 34.

19 Hussey, op. cit., p. 13.

20 Marc Grignon, « Architecture and "Environmentality" in the Nineteenth Century », Journal of the Society for the Study of Architecture in Canada, Vol. 38, Nᵒ 2, 2014, p. 68-70.

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15

de Stowe dans le Buckinghamshire, où il s’intéresse particulièrement à l’aménagement des jardins et au paysage21. En 1753, Gilpin devient le directeur de la Cheam School for Boys dans le Surrey, puis il tente de produire un premier essai portant sur la théorisation du paysage, mais celui-ci passe inaperçu en raison de la fameuse publication d’Edmund Burke portant sur le sublime et le beau (A Philosophical Inquiry into the Origins of our

Ideas of the Sublime and Beautiful, 1757)22. Il tourne alors son attention sur l’image et le

graphisme, puis publie anonymement en 1768 son Essay on Prints qui porte sur l’esthétique de diverses images et sur leurs artistes. Au total, trois éditions de son essai sont publiées entre 1768 et 1781 ; la dernière édition est pour la première fois signée par Gilpin. Entre 1768 et 1776, William Gilpin passe ses étés à voyager à travers l’Angleterre en prenant des notes dans le but d’écrire un prochain livre23. Après avoir quitté sa fonction de directeur d’école, Gilpin publie en 1786 un autre important essai,

Observations, relative chiefly to picturesque beauty, made in the year 1772 : on several parts of England ; particularly the mountains, and lakes of Cumberland, and Westmoreland24, qui annonce le début du romantisme où on constate le grand intérêt de Gilpin pour les ruines.

William Gilpin décrit en 1768, dans son Essay on Prints, la beauté du pittoresque comme un concept différent de celui associé au sublime et au beau. En voulant englober son appréciation de la peinture de paysage de Nicolas Poussin ou de Claude Lorrain et pour encourager « a picture-imagination25 » lors de voyages, Gilpin définit le terme pittoresque comme l’expression d’une sorte particulière de beauté qui est agréable dans un tableau26. Aussi, Gilpin explique que « l’imagination picturale » s’exerce par l’orientation de l’attention sur l’analyse et l’évaluation de scènes naturelles rencontrées

21

Dictionary of Art Historians, «Gilpin, William». A Biographical Dictionary of Historic Scholars,

Museum Professionals and Academic Historians of Art. [En ligne], <

https://dictionaryofarthistorians.org/gilpinw.htm>, (consulté le 23 août 2016). 22 Ibid.

23 Ibid.

24 William Gilpin, Observations, relative chiefly to picturesque beauty, made in the year 1772 : on several parts of England ; particularly the mountains, and lakes of Cumberland, and Westmoreland, Londres, T. Cadell and W. Davies, Strand, 1786, 330 p.

25 Mavis Batey, « The Picturesque : An Overview », Garden History, Vol. 22, N° 2, The Picturesque, hiver 1994, p. 122.

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16

pendant les voyages pour trouver les paysages les plus réceptifs à la peinture27. Dans le même sens, selon Hussey, William Gilpin distingue à l’aide des termes « Picturesque Beauty » et « Picturesque Sublimity »28 les objets qui sont beaux et sublimes et qui seraient adéquats pour la peinture.

Dès 1794, les concepts de Gilpin sur la beauté pittoresque sont repris et transformés par d’autres théoriciens : « […] Gilpin’s practical ideas for encouraging a picture-imagination when travelling was developed into abstract picturesque theory by the two Herefordshiresquires Richard Payne Knight and Uvedale Price29. »

En contraste à Gilpin, Uvedale Price définit le pittoresque en 1794 comme un mouvement qui met l’accent sur les qualités de l’irrégularité, la rudesse et la complexité des mouvements30. Sir Uvedale Price (1747-1829) est né en Angleterre dans le Herefordshire et, tout comme son ami et voisin Richard Payne Knight (et comme William Gilpin), il est l’un des protagonistes du mouvement esthétique du paysage, le pittoresque31

. Bien nanti, Price est, tout comme Edmund Burke, membre du parti Whig de la Chambre des communes britannique. Uvedale Price est reconnu pour son Essay on the Picturesque, As

Compared with the Sublime and The Beautiful, publié en 1794 (édition augmentée en

1796-1798 et en 1819), où il développe ses idées sur la théorie du pittoresque en tant que catégorie esthétique32. Il est aussi reconnu pour être un excellent musicien et un artiste très doué. En 1767, il part étudier l’italien à Florence, puis il amorce son Grand Tour à Rome, à Venise et à Turin avant de se rendre en Suisse33. De retour en Angleterre, Price s’active dans le jardin de la maison familiale et fait plusieurs changements esthétiques en faveur de la beauté naturelle du paysage. Cette expérimentation met de l’avant le mépris que voue Uvedale Price au style de jardin popularisé par Brown, qu’il considère comme monotone et banal. L’approche de Brown consiste en une organisation équilibrée et

27 Batey, op. cit., p. 122. 28

Hussey explique que le terme Picturesque Beauty a déjà été utilisé par Gilpin contrairement à celui de Picturesque Sublimity. Hussey, Ibid, p. 13.

