• Aucun résultat trouvé

ARTheque - STEF - ENS Cachan | Faut-il vraiment faire rencontrer les grandes œuvres scientifiques et techniques à tous les élèves ?

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "ARTheque - STEF - ENS Cachan | Faut-il vraiment faire rencontrer les grandes œuvres scientifiques et techniques à tous les élèves ?"

Copied!
5
0
0

Texte intégral

(1)

Faut-il vraiment faire rencontrer les grandes œuvres

scientifiques et techniques à tous les élèves ?

Jean-Louis Martinand – Ecole Normale Supérieure de Cachan, LIREST

Texte pour Les cahiers pédagogiques (N° 402), publié très modifié sur le fond par la revue. « L’étude de l’acte nous a ainsi mené au signe et nous a

montré que par toutes ses conduites l’homme est

constructeur. La construction de l’acte participe déjà de ce qui sera la construction de l’œuvre : la forme et la

signification. Dès l’acte, nous avons le souci de la beauté, de l’ordre et de l’intelligibilité. La hiérarchie des actes et des institutions montre les degrés de notre effort.

L’œuvre y ajoutera la double marque du durable et de l’achevé ».

Ignace Meyerson. Les fonctions psychologiques et les œuvres, p. 28.

Pour un scientifique ou un technologue du XXIè siècle « faire rencontrer les grandes œuvres à tous nos élèves » ne va pas de soi. Il y décèle un parfum plus que « rétro », anachronique. Cependant, la suggestion mérite une réflexion plus sérieuse. C’est à esquisser cette réflexion que visent ces notes rapides.

L’approche par les œuvres

« Faire étudier les grandes œuvres », c’est une idée de base de la pédagogie de l’enseignement secondaire depuis des siècles. Pour nous en convaincre, lisons les trois règles du professeur de mathématiques de la Ratio Studiorum des Collèges de Jésuites (version 1599)

Règles du professeur de mathématiques :

1) Quels auteurs faut-il expliquer, en quels temps, à qui ? Le professeur de mathématiques expliquera en classe aux étudiants de physique, pendant trois quart d’heure environ les Eléments d’Euclide ; quand ils les auront quelque peu pratiqués pendant deux mois, il ajoutera quelques notions sur la géographie, sur la sphère, ou sur les autres matières qui leur plaisent d’habitude, et cela en même temps qu’Euclide, le même jour, ou un jour sur deux.

2) .Problème. Chaque mois, ou au moins un mois sur deux, il aura soin de faire résoudre par un étudiant quelques problèmes mathématiques fameux, dans une grande assemblée de philosophes et de théologiens ; après quoi, si on le juge bon, on argumentera.

3) Répétition. Une fois par mois, de préférence le samedi, à la place de la prélection, on repètera publiquement les principales questions étudiées pendant le mois.

(2)

Pour un enseignant de sciences aujourd’hui de telles « règles » sont totalement étranges. Claudette Balpe (1998) propose une périodisation des évolutions de l’enseignement de la physique depuis le XVIIIè siècle, périodisation qui fait bien comprendre cette étrangeté.

Comme les mathématiques de la Ratio Studiorum, la physique, présente au XVIIè siècle dans les collèges de Jésuites sous forme de commentaire d’Aristote, mais déjà plus cultivée chez les Oratoriens, prend peu à peu une place plus importante. Mais ce qui est enseigné est une « physique des systèmes » (aristotélicien ou cartésien) contre laquelle s’élèveront Condillac et les Newtoniens. C’était sans doute avant tout une discipline philosophique (philosophie de la nature) pour homme du monde et théologien.

Le XIXè siècle développe progressivement dans les « lycées et collèges » une physique scolaire d’érudition encyclopédique pour les notables. Les changements économiques, sociaux, scientifiques et idéologiques conduisent au début du XXè siècle à une réforme importante en 1902 pour une physique fondée sur la logique théorique et les exercices pratiques (Nicole HULIN, 2000) pour les futurs scientifiques, ingénieurs ou médecins.

Les « humanités scientifiques » qui concurrencent alors les humanités classiques n’ont plus pour base l’étude des œuvres de savants, ou des contributions isolées (expérience ou théorème). Elles s’inscrivent dans une conception, déjà très bien argumentée par Condorcet dans son mémoire Sur l’instruction relative aux sciences, qui insiste sur l’organisation méthodique et la progression régulière, qui n’ont presque plus de rapport avec une évolution historique, vue comme succession de grandes œuvres ; les génies ne disparaissent pas, mais leur « ouvrage » est ramené à des contributions décisives, non à des œuvres achevées.

Condorcet : sur l’instruction relative aux sciences. « Dans cet enseignement on ne développera en détail que les théories vraiment importantes ; on s’attachera surtout à faire sentir l’esprit et l’étendue des moyens qui ont conduit à de nouvelles vérités, à montrer ce qui a été le fruit du travail, et ce qui a été précisément l’ouvrage du génie (…).

Il ne faudrait pas avoir la prétention de s’astreindre à suivre la marche des inventeurs. Cette marche historique est dépendante de celle que suit la science entière à chaque époque, de l’état des opinions, des goûts, des besoins de chaque siècle ; elle n’est pas assez méthodique, assez régulière pour servir de base à l’instruction.

… ce qui importe véritablement, ce n’est pas de montrer l’art d’inventer dans ceux qui, séparés de nous par un long espace de temps, ignoraient et les méthodes actuelles et les nombreux résultats qui en sont le fruit ; c’est dans ces méthodes nouvelles qu’il faut surtout faire observer les procédés du génie.

Condorcet : Cinq Mémoires sur l’instruction publique, éd. GF Flammarion (1994) p 256.

(3)

Les interrogations d’aujourd’hui remettent en partie en question cette vision « scientiste » où la méthode assurerait les résultats et la connaissance devrait déterminer l’action. Avec un enseignement secondaire généralisé, l’éducation scientifique et technologique est aussi une formation du citoyen qui ne peut plus se désintéresser des relations entre problèmes de société/connaissance scientifique et changements technologiques. Et si les théories des sciences expérimentales résistent bien à l’épreuve de l’expérience et méritent absolument d’être connues, ce dont on a besoin du point de vue de la maîtrise des techniques, comme de la compréhension du monde, c’est plus encore de savoir manipuler des modèles, avec leurs caractéristiques d’approximation et d’adaptabilité.

La culture et les œuvres

Vouloir penser les sciences comme une bibliothèque d’œuvres même collectives, c’est pour un observateur contemporain s’inscrire dans une conception scolastique de la science, déjà là et à apprendre. Or la science moderne c’est ce qui progresse, qui est produit et enrichi, reproduit, reformulé, parfois révolutionné. Pour les protagonistes des humanités classiques (leur voix n’a pas disparu, ce qui est heureux), la science c’est ce qui change, un royaume de l’éphémère, où les œuvres sont dévaluées et où il n’y a plus de repères ; pour eux, seuls les grands chefs d’œuvre immortels peuvent constituer la base d’une éducation de l’homme en lui faisant approcher son essence éternelle. Le débat n’est donc pas subalterne, il est fondamental.

On pourrait alors croire que l’affaire est jugée. Au sens strict, apprendre les sciences, c’est approcher les reconstructions théoriques, les instruments symboliques et matériels, les applications techniques tels qu’ils sont aujourd’hui, même s’ils s’enracinent dans un passé marqué par des moments décisifs où un savant a « fait oeuvre » en contribuant à changer notre regard sur le monde d’une manière qui apparaît rétrospectivement irréversible. Les sciences sont une production, ininterrompue, problématisée et validée, actualisée, dans laquelle l’éducation scientifique cherche à nous insérer.

Penser l’objet de l’éducation en termes de production, de conception et de réalisation, comme d‘analyse de produits, s’est imposé de la même façon en formation technologique pour la promotion d’un esprit et de capacités « industrieuses », ou en éducation artistique.

Mais force est de constater que ces évolutions se sont effectuées en tendant à expulser les producteurs au profit des produits, en accentuant un mouvement de désubjectivation, de déshumanisation des contenus scientifiques et technologiques : les « œuvres » disparaissent avec leurs créateurs dans des contenus « didactisés ». Yves Deforge (1990), s’intéressant à la conception technique et à la culture technique, avait déjà réfléchi aux rapports entre œuvre et produit :

(4)

Yves Deforge : l’œuvre et le produit … « en ce qui concerne la production :

- il y a œuvre quand un créateur et/ou un réalisateur mettent en œuvre des processus originaux (pour eux) avec affectivité,

- il y a produit quand des concepteurs et/ou des producteurs appliquent des processus formalisés sans affectivité.

… Notre distinction entre l’œuvre et le produit comme résultat tangible d’une activité productrice repose donc essentiellement sur une opposition entre les processus qui se développent dans un espace de liberté, d’une façon erratique, le risque de perte d’orientation étant combattu par une intention, un dessein, un but, un projet – disons une dynamique affective – dont sont porteurs les acteurs du processus (c’est ce que nous appellerons les processus originaux) et les processus qui se développent de bout en bout dans un univers déterministe suivant un enchaînement causal et dans lesquels toute intrusion de l’affectivité est perturbante.

Yves Deforge (1990). L’œuvre et le produit : Champ Vallon, p 33.

Dans la mesure ou toute éducation est transformatrice de la personne, engage sa subjectivité, Yves Deforge attire notre attention ici sur l’insuffisance d’une approche par les seuls produits. Il est nécessaire que ce sur quoi porte l’éducation engage la personnalité, la subjectivité, qu’il y fait affaire à des « œuvres ». Apprendre des solutions ou même résoudre des problèmes, ne suffisent pas, il faut aussi la conscience de participer à une aventure.

C’est ce qu’affirmait avec force I. Meyerson en conclusion de son livre (I. Meyerson 1948, p 195) :

« Les œuvres sont d’abord un témoignage. Elles fixent, résument et conservent ce que les hommes d’un temps ont réussi à faire et à exprimer. Elles sont un témoignage éminent : quand elles traduisent, non une pensée moyenne, mais une pensée neuve, un moment où l’esprit à tendance à progresser, à se dépasser. Elles agissent : la pensée neuve de quelques-uns devient une pensée nouvelle d’un grand nombre ».

Plus près de nous, Jérôme Bruner a développé une conception analogue de l’éducation et de la culture (J. Bruner, 1996).

D’une manière ou d’une autre, s’inscrire dans cette perspective implique, au delà de la réflexion précédente de repenser l’articulation entre approche du sens historique des sciences et des techniques et initiation aux connaissance opératoires. Or toute l’évolution des contenus de l’enseignement des sciences et des techniques depuis un bon siècle a eu pour corrélat l’exclusion de l’histoire.

(5)

Il ne s’agit pas d’abandonner les acquisitions opératoires, car il n’est pas de culture sans technicité, partagée avec d’autres et valorisée pour elle-même. Il s’agit de renouer avec une inscription historique qui donne conscience de participer à des aventures humaines.

Cela suppose une modification de l’équilibre entre les fins réellement poursuivies. Trois « accrochages » sont possibles :

- permettre aux élèves de comparer leur progrès aux obstacles épistémologiques ou technologiques franchis dans le passé par les savants, les inventeurs, les innovateurs,

- inscrire l’acculturation scientifique et technique dans une approche d’ensemble des relations entre avancées des sciences/innovations techniques/évolutions sociales,

- promouvoir l’appropriation de la science et de la technique comme la participation à une histoire humaine, non comme la seule acquisition de compétences instrumentales.

Cela suppose aussi d’autre forme de travail, en particulier des activités documentaires jouant un rôle fondamental, et des moment de communication. Il faut donc des outils documentaires pertinents, en particulier des recueils de textes, dessins, traces authentiques et accessibles (J-L. Martinand, 1993).

En bref, il faut certain retour vers des œuvres. Pas forcément des chefs d’œuvre uniques au sens artistique, mais des traces des « témoignages », des représentants qui peuvent « faire œuvre », et porter plus de sens humain.

Cela participe sans doute de ce qui semble bien nécessaire aujourd’hui : l’art de nous faire aimer la science et la technique, à l’instar de cet « art d’aimer la science » récemment remis en valeur par Pascal Nouvel (2000)).

Références

Balpe, C (1998). Quelle science pour quelle société. In P. Boutan et E. Sorel. Le Plan Langevin-Wallon, une utopie vivante. Paris : PUF. pp 83-86.

Bruner, J. (1996, trad. Française 1996). L’éducation, entrée dans la culture. Paris : Retz.

Condorcet, (C. Coutel et C. Kintzler pres.) (1994). Cinq mémoires sur l’instruction publique. Paris : GF Flammarion.

Deforge, Y (1990). L’œuvre et le produit. Seyssel : Champ Vallon.

Hulin, N (ed) (2000) Physique et humanités scientifiques – Autour de la réforme de l’enseignement de 1902. Lille : Presses Universitaires du Septentrion.

Martinand, J-L (1993). Histoire et didactique de la physique : quelles relations ? Bruxelles – Paris Didaskalia N 2 pp 89-99.

Nouvel, P (2000). L’art d’aimer la science. Paris : PUF.

Références

Documents relatifs

Oiseaux comme outils d’initiation à la connaissance de la faune et du développement de la personnalité chez les Gouro de la Marahoué, centre ouest de la Cote

Sa composante tangentielle (force de frottement) est dirigée dans le sens du mouvement et permet à la moto d’avancer.. Le coureur est soumis à son poids et à la réaction

Réglage horizontal des voies I et II Réglage vertical de la voie II Réglage vertical de la voie I Sélection AC ou DC selon le montage Touche XY (permettant d’afficher la voie

ont développé tout un programme de préparation (Programme « ADVANCE ») pour les parents et les enfants en donnant un rôle central et actif aux parents, permettant ainsi

Afin que les modèles et les numéros de série concernés des lames GVL et AVL GlideScope soient conformes au présent avis de sécurité, veuillez remplir les étapes 1 à 5 du

C’est donc à nous : urgentistes, infirmières d’urgence, permanenciers, secouristes, médecins généralistes, sapeurs pompiers, enfin toute personne impliquée dans cette phase aigue

In the minutes that followed the suicide bombing at the Stade de France, the Paris SAMU unit regulatory crisis team began to send out medical workers to the emergency sites from

Ainsi, sous réserve qu’on puisse paver le bâtiment par k dominos, comme un domino ne peut contenir plus d’une caisse, on peut majorer par k le nombre de caisses dans