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Le genre de la rêverie chez Rousseau : la relation avec le rédérent

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(2)

par

Isabelle Perrault

Mémoire de Maîtrise soumis à la

Faculté des études supérieures et de la recherche en vue de l'obtention du diplôme de

Maîtrise ès Lettres

Département de langue et littérature françaises Université McGili

Montréal, Québec

Juin 1995

(3)

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ISBN 0-6I2-07952-X

(4)

référent

Mémoire de Maîtrise par Isabelle Perrault

Département de langue et littérature françaises Université McGi11

(5)

Résumé

Nous explorons dans ce mémoire l'idée selon laquelle la Rêverie est un genre littéraire distinct qui trouve sa première réalisation

dans les Rêveries du promeneur solitaire de Jean-Jacques

Rousseau. L'étude de ce texte suggère que la rêverie littéraire se définit par la réflexion qu'elle contient sur le pouvoir référentiel du langage. Ce genre serait en effet le lieu d'une expérimentation visant à rendre compte dans sa totalité d'une réalité mouvante et

multiforme qui se laisse difficilement cerner. La notion de

référent a ici une importance primordiale; c'est à travers

l'observation du traitement que fait Rousseau de référents de

natures diverses dans ses Rêveries que nous arrivons à

comprendre la dynamique de la Rêverie comme genre littéraire. Nous commençons notre étude par un essai de définition du genre de la Rêverie, puis nous tentons de situer la Rêverie vis-à-vis de quefques genres connexes. Nous analysons ensuite les référents externes, notamment celui de la nature. Nous poursuivons par l'examen des référents internes, comme le Moi et les souvenirs. Nous étudions enfin un groupe de référents où se mêlent des caractéristiques des deux catégories précédentes, pour montrer, en conclusion, comment Rousseau s'achemine à travers l'écriture de ses Rêveries vers un "référent total".

(6)

Abstract

The idea explored in this thesis is that the Rêverie is a distinct literary genre, which found its birth with the realizationof the Rêveries du Promeneur solitaire by Jean-Jacques Rousseau. The

analysis of that text suggests that the lit,ferary Rêverie is

defined by the thoughts it contains about language's power to

reflect reality accurately. In this context, Rousseau's book

appears to be a place of experimentation in which the author attempts to capture his inner self and the world that surrounds hi m, as precisely as possible. The notion of referent plays a key role in this study. It is by observing the way Rousseau uses referents of different natures, that we will be able to understand Rêverie as a litterary genre. We start our study by attempting to define the Rêverie as a genre. We then compare it to other

literary genres with which it shares similarities. In the

following sections, we analyze both the internai and external referents present in Rousseau's tex!. Nature, people, memories and imagination are some of the referents we consider. We finally observe some referents that are both internai and external. This leads us to understand how Rousseau tries to con vey a "total referent" through his Rêveries.

(7)

Table des matières

Résumé p. 3

Abstract. p. 4

Table des matières p. 5

Introduction p. 6

Premier chapitre: La référentialité et le genre p. 11

Deuxième chapitre: Les référents externes p. 31

Troisième chapitre: Les référents internes p. 55

Quatrième chapitre: L'espace du dedans p. 79

Conclusion: Vers un référent total.. p. 104

(8)

Sincères remerciements à M. Jean Terrasse

qui m'a dirigée dans l'élaboration de ce projet.

Merci également à Monic Thouin-Perrault

pour ses critiques constructives,

puis à Guy, John et Laurent pour leur appui

et leurs encouragements.

(9)

INTRODUCTION

Plusieurs travaux relativement récents montrent un

effort de réflexion sur la forme des Rêveries du pro men e u r

solitaire et sur la place de ce recueil dans l'histoire des genres. Le plus éclairant de ces ouvrages est sans doute la thèse de

Jenene AIIison produite en 1986 à l'Université Yale. La chercheure

commence par rappeler l'hypothèse des théoriciens de la

réception (cf. Jonathan Culler) selon laquelle l'appartenance d'un

texte à un genre ou à un autre va conditionner le lecteur et

influencer son interprétation de l'oeuvre. Forte de cette idée,

Jenene Allison suggère que notre lecture des Rêveries de

Rousseau s'est trouvée faussée par une tendance à l'associer à

d'autres types d'écrits, par exemple à l'autobiographie. Mais bien

que le contenu du recueil et certains de ses aspects formels, comme l'utilisation de la première personne, semblent justifier

cette tendance, son éloignement permet une interprétation

(10)

Nous partageons donc l'opinion d'Allison selon laquelle trop peu d'attention a été donnée à la forme singulière de cet écrit. Des écrits tels que les Confessions ou les Dialogues

relèvent de genres connus, comme l'indiquent leurs titres. La

dernière oeuvre de Rousseau fondait par contre un genre nouveau,

distinct de tous les autres - celui de la Rêverie. Citons encore

Jenene Allison:

To consider the Rêveries on their own [c'est-à-dire en dehors du cycle d'écrits personnels constitué par les Confessions et les Dialogues] would be one way to take literally the isolationist declaration with which Rousseau begins the Rêveries: "Me voici donc seul sur la terre ...".1

La présente étude reprendra cette idée tout en

l'élargissant: ce n'est pas seulement en tant qu'elles diffèrent des autres oeuvres de Rousseau que nous analyserons les Rêveries,

mais en tant qu'elles appartiennent à un genre irréductible à tout

autre. Nous devons dans cette perspective préciser certaines

notions. Par exemple, dissiper la possible confusion entre la

rêverie comme état vécu et le genre littéraire désigné par la

même appellation. Les commentateurs des Rêveries n'ont pas toujours distingué ces notions avec toute la netteté voulue.

1J. Allison, Reading Autobiography. Self-Representation in Rousseau's Rêveries, Yale University, 1986, p. 40.

(11)

D'autres problèmes se posent également. Lorsqu'on

étudie une oeuvre dans sa relation avec un genre, il est

souhaitable de pouvoir la rattacher à d'autres oeuvres présentant

des caractéristiques semblables. Or on éprouve quelque difficulté

à identifier les textes appartenant au genre de la Rêverie, car

très peu d'auteurs ont recours à cette appellation. Plusieurs

oeuvres du XVIIIe et du XIXe siècles, quels que soient leurs titres, portent au moins la marque de ce genre particulier. Mentionnons les Études de la nature et les Harmonies de la nature de Bernardin

de Saint-Pierre, les Mémoires d'outre-tombe, le Génie du

christianisme et Atala-René de Chateaubriand, les Harmonies

poétiques et religieuses et les Méditations poétiques de

Lamartine, sans parler d'oeuvres de Rousseau lui-même, comme Émile, La Nouvelle Héloïse, et les Confessions. Le repérage est si

ardu que des chercheurs comme Morrissey, renonçant à

répertorier les fragments d'un signifié sujet à l'éclatement,

préfèrent suivre "la ~race du signe"l et n'étudier que les textes

qui portent le titre de "rêveries". Le recueil de Rousseau présente alors le double avantage d'annoncer lui-même par son titre son

appartenance à un genre spécifique, et d'en être l'actualisation la

plus marquante. Cette oeuvre, par sa complexité, constitue donc un champ d'investigation idéal et suffisant pour notre étude.

1R. j. Morrissey, La rêverie jusqu'à Rousseau, Kentucky, French Forum publishers.

(12)

En outre, il n'y a pas de contexte fixe qui favorise l'occurrence de cette forme générique. La rêverie peut naître au

sein de textes appartenant aux genres de l'essai, de

l'autobiographie ou de la fiction, et dans lesquels plusieurs

genres connexes laissent leur trace. Par exemple, le Génie du

christianisme est un essai à tendance méditative comprenant des

rêveries panthéistes. Les textes qui contiennent des rêveries

peuvent, de plus, se référer à des objets multiples et mettre en

scène diverses instances narratologiques.

Face à la complexité de ces questions d'ordre

générique, nous nous appliquerons d'abord à préciser les

différences et les similitudes qui existent entre la Rêverie et les genres littéraires connexes. Cette mise au point nous permettra de constater que le traitement du référent occupe une place centrale dans l'économie de la Rêverie comme genre littéraire. C'est donc autour de la notion de référent que s'articulera le

corps de notre étude et c'est elle qui nous aidera à comprendre la

finalité et les aboutissements de l'oeuvre de Rousseau.