29 Batey, op. cit., p. 121. 30

Gagnon-Pratte, op. cit., p. 89.

31 William Prideaux Courtney, « Price, Uvedale », Dictionary of National Biography, 1885-1900, Vol. 46. 32 Ross, op. cit., p. 271.

(29)

17

simple avec l’utilisation de quelques éléments naturels du paysage, tels que des bosquets, un étang ou la courbe d’une colline. Price prône plutôt un amalgame d’éléments naturels et fait « l’éloge des accidents de la nature : un arbre racorni [ou] une branche à demi emprisonnée dans la surface gelée d’une mare34

». Pour Price, un jardin se doit d’être sauvage, contrasté et d’aspect négligé. D’après lui, le concepteur de jardin doit alors penser son aménagement de manière à ce que tous les sens soient en extase35. L’esthétique du beau, plutôt associée aux jardins de Brown, ne s’accorde pas avec les caractéristiques que propose Price. Le pittoresque, en tant que catégorie esthétique, permet d’améliorer la nature à la façon d’un peintre, pour apprécier son apport multisensoriel et « multi-émotive ». Ainsi, Price « […] isolated a set of qualities which allowed him to mark what was missing in the gardens of « Capability » Brown and to establish criteria for successful improvements. These qualities comprise the picturesque36. » Price définit le pittoresque à partir de caractéristiques telles que la rudesse, les variations soudaines et l’irrégularité. Ces qualités lui permettent de s’éloigner de la peinture et de prendre une certaine distance face à la conception strictement picturale de Gilpin pour éventuellement se tourner vers l’esthétique du paysage. Selon Price, le pittoresque n’est pas moins indépendant de l’art pictural que le beau et le sublime, mais « the qualities which make objects picturesque […] are equally extended to all our sensations, by whatever organs they are received.37 » Ainsi, pour Price ce sont les qualités immersives et l’expérience sensorielle qui distinguent l’esthétique pittoresque du paysage peint38.

En voulant imiter les concepts d’Edmund Burke pour le sublime et le beau, Uvedale Price fait du pittoresque une catégorie abstraite qui permet de qualifier les paysages plus irréguliers. Mavis Batey l’explique ainsi : « Price […] tried to make the Picturesque an

34

Encyclopédie Universalis, « Price Uvedale - (1747-1829) », Encyclopædia Universalis, [En ligne], < http://www.universalis.fr/encyclopedie/uvedale-price)>, (consulté le 23 août 2016).

35 Ross, op. cit., p. 273. 36

Ibid., p. 273.

37 Uvedale Price, Essays on the Picturesque, as Compared with the Sublime and the Beautiful; and on the Use of Studying Pictures, for the Purpose of Improving Real Landscape, Londres, J. Robson, 1796, p. 53. 38 Grignon, op. cit., p. 70.

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18

objective, abstract category comprising all rough objects and abrupt deviations as Burke had categorized the Beautiful as smoothness and gradual deviations39. »

En 1801, Price publie un essai nommé A Dialogue on the Distinct Characters of the

Picturesque and Beautiful en réponse à la critique que porte Richard Payne Knight, dans

la seconde édition de The Landscape, sur la définition du pittoresque que Price présente en 179540. La relation entre Uvedale Price et Richard Payne Knight est difficile tout au long de leur carrière et varie en fonction de leur accord sur les définitions et les concepts de chacun sur le pittoresque. Au départ, leurs critiques sur le style de jardin de Brown vont dans le même sens, et comme leur jugement sur le rapport entre l’art et le paysage s’accorde, Payne Knight propose à Price de participer à une publication (The Landscape, 1795)41. Price va cependant refuser en raison des théories de Payne Knight qui dépassent le simple concept esthétique pour tendre vers une théorie du goût plus complexe reposant sur le point de vue de l’observateur et non, comme chez Price, sur les objets eux-mêmes42.

Puis, Payne Knight développe son idée sur le pittoresque et critique vivement l’accent que met Edmund Burke, de même qu’Uvedale Price, sur l’apport des sensations et des émotions dans le paysage ou la peinture43. Pour Payne Knight, l’appréciation d’un paysage est directement influencée par le niveau de connaissance des paysages peints ; les connaissances surpassent ainsi les émotions. Payne Knight développe cette idée qu’il nomme la théorie de l’association et, comme l’explique Christopher Hussey :

« Knight’s contention was that the picturesque consisted only in a manner of viewing things – with an eye and mind educated in the principles of painting; and that picturesque beauty was simply the beauty of visible objects; called so because painting, by imitating the visible qualities only, isolated beauty from whatever irrelevant qualities or circumstances might tend to conceal it44 ».

