• Aucun résultat trouvé

L'influence du cinéma dans l'écriture romanesque de Marguerite Duras

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "L'influence du cinéma dans l'écriture romanesque de Marguerite Duras"

Copied!
106
0
0

Texte intégral

(1)

This manuscript has been reproduced from the microfilm master. UMI films the text diredly from the original or copy submitted. Thus, sorne thesis and dissertation copies are in typewriter face, while others may be from any type of computer printer.

The quality of this reproduction is dependent upon the quality of the copysubmitted. Broken or indistinct print, colored or poor quality illustrations and photographs, print bleedthrough, substandard margins, and improper alignment can adversely affect reproduction.

ln the unlikely event that the author did not send UMI a complete manuscript and there are missing pages, these will be noted. Also, if unauthorized copyright material had taberemoved, a note will indicate the deletion.

Oversize materials (e.g., maps, drawings, charts) are reproduced by sectioning the original, beginning at the upper left-hand corner and continuing tram left ta right in equal sections with small overtaps.

ProQuest Information and Leaming

300 North Zeeb Raad, Ann Arbor, MI 48106-1346 USA 800-521-0600

(2)
(3)

••

L'influence du cinéma dans

l'écriture romanesque de Marguerite Duras par

Nicolina Katinakis

Mémoire de maîtrise soumis

à

la

Faculté des études supérieures et de la recherche en vue de l'obtention du diplôme de

Maiùise ès Lettres

Département de langue et littérature françaises Université McGiIl

Montréal, Québec

Juillet 2000

(4)

Acquisitionsand BibliographieServices 385 WeIIngIDn StMet oaawaON K1A 0N4 c.nada Acquisitions et services bibliographiques 385.~weIIngIDn ona-ON K1A0N4 CIMdI

The author

bas

granted a

non-exclusive licence aIlowing the

National Library of

Canada

ta

reproduce, loan, distnbute or

sen

copies of

this

thesis

in

microfOl1l1,

paper or electronic fonnats.

The author retains ownersbip ofthe

copyright

in

this

thesis. Neither

the

thesis nor substantial extraets from

it

may

he

printed or otherwise

reproduced without

the

autbor's

permissIon.

L'auteur a accordé une licence non

exclusive

pem1ettant

à

la

Bibliothèque nationale du Canada de

reproduire,

prêter, distnbuer ou

vendre des copies

de

cette thèse sous

la

forme de microfiche/film, de

reproduction sur papier ou sur format

électronique.

L'auteur conserve

la

propriété du

droit d'auteur

qui

protège cette thèse.

Ni

la

thèse

ni

des extraits substantiels

de

cene-ci

ne doivent

être

imprimés

ou autrement reproduits sans son

autorisation.

0-612-70S01-X

(5)

Résumé

Un Barrage contre le Pacifique, L'Amant et L'Amantde /a Chine du Nord,

trois oeuvres écrites par Marguerite Duras, se distinguent des autres ouvrages de l'auteure par leur volonté de réécrire l'histoire d'amour que vécut la narratrice avec un Chinois. Dans le premier texte de ce cycle, la thématique du cinéma occupe une place telle qu'elle influence la vie des personnages. DansL'Amantet L'Amant

de

la

Chine

duNordle cinéma se manifestera moins comme un thème que par le biais de procédés qui viendront transformer le roman d'un point de vue structurel.

La

présente étude cherchera à montrer de quelle manière le cinéma aura une influence sur ('écriture romanesque durassienne. Pour ce faire, nous analyserons les trois oeuvres à l'étude en dégageant leurs caractéristiques génériques, thématiques, intertextueUes et sémiotiques afin de montrer de quelle manière ces différentes caractéristiques contribuentà l'élaboration d'une écriture influencée par le cinéma.

(6)

iii

Ahslracl

Un Barrage contre le Pacifique, L'AmantandL'Amantde la Chinedu Nord,

three books written by Marguerite Duras, cao be distinguished trom the rest of the author' s literary production by their will to rewrite the author's love story with a Chînese man. Inthefirst novel of tbis cycle, cinema occupies such

an

important place

asa therne that it influences the characters' life. Inthe two other novels, it appears less

asa therne than through cinematograpbical devices that transform the author's literary style.

This thesis attempts to expIain in what way cinema influences the novelistic writing of Marguerite

Duras.

More specifically, this study exposes the three novels' generical, intertextuaL thematical and semiotical characteristics in arder to establish how they contribute to the creation of a particular writing style intluenced by cinema.

(7)

Remerciements

Je voudrais avant tout remercier ma directrice, Gillian Lane-Mercier, qUI a

toujours su guider avec soin mes recherches et dont les conseils et les encouragements ont sans cesse contribuéà l'amélioration de mon mémoire.

Je tiens aussi à remercier Diane Desrosiers-Bonin, directrice des études de deuxième et de troisième cycles, pour son appui, son aide et son enthousiasme tout au long de ma maîtrise ainsi que tout le personnel du département de langue et littérature françaises de l'Université McGilI qui ont fait de ces deux années d'études ce qui restera sans doute l'un de mes plus beaux souvenirs.

Enfin, j'aimerais exprimer toute ma gratitude à mes parents et à ma soeur qui tout au long de mes études m'ont toujours soutenue et encouragée dans tout ce que j'entreprenais. Merci à ma famille qui m'a permis de réaliser ce rêve.

(8)

Tables des matières

Résumé u

Abstraet DI

Remerciements IV

Table des matières v 1- Introduction

11- Chapitre premier: La théorie des genres et l'oeuvre durassienne 6 a) Genres et modernité 6 b) Roman autobiographique, fiction ou réalité? - 8 c) Gérard Genette et les frontières du récit Il

d) Monodie littéraire et polyphonie cinématographique 14

e) Scénario et roman 20 ID- Chapitre deux: Thématique, intertextualité et réécriture 29 a) La thématique du cinéma dans Un Barrage contre le Pacifique 29

b) Cinéma et psychanalyse 35 c)Lathématique du cinéma dans L'Amant etL'AmalltdelaChine

duNord 39

d) Intertextualité et liens transtextuels 40 e) Le regard du lecteur-spectateur 46

t) Réécriture et autobiographie 48 lV-Chapitre trois: Les procédés cinématographiques 51

a) Christian Metz et le cinéma comme langage 51

b) Émile Benveniste - histoire et discours dans l'écriture durassienne 52 c) Le présent de l'indicatifet la photographie 57 d)Lemouvement et le cinéma 58 e) Les procédés cinématographiques et leur influence sur le romanet

sur le lecteur-spectateur 60 V-Conclusion 77 VI- Bibliographie 81

(9)

C'était l'oasis, la salle noire de l'après-mid~ la nuit des solitaires, la nuit artificielle et démocratique, la grande nuit égalitaire du cinéma, plus vraie que la vraie nuit, plus ravissante, plus consolante que toutes les vraies nuits, la nuit choisie, ouverteàtous, offerteàtous...

Un Barrage contre Je Pacifique

C'est un livre. C'est un film. C'est la nuit.

L'Amant de Ja Chine d" Nord

(10)

Introduction

En 1960,Christian Metz lançait: «Le cinéma a la narrativité bien chevillée au corps.»l. Le cinéma avait le pouvoir de raconter des histoires. Tout comme la littérature, son aînée, ilétait un art narratif. Cette amitié entre littératureet cinéma se manifesta dès les débuts du cinéma par une commune influence qu'exercèrent ces deux arts l'un sur l'autre. En effet, la littérature influence le cinéma en ce qui concerne son aspect narratif, tandis que le cinéma suscitera l'admiration des écrivains qui verront dans le septième art une «source de renouveUement>>2 de l'art romanesque. Les liens entre la littérature et le cinéma se renforcèrent et pennirent le développement des adaptions littéraires et des ciné-romans. Alain Resnais affirma même qu'il Y avait «un art littéraire du cinéma>>l. Dans le même ordre d'idée, nous aimerions nous interroger sur les modalités d'existence de ce que nous pourrions appeler un <<art cinématographique du littéraire» en prenant pour appui trois romans de Marguerite Duras. Plus précisément, nous souhaitons voir jusqu'à quel point le cinéma a pu exercer une influence sur l'écriture romanesque durassienne.

La collaboration entre cinéma et littérature débute pour Marguerite Duras en

1960, lorsqu'elle signe le scénario du film d'Alain Resnais, Hiroshima, mon amour.

lChristian Metz, Essais

sur

la signification au cinéma, t.l, Paris, Klincksiec~ 1965, p.96.

21eanne-Marie Clerc, Littérature etcinéma,Paris, Nathan, 1993, p.26.

