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Le rôle de la religion dans le développement d'une identité régionale : le cas de la région de Los Altos de Jalisco, Mexique

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Academic year: 2021

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Le rôle de la religion dans le développement d'une

identité régionale, le cas de la région de

Los Altos de Jalisco, Mexique

Par

Geneviève Lamothe

Département d'anthropologie

Université McGill, Montréal

Août 2002

A Thesis submitted to McGill University in partial fulfilment of the

requirements of the degree of Master of Arts

(4)

1+1

National Library of Canada Bibliothèque nationale du Canada Acquisitions and Bibliographie Services Acquisisitons et services bibliographiques 395 Wellington Street

Ottawa ON K1A ON4 Canada

395, rue Wellington Ottawa ON K1A ON4 Canada

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L'auteur conserve la propriété du droit d'auteur qui protège cette thèse. Ni la thèse ni des extraits substantiels de celle-ci ne doivent être imprimés ou aturement reproduits sans son autorisation.

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TABLE DES MATIÈRES

Résumé ... ii

Remerciements ... iii

Introduction ... 1

Méthodologie ... 9

1. Le religieux comme facteur de définition identitaire ... 12

1.1 Religion officielle vs reli gion populaire ... 15

2. Contexte historique ... 22

3. Évolution des relations entre l'Église et l'État: Une perspective locale et régionale .. 28

3.1 La Cristiada ... 31

3.2 Le mouvement sinarquiste ... 34

3.3 Le Parti de l'action nationale ... 35

3.4 Le Parti démocratique mexicain CPDM) ... 37

3.5 Réformes constitutionnelles de 1992 ... 44

4. Religion et religiosité populaire au quotidien ... 47

4.1 Croyances populaires ... 49

4.2 Le pèlerinage annuel dédié à Nuestra SeflOra de San Juan ... 53

4.3 Les fêtes patronales de la Virgen de la Asuncion ... 57

5. Le rôle de l'Église altena ... 62

6. Groupes et mouvements catholiques de Los Altos ... 64

6.1 La Guardia NacionaICristera ... 64

6.2 La Venerable Esclavitud dei Santisimo Sacramento ... 68

6.3 La Adoracion Nocturna ... 71

6.4 Le mouvement du renouveau charismatique ... 72

Conclusion ... 83

ANNEXE 1 ... 88

ANNEXE IL ... 90

Bibliographie ... 92

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Résumé

Ce travail de recherche porte sur l'origine, le développement et la reproduction d'une identité régionale basée sur la religion dans la région de Los Altos dans l'état de Jalisco, Mexique. Un examen de l'interaction entre la religion catholique, des évènements historiques spécifiques, la mémoire collective et le discours identitaire régional révèle comment la religion en tant que facteur informant l'affiliation collective peut servir de source de mobilisation sociale et politique.

Abstract

This thesis looks at the origin, development and perpetuation of a religiously based regional identity in the region of Los Altos, in the state of Jalisco, Mexico. An examination of the interaction between Catholic religion, specific historical events, collective memory and regional discourse reveals how religion as a factor informing collective affiliation can be mobilized in ways that have social and political significance.

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Remerciements

La réalisation de cette recherche et le travail de terrain qu'elle a nécessité ont été possibles grâce à une aide financière de l'ordre de 3 500 $ du Social Sciences Grant Sub-Committee de l'Université McGill.

Un certain nombre de personnes ont également contribué à la réalisation de ce travail de recherche. Je tiens premièrement à remercier ma superviseure, Mme Kristin Norget, pour sa disponibilité, ses conseils judicieux et ses commentaires pertinents tout au long du processus de préparation et de rédaction de cette thèse, et ce, malgré les milliers de kilomètres qui nous séparaient parfois. Je tiens également à évoquer l'apport de M. Pierre Beaucage, professeur d'anthropologie à l'Université de Montréal et grand connaisseur du Mexique, pour les discussions tenues avant mon départ qui ont suscité une réflexion et ont facilité mon adaptation au pays.

Il convient également de mentionner l'accueil chaleureux et la collaboration des habitants de Jalostotitlân, plus particulièrement la famille qui m'a hébergée lors de mon séjour et m'a traitée comme une de ses filles. Parmi les habitants de Jalostotitlan ayant contribué à cette recherche et au bon déroulement de mon séjour, j'aimerais accorder une mention spéciale à M. Alfonso Reynoso Rabago pour son aide précieuse et les longues heures passées à échanger sur l 'histoire et les spécificités de la société altefia.

J'aimerais finalement remercier Mme Thérèse Beaudet pour le temps investi à la lecture et la correction de ce texte et pour son support moral depuis le tout début de cette démarche.

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Introduction

Le matin du 25 février 1928, le père Toribio Romo se préparait à célébrer secrètement la messe dans une grange de la paroisse de Tequila, dans l'état de Jalisco. Les célébrations religieuses avaient été suspendues dans tout le pays en juillet 1927 par le clergé mexicain, pour s'opposer aux provisions anticléricales prévues dans la constitution libérale de 1917 ayant été adoptée suite à la révolution mexicaine!. Dans ce contexte plusieurs prêtres partirent en exil, en Europe ou aux États-Unis, pour échapper à la persécution de l'État, tandis que d'autres continuèrent à dispenser les sacrements à la population et à célébrer des messes de façon clandestine, souvent au péril de leur vie. Le père Toribio Romo était de ceux-ci. Ce matin de février, lorsque tout fut prêt, il s'allongea sur un banc et s'assoupit quelques instants en attendant l'arrivée des fidèles, quand soudain des hommes armés firent irruption dans la grange en criant: «C'est le curé, tuez-le! » Le prêtre, alors âgé de 28 ans, eut à peine le temps de réaliser ce qui se passait, mais déjà il était trop tard et une décharge se fit entendre. Le cadavre du jeune prêtre fut emmené à dos d'âne jusqu'à la ville de Tequila par les troupes fédérales et agraristai et fut déposé sur le parvis de l'hôtel de ville à titre d'exemple aux rebelles cristeros.

Le père José Toribio Romo était natif du rancho de Santa Ana de Guadalupe, une petite communauté rurale appartenant à la paroisse et à la municipalité de Jalostotitlân, dans la région de Los Altos de l'état de Jalisco. Ce prêtre, considéré un martyr par les habitants de la région et par les autorités catholiques, fait partie des quelques 150 à 200 prêtres qui furent exécutés par les forces libérales et agraristas durant la Cristiada. Cette guerre civile opposa les forces armées fédérales mexicaines, alliées aux paysans agraristas

favorables à la réforme agraire, aux rebelles cristeros qui se soulevèrent contre le gouvernement mexicain pour marquer leur opposition à la réforme agraire et aux

1 Ces provisions étaient retrouvées dans l'article 3 qui interdisait l'instruction catholique dans les écoles

publiques, l'article 5 qui prohibait l'établissement d'ordres religieux, l'article 24 qui interdisait la tenue de cérémonies religieuses en public, l'article 27 qui révoquait à l'Église le droit de propriété et l'article 130 qui retirait toute reconnaissance légale de l'Église, le droit de vote aux membres du clergé et prévenait, par un ensemble de mécanisme, la participation de l'Église dans les affaires de l'État.

2 Le terme agrarista réfère aux paysans supportant la réforme agraire entreprise suite à la révolution

mexicaine. Certains agraristas prirent les armes et combattirent les cristeros aux côtés de l'armée mexicaine pour défendre les idéaux de la révolution.

