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Traduire l'américain : le cas d'Une prière pour Owen

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Academic year: 2021

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Texte intégral

(1)

par Holly Hobbs

Mémoire de maîtrise soumis à la

Faculté des études supérieures et de la recherche en vue de l'obtention du diplôme de

Maîtrise ès lettres

Département de langue et littérature françaises Université McGill

Montréal, Québec

Décembre 1993

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Les nombreux problèmes qui surgissent au cours de la traduction d'un texte li t téraire sont souvent 1 iés aux particularités linguistiques et extra-linguistiques du tev.ce du départ. Ce mémoire, qui porte sur A Prayer for Owen Meany de John Irving et sa traduction française, Une prière pour Owen, par Michel Lebrun, traite quelques-uns de ces problèmes. Deux axes de réflexion ont orienté notre approche des textes. Le premier, théorique, correspo::.1d à notre premier chapitre et englobe les notions de l'éthique de la traduction (qui concerne, entre autres, la définition de la fidélité), une réflexion sur le processus même de l'acte de traduire et la théorie du polysystème. Une analyse faite dans cette dernière perspective part de la traduction, c'est-à-dire des solutions apportées par le traducteur aux «problèmes» correspondants dans le texte source. Cette approche tient compte également des éléments «extérieurs» au texte d ' arrivée, par exemple, la culture et le lecteur cibles.

Le deuxième axe de réflexion s'inspire en grand partie de la théorie du polysystème à cause justemenc de cette considération. Comme l'original et sa traduction renvoient chacun à un contexte linguistique, un intertexte littéraire et un milieu socio-culturel spécifiques, nous avons cru utile de les étudier afin de mieux apprécier le texte

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bibliographLe de John Irving et de Michel Lebrun et relevé certaines caractéristiques dE3s polysystèmes américain et f2:'ançais t:!t du marché des best-sellers dans l,es cieux pays.

Le troisième et dernier chapitre a été réservé à l'analyse proprement dj te d' Une pri èrSL...J29ur Owen. Not re étude dE?s solutions apportées par Michel Lebrun aux problèmes posés par le texte source nous porte à croire que le tradu-::teur a produit un texte répondant aux at ter.tes du lecteur moyen, friand des best-sellers.

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Various problems which occur during the translation of a literary text are often linked to the linguisbc and extra-linguistic particularities of the original text. This thesis, which focuses on A Prayer for Owen Meany by John Irving and its French translation, Une prière pour Owen by Michel Lebrun, deals with several of these problems. The analysis is based on two axes of reflection. The first, theoretical, is discussed in chapter one and bears on three fundamental elements of the act of translation: the notion of the ethics of translation (which concerns, among other things, the question of accuracy, or "faithfulness"); the actual process of translation, that is the operation during which certain characteristics of the source text are necessarily modified; and, finally, the polysystem theory. This theory was chosen because an analysis carried out from this perspective begins with the translation, that is to say wi th the solutions chosen by the translator to resolve corresponding "problems" in the original. This approach also allows the consideration of "external" elements, for example, the target culture and reader.

The second axis of reflection is in fact inspired in large part by the polysystem theory because of this consideration. As

refer to a specifie

both the original and i ts translation linguistic context, literary intertext

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certain characteristics of the American and French polysystems and of the best-seller markets in the two countries. We felt i t would be use fuI to study these factors in order to better evaluate the translated text and to better understand the translator's choices.

In the third and final chapter the translation itself was analysed. The st~dy of the solutions chosen by Michel Lebrun to solve the problems posed by the source text leads us to believe that the translator produced a text responding to the expectations of the average reader, fond of best-sellers.

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Je remercie la Professeure Jane Everett, qui a bien voulu diriger mes recherches avec patience et bienveilla~ce et dont l'encouragement et les cri tiques judicieuses ont soutenu mes efforts.

Ma gratitude va également à Sophie Pottu, à Julie Eoberts et à Olivier Liard pour leurs attentives lectures d'une grande partie de ce mémoire.

Je suis également redevable à Paul White qui a m~s à ma disposition son ordinateur et s'est avéré très patient de mon ignorance de l'informatique.

Je suis spécialement reconnaissante envers mes parents, qui m'ont démontré leur encouragement ainsi que leur sou tien, sans lequel je n'aurais jamais pu achever ce projet.

Je suis aussi redevable au Professeur James McNab, individu dynamique qui a été le premier à développer en moi le désir d'apprendre le français.

Enfin, les personnes avec lesquelles j'ai travaillé et étudié au Département de langue et littérature françaises de l'Université McGill ont été aussi un appui important et je les remercie.

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(9)

Liste des abréviations . . . lV

INTRODUCTION . . . l

CHAPITRE PREMIER: Trois discours sur la traduction R

Introduction. . . . . . . . . . . . .. . . . . 9

L'éthique de la traduction . . . 11

L'opération traduisante . . . " . . . 20

La théorie du polysystème . . . 31

CHAPITRE DEUXIÈME: Les producteurs et les polysystèmes littéraires américain et français 38 Introduction. . . . . . . . .. . . . 39

John Irving . . . 40

Michel Lebrun . . . 42

Le style irvingien . . . 45

Les polysystèmes littéraires américain ~t français ... 5L CHAPITRE TROISIÈME: Traduire l'américain: Une prière Dour · .66 Introduction . . . , . . . 67

Les faits de langue... .. . . . . . .. . . 69

Les faits de culture . . . 78

Les faits de style . . . '" . . . , . . . 85

CONCLUSION . . . 103

(10)
(11)

·0

-iv-Afin d'alléger les notes, nous nous servons des abréviations suivantes. On trouvera dans la bibliographie le signalement complet de chacun des romans et des traductions mentionnés ci-dessous.

~: CHR: 1œH: MSG: ODED:

nu:

LœPQ: i'lAG:

A Prayer for OWen Meany

eider ROUGe Rules

un mariage poids npyen

Le IIPode selon Gaxp

L'oeuvre de Dieu. la part du diable Three By Irving

Une prière pour

OWen

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par l'auteur américain John Irving et traduit la même année par Michel Lebrun. Bon nombre des problèmes auxquels donne lieu la traduction du texte littéraire sont liés aux spécificités linguistiques et extra-linguistiques du texte de départ, et ces problèmes sont eux-mêmes indissociables de la question, parfois litigieuse, de la «fidélité» et de sa définition, qui a des implications aussi bien techniques (choix lexicaux, syntaxiques, stylistiques, etc.) qu'éthiques (le degré d'ethnocentrisme des solutions du traducteur, par exemple). Utilisant ces questions comme point de départ, nous examinerons plus particulièrement les conséquences de traduire en français hexagonal un texte littéraire américain.

Une prière pour Owen est resté pendant des mois sur la liste des meilleures ventes en France. Pourquoi justement? Quelles étaient les attentes du lecteur français et comment la traduction les a-t-elle comblées? Est-c~ que les choix du traducteur indiquent qu'il visai t un type de lecteur particulier? Bien qu'il s'agisse d'une oeuvre «sérieuse», les deux textes appartiennent quan~ même à la littérature de grande consommation. Les statistiques disponibles servent d'indices de la populari té de chacun dans son polysystème d'origine et nous aident à répondre aux questions que nous nous posons.

