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Paroles offertes à Colette Pétonnet à l'occasion de son départ à la retraite. Au Chalet du Lac Samedi 23 septembre 1995. Textes réunis et présentés par Eliane Daphy

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départ à la retraite. Au Chalet du Lac Samedi 23

septembre 1995. Textes réunis et présentés par Eliane

Daphy

Éliane Daphy, Jacques Gutwirth, Catherine Choron-Baix, Anne Raulin,

Jacques Katuszewski, Patrick Williams, Daniel Terrolle, Jeanne Brody

To cite this version:

Éliane Daphy, Jacques Gutwirth, Catherine Choron-Baix, Anne Raulin, Jacques Katuszewski, et al.. Paroles offertes à Colette Pétonnet à l’occasion de son départ à la retraite. Au Chalet du Lac Samedi 23 septembre 1995. Textes réunis et présentés par Eliane Daphy. Eliane Daphy. Laboratoire d’anthropologie urbaine (UPR 34 CNRS), 43 p., 1996, Patrick Williams. �halshs-00004529v3�

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Au Chalet du Lac

Au Chalet du Lac

Samedi 23 septembre 1995

Paroles offertes à

Colette Pétonnet

à l’occasion de son départ à la retraite

par

Jeanne Brody

Catherine Choron-Baix

Eliane Daphy

Jacques Gutwirth

Jacques Katuszewski

Anne Raulin

Daniel Terrolle

Patrick Williams

Textes réunis et présentés par Eliane Daphy

1996

Laboratoire d’anthropologie urbaine

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Avant-propos. Paroles de fête sur le papier

Eliane Daphy ... 2

Science et amitié, paramètres inséparables

Jacques Gutwirth ... 3

Le jataka du destructeur de jardin

Catherine Choron-Baix... 7

Solennités et insolences

Anne Raulin ...11

« Nous sommes tous dans le brouillard »

Jacques Katuszewski...17

L’aventure américaine 

Patrick Williams...21

Les exigences de l’amitié et de la rigueur scientifique

Daniel Terrolle...29

Un oiseau blanc pour Colette

Eliane Daphy ...33

Hommage à un guide

Jeanne Brody...37

Bibliographie de Colette Pétonnet

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Paroles de fête sur le papier Avant-propos

Cela avait commencé par une boutade de Colette : « Pour mon départ à la

retraite, je ne veux pas d’un hommage solennel, pas de bouquin, ni de colloque, ni de machin grand tra-la-la ; je voudrais une grande fête, avec des marabouts, des musiciens africains, des Tziganes, des boxeurs thaïs et des moines bouddhistes – et avait-elle rajouté – je veux danser une danse avec toi, Patrick. »

Notre nouveau directeur avait promis, en riant, une valse, un tango ou un paso. Les idées les plus folles avaient ensuite surgi au sein de notre « Comité des fêtes » : et pourquoi pas une pièce de théâtre ? du mime ? une chorale ? Rendez-vous fut donné dans le bois de Vincennes, au Chalet du Lac de Saint-Mandé, un dancing à l’ancienne, avec parquet ciré, vue panoramique sur le lac et les canoteurs, et couples en tenue de soirée tourbillonnant au rythme de l’accordéon.

De nombreux amis de Colette étaient présents, les « professionnels de la profession », comme dit le cinéaste Godard, mais aussi les amis et la famille. Il y eut des cadeaux, des livres, un foulard bariolé, un arbre à planter avant la Sainte-Catherine. Il y eut même de la musique… et Colette eut sa danse. Et puis il y eut aussi des discours, on n’échappe jamais complètement au formalisme académique, des paroles d’hommage, drôles, émues, poétiques, piquantes, des paroles par lesquelles les diseurs, tous membres du LAU, anciens ou nouveaux, ont témoigné de la route parcourue ensemble, sur les chemins de la ville. Yves Delaporte fit une traduction simultanée des paroles prononcées en LSF (langue des signes française), nous donnant ainsi à voir la richesse de la langue des sourds.

« Croyez-vous que ce que vous avez dit avec vos talents et une grande

authenticité mérite d’être dispersé au vent, envolé sans trace, comme toute parole sans importance, ô vous qui d’habitude veillez à ce que vos paroles conservent le poids de l’écrit ? » nous interpela Colette le surlendemain de la fête dans le

cahier de bord du LAU.

Colette me confia la tâche d’exaucer son vœu, de rassembler les textes, et d’en faire une « présentation jolie et simple, c’est si facile avec le Mac ! », dit-elle. Les collègues m’ont confié leurs textes, je les ai saisis et formatés, et Mac a fait le reste, mais sous ma gouverne… Nos paroles sur le papier témoigneront au-delà de nos mémoires.