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politiques anticléricales soutenues par ce dernier3• La rébellion cristera dura trois ans

(1927-1929) et fit plus de 300 000 morts. Pour des raisons que nous explorerons plus loin, elle fut particulièrement intense dans les états du centre-ouest du Mexique, notamment les états de Jalisco, Zacatecas, Guanajuato, Aguascalientes et Michoacan.

Tout au long du conflit, des prêtres furent emprisonnés ou exécutés pour avoir refusé de renoncer à leur foi catholique ou pour avoir célébré des messes clandestines. De ce nombre, 94 prêtres étaient originaires de l'état de Jalisco, reconnu pour être un bastion du conservatisme religieux au Mexique 4.

En 1990, lors de sa deuxième visite au Mexique, le pape Jean Paul II profita de son passage à San Juan de los Lagos dans la région de Los Altos, pour béatifier 27 prêtres, tués durant la Cristiada et considérés martyrs depuis. Dix ans plus tard, le 21 mai 2000, et seulement 72 ans après la mort du jeune prêtre de Santa Ana, le Pape Jean Paul II procéda à sa canonisation et à celle de 26 autres martyrs mexicains, dont 16 originaires de la région de Los Altos. Le Mexique, un des principaux pays catholiques dans le monde, n'avait jusqu'à ce jour qu'un seul saint, San Felipe de Jesus, un missionnaire jésuite décédé au Japon au 16e siècle, une situation que plusieurs Mexicains considéraient comme injuste et peu représentative de la ferveur religieuse de millions de Mexicains.

En cette journée historique du 21 mai 2000, date de mon arrivée à Jalostotitlân, la foule rassemblée sur la place principale jubilait. Plusieurs femmes s'étaient vêtues de leurs mantilles pour l'occasion, rappelant le caractère solennel de l'évènement, mais l'ambiance était plutôt celle d'une fiesta. Le marchand de crème glacée faisait des affaires d'or et une odeur de palomitas et de churros se répandait sur la place principale. Un écran géant avait été dressé en face de l'église paroissiale pour que tous puissent suivre la canonisation en direct de Rome à 2h30 du matin, heure locale. Une scène avait aussi été érigée pour accueillir des mariachis, ces musiciens vêtus de costumes

3 Il existe une littérature abondante sur la Cristiada. Voir notamment: Meyer, 1976; Purnell, 1999; Bailey,

1990; Jrade, 1982; Tuck, 1982.

4 Le conservatisme religieux de cette région s'illustre par la persistance de valeurs familiales traditionnelles

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traditionnels et formant une part essentielle du folklore a/teno; ils s'étaient vus confier la tâche de divertir la foule et de garder les fidèles éveillés jusqu'à cette heure tardive. Ceux-ci entonnèrent en chœur les classiques du répertoire ranchero, dont plusieurs chansons d'amour, normalement chantées lors des traditionnelles serenatas5 et particulièrement prisées de la gente féminine.

Tard dans la nuit, après plusieurs problèmes techniques, l'image du Saint-Père apparut finalement sur l'écran, accueillie par des cris et des applaudissements. Puis, la foule se tut pour écouter la cérémonie. Lorsque la caméra montrait les fidèles amassés sur la place Saint-Pierre, tous cherchaient à reconnaître les gens de Jalostotitlân ayant fait le voyage à Rome pour l'événement. La foule écouta attentivement les noms des martyrs canonisés. Lors de l'annonce de certains noms, la foule se recueillit quelques minutes. Ce fut le cas pour Tranquilino Ubiarco Robles, un prêtre qui mourut pendu à un arbre dans la ville de Tepatitlan pendant la Cristiada, après avoir continué à dispenser des services religieux pendant plus de 15 mois en se déguisant en ouvrier. Les habitants de la région vont, jusqu'à ce jour, déposer des fleurs et allumer des cierges au pied de l'arbre duquel il fut pendu, sur une des principales artères de la ville.

Lorsque la cérémonie fut terminée, les cloches de toutes les églises de la région carillonnèrent simultanément 27 fois, pour accueillir les nouveaux saints qui seront vénérés par les fidèles pour les années à venir. Pour les habitants d'une région qui fut au cœur du long conflit opposant l'Église catholique à l'État mexicain, dont la Cristiada fut l'épisode le plus sanglant, la reconnaissance officielle de ces martyrs par le Vatican à travers leur canonisation signifie le début d'un nouveau chapitre dans les relations entre l'Église et l'État. Conscients de l'importance historique du moment, les habitants de Jalostotitlân dansèrent jusqu'au lever du soleil pour fêter leurs nouveaux saints et la victoire symbolique acquise sur le passé. Cette nuit-là, plus de 10 000 habitants de Jalostotitlan, toutes générations confondues, demeurèrent assemblés sur la place principale jusqu'au petit matin pour assister à la canonisation des leurs.

5 Tradition du centre-ouest du Mexique, encore pratiquée de nos jours, consistant à payer des mariachis

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Les festivités se poursuivirent le lendemain matin par une procession à travers les rues de la ville. Des jeunes, membres d'associations religieuses juvéniles, avaient décoré la ville pour l'occasion de banderoles rouges et blanches portant les inscriptions: Los Martires de Cristo Rey (les martyrs du Christ Roi), une expression faisant référence au cri de

ralliement des militants catholiques durant la Cristiada: «Viva Cristo Rey! » qui leur valut l'appellation de cristeros.

Charros portant les portraits des martyrs à l'occasion d'une procession soulignant leur canonisation le 22 mai 2000.

Une vingtaine de Charros et Escaramusas, vêtus de leurs costumes traditionnels,

initièrent la marche en portant à cheval les portraits des saints nouvellement canonisés6• Un charra brandissait fièrement le drapeau jadis utilisé par les cristeros, semblable à

celui du Mexique mais avec la Virgen de Guadalupe (Vierge de la Guadeloupe)

remplaçant l'aigle et le serpent au centre. Ce drapeau, porté par un charro en habits

traditionnels, réunit deux symboles culturels représentant la région. D'une part le charro,

symbole machiste par excellence, vêtu du sombrero et de son pistolet à la ceinture,

6 Les termes Charros et Escaramusas désignent respectivement les participants masculins et féminins à la Charreria, une forme régionale de rodéo composé d'épreuves d'habilité équestre, très populaire dans le centre-ouest du Mexique et partie intégrante du folklore régional de Los Altos de Jalisco.

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vedette de la charreria. D'autre part, le drapeau cristero, symbole subversif et de résistance de par sa référence historique au conflit opposant les forces cristeras à l'État mexicain, s'appropriant les couleurs du drapeau national et lui ajoutant l'image de la Vierge de la Guadeloupe, symbole marianiste et objet de dévotion religieuse populaire dans l'ensemble du pays.

Charra portant le drapeau du Mexique avec l'image de

la Virgen de Guadalupe remplaçant l'aigle au centre, emblème du mouvement cristero, le 22 mai 2000.

Les festivités se clôturèrent par une messe célébrée en plein air sur la place principale du village car aucune église de la paroisse n'était assez spacieuse pour accueillir tous les fidèles assemblés pour l'événement. Au Mexique, le fait de célébrer une messe en plein air est en soi un acte symbolique car il fut longtemps interdit par la constitution de célébrer l'Eucharistie ou autre cérémonie religieuse en dehors des lieux de culte. En effet, cette cérémonie était jadis confinée à l'église paroissiale mais les réformes

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constitutionnelles et législatives adoptées en 1992 autorisent maintenant la tenue de cérémonies religieuses en public, conditionnelles à l'obtention d'une autorisation des autorités de l'État.