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Évidemment on ne peut pas traiter ces questions du seul point de vue du texte. Notre étude se fait dans une double perspective analytique, l'une théorique (le premier chapitre) et l'autre socioculturelle (le deuxième chapitre) . L'analyse théorique se rattache à trois «discours»l, le premier étant la not ion de l'éthique de la traduction. Ici se pose la question de la fidélité: faut-il être fidèle au texte et à la culture de départ, ou bien au polysystème d'arrivée (qui comprend, entre autres, la langue, la culture et le lecteur cibles)? Ces questions en soulèvent une autre, à laquelle se rattache la problématique de la création littéraire: à quel moment la licence poétique du traducteur se transforme-t-elle en trahison (ou en annexion ethnocentrique)? L'étude de l'éthique de la traduction nous aide à mieux cerner la position éthique de Michel Lebrun.

Le deuxième discours concerne l'opération traduisante, processus par lequel le traducteur crée un nouveau texte à partir d'un original. Certains éléments du texte source sont plus aptes à être «déformés» au cours de l'opération traduisante, surtout à cause des différences entre les polysystèmes. L'étude de l'opération traduisante nous permet de repérer les différences entre les deux textes en présence et d'identifier les choix faits par le traducteur au cours de sa traduction d' Une prière pour Owen. De plus, elle nous

1 A. Berman, «La traduction et ses discours», Méta, XXX-4 (décembre

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aide à identifier les choix qui résultent de la position éthique de Michel Lebrun.

Enfin, nous avons recours à la théorie du polysystème, que nous privilégions pour deux raisons en particul:1.er. D'abord, la notion de polysystème englobe, entre autres, le contexte linguistique, l'intertexte littéraire et le milieu socio-culturel qu'un texte représente. Un texte n'existe pas dans le vide: il renvoie à beaucoup d'éléments extérieurs spécifiques au système dont i l fait partie, et nous tenons compte de ces éléments -s.u cours de notre étude. Deuxièmement, une analyse faite dans cette perspective part de la traduction, c'est-à-dire des solutions trouvées par le traducteur pour résoudre les problèmes correspondants dans le texte source. Ainsi, nous étudions Une prière pour Owen comme produit du polysystème français. C'est seulement après avoir analysé une solution donnée que nous nous reportons au texte source. Après tout, le texte d'arrivée n'a aucun effet sur le texte source; i l vaut mieux alors l'étudier d'abord dans son «environnement» original.

Notre deuxième axe de réflexion est socio-cul turel. Après avoir passé rapidement en revue la bio-bibliographie de chaque auteur, nous examinons en plus de détail certaines caractéristiques de l'oeuvre «irvingienn»2, notamment

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l'élément régional, les traits dickensiens, le traitement des aspects non narratifs et la dimension comique. Nous pouvons par la sui te repérer les caractéristiques irvingiennes qui ont été reproduites dans la traduction d 'une part, et, d'autre part, identifier les motivations possibles expliquant les choix que le traducteur a fai ts au cours de sa traduction.

Nous examinons aussi plusieurs composantes des polysystèmes américain et français. Afin d'y-' replacer l'original et sa traduction, nous résumons brièvement les mouvements littéraires contemporains dans chaque pays. Nous passons par la sui te en revue la réception cri tique de 8.

Prayer for Owen Meany et d'Une prière pour Owen. Les listes américaine et française des best-sellers fournissent elles aussi quelques indices de la populari té des deux romans. Cette étude statistique nous permet de mieux identifier les «gains» et les «pertes»3 par rapport au texte source que l'on peut relever dans le texte cible.

Nous réservons pour notre troisième chapitre l'analyse comparative de Une Prière pour Owen et A Prayer for Oil/en Meany. Il s'agit d' identi fier et d'examiner les solutions spécifiques apportées par Michel Lebrun aux problèmes posés

3 A. Berman,. L'épreuve de l'étranger: culture et traduction dans l'Allemagne romantique, Paris, Gallimard NRF, 1984, coll. «les essais

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par le texte de Jo hn Irving. Les exemples que nous avons retE~nus renvoient à des fai ts linguistiques, cul turels et stylistiquE~s que nous avons particulièrement remarqués dans le tE~xte cible. Il est évident que comme notre analyse se fait de la perspective d'une lectrice anglophone américaine, nous avons relevé des exemples que le lecteur français ne noterai t pas forcément; celui -c i n ' en a pas mo in '3 été constamment présent à notre esprit lors de notre appréciation des solutions.

Pour résumer, notre démarche est la suivante: dans le premier chapitre nous exposons notre perspective théorique fondée sur les trois discours de l'éthique de la traduction, de l'opération traduisante et de la théorie du polysystème. La bio-bibliographie de John Irving et de Michel Lebrun ainsi que certaines considérations relatives aux polysystèmes américain et français et au marché des best-sellers forment le suj et du deuxième chapitre. Nous réservons pour notre troisième chapitre l'analyse d'Une prière pour Owen et de ~ Prayer for Owen Meany. Enfin, dans notre conclusion, nous emettons un certain nombre d'hypothèses sur les conséquences linguistiques et extra-linguistique de traduire en français de France un texte littéraire américain. rl s'agit d'identifier les déformations ethnocentriques dans la traduction et d'en apprécier l'effet sur le lecteur cible Ces hypothèses sont fonction des questions que nous nous posions constamment: à quels éléments du texte le lecteur

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est-il sensible et pourquoi le serait-il? Les effets auxquels il est sensible,

seraient-ils plutôt le

sont-ils voulus par l'auteur ou résultat de l'intervention du traducteur? Nous espérons dans ce travail contrjbuer à la réflexion sur les problèmes de la traduction du texte littéraire américain.

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l'acte de traduire, sur ses implications linguist iques, littéraires, métaphysiques, religieuses et historiques

Cette réflexion aboutit à des conclusions différentes et parfois contradictoires, et les polémiques qui en naissent ont contribué au champ de divers discours sur la traduction. Nous en retiendrons trois qui sont, à notre avis, les plus importants pour notre analyse.

Le premier discours se rattache à une spéculation sur «l'éthique de la traduction»2, pour reprendre les termes de Antoine Berman, c'est-à-dire sur ce qui constitue la traduction djte «fidèle». Par «fidèle» nous entendons une traduction qui respecte les normes (de tout ordre) auxquelles l'auteur s'est adhéré. Un texte qui est fidèle à l'original constitue une traduction non ethnocentrique, toujours d'après la définition de Berman. Le contraire en serai t u n e traduction ethnocentrique, la «mauvaise traduction», qui, selon Berman, «opère une négation systématique de l' étrëmgeté de l'oeuvre étrangère»3. Il n'y a pas de consensus sur la nature de la fidélité, comme on verra un peu plus loin.

1 A. Berman, L'épreuve de l'étranger: culture et traduction dans l'Allemagne romantigue, Paris, Gallimard NRF, 1984, coll. «les essais

-CCXXVI», p. 27.

2 A. Berman, «La traduction et la lettre - ou, l'auberge du lointain», Les tours de Babel: essais sur la traduction, Mauvezin, Éditions Trans-Europ-Repress, 1985, p. 35.

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Toutes les décisions que prend le traducteur, consciemment ou non, au cours de l'opération traduisante, sont analysables en fonction des questions posées lors de ces débats. Il lui revient en effet de déterminer ce qu'est une bonne ou une mauvaise traduction, ce qu'est la fidélité, quelles sont les limites (en termes de licence poétique) à respecter, et ainsi de suite.

Le deuxième discours est issu d'une réflexion sur l'opération traduisante, processus qui désigne la production d'un nouveau texte à partir d'un original et qui réalise les objectifs du traducteur. Cette opération entraîne certaines déformations inhérentes au processus même à cause des différences entre les deux langues et cultures en présence. Par ailleurs, certaines difficultés de traduction qU1. se

présentent au traducteur sont dues aux spécificités linguistiques et extra-linguistiques du texte de départi le traducteur s'éfforce de résoudre ces difficultés. Le résultat final de l'opération traduisante est forcément un texte qui constitue une sui te de compromis entre des choix «adéquats», conformant aux attentes du système source, et des choix «acceptables», qui conviennent aux normes du système cible 4 .