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PARAMETRES INSEPARABLES

Jacques Gutwirth

Mes liens amicaux et scientifiques avec Colette se sont noués il y a plus de trente ans ; je crois que nous fîmes connaissance lors d’un exercice de terrain, fin 1963, aux Halles de Paris, celles d’avant Rungis. J’y avais organisé une brève enquête, dans le cadre du Centre de Formation à la Recherche Ethnologique (CFRE), sis au Musée de l’Homme, et Colette, stagiaire au Centre, avait donc participé à cet exercice. Il paraît qu’elle apprécia ma présence assidue « sur le terrain »…

Plus tard, Colette devint elle aussi « monitrice » au CFRE et ce fut le début effectif de nos relations. En 1970, nous participâmes au CFRE nouvelle manière de Paris V, à Gravelines, petit port sur la mer du Nord et encore en 1973 à Sianes dans le Var, dans le cadre de la section d’ethnologie de l’Université de Provence à Aix. Nous aidions les étudiants mais c’était aussi l’occasion de longues promenades, durant lesquelles nous discutions autant que nous admirions le paysage. Encore, tout récemment, en 1993, nous avons renoué avec ce plaisir lors d’un stage de Paris V, près de Rochefort-sur-Loire.

Notre formation commune comme élèves d’André Leroi-Gourhan, dont l’ouverture d’esprit et la confiance soutenaient nos travaux peu « orthodoxes » quoique fort dissemblables, contribuait à notre rapprochement, nourri certainement par d’autres éléments plus impondérables qui sont les ingrédients irremplaçables de l’amitié. Je pense que nous nous sommes réciproquement influencés pour la mise en œuvre de nos ouvrages et articles. En tout cas moi j’ai appris de Colette, ou au moins je me suis mis à son diapason, comme le montre cet extrait d’une de ses lettres, datée du 21 juillet 1977 :

« Nous avons en commun la fascination qu’exercent sur nous les comportements humains quels qu’ils soient et c’est ça qui est

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4 PAROLES OFFERTES A COLETTE PETONNET

important. Du reste, tu es beaucoup plus perméable qu’autrefois à la permanence à la fois commune et différenciée du psychologique chez les êtres. Le problème pour nous, ethnologues des sociétés industrielles, plus que pour d’autres, réside dans cette navigation périlleuse entre l’individu et la société ; parvenir au global à travers l’individuel mais sans en faire la somme, ne pas nier le psychologique mais l’intégrer afin de ne pas s’y laisser enfermer ; faire la part des choses, quoi ! C’est à quoi j’essaie de m’employer, sans guère de succès jusqu’alors ! »

La justesse de pensée et aussi la modestie de Colette apparaissent à travers ces quelques phrases nullement destinées à publication. Néanmoins la tâche de Colette, face à l’ethnologie alors dominante était beaucoup plus rude que la mienne. Mes premières recherches sur les hassidim anversois étaient ancrées dans l’ethnologie classique : certes, j’avais réalisé mon enquête sur un groupe urbain, mais il en résultait une monographie assez classique. C’était de l’ethnologie religieuse que tel africaniste, spécialiste de ce domaine, rencontré fin des années soixante dans les couloirs de la Sorbonne, reconnaissait comme légitime alors que l’ethnologie des banlieues, des prolétaires, de « ces gens-là », lui paraissait plus difficilement admissible. En fait, Colette renouvelait plus que moi le champ de l’ethnologie. Une théorisation de l’innovation scientifique que me proposa un jour Robert Cresswell et que je paraphrase ici, s’applique bien à elle.

Premier stade : « Ce que vous faites n’est pas de l’ethnologie ! » C’est l’exclusion, sinon l’excommunication, hors du champ scientifique légitime.

Deuxième stade : dix ans, quinze ans plus tard, après que l’œuvre eut été reconnue pour sa valeur, certains collègues affirment dans les coulisses : « Ha oui ! l’anthropologie urbaine : mais c’est une démarche normale que tout le monde est amené à entreprendre… » En effet, mais il fallait une Colette pour ouvrir la voie !

Troisième stade : tel auteur spécialiste de l’essai suggestif vante aujourd’hui les mérites d’une « ethnologie des autres proches », mais il oublie de dire à ses lecteurs que par exemple Colette avait montré qu’il pouvait en être ainsi près de vingt ans plus tôt.

Or, les ouvrages de Colette, qui sont le résultat de recherches menées avec brio, donnent, mieux que des essais, des modèles et des inspirations pour des travaux innovateurs de qualité et qui

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élargissent le champ ethnologique vers des perspectives insoupçonnées.

En même temps que nos liens professionnels, croissaient ceux de l’amitié. Lors d’une mission d’un an menée aux États-Unis en 1975-76, Colette m’écrivait de longues missives sur ses préoccupations, sur ce qui se passait, dans nos domaines, à Paris. De mon côté, je racontais mon expérience de terrain à Boston et dans les mégalopoles américaines, à New York et à Los Angeles ; peut-être nos échanges contribuèrent-ils à son désir de réaliser quelques fulgurants travaux à Harlem et à Philadelphie.