39

Batey, op. cit., p. 123. 40 Ross, op. cit., p. 272. 41 Ibid.

42

Richard Payne Knight, An Analytical Inquiry into the Principles of Taste, Londres, imprimé par Luke Hansard, 1806, p. 196.

43 Batey, op. cit., p. 123. 44 Hussey, op. cit., p. 69.

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19

Richard Payne Knight (1750-1824) est tout aussi important dans le développement des concepts entourant l’esthétique du pittoresque. Né en Angleterre dans le Herefordshire, Payne Knight reçoit une courte éducation à la maison familiale en raison de sa faible santé et finalement il n’étudie pas à l’université. Il est connu comme collectionneur et critique d’art, archéologue, philologue et politicien, membre du Parlement britannique45

. Richard Payne Knight et son frère Thomas Andrew Knight, horticulteur, héritent en 1764 du domaine familial à Downton, Herefordshire46. En 1767, Payne Knight part pour l’Italie et commence son Grand Tour, qui dure plusieurs années. À son retour, il possède une importante collection d’art qu’il installe dans sa demeure de style « Gothic Revival » nouvellement construite47. Il organise en 1778 l’aménagement paysager de son domaine en suivant les concepts du pittoresque, qu’il préconise48

. Payne Knight rejoint en 1781 la société des Dilettanti qui regroupe une communauté d’érudits d’Europe s’intéressant aux antiquités, aux principes archéologiques, à l’art et à la littérature49

. Entre 1786 et 1806, Payne Knight publie plusieurs essais, mais le plus populaire d’entre eux reste son

Analytical Inquiry into the Principles of Taste de 1805 (trois éditions, 1805-1806), qui

présente les associations comme un concept joint au pittoresque50. Il est aussi l’auteur de deux poèmes didactiques nommés The Landscape (1794-1795) où il critique les méthodes d’aménagement paysager de Lancelot Brown ainsi que la définition du pittoresque que propose son collègue Uvedale Price.

Dans son texte Analytical Inquiry into the Principles of Taste, Payne Knight offre une définition du pittoresque très différente de ce qu’avait avancé Price dans son essai. Il explique que l’erreur de Price est d’avoir cherché « distinctions in external objects which only exist in the modes and habits of viewing and considering them51. » Pour Payne Knight, le pittoresque est constitué d’associations qui se révèlent dans l’esprit de

45 Warwick William Wroth, « Knight, Richard Payne », Dictionary of National Biography, 1885-1900, Vol. 31.

46 Ibid. 47 Ibid. 48

Ibid.

49 Lionel Cust, History of Society of Dilettanti, Londres, MacMillan, 1898, p.1-4. 50 Milani, op. cit., p. 97.

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l’observateur et non, comme chez Price, dans l’environnement. Il explique ainsi comment une association peut constituer le pittoresque :

« […] this very relation to painting, expressed by the word picturesque, is that, which affords the whole pleasure derived from association; which can, therefore, only be felt by persons, who have correspondent ideas to associate; that is, by persons in a certain degree conversant in that art. Such persons being in the habit of viewing, and receiving pleasure from fine pictures, will naturally feel pleasure in viewing those objects in nature, which have called forth those powers of imitation and embellishment […]. The objects recall to the mind the imitations, which skill, taste, and genius have produced; and these again recall to the mind the objects themselves, […]52. »

Christopher Hussey propose un rapprochement des théories sur le pittoresque de Price et de Payne Knight, qui partagent certaines préoccupations impressionnistes, soit la recherche de qualités visuelles dans le paysage peint ou réel, notamment la lumière et les couleurs des plantes53. D’après Hussey, « The impressionist garden that they visualized was a reaction from the garden of idea contemplated by Brown […]54

. » Ces deux théories se distinguent cependant par la dimension subjective du pittoresque et l’idée d’association chez Payne Knight, qui contraste avec la dimension objective de l’argument de Price.

1.1.2.1 Humphrey Repton

Reconnu comme le successeur de Lancelot « Capability » Brown, Humphrey Repton (1752-1818) s’inscrit dans le débat sur le pittoresque par ses aménagements paysagers sobres et irréguliers, et se distingue, selon Mavis Batey, par une approche plus pratique que ses prédécesseurs : « […] Repton’s system of landscape gardening embracing flexibility and amenity as well as picturesque principles which flourished and was practiced all over the country.55 » Né à Bury St Edmunds en Angleterre, Repton est destiné à devenir marchand et à travailler pour son père à Norwich, mais sa passion pour

52

Ibid., p. 152-153. 53 Hussey, op. cit., p. 160. 54 Ibid.

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