4 G. Toury, «A Rationale for Descriptive Translation Studies», Dispositio, VII-19-20-21 (1982), p. 28.

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Il s'agit, dans le troisième discours, des théories dites de la traduction, telles que l'herméneutique de George Steiner, la linguistique de Georges Mounin, et la théorie du polysystème issue de ce que Antoine Berman appelle «l'école de Tel Aviv»5, représentée par Itamar Even-Zohar et Gidéon Toury, entre autres. Ces deux derniers «s'attachent à étudier ce qui, dans tel ou tel système li t téraire (et culturel) est posé comme "traduction,,»6.

L'étude des discours évoluant autour de l'éthique de la traduction, de l'opération traduisante et de la théorie du polysystème constitue la base orientant notr.e analyse de certains éléments d'Une prière pour Owen, plus particulièrement, certains faits linguistiques, culturels et stylistiques importants.

L'éthique de la traduction

D'après Antoine Berman, toute oeuvre littéraire, voire toute culture, est fondamentalement ethnocentriquei la visée éthique de toute traduction, cependant, doit être non ethnocentrique. La traduction ethnocentrique «ramène tout à

5 A. Berman, «La traduction et s~"' discours», ~, XXXIV-4 (décembre 1989), p. 674. La théorie de ,_ 'herméneutique de George Steiner se trouve énoncée dans son ouvrage After Babel: Aspects of Language and Translation, New York, Oxford University Press, 1975, 507 p. Pour la théorle proposée par Georges Mounin, voir Linguistigue et traduction, Bruxelles, Dessart et Mardasa, 1976, 276 p.

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sa propre culture, à ses normes et valeurs, et considère ce qui est situé en dehors de celle-ci l'Étranger comme négatif ou tout juste bon à être annexé [ ... ]»7. Le non ethnocentrique, par contre, favorise la «double fidélité»8, c'est-à-dire la fidélité au texte source ainsi qu'au texte cible. Dans cette perspective, «l'essence de la traduction est d'être ouverture, dialogue, métissage, décentrement»9. La traduction occupe donc une position équivoque parce que, comme l'a très bien vu Franz Rosenzwieg (ci té par Berman), «traduire [ ... J c'est servir deux maîtres»10.

L'épreuve du texte étranger réside dans le défi de servir ces deux maîtres. D'une part, la traduction établit un rapport entre le Propre (le texte et le système d'arrivée) et l'Étranger (le texte et le système de départ), en révélant l'étrangeté, voire l'exotisme, du texte source dans le système cible 11 . D' autre part, la traduction arrache le texte source à son propre environnement et le replace, isolé, dans un système étranger. Berman souligne que cet isolement peut servir aussi à révéler des dimensions jusque-là masquées ou occultées de la version en langue source 12 .

7 A. Berrnan, «La traduction et la lettre - ou, l'auberge du lointain»,

p. 48-49.

8 A. Berrnan, L'épreuve de l'étranger, p. 61. 9 Ibid , p. 16.

10 .Ihl.fL, p. lS.

11 A. Berrnan, «La traduct~on comme épreuve de l'étrangep-, T8Xt8, I1-4 (1985), p. 67.

(24)

Une traduction qui «isole» ainsi le texte source dans la culture d'arrivée a pour effet d'établir un dialogue entre les deux textes, ce qui, idéalemen t, provoque une transformation de la culture cible. Cette notion de transformation est à la base des discours sur la traduction des Romantiques allemands, notamment celui de Herder sur la fidélité et l'élargissement 13 , et celui de Goëthe sur la formation sociale et la littérature mondiale 14 .

Par «fidélité», Herder entend «capter l'unicité de l'original, définie elle-même comme son "expression", son "ton", son "caractère", son "génie" et sa "nature,,»15. La notion d'élargissement, quant à elle, signifie une transformation ou un enrichissement de la culture d'arrivée provoquée par l'introduction d'éléments étrangers grâce à des traductions non ethnocentriques (donc fidèles à la culture source) . Plus une culture a à perdre (c'est-à-dire plus elle est «faible»), plus elle a à gagner du texte étranger sur le plan de l'enrichissement cul turel . On parlerait en ce cas d'une «fidélité à l'esprit des oeuvres [sources] qui ouvre une culture [cible] à l'étranger et, ainsi, lui permet de

, '1 . [ J 16

s e argl.r

...» .

13 A. Berlllan, L'épreuve de l'étranger, p. 61. 14 Ibid., p. 87.

15 Ibid , p. 69.

(25)

Les concepts de la Bildung, qui signifie en allemand la formation sociale, et de la Weltliteratur, le mot allemand pour la littérature mondiale ou universelle, sont fondamentaux aux discours sur la traduction de Goëthe. Berman explique que la Bildung est «[à] la fois un processus et son résultat», processus par lequel «un individu, [ . . . 1

une nation, mais aussi une langue, une littérature [ ... ] se forment et acquièrent ains i une forme, une Bi 1 d» 17. La

Bildung, une sorte de pèlerinage intellectuel, est triadique

en ce sens qu'on conunence chez soi, puis on s'en va vers l'Étranger afin de se former, et, enf in, on retourne chez soi, transformé 18 . Berman suggère que la traduction est un exemple de la Bildung, puisqu'elle est triadique elle aussi: elle «part en effet du propre, [ . . . ] pour aller vers l'étranger 1 [ • • • ] et, à partir de cette expérience, revenir à

son point de départ»19 .

Tout comme la Bi Idung, la WeI tli t era tur est déterminée par rapport à l'Autre 1 parce qu'elle entraîne «des échanges

intercul turels et internationaux»20. Berman insiste que la littérature mondiale est forcément vivante et contemporaine: «Du passé, nous n'avons pl us que les oeuvres. Du présent, nous avons les auteurs et tout ce que cela implique de

17 .Ib..iQ..., p. 73. 18 Ibid., p. 80.

19 Herder, cité par A. Berrnan, illl!L" p. 100. 20 .I..hl.ç;h, p. 89.

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possible interaction vivante. »21 En d'autres mots, les au teurs présents contribuent à un échange 1 i ttéraire dynamique par le moyen de leurs écrits. Or, la traduction, elle aussi, contribue de façon semblable à un échange dynamique entre deux littératures.

En acquérant une Biid, une cul ture atteint en même temps l'universel, caractère de la Wei tliteratur. C'est un trajet en qua tre étapes. D'abord, toutes les cul tures constituent des «cercles» distincts 22 qui se renferment sur eux-mêmes et n'instituent aucun échange linguistique avec les langues étrangères. Herder appelle cette étape l'époque «idyll ique»23. Puis les cercles s'accroissent, ne refusent plus de reconnaître l'étranger, mais en restent tout de même séparés. Ensui te, les cercles entrent en con tact avec d' autn~s cultures et s'ouvrent à elles. Enfin les cercles fusionnent et deviennent universels, transcendant le nationa1 24 .

Les différents discours sur la traduction tenus par les Romantiques allemands et étudiés par Antoine Berman présentent une vision idéale de ce que doi t at teindre la traduction. Inévi t.:1blement, cependant 1 toute traduction

réelle représente un compromis entre des «gains» et des

21 .Ililit..., p. 104.