En 1981 nous participâmes à la mise en place d’un symposium sur l’anthropologie urbaine, lors des journées sur « la pratique de l’anthropologie aujourd’hui », organisées par l’Association Française des Anthropologues (AFA) à Sèvres. A cette occasion d’autres collègues travaillant sur des terrains urbains présentèrent des communications. Un « ensemble flou » d’ethnologues urbains se profilait. En 1982, ce symposium aboutit à un numéro de L’Homme consacré à l’anthropologie urbaine. Colette y publia un article très suggestif sur l’observation flottante parmi les fréquentateurs nourrissant des chats au cimetière du Père Lachaise : encore une fois elle ouvrait des voies nouvelles.

Puis au printemps 1983, un soir, lors d’un dîner amical à la brasserie de la Tour d’argent, place la Bastille (rien à voir avec le restaurant d’aujourd’hui en principe identique), nous résolûmes de présenter au Comité national du CNRS, un projet de création d’équipe d’anthropologie urbaine, avec la collaboration d’autres chercheurs, dont plusieurs toujours présents au LAU. La section « Ethnologie, anthropologie, préhistoire », accepta notre projet, et la Direction de CNRS nous imposa le statut de « Jeune équipe » (sic !), avec un soutien financier modeste. Pendant plusieurs années nous fûmes des « ethnologues sans feu ni lieu », d’abord abrités rue d’Athènes par le Groupe de sociologie des religions auquel j’appartenais ; puis nos réunions eurent lieu au Musée de l’Homme dans une salle à courants d’air, où tout un chacun pouvait passer pendant nos discussions. Néanmoins une armoire, que Colette avait fait apporter, marquait concrètement et symboliquement notre présence dans cette maison. Puis, en 1987, nous devînmes plus respectables : l’équipe se transforma en laboratoire propre du CNRS et nous eûmes enfin droit à notre propre bureau au CNRS à Ivry, d’abord en sous-sol, puis nous montâmes (en grade ?) au deuxième étage.

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6 PAROLES OFFERTES A COLETTE PETONNET

Nous avons donc conçu cette équipe et nous l’avons dirigée ensemble pendant huit années environ, de 1984 à 1992. Nos différences, mais aussi nos vues très souvent analogues, firent que nous parvînmes, avec évidemment la coopération très active de nos collègues, à faire vivre scientifiquement un laboratoire bien considéré par la section scientifique compétente du CNRS.

Colette et moi avons pratiqué d’autres collaborations plus ponctuelles mais toujours fructueuses ; ainsi nous avons participé ensemble à nombre de jurys de thèse, dont certains auteurs sont ou furent membres du laboratoire : Daniel Terrolle, Jeanne Brody, Augustin Milandou, Claudia Fonseca. Cette dernière, professeur à Porto Alegre, au sud du Brésil, suggéra un jour à Colette de mettre en place un programme de coopération scientifique avec son département d’anthropologie. Colette, sachant mon affection pour le Brésil, où j’avais vécu ma jeunesse, proposa que je me charge de cette activité, ce que j’acceptai avec plaisir. Ce programme d’échange franco-brésilien (CAPES-COFECUB), qui dura de 1985 à 1993, fut très fécond et agréable pour tous ses partenaires. Colette, elle-même, finit par se rendre en 1992 en pays gaucho où, à des étudiants très motivés, elle apprit les mille tours de l’anthropologie urbaine.

Comment rendre compte des innombrables occasions où nos vies scientifiques se sont côtoyées ou fondues ? Et puis il y a les liens personnels, y compris avec nos proches les plus chers : les dîners amicaux à Paris, quelques visites au « Gué Moële », la campagne de Colette ; en retour un week-end passé à Francfort auprès de ma femme et moi.

Nous avons, je le pense, contribué réciproquement à nous former, à nous développer, à devenir ce que nous sommes aujourd’hui. Certes pour tous deux c’est officiellement l’âge de la retraite : uniquement sur papier, bien entendu. Nous ne sommes pas au bout de nos collaborations et de notre amitié !

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LE JATAKA DU DESTRUCTEUR DE JARDIN POUR COLETTE

Catherine Choron-Baix

Parce que l’hommage est un genre difficile, surtout lorsqu’il est, comme dans notre société, peu ritualisé, parce qu’aussi j’avais quelque difficulté et peu l’envie de dire en quelques mots la richesse de ma relation à Colette et à son œuvre, j’ai choisi de lui offrir un conte. Un conte bouddhiste extrait du recueil des récits des vies antérieures du bouddha Cakyamuni.

Ces récits sont connus sous le nom de Jataka (skt. «naissances») ; ils auraient été crées par le bouddha lui-même pour illustrer son enseignement et servir d’exemples à ses disciples. Les

Jataka sont donc des textes édifiants qui font partie de la littérature

canonique du bouddhisme et sont aujourd’hui encore très populaires notamment dans les sociétés indianisées de l’Asie du Sud-Est. La version pali (la langue du bouddha, apparentée au sanskrit) qui nous en reste date du Ve siècle de notre ère. Elle comprend 547 contes rédigés en vers ou en prose. Seule la partie versifiée est considérée comme canonique, elle est composée de stances qui édictent la morale de l’histoire.