Les célébrations décrites ci-haut contiennent une manne d'information en lien avec les principaux thèmes abordés dans le cadre de cette étude, notamment: l'évolution des relations entre l'Église catholique et l'État mexicain; l'influence du contexte historique et politique sur la sphère religieuse; l'interaction entre religion officielle et religiosité populaire et le rôle du religieux dans la définition identitaire des a/tenos.

Cette étude explore l'influence du facteur religieux sur la négociation d'identités individuelles et collectives. Mon postulat est que les habitants de Los Altos, dans l'état de Jalisco, partagent une identité basée sur leur affiliation catholique et les pratiques et valeurs religieuses qui en découlent. Cette primauté du religieux en tant que source de sens informe un discours identitaire régional propre à Los Altos de Jalisco. Trouvant son origine dans la formation historique de la région, l'importance collective du facteur religieux fut maintenue et consolidée avec le temps, se nourrissant d'un contexte politique et économique propice à son développement. Ce contexte propre à Los Altos permit au discours identitaire a/teno d'être utilisé pour des fins de mobilisation politique à plusieurs reprises au cours du siècle dernier.

Connue pour le rôle central que ses habitants ont joué dans les nombreux soulèvements contre les politiques anticléricales de l'État mexicain au cours du 1ge siècle et, notamment, durant la rébellion cristera de 1926-1929, la région de Los Altos est devenue le théâtre d'un mouvement conservateur contre-révolutionnaire formant une opposition consistante et structurée au gouvernement mexicain, dans un premier temps sous la bannière des cristeros dans les années 1920, puis de l'Union nationale sinarquiste dans les années 1930-1940 et, plus récemment, sous la bannière Parti démocratique mexicain (PDM) dans les années 1980. Ces trois mouvements d'opposition ont en commun la défense d'un projet de société basé sur la religion et l'usage d'un discours à caractère

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religieux comme principal outil mobilisateur. Ils illustrent donc la capacité du religieux à

devenir source de définition identitaire dans différents contextes.

Le rôle du religieux en tant que facteur d'affiliation collective potentiellement mobilisateur acquiert une importance particulière à la lumière des impacts de l'application de politiques économiques néo libérales au Mexique depuis l'accession au pouvoir du président Carlos Salinas de Gotari en 1988 et la signature de l'Accord de libre échange nord-américain (ALENA) en 1994. La privatisation d'entreprises publiques, les politiques d'ajustement structurel de la dette et l'abolition des tarifs douaniers couplées au désengagement progressif de l'État dans les questions sociales ont causé l'appauvrissement d'un secteur important de la population et mené à l'apparition de nouveaux axes de mobilisation et de nouveaux mouvements sociaux au sein de la société civile mexicaine (Escobar et Alvarez, 1992; Foweraker, 1995). Ces nouveaux acteurs populaires font appel à des conceptions alternatives de la démocratie, du développement et de la citoyenneté pour confronter les significations culturelles dominantes. La religion, en tant que système de valeurs, de croyances et de principes d'éthiques, et le religieux, l'internalisation de ces valeurs, croyances et principes et leur application au quotidien, peuvent inspirer ces conceptions alternatives. En ce sens, le rôle de la religion et du religieux dans le développement d'une identité régionale distincte et leur influence à une certaine époque sur la mobilisation politique de la région de Los Altos contre l'État central mexicain demeurent des sujets d'actualité et leur étude peut nous permettre d'acquérir une meilleure compréhension du potentiel mobilisateur de la religion.

Utilisant une approche historique et anthropologique, j'explorerai la dynamique sociale et culturelle de Los Altos de Jalisco, en revenant, dans un premier temps, sur la formation historique de la région, son développement socioéconomique et son rôle dans les relations tumultueuses entre l'Église catholique et l'État mexicain au cours des 1ge et 20e siècles. Je porterai une attention particulière à l'héritage qu'a laissé la Cristiada à la région de Los Altos, et ses répercussions sur l'évolution des valeurs, des pratiques et des identités religieuses qu'on y retrouve. J'examinerai ensuite les différents facteurs de définition identitaire des habitants de Los Altos, principalement la religion, mais aussi le

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facteur historique, le développement économique de la région et l'impact de l'émigration massive des alteiios aux États-Unis. Cette section sera complétée par un portrait quotidien du caractère distinct et de l'intensité de la pratique religieuse et de la religiosité locale, à travers une description détaillée des fêtes patronales de Jalostotitlan et de la religiosité populaire de tous les jours.

Je terminerai par une description sommaire de la présence du mouvement du renouveau charismatique dans la région, une branche conservatrice du catholicisme, fortement influencée par le pentecôtisme, qui vit présentement une expansion considérable dans l'état de Jalisco et en Amérique latine en général. J'examinerai l'impact de la diversification des identités religieuses, provoquée notamment par l'arrivée du catholicisme charismatique, sur la société alteiia contemporaine et les spécificités de cette branche du catholicisme eut égard à son potentiel mobilisateur.

Ces processus seront abordés dans le cadre plus large des relations changeantes entre l'Église et l'État au Mexique, plus précisément dans la foulée de l'adoption, en 1992, de réformes constitutionnelles accordant une plus grande liberté d'action à l'Église et de l'élection, en juillet 2000, de Vicente Fox, candidat du Partido Accion Nacional (PAN) à la présidence du pays, affichant ouvertement sa proximité et sa sympathie à l'égard de l'Église.

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Méthodologie

L'information présentée dans le cadre de cette thèse est le résultat d'un séjour de trois mois dans l'état de Jalisco au Mexique à l'été 2000. Ce séjour s'est principalement déroulé à Jalostotitlan, une petite ville de la région de Los Altos située au nord-est de Guadalajara, dans l'état de Jalisco, où j'ai résidé dans une famille locale. La principale technique utilisée pour recueillir mes données fut l'observation participante sur une base quotidienne. J'ai pris part aux activités de plusieurs groupes et associations à caractère religieux, notamment l'adoration nocturne et le mouvement de renouveau charismatique, ainsi qu'aux célébrations liturgiques et aux festivités religieuses locales.

Aux données colligées par l'observation participante s'ajoutent d'abord celles provenant d'une enquête réalisée auprès de 92 résidents et résidentes de Jalostotitlân. Pour ce faire, j'ai bénéficié de l'aide des élèves de l'école secondaire, qui ont accepté d'interroger une personne de leur famille à l'aide du questionnaire préparé à cet effet (voir Annexe 1). Cette méthode, bien que rapide, comporte des biais inhérents, notamment au niveau du choix des personnes interrogées. La prédominance de mères au foyer interrogées laisse deviner que ces dernières étaient plus disposées à répondre à ce questionnaire à l'heure du retour de l'élève au domicile familial. De plus, les résultats obtenus donnent un portrait de la pratique religieuse des altenos aux activités encadrées par l'Église, mais fournissent peu d'information sur les pratiques religieuses populaires, telles que la dévotion aux saints et à la Vierge Marie.

L'enquête comportait deux volets, le premIer avait pour but de dégager un profil sommaire de la population de Jalostotitlân, comme par exemple le niveau de scolarité et le degré de mobilité de la population vers les États-Unis. Le deuxième volet portait principalement sur l'affiliation religieuse, les pratiques religieuses (tant le type de pratique que l'assiduité ou l'intensité de celles-ci) et les idées et valeurs partagées par la société altena. Je reconnais que l'intensité de la religiosité individuelle ou collective ne peut uniquement être mesurée par des enquêtes et des statistiques, et doit être complétée par l'étude d'un ensemble de facteurs, ancrés dans le quotidien, offrant ainsi une vue

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d'ensemble du phénomène religieux. C'est ce qu'ont fourni les entrevues mentionnées plus bas et les notes prises au cours du séjour.

Les données recueillies au cours de l'enquête furent complétées par des entrevues semi-structurées réalisées auprès de membres du clergé, de membres laïques d'associations et de groupes à caractère religieux, d'anciens combattants et sympathisants cristeros et

d'autres résidents et résidentes de la région. Les entrevues ont été réalisées en espagnol et retranscrites intégralement par souci de rigueur et de représentativité. La majorité des entrevues ont été enregistrées, après en avoir préalablement demandé l'autorisation aux personnes interrogées. Les entrevues réalisées auprès d'anciens combattants cristeros ne

furent cependant pas enregistrées car certains craignent toujours d'éventuelles représailles du gouvernement et sont réticents à parler ouvertement de leur implication dans le mouvement. Leurs noms, ainsi que les noms de tous les informateurs, ont donc été changés dans le but de préserver leur anonymat.

Lors de mon séjour au Mexique, j'ai été initiée à de nombreux écrits portant sur le phénomène religieux dans la région de Los Altos (thèses de doctorat, écrits anthropologiques, témoignages, littérature locale, etc.) non disponibles au Canada. Ces documents sont venus enrichir le cadre théorique de cette recherche et approfondir ma connaissance de la région. Les extraits d'entrevues réalisées lors de mon séjour et les citations provenant de références en espagnol ont été traduites pour faciliter la compréhension. Le texte original figure en bas de page.

L'accueil chaleureux que m'ont réservé les habitants de Jalostotitlân et leur ouverture à répondre à mes questions ont indubitablement été influencés par des facteurs tels que ma provenance, mon identité religieuse et mon apparence criolla. En effet, le fait d'être

originaire du Québec et de m'exprimer en français m'évita d'être associée à des expériences négatives ou discriminatoires qu'ont pu vivre certains altefios lors de séjours

aux États-Unis. De plus, mes origines françaises suscitèrent souvent des réactions enthousiastes. On m'expliqua que plusieurs soldats français venus défendre l'empereur Maximilien d'Autriche durant la guerre de 1862-1867, s'établirent dans la région à la fin

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du conflit et marièrent des femmes a/tenas. La validité de cet épisode historique est contestée mais les habitants de Jalostotitlân y croient fermement et proclament avec fierté leurs origines européennes, la plupart du temps espagnoles. À ce titre, je soupçonne que mon apparence et mes traits «européens» plutôt qu'autochtones aient facilité mon acceptation dans ma famille d'accueil et dans la société altena en général.

Le fait d'être associée à une université étrangère, plutôt qu'à une université ou un centre de recherche mexicain, me fut également bénéfique. Dû à un long conflit entre l'État mexicain et l'Église catholique concernant le rôle de cette dernière dans le domaine de l'éducation, et aux tentatives passées de l'État d'imposer un cursus à caractère socialiste et des manuels scolaires obligatoires, les a/tenos perçoivent encore avec méfiance tout ce qui est associé au système d'éducation publique. Finalement, lorsque j'expliquais la raison de ma présence dans la région, on me demandait communément, et souvent sur un ton inquisiteur, quelle était mon affiliation religieuse. Je fus plus d'une fois soulagée de pouvoir répondre que j'étais catholique, baptisée et confirmée, omettant toutefois de mentionner que je ne suis normalement pas pratiquante. Mon statut de catholique confirma mon acception dans la communauté et il est probable qu'un protestant ou un individu affilié à une autre dénomination religieuse n'aurait pas reçu un accueil similaire.

Cependant, mon statut de jeune femme non-mariée m'empêcha à plus d'une reprise de réaliser des activités en lien avec mon travail de terrain, comme par exemple se rendre chez un homme marié en plein jour pour l'interroger en l'absence de son épouse. On me fit rapidement remarquer que les normes morales prescrites pour une jeune femme « respectable» dictent qu'une visite chez un homme marié doit se faire accompagner d'un chaperon ou en présence de l'épouse de celui-ci. Ceci constitue un autre exemple du caractère traditionnel de cette région du Mexique.

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1. Le religieux comme facteur de définition identitaire

L'omniprésence et la complexité du phénomène religieux en Amérique latine ont généré une littérature considérable. Dans la tradition anthropologique et sociologique, la religion a longtemps été considérée comme une force stabilisatrice et conservatrice. Selon l'approche fonctionnaliste, la religion procure à l'individu un sentiment d'appartenance au groupe et donne du sens à la vie. Au niveau sociétal, la fonction de la religion est considérée normative, intégrante, établissant un consensus à travers des rituels, des valeurs morales et des obligations sociétales. Émile Durkheim, le père du fonctionnalisme, était principalement intéressé par le maintien et la reproduction de la société dans le temps, et par conséquent, concevait la religion comme la colle sociale liant la société à travers le partage de valeurs de normes et de croyances. Dans les années 1960 et 1970, influencés par les nombreux mouvements de libération et le processus de décolonisation en Afrique, les anthropologues commencèrent à s'intéresser aux changements sociaux et intégrèrent graduellement le facteur historique dans leur analyse.

Dans son oeuvre La sociologie de la religion, Weber procède à l'analyse du

développement des principales formes de religion (salvatrices, ascétiques, mystiques, magiques, rationnelles, etc.) en examinant les réalités politiques et historiques précises dont elles sont issues (1964). Défenseur du particularisme historique, il perçoit l'évolution des religions à travers les relations de pouvoirs créées par le développement de nouvelles formes de domination politique et d'échanges économiques, et leur impact sur le système d'éthique promu par ces religions.

Mon étude du rôle du religieux dans la création d'une identité et d'un discours régional particulier à la région de Los Altos de Jalisco se situe donc en continuité avec l'approche weberienne proposant que le développement historique, politique et économique de la région influence de façon dynamique la substance des pratiques et croyances religieuses. Comme nous allons le voir, dans le cas de Jalostotitlan, la révolution mexicaine, la tentative d'imposition de la réforme agraire par l'État et le développement économique

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subséquent de la région sont parmi les éléments qui vinrent augmenter l'importance sociale et idéologique de la religion au quotidien.

La notion de dialogue est essentielle à cette approche. L'ordre symbolique, sous-jacent aux pratiques et aux croyances religieuses, peut être perçu comme une réponse créative à la réalité sociale, politique et historique dans laquelle prend forme la vie quotidienne. Cependant, la religion ne constitue pas une simple réflexion ou un simple produit de cette réalité sociale, elle l'influence à son tour. Elle est donc à la fois un «modèle de la réalité» et un «modèle pour la réalité» (Geertz, 1979). Comme tout modèle culturel ou système de symboles, la religion est amenée par les hommes à donner un sens à la réalité

à la fois en s'inspirant de cette réalité et en la modelant à son image.

La notion d'identité est ici perçue comme étant acquise graduellement à partir de la sphère d'activités et de pratiques quotidiennes constituant la culture, ainsi que dans l'ensemble d'idéaux et de valeurs contenus dans ces pratiques et véhiculés par les institutions familiales et sociales. Ces composantes, basées sur le partage d'attributs entre membres d'un même groupe, famille ou collectivité, sont définies à travers un processus continu de construction de sens et de significations qui sont privilégiées aux dépends d'autres sources de sens.