22 .IQi.Q..., p. 100. C'est Berman qui cite Herder.

23 .I!llQ..., p . 100. 24 .Illlit.., p. 100.

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«pertes»25. Georges Mounin note à ce propos que la traduction n'est pas «tout ou rien»: «c'est touj ours, et c'est seulement, la recherche acharnée de l' équivalent le plus approché d'un message qui passe d'une langue à une autre»26. Les décisions que prend le traducteur se situent sur un axe d'opposition éthique: faut-il «exoticiser» ou naturaliser le texte de départ? faut-il l'«historiciser» ou le moderniser?27 faut-il rendre le signifiant ou le signifé d'une unité de traduction donnée?28 Ces questions en soulèvent une autre, à laquelle se rattache la problématique de la création littéraire: à quel moment la licence poétique du traducteur se transforme-t-elle en trahison (ou en annexion ethnocentrique) ?

Tout texte fait partie d'un contexte linguistique, un intertexte littéraire et un milieu socio-culturel qui lui est propre. Par «contexte linguistique», nous entendons à la fois la fonction de la langue et la forme que l'auteur lui donne. Le terme «in ter texte 1 i t téraire» renvoie à la tradition littéraire du polysystème auquel le texte appartient. Le «milieu socio-culturel», quant à lui, est défini par, entre au tres, les obj ets et les symboles

25 ~, p. 20.

26 G. Mounin, Linguistique et traduction, p. 105.

2/ J. Holmes, Translated' Paoers on Literary Translation and Translatioo Studies, Amsterdam, Editions Rodopy B.V., 1988, p. 45.

28 A. Berman, «L'essence platonicienne de la traduction», Revue d'esthétique, XII (1986), p. 64.

(28)

spécifiques au système 29 . Alors que certaines expériences culturelles sont universelles ou communes à plusieurs polysystèmes nationaux, un grand nombre d'éléments linguistiques, li t téraires et socio-cul turels d'un texte donné sont spécifiques au polysystème source, et donc plus ou moins difficiles à rendre dans le polysystème d'accueil. Ces différences «nationales» obligent parfois à des transformations significatives du texte source et supposent donc des choix éthiques de la part du traducteur.

Celui-ci choisit parfois de reproduire dans la mesure du possible les particularités linguistiques, li t téraires et socio-culturelles de l'original; parfois il les remplace par des équivalents du polysystème cible. En d'autres mots, il choisit entre la fidélité à l'auteur et au système de départ, et la fidélité au lecteur et au système d'arrivée30 .

Le traducteur peut aussi «historiciser» ou moderniser le texte. Lorsqu'il préserve la syntaxe, le vocabulaire, le style, etc. de l'époque du texte de départ, i l l'«historicise». Il peut choisir par contre de «moderniser» son texte. La traduction lutherienne de la Bible en est un bon exemple. Berman nous apprend que Luther justifiait la modernisation de l'original par l'emploi du vernaculaire

29 J. Holmes, Translated! Papers on Literary Translation and Translation Studies, p. 47 .

30 Le traducteur n'a pas toujours le choix entre les deux systèmes, pour diverses raisons.

(29)

-•

contemporain en évoquant la nécessité de rendre la Bible compréhensible au lecteur ordinaire: «"la mère dans la maison et l'homme du commun parlent ainsi"», aurait- i l dit 31 . Il est vrai que, comme les Allemands d'alors parlaient différentes variantes dialectales, il fallait «traduire dans un allemand qui s'élève d'une certaine manière au-dessus de la mul tiplici té des Mundarten [dialectes] sans pour autant les renier ou les écraser»32.

Quelle que soit la solution adoptée fidélité à l'original ou au polysystème cible, texte «historicisé» ou texte «moderne» -, un danger significatif se pose constamment

au cours de l'opération traduisante: celui de

l'inconséquence. En effet, il faut éviter d'apporter deux solutions différentes au même problème de traduction33 .

Le traducteur peut enfin choisir entre le signifiant (le son et la lettre) et le signifié (la signification et le sens).34 Afin qu'un texte soit compris à tous les ni veaux (c'est-à-dire aux niveaux extra- aussi bien qu' intratextuels), il vaut mieux s'occuper toujours selon Berman -davantage des signifiés que des signifiants du texte: «La

31 Luther, cité par A. Berman, L'épreuve de l'étranger, p. 46. 32 Ibid., p. 46.

33 G. Mounin, Linguistique et traduction, p. 119.

(30)

traduction trouVE~ sa force propre à écarter le "signi fiant" pour capter le "signifié".»35

La question de la création littéraire pose elle aussi une difficulté éthique. André Lefevere affirme que le traducteur apporte son propre talent à l'acte de traduire, et s'en sert pour interpréter le texte source et le transformer en texte cible 36 . Considérée sous cette optique, l'opération traduisante est une opération proprement créatrice. Le traducteur qui souhaite être fidèle au texte source s'efforce alors de «s'assimiler "l'autre univers" que contient le texte étranger [source], et [doit avoir] suffisamment de force et de sensibilité pour le recréer dans [sa] langue»37 .

En somme, tout traducteur prend des décisions éthiques qui résultent en un texte définitif. Celui-ci est la traduction d'un texte source, mais il a aussi une existence séparée et distincte en tant que produit du système cible. L'acte de traduiJ,e crée forcément une dichotomie entre les langues, les littératures et les cultures source et cible 38 . C'est au traducteur de «forcer sa langue à se lester d'étrangeté, forcer l'autre langue à se dé-porter dans sa

35 Ibid., p.64.

36 A. Lefevere, «The 'rranslation of Literature: an Approach», Babel, XVI (1970), p. 77.

37 L. Dubossy, «La traduction: art et objet de recherches», dans James Holmes et al , The Nature of Translation: New Perspectives in Li ':era1:Y Studies, Leuven, Acade'mic Publu;hing Company, 1978, p. 214.

38 J. Holmes, Translated! Papers on Literary Translation and Translation Studies, p. 50.

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langue maternelle»39. Cette écriture et cette transmission «ne prennent leur vrai sens qu'à partir de la visée éthique qui les régit»40.

L'opération traduisante

André Lefevere considère que l'on s'attarde trop sur la pensée derrière la pratique traduisante, question oiseuse selon lui vu le grand écart entre l'opération réelle que le traducteur doit effectuer et l'analyse qui a lieu bien après 41 . I l pensait peut-être aux nombreux écrits sur la traduction littéraire qui ne sont pas le résultat de recherches systématiques mais plutôt des méditations ou des essais exprimant l'opinion de leurs auteurs. En principe, les traces de l'opération traduisante (pourtant importante) sont rarement évidentes, bien que ce soit grâce à elle qu'un texte passe du système qu'il représente à celui qui l'accueille.

Nous avons mentionné plus haut que certaines difficultés spécifiques à l'opération traduisante entraînent forcément la déformation d'éléments linguistiques et extra-l inguis tiques du texte de départ à cause des di f férences entre les deux

39 A. Berman, L'épreuve de l'étranger, p.

40 Ibid., p. 17.

41 A. Lefevere, «Programma tic Second "Translation" or: Where do We Go From

(1981). p. 43.

18.

Thoughts on "Li terary" Here?», PQP,tics Today,

and

(32)

langues et cultures. Antoine Berman a élaboré une «analytique de la traduction» qui «part du repérage d'un certain nombre de tendances déformantes»42j il en a identifié

treize 43 . Elles peuvent être classés sous trois rubriques: l'addition, la soustraction et l'hétérogénéité des éléments linguistiques ou extra-linguistiques.

L'addition d'éléments à un texte peut se faire par la rationalisation, la c lari f ication, l'allongement et l'ennoblissement. Le traducteur qui rationalise un texte en recompose les phrases et la ponctuation afin de le faire conformer aux règles syntaxiques du système d'arrivée 44 . La clarification constitue une explicitation de l'original, la tentative de «rendre "clair" ce qui ne l'est pas et ne veut pas l'être dans l'original»45. si le traducteur fait allonger sa traduction, il fait augmenter la masse du texte, ce qui brise évidemment le rythme de l'oeuvre. La clarification et l'allongement sont tous les deux des cas de ce que Berman appelle la surtraduction; la note en bas de page en serait un exemple. La quatrième altération, l'ennoblissement, consiste en l'embellissement du texte de départ. C'est la «ré-écriture, un "exercice de style" à partir (et aux dépens) de

42 A. Berman, «La traduction comme l'épreuve de l'étranger», p. 71. 43 Il en identifie 12 dans son article «La traduction comme l'épreuve d'étranger» et 13 dans «La traduction et la lettre - ou, l'auberge du lOlntain» .

44 A Berman, «La traduction et la lettre - ou, l'auberge du lointain»,

p. 69.

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l ' original»46, à la manière des «belles infidèles» du classicisme français.

À la catégorie de la soustraction appartiennent

l'appauvrissement qualitatif et l'appauvrissement

quantitatif. Il s'agit, dans le premier cas, du «remplacement des termes [ . . . ] de l'original par des termes [ ... ] n'ayant n:i leur richesse sonore, ni leur richesse signifiante [ ... ]»47. On parlera d'appauvrissement quantitatif lorsqu'il y a une déperdition lexicale, la traduction finissant par contenir moins de signifiants que l' origina1 48 .

Les sept autres tendances déformantes ont pour effet de détruire l' hétérogénéi té du texte source. Le traducteur homogénéise le texte lorsqu'il efface les éléments hétérogènes du texte 49 , la variété dialectale et idiolectale représentée par le parler des di fférents personnages, par exemple. La destruction des rythmes modifie le ton du texte, en changeant la ponctuation 50. La destruction des réseaux signifiants sous-jacents modifie le sous-texte, c'est-à-dire, celui-ci est diminué lorsque le traducteur ne respecte pas

46 Ibid., p. 73. 47 n~iQ., p. 73. 48 Ibid., p. 75.

49 Ibid., p. 75.

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les tournures et le vocabulaire spécifiques de l'auteur 51 . La destruction des systématismes déforme le système du texte, par exemple, en modifiant la construction des phrases et en changeant les temps verbaux 52 . La destruction ou l'exotisation des réseaux langagiers vernaculaires résulte des tentatives pour rendre, dans la langue d'arrivée, les dialectes non standard du texte source. Le texte source peut être déformé ainsi de trois façons: l'effacement du vernaculaire, auquel est substitué un parler cultivé, l'«exoticisation» du vernaculaire par l'emploi de l'italique

(ce qui a pour effet de mettre en valeur un élément que l'auteur ne tenait pas à isoler), et le remplacement du vernaculaire étranger par un parler «équivalent» en langue

d'arrivée 53 . (Berman affirme que «le vernaculaire ne peut être traduit dans un autre vernaculaire»54.) La destruction des locutions dénote le remplacement des dictons et des proverbes de l'original par des dictons et des proverbes semblables de la langue cible. Ici encore, Berman est catégorique: «Les équivalents d'une locution ou d'un proverbe ne les remplacent pas. [ ... ] En outre, vouloir les remplacer est ignorer qu'il existe en nous une

conscieI.ce-de-proverbe. »55 Enfin, l'effacement des superpositions de

langues signifie la disparition des différents dialectes qui,

51 Il2ig. , p. 76. 52 Ibid, 1 p. 77. 53 Ibig. , p. 79.

54 IblQ. 1 p . 79.

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dans le texte source, coexistent dans le texte avec la langue cultivée 56 .

D'autres difficultés de traduction sont spécifiques au genre de l'oeuvre en question (la poésie, par exemple), ou bien sont dues à des particularités du texte source. Par exemple, les éléments humoristiques d'un texte, tels que la parodie, certaines métaphores et les jeux de mots, sont plus difficiles à rendre en raison de leur caractère extra-linguistique, qui est le plus souvent spécifique au système de départ.

Comme nous l'avons souligné plus haut, la déformation est inévitable parce qu'elle est inhérente au processus de traduction. D'autres obstacles importants à surmonter sont les «vides sémantiques»57 qui apparaissent lorsqu'on essaie de traduire des éléments in tra-l ingui st iques et extra-linguistiques qui n'ont pas de correspondant dans le système cible. Il peut s'agir du signifiant d'une unité lexicale, auquel moment on parlerait de vide sémantique «inter-linguistique», ou bien, dans le cas de vide sémantique «extra-linguistique», d'un élément textuel, contextuel (les éléments socio-cul turels) ou intertextuel (l'ensemble des

56 Ibid., p. 80.

57 M. Dagut, «Semantic "Voids" as a Poetics Today, II-4 (1981), p. 63. notre traduction.

Problem in the Translation Process», La tournure «vide sémantique» est

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oeuvres constituant la tradition littéraire)58. Les vides sémantiques sont inévitables étant donné que les «cartes lexicales»59 des polysystèmes source et cible ne sont pas identiques en tous points. Plus les cartes lexicales sont distinctes, plus il y a d'éléments inter- et extra-linguistiques difficiles à traduire.

Qu'une unité textuelle soit facile ou non à traduire dépend souvent de son degré plus ou moins grand de polysémie,

laquelle peut être «universelle» (ayant un ou des sens communs à plusieurs cultures), ou bien «nationale» (ayant des significations uniques au système source) 60. Le mot «croix rouge», par exemple, est un cas de polysémie universelle car cette organisation est connue partout dans le monde. Le mot «fleur de lys», cependant, constitue un exemple de polysémie nationale: en France, c'est l'emblème de la royauté, et au Canada, c'est l'insigne du Québec. I l faut souligner :::ependant que, grâce à l ' infl uence des médias, la signification de certains mots, quoiqu'elle puisse être nationale, est souvent connue des lecteurs (ou des auditeurs) de cul tures différentes. André Lefevere note qu'il existe aujourd'hui plusieurs «sous-langues internationales», dont le

58 Ibid., p. 64.

59 Ibid., p. 63. La tournure utilisée par Dagut est «lexical map». Nous entendons par cela le vocabula.i.:::-e d'une langue donnée, qui est conunun aux locuteurs de la langue en question.

60 J. Del Corral, «Humor: When Do We Lose It?», Translation Eeview,

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j argon populaire (des mots comme «super», <'<fantas tique», etc.) et le vocabulaire techniqu~ et informatique 61 .

Moins le sens d'un mot est «universel», plus il s'avère intraduisible. Évidemment les chances de déformation sont alors plus grandes et il faut s'en méfier. Il faut trouver une solution qui réduise le plus possible la déformation du sens. Afin d'y arriver, le traducteur doit d'abord être bien au fait des polysystèmes cible et source. Georges Mounin cite à ce propos André Gide:

«Un bon traducteur doit bien savoir la langue de l'auteur qu'il traduit, mais mieux encore la sienne propre, et j'entends par là non point être capable de l'écrire correctement, mais en connaî tre les subtili tés, les souplesses, les ressources cachées.»62

Quatre sortes de solutions se présentent au traducteur au cours de l'opération traduisante 63 . Premièrement, il peut se servir d'un mot du texte source et en intég~er l'explication au texte cible. Les traducteurs de L'oeuvre de Dieu, la part du Diable de John Irving ont intégré la signification de certains mots anglais dans leur texte français, par exemple: «Il se nommait Wilber Larch, ce qui [ ... ] rappelait à l'une des deux infirmières le bois dur et durable du conifère qui porte en anglais le même nom, larch:

61 A. Lefevere, «programmatic Second Thoughts on "Translation" or: Vlhere do We Go From Here?,}, p. 215.

de «1nternational sub-languages».

62 G. Mounin, Linguistique et traduction, p. 19.

63 Ibid., p. 52.

"Literar1''' and Notre traduct ion

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le mélèze.» (OPPP, p. 11) Cette solution entraîne l'allongement du texte, mais n'oblige pas le lecteur à chercher l'explication ailleurs.

Le traducteur peut aussi recourir à la note en bas de page, ce qui agace parfois le lecteur et suggère en outre que le traducteur n'a pu trouver un équivalent satisfaisant. La note brise aussi la narration du texte, et en interrompt la lecture 64 . Le traducteur peut également choisir d'utiliser le mot sans le traduire, soit parce qu'il s'agit d'un emprunt à la langue source déjà employé dans la langue cible, soit parce que le contexte du mot suffit à le définir. Ces trois sortes de solutions sont dites explicites.

La quatrième solution est implicite et concerne l'équivalence traduisante, qui pose l'un des problèmes les plus difficiles pour le traducteur. L'humour est invariablement présent dans toutes les langues, mais son emploi varie selon la culture, et sa traduction s'avère difficile voire impossible dans certains cas 65 . Michel Gresset note avec raison que «le comique et l'humour sont un domaine où il nous faut constamment "naviguer" afin d'éviter le recours aux notes»66.

64 A. Lefevere, «The Translation of Literature: An Approach», p. 79. 65 H Vasconcellos, «A Functional Model of Translation: Humor as a Case in Point», ~, XXXII-3 (1986), p. 134.

66 M. Gresset, «Humour et traduction, les jeux du langage: langage anglais», Actes des troinèmes assises de la traduction littéraire: Actes sud, Arles, 1987, p. 133.

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La compréhension et l'appréciation de l ' humour, de la parodie, par exemple, ou des métaphores comiques et des jeux de mots, dépend de la façon dont les gens voient la vie, et des expériences ordinaires qu'ils partagent 67 . Dans la traduction du comique, donc, le problème posé par le texte source en est un de réception: le lecteur, appréciera-t-il l'humour? Le comprendra-t-il? L'auteur souhaite que le lecteur comprenne son humour 68 , mais si le traducteur en tant que lecteur ne perçoit pas d'élément comique dans 1 e texte source, i l ne le rendra pas dans sa traduction, et, en conséquence, le lecteur cible non plus n' y verra pas d'élément comique. De telles erreurs d'interprétation peuvent même amener le lecteur à percevoir le texte conune sérieux ou comme tragique. Par exemple, l'élément comique dans les traductions françaises des oeuvres de William Faulkner est souvent absent ou atténué, les traducteurs n'ayant pas été sensibles à l'humour noir de l'auteur 69 .

L'appréciation de la parodie, qui renvoie toujours à un texte antérieur connu (en principe) du lecteur, dépend étroitement de son contexte linguistique, de son intertexte

67 M. Vasconcellos, «A Functional Model of Translation: Humor as a Case

in Point», p. 145. 68 Ibid., p. 144-145.

69 A. Chapdelaine. «L'échec de Faulkner comique en France: un problème de réception», ~, XXXIV-2 (1989) 1 p. 268.

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littéraire et de son milieu socio-culture1 70 . Idéalement, la traduction de la parodie doit susciter la même réaction chez le lecteur du texte d'arrivée que chez le lecteur du texte de départ 71 . Mais la réussite est aléatoire, car les référentiels reconnus par le lecteur source ne le sont pas forcément par le lecteur du textt: cible.

On définit la métaphore comme la confrontation de deux objets en omettant le signe explicite de la comparaison72 . Tout comme la parodie, la métaphore, souvent spécifique à une culture particulière, constitue un problème de traduction. Selon Raymond Van den Broeck, i l y a trois catégories de métaphores. À la première, celle de la métaphore «institutionalisée», apppartiennent les métaphores «that have gradually lost their uniqueness and have become part of the established semantic stock [ ... ] of the language»73. La deuxième sorte de métaphore est «conventionnelle», c' est-à-dire spécifique à une école ou à une époque donnée 74. Le dernier ty)e de métaphore est la métaphore «privée», créée par l'auteur 75 . Le traducteur devrait la reconnaître comme

70 G. Leclercq, «Parodie et traduction», dans Henri Behar, éd., Humour et traduction: Actes du colloque international. 13-14 décembre 1985, Paris, Association pour le développement des études contrastives, 1986,

p. 116.

71 Ibid., p. 102.

72 H. Marier, Dict~Qnnaire de poétique et de rhétorique, Paris, Presses Universitaires de France, 1961, p. 258.

73 R. Van de Broeck, «The Limits of Translatability Exemplified by Metaphor Translation», Poetics Today, II-4 (1981), p. 74-75. C'est notre traduction de «institutionalized metaphor».

74 Ibid., p. 75. C'est notre traduction de «conventional metaphor». 75 ~, p. 75. C'est notre traduction de «private metaphor».

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telle et idéalement devrait savoir si elle se trouve ou non dans d'autres oeuvres du même auteur. Quand c'est le cas, afin de respecter le caractère intertextue1 d'une métaphore privée, il lui faut aussi tenir compte des solutions trouvées par d'autres traducteurs.

Voici, par exemple, la dernière phrase de The 158-Pound Marriage de John Irving, écrit en 1974: «If cucko1ds catch a second wind, l am eager1y waiting for mine» (TBI, p. 718) i et

dans Un mariage poids moyen, traduit en 1985: «Si les cocus ont droit à un second souffle, j'attends le mien de bon coeur.» (MPM, p. 293) Dans The World According to GarQ, le deuxième roman de Garp s'intitule Second Wind of the Cuckold

(WAG, p. 224), mais dans la traduction, Le monde selon Garp, le titre est rendu Le second souffle du coucou (MSG, p. 219). Bien que le mot «cocu» dérIve du mot «coucou», oiseau dont la

femelle pond ses oeufs dans des nids étrangers 76, le cocu lui-même est un mari dont la femme est infidèle 77 . Le traducteur de The i58-Pound Marriage a donc opté pour une solution qui non seulement n'est pas justifiée par le texte

source, mais que l'intertexte (une autre oeuvre de Irving) n'autorise pas non plus.

76 P. Robert, Le petit Robert l, Paris, Les dictionnaires le Robert, 1990, p. 403.

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Les jeux de mots posent eux aussi des problèmes parce que 1 eurs effets dépendent des sens multiples d'un signifiant, ou bien des sous-entendus possibles 78 . Une solution convenable doi t donc tenir compte aussi bien du contexte linguistique que du milieu socio-culturel spécifique au système de départ. Jacqueline Tavernier-Courbin note avec raison que «[wJhatever type of joke one deals with, it becomes difficult ta translate when i t relies in any way on puns and on colloquialisms» 79, qui sont, conune on le sait, le plus souvent spécifiques à leur culture.

L'opération traduisante s'avère donc très délicate et problématique en raison des particularités du texte source, et à cause de la déformation inhérente au processus de toute traduction. Puisque le lecteur juge fausse et inexacte la traduction qui ne coule pas SO , le traducteur qui souhaite respecter la visée éthique de la traduction doits' efforcer de trouver un équilibre entre la fidélité au texte source et la cohérence linguistique et textuelle.

L'opération traduisante est une tentative pour préserver la tension dynamique entre le signifiant et le signifié.

7 B J. Tavernier-Courbin, «Ernest Hemingway' s Humor in The Sun AlSQ

Rises: Difficulties of Translation», dans Henri Behar, éd., Humour et traduction: Actes du colloque international. 13-14 décembre 1985, 1986, Paris, Association pour le développement des études contrastives, p. 224.

79 lhlsi..., p. 232.

80 L. Venuti, «The Translator' s Invisibility» , Criticism, XXVIII (Spring 1986), p. 179.

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Elle constitue ainsi une opération linguistique qui déclenche un processus de communication au cours duquel le traducteur entreprend de résoudre les problèmes de traduction

intra-linguistiques et extra-intra-linguistiques. La solution, qu'elle soit fidèle au texte source ou non, établit un rapport entre les deux textes.

La théorie du polysystème

La théorie du polysystème a été proposée d'abord par les Formalistes russes dans les années vingt, puis élaborée par Itamar Even-Zohar à partir de 1970 81 . Avec Gideon Toury, entre autres, Even-Zohar affirme que la culture agi t corrune «méga-polysystème» , à l'intérieur duquel coexistent d'autres polysystèmes et sous-divisions, tels que la littérature, la langue, la mode, la musique, l'art, etc. Dynamiques plutôt que statiques, ces divers polysystèmes s'influencent mutuellement à cause de leur proximité à l'intérieur du même méga-polysystème 82 .

Les théories d' Even-Zohar et de Toury se distinguent, selon eux, des autres théories «de la traduction» parce que l'analyse se fait à partir du texte cible, c'est-à-dire à partir des solutions apportées par le traducteur aux

81 G. Toury, «Literature as Polysystem», Ha-sifrut (in Hebrew with English surnmary), V-2-3 (December 1974), p. i.

82 l. Even-Zohar, «Polysystem Theory», Poetics Today, l-1-2 (1979), p.

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problèmes de traduction posés par le texte source. Even-Zohar et Toury proposent ainsi d' «éviter l'écueil de la normativité et constituer une science du traduit [ ... ]»83.

Un polysystème se compose de deux littératures distinctes qui s'influencent mutuellement. La littérature canonisée reflète la culture officielle, la langue acceptée et la couche sociale dominante. Elle occupe alors le centre du polysystème littéraire global, tandis que la l i ttérature non canonisée, par exemple les formes populaires, subversives, et traduites, non moins essentielles, sont le plus souvent périphériques. Elles menacent la l i t térature canonisée, dont elles veulent occuper la position dominante. Le résul tat de cet te concurrence continuelle «is the automatization of the canonized, its exhaustion, which makes i t possible for the non-canonized to replace them»84. Parce que la littérature canonisée est bien établie, voire enracinée au centre d~ polysystème, elle joue en fait un rôle «secondaire», ne contribue pas au dynamisme du système. Par contI'e, parce que la l i ttérature non canonisée menace constamment la stabilité de l'autre, elle constitue un agent primaire de la vitalité du polysystème; sans la stimulation venant de la périphérie, la littérature dominante croupirai t 8 5.

83 A. Berman, «La traduction et ses discours», p. 674. C'est l'auteur qui souligne.

84 I. Even-Zohar, «Polysystem Theory», p. 295. 85 .I1;W;L., p. 296.

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Lorsqu'un élément se déplace de la périphérie au centre du polysystème, une «conversion intra-systémique» s' opère 86 . Puisque les limites des polysystèmes ne sont pas fixes, le mouvement peut avoir lieu au niveau inter-systémique aussi (c'est-à-dire, dans ce contexte, entre cultures différentes), permet tant l'introduction d'une li t térature, d'un nouveau genre, d'une nouvelle tendance, etc. dans le polysys tème d'acceui1 87 . Un agent maj eur de la convers ion inter-systémique est évidemment la traduction littéraire, qui appartient à l'une des sous-divisions du polysystème littéraire cible. C'est à travers l'acte de traduire que deux systèmes littéraires se mettent en contact là où, normalement, ils ne le seraient pas. Des éléments étrangers, des idées, des méthodes ou des genres nouveaux pénètrent dans le polysystème cible, font sentir leur étrangeté, et modifient ainsi l'état de stabilité (ou d'instabilité) du polysystème qui les accueille 88 .

Quel que soit le rôle que joue la traduction (primaire ou secondaire), elle a un effet sur la stabilité du polysystème cible. Une solution est touj ours trouvée, même si elle est maladroite. La traduction consiste le plus

86 Ibid., p. 293. C'est notre traduction de «intra-systemic».

87 ~, p. 300.

88 I . Even-Zohar, «The Position of Translated Literature Within the Li terary Polysystem», dans James Holmes, éd., Li terature and Translation: New Perspectives in Literary Studies, Leuven, Academie Publishing Company, 1978, p. 124.

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souvent en une suite de solutions tantôt adéquates tantôt acceptables; dans le premier cas, les solutions sont plus f idèles aux exigences du texte et du système de départ, tandis que dans le deuxième, elles répondent aux attentes du sys tème d' arr i vée . Selo~ Even-Zohar, une traduction adéquate est «primaire» lorsqu'elle introduit dans le polysystème cible des concepts innovateurs qui enrichissent celui-ci. Une traduction acceptable, par contre, serait «secondaire», car elle n'entraînerait pas autant de modifications dans le polysystème d'accuei1 89 .

L'approche proposée par Even-Zohar (et dont nous nous inspirons dans ce travail) est fonctionnelle plutôt que formelle, et est basée sur l'analyse des relations. Il insiste: «We need no longer ask "why a certain feature x in ST a is given no correspondence in TTb?", but "in what sense, and why, a feature xl in a TTb is relatable to feature x in ST a?" »90. Gideon Toury approfondi t l'analyse de cette question, proposant une approche qu' i l appelle «descr ipti ve»9l. Sa théorie est basée sur les notions de

89 l. Even-Zohar, «Polysystem Theory», p. 288.

90 l. Even-Zohar, «Translation Theory Today - A CalI Theory», Poetics Today, I-1-2 (1979), p. 4.

for Transfer

91 G. Toury, In Search of a Theory of Translation, Tel Aviv, The Porter

Institute for Poetics and Semiotics, 1980, p. 8. Toury note aussi que son approche «focuses on exi st i ng translations rather than on hypothetical ones, on actual products rather than on the process of translation on the one hand, and on a priori "translatability" on the other» (p. 7).

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«système», de «norme» et de «performance»92. Tout texte littéraire constitue un exemple de performance dans son système littéraire, ce qui revient à dire que le texte traduit est un produit du système cible, et donc n'a aucun effet sur le système source.

Toury identi fie trois sortes de normes qu'il faut prendre en considération en analysant une traduction littéraire. Les normes «initiales»93 constituent les contraintes linguistiques et extra-linguistiques des deux polysystèmes en présence. Les normes «préliminaires» concernent le choix des oeuvres à traduire, et le potentiel (commercial, intellectuel, culturel, etc.) de la traduction

d'une oeuvre quelconque 94 . Enfin, les normes

«opérationnelles»95 informent les décisions que prend le traducteur pendant l'acte de traduire, c'est-à-dire ses choix linguistiques, extra-linguistiques et non narratifs.

Une fois les normes propres à chaque texte identifiées, il est possible d'analyser le performance d'une traduction littéraire du point de vue du système cible. Tout d'abord, on établit le ou les niveaux de validité auxquels le texte traduit est perçu comme valable dans son polysystème (sans

92 Ibid., p. 36. anglais.

93 Ibid., p. 54. 94 Ibid., p. 53. 95 Ibid., p. 54.

«System», «norm» et «performance» dans l'original «Initial norms» dans l'original anglais.

«preliminary norms» dans l'original anglals. «Operational norms» dans l'original anglais.

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qu'on considère au préalable le texte de départ), et on détermine comment des différentes solutions reflètent les normes du polysystème cible 96 . Ensuite, il faut retracer la «solution de traduction» trouvée par le traducteur au «problème de traduction» posé par le texte, ce qui permet d'évaluer le niveau de performance, ou l'équivalence traduisante 97 .

Nous avons étudié dans ce chapitre les trois discours qui formeront la base théorique de notre analyse de la traduction de A prayer for Owen Meany de John Irving. Nos observations sur l'éthique de la traduction, l'opération traduisante et la théorie du polysystème nous aideront à repérer, entre autres, les choix éthiques que Lebrun a faits au cours de l'opération traduisante, les faits linguistiques, culturels et stylistiques de la traduction qui ont été modifiés dans la traduction et les implications de ces choix et modifications. Mais avant d'aborder ces questions, nous examinerons au chapitre suivant d'autres éléments qui sont également essentiels à notre étude, notamment la bio-bibliographie de l'auteur et du traducteur ainsi que les polysystèmes littéraires américain et français.

96 ~, p. 28.

97 G. Toury, «A Rationale for Descriptive Translation Studies», p. 30. «Translational solution» et «translational problem» dans l'original anglais.

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du point de vue textuel i i l faut aussi examiner la

bio-bibl iographie de John Irving et de Michel Lebrun, ce qui nous permettra de découvrir les motivations derrière leurs choix linguistiques et stylistiques, entre autres. Nous examinerons ensuite certaines caractéristiques de l'oeuvre «irvingienne». Ce sont ces particularités, qu'elles soient de nature linguistique ou extra-linguistique, qui donnent lieu aux problèmes de traduction et à travers lesquelles la dimension ethnocentrique d'un texte se manifeste. Il est important de fixer et d'étudier ces caractéristiques afin de déterminer si le traducteur y a été sensible.

Le texte de départ ainsi que sa traduction renvoient chacun à un polysystème distinct. Afin de replacer les deux ouvrages dans leurs polysystèmes respectifs, il faudra étudier les tendances littéraires actuelles qui prévalent aux États-Unis et en France. En outre, nous examinerons brièvement les caractéristiques du post-modernisme littéraire américain, vu que certains critiques considèrent Irving comme auteur post-moderne. Il sera également nécessaire d'examiner l'accueil réservé par les cri tiques littéraires et par le public à A Prayer for Owen Meany aux États-Unis, et à Une prière pour Owen en France.

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John Irving

John Irving est né à Exeter, dans le New Hampshire, en 1942. Ses trois premières oeuvres, Setting Free the Bears (1968), The Water-Method Man (1972), et The 158-Pound Marriage (1974), n'ont pas connu beaucoup de succès auprès du grand public, mais les critiques ont consacré Irving auteur «sérieux» en raison de «l'ingénuité de [la] forme et de ce que [le] contenu (de ses romans] pouvait avoir d'attirant»1. Son quatrième livre, The World According to Garp (1978), a été un succès de librairie, et dès lors, John Irving a été reconnu comme auteur «sérieux» à succès: il est «the most successful "serious" young writer in America. Few novelists are rewarded financially as weil as cri t ically. Fewer still make cultural waves»2. , et «(w)hile Irving's subject matter may be the "stuff" of popular fiction, his analyses of and insights into these contemporary problems are the "stuff" of serious fiction»3.

The World According to Garp a donc été un moment décisif pour Irving à cause de son succès financier et populaire, mais aussi à cause de l'évolution de son style

1 J. Klinkowitz, «États-Unis, 1960-1990, 30 lns de littérature, John Irving, la comédie postmoderne», Magazine Littéraire, XXI,XXXI (octobre 1990), p. lOlo

2 R. Z. Sheppard, «Life Into Art: Garp Creator Strikes Aga~n", ~, CXVIII (August 31, 1981), p. 44.

3 E. Reilly, Understanding John Irying, Columbia, South Carolina, University of South Carolina Press, 1991, p. 12.

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d'écriture. En effet, les trois livres qui l'ont précédé contiennent des éléments dits «post-modernes»4, tels que la narration fragmentée et la chronologie bouleversée. A

partir de The World According to Garp, cependant, Irving emploie dans ses romans un seul narrateur qui raconte une histoi:r-e selon un ordre plus ou moins chronologique. Les trois romans publ iés après ce «point tournant», The Hotel New Hampshire (1981), eider House Rules (1985) et A prayer for Qwen Meany (1989), ont été aussi tous les trois des livres à succès.

Selon Irving, trois éléments rendent littéraire une oeuvre romanesque:

the craftGman-like quality of :he storytelling (of course, in my op~n~on, a novel should be worth telling); the true-to-life quality of the characters (I also expect the characters to be skillfully developed); and the meticulous exactitude of the language (discernible in every sentence, and seeming to be spoken by an unmistakable voice).5

Sur le sujet de la difficulté de s'exprimer d'une manière précise, Irving se plaît à citer le passage de Flaubert: «La parole humaine est comme un chaudron fêlé où nous battons

4 R. Hansen, «The Art of Fiction XCIII: John Irving», The Paris Review, C (Surruner/Fall 1986), p. 93.

5 J. Irving, «Getting Started», Publisher' s Weekly, CCXXXVIII-4 (January 24,1991), p. 3.

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des mélodies à faire danser les ours, quand on voudrai t

at tendrir les étoiles. »6

Michel Lebrun

Michel Cade est né en 1930. Romancier «polar» d' après-guerre connu surtout sous le nom de Michel Lebrun, il a écri t, sous divers pseudonymes, pl us de cent romans policiers depuis 1953 7 . Lebrun a d'autres intérêts aussi. Il publie annuellement des anthologies de «polars» et il a édi té et dirigé plusieurs livres sur le roman policier, dont L'Almanach du crime 8 . De plus, Lebrun a traduit des oeuvres de Woody Allen, David Goodis, Groucho Marx et John Irving 9 . Des romans irvingiens, Lebrun a tradui t A prayer for Owen Meany (Une prière pour Owen, publié en 1989) et The Water-Method Man (L'épopée du buveur d'eau, publié en 1990) .

Selon Lebrun, i l y a un rapport entre la réali té et le métier d'écrivain, opinion soutenue aussi par Irving, comme nous le verrons plus 10 in. Il dit qu e l ' é cri va i n

6 J. Irving, «The Narrat~ve Voice», dans Allen Wier éd., Voicelust: Eight Contemporary FictioD Writers on Nebraska, University of Nebraska Press, 1985, p. 87. versioD française de Madame Bovary de Flaubert; version anglaise.

et Don l-Iendrie,

S~, Lincoln, Nous donnons la Irving Cl te une 7 F. Debyser, «Entretien avec Michel Lebrun», Le francals dans le monde, CLXXXVII (août-septembre 1984), p. 52.

8 M. Lebrun, Le roman criminel' histoire, auteurs, personn~, Nantes, L'atalante, 1982, p. 217.

9 R. Deleuse, «Michel Lebrun: certains l'appellent le pape>" L..e..s.

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