Les Jataka présentent en effet tous la même organisation narrative. Le personnage central en est toujours le bouddha lui-même, sous l’une des multiples formes qu’il a revêtues, animales, humaines ou divines, au cours de sa longue existence de Boddhisattva, celui qui est « promis à l’éveil ». Pratiquement tous se déroulent à Baranasi, Bénarès, au temps où régnait Brahmadatta (nom qui signifie « donné par Brahma » et que portent les rois mythiques de Benarès).

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8 PAROLES OFFERTES A COLETTE PETONNET

Celui que j’ai choisi aujourd’hui pour Colette est intitulé

Aramadusaka jataka, le jataka du destructeur de jardin. Je vous en

livre la teneur.

Jadis, alors que Brahmadatta régnait à Bârânasî, le tambour des fêtes se mit à battre. Dès qu’ils l’entendirent, les habitants de la ville accoururent de tous côtés pour prendre part aux réjouissances. Or, en ce temps-là, de nombreux singes vivaient dans le parc de plaisance du roi. Le gardien du parc eut cette idée : « On a annoncé une fête dans la ville ; si je chargeais les singes d’arroser, je pourrais aller me divertir. » Alors il s’approcha du doyen des singes, et lui parla ainsi :

— Ami Maître des singes, ce parc offre aux tiens de grands avantages. Vous mangez là des bourgeons, des fleurs et des fruits. Or, il y a une fête à la ville, je vais aller m’y divertir ; serez-vous capables d’arroser les jeunes arbres jusqu’à mon retour ?

— Certainement, nous arroserons. — Alors, prenez de grands soins.

Le Jardinier donna aux singes une outre en peau, et un seau de bois pour répandre l’eau. Les singes prirent le seau, l’outre et se mirent à arroser.

Mais leur chef leur dit :

— Hé ! Singes, il faut veiller à l’eau. Au moment d’arroser les jeunes plants, arrachez-les un à un, et examinez leurs racines. Donnez beaucoup d’eau aux arbustes dont la racine s’enfonce profondément et n’arrosez que peu ceux dont la racine reste près de la surface. Il est possible que nous ayons de la peine à nous procurer de l’eau.

— Très bien, répondirent les singes, qui se conformèrent aux instructions de leur chef.

A ce moment-là, un homme de grand sens qui observait le manège des singes leur demanda :

— Messieurs les singes, pourquoi arrachez-vous les jeunes arbres et pourquoi leur mesurez-vous l’eau à la dimension de leurs racines ?

Les singes répondirent :

— Nous suivons les instructions de notre chef.

Quand il eut entendu ces paroles, le Sage se dit à part lui : « Combien les gens sans intelligence sont maladroits. C’est extraordinaire. Ils disent : “Nous ferons ! Et ils accomplissent le contraire”. »

Puis il prononça cette stance :

Celui qui ne sait pas prévoir les conséquence de ses actes Echoue dans ses entreprises.

Pareil au singe du jardin. Il passe à côté de son but.

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Bien sûr ce court texte est une série de clins d’œil à Colette, depuis les tambours de fête de la ville jusqu’aux bourgeons et aux fleurs du parc en passant par les singes et leur chef. Il a aussi, comme tous les jataka, une puissance évocatrice qui permet à chacun d’entre nous d’en faire une interprétation toute personnelle, et d’en retenir ce que lui inspirent sa propre histoire et sa propre sensibilité. Ce que, pour ma part, j’ai voulu pointer aujourd’hui à travers lui, c’est que Colette me semble être à l’opposé des singes du parc royal et qu’elle aurait sans aucun doute eu l’approbation du sage de l’histoire pour ce qu’elle a entrepris et mené à bien au cours de sa carrière. Colette, en effet, a toujours su apporter le plus grand soin aux jeunes plants, pour filer un moment la métaphore, elle a toujours su faire confiance au potentiel qu’elle sentait en eux. Elle a toujours prêté le même intérêt, porté la même qualité d’écoute aux plus balbutiants de nos travaux et nous a aidés par là à les développer.

C’est, je crois, sa soif de connaître, son esprit curieux, mais aussi son anti-conformisme et sa grande liberté de pensée qui l’ont conduite à nous encourager sur des voies qui n’étaient pas encore bien balisées. A l’inverse des singes qui obéissent aveuglément aux ordres de leur chef, Colette aime remettre en question, elle aime contester, et c’est aussi cela qui a fait d’elle l’ethnographe et l’ethnologue que l’on sait. Elle a en tous cas par tout cela stimulé chez nous l’audace, et contribué à ce que naisse autour d’elle, on va dire, pour garder le sens, très bouddhique lui aussi, de la modération, une petite forêt, dont nous espérons tous qu’elle saura prospérer et s’enraciner toujours plus, et continuera longtemps encore de bénéficier de l’attention de notre jardinière. Il reste que je me réjouis pour Colette qu’elle puisse maintenant, en toute quiétude, arroser et soigner son vrai jardin, puisque c’est, semble-t-il, ce à quoi elle aspire et ce pourquoi, diraient les bouddhistes, elle a bien mérité.