La notion d'identité, individuelle ou collective, ne peut donc pas être considérée comme une essence ou un paradigme immuable, mais plutôt comme un processus d'identification, situé historiquement, émergeant d'un dialogue avec ce contexte historique et parfois résultant de conflits (Gimenez, 1991 :26). L'identité religieuse ne trouve donc pas son origine dans des textes sacrés, mais plutôt dans le quotidien, le langage, la mémoire collective et les relations de pouvoir entre les personnes et les groupes. À ce titre, Gimenez rappelle que la diversification des identités catholiques au Mexique répond à des transformations du contexte social apportées par l'industrialisation et l'urbanisation qui sont dues en retour à l'application par l'État de politiques économiques néolibérales (1991 :32).

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Pour la région de Los Altos de Jalisco, le contexte historique à l'origine des pratiques et identités religieuses actuelles se caractérise par un long conflit opposant l'Église catholique à l'État post-révolutionnaire mexicain qui a pris la forme de conflits ponctuels, parfois sanglants, et d'une confrontation idéologique persistante entre intérêts locaux, régionaux et nationaux. Les évènements liés à la Cristiada et au long conflit opposant l'Église catholique à l'État mexicain ont eu des répercussions importantes sur la vie des habitants de la région et ont eu comme conséquence immédiate de réaffirmer le conservatisme religieux (Napolitano, 1995) en le présentant comme un idéal à respecter et en faisant de la région une terre de martyrs.

Les habitants de Los Altos, majoritairement des criollos descendant de colons espagnols, ont donc développé une conception du monde et de la place que doit occuper la religion dans la société. Cette conception est constamment nourrie par des croyances et habitudes religieuses et est renforcée par des formes d'organisations sociales, de distribution des terres et d'éducation ancrées depuis des siècles dans la région; elle a fortement influencé la façon dont les a/tenos ont réagi aux mesures anticléricales et politiques libérales adoptées par le gouvememene. La culture et l'identité a/tena gravitent autour de trois principaux pôles d'attraction: la religion catholique, la terre (propriété privée) et le noyau familial8• Ces trois éléments, couplés au respect de l'autorité patriarcale et religieuse, forment la base de l'organisation sociale a/tena et continuent d'influencer le discours identitaire de ses habitants.

Les récits des soulèvements passés contre l'État libéral et anticlérical forment une partie intégrale de la culture populaire régionale et soutiennent un sentiment de séparation de l'État et du reste du pays. Toute tentative de comprendre le paysage religieux de la région et le processus de construction identitaire a/teno doit donc tenir compte de l'héritage qu'ont laissé les relations houleuses entre l'Église et l'État au Mexique et la forme qu'dIes ont adoptée au niveau régional. L'héritage des relations entre l'Église et l'État

7 Ceci explique pourquoi la rébellion année des cristeros a commencé de façon plutôt spontanée dans la

région, en réaction à des mesures que les altenos percevaient comme constituant une menace à leurs valeurs et leur mode de vie.

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agit en quelque sorte comme une lentille à travers laquelle sont perçus tous les aspects de la vie quotidienne et de la politique mexicaine.

1.1 Religion officielle vs religion populaire

Le peuple mexicain est majoritairement catholique et une majorité de Mexicains (84%) jugent que la religion occupe une place substantielle dans leur vie (Ai Camp, 1994 :76). Toute étude du facteur religieux en Amérique latine et de son rôle dans la définition d'identités individuelles ou collectives doit tenir compte de la religiosité vécue au quotidien et, pour ce faire, doit différencier la religion officielle de la religion populaire.

La notion de catholicisme populaire signifie ici les expressions et fonnes de religiosité existant en marge de l'Église catholique en tant qu'institution, hors de sa sphère de contrôle (Norget, 1997a :67). Elle inclut, par exemple, la dévotion aux saints et la croyance que ceux-ci peuvent accorder des faveurs (mandas) ou tout autre contexte où la

présence d'un symbole religieux n'est pas dictée par la doctrine officielle de l'Église (Ibid, 69).

Pour acquérir un portrait plus complet de la religiosité locale et de son influence sur la négociation d'identités, il faut donc observer les activités religieuses et les acteurs religieux dans des contextes contrôlés par l'Église mais aussi la manière dont ils vivent leur religiosité au quotidien. Ainsi, dans son étude du catholicisme populaire à Oaxaca, Norget observa« que la religiosité catholique des classes populaires joue un rôle critique dans la construction de catégories de différentiation morale et d'identités sociales. Le catholicisme populaire fonctionne donc pour plusieurs pauvres (en majorité autochtones) comme un outil de résistance à certaines forces marginalisantes, lorsque les gens s'inspirent de ces symboles et pratiques pour affirmer leur place dans un environnement social, politique et économique changeant rapidement» (ma traduction - Ibid, 69)9.

9 Un autre indicateur du rôle potentiel du facteur religieux comme marqueur identitaire réside dans l'étude

de l'influence du facteur religieux sur les orientations de vote et l'affiliation politique des Mexicains réalisée par Roderic Ai Camp, qui a observé que les Mexicains catholiques manifestant une religiosité intense s'identifient le moins au système politique prévalant et sont les plus critiques du leadership du pays (1994 :84).

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Les attenos se vantent de pratiquer un catholicisme dénué de tout syncrétisme religieux et de synthèse des traditions catholiques et autochtones tel que retrouvé dans les états du sud du pays. Cependant, la présence de martyrs locaux et les circonstances entourant leur mOlt, intimement liées à ce que plusieurs perçoivent comme étant une époque de persécution religieuse, représentent des symboles puissants de résistance populaire.

Cette dimension peut être atteinte en s'attardant à la nature des croyances qUI représentent la diversité des modes selon lesquels les individus intériorisent les discours dogmatiques et les expériences quotidiennes qu'elles soient conformes ou non aux normes institutionnelles. Ainsi, adopter une approche basée sur les croyances assure de rejoindre l'institutionnel et le populaire, car dans leur rapport même au monde symbolique des institutions, les croyances mettent en scène l'imaginaire culturel (Lemieux et al, 1993 :95) qui informe la dynamique religieuse.

Toute étude du facteur religieux en Amérique latine doit aussi aborder la question de l'évolution des pratiques religieuses et l'avènement, au cours du siècle dernier, de nouvelles dénominations et traditions religieuses. De nombreuses études réalisées au cours des années 199010, concluent que la religiosité moderne se caractérise par une dissociation entre l'appartenance à une religion et l'identification subjective de croyances donnant lieu à la configuration de nouveaux «bricolages» religieux. En d'autres mots, les individus organisent leurs croyances en puisant dans différentes traditions et philosophies religieuses qui ne correspondent pas nécessairement à leur appartenance confessionnelle (De la Torre dans Fortuny et al., 1999:101-102).

Dans son étude de l'appartenance religieuse à Guadalajara, principale ville de l'état de Jalisco située à 2 heures de route de Jalostotitlan, De la Torre met cette prémisse à l'épreuve. Se basant sur les indicateurs de pratique religieuse tels que la fréquence à laquelle un individu assiste à la messe, la participation à d'autres cérémonies de nature religieuse, la valorisation des sacrements et la fréquence des prières, elle tente de

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distinguer entre «l'appartenance effective» et «l'appartenance passive» des résidents de Guadajalara à la confession catholique (Ibid: 109). D'après ses observations, l'assistance régulière aux services religieux demeure relativement élevée à Guadalajara, où non moins de 56,8% assistent chaque semaine à la messe dominicale et 8,3% assistent à une messe sur une base quotidienne (Ibid: 109). De plus, l'Église catholique continue d'accompagner les fidèles dans les rites de passage importants que sont les baptêmes, les mariages et les enterrements, s'assurant ainsi de demeurer une source importante de sens et un lieu de célébrations rituelles collectives.

Les valeurs associées au conservatisme religieux catholique sont toujours présentes dans la région de Los Altos, tout comme dans l'état de Jalisco en général. Une étude portant sur l'évolution des affiliations et des pratiques religieuses à Guadalajarall dévoile que plus de 90% des habitants se considèrent catholiques, laissant deviner que l'avancée des Églises protestantes est moins importante qu'ailleurs au pays12. De tous les répondants interrogés, 42,4% trouvent le divorce immoral, 54,1% désapprouvent les relations prémaritaIes, 81% sont contre l'avortement et pas moins de 79,2% s'opposent à l'homosexualité (Fortuny et al., 2000: 65-67). Ces tendances claires semblent confirmer que le long conflit opposant l'Église et l'État et son expression radicale dans l'état de Jalisco ont eu comme répercussion la consolidation et le maintien jusqu'à ce jour du conservatisme religieux présent dans la région (Napolitano, 1995 :3).

La permanence historique et numérique de la tradition catholique à Guadalajara fait que l'identité catholique des croyants se vit plutôt comme une norme intériorisée que comme une identité élective. La pratique religieuse continue d'être fortement ritualiste et collective et la tendance de privatisation de la communication avec Dieu ne remplace pas les pratiques religieuses collectives tel qu'observé ailleurs en occident (Fortuny et al.,

Il L'étude fut réalisée en 1996 par une équipe de recherche interdisciplinaire associée au Centra de Investigacion y Estudios Superiores en Antrapologia Social, Unidad Occidente (CIESAS-Occidente) et dirigée par Dr. Patricia Fortuny Loret de Mo1a. Voir Creyentes y creecias en Guadalajara, Fortuny et al. 1999.

12 Au cours des 40 dernières années (1959-1999), la croissance des dénominations religieuses

non-catholiques (pentecôtistes, évangéliques, témoins de Jéhovah, etc.) pour cette zone n'est que de 2%, versus une augmentation moyenne nationale de 6,2% pour la même période. Similairement, le taux d'abandon du catholicisme dans cette région est beaucoup plus bas que dans le reste du pays (Fortuny et al., 1999 :28).

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2000: 111). En somme, bien qu'il y ait une tendance chez les fidèles de Guadalajara à

s'inspirer de multiples traditions spirituelles (nouvel âge, bouddhisme, etc.) pour se créer une religiosité sur mesure, répondant aux besoins ressentis par l'individu, ce «bricolage »13 ne remet pas en question l'identité confessionnelle des individus. Les

Tapatio/4 s'identifient encore majoritairement au catholicisme, bien qu'ils adhèrent parfois à certaines croyances opposées au dogme catholique.

Cette tendance au «bricolage» n'est pas présente dans la région de Los Altos15• La pression sociale et l'omniprésence de l'Église catholique dans la vie quotidienne agissent comme agents intégrateurs, rendant presque impensable pour un altefio de questionner le

discours dogmatique des autorités ecclésiastiques ou l'appareil normatif dont il s'accompagne, et confirmant l'hégémonie du catholicisme dans la région.

Cependant, à l'intérieur même de la doctrine catholique, les altefios construisent une

théologie et un ethos ou une «religion pratique» en s'appropriant des éléments symboliques qui répondent le mieux à leur situation particulière (Peterson, 1997 :3). C'est le cas des thèmes du sacrifice, de la souffrance, de la persécution et de l'abnégation, récurrents dans la culture populaire altefia, retrouvés dans la symbolique puissante des

martyrs cristeros et omniprésents dans l'histoire de la région.

Ces thèmes ou marqueurs de définition identitaire, souvent exprimés dans un langage religieux, forment un discours référentiel qui définit et reproduit avec le temps l'identité

altefia. Ce discours est composé de plusieurs éléments de bases, principalement des

références historiques tels que la Cristiada ou les victoires du Parti démocratique

mexicain dans les années 1980, qui sont assemblés pour former une narrative cohérente.

13 Dans son utilisation présente, l'expression bricolage fait référence à un phénomène d'amalgamation de

croyances lié à la diversité des croyances retrouvées en milieu urbain et non à sa signification originale, telles qu'utilisée par Claude Lévi-Strauss dans son analyse des mythes.

14 Surnom donné aux résidents de Guadalajara.

15 Bien que certains alteiios ayant séjourné aux États-Unis, particulièrement en Californie, soient

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Exposé ici de façon succincte, ce discours relate l'histoire d'individus laborieux, de descendance espagnole, qui colonisèrent la région et abreuvèrent ces terres arides de leur sueur et de leur sang. D'individus profondément croyants et pratiquants qui ont su maintenir en vie la foi catholique malgré la persécution continue du gouvernement libéral, anticlérical et maçonnique, et ce en donnant parfois leur vie pour Cristo Rey. De gens indépendants, issus de familles unies, qui ont rejeté la réfonne agraire et les politiques socialistes de l'État, tout comme d'autres initiatives libérales, et qui défendent jusqu'à ce jour leur droit de célébrer ouvertement leur foi et de posséder quelques acres de terres à cultiver, symbole de liberté. Nous retrouvons dans ce discours, qu'il m'a été donné d'entendre à plusieurs reprises durant mon séjour dans la région, les principaux éléments de définition identitaire des alteiios, soit: l'origine espagnole, l'importance du labeur et de la famille, l'attachement à la terre et donc à la notion de propriété privée, la profonde religiosité, l'indépendance et la résistance à la persécution religieuse de l'État.

Ce discours aborde aussi le thème de l'immigration massive des habitants de Los Altos vers les États-Unis et son impact sur la société alteiia. La perception que les alteiios qui vont travailler au «Nord» perdent leur religiosité est partagée par les habitants de Jalostotitlân. Plusieurs sont d'avis que les gens sont « achetés », durant leur séjour au Nord, par des Églises protestantes ou des sectes qui leur promettent argent et biens matériels divers en échange de leur conversion. Ceci a comme conséquence, selon eux, que la région de Los Altos est progressivement envahie par de nombreuses « sectes» qui créent de la confusion chez la population et prennent avantage des classes défavorisées. La conviction que le gouvernement mexicain collabore avec les francs-maçons et les États-Unis pour faciliter l'infiltration de ces sectes dans la région et ainsi « détruire» la religiosité des habitants de Los Altos est courante, comme l'illustre ce témoignage recueilli pendant mon séjour dans la région:

« C'est une persécution, une guerre froide contre les catholiques, nous sommes bombardés par le sectarisme. Ils ont mis des centres de vices dans nos villages de Los Altos qui n'existaient pas auparavant. Je pourrais vous dire beaucoup de choses à ce sujet par ce que je m'y suis intéressé à fond, par exemple des gens qui

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venaient ici et qui, nous pouvons dire, n'avaient rien à voir, comme par exemple des professeurs, d'autres qui étaient ingénieurs, et c'étaient des gens qui venaient dans le but de nous infiltrer et ils s'infiltrèrent et nous ouvrirent une discothèque près de la promenade16 ».

Ce discours référentiel et toutes ses composantes font partie d'un processus constant de redéfinition identitaire. Ce concept réside sur la prémisse que les pratiques culturelles quotidiennes produisent des signifiants et des symboles qui modèlent l'expérience sociale, créant ainsi un terrain propice à la constitution de pratiques et d'identités collectives. Par ailleurs, ce discours peut également avoir l'effet pervers de marginaliser les individus provenant d'autres régions du Mexique ou adhérant à d'autres croyances religieuses. C'est le cas d'un groupe restreint de témoins de Jéhovah présent à Jalostotitlan. Les témoins de Jéhovah constituent l'unique groupe à affiliation non-catholique à avoir réussi à s'implanter à Jalostotitlan. Ils vivent en marge des activités sociales gravitant autour de la paroisse, se font discrets, ont leur propre réseau d'entraide. Pour cette même raison, il est difficile de connaître leur nombre exact, mais sur la base des observations effectuées durant mon séjour, j'estime leur présence à une soixantaine de fidèles. La majorité de ceux-ci ne sont pas originaires de la région de Los Altos et considèrent leur présence dans cette région rébarbative à leurs croyances comme une mission, une obligation spirituelle. Certains altefios expriment leur opposition à la présence des témoins de Jéhovah en boycottant leurs commerces et bien que difficilement vérifiables, plusieurs sources m'ont relaté des incidents au cours desquels des gens auraient usés de violence pour tenter de les chasser de la région, notamment en agressant en pleine rue des témoins de Jéhovah qui avaient fait du prosélytisme. D'autres sources m'ont également mentionné qu'un missionnaire protestant avait été tué pour la même raison au cours des années 1960 dans l'agglomération de Tepatitlan de Morelos, à une soixantaine de kilomètres de Jalostotitlan.

16 «Es una persecucion, una guerra fria contra los catolicos, el sectarismo nos estamos bombardiendo,

nos metieron centros de vicios en nuestros pueblos de Los Altos que antes no existian. Hay gente que se dedicaba, le podia platicar muchas cosas porque yo me meti a fonda en eso, por ejemplo tenemos gente que entraba aqui que podriamos decir no tienen nada que ver, gente por ejemplo unos que son profesores, otros que son ingenieros y son gente que venian con esos jines de injiltrarsenos y se injiltraron, de pronto nos abrieron una disco alla por la alameda.»

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La notion d'identité dans cette recherche est basée sur le partage d'attributs, définis à travers un processus continu de construction de sens et de significations qui sont privilégiées aux dépends d'autres sources de sens. Ce faisant, les altenos s'inspirent de symboles religieux et d'évènements historiques auxquels ils attribuent une signification commune, afin d'affirmer leur place sur la scène nationale. Ces symboles deviennent avec le temps des outils de résistance aux forces centralisatrices et uniformisantes de l'État mexicain post-révolutionnaire. Ainsi, lorsque perçue à travers la lorgnette de l'histoire, la religiosité des altenos acquiert un sens politique qui perdure jusqu'au présent. Dans les années 1920, les habitants de J alostotitlân furent cristeros plutôt

qu'agraristas parce que leur religiosité, en tant que source de sens, fut privilégiée au dépend d'autres formes d'allégeances. Être cristero ou sinarquista vint à représenter plus que leur opposition aux politiques anticléricales de l'État. Cette identité, à la fois religieuse, régionale et politique, exprimait aussi une vision alternative du rôle de l'État dans la société mexicaine (Purnell, 1999 :8).

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2. Contexte historique

La région de Los Altos est située dans la zone centre ouest du pays, composée des états de Aguascalientes, Guanajuato, Colima, Michoacân, Zacatecas et Jalisco, et formant le bastion du catholicisme mexicain. La ville de Guadalajara, capitale de l'état de Jalisco et principal centre urbain de cette zone, partage beaucoup d'affinités avec la région de Los Altos. Elle est reconnue pour sa culture criolla17 intensément liée au catholicisme traditionnel, signifiant ici les croyances et pratiques associées au dogme institutionnel. A v(~c le district fédéral de Mexico, Guadalajara est considérée comme le plus important centre administratif et spirituel de l'Église catholique Mexicaine. Contrairement à d'autres villes et régions du Mexique où la forte présence autochtone a influencé la sphère religieuse et l'organisation sociale en générale, la génération de l'identité locale à Guadalajara est historiquement basée sur le religieux dans son expression quotidienne: la paroisse, les fêtes patronales et les rites dévotionnels (Fortuny et al., 1999 :34).

La région de Los Altos est située à quelques 200 km au nord-est de Guadalajara dans l'État de Jalisco et entretient avec la métropole régionale plusieurs liens économiques et sociaux. Elle est la principale destination migratoire des habitants de Los Altos, plusieurs familles étant dispersées entre Los Altos, Guadalajara et les États-Unis. La région de Los Altos forme, depuis 1970, le district de Altos, un des cinq districts formant l'état de Jalisco. La région s'articule et trouve sa cohésion autour de l'axe formé des villes de Lagos de Moreno, San Juan de los Lagos et Tepatitlan de Morelos, principaux centres commerciaux et industriels. La municipalité de Jalostotitlân est située au cœur de la région de Los Altos et compte environ 26 000 habitants.

La région de Los Altos est vallonnée, sans être montagneuse pour autant. Les villes et villages sont nombreux et plusieurs familles demeurent dans des ranchos parsemés entre

les villages. Les industries principales sont l'industrie laitière et la culture de l'algarve, ingrédient de base dans la fabrication de la Tequila. On peut aussi apercevoir quelques

17 Criollo réfère à quelqu'un né au Mexique mais descendant direct de la colonisation espagnole,

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porcheries et quelques poulaillers de taille importante, signe que l'agriculture qui était autrefois familiale est en voie de s'industrialiser.

Le caractère unique de la région est une conséquence directe des spécificités historiques régionales découlant de sa colonisation et de l'évolution des relations entre le centre (L'État mexicain et ses politiques) et la périphérie (région). La découverte dans les années 1600 de larges gisements d'argent dans les états de Zacatecas et Guanajuato obligea les autorités coloniales à sécuriser les routes reliant ces villes minières à Guadalajara, qui étaient constamment attaquées par les autochtones la région. Les autorités durent aussi s'assurer que les centres miniers soient approvisionnés en nourriture et en mules pour transporter le précieux métal extrait des mines. La région de Los Altos fut donc colonisée pour devenir en quelque sorte le grenier des centres miniers et pour assurer la protection des routes commerciales contre les raids des guerriers chichimèques présents dans la région (Fabregas, 1986 :50).

L'empire chichimèque, formé de plusieurs nations autochtones nomades et semi-nomades (Tecuexes, Cocas, etc.), était le rival de l'empire aztèque. Le capitaine espagnol Almfndez Chirinos fut envoyé par Nufio de Guzman en 1530 pour conquérir la région et la peupler de colons fidèles à la couronne d'Espagne. Les tribus formant l'empire chichimèque résistèrent plusieurs années aux Espagnols et se soulevèrent contre les envahisseurs en 1541, lors de la guerre du Mixt6n. Mais l'empire chichimèque subit la défaite et sa population fut lourdement décimée dans les années qui suivirent. La victoire de l'Espagne lors de la guerre du Mixt6n accéléra l'effort déployé pour occuper le territoire et plusieurs paysans furent emmenés d'Espagne pour coloniser la région qui était connue antérieurement comme le Gran Chichimeca. Les premiers colons vivaient de façon relativement isolée, dans des domaines fortifiés, pour se protéger du risque constant d'être attaqué par les Chichimèques. C'est le cas du village de Jalostotitlan qui fut fondé par le missionnaire Fransiscain Fray Miguel de Bolonia en 1544 sur le site abandonné d'un peuplement tecuexe.

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La conjoncture historique qui a mené à la colonisation de Los Altos de Jalisco et la façon dont elle s'est déroulée nous informent sur l'origine des particularités culturelles de la région, notamment l'absence marquée de métissage dans sa population, notion à la base du discours nationaliste mexicain18• Cette absence de métissage fut maintenue sur une longue période par la pratique de l'endogamie régionale. 19

L'absence d'une population autochtone sédentaire et importante en nombre et la domination de la population criolla suite à la victoire de l'Espagne lors de la guerre du

Mixt6n sont à l'origine de l'absence de l' encomienda20 dans la région et à l'origine du peuplement sous forme de ranchos dédiés à l'agriculture et à l'élevage (Alarc6n et al, 1986 :128). À l'application de la réforme agraire, les rancheros a/tenos s'opposèrent à la

répartition des terres sous prétexte qu'ils occupaient ces terres depuis le 17e siècle et que leur répartition s'était faite naturellement de pères en fils à travers l'héritage21• Les quelques grands propriétaires terriens furent épargnés et seulement une infime partie de la région fut transformée en ejidoi2 au moment de la réforme agraire. Aujourd'hui, la municipalité de Jalostotitlân ne compte qu'un seul ejido et les ejidos ne forment que 13 %

des terres agricoles de la région, contrairement à 86 % de petites propriétés privées, ce qui dénote que la propriété privée est une force historique dans la région de Los Altos (Alarcon et al, 1986: 138).

18 Jusqu'à ce jour, les habitants des villages de Los Altos se disent fiers de leurs origines espagnoles et

seraient offusqués de se faire identifier comme mestizos (métis). Cette absence de métissage a laissé des traces physionomiques évidentes. En effet, en voyageant dans la région, on remarque qu'un grand nombre

d'alteiios ont le teint clair et que les cheveux blonds ne sont pas choses rares.

19 Les mariages entre cousins germains sont encore pratique courante et acceptés socialement.

20 Système par lequel de grandes propriétés terriennes étaient cédées par la couronne espagnole à des nobles

(encomienderos), leur accordant ainsi le droit de prélever un tribut aux autochtones résidant sur leur terre,

en échange de quoi les encomienderos devaient assurer leur protection et leur évangélisation.

21 L6pez Cortes affirme que dans la période précédant la mise en œuvre de la réforme agraire par Lazaro

Cardenas, la vente de terres entre membres d'une même famille élargie augmenta drastiquement. Cette stratégie avait pour but de réduire la superficie des propriétés terriennes, évitant ainsi l'expropriation ou une subdivision des propriétés (1999:54).

22 L'ejido est une forme spécifique de propriété commune par laquelle un individu se voit concéder le droit

d'exploiter une parcelle de terre. Ce droit n'est pas équivalent à la propriété privée, il se limite à l'usage direct du sol. L'ejidatario ne peut vendre, louer ou hypothéquer la parcelle de terre qui lui revient. (de Rouffignac, 1985 : xii).

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Suite à la Cristiada, le gouvernement de l'état de Jalisco adopta des mesures visant à

favoriser la reconstruction de l'économie régionale. La Ley de proteccion a la industria

(Loi de protection de l'industrie) adoptée en 1933, prévoyait une exemption d'impôts et l'octroi de franchises fiscales aux industries acceptant d'investir dans l'état de Jalisco (L6pez Cortes, 1999:53). C'est ainsi que la transnationale Nestlé s'implanta dans la région de Los Altos, premièrement à Ocotlàn en 1935, puis à Lagos de Moreno en 1942, à une trentaine de kilomètres de Jalostotitlan. L'implantation de Nestlé dans la région provoqua la transition d'une économie traditionnelle basée sur la culture d'aliments de base (maïs, fèves) et l'élevage bovin, vers une uniformisation de l'agriculture, graduellement dédiée à l'industrie laitière et caractérisée par une monoculture fourragère soutenue par l'introduction de fertilisants chimiques. La production laitière, anciennement dédiée à la consommation locale, devint rapidement le principal moteur économique régional avec l'implantation d'industries parallèles de transformation des produits laitiers. L'impact économique initial fut favorable et le nombre d'emplois créé fut considérable. Cependant, l'usage intensif de fertilisants, l'irrigation intensive requise pour assurer un approvisionnement constant sur une base annuelle et la suroffre saisonnière lors de la saison des pluies, faisant épisodiquement chuter le prix du lait, causa le déclin des petits producteurs au profit des grands. Ces facteurs, couplés à l'inflation régionale provoquée par la création d'emplois grassement rémunérés à l'usine, accentuèrent les inégalités sociales et causèrent le déclin de la société traditionnelle ranchera.

Un autre phénomène ayant causé une accélération des changements sociaux et une perturbation importante de l'économie traditionnelle alteiia est l'émigration massive des alteiios aux États-Unis [al norte]. L'origine de l'émigration vers les États-Unis des

habitants de Los Altos date de 1884, suite à l'inauguration du chemin de fer reliant les villes de Mexico et d'El Paso au Texas, et passant par la région de Los Altos. L'établissement de cette liaison ferroviaire, facilitant grandement le transport, et l'apparition d'inégalités sociales causées par les politiques économiques promues durant le porfiriato23 sont les principaux facteurs qui encouragèrent la migration de paysans de l'ouest du Mexique vers les États-Unis (Durand, 1996 :55). Cette pratique prendra une

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ampleur inégalée durant la Cristiada. Par peur de représailles des forces fédérales, et face

aux piètres conditions d'hygiène et de salubrité dans les villes et aux récoltes désastreuses, plusieurs habitants de Jalostotitlân quittèrent la région pour aller vivre à Guadalajara ou aux États-Unis. En 1927, suite à une première année de conflit intense, on remarque une augmentation notoire du flux migratoire des états de Jalisco, Guanajuato et Michoacân (21 % au total) par rapport à d'autres états (Durant, 1996 :70).

La municipalité de Jalostotitlân est une de celles comptant le plus grand nombre d'habitants nés aux États-Unis et le plus haut taux de résidents ayant vécu aux États-Unis. Selon une enquête menée par Lapez Cortes, approximativement 80% des familles altena

des municipalités de San Miguel el Alto et de Jalostotitlân comptent entre un et quatre membres de la familles vivant aux États-Unis et dans 50% des unités familiales un des parents [souvent le père] travaille à l'étranger (1999 :267). À preuve, il existe, à Los Angeles en Californie, une association regroupant des individus originaires de Jalostotitlân et portant le nom de Club social Jalostotitlim. Les membres du Club social

financent les fêtes patronales et le carnaval de Jalostotitlân et supportent à l'occasion des projets visant la promotion de la culture altena, tel que des publications et des essais

portant sur l'histoire locale24• Les rémittences engendrées par cette diaspora altena sont considérables et ont graduellement transformé la structure régionale de classes en créant une nouvelle source de revenu et une dollarisation croissante de l'économie. Ces «nouveaux riches» menacèrent le pouvoir et l'influence des familles aisées, ce qui amena ces dernières à consolider un discours identitaire nostalgique du passé. Il est estimé que plus de 10 000 $US transitent quotidiennement par les banques et bureaux de change de Jalostotitlân. (Ibid: 117).

La perturbation de l'économie traditionnelle altena et l'impact social de l'émigration

continue des altenos accentuèrent les doléances régionales envers l'État mexicain. Tel

que nous allons le voir, ces doléances s'exprimèrent sous la forme des mobilisations

24 C'est le cas d'un essai littéraire intitulé En un pueblo alteno, rédigé en 1976 par le Dr. Pedro Rodriguez

Lome1i, originaire de Jalostotitlân, consistant en un hommage à la région et une récollection de souvenirs de la vie à Jalostotitlân.

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paysannes successives, fortement influencées par le rôle de la religion catholique dans l'histoire des relations entre la région de Los Altos et l'État central.

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