(11)

Puis, au filde ses écrits, Duras réinventa les rapports entre les deux arts de sorte que l'originalité de ses textes réside dans le fait qu'ils ne s'inspirent <<d'aucun écrit préalable, et [que] la rédaction [est] conditionnée par les exigences particulières de l'image»4. CePendant, en 1969, avec la publication de La MusiCD, il n'est plus question de roman, ni même de récit. Duras indique en sous-titre: Film.

n

ne s'agit donc plus d'écrire un roman qui serait par la suite transformé en scénario, comme c'est le cas de l'adaptation littéraire classique, ni même d'écrire un scénario ou un ciné-roman à la Robbe-Grillet. Duras revendique une nouvelle écriture libérée des distinctions rhétoriques entre les genres:

Je ne sais rien de la différence entre lire et écrire, entre lire et voir. Entendre. (...) Je n'aperçois plus rien de différent entre le théâtre et le cinéma, le cinéma et l'écrit, le théâtre et l'écrit.5

Notre corpus est constitué de trois oeuvres, soit

Un Barrage contre le

Pacifique, L'Amant

et

L'Amant de la Chine

du

Nord,

qui par leur thématique commune l'histoire d'amour entre une adolescente française et un Chinois -pourraient apparteniràune trilogie, bien que Marguerite Duras n'ait jamais évoqué ce terme pour parler de ces trois oeuvres. Pourtant, elle fera référence aux rapports entre eUes. Si ces trois oeuvres semblent appartenir à une trilogie en raison de leur thématique commune, elles se distinguent par la catégorie générique à laquelle elles appartiennent ainsi que par les structureset les procédés narratifs qui les caractérisent. La première et la seconde sont typiquement romanesques. Pour ce qui est de la dernière, elleestau carrefour du romanetdu scénario.

Ains~ nous nous proposons d'étudier l'évolution et la transformation de l'écriture durassienne dans ces trois romans. Par écriture nous entendons les thèmes, 4Jeanne-Marie Clerc, Écrivainset cinéma, p. 310.

(12)

les motifs, les structures, les procédés narratifs et la question de l'hybridité générique qui sont tous en évolution dans les trois oeuvres

étudiées.

Plus précisément, notre problématique consistera à voir en quoi l'écriture, qui était typiquement romanesque dans Un Barrage contre le Pacifique et L'Amant, s'est transformée en une écriture à la fois romanesque et scénaristique dans L'Amant de la Chine du Nord. Cette étude repose sur l'hypothèse selon laquelleil ya une évolution vers une écriture plus visuelle dont l'origine se trouve dans le premier roman de la trilogie par la présence thématique du cinéma. En effet, cette donnée du cinéma déjà présente dans Un Ban-age contre le Pacifiquelaissait prévoir un intérêt marqué pour l'imageet pour le spectateur qui sera radicalisé dans les deux dernières oeuvres de la trilogie. Ains~ nous pouvons parler d'une véritable esthétique du regard dans L'Amant de la Chine du Nord, et nous pouvons nous demander en quoi la vie des personnages qui, dans le premier roman, était influencée par les films, devient eUe-même un spectacle.

Comme notre étude porte sur Uil Barrage contre le Pacifique, L'Amant et

L'Amant de la ChineduNord, nous avons tenté de trouver des études qui traitaient de ces trois oeuvres à la fois. Après une recherche méticuleuse, nous avons constaté qu'il existait peu d'écrits sur les trois textes et qu'ils n'abordaient pas ou peu l'aspect cinématographique de l'écriture de Duras. En effet, la critique durassienne qui s'est intéressée aux liens entre le cinémaet la littérature a davantage porté son attention sur l'influence de la littérature dans les films de l'auteure que sur ceUe du cinéma dans ses romans, de sorte que nous avons préféré mettre de côté les ouvrages qui s'attachaient exclusivement

à

ses oeuvres cinématographiques

afin

de nous concentrer sur des textes de théorie littéraire et filmique, qui nous semblaient susceptibles d'offiir une meilleure compréhension de la question qui nous occupe.

(13)

Plusieurs approches théoriques ont été nécessaires pour saisir notre sujet. Nous en avons privilégié trois que nous avons réparties en trois chapitres. La première est la théorie des genres qui, dans le premier chapitre de cette étude, nous permettra de définir les genres littéraires étudiés, soit «roman» et<<scénario», dans le but de montrer comment et dans queUe mesure les oeuvres durassiennes relèvent de ces deux genres.

Dans le second chapitre, nous avons fait appel

à

l'analyse thématique,

à

l'Întertextualité et, surtout, aux principes de «métatextualité», <<d'hypertextualité» et <<d'architextualité» énoncés par Gérard Genette,

afin

de voir en quoi il y a une réécriture du roman Un Ban-age contre le Pacifique dans

L'AmantetL'Amant de la Chine du Nord. L'analyse des motifs venant de la première oeuvre et de leur répercusion dans les oeuvres ultérieures est importante dans le contexte d'une étude de l'évolution de l'écriture de Marguerite Duras et de son rapport

à

l'autobiographie.

Dans le troisième chapitre, une analyse sémiotique nous permet de mieux comprendre le rôle du cinéma dans la transformation de l'écriture durassienne par le biais de procédés cinématographiques: montage de l'image (regard) et du son (dialogues), durée et hors champ, angles de prise de vue et mouvement de caméra. Tout d'abord, la technique du montage semble influencer l'écriture de Duras et trouvera son point d'aboutissement dansL'Amant de la Chinedu Nord. Cette oeuvre est constituée de l'assemblage de morceaux de textes, àla manière des scènes de film.

Ensuite, le regard est sans cesse sollicité, comme s'il ne s'agissait plus uniquement de lire le texte, mais aussi de le voir. Finalement, la très forte présence de dialogues rapproche le livre du film. Ainsi., l'analyse sémiotique tentera de montrer en quoi les romans de Duras s'inspirent du scénario et du cinéma, mais aussiàquel point ilYa un

(14)

passage vers une écriture visuelle grâce

à

des procédés cinématographiques qui exigent une participation active du narrataire.

E~ tout au long de notre étude, il yaura des références à la théorie de la réception,

car

ilest important d'accorder une attention particulière à la présence d'un lecteur-spectateur qui

se

manifeste de plus

en

plus dans l'écriture de Duras. Si, dans le premier roman, l'auteure6 ne fait appel qu'à un lecteur, déjà la question du spectateur esten germe par le rôle de spectateur qu'eUe fait jouer à ses personnages. Puis, dans

L'Amantet L'Amant de Ja Chinedu Nord, l'auteure invite le narrataire à voir plutôt qu'à lire le récit, d'où l'apparition d'un lecteur-spectateur. Ceregard, Duras l'évoque

et le suggère par les nombreuses références qu'elle fait au cinéma (mouvements de caméra, scènes, etc.). Ils'ensuit que la question de la voix narrative est de plus en plus importante: il y a une évolution du narrataire qui est interpellé et devient de plus en plus présent.

6Tout au long decemémoire, l'instance racontante sera désignée au masculin dans Un

Barrage

cOlltre Je

Pacifique,

car le genre du narrateur n'est pas révélé, contrairement

à

L'Amant et à L'Amant de /a Chine du Nordoù l'instance racontante est de genre • féminin.

(15)

Chapitre premier

Lathéorie des genres et l'oeuvre durassienne

La théorie des genres littéraires est née avec la Poétique d'Aristote dans

laquelle l'auteur tente de définir l'oeuvre littéraire dans sa spécificité en classant et en hiérarchisant les différents genres. De ce travail découlent trois grandes classifications génériques qui subsisteront, en se transformant quelque peu, au fil des siècles, soit: l'épique, le lyrique et le dramatique. Cette volonté de distinguer les genres vient d'un souci de les purifier. Comme le précise Dominique Combe: <<définir les genres, c'est en rechercher la puretée~ par là, leur assigner une loi.»l. L'esthétique moderne a vu dans la conception aristotélicienne des genres une limite au travail du créateur. C'est pour cela que les écrivains, depuis la seconde moitié du dix-neuvième siècle, ont tenté de traverser les frontières rigoureuses des genres littéraires traditionnels pour ouvrir leurs oeuvres àdiverses influences génériques. Cela ne signifie pas qu'il n'y avait pas d'oeuvres avant le dix-neuvième siècle qui relevaient de plusieurs genres, mais plutôt que la transgression des genres s'est depuis érigée en un «principe poétique>>2.

En plus d'incorporer plusieurs genres littéraires, les écrivains et les poètes ont emprunté des moyens typiques à d'autres arts. De leur côt~, les artistes eux-mêmes travaillaient souvent dans plusieurs domaines artistiques, comme Paul Klee qui était à

la fois peintre et musicien, pour ne donner qu'un exemple. Du coup, nous nous situons

1Dominique Combe, Les genres littéraires, Paris, Hachette Supérieur, 1992, p.148. 2lbid., p.149.