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SOLENNITES ET INSOLENCES

Anne Raulin

Au moment de penser à ce que j’avais envie de dire en cette journée, je me suis aperçue que je ne pouvais faire l’économie de quelques mises au point.

Certes, c’est un honneur que de rendre hommage à une collègue de talent, dont l’œuvre a agité des générations, est citée à tous bouts de champs, et qui est devenue au fil des ans une amie. Mais cela ne va pas sans une certaine tristesse devant cette histoire qui tourne, pour Colette comme pour nous tous… De plus la posture solennelle de l’hommage convient-elle pour une chercheuse que l’on ne peut que qualifier d’iconoclaste, et qui comme Directeur de recherche et de laboratoire était sous bien des aspects un anti-patron.

C’est en tous les cas ainsi que je l’ai perçue au cours des quelques dix années qui viennent de s’écouler. Car c’est en 1984 que j’ai fait la connaissance de Colette, lui rendant visite, sur les conseils de Jacques Gutwirth, afin qu’elle se porte « directeur scientifique » d’un projet que je soumettais à la Mission du patrimoine ethnologique. Nous avons dû nous comprendre rapidement car elle me signa mon papier et m’invita à rejoindre le Laboratoire d’anthropologie urbaine. Bien sûr, Colette Pétonnet n’était pas pour moi une inconnue avant ce jour.

Je me souviens de ces années où, encore au lycée, mes amis et moi étions assidus des nocturnes de la Joie de Lire. C’est chez Maspéro, dans ses coursives un peu suspendues que j’ai découvert Colette Pétonnet : Ces gens-là. C’était dans les années 68, ça parlait déjà des cités de transit, mais l’anonymat préservé des lieux – la

Ville - malgré la mention qu’il s’agissait d’une banlieue

« sud-orientale » (sic) et surtout l’évocation des années d’expérience de l’auteur dans un bidonville (en fait celui de Casablanca) avaient laissé dans ma mémoire une association forte : Colette Pétonnet, c’était Nanterre-la-Folie, ses bidonvilles et ses insurrections… (Comment se

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font les mythes… Ça ne m’a pas étonnée que tu enseignes à Nanterre.)

Et puis il y avait ce titre magnifique d’ambivalence. Ces

gens-là : on leur accordait un livre mais dès le titre on mesurait tout le

chemin qui restait à parcourir avant de les connaître, et tous les obstacles de mépris social qui obstruait ce chemin…

Dans les années où les deux titres suivants ont paru, je n’étais pas en France. C’est donc assez tardivement que je me suis familiarisée avec cette œuvre qui m’inspire toujours les mêmes sentiments :

– l’admiration, pour cette écriture souple, intuitive, sans tabou ; – et puis surtout l’étonnement. Colette Pétonnet, on ne s’y attend pas, c’est imprévu, voire impromptu, c’est rafraîchissant.

C’est ce que j’appellerai une pensée verte – pas écolo, c’est trop idéologique, trop systématique ; non, au sens où l’on dit « avoir

la main verte », celle qui fait pousser les plantes. On pourrait même

dire, c’est une pensée en herbe – Colette oblige, de celle qui crève la terre un peu roide, rigide de pas assez de pluie, ou au contraire trop retournée par des labourages systématiques. Elle pointe d’autres champs avec une certaine ingénuité, et avec une insolence certaine. Car pour moi, Colette c’est l’efficacité intellectuelle de l’insolence.

En effet il fallait un certain culot pour démontrer dans les années 60-70, alors que la France vivait comme des plaies honteuses ses bidonvilles « à résorber à tout prix » :

– que ceux-ci étaient des lieux de vie dignes, organisés, attachants malgré la précarité ;

– que par dessus tout, ils étaient une expression non-aliénée de l’habiter puisque leurs résidents en contrôlaient l’espace, le temps, la sociabilité, le recrutement, etc. ;

– et que enfin leur destruction pouvait se traduire pour leurs habitants en terme de dépossession…

Non seulement cela : les cités d’urgence ou de transit censées être des lieux d’acclimatation à l’urbanité étaient renvoyées à leur absence d’urbanité manifeste, en tant qu’espace contraint, imposé, normalisé, mais surtout incapable de penser l’espace public sinon en termes inappropriés – constituant de véritables culs-de-sac urbains au sens propre et figuré.

Lors des exposés de ses travaux que les étudiants ont pu réaliser dans le cadre de mon enseignement à Paris V, je me suis

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PAROLES OFFERTES A COLETTE PETONNET 13

toujours amusée des prises de position toujours très vives à leur égard :

– Soit l’étudiant(e) exposant épouse avec ferveur le discours de Colette, le poussant à son extrême, nous faisant tous regretter de ne pas vivre en bidonville, et alors il se trouve toujours quelqu’un dans la salle pour crier au scandale, qu’on ne peut adhérer à cette apologie du bidonville… !