Au terme de ce travail, nous serons mieux à même de

comprendre ce texte unique, dans lequel l'effusion poétique, la méditation, l'humour et la réflexion se joignent dans les jeux

d'alternance les plus divers. Ultime témoignage d'un écrivain

considéré comme un des plus grands, le recueil des Rêveries nous

(13)

récit d'une âme tourmentée aux prises avec les contraintes de son

époque et avec ses propres limitations, les dix Promenades

comportent un message métalinguistique qui donne tout son sens

à l'entreprise du rêveur solitaire. C'est sur ce message que nous

(14)

PREMIER CHAPITRE: LA RÉFÉRENTIALITÉ ET LE GENRE

La rêverie comme genre et comme état

Résumons d'abord les observations des critiques qui suggèrent que la Rêverie est un genre littéraire. À la suite à leurs réflexions, nous pourrons proposer une définition de la Rêverie littéraire et fixer les paramètres de notre étude.

Jacques Voisine affirme que Rousseau "offre un nouveau genre littéraire, la rêverie en prose,

à

notre romantisme qui, trop rhétorique, ne saura pas en tirer parti"1. Ce nouveau genre formerait d'après lui un pont "entre la méditation philosophique" et "l'effusion poétique"2. De son côté, Marcel Raymond fait une distinction entre deux états de la rêverie:

Tout essai de restitution fidèle du mouvement accidenté d'une rêverie risque de donner le jour à une rêverie plus ou moins différente de ce qu'elle eût été, abandonnée

à

elle-même. Le plus sage n'est-il pas d'accepter cet état second, plus conscient que l'état premier? Par ce biais, la rêverie

1J. Voisine. "Préface", Les rêveries du promeneur solitaire, Paris, Garnier-Flammarion, 1964, p. 19.

(15)

débouche dans la littérature. Elle sera sur le point de

devenir, à la suite de Rousseau, un genre littéraire en quête

d'une forme, ou en train de se dégager de l'informe, et on

sera fondé à parler d'une poétique et même d'une rhétorique

de la rêv'3rie.l

Raymond ajoute que l'on "peut considérer la rêverie comme une espèce de discours, aussi bien dans son contenu que dans sa forme, ou sa quête de forme"2.

D'autres critiques ont tenté d'étudier ce genre si mal

connu, mais leurs conclusions ne sont pas de nature à imposer

silence à notre questionnement. La recherche s'est concentrée

dans un premier temps autour de la rêverie en tant que puissance créatrice. Dans sa Poétique de la rêverie, Gaston Bachelard tente de saisir, grâce aux méthodes de la phénoménologie, l'origine psychique des créations de l'imaginaire et des images poétiques

de la "rêverie" au sens large du terme. Un chapitre des

MimologiQues, voyage en Cratylie de Gérard Genette, intitulé "Le genre de la rêverie", s'inscrit dans le courant de la réflexion

bachelardienne, "genre" s'entendant ici dans le sens de

l'opposition masculin/féminin.

D'autres chercheurs s'interrogent sur la relation que

l'illustre rêveur entretient avec la réalité. Pour Starobinski,

lM. Raymond, Romantisme et rêverie, Paris, Librairie José Corti, 1978. p. 18·19. 2lbid.

(16)

"[llire les rêveries c'est [... ] s'engager dans le courant quasi continu d'une rêverie seconde"1; le même remarque que "la rêverie produit et déploie simultanément la chaîne des raisonnements,

des images et des sentiments"2. Ricatte tente, comme bien

d'autres, d'établir la chronologie de la composition des rêveries

et de faire la lumière sur cet "événement aussi triste

qu'imprévu"3 que Rousseau mentionne dans la première Promenade

et qui lui permit de retrouver une paix intérieure relative à

l'époque de la rédaction des Rêveries.

Avec des chercheurs comme Tripet, nous passons de

l'analyse bachelardienne des "instants" poétiques à une étude

syntagmatique, horizontale, de la rêverie littéraire chez

Rousseau. Tripet recense les différentes stratégies verbales que Rousseau utilise dans le but de faire passer, sous le couvert de la

spontanéité et du naturel, de savantes dérivations qui tendent à

résoudre les contradictions qui hantent sa pensée. Dans cette

même lignée, Morrissey tente d'expliquer comment la forme

écrite de la rêverie traduit particulièrement bien les aspirations d'un Rousseau vieillissant.

1J. Starobinski, Jean·Jacques Rousseau. La transparence et l'obstacle, Paris, Gallimard, 1971, p. 419.

20p. Ci!., p. 428·429.

3J.-J. Rousseau, Oeuvres complètes, tome l, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade,1959, p. 997. Désormais, les références au texte seront tirées de cette édition.

(17)

Si le processus de la pensée qui incite à la rêverie semble avoir été étudié dans tous ses aspects, les chercheurs se

sont bornés à de timides considérations sur la Rêverie comme

forme littéraire, avec ses figures de rhétorique, ses structures narratologiques, ses référents et ses liens avec d'autres genres littéraires. Ce n'est qu'avec Morrissey et Tripet, au début des années 80, que nous abordons une étude plus systématique de l'écriture de la rêverie et que des efforts sont déployés dans le but d'établir une typologie.

Mais durant ces quelques décennies, la Rêverie

littéraire n'a pas réellement été définie. Par exemple, la

définition que donne Starobinski n'est pas tout à fait

satisfaisante, puisqu'elle se base sur des présupposés à propos de

la psychologie de Rousseau en tant qu'individu:

[...) le travail de la rêverie seconde consiste à ressaisir et à

maîtriser des éléments aussi peu commensurables, aussi peu homogènes que possible, pour les reprendre, les

dissoudre et les emporter dans son propre flux, au rythme égal d'une pensée qui se dégage des maléfices et qui

s'assure de son invulnérabilité. La fonction de la rêverie

seconde consiste donc à résorber la multiplicité et la

discontinuité de l'expérience vécue, en inventant un

discours unifiant au sein duquel tout viendrait se compenser et s'égaliser1 .

1J. Starobinski, Jean-Jacques Rousseau: la transparence et l'obstacle. sujvi de sept essais sur Rousseau. Paris, Gallimard, 1971, p. 419.

(18)

Morrissey, pour sa part, explique que "[I]a densité de la notion de rêverie résulte en partie de sa circularité. Elle est à la fois excuse, moyen et but"1. Cette formule semble embrouiller notre réflexion plutôt que l'éclairer.

Les idées de Huntington Williams nous paraissent plus intéressantes. Il suggère que Rousseau utilise l'expérience de la rêverie comme référent de son texte et que la forme des Rêveries correspond à ce "désordre ordonné" qui caractérise la rêverie comme état vécu2 • Nous partageons les vues de Jenene Allison lorsqu'elle dit que cette définition de Williams est meilleure que celle de Starobinski, mais qu'elle a encore le défaut de se baser sur la réalité psychologique plutôt que sur des considérations d'ordre textuel.

Nous tenterons donc de pallier cette lacune en proposant une définition qui se base essentiellement sur la forme et le contenu du texte. Pour cela, nous devons d'abord préciser que d'après nous, l'état de rêverie chez Rousseau est une expérience très particulière mais qu'il importe de distinguer de la Rêverie comme genre littéraire. La rêverie comme état est une expérience physique, psychologique et intellectuelle qui permet à l'intéressé d'avoir un point de vue privilégié sur le réel. Ce dernier tire de

1R. J. Morrissey, La rêverie jusqu'à Rousseau, Kentucky, french forum publishers, 1984, p. 158.

2H. Williams, Rousseau and Romantic Autobiographie, États-Unis, Oxford University Press, 1983, p, 32-34.

(19)

son expérience une compréhension globale de certaines réalités, qui n'est pas traduisible par le langage. Parfois, l'état de rêverie est un simple vagabondage des idées qui provoque une libération des contraintes habituelles du discours. D'autres fois, cet état est causé par l'évocation d'un événement antérieur; dans cette expérience de distanciation et de réminiscence, le passé peut être revécu avec une grande acuité. L'état de rêverie peut aussi jaillir de la description d'un genre de vie idéal ou d'un bonheur

inaccessible. II consistera dans certains cas en une

compréhension profonde d'un aspect de l'existence. Enfin, la

rêverie comme état peut jaillir de l'observation du réel, et plus particulièrement de la nature, de l'impression que le paysage s'offre à l'observateur dans toute son infinie beauté.

Ces variantes de l'état de rêverie ont été largement étudiées, notamment par Pierre Bornecque, qui voit six niveaux différents dans cette expérience: la évasion, la

rêverie-imagination, la rêverie-contemplation, la rêverie-jouissance, la

rêverie-égarement-méditation et la rêverie-extase1 • Le critique

explique qu'à travers ces aspects de l'état de rêverie, le rêveur vit une expérience de plus en plus intense et profonde qui "aboutit à la jouissance parfaite du sentiment de l'existence, qui assimile l'homme à Dieu"2.

1P. Bornecque, Les Rêveries. Rousseau, Paris, Hatier, 1978, p. 29·34. 20p. Cit., p. 34.

(20)

Dans le même ordre d'idées, Marcel Raymond observe

trois stades dans l'expérience de la rêverie comme état: la

rêverie sensible, la rêverie fabulatrice, puis enfin une extase1 à

travers laquelle le rêveur connaît une expansion de sa conscience

pour atteindre l'universel, le divin2 . Raymond précise que la

rêverie est pour Rousseau "un état sensible essentiellement

passif et fluctuant"3.

Arnaud Tripet parle, lui aussi, de l'état de rêverie

comme d'une expérience complexe à l'intensité variable, mais il y

voit surtout une libération, une façon d'alléger un fardeau, de se libérer d'une contrainte: "La rêverie, état de bonheur où le moi seul oriente la manoeuvre est donc une libération qui présuppose un asservissement et un malheur antérieurs"4.

Morrissey, pour sa part, analyse les diverses

occurrences de l'état de rêverie dans plusieurs oeuvres de

Rousseau. Il constate:

Parce qu'elle participe de toutes les facultés, elle

représente un état d'intégralité qui relève d'un concours

1Yves Giraud assimile également la rêverie à une forme d'extase: "La rêverie représente une forme d'extase, de "déplacement hors de soi" auquel on s'abandonne passivement, un élan d'expansion, d'aspiration vers l'immensité, de communion mystique avec l'univers, et en même temps elle est retour sur soi". "La rêverie dans les jardins", Rivista di letterature moderne e comparate. vol. XLVI, Italie, 1993,

p. 115.

2M. Raymond. Romantisme et rêverie, p. 20. 3lbid.

4A. Tripet, La rêverie littéraire: essai sur Rousseau, Genève, Librairie Droz, 1979.

(21)

d'activités variables. En tant que recueillement en soi, elle constitue un état d'insularité protectrice. Étant absence au monde, elle devient un lieu d'évasion; et s'évader du monde des hommes, c'est précisément se rapprocher de la vraie

nature des choses1 .

L'écriture de cet état est donc un concept charnière

dans l'oeuvre de Rousseau, et la densité de ce concept permet à

l'auteur de résoudre les difficultés et les paradoxes qui hantent sa démarche créatrice. On comprendra bien, encore une fois, qu'il importe de ne pas confondre la rêverie comme état et le genre littéraire de la Rêverie, tel que nous allons maintenant le définir. Nous verrons dans le dernier chapitre de notre étude comment ces deu)' notions distinctes se rencontrent.

Gardant ces idées présentes à l'esprit, nous

considérons que le genre littéraire de la Rêverie se définit par la réflexion qu'il contient sur le pouvoir référentiel du langage. Ce

genre serait en effet le lieu d'une expérimentation visant à rendre

compte dans sa totalité d'une réalité mouvante, difficile à cerner.

L'expérience atteint son point culminant, soit le plus haut degré

de coïncidence entre l'écriture et le réel, lorsque la rêverie

comme état vécu par le narrateur devient elle-même référent.

(22)

La rélérentialité

Plusieurs passages du texte de Rousseau nous permettent d'appuyer notre définition en démontrant la présence d'une réflexion sur le pouvoir référentiel du langage. Par exemple, au sujet de l'éloge de Mme Geoffrin par d'Alembert, Rousseau écrit: "[ ... ]j'admirais avec quel art l'industrie humaine sait changer les choses du blanc au noir"1. Il constate donc jusqu'à quel point les mots sont susceptibles d'être mal lus, mal interprétés et donc de ne pas être fidèles à la réalité.

Plus loin, il fait le commentaire suivant: "Je comprends que le reproche d'avoir mis mes enfants aux enfants trouvés a facilement dégénéré avec un peu de tournure en celui d'être un père dénaturé et de haïr les enfants"2. Dans ce passage, l'auteur constate que la "tournure", c'est-à-dire le style ou la façon de s'exprimer, a pour principal effet de faire "dégénérer" le lien entre le mot et la chose, à un tel point que l'on ne voit plus dans le mot ce qu'il devait désigner au départ et que l'on y voit même le contraire du sens qui lui avait été assigné par son émetteur.

Mais plus qu'un simple questionnement concernant le pouvoir référentiel du langage, nous voyons dans les Rêveries un

1ge Promenade, p. 1086.

(23)

constant effort visant à capter la réalité et à en rendre compte. Nous en voyons un exemple dans le passage suivant: "[...] mon ame

expansive cherche malgré que j'en aye à étendre ses sentiments

et son existence sur d'autres êtres"1.

Le texte de Rousseau contient donc plusieurs indices qui confirment notre définition du genre de la Rêverie et les idées

que nous développons à ce sujet. Nous trouvons également chez

différents critiques des réflexions sur la Rêverie ou sur la

question de la référentialité du langage qui vont dans le même

sens. Ce sont Allison et Maccannell qui font à cet effet les

commentaires les plus significatifs. Maccannell écrit ainsi: "[ ...] if Locke called language a "pleasurable deceit", Rousseau is even more aware of the written word's power to conceal and to veil even as it reveals"2. Allison exprime différemment la même idée lorsqu'elle affirme que "[r]ather than a self perfectly represented in language, Rousseau describes the mediating effect of the text

on representation"3. AIIison situe très bien cette préoccupation

de Rousseau dans le contexte du 18e siècle: "[u.] the Rêveries

critique the Encyclopédie's goal to make language an unambiguous translation of reality"4.

17e Promenade, p. 1066.

2J. F. Maccannall, "The post-lictional con ciousness in three texts by Rousseau", Modern language notes, 89, 1974, p. 580-599.

3J. AIIison, thèse, p. 3. 4J. Allison, thèse, abstract.

(24)

Plusieurs théoriciens soulignent également

l'importance de la question de la capacité référentielle du

langage. Nous retenons plus particulièrement le point de vue de Todorov concernant la manière dont le lecteur fait le lien entre le discours et ses référents:

Pour pouvoir, donc, à la lecture d'un texte, construire un

univers imaginaire, il faut d'abord que ce texte soit en

lui-même référentiel; à ce moment, l'ayant lu, nous laissons

"travailler" notre imagination, en filtrant l'information

reçue grâce à des questions du genre: dans quelle mesure la

description de cet univers est-elle fidèle [.,,]?1.

D'autres observations laissent entrevoir les

difficultés que peut rencontrer l'écrivain dans la transposition par le langage d'une quelconque réalité:

[".] le style direct est le seul moyen d'éliminer toute différence entre le discours narratif et l'univers qu'il

évoque; les mots sont identiques aux mots, la construction est directe et immédiate. Ce qui n'est pas le cas pour les éléments non verbaux, ni pour le discours transposé"2.

Nonobstant les siècles qui séparent Rousseau et

Todorov, nous croyons que de telles préoccupations ont bel et bien

présidé à la rédaction des Rêveries; ce questionnement sur le

pouvoir référentiel du langage n'a pas d'âge et pourrait tout aussi

1T. Todorov, les genres du dicours, Paris, Éditions du Seuil, Collection Poétique,1978, p. 90.

(25)

bien figurer dans les oeuvres d'écrivains actuels. Cela s'explique

probablement par le fait que le problème est insoluble par

définition. Comme il n'y a pas de synonymes parfaits, il n'y a pas de mots qui tiennent parfaitement compte de la part du réel qu'ils désignent.

Cet obstacle est inhérent à la nature du langage, car

celui-ci ne peut faire autrement que de se "matérialiser" en

premier lieu dans l'imaginaire du lecteur. Jean Terrasse explique que la relation entre l'œuvre littéraire et le réel n'est pas la même qu'entre le geste et l'objet qu'il désigne. \1 cite Todorov qui écrit que les mots employés par l'écrivain "n'ont pas de référent (denotatum) mais uniquement une référence qui est imaginaire"1.

Les genres connexes

Maintenant que nous avons défini le genre de la

Rêverie et que nous avons justifié notre position à l'aide du texte

de Rousseau et de plusieurs opinions de critiques ou de

théoriciens, il convient de parler brièvement des genres qui, par

leur forme et leur contenu, s'apparentent à celui de la Rêverie. Le

poème en prose, l'autobiographie. la méditation et l'essai

comptent parmi les genres ou les sous-genres qui ont plusieurs

1J. Terrasse, Rhétorique de l'essai littéraire. Montréal, Les presses de l'Université du Québec, 1977, p. 123.

(26)

caractéristiques en commun avec la Rêverie littéraire. Des passages assimilables au genre de la Rêverie peuvent de plus se trouver au sein d'oeuvres appartenant à d'autres genres, de même que la Rêverie peut contenir des passages autobiographiques ou d'autres qui tiennent de l'essai. Jean-Marie Schaeffer écrit que "des noms génériques non subsumables l'un sous l'autre peuvent investir différents niveaux ou différents segments d'une même œuvre"1. Une appellation générique peut, selon lui, concerner le texte comme "message global" ou seulement certains niveaux et certains segments de ce texte.

Le poème en prose, d'abord, partage avec la Rêverie une certaine façon de dire les choses qui cherche constamment "à

produire, par le langage, la parfaite illusion de l'instantanéité"2. Dans certains passages, l'auteur passe d'une description très terre à terre à une véritable submersion des sens par divers éléments de la nature et à une extension de son Moi jusqu'aux limites des grandioses beautés qu'il perçoit. Parallèlement, l'auteur transforme son écriture pour atteindre l'harmonie cadencée du poème en prose. Robert Osmont a d'ailleurs étudié les rythmes et les sonorités d'un passage de la Cinquième Promenade et montré, syllabe par syllabe, comment les mots arrivent à

1J.-M. Schaeffer, Qu'est-ce qu'un genre littéraire, Paris, Éditions du Seuil, 1989, p.70.

2 H. Lemaitre, "Introduction", Petits poèmes en prose de Charles Baudelaire, Classiques Garnier, 1962, p. 33.

(27)

traduire à la fois la beauté de la nature environnante et les impressions qu'elle fait naître dans l'âme du rêveur. Osmont commente: "Jusque dans les incertitudes de la composition, nous retrouvons ce perpétuel va et vient de la. perception poétique des choses, qui nous met en quelque sorte en elles ou les fait entrer en nous"1.

Nous remarquons que les passages des Rêveries où la

prose atteint par son rythme et sa sonorité des qualités

proprement poétiques, sont ceux où l'auteur approche

probablement le plus de son but qui est de cerner le "réel" et de le rendre par des mots. Par contre, le poème en prose contient une distorsion dans son rapport avec le référent, car celui-ci n'est saisi que de biais. Le référent n'y a plus d'importance en

lui-même; comme dans le cas de la métaphore2 , le passage de

l'écriture à la réalité crée une réalité autre. Ainsi, même s'il y a

des similitudes au niveau de la forme de ces deux genres, il y a contradiction dans la manière dont la rêverie et le poème en prose traitent le référent.

1R. Osmont, "Contribution à l'étude psychologique des Rêveries du promeneur

solitaire", Annales de la société Jean-JacQues Rousseau, tome 23, Genève, A. Julien

éditeur, 1934, p. 99.

2"[...1la métaphore usuelle substitue purement et simplement le mot-image au mot objet de la comparaison [...] dès que nous apercevons au travers de l'objet réel un objet-image, nous pouvons prendre l'un pour l'autre". Morier, H., Dictionnaire de poétiQue et de rhétoriQue, P. U. F., 1961, p. 259.

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La Rêverie peut également être rapprochée du genre de l'autobiographie, surtout en ce qui concerne le contenu. Comme nous le verrons dans le chapitre sur les référents internes, le Moi joue un rôle prépondérant dans l'économie des Rêveries. D'ailleurs, Rousseau présente ses Rêveries comme un "appendice"1 de ses Confessions, qui sont sans contredit de nature autobiographique et ont le Moi comme principal référent.

Mais là encore, le traitement du référent dans la Rêverie et dans l'autobiographie diffère considérablement. Philippe Lejeune explique que dans une autobiographie, l'auteur doit paraître sincère, tout en utilisant les instruments de la fiction. C'est ce que le chercheur appelle le "paradoxe de l'autobiographie"2. Ce paradoxe a un 03r~et sur le traitement du référent puisque le but n'est pas de rendre compte fidèlement de ce qui est ou de ce qui a été, mais plutôt de faire du récit un tout cohérent et crédible aux yeux du lecteur. Alors que la Rêverie cherche à combler les lacunes de l'écriture, l'autobiographie cherche a combler les "lacunes" de la vie. Elle essaie de mettre de l'ordre dans les hésitations, les piétinements et les reculs, dans le chaos des événements qui forment l'existence, car ils ne sont pas transposables sous forme de récit sans un certain

11ère Promenade, p. 1000.

2p. Lejeune, L'autobiographie en France, Paris, Librairie Armand Colin, 1971,

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remodelage. Vouilloux exprime bien les effets de ce traitement du référent dans l'autobiographie:

À supposer que le texte mêle le fictionnel et le référentiel, le vécu et le non vécu, le réel et l'imaginaire, il frappe

d'obsolescence le principe de ces distinctions: la fausse monnaie périme sur le champ toute valeur de vérité.'

Pour ce qui est de la méditation, s'il y a encore une fois similitude avec la Rêverie, des différences au niveau du traitement du référent font que l'on doit distinguer ces deux genres. Avec raison, Jenene Allison conteste l'hypothèse selon laquelle les Rêveries sont assimilables à la méditation: "[ ...] Rousseau's use of this form [meditation] differs from Descarte's use, since Rousseau neither wishes nor invites any reader to participate in his thinking"2. Le lecteur, comme nous le verrons plus loin, est très présent dans les Rêveries, mais il joue davantage un rôle de spectateur et de témoin; il n'est pas invité à prendre part à l'élaboration des idées et à cheminer intellectuellement à la suite de l'auteur.

Ainsi, la méditation vise à atteindre une certaine compréhension de la réalité, alors que la Rêverie est un effort pour rendre compte d'une réalité dans sa totalité. De plus, la méditation philosophique présente une structure logique dont la

1B. Vouilloux, "Entre texte(s) et dispositif(s), quel genre se donner?", Degrés, no

46·47, 1986, p. g/3.

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rêverie, en principe, se trouve dépourvue. D'ailleurs, Rousseau lui-même distingue très clairement ces deux opérations de l'esprit dans le texte des Rêveries. Il écrit que "quelquefois [ses] rêveries finissent par la méditation" , mais que le plus souvent, ses méditations "finissent par la rêverie"1. Marcel Raymond explique d'ailleurs que la rêverie diffère de la méditation et de la contemplation, mais "peut servir de lien et de lieu de repos, de relâche"2 entre ces deux activités qui lui ressemblent par certains aspects.

Enfin, le genre de la Rêverie est souvent rapproché de celui de l'essai, comme dans un ouvrage bien connu de Colette Fleuret:

La forme des Rêveries, série de méditations vagabondes à partir d'un spectacle ou d'un incident, registre fidèle des songes qui peuplent les promenades solitaires de Rousseau, s'apparente de très près à celle des Essais [de Montaigne]. Sauf peut-être celles qui, comme la cinquième, vont jusqu'à l'extase, la plupart en effet sont des rêveries provoquées et dirigées, des "essais", avec cette nuance qu'il s'agit plutôt d'essais de sentiment que d'essais de jugement"3.

Au sujet de la sixième et de la neuvième Promenades, Arnaud Tripet estime de son côté que "la pensée y domine et s'y

17e Promenade, p. 1062.

2M. Raymond, Romantisme et rêverie, Librairie José Corti, 1978, p. 15. 3C. Fleuret, Rousseau et Montaigne. Paris, Nizet, 1980, p. 148.

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meut comme elle le fait traditionnellement dans la forme de l'essai"1.

De la même façon, Jean Terrassl~ range "les autobiographies, dont la forme se rapproche du récit, ou du poème en prose"2, dans la catégorie des essais du genre épidictique. Mais si par certaines de ses caractéristiques la Rêverie est assimilable au genre de l'essai, ces deux types d'écrits diffèrent au niveau de leur finalité. Le but de l'essai est de décrire le réel pour arriver à convaincre le lecteur et à lui imposer un point de vue, de façon implicite ou explicite. Comme l'explique Jean Terrasse, "le référent joue forcément un rôle important dans l'essai"3, car l'écrivain tente le plus souvent d'y décrire le réel. Il n'en va pas de même pour la Rêverie qui, d'après nous, a pour but de cerner dans leur totalité un ensemble de référents et qui situe sa réflexion non pas au niveau de la nature de ces référents, mais plutôt au niveau de la façon dont il peuvent être transposés par le moyen de l'écriture.

En observant les distinctions que nous venons de faire

entre la Rêverie et quelques genres connexes, nous constatons que c'est souvent au niveau du traitement du référent que la Rêverie

1A. Tripet, La rêverie littéraire: essai sur Rousseau, p. 95.

2J. Terrasse, Rhétorique de "essai littéraire, p. 134.

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diffère des autres genres. Comme l'affirme Linda Hutcheon, "Genres are more than mere classificatory devices for literary critics; they also enable readers to orient themselves and to understand the context in which they must situate the referent"1.

La notion de référent a donc une importance prépondérante dans notre étude, d'autant plus que notre définition de la Rêverie littéraire repose essentiellement sur elle. Les développements qui suivront le présent chapitre seront pour cette raison divisés selon la nature des référents. Vincent Descombes donne de ce concept une définition claire et simple qui nous paraît satisfaisante:

Referent means: an object to which reference is made by means of an expression belonging to language and used in discourse. Implicit in this definition is the assumption that our access to things is mediated through language. It is this language that must be analysed if we are to determine

anything whatsoever about the relation between a person and the world2 .

Ducrot et Todorov montrent bien ce que la fonction référentielle du langage a de particulier. L'objet désigné par le langage n'appartient pas nécessairement à la réalité telle que nos sens la perçoivent. Le langage a le pouvoir de créer l'univers

, L. Hutcheon, "Metalictional Implications For Novelistic Relerence", On Relering in Litterature, É. U., Indiana University Press, 1987, p. 4.

2V. Oescombes, "The Ouandaries 01 the relerent", The Limits 01 Theorv. Calilornia, Stanlord University Press, 1989. p. 53.

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auquel il réfère, de mettre en place un "universe of discourse"1 qui contient ses propres référents.

Il nous reste à démontrer la valeur de notre définition

du genre littéraire de la rêverie en la confrontant au texte des Rêveries du promeneur solitaire, que nous considérons comme le prototype et le plus bel exemple de ce genre de discours. Pour ce faire, nous allons observer la manière dont l'auteur traite dans ce texte des référents de différentes natures.

1O. Ducrot and T. Todorov, Encyclopedie Dictionary 01 the sciences 01 language, Baltimore, Md, 1979, p. 242.

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OEUXIEME CHAPITRE: LES RÉFÉRENTS EXTERNES

La nature: la flore

Essayons de préciser comment sont cernés les référents externes dans le texte des Rêveries. La nature s'impose comme référent externe à cause de la place prépondérante qu'elle occupe dans le récit. Cette nature chérie du narrateur est montrée d'abord sous un angle qu'il privilégie entre tous, celui de la flore. Le règne végétal est cerné à travers deux approches opposées mais complémentaires, qui révèlent l'infiniment petit et l'infiniment grand. En effet, la nature, ou plus précisément la flore, est observée à la loupe, dans tout ce qu'elle a pour le narrateur de mystérieux et de fascinant. Celui-ci raconte qu'il avait autrefois "entrepris de faire la Flora petrinsularis et de décrire toutes les plantes de l'île sans en omettre une seule, avec un détail suffisant pour [l'occuper] le reste de [ses] jours"l. Dans les deuxième, cinquième et septième Promenades, il se plaît à énumérer les noms latins des plantes qu'il rencontre.

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Le narrateur oppose cependant à cette flore saisie dans ses plus infimes parcelles la nature pensée comme totalité. Lorsqu'un "contemplateur" se prête à son observation, "il se perd avec une délicieuse ivresse dans l'immensité de ce beau système avec lequel il se sent identifié"'. Le passage de l'infiniment petit à l'infiniment grand est exprimé encore plus clairement dans un passage où le regard du rêveur rassemble dans une même totalité les merveilles jusque-là perçues séparément: "[...] je quittai peu à peu ces menues observations pour me livrer à l'impression non moins agréable mais plus touchante que faisait sur moi l'ensemble de tout cela"2.

Ailleurs, le narrateur passe au contraire de l'infiniment grand à l'infiniment petit, comme pour montrer, en inversant le processus, qu'aucune parcelle de ce tout ne lui échappe:

Dans cet état, un instinct qui m'est naturel, me faisant fuir toute idée attristante imposa silence à mon imagination et fixant mon attention sur les objets qui m'environnoient me fit pour la première fois détailler le spectacle de la nature, que je n'avois guère contemplé jusqu'alors qu'en masse et dans son ensemble.3

'7e Promenade, p. 1062-1063. 22e Promenade, p. 1004.

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Lisa Gasbarrone note que, pour rendre compte de la nature dans toute sa richesse, il ne suffit pas de décrire l'ensemble, la vue générale, ou de s'arrêter sur chacune des parties; il faut faire les deux1 • Aussi Rousseau adopte-t-il tour à tour des approches opposées mais qui n'auraient pas de sens l'une sans l'autre. Arnaud Tripet l'a démontré à sa manière:

par un vigoureux mouvement de généralisation et en passant sans tarder de Linné à l'idée dérivée d'un ordre admirable, le botaniste adorera l'infiniment grand du Créateur et du système créé dans l'infiniment petit (ou presque) de la créature végétale.2

Dans cette perspective, l'herbier du promeneur solitaire nous apparaît comme la matérialisation de son rêve de saisir la totalité de la nature dans ses plus infimes parties. Lorsqu'il aura recueilli, répertorié et décrit toutes les espèces végétales qui croissent sur l'île de Saint-Pierre, il pourra se tourner vers d'autres parties de la terre. Il y a quelque chose de chimérique dans cette recherche d'une description exhaustive, et Rousseau sait bien qu'il ne saurait aller beaucoup plus loin que les limites de son île. Mais cela ne l'empêche pas de rêver:

[...] en attendant que j'y mette toutes les plantes de la mer et des Alpes et tous les arbres des Indes, je commençais toujours à bon compte par le mouron, le cerfeuil, la

1L. Gasbarrone, "From the part to the whole: nature and machine [...]", Sludies on Voltaire and the eighteenth century, no 267, 1989, p. 220.

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bourache et le seneçon [...] à chaque nouveau brin d'herbe que je rencontre je me dis avec satisfaction, voila toujours une plante de plus1 .

Par ailleurs, Rousseau in~iste sur la nécessité d'étudier la plante dans son milieu naturel:

[...] se bornant à la botanique de cabinet et de jardin tout au plus, au lieu d'observer les végétaux dans la nature, on ne s'occupe que de systèmes et de méthodes; matière éternelle de dispute qui ne fait pas connaître une plante de plus et ne jette aucune véritable lumière sur l'histoire naturelle el le règne végétal2 .

L'observation d'un aspect du réel hors de son contexte donne donc des résultats imparfaits et se révèle même inutile. Mais lorsqu'elle est faite correctement, l'investigation botanique comble le besoin d'étreindre la totalité du réel: "Des dispositions bien différentes ont fait pour moi de cette étude [la botanique] une espèce de passion qui remplit le vide de toutes celles que je n'ai plus"3. Lorsque l'investigateur se fixe sur un objet agréable, par exemple sur une nouvelle plante, les objets déplaisants perdent leur importance. Il ressent alors une impression de bien-être:

Le plaisir d'aller dans un désert chercher de nouvelles plantes couvre celui d'échapper à des persécuteurs; et

17e Promenade, p. 1061.

27e Promenade, p. 1069·1070. 37e Promenade, p. 1070.

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parvenu dans des lieux où je ne vois nulles traces d'hommes je respire plus à mon aise comme dans un asile où leur haine ne me poursuit plus1•

Un bien-être analogue peut être lié à la possibilité de réduire en système une série de données. L'observation scientifique du règne végétal, bien qu'elle soit ardue, donne au narrateur l'impression d'exercer un contrôle, une puissance. Un exemple de cette démarche appliquée à la botanique apparaît dans le passage suivant:

Je n'ai ni défense à faire ni peine à prendre pour errer nonchalamment d'herbe en herbe, de plante en plante, pour les examiner, pour comparer leurs divers caractéres, pour marquer leurs rapports et leurs différences, enfin pour observer l'organisation vegetale de maniére à suivre la marche et le jeu de ces machines vivantes, à chercher

quelquefois avec succès leurs loix generales, la raison et la fin de leurs structures diverses2 , [•.•

l.

Face à ces lois naturelles que le narrateur pense avoir cernées et d écrites dans leurs plus infimes détails, l'inconnu, l'impondérable n'existe plus. Il n'y a plus que la paisible et rassurante connaissance d'un tout. Le rêve de saisir une totalité et les prolongements scientifiques de ce rêve sont encore une fois exprimés de façon très frappante dans le passage suivant: "[...

l

me voilà sérieusement occupé du sage projet d'apprendre par coeur

1lbid.

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tout le Regnum vegetabile de Murray et de connoitre toutes les plantes connues sur la terre"1.

La nature des apothicaires; les animaux, les minéraux,

les astres.

Nous remarquons toutefois que le narrateur a recours à l'ironie et à l'humour pour discréditer certains aspects de la nature. Même si le promeneur limite sa recherche à un territoire restreint, il doit "évacuer" des référents qui rendraient à coup sûr sa tâche impossible s'il lui venait la fantaisie de les prendre en compte. Des procédés destinés à provoquer le rire ont ainsi pour effet d'éliminer de l'inventaire la nature des apothicaires, le règne animal, le règne minéral et les astres.

La nature des apothicaires est d'abord écartée grâce à un jeu d'opposition entre la beauté de la flore et la trivialité du regard qu'y porte l'amateur de remèdes:

['00] toutes ces structures charmantes et gracieuses

intéressent fort peu quiconque ne veut que piler tout cela dans un mortier, et l'on n'ira pas chercher des guirlandes pour les bergeres parmi des herbes pour les lavemens2 .

17e Promenade, p. 10610

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L'absurdité de cette attitude est aussi soulignée dans un court passage qui dénonce fermement l'intérêt accordé aux vertus médicinales des plantes: "[...] on n'y voit que ce qu'on n'y voit point, savoir les prétendues vertus qu'il plait au tiers et au quart de leur attribuer"l.

Le traitement réservé au règne animal n'est guère plus enviable:

Comment observer, disséquer, étudier, connaître les oiseaux dans les airs, les poissons dans les eaux, les quadrupèdes plus légers que le ve i plus forts que l'homme et qui ne

sont pas plus disposés à venir s'offrir à mes recherches que moi de courir après eux pour les y soumettre de force?2 Mais il ne suffit pas à Jean-Jacques de s'imaginer à la poursuite de quelque gazelle, idée ridicule car elle contraste avec le pas modéré et l'attitude contemplative du promeneur solitaire, il lui faut encore souligner le côté malpropre et même morbide de l'étude des animaux:

Quel appareil affreux qu'un amphithéâtre anatomique, des cadavres puans, de baveuses et livides chairs, du sang, des intestins dégoûtans, des squeletes affreux, des vapeurs pestilentielles! Ce n'est pas là, sur ma parole, que J. J. ira chercher ses amusemens3 .

17e Promenade, p. 1063. 27e Promenade, p. 1067. 37e Promenade, p. 1068.

(41)

Les rares animaux ou bestioles à la portée du narrateur sont indignes de figurer dans le tableau de chasse:

J'aurois donc pour ressource des escargots, des vers, des mouches, et je passerois ma vie à

me

mettre hors d'haleine pour courir après des papillons, à empaller de pauvres

insectes, à dissequer des souris quand j'en pourrois prendre ou les charognes des bétes que par hazard je trouverois mortes"1.

Il semble cependant qu'un aspect du règne animal méritait de capter l'attention du promeneur. Les oiseaux sont en effet évoqués, pour ainsi dire, dans leur absence. Bien qu'ils se dérobent au regard du contemplateur, ils aident par leurs cris à apprivoiser cette nature qui, à force de paysages sublimes et gr.andioses, devient parfois effrayante: "Le Duc, la chevêche et l'orfraye faisoient entendre leurs cris dans les fentes de la montagne, quelques petits oiseaux rares mais familiers temperoient cependant l'horreur de cette solitude"2. C'est ainsi qu'est comblé de façon quelque peu artificielle mais tout à fait élégante le vide référentiel laissé par l'élimination du règne animal grâce à des stratégies discursives.

Nous retrouvons ces stratégies lorsqu'il s'agit d'exclure le règne minéral; elles consistent à présenter l'objet

1lbid.

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décrit d'une façon hyperbolique en le montrant sous le jour le plus disgracieux ou le plus sinistre:

Pour profiter dans l'étude des mlneraux, il faut être chymiste et physicien; il faut faire des expériences pénibles et coûteuses, travailler dans des laboratoires,

dépenser beaucoup d'argent et de tems parmi le charbon, les creusets, les fourneaux, les cornues, dans la fumée et les vapeurs étouffantes, toujours au risque de sa vie et souvent aux dépends de sa santé1•

Une fois les minéraux écartés, il ne reste plus qU'à neutraliser un dernier référent, à savoir les astres: "[...] mais les astres sont placés loin de nous; il faut des connaissances préliminaires, des instruments, des machines, de bien longues echelles pour les atteindre et les rapprocher à notre portée"2.

Ces "bien longues echelles" qui ont l'apparence d'une "naïveté poétique", créent dans le texte un effet de fantastique. Transporté dans le climat mythique d'un conte, dans un monde où il serait possible de se hisser jusqu'aux étoiles, le lecteur comprend que l'astronomie restera en dehors du champ d'investigation sous prétexte que la démarche scientifique a besoin de fondements "réels".

Un autre passage parle des étoiles et les place à l'écart des autres référents, puisque cette fois, le narrateur les

17e Promenade, p. 1067. 27e Promenade, p. 1069.

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perçoit après son accident dans la descente de Ménilmontant, alors qu'il se trouve dans un état second et que sa perception de la réalité est faussée de façon significative: "La nuit s'avançoit. J'apperçus le ciel, quelques étoiles, et un peu de verdure. Cette première sensation fut un moment délicieux"1.

Cette fois, il n'est pas question d'invoquer un aspect ridicule ou malsain pour discréditer cet aspect de la nature. Au contraire, le promeneur se place vis-à-vis des étoiles dans une position de respectueuse impuissance, presque de crainte au sens religieux du terme2 , car il accepte la valeur et l'intérêt de cette réalité, sans même la comprendre. Il exclura donc les astres de son étude, par respect pour leurs insondables mystères.

C'est ainsi, par les différents traitements réservés à la flore, à la faune, au règne minéral, à la nature des apothicaires et aux astres, que se dessine l'image rousseauiste du référent externe de la nature. Lorsque nous regardons cette image dans son ensemble, nous constatons toutefois que les référents "évacués" servent aussi bitm à la peindre que ceux dont l'auteur accepte effectivement de tenir compte. Ce phénomène s'explique lorsque nous observons les divers jeux de contrastes ou d'oppositions qui sont mis en place par l'instance énonciatrice. Par exemple, le

12e Promenade, p. 1005.

2En ellet, la "Crainte" de Dieu serait la "vertu de ceux à qui la conscience de l'infinie grandeur et de la toute puissance divine inspire à la fois respect et confiance", A.·M. Gérard, Dictionnaire de la bible, Robert Lallont, Paris, 1989.

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règne animal qui est rejeté pour n'offrir à la vue que de hideuses charognes, ne fait que mieux ressortir la sublime et paisible beauté du règne végétal. C'est d'ailleurs à l'aide de semblables oppositions que seront traités deux autres référents externes: la ville et l'industrie. Nous constatons en effet que l'auteur décrit les phénomènes urbain et industriel de façon à créer un effet de contraste et à faire briller avec encore plus d'éclat les beautés de la nature.

Présence de "industrie

Parlons d'abord de ce passage de la septième promenade qui raconte la découverte impromptue d'une manufacture de bas, à un endroit où la nature était tellement dense que Jean-Jacques croyait être le premier humain à y avoir pénétré. Nous lisons: "II n'y a que la Suisse au monde qui présente ce mélange de la nature sauvage et de l'industrie humaine"1. Entre le naturel et l'artificiel, le vivant et le mécanique, l'œuvre de Dieu et l'œuvre des hommes, Rousseau mesure toute la difficulté qu'il y a à saisir un réel qui se contredit constamment. Il mesure également l'impossibilité de rendre compte de la nature en la réduisant en système, puisqu'elle échappe parfois à toute logique.

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Nous sommes tentée, toutefois, de voir dans la rencontre inopinée d'une industrie au coeur de la nature la plus sauvage, une création purement langagière. Il s'agirait en quelque sorte d'une stratégie discursive ayant pour but de contourner l'impossibilité de saisir totalement un référent, en reproduisant le côté erratique du réel. Pour pouvoir rendre compte totalement d'un référent comme la nature, l'écrivain nous emmène au-delà du réel, du côté de l'improbable, de l'inattendu et même de l'absurde. Nous voyons dans le passage suivant un exemple frappant de la façon dont le référent externe de l'industrie est traité pour mettre en valeur le référent externe de la nature comme second terme du couple antithétique:

Les visages haves de malheureux qui languissent dans les infectes vapeurs des mines, de noirs forgerons, de hideux ciclopes sont le spectacle que l'apareil des mines substitue au sein de la terre à celui de la verdure et des fleurs, du ciel azuré, des bergers amoureux et des laboureurs robustes sur sa surface1 •

Le procédé n'oppose pas seulement l'industrie à la nature; il l'oppose également à l'humanité. Au sein du monde industriel, les humains sont dénaturés, ils deviennent des personnages mythologiques, des monstres. Le mineur perd son humanité de vivre sous terre plutôt qu'à l'air libre; il "fuit le

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soleil et le jour qu'il n'est plus digne de voir"l, relégué dans un enfer dont le narrateur notera l'existence, comme pour s'assurer de l'éviter lors de ses prochaines promenades.

La ville; le complot; le peuple et les gens.

En plus d'opposer industrie et nature, Rousseau insiste sur le contraste entre la ville et la campagne. En même temps, son discours comporte une réflexion sur la référentialité des noms propres. Parlons d'abord des tourments qu'éveille en lui la capitale française.

Pour Rousseau, la ville de Paris est contraignante et même angoissante car elle le coupe de cette nature au cœur de laquelle il se sent si bien. En effet, la botanique n'est pas une passion facile à entretenir en milieu urbain. Lorsqu'il trouve des plantes qui l'enthousiasment, c'est toujours à l'extérieur de la capitale, dans un autre "canton"2, ou encore "autour de Paris"3, lorsque "sexagénaire et sédentaire"4, il n'a pas la force d'aller plus loin5 .

llbid.

22e Promenade, p. 1003. 37e Promenade, p. 1060. 4lbid.

5Françoise Barguillet remarque: "le récit nous lait grâce, à de rares exceptions près, du parcours intra-muros. pour s'attarder sur la description de la campagne aux alentours de la capitale, à l'image d'une marche précipitée qui ressemble plutôt à

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Paris est aussi l'endroit où il est impossible pour Rousseau de trouver la solitude à laquelle il aspire:

Je loge au milieu de Paris. En sortant de chez moi je soupire après la campagne et la solitude mais il faut l'aller

chercher si loin qu'avant de pouvoir respirer à mon aise je trouve en mon chemin mille objets qui me serrent le cœur, et la moitié de la journée se passe en angoisse avant que j'aie atteint l'asile que je vais chercher'.

Marcel Raymond va jusqu'à parler d'agoraphobie pour décrire ce phénomène2 . Paris n'est donc pour Rousseau qu'un territoire qu'il importe de traverser le plus vite possible ou de quitter par l'imagination lorsque ses forces lui font défaut.

En outre, la capitale n'est pas un endroit fréquenté par des gens qui ont l'estime de notre auteur. Par exemple, la nouvelle de la chute que lui a. causée un chien danois dans la descente de Ménilmontant se répand dans la ville "en peu de jours"3 et prend dans la bouche des Parisiens un tour qui témoigne de la mauvaise volonté de ces derniers: "[...] cette histoire se répandit dans Paris tellement changée et défigurée qu'il était impossible d'y rien reconnaître"4. De la même façon, Rousseau parle ironiquement

une fuite, tant que le promeneur n'a pas atteint l' "asile" de la nature qui assure et protège sa liberté". Rousseau ou l'illusion passionnée, Paris, P. U. F., 1991, p. 137. '8e Promenade, p. 1082-1083.

2M. Raymond, "Introduction" dans Oeyvres complètes de J.-J. Rousseau, Tome 1, Paris, Bibliothèque de la Pléiade, NRF, 1959, p. LXXIV.

32e Promenade, p. 1006.

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d'un "bel esprit de Paris"l qui, voyant à Londres un superbe jardin, s'écria: "Voilà un fort beau jardin d'apothicaire!"2.

Nous remarquons donc que Rousseau ne décrit pas réellement la ville de Paris; il ne fait que parler des avantages qui, d'après lui, ne s'y trouvent pas, comme les beautés de la nature, la solitude et le bon sens. En nous disant ce que la ville n'est pas, l'écrivain ne fait que mieux définir l'objet qui l'occupe. Les splendeurs de la nature brillent avec encore plus d'éclat lorsqu'il les compare aux lèpres urbaines.

Mais en plus de nous présenter la ville successivement comme milieu urbain, comme pure négativité et par son opposition à la campagne, l'auteur des Rêveries nous la montre en tant que territoire géographique. Il s'attarde en effet à mentionner des noms de quartiers, de rues, de lieux-dits ou de monuments. Nous pensons d'abord à une tentative de s'approprier le territoire urbain par le moyen de l'écriture. Quand Rousseau fait mention de l'école militaire3 , des Invalides4 , de la Porte MaillotS, du Bois de Boulogne6 , de la Muette7 , de la rue

St-17e Promenade, p. 1064. 2lbid. 3ge Promenade, p. 1095. 4ge Promenade, p. 1096. Sge Promenade. p. 1090. 6lbid. 7lbid.

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Antoine', de la rue du Chemin-Vert2 ou même, dans ses voyages ou explorations, lorsqu'il parle de l'Isère3 , des villes de Genève4

et de Grenoble5 , de la Montagne de Chasserons et de la Robaila7 , ne devrions-nous pas voir se dessiner sous nos yeux les cartes de ces villes et de ces pays?8

Force est, cependant, de constater que ces mentions "ne font pas image". Alors que les Rêveries font si bien revivre des paysages et des scènes, pourquoi ces noms de lieux n'évoquent-ils pour nous que des espaces abstraits où nous avons peine à loger des actions? Ces noms semblent n'être là que pour eux-mêmes, écrits et réécrits sans relâche, presque jusqu'à l'obsession.

Plusieurs théoriciens se sont penchés sur le problème de la valeur descriptive des noms propres9 . Ils se demandent si les noms propres ont une définition, s'ils ont un sens, s'ils ont une dénotation et une connotation, ou encore seulement une

17e Promenade, p. 1072. 22e Promenade, p. 1003. 3lbid. 4ge Promenade, p. 1093. 57e Promenade, p. 1072. Sibid. 77e Promenade, p. 1070.

8Nous ne doutons pas qu'il soit en elfet posible de dresser des cartes nous renseignant sur les déplacements du narrateur grâce aux lieux dont il fait mention dans le texte des Rêveries. Toutefois, nous basons ici nos commentaires sur les impressions que laisse une lecture attentive du texte, sur les effets créés par le discours lui-même. 9Notament, J. S. Mill, A System of Logic, London and Colchester, 1949, et G. Frege dans plusieurs ouvrages.

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connotation. Ces problèmes sont corrélatifs à celui qui semble occuper Rousseau, soit la capacité d'un nom propre d'évoquer et même de désigner une réalité quelconque.

C'est John R. Searle qui offre l'explication la plus éclairante à ce sujet. Il considère que l'émetteur et le récepteur d'un message comprenant un nom propre doivent tous les deux posséder une description ou une image qu'ils soient capables de substituer mentalement à ce nom. Toutefois, il précise qu'il n'est pas nécessaire pour assurer la bonne transmission du message que l'émetteur et le récepteur possèdent la même image ou description correspondant à un nom propre donné1 . Il s'ensuit que le nom propre n'a pas de valeur descriptive en lui-même, mais trouve une image ou une description différente dans l'imaginaire de chaque individu. Le nom propre aurait donc pour fonction de désigner des choses en l'absence de consensus au niveau de leur représentation. Sans être descriptif, le nom propre peut ainsi évoquer autant d'images mentales qu'il y a d'observateurs, sans que son identité soit remise en question.

Lorsque des siècles séparent l'émetteur et le récepteur, comme c'est le cas pour les Rêveries, la difficulté à saisir la valeur descriptive des noms propres se présente de façon encore plus aiguë. Il est raisonnable de croire qu'un arbre

lJ. R.Searle, Speech AcIs, An Essav in the Philasaphy af Language. Cambridge,

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évoqué par Rousseau trouve dans l'imaginaire d'un lecteur du 20e siècle une référence assez fidèle à l'original. Il n'en va pas de même pour un lieu, par exemple pour la ville de Paris, qui a subi en deux siècles des transformations considérables. Nous savons pertinemment que le Paris de Rousseau ne correspond pas au nôtre. Ce nom propre, dans le cadre des Rêveries, est dès lors plus représentatif d'un mécanisme de communication que d'une réalité urbaine.

Ainsi, le nom propre jouit d'une situation particulière dans le cadre de la quête de référentialité totale qui occupe l'écrivain. D'une part, son "sens" s'enrichit de son unicité (en excluant, bien sûr, les cas d'ambiguïté1 ), il gagne en précision par l'exclusion des autres réalités de même catégorie. D'autre part, son "sens" s'appauvrit du fait que l'on ne peut se satisfaire, en fait d'image mentale, que d'approximations obtenues par analogie avec des images de la même série.

C'est pourquoi nous pensons que les nombreux noms de lieux rencontrés dans les Rêveries relèvent d'un procédé ayant pour but de démontrer l'impuissance référentielle des noms propres. À l'instar de ces "Noms de pays" qui s'animent dans l'imagination du jeune narrateur d'À la recherche du temps perdu

10. Ducrot et T. Todorov, Dictionnaire encyclopédique des sciences dy langage, Paris, Seuil, 1972, p. 321.

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d'une vie inspirée par la sonorité et le rythme de leurs syllabes1 ,

"Paris" est ici un nom qui ne peint d'aucune manière la réalité urbaine qu'il désigne.

Ce qui semble le confirmer, c'est que l'écrivain montre la capitale sous un jour tout à fait personnel, qu'il en présente un aspect que nul autre que lui n'aurait pu percevoir. En effet, cette ville devient, dans certains passages, le théâtre d'un vaste complot dont Rousseau serait l'innocente victime. À travers chaque regard et chaque événement, l'auteur se sent moqué, traqué, bafoué. Il serait tentant de croire que ce complot témoigne d'une névrose de persécution. Mais, selon nous, il serait érroné de chercher dans la psyché de Rousseau l'unique origine de cet élément référentiel. Nous préférons voir ce "commun complot"2 comme un fait d'écriture qui s'inscrit dans le cadre d'une expérimentation sur les capacités référentielles du langage. Nous remarquons que Rousseau parle souvent du complot en termes de totalité, de complétude:

[...) un seul homme qui eût refusé d'en être complice, un seul événement qui lui eût été contraire, une seule circonstance imprévue qui lui eût fait obstacle, suffisait pour le faire

1M. Proust, Ala recherche du temps perdu, t. 1, Paris, éditions de la Pléiade, p. 388-389: "[...] entre Bayeux si haute dans sa noble dentelle rougeâtre et dont le faîte était illuminé par le vieil or de sa dernière syllabe; Vitré dont l'accent aigu losangeait de bois noir le vitrage ancien; le doux Lamballe qui, dans son blanc, va du jaune coquille d'oeuf au gris perle; Coutances, cathédrale normande, que sa

diphtongue finale, grasse et jaunissante, couronne par une tour de beurre; (00']'" 22e Promenade, p. 1010.

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échouer. Mais toutes les volontés, la fatalité, la fortune et toutes les révolutions ont affermi l'œuvre des hommes, et un concours si frappant qui tient du prodige ne peut me laisser douter que son plein succès ne soit écrit dans les décrets éternels.l

Le complot est donc présenté comme le résultat d'un accord unanime entre Dieu et les hommes. Il fournit une idée fixe et pour ainsi dire un point de repère à partir duquel le promeneur solitaire peut structurer ses activités et ses pensées. Comme nous l'avons mentionné plus haut en parlant de l'imaginaire de l'écrivain, les persécutions des hommes deviennent une source de bien-être lorsque aucune méchanceté et aucune insulte ne sauraient leur être ajoutées: "[ ...] certain qu'ils n'ont plus de nouvelle prise par laquelle ils puissent m'affecter d'un sentiment permanent je me ris de toutes leurs trames et je jouis de moi-même en dépit d'eux"2. Une fois que ses persécuteurs ont "tout" dit à son sujet, ils n'ont plus d'emprise sur lui et le laissent jouir de la douceur de cette complétude. Cette idée revient à maintes reprises dans le texte, comme dans le passage suivant:

Que me manque-toi! aujourd'hui pour être le plus infortuné des mortels? Rien de tout ce que les hommes ont pu mettre du leur pour cela. Hé bien, dans cet état déplorable, je ne changerois pas encor d'être et de destinée contre le plus fortuné d'entre eux; et j'aime encor mieux être moi dans

llbid.

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toute ma misère que d'être aucun de ces gens là dans toute leur prospérité.1

L'auteur ajoute encore: "En me rendant insensible à l'adversité ils m'ont fait plus de bien que s'ils m'eussent épargn.é ses atteintes"2.

Il semble cependant que les passages traitant de ce complot se réièrent les uns aux autres dans un mouvement circulaire qui se maintient continuellement au niveau de l'écriture. La vision de Paris comme théâtre d'un vaste complot est légitimée par le fait que toute autre vision de la capitale ne saurait être plus vraie ou plus fausse, puisque l'opacité des noms propres laisse à chacun la liberté d'imaginer. Cependant, l'idée du complot lui-même existe grâce à un vaste réseau de références à l'intérieur du texte, qui finissent par tisser une toile de fond, une image, un semblant de réalité. Nous remarquons, par exemple, dans la Huitième Promenade, que Rousseau décrit très précisément ses réactions face au complot, par une série de questions suivies de brèves explications: "Comment en suis-je venu là? [ ] Comment vivre heureux et tranquille dans cet état affreux? [ ] Comment s'est fait ce passage? [...] D'où vient cette différence?"3. En décrivant ainsi jusque dans ses moindres

18e Promenade, p. 1075. 28e Promenade, p. 1081.

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