(16)

• dans une ère dominée par <<l'impureté>>3 des arts, par un mouvement de métissage des oeuvres artistiques et de transgression des barrières génériques désormais caractéristique de l'époque moderne. Dominique Combe résume bien ce phénomène dans son ouvrage consacré aux genres littéraires :

Les textes contemporains, parce qu'ils sont essentieUement polyphoniques, pluriels, n'ont pas pour

but

l'appartenanceà

un

genre unique. Un modèle de description fondé sur le postulat de la 'pureté' - sur l'existence idéale de genres essentiels - ne peut être qu'inadéquatàune littérature où sont valorisés le 'mélange', l'intenextualité, le 'métissage' des cultures. Nul doute, de ce point de we, que nous vivions encore aujourd'hui sur le rêve symboliste de l' 'Oeuvre totale' et de la 'correspondance des arts', bien davantage que sur l'idée 'classique' d'une distinction et d'une autonomie des arts.4

Marguerite Duras semble s'inscrire dans cette esthétique moderne du métissage des genres üttéraires et artistiques.

La

question de l'hybridité de ses oeuvres est bien connue; nous verrons de queUe manière eUe se manifeste dans les oeuvres à ('étude, soit Un Barrage contre le Pacifique, L'Amant et L'Amant de la Chine duNord. Plus

précisément, nous verrons de quelle manière le cinéma fait sentir son influencedans ces trois textes.

D'emblée, l'art ou la catégorie générique à laqueUe se réfère une oeuvre influence la manière dont eUe sera reçue. Ains~ avant même d'être lue,

sa

lecture est conditionnée tant par son affiliation générique que par la compétence des lecteurs et le cadre institutionnel dans lequel l'oeuvre a été produite. Les trois romans étudiés ne présentent

pas

tous une ambiguïté générique. Un Barrage contre le Pacifique et L'Amant ne comportent pas d'indications laissant croire qu'il s'agit d'autre chose que

de romans. En revanche, L'Amant de la ChineduNord semble apparteniràla fois au domaine de la littérature et à celui du cinéma. Dès l'ouverture du livre, cette

3Guy

Scarpetta,

L'impureté.,Paris, Grasset, 1985, 389 p. 400minique Combe,

Les

genres littéraires, p.150.

(17)

• hypothèse est confirmée par l'audacieuse déclaration de Marguerite Duras: «C'est un livre. C'est un film. C'est la nuit>>5. Paradoxalemen~ l'auteure ajoute: «Je suis redevenue un écrivain de romans.»6. D'où la nécessité de se demander si ce roman se situe davantage du côté de la littérature ou du cinéma. Est-ce un livre? Est-ce un film? Est-ce que la nuit serait celle de l'indétermination génériqueetartistique?

Mais il Y a une seconde ambiguïté quL elle, caractérise les trois oeuvres étudiées. En plus d'emprunteràun autreart, le cinéma, Marguerite Duras mélange la fiction et la non-fiction, de sorte qu'il est extrêmement difficile de départager ce qui appartient àla réalité et ce qui relève de l'imaginaire. Ainsi, le premier dénominateur

commun

des trois romans étudiés est l'ambiguïté quantà ce qui est fiction et ce qui ne l'est pas. Nous commencerons donc par étudier le métissage de la fiction et de l'autobiographie avant de nous pencher sur le métissage du cinéma et du roman.

Comme l'oeuvre moderne, en plus de bousculer les rapports entre les genres littéraires, rompt le clivage entre la fiction et lanon-fictio~ilpeut être difficile de faire la différence entre roman et roman autobiographique. Dominique Combe donne deux exemples de cette ambiguïté. Premièrement, certaines autobiographies revendiquent le droit à la fiction. Deuxièmement, certains romans autobiographiques créent des «personnages fictifs à partir de faits réels»'. À la lumière de ces observations, que pouvons-nous dire de L'Amant! Les personnages semblent avoir existé, mais Marguerite Duras a brouillé les pistes sur sa vie. La non-coïncidence des versions de l'histoire des amants de Un Barrage contre le Pacifique à L'Amant de la Chine du Norden passant par L'Amant en est la preuve. Dest donc très difficile de faire le partage entre fiction et autobiographie dans ces oeuvres. D'ailleurs, l'auteure avoue 5Marguerite Duras, L'Amant de laCbinedu Nord, Paris, Gallimard, 1991, p.17.

6IbKL.

p.12.

(18)

• avoir caché certains faits: «Dans les histoires de mes livres qui se rapportentà mon enfance je ne sais plus tout à coup ce que j'ai évité de dire, ce que j'ai dit...»8. Ailleurs, elle dira:

Avant, j'ai parlé des périodes claires, de celles qui étaient éclairées. Ici je parle des périodes cachées de cette même jeunesse, de certains enfouissements que j'aurais opérés sur certains faits, sur certains sentiments, sur certains événements.9

Un Barrage contre le Pacifique

amorce l'évocation de la jeunesse de Marguerite Duras en Indochine avec l'histoire de son amant chinois, mais raconte surtout l'histoire de sa mère et sa lutte désespérée pour que ses enfants survivent. Dans ce roman, l'histoire est présentée comme étant de la fiction et l'influence du cinéma ne se fait sentir que du seul point de vue thématique.10 Pour ce qui est du second roman de notre cycle,

L'Amant,

nous pouvons noter un certain métissage des genres ainsi qu'une influence du cinéma et de la photographie. Contrairement au premier roman, le récit est rapporté à la première personne du singulier et se veut un assemblage de souvenirs de l'auteure. Dans

L'Amant de la Chine

du

Nord,

Marguerite Duras mélange fiction et autobiographie en faisant référence aux deux romans précédents. De plus, l'influence du cinéma est clairement présente dans les notes de l'auteure sur la manière dont pourrait être réalisé un film à partir de ce livre. Bret: ('influence thématique et structurelle du cinéma quiest en germe, resPeCtivement, dans

Un Barrage contre le Pacifique

et dans

L'Amant,

est ominiprésente dans

L'Amant de la Chille

du

Nord.

8Marguerite Duras, L'Amant, Paris, Les Éditions de Minuit, 1984, p.34. 9Ibid., p.14.

l~ous nous attacherons à l'analyse du cinéma comme thème dans le deuxième chapitre de ce mémoire. Ce chapitre sera aussi consacréàl'intertextualité, théorie qui nous permettra de retracer l'évolution de ('écriture durassienne en prenant pour point de départ le thème du cinéma dansUnBarrage contre le Pacifique

(19)

Dans Un Barrage contre le Pacifique, il y a deux types de narration. Le premierest mené par un narrateur extradiégétique; le second établit une coïncidence entre le point de vue du narrateur et celui des divers personnages, de sorte qu'il semble parfois que le regard narratorial se confond avec celui des personnages, tout en maintenant une distance par rapport à eux. Cela dit, l'instance narratoriale demeure toujoursàl'extérieur du monde raconté.

Ce n'est que dans L'Amant et L'Amant de la Chine du Nord que l'autobiographie sera véritablement revendiquée par Marguerite Duras. En effet, dans ces romans, ilsemble que l'auteure veuille expliquer la vraie version des événements qui ont eu lieu, et même C9rriger ce qu'elle avait pu écrire dans le passé. Il Y a donc un «balancement permanent entre la fiction issue du regard autobiographique, et le retour à l'examen de la vie à la lumière de la fiction - une sorte de biographie mythique, comme on l'a dit quelquefois» 11. Le dialogue suivant entre Hélène LagoneUe et l'enfant, tiré deL'Amant de la Chinedu Nord, exprime cette impossibilité de départager la fiction de la vérité:

-Dis-moi encore sur ton petit frère. -La même histoire toujours...?

-Oui. C'est jamais la même maisto~ tule sais pas. 12

Dans son étude consacrée à Un Barrage contre le Pacifique, Ligot soulève la question du «pacte autobiographique»13 abordée par Philippe Lejeune, selon qui l'autobiographie d'un écrivain révèle sa vocation pour l'écriture. C'est bien le cas de

L'Amant etL'Amant de la Chine du Nordqui témoignent ceDe de Marguerite Duras pour l'écriture en général et pour l'autobiographie en particulier.

À

titre de preuve,

IIMarie-Thérèse Ligot, Un Barrage contre le Pacifique de Marguerite Duras, Paris,

Gallimard, 1992, p.149.

12Marguerite Duras, L'Amantde laChinedu Nord, p.54.

13PhilipPe Lejeune, «Le pacte autobiographique», Poétique., no 14, 1973, p.137-162.

(20)

• cette remarque de la narratrice qui manifeste son désir d'écrire malgré la réprobation de sa mère: <<Je lui ai répondu que ce que je voulais avant toute autre chose c'était écrire, rien d'autre que ça, rien»14. Dans cette perspective, il est possible de se

demander si Un Barrage contre le Pacifique peut être défini comme un type de récit différent de L'Amant et de L'Amant de la Chine du Nord en raison de l'absence de références directes

à

la vie réelle,

à

l'auteure-narratrice et

à

la vocation pour l'écriture. Plus précisément, Un Barrage contre le Pacifique serait un roman dans lequel prédominerait la fiction, tandis que L'Amant et L'Amant de la Chine du Nord indiqueraient clairement qu'ils s'inspirent d'événements autobiographiques sans pour autant résoudre l'ambiguïté entre la réalité et la fiction. Au sujet de cette indétermination, Starobinski soulignait: «La forme traditionnelle de l'autobiographie tient le milieu entre deux extrêmes: le récit à la troisième personne et le pur monologue.» 15. Dans l'autobiographie, ajoute-t-il, l'énonciation historique et

discursive coexistent de sorte qu'eUe pourrait être une entité mixte du type <<discours-histoire»16.

Dans «Frontières du récit»17, Gérard Genette se propose de reconnaÎtre les limites négatives du récit et, ce faisant, de considérer les principales oppositions à travers lesquelles le récit sedéfinit en face du non-récit. Genette identifie une première frontière du récit en reprenant l'opposition, déjà présente à l'origine de la tradition classique, entre la diègèsis, soit le récit ou la poésie narrative, et la mimèsis, soit l'imitation directe ou la POésie dramatique. S~ pour Platon, le récit s'oppose à 14Marguerite Duras, L'Amant p.31.

I5IeanStarobinski, «La relation critique», L'oejl vivant D,Paris, Gallimard, 1970,

p.SS. 16Ibi.1l

(21)

l'imitation et sl pour Aristoteilest un des modes de l'imitation, tous deux s'accordent sur cette opposition et considèrent le dramatique comme étant plus imitatif que le narratif: Pour les deux philosophes, le récit est un mode affaibli de la représentation littéraire. Cependant, Genette nuance cette conception lorsqu'il dit que la mimèsis n'est pas une imitation, car eUe est la chose même, alors que la diègèsis est la seule véritable imitation, car elle représente la réalité. Selon Genette, le seul mode de représentation littéraire est le récit.

Ainsi définie, la représentation littéraire se confond avec le récit, mais elle ne se réduit pas aux seuls éléments narratifs du récit. En effet, Genette établit une distinction entre la narration et la description, qui n'apparaît(lichez Platon

ni

chez Aristote, et qui dessine une seconde frontière du récit. D'après lu~ la description pourrait exister sans la narration, mais non l'inverse; pourtant, c'est toujoursà la narration que l'on accorde la primauté. Auss~ Genette affirme que la description et la narration sont deux opérations semblables qui utilisent les mêmes ressources du langage, à la différence près que la narration coïncide temporellement avec son objet. Genette conclut que la description ne se distingue pas assez de la narration pour rompre leur coexistence au sein du récit. Le terme récit englobe les deux formes de représentation littéraire, la description n'étant qu'une frontière intérieure du récit, ainsi qu'un de ses aspects constitutifs.

Cependant, Platon et Aristote semblent limiter la littérature au champ de la représentation. Si l'on considère les oeuvres qui sont exclues de cette définition, car eUes n'ont pas une fonction représentative mais consistent en un discours tenu par l'auteur, nous voyons apparaître une troisième frontière du récit. Selon Genette, il y a une opposition entre récit et discours. Genette constate qu'il ya toujours du discours dans le récit et inversement, mais que l'insertion du récit dans le discours n'émancipe pas le discours, ce mode naturel du langage, car il accueille toutes les formes. Au

(22)

• contraire, l'insertion du discours dans le récit trouble la pureté de ce mode artificiel du langage qui se définit par des restrictions, dont le refus de l'emploi de la première personne et du temps présent.

Pour conclure, Genette souligne le rapport délicat entre le discours et le récit, dont la tendance actuelle est de faire disparaître, dit-il, le récit dans le discours de l'écrivainetce, comme si la littérature avait épuisé les ressources du récit et souhaitait se renfermer sur son propre discours.

À la lumière de ces précisions, nous pourrions être portés à croire que le

.cinéma se situe du côté de l'imitation directe de la réalité, à la manière du théâtre. Toutefois, il semble appartenirà l'univers du discours par son caractère médiatique. En effet, si lecinémase situe au départ du côté de l'imitation par le fait qu'il y a des acteurs qui imitent l'action et que le monde environnant peut être saisi directement, il

reste que contrairement au théâtre, cette prestation des acteurs et cette saisie du monde sont différées par une instance intermédiaire, soit le dispositif cinématographique, qui vient infléchir le sens et pointer du doigt certaines choses. Ains~ le cinéma est davantage du côté du discours, car le locuteur laisse les traces de son énonciatiori par le biais des procédés cinématographiques. 18 Et comme, selon Genette, le discours contient toujours du récit (diègèsis), le caractère apparemment mimétique du cinéma se trouve doublement compromis.

Leroman autobiographique se situe aussi du côté du discours, car le narrateur

ylaisse des traces de sa subjectivité. Ains~ pour revenirà la distinction entre fiction et non-fiction dans les trois oeuvres étudiées, qu'il s'agit maintenant d'appréhender à

partir de la distinction entre récit et discours, Un Barrage contre le Pacifique se • 18Nous nous attacherons à cette question dans le troisième chapitre de notre mémoire.

(23)

• présente comme de la fictio~ c'est-à-dire comme un récit, pour autant que les événements semblent se raconter d'eux-mêmes: ['auteur-narrateur ne laisse aucune trace de son énonciation. Par conséquent, cette première oeuvre se situerait du côté de ['énonciation historique et ne relèverait pas de l'autobiographie. À l'opposé, L'Amant

etL'Amantdela Chine duNordjouent avec la fiction et la non-fiction en incluant des marques de présence de la locutrice dans le texte. Dans L'Amant le rapport à

l'autobiographie est beaucoup plus fort que dansL'Amant de la Chine duNord, où ce lien est ressenti avant tout à travers les références intertextuelles aux deux premiers romans19. fi n'en demeure pas moins que l'auteure débute ce dernier üvee en parlant du Chinois qu'elle avait connu et du fait que sa mort l'a poussée à écrire ce texte. Bret: nous sommes en mesure d'observer les corrélations que voici: d'une part, le premier roman se situe du côté de l'énonciation historique et le cinéma ne joue un rôle que du point de vue de la thématique; d'autre part, ilYa un lien inextricable entre la référence autobiographique et l'influence de procédés cinématographiques dans l'écriture des deux autres oeuvres.

Roland Barthes affinnait qu'il y avait une différence entre la littérature et le cinéma. fi opposait la «monodie littéraire>>2° à la polyphonie cinématographique. Cette polyphonie, disait-il, cette <<épaisseur de signes» était commune aux systèmes sémiotiques qui articulent <<de manière nécessairement ~polyphonique', plusieurs 'langages' de manifestation>>21. Plus précisément, la «polyphonie» fait référence au fait qu'il Y a plusieurs types de signes qui, provenant de systèmes sémiotiques différents, sont émis simultanément se trouvant ainsi superposés à des signes

19Le

second chapitre de notre mémoire portera sur cette question. 20&.oland Barthes, Essais critiques, Paris, Seuil, 1964, p.258.

21André Gaudreault, Du littéraireau filmique., Paris, Nota Bene, Annand Coli~ 1999,

(24)

• proprement linguistiques (les répliques) etàdes signes non linguistiques produits par l'éclairage, les décors et les gestes des acteurs, pour ne donner que quelques exemples. En revanche, la «monodie littéraire» fait référence au fait qu'en littérature, il n'y a qu'un seultypede signe, soit le signe linguistique. À ceci ilconvient d'ajouter que non seulement le lecteurestconfronté à

un

seultypede signe, mais les signes

se

suivent de manière linéaire,ce qui permet au lecteur de maîtriser jusqu'à un certain point le débit de l'information, sachant par ailleurs qu'il a toujours la possibilité de revenir en arrière.

n

n'en va pas de même au cinéma où la linéarité est sans cesse concurrencée par la simultanéité et où le débit de l'information n'est pasmattrisé par le spectateur qui est soumis au débit du dérQulement de la pellicule dans le projecteuret, par là, àla durée non réversible dufilm.

ChristianMetz affine quelque peu la distinction effectuée par Barthes lorsqu'il précise que la littérature possède une matière de l'expression, soit la langue, alors que le cinéma en possède cinq. La notion de matière de ('expression, empruntée à Louis Hjelmslev, se réfère à la matérialité du signifiant. Ains~ chaque langage repose sur une matière de l'expression ou sur la combinaison de plusieurs matières de l'expression. Le cinéma parlant est constitué des cinq matières de l'expression suivantes: les images mouvantes, les bruits, les paroles, les mentions écrites et la musique. Le <<cinéma, c'est le langagequi repose sur une combinaison d'images photographiques mouvantes, de bruits, de parolesetde musique>>22. L'artdu scénariste consiste à mettre en scène les cinq matières de l'expression d'où l'impossibilité de faire de l'introspection littéraire dans l'écriture d'un scénario, comme le mentionne Bonîtzer:

Un scénarioestdéjà unfilm. [...

l

Car le scénario est la première fonne d'unfilm.

n

doit être imaginé,vu,entendu, composéetpar conséquent écrit comme un film. [...]

22Christian

Metz,Langageetcinéma, Paris, Larousse, 1971, p.17.

(25)

Écrire un scénario, c'est beaucoup plus qu'écrire. En tout

cas,

c'est écrire autrement; avec des regards et des silences, avec des mouvements et des immobilités, avec des ensembles incroyablement complexes d'images et de8008...23

La distinction barthésienne entre «monodie» et «polyphonie» semble pouvoir être transposée dans le domaine proprement littéraire. D'une part, nous avons déjà constaté que Un Barrage contre le Pacifique relève de l'énonciation historique:

on pourrait avancer que nous avons affaire à un récit «monodique». De plus, les

tracesde l'énonciatrice sont absentes, l'histoire se raconte d'elle-même, la direction de notre regard n'est pas régie. D'autre part, l'auteure-narratrice laisse dansL'Amant et L'Amantdela ChineduNord des traces de son énonciation, de sorte que nous avons

affaireàdes récits davantage «polyphoniques» en ce sens que la voix de l'instance-racontante

se

superpose ouvertement à ceDes de ses personnages. Ces traces subjectives sont particulièrement visibles lorsque l'instance racontante se réfère à

d'autres systèmes sémiotiques, tel le dispositif cinématographique ( angles de prise de vue et position de la caméra, par exemple) ou la bande sonore ( description de la nature du son, par exemple). Ce faisant., elle érige le lecteur en lecteur-spectateur, l'invitant non seulementà lire, maisà écouter et àregarder - voireàla regarder. fi en résulte que la «~polyphonie»~ de ces deux oeuvres serait tributaire à la fois de la superposition de voix, qui découle de la présence d~ marqueurs énonciatifs et de la «récupération», dans et par [a linguistique, de cette <<épaisseur de signes» propre au cinéma au moyen de renvois àdes procédés cinématographiques ainsi qu'à la

mise

en place d'un lecteur-spectateur. Du coup, setrouve affiché [e caractère réflexif de ces deux oeuvres, lequel

se

situe à plusiers niveaux: l'inscription de traces énonciatives démasque la nature construite des oeuvres tout en dénonçant l'illusion référentielle et

23Jean-C[aude Carrière, Pascal Bonitzer, Exercice du scénario, Paris, FEMIS, 1990, • p.12-13.

(26)

• en amenant le lecteur à maintenir une certaine distance par rapport à l'histoire; mais cette distance devient aussi celle de la caméra, véritable oeil de l'instance racontante, à travers laquelle personnages, actions et décors sont présentés au lecteur-spectateur, et celle de la mémoire, pour autant que le regard du lecteur-spectateur et celui de l'instance racontante portent sur des événements réellement vécus par celle-ci. Nous

sommes donc bien loin de l'énonciation historique, «monodique», non réfléchie et

illusionniste de

Un Barrage contre le Pacifique.

fiest désormais possible depostulerqueL'Amant et L'Amantde

la Chine

du Nordincorpcient des matières de l'expression, propres au cinémaqu~ médiatisées par l'écriture, exercent un rôle sur lel!r structure en les rendant «polyphoniques» au sens de Barthes. Voici, nous semble-t-il, ce qui correspond à un véritable <<art

cinématographique du littéraire» que Marguerite Duras serait, en France, parmi les premiersàavoir exploré. Cecidit, ilconvient de noterà propos deL'Amantque, s'ily

a une présence très forte de l'image et du son, deux des cinq matières de l'expression cinématographique, l'image se manifeste surtout à travers la référence à la photographie, mais aussi au cinéma. Auss~ faudrait-il nousypencher rapidement.

Dès le départ, Duras décrit une photographie d'eUe-même et, tout au long du roman, elle se réfère à des photographies de ses proches qui lui donnent matière à

l'évocation de souvenirs. Ains~ les descriptions sont faites comme si Duras analysait le contenu des images ou des photographies, ce qui a pour conséquence immédiate d'instaurer le lecteur en spectateur.

Par

exemple: «Sur le bac, regardez-mo~ je lesai

encore. Quinze ans et demi. Déjà je suis fardée.

>>2

4. D'autre Part. la narration se déroule comme si l'on découvrait un album de photographies. Duras passe d'une photographieà une autre pour en raconter l'histoire. Tantôt eUe évoque son histoire, • 24Marguerite Duras, L'Amant, p.24.

(27)

• tantôt il s'agit de celle de sa mère ou de sa famille. L'exemple suivant témoigne bien de ce procédé: «J'ai retrouvé une photographie de mon fils à vingt ans. Il est en Californie avec ses amies Erika et Elisabeth Leonard. (...) C'est cette photographie qui est au plus près de celle qui n'a pas été faite de la jeune fille du bac.>>2S. D'ailleurs, Marguerite

Duras

affirmait que L'Amant devait être

au

départ un texte accompagné de photographies.

La

dimension autobiographique était doncaucentre de l'écriture decelivre:

Oui. Letexte de 'l'Amant' s'est d'abord appelé 'l'Image absolue.'

fidevait courir tout au long d'un album de photographies de mes filmsetde moi. Cette image, cette photographieest entrée dans le livre. Elle aurait eu trait à la traversée d'un fleuve sur un bac. Cette image centrale - de même quece bac quL sans doute, n'existe plus, de même que ce paysage,

ce

pays aussi, détruits - , que personne

d'autre que moi ne connaît, ne peut mourir que demo~ que de ma mort. Mais elle aura étéetrestera signalée, son existence,

sa

permanence 'rétinienne' auront été posées là, dans

ce

livre-là.26

Malgré l'importance de la photographie dans ce texte, les références au cinéma occupent une place non négligeable. Dans l'exemple suivant, il est question de la description de la photographie du passage du bac, qui est au coeur du roman. On remarque toutefois la présence simultanée de la bande-son et de la bande-image qu~ renforcée par une syntaxe tronquée, renvoient à une scène de film et non plus à une image photographique:

Le chapeau d'homme colore de rose toute la scène. C'est la seule couleur. (...)

Pas de vent au-dehors de l'eau. Le moteur du bac, le seul bruit de la scène, celui d'un vieux moteur déglingué aux bielles coulées. De temps en temps, par rafales légères, des bruits de voix. Et puis les aboiements des chiens, ils viennent de partout, de derrière la brume, de tous les viDages.27

25Marguerite Duras,26Hervé Le Masson, «Marguerite Duras: «C'est moi, L'Histoire»L'

Amaot.

p.21. », NQuvel Observateur, inL'Amant,Paris,

France

Loisirs, 1984, p. VIT.

(28)

• Tout se passe comme s'il y avait un glissement de la description d'une photographie vers le scénario. Le passage suivant manifeste la même ambiguïté: «L'image commence bien avant qu'il ait abordé l'enfant blanche près du bastingage, au moment où ilestdescendu de la limousine noire, quand ila commencéà s'approcher d'eUe, et

qu'elle, elle le savait, savait qu'il avait

Peur.>>2

8. C'est

un

exemple de hors champ et d'un mouvement de la caméra, plus que d'une photographie

figée,

d'un tableau où il

n'y a pas possibilité de voir au-delà des limites du cadre. On retrouve également la notion de durW9 propre au cinéma, qui est constitué d'une série d'images en mouvement, soit vingt-quatre images par seconde: ilest ici question d'une image qui <<dure pendant toute la traversée du fleuve>>30, et non p~ d'une image figée.

Ajoutons que si les arts visuels sont très présents, d'autres références au regard, tels les miroirs, alimentent aussiL'Amant. En voiciunexemple:

Rien ne

se

proposait plus pour habiter l'image. Je suis devenue folle en pleine raison. Le temps de crier. J'aicrié. Un cri faible, un appelàl'aide pour que craque cette glace dans laquellese

figeait mortellement toute la scène.31

Enfin, le cinéma et la photographie sont des références qu'il convient de citer afin de rendre plus intelligible et plus riche la descriptionparlamiseen scène d'autres matières de l'expression telles l'image et le son. Insistons sur le fait que le recours à ces autres matières de l'expression transforme à son tour le rôle du narrataire qui n'est plus un simple lecteur, mais aussi un spectateur32.

27Marguerite Duras, L'Amant, p.30.

28.DiliL p.4S.

29Cette question de la durée de la photographie et du cinéma

sera

analysée plus en détail

dans

le troisième chapitre decemémoire.

30Marguerite Duras, op cil, no27, p.ll. 31.DiliLp.l06.

32Nous parlerons de ce glissement d'un narrataire qui serail uniquement un lecteurà

un narrataire qui serait à la fois un lecteur et un spectateur, dans le second et dans le troisième chapitre de ce mémoire, dans L'Amant et dans L'Amant de la Chine du

(29)

Bien que l'on retrouve une certaine influence du cinéma dans L'Amant, c'est dans L'Amant de la Chinedu Nordque cette influence devient omniprésente. En effet, l'influence du cinéma se manifeste dans la structure même du texte qu~ tout en conservant une Conne romanesque, emprunteàla forme scénaristique. fi est possible d'affirmer que L'Amant de la Chine du Nord se présente comme le «rêve d'un film>>33,

car

Duras indique la manière dont le roman pourrait être transposé en film, un peu à la manière d'un scénario.

L'Amant de la Chine du Nordfait jouer les matières de l'expression typiques du cinéma, surtout l'image et le son. Bonitzer explique: « ... tel est le rôle du scénariste: adapter la fonne du récit à la matière film.

D

ne s'agit donc pas seulement de savoir raconter, mais de savoir raconter en fonction de l'image...>>34. En plus de l'image, le scénariste doit évoquer le son. Le son ne doit pas être considéré comme moins important que l'image, et il doit être travaillé dès l'écriture du scénario. Marguerite Duras donnera une place de choixàla dimension sonore qui alimentera la dimension visuelle de L'Amant de la Chinedu Nord. L'exemple suivant illustre bien ce fait: «Dans le .vide laissé par l'enfant une troisième musique se produit, entrecoupée de rires fous, stridents, de cris.>>35. Par ailleurs, en suggérant l'image, le scénariste suggère d'une certaine façon la mise en scène. De la même manière, par les indications de grosseurs de plans, mais aussi d'éclairage, et de pause dans les dialogues, Duras donne des indications de miseen scène pour l'adaptation filmique de cetexte. Elle va jusqu'à donner ses préférences sur les échelles de plan, sur la manière dont l'action devrait être présentée, ainsi que sur le choix des acteurs. De même,

Nord.

33Jean-Claude Carrière, Pascal Bonitzer, Exercice du scénariQ, p.59. 34lbid., p.95.

(30)

• lorsque Duras décrit une scène, en mettant de l'avant la bande-son et la bande-image, elle indique la place du spectateur, donc son point de vue par la caméra:

On reste là où elle était. Ça s'éteint dans la garçonnière. On entend la clé dans la serrure. Puis le moteur de la Léon Bollée. Puis son éloignement, sa dilutiondansla

vill 36e.

fi s'ensuit que le roman doit suggérer les images et les sons, d'où toutes les indications scénaristiques qui truffent l'écriture de Duras, qui fait une composition précise de l'image. En parlant du scénario, Bonitzer affirme: «C'est pourquoi cette chose d'images etde sons qu'est un

film

a besoin d'un scénario, chose de mots.>>3 7. Bref, cette chose de mots qu'est le roman de Duras évoque bien le film.

Michel Chion explique dans son livre Écrire un scénario que les scénarios, suivant l'évolution du processus de production d'un fi~ prennent plusieurs fonnes. Parmi ces dernières, nous avons retenu celle de la continuité dialoguée et celle du découpage technique, qui nous semblent avoir le plus influencé Marguerite Duras dans son processus d'écriture. Commençons par voir ce que Chion appelle continuité dialoguée:

Lacontinuité dialoguée, en France, c'est le scénario lui-même, achevé en tant que scénario, c'est-à-dire ne comprenant pas encore, saufexception, les indications de découpage technique. Àpart cela, touty est: action, description des personnages et des lieux, dialogues au styledirect. La

continuité dialoguéeestdivisée en scènes, chaque scène étant précédée des indications: Extérieur ou Intérieur, Jour ou Nuit, Lieu de l'action et, si l'on veut, d'autres indications supplémentaires. [...] Ajoutons que la continuité dialoguée peut être complétée librement, selon le cas particulier de chaquefilm:

-par une biographie de chaque personnage;

-par un développement sur le contexte [...] dont la

connaissanceestnécessaireàla compréhension du scénario;

-parun papier d'intentions sur le sujet, le contenu,

36Marguerite Duras,L'Amant de la Chine du Nord, p.180.

(31)

l'inspiration;

-par des cartes, des graphiques, des dessins, etc.38

L'Amant de la ChineduNord retient plusieurs éléments de cette forme scénaristique et

surtout la présence prépondérante de dialogues rapportés au style direct. Presque toute l'oeuvre est constituée de dialogues, contrairement à

Un

Barrage contre

le

Pacifique où le dialogue était moins important que la description, et a fortiori à L'Amant où les dialogues au style direct

se

retrouvent en faible proportion. La

prédominance des passages dialogués est la grande caractéristique du genre scénaristique et, partant, du cinéma où ils renforcent l'importance de la bande-son.

Dans [,

~mant de la Chine du Nord, les dialogues surpassent la descriptio~

ce

qui éloigne l'oeuvre du genre romanesque où la proportion des passages narratifs et des passages dialogués est souvent équivalente ou inférieure pour ce qui est des dialogues.

À titred'illustratio~ remarquons que toutes les rencontres entre les deux amants sont constituées d'une parttrèsimportante de dialogues rapportés au style direct, ainsi que de l'utilisation du présent, comme c'est le cas dans les scénarios qui sont destinés à

être lus comme si lefilmsedéroulait sous nos yeux au filde la lecture.

Par ailleurs, la description· de l'action, des lieux et des personnages caractéristique de la continuité dialoguée se retrouve dans L'Amant de la Chine du

Nord. Chaque nouvelle action est introduite par une brève remarque en style télégraphique, à ['instar de la manière dont une nouvelle scène est présentée dans un scénario. À titre d'indication, voici deux exemples: «Lagarçonnière. Ds sont dans le lit, l'un contre ('autre.>>39et «Lapension Lyautey. La cour

est

vide.»40. En

ce

qui concerne la description des personnages, eUe se fait dans un rapport intertextuel

aux

oeuvres antérieures. Les

persoMages

principaux seront décrits ettransformés par 38Miche[ Cmon,Écrire un scénariQ, Paris,Cahiers du cinémalI.N.A, 1985, p.206-207. 39MargueriteDuras,L'Amant de laChinedu Nord, p.191 .

(32)

rapport à L'Amant et à Un Barrage contre le Pacifique. Parfois, la description des personnages se fera dans une note de bas de page, comme dans l'exemple suivant:

Dans le

cas

d'un

film

tiré de

ce

livre~ ilne faudrait pas que l'enfant soit d'une beauté seulement belle. Cela serait peut-être dangereux pour le

film.

fis'agit d'autre chose qui joue en elle, l'enfant, de <<difficile

à

éviter», d'une curiosité sauvage, d'un manque, ou~ de timidité. [...] EUe ne regardepas. EUe est regardée.41

fi

Y

a également des références claires à l'idée de la scène: «La scène est extrêmement lente.»42; ou encore: «La scène est immobile. Personne ne bouge. Personne ne parle. Personne ne dit bonjour»43.

Pour ce qui est du découpage technique, Michel Chion précise qu'il s'agit de la continuité dialoguéeà laquelle se sont ajoutées les indications de tournage etde mise en scène. Par exemple, il sera question dans le découpage technique de la

«

liste et

grosseurs des plans [...

J,

angles

de

prise de

we [...

l,

mouvements de caméra éventuels

[ 1

... ,mouvements opbques ...,

.

[]

li·êllsons Vlsue es ...,. Il [ ] 0b'ectifs~ utili·,ses, etc.»44. L'influence du découpage technique se manifeste dans L'Amantde la Chine du Nord par la présence d'indications liées au tournage. Cette présence d'indications techniques est assez importante, comme nous l'avons déjà mentionné; eUes se retrouvent dans le texte même où en note de bas de page. À titre d'exemple: «En cas de film la caméra est sur l'enfant quand le Chinois raconte l'histoire de la Chine.»45. Ailleurs,

Duras

dira: «L'enfant sort de l'image. Elle quitte le champ de la caméra et celui de la tète. La caméra balaie lentement

ce

qu'on vient de voir puis

41Marguerite

Duras,

L'Amant de la Chine du NQrd~p.'3. 42Ihid.., p.85.

43Ihid.., p.130.

44Michel Chion, Écrire un scénariQ~ p.20'. • 4SMarguerite Duras, op cit, no41, p.91.

(33)

• elle se retourne et repart dans la direction qu'a prise l'enfant.»46. À la

fin

du livre, Duras énumère une série d'images de plans de coupe destinée au film ainsi que des plans pour la bande-son spécifiant les bruits d'ambiance ou la musique à utiliser, contrairement à L'Amanl et à Un Barrage contre le Pacifique où ces références propres au scénario sont totalement absentes.

D'autre part, cette oeuvre est construite de petits fragments de textes regroupés en paragraphes de longueur variable et non en chapitres. Cette structure évoque celle du scénario, dont les scènes sont divisées en paragraphes afin de les distinguer, et, par le fait même, le

film

qui est divisé en scènes et dont la cohérence dépend du montage ou de l'assemblage. À la différence toutefois des scènes de scénarios, lesquelles comportent une numérotation, une didascalie, des informations quantà la bande sonore, les valeœ."S de plan, le lieu, le moment du jour, la localisation intérieure ou extérieure, l'entréeetla sortie de scène (ex: "fade in"), les fragments de

L'Amant de la

Chine du Nord reprennent des éléments purement littéraires, tels l'introspection. Cette dernière est interdite dans l'écriture du scénario, qui doit toujours être visuelle. S~ donc, d'un point de vue strueture~ Duras reprend deux formes scénaristiques, des éléments romanesques subsistent. D'où l' hybridité de cette oeuvre, qui mélange la forme romanesque et la fonne scénaristique.

En effet, àrencontre du scénario qui est sans cesse sujet aux remaniements, le roman, même si l'auteur fait plusieurs corrections, voire même une seconde édition, n'a pas le statut d'<<objet transitionnel»47, comme le précise Bonitzer:

QueUe que soit la conception qu'on peut se faire du scénario (un scénario est au service d'unfilm, ou bien au contraire: un filmestau service d'un scénario), le scénario existe,à un moment donné, même si généralementildisparaît après le tournage, comme 46Marguerite Duras,L'Amant delaChine du Nord, p.21.

(34)

une enveloppe fanée. Et le scénario est toujours lié aufiI~ qu'on le veuille ouno~et quelle que soit l'option théorique choisie. Il est l'outil de conception et de réalisation indispensable.48

En outre, entre le roman et le scénarioil

y

a une différence de nature. Non seulement le roman existe en lui-même, mais dans son état

final

ildemeure de l'écriture. Pour sa part, le scénario est de l'écriture, puis unfilm; il Ya une transfonnation totale de son état initial. L'Amant de la Chine du Nord existe par lui-même en tant qu'oeuvre autonome.

n

reste que tout en se dissociant du scénario par son caractère autonome, le roman se présente comme le rêve d'un filmet manifeste plusieurs influences de la forme scénaristique.

L'Amant de la Chinedu Nord sera le point d'aboutissement du métissage des genres littéraires et de l'influence du cinéma dans la structure des oeuvres de Marguerite Duras.

n

en découle que cette oeuvre ne peut plus être classée dans une catégorie générique, ni même dans un art. Elle appartient tant au monde de la littérature qu'à celui du cinéma. Le métissage de ces deux arts est extrêmement visible, car Duras réunit à la fois une structure romanesque et une structure scénaristique, ce qui a pour conséquence directe la modification des attitudes du lecteur, l'auteure appeUant un autre type de lecteur de par la multiplicité des matières de l'expression parmi lesquelles dominent l'image, mais aussi le son. Le genre auquel appanient une oeuvre conditionne sa lecture. Ains~ lorsque Marguerite Duras écrit au début de L'Amant de la Chille du Nord: «C'est un livre. C'est un

film.

C'est la nuit»49, eUe fait simultanément référenceà un lecteur et à un spectateur, ce qui sera confirmé par le recours aux procédés et aux fonnes scénaristiques qui engagent tant l'acte de lire que l'acte de regarder. Cette indication viendra donc transformer les attentes du lecteur, dont le regard est sans cesse sollicitéà partir de L'Amant et surtout 48Jean-Claude Carrière, Pascal Bonitzer, Exercice du scénario, p.58.

(35)

dansL'Amant de la Chine du Nord., comme nous le verrons plus en profondeur dans

le second et le troisième chapitres qui soulèveront des questions liéesàla réception des écrits durassiens.

Pour conclure ce premier chapitre., nous pouvons affirmer que les trois oeuvres étudiées s"inscrivent dans l'esthétique moderne du métissage des genres littéraires et des arts en raison de leur caractère «polyphonique». Si ce métissage et cette polyphonie sont absents du premier roman de la trilogie.,

Un Barrage contre le

Pacifique,

nous pouvons en trouver la raison, d'une part, dans le fait que

Duras

n'avait pas encore écrit de scénarios et qu'elle n'avait pas encore réalisé de films et, d'autre part., dans le fait que le récit prime sur le discours, la fiction sur la non-fiction. Toutefois, le cinéma n'est pas totalement absent de ce rom~ car on le retrouve du point de we thématique., et son influence., même à ce niveau, n'est pas négligeable., comme nous le démontrerons dans le second chapitre. fi est aiséde croire qu'à partir du moment où Marguerite Duras devient cinéaste son oeuvre littéraire subit l'influence du cinéma. AinsL avec L'Amant et L'Amant de la Chine du Nord., il n'y a plus de doutes sur la volonté de l'auteure de soustraire ses oeuvres aux classifications génériques traditionnelles. L'influence du cinéma sur ces romans les rend hybrides, en

y inscrivant un narrataire qui est à la fois un lecteur et un spectateur et des éléments issus de la structure scénaristique. CoroUairement., ces deux romans sont fondés sur une énonciation discursive qui privilégie l'instance racontante plutôt que le monde raconté ce qui semble cautionner l'entrée explicite de l'autobiographie dans la fiction durassienne. La transfonnation de l'écriture de Marguerite Duras est on ne peut plus palpable.

L'écrivain contemporain, au contact du cinéma, recherche, comme le précise Raymond Jean, un «contact» immédiat. fiveut tout unir au sein de son oeuvre:

(36)

Voilà la littérature, eUe n'est pas médiation: elle est contact [...]. On se demanderait parfois si cette idée de contact n'est pas de celles qui expliquent le mieux la conscience esthétique d'aujourd'hui. Contact du spectateur avec l'image de cinéma. Contact immédiat de l'oeil avec les matériaux simples, les objets et les formes du Pop'Art,

contact des collages cubistes ou surréalistes où Aragon retrouve une adhésion (une adhérence) indubitableà la réalité. Pas de recul, pas de distance, pas de relation intellectuelle, pas de déploiement de la penséedanstout cela. La chose recrééeàneut: retrouvée, non point repenséeni représentée, mais donnée.50

Un exemple de cette volonté qu'a le lisible d'adhérer à la globalité instantanée du vuet qui unit l'aspect subjectif du regardaucaractère objectif du monde est celui de Claude Mauriac dont l'ambition était de créer un livre <<où tout serait donné dans l'instan~

comme sur une photo>>5I .

Ainsi,

l'originalité des oeuvres contemporaines

sera

d'unir différents médias et, du coup, de se situer au carrefour de plusieurs genres, d'où la difficulté de les définir. Claude Mauriac dira au sujet deL 'Ouhli:

Monfilmaurait été un roman. Mon roman sera un film. Les images mêmes que je destinaisàl'écran vont être projetées en vous.

Elles vous seront présentées, vous vous lesreprésentere~ vous serez le cinéma. Oùest la différence?52

À

cette phrase peut faire écho celle de Marguerite Duras, et selon laquelle elle ne voit pas de différence entre ses livres et ses films: «Je ne sais rien de la différence entre lire et écrire, entre lire et voir. Entendre. (...) Je n'aperçois plus rien de différent entre le théâtre et le cinéma, le cinéma et l'écrit.>>53. L'écrit, le dit et le

vu

serventà objectiver l'intériorité,

car

l'image permet de communiquer la subjectivité intérieure.

Ains~ ses références à l'image, tant par le cinéma que par la photographie, permettent SORaymond Jean,

La

littératureetle rée], Paris, Albin Michel, 1965,p.14.

51Jeanne-Marie Clerc, Littératureet

cinéma,

Paris, Nathan Université, 1993, p.71.

521bùl, p.S3.

(37)

• de représenter non pas seulement le réel, mais aussi l'imaginaire. EUes sont un reflet de l'intériorité, de la subjectivité de la locutrice. L'Amantet L'Amantde la Chine du

Nord se fondent sur le regard pour exprimer une subjectivité intérieure. Mais cette subjectivité intérieureestassi bien celle de l'instance racontante que ceDe de l'instance réceptrice. En effet, c'est par le biais de photographies que la

narratrice

invite le lecteur deL'Amantàregarder et doncàpartager ses souvenirs autobiographiques. De

même, dans L~mantde la Chinedu Nord, la narratrice convie le lecteur-spectateurà

voir, àimaginer des images destinées àun filmetnon pas des images de la réalité; ces images sont le fruit de son imagination. Cette dimension subjective est tout à fait absente deUll

Barrage contre le Pacifique

qui ne laisse pas de place aux marques de subjectivitéet qui, contrairement aux deux autres oeuvres, ne fait pas intervenir, sur le plan structurel,

ces

arts liés au regard que sont la photographieetle cinéma.

(38)

Chapitredeux

Thématique. intertexlualité et réécriture

Dans ce chapitre, nous nous attacherons àla thématique du cinéma et àson influence

dans

Un Barrage contre le Pacifique, L'Amantet L'Amantde la Chine du Nord. Puis, nous verrons en quoi cette thématique influence la réécriture d'une même

histoire par le biais de l'étude des üens entre les trois oeuvres étudiées.

C'est dans Un Barrage contre le Pacifique que se manifeste le thème du cinéma pour la première fois chez Duras. Rappelons que dès les débuts du cinéma,ily avait eu des préjugés quant à son statut d'art. En raison de ses origines populaires liées au vaudeville et au spectacle de foire, ilavait été associé aux classes populaires.

Ains~ longtemps, le cinéma sera considéré comme un divertissement des gensàrevenu modeste

par

opposition au théâtre qui par

sa

grande tradition était qualifié d'art. Le cinéma dansceroman est l'Éden-Cinéma. Ce nom évoque le paradis, ce qu'il sera en quelque sorte pour Suzanne et Joseph. fi offre aux personnages un univers fantasmagoriqueetquasi-paradisiaque.

Tout d'abord, le cinéma est un lieu de divertissement. LorsqueM. 10 propose à Suzanne de l'amener faire un séjourà la ville, elle lui demande s'ils iront au cinéma chaque soir. Le cinéma étant pour elle le divertissement absolu, Jo promet une sortie au cinéma tous les soirs pour convaincre la jeune fille de l'accompagner

dans

ce voyage. Puis, lorsqu'eUe sort avec le marchand de fils de Calcutta, Bamer, c'est au cinéma qu'ils vont. De même, lors du séjour à la vine avec la mère pour vendre le diamant

de M.

Jo,

Carmen

donne de

l'argent

à

Suzanne

pour

qu'elle aille au

cinéma.,

(39)

• ce qu'eUe fait chaque jour. Tout comme sa soeur, Joseph considère le cinéma comme un divertissement, au même titre que les femmes et la musique. Sans ces éléments, la vieestennuyeuse. Bret: pour Suzanne et Joseph aller au cinémaest une expérience de bonheur. Duras exprime bien l'importance du cinéma dans la vie des deux personnages:

Pour Suzanne comme pour Joseph, allerchaque soiraucinéma, c'était, avec la circulation en automobile, une des formes que pouvait prendre le bonheur humain. En somme, tout

ce

qui portait, tout

ce

qui vous portait, soit l'âme, soit le corps, quecesoitparles routes ou dans les rêves de l'écran plus vrais que la vie, toutcequi pouvait donner l'espoir de vivre en vitesse la lente révolution d'adolescence, c'était le bonheur. Les deux ou trois fois qu'ils étaient allésàla ville ils avaientpasséleurs journées presque entières

au

cinéma et ils parlaient encore

des

films

qu'ils avaient ws avec autant de précision que s'ilsemtagide souvenirs de choses réeUes qu'ils auraient vécues ensemble.1

Comme le montre cet extrait, le cinéma est fortement lié à la ville par le dynamisme qui s'en dégage. La ville est le lieu de l'action et du mouvement. L'univers urbain, à l'instar du cinéma, dépasse l'homme par toutes les images hallucinantes qui lui échappent. Ains~ pour décrire l'ennui de leur vie, Duras l'oppose ironiquement au divertissement qu'est le cinéma: «Suzanne, pieds nus, jouait à

attraper des brins d'herbe entre ses orteils. Sur le talus, en face d'eUe, un bume paissait lentement et sur son échine il y avait un merle qui se délectait de ses poux. C'était là tout le cinéma qu'ily avait dans la plaine.>>2. Ce cinéma métaphorique est celui de la vie sans rêve, sans mouvement de leur vie quotidienne, par opposition au cinéma réel qui leur permet de s'évader. Rappelons que Suzanne comme Joseph connaissent les malheurs qui assaillent leur mère depuis qu'ils possèdent la concession. De même, lorsque Joseph et Suzanne s'ennuient et qu'ils ne peuvent fuir dans le

1Marguerite Duras, Un Barrage contre le Pacifique., Paris, Gallimard, 1950, p.122-123 .

(40)

• cinéma., ils lisent l'unique livre de la famille et dont Joseph «ne s'était jamais lassé>>3: Hollywood-cinéma.

Ce livre, qui est plus un album de photographies dont le sujet est le cinéma et surtout le cinéma hollywoodien, reflète l'univers du rêve et du fantasme. Pour se réconforter, Suzanne le feuillete et regarde la photographie de Raquel MeUer, l'artiste préférée de Joseph, qui est d'une grande beauté et dont le visage, selon Joseph, est

«supérieurement préservé de toute atteinte»4. Elle

se

trouve dans un monde inaccessible, celui du cinéma, du rêve. Le monde inaltéré par les tristesses de la vie quotidienne. En plus d'être belle, «[1]a sublime interprète de la Violetera se promène dans les rues de Barcelone>>5, lit-on dans une note

qui

commente son portrait. Suzanne regarde la photographie de Raquel qui marche dans Barcelone et dont l'attitude està l'opposée de la sienne lors de

sa

première marche dans la ville: «Sur un trottoir bondé de monde, Raquel marchaitàgrandes enjambées. À grandes foulées heureuses, eUe traversait la vie, absorbait les obstacles, les digérait pour ainsi dire, avec une facilité déconcertante.»6. L'attitude de Suzanne est toutà fait le contraire. Elle marche sur le bord du trottoir et vit un drame intérieur parce que les gens la regardent et se moquent d'elle. Sa marche n'est pas heureuse comme ceUe de Raquel Meller,

car

eUe n'absorbe pas les obstacles et

se

sent ridicule. Elle

se

compare aux gens qui marchent avec un

but,

eUe qui n'en a

aucun.

Lorsque Suzanne entre dans la salle de cinéma pours'yréfugier, l'héroïne, tout comme Raquel MeUer, se présente comme une version améliorée de l'adolescente. Cette héroïne de

cinéma

est belle et jeune. EUe pone de très

beaux

vêtements, contrairement à

ceux

de Suzanne, qui avait souhaité jeter

sa

bourse dans le caniveau

3Marguerite Duras,Un

Barrage

contre lePacifique., p.13 7.

41bid., p.333.

SlbUl

(41)

• pendant qu'elle marchait dans la ville. Les hommes sont tous amoureux d'elle, alors que Suzanne marchait et faisait rire d'elle: l'héroïne du film <<avance au milieu de ses victimes» 7. Les gens ne sont plus des bourreaux, comme le pensait Suzanne, mais des victimes tombant «sur son sillage comme des quilles»8 àses pieds. Si Suzanne était troublée par la foule se moquant d'eUe, l'héroïne est indifférenteà ses victimes et s'éloigne d'eUes librement. C'est une femme riche, qui voyage beaucoup et qui rencontre le grand amour. Dans cette Perspective, l'héroïne du film est une projection améliorée de Suzanne; elle possède tout

ce

que l'adolescente n'a pas, mais souhaiterait avoir. Lecinémaestle rêve d'un meilleur être, d'une meilleure vie. fiy a évidemment une identification ~pectatorielle entre Suzanne et ce personnage, que la narratrice souligne d'ailleurs: «Gigantesque communion de la salle et de l'écran. On voudrait bien être à leur place. Aht comme on le voudrait.»9. En effet, le

film

traduit l'intériorité de Suzanne, caractérisée par une vision idéalisée d'eUe-même. fi y a un lien entre les situations présentées au cinéma et sa vie. Ainsi, les héroïnes de film, en véritables modèles, aident la jeune femme à passer à travers l'humiliation; c'est une revanche en quelque sorte.

D'autre part, le cinéma est un enseignement pour la vie, car les personnages s'identifient à des images qui influenceront, par la suite, leur manière d'agir. Ces images seront emmagasinées dans la mémoire des personnages et se transformeront en un réservoir visuel auquel ils se référeront dans leur vie. Cannen affirme que les jeunes gens, avant de vivre certaines expériences, les vivent au cinéma et que le cinéma les incitent àagir. Lecinéma donne envie aux jeunes gens de faire l'amour et de fuir leur

7Marguerite Duras,UnBarragecontre Je Pacifique, p.188.

8Ibid.

Références

Documents relatifs

l’auteur, du narrateur et du personnage principal doivent être identiques et vérifiables. Mais exige au même temps qu’il n’y a ni transition ni latitude. Une identité

En résumé la staphylococcie maligne de la face chez l’enfant est une véritable urgence médicale pour laquelle l’antibiothérapie est le traitement de base et

CDK1, des cyclines B1 et D1 sont augmentées après traitement au crourorb A1. De plus, le Crourorb A1 a un effet inhibiteur significatif de la migration des cellules

Et Duras procède par multiplication de l’effet mimétique quand elle passe à un itératif collectif : il y a plus d’une seule femme tuée qui serve plusieurs fois de

Hablamos de la voces de La Femme de Gange, de las de India Song y de la de la propia Duras en Le Camion o, como decíamos al comienzo de este trabajo, la que encarna las dos

Avec la mise en images du cycle indien dans les films India Song et Son Nom de Venise dans Calcutta désert, la symbolique paradoxale de la ruine comme trace, comme monument

VERTUS, lorsque quelqu’un décide de monter ou de faire monter sa famille dans un de ces trucs qui tuent, sachant qu’il y a eu d’autres morts avant, je ne vois

Le champ lexical qui accompagne ce thème (commencement, fin, dire, raconter, etc.) accentue l'illusion romanesque. Par contre, l'obsession du personnage envers