– Soit l’étudiant(e) exposant a élaboré sa position, opéré la péréquation et transmis le message que dans le processus d’habiter, il existe un ensemble de valeurs, de comportements, de conditions matérielles indispensables à la constitution d’un espace/temps humain, et que, quels que soient les origines et les niveaux des populations, on ne peut faire sans. Si, de surcroît, l’étudiant(e) évoque un certain mieux des appartements des cités de transit par rapport aux baraques des bidonvilles, il y aura toujours quelqu’un dans la salle pour dénoncer la trahison, dire que lui, elle, connaît bien, que les cités (de transit ou pas, de nos jours), c’est l’enfer, c’est bien ce qui est décrit par Colette, c’est même pire…

En tous les cas, je dirais qu’ils se sentent en phase avec l’insolence de Colette, qui réactive leur contestation – et ça n’est pas son moindre mérite.

On peut aussi apprécier bien d’autres expressions de sa pensée. Il y a ce que l’on peut appeler les pensées-images, car Colette a le don de forger des images conceptuelles qu’on n’oublie plus une fois qu’on les as lues.

Parmi elles, il y en a une que je préfère, presque japonisante avec ses histoires de vide et de plein : « Vu d’avion, le vieil urbanisme se présente comme un plein creusé de rigoles, tandis que le nouvel urbanisme est un vide hérissé de pleins ». Suit une apologie de la rigole avec cette juste évocation de la rue où se passe « la rencontre avec les choses, les objets, les gens. »

Il y a les pensées-poèmes, comme celle des escaliers des cités de transit, qui sous leur normalisation blafarde destinée à contenir hors des lieux publics tout ce qui fait la particularité des familles, laissent suinter des indices expressifs de leur infinie diversité.

Voici le langage des escaliers, selon Colette :

« Il en est de sympathiques et de farouches, de bruyants et de silencieux, de parlants et de muets, de gais et de tristes, de froids et de chauds, d’habillés et de nus, d’habités et de déserts. Il y a ceux qui n’ont pas bougé depuis l’origine et dont les portes sont restées vert clair, où l’on ne rencontre jamais personne, ceux qui étalent en

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graffiti leurs amours clandestines, l’orgueil des habitants, les injures enfantines, ceux aux paillassons soignés, ceux dont les portes n’ont pas de noms, ceux qui vrombissent de musique arabe éclatée, qui trahissent les querelles envenimées et filtrent le rire des filles qu’on lutine, ceux qui sentent l’huile d’olive cuite, le fond de ruelle maghrébine ou l’urine persistante, ceux qui témoignent de la vie interne et dont les portes ont été violemment repeintes en violet, ceux qui gardent pendant toute la semaine toute la boue de tous les pieds, les pelures d’orange, les croûtons, les papiers gras, et les jambes de poupées, ceux qui, lavés, laissent voir enfin la couleur de leur aggloméré blanc. Et puis, il ne faut pas oublier ceux où les chiens grondent, colosses ou roquets, d’où les chats s’enfuient, sauvages, et où le courant d’air sévit glacial, venu des carreaux d’aération régulièrement, puis définitivement cassés. Dans presque tous stagne un relent aigre, indéfinissable, constant: l’odeur de la cité. » (Ces gens-là).

Il y a aussi les pensées-scènes de genre, comme celle où est évoquée la faim, en termes inattendus puisque la faim, ce n’est pas le manque, mais le manque et l’excès, l’un venant compenser l’autre :

« Quand on a faim, on casse une croûte, au sens propre, une croûte de pain, sèche les jours maigres, aromatisée d’un oignon, trempée dans du café, du vin, ou grasse, accompagnée de pâté, de fromage. Les enfants se taillent d’énormes sandwichs, appelés casse-croûte, qu’ils fourrent de sardines à l’huile. On peut trouver n’importe qui en train de manger du ragoût à 3 heures, des réchauds français éteints à midi, des enfants espagnols se gorgeant de café au lait à 7 heures alors que le dîner cuit. »

Et là, on comprend que la pauvreté c’est aussi la mesure impossible, l’impossible équilibre entre le pas-assez et le trop-plein. C’est vivre l’excès – manque excessif, abondance excessive occasionnelle certes, mais pleinement vécue, sans honte ni culpabilité, disons sans trop de honte ni de culpabilité.

Je me souviens aussi de l’histoire du poulet rôti prévu pour le dîner et dévoré « sans bruit » à l’arrière de la voiture par un gamin pendant le trajet qui les ramenait à la maison.

C’est tout cela qui m’avait fait te dire un jour, que ce que tu aimais avec ces gens-là – je n’ai jamais pu me faire au concept de néo-prolétaire – donc ce que tu aimais avec ces gens-là, c’est leur côté grand seigneur ! La prodigalité certes, mais surtout l’absence de parcimonie.

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PAROLES OFFERTES A COLETTE PETONNET 15

Poursuivons donc les réjouissances ! On espère que Colette continuera à honorer de sa présence le stage de terrain de Paris V, à Besançon, La Rochelle, ou ailleurs…

Et n’oublions pas que nous avons un arbre à planter ensemble, avec tous ceux qui veulent s’y associer.

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Jacques Katuszewski

Si j’ai repris le titre d’un ouvrage remarquable à plusieurs égards de Colette Pétonnet : Nous sommes tous dans le brouillard pour lui rendre, ce que faute de mieux, j’appellerai un modeste hommage, ce n’est pas dans l’intention de me lancer dans une exégèse de ce livre qui n’a pas sa place ici, mais parce qu’on ne pourrait trouver meilleure formule pour évoquer sa démarche intellectuelle en général et sa quête ethnologique en particulier.

Quand on ne la connaît pas et qu’on a lu à la hâte ses écrits, on serait enclin à la considérer comme une anti-intellectuelle forcenée. Elle ne jurerait que par le terrain, rien que par le terrain, et l’empirie lui tiendrait lieu de théorie. Bien loin de s’en défendre, elle le laisse croire et ne se donne pas la peine de le démentir. L’humilité, qui la conduit parfois jusqu’à se dénigrer, est chez elle une seconde nature. Ceux qui la connaissent le savent bien. Il faut donc se garder de la prendre à la lettre, au risque de s’y méprendre et de passer à côté d’une œuvre et d’un enseignement riches et féconds pour notre discipline et pour les sciences humaines en général.

Quand on se donne la peine de creuser un peu, les choses apparaissent en effet sous un autre jour. Tout au contraire d’être un dogme, sa méfiance à l’égard des théories, est en vérité un anti-dogme radical pour nous prémunir contre les vérités toutes faites et les jugements hâtifs. C’est dans cet esprit que la primauté qu’elle attribue au terrain prend tout son sens. Loin d’elle l’idée de considérer le terrain comme la réalité par excellence qui nous révélerait la vérité pour peu qu’on s’en donne la peine et les moyens. Car Colette Pétonnet ne considère pas le terrain comme un sol ferme et stable mais elle le conçoit comme un sol poreux et friable, qui nous glisse entre les doigts et nous contraint à l’humilité. Sur le terrain, le doute surgit et les certitudes vacillent. Nous sommes dans le brouillard quand nous sommes sur le terrain, pourrait dire Colette, nous n’y comprenons plus rien ou si peu de choses. Bien loin d’un empirisme naïf et d’un positivisme borné, le

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terrain, au sens où elle l’entend, est donc une ouverture sur le monde et sur sa complexité. De ce point de vue, le terrain est pour Colette une maïeutique, une méthode critique contre toute certitude.

Cette exigence va de pair avec un sens aigu du relativisme et une revalorisation des cultures négligées, ignorées, déconsidérées, celles de « ces gens-là » comme elle les appelle. Rompant avec une perception traditionnelle de la pauvreté où l’on décrivait ces gens-là comme une catégorie atomisée et désorganisée, comme des êtres incapables, imprévoyants et rivés au présent immédiat, Colette a essayé de renverser l’image de ces gens là en insistant sur leur convivialité, la primauté des affects et des relations interpersonnelles, autrement dit leur faculté à organiser leur conduite dans la durée, leur capacité à structurer un environnement hostile et à résister à l’ordre établi. Précurseur en la matière, Colette a largement contribué au renversement de l’attitude péjorative envers les pauvres dans la recherche.

La pauvreté n’est qu’un exemple parmi d’autres de son refus opiniâtre du conformisme des esprits et de sa détermination, jamais pris en faute, de redonner droit de cité à ces gens-là et à tous ceux qui sont méconnus et méjugés.

La relation qu’elle établit entre elle-même et ceux qu’elle étudie – les lieux aussi bien que les hommes – ne se confine jamais dans la simple routine d’observation. Elle a toujours eu le souci de se servir de notre discipline pour atteindre à quelque chose de sensible et de vivant, nous donnant l’illusion que ces hommes et ces femmes qu’elle a étudiés avec la patience qu’on lui connaît, nous les avons connus nous-mêmes.

Observatrice scrupuleuse, passionnée par son métier, d’une rare humilité mais consciente de tous les devoirs humains qui incombent à un chercheur, Colette conçoit l’ethnologie comme un merveilleux instrument contre les préjugés de toutes sortes, mais aussi, comme une évasion romantique hors de notre époque trop standardisée. « Il faut entendre ce qu’il y a d’inactuel dans sa voix, c’est à dire d’intraitable » pour reprendre une formule dont Michel Leiris avait le secret.

Je voudrai terminer, si vous le permettez, par une note plus personnelle. Quand j’ai intégré le laboratoire au mois de mai 1994, il y a de cela un an et demi, comme le temps file, c’était parce que je tenais en grande estime Jacques Gutwirth qui avait été au temps jadis mon professeur de maîtrise à Aix-en-Provence. Mais je ne connaissais Colette qu’à travers ses écrits. Menant moi-même une

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étude de terrain sur une cité de transit du côté de Marseille, je ne dirai pas que Nous sommes tous dans le brouillard me servait de livre de chevet et berçait mes nuits agitées, cela porterait à croire qu’il n’était rien de plus pour moi qu’un somnifère, alors qu’en vérité, c’était tout le contraire : il me donnait la force certains matins de me lever et de retourner sur le terrain quand j’étais sur le point d’abandonner, saisi par le découragement et le sentiment d’être dans un brouillard d’un autre monde, où je ne comprenais plus rien à rien.

Toujours à mes côtés dans les jours difficiles, Colette, à son insu, me servait de garde-fou. J’appréhendais d’autant plus de la connaître en chair et en os. Je craignais que la personne ne soit pas à la hauteur de l’image que je m’en étais forgé à travers ses ouvrages, ou ce qui revient au même qu’elle ne m’apprécie guère. Mes travaux pouvaient lui laisser croire que j’étais un théoricien pur et dur et que je me servais abusivement, voire malhonnêtement du terrain pour illustrer et étayer des théories. J’avais aussi contre moi le fait de m’être compromis pendant de nombreuses années avec des sociologues et de porter un intérêt à cette discipline autant qu’à l’ethnologie, même si c’était pour mieux la critiquer.

Si je suis ici ce soir, c’est parce que ces craintes ont fait long feu, bien évidemment.

Oserai-je dire que j’apprécie aujourd’hui plus encore la personne que ses ouvrages ?

J’aime par dessus tout ce que certains considèrent comme un défaut, ses éclats, son ton bourru et son franc-parler de paysanne du Poitou qui me rappelle ma mère, d’origine polonaise par ailleurs, et qui vont de pair avec une convivialité, une générosité, un don de soi et un souci constant pour autrui.

Je mesure à sa juste valeur la confiance qu’elle nous témoigne et la liberté qu’elle nous accorde que je n’ai trouvées nulle part ailleurs, tout autant que son mépris pour les hiérarchies et sa répulsion viscérale pour tout ce qui ressemble de près ou de loin à une chapelle.

Last but not least comme diraient les Anglais, je crois avoir fait

comprendre à Colette que par des chemins différents, nous œuvrions dans le même sens et que je partageais sa conception de l’ethnologie.

Le fait qu’aujourd’hui, ce qui m’aurait paru encore impensable hier, je me passionne pour les jardins auxquels elle s’est consacrée corps et âme ces dernières années, dans la recherche mais aussi dans

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sa maison de la Sarthe, témoigne de l’estime dans laquelle je la tiens et de l’influence qu’elle a sur moi.

Je suis persuadé, chère Colette que tu profiteras pleinement de cette liberté qui s’offre désormais à toi et que tu pourras, comme tu te le souhaites dans les Ferveurs contemporaines, consacrer tout ton temps à cultiver ton jardin, en n’ayant d’autre bonheur qu’à chaque printemps le léger brouillard vert du feuillage renaissant.

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Patrick Williams

« Toute parole est d’abord résonnance […] dans nos mémoires, nos pensées. » C’est en m’autorisant de cette proposition qui vient à l’esprit de Colette Pétonnet « sur le quai du RER, gare de Lyon » alors qu’elle contemple une affiche proclamant,« dans toutes les langues et écritures du monde »,qu’ 

« une ville c’est fait de croisements » que j’évoquerai, en croisant sa voix à d’autres voix, un épisode de sa carrière qui a laissé peu de traces et qui pourtant l’a occupée un certain nombre de mois et probablement a demandé de sa part un effort important (langue, voyages, dépaysement, recherche de contacts…).

Si l’on voit dans la ville américaine – dans New York – la quintessence de la métropole moderne, ouvrir un terrain neuf en cette cité, non pas au terme mais à l’approche du terme d’une carrière consacrée à « la pratique de l’ethnologie dans les villes », peut sembler un aboutissement naturel.

Mais nous le savons, Colette Pétonnet n’étudie pas la ville ; elle observe « les gens » – « les gens » parce que d’être citadin, aussi bouleversant, aussi « métamorphosant » que cela peut être – nous y reviendrons –, ça n’épuise pas la richesse des hommes et des femmes que nous rencontrons sur les places, dans les commerces et les immeubles des villes, centre et périphéries.

Citadins, oui, c’est à dire de ceux qui « dès l’enfance savent marcher dans la rue sans sauter comme un cabri ni montrer les passants du doigt », mais en même temps « migrants », ou « résidents », « étrangers » ou « autochtones », « actifs » ou « oisifs », « prolétaires » ou « bourgeois » – riches ou pauvres –, hommes ou femmes bien sûr, « Noirs » ou « Blancs »…

C’est donc du travail qu’a mené Colette Pétonnet aux Etats-Unis, à New York puis à Philadelphie, dans les années 80, que je

1Caractères Times (rouge) : Colette Pétonnet ; en italiques (bleu) : Patrick

Williams ; “caractères Vivaldi” (vert) : Tony Morisson (note de la

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voudrais vous parler. Son projet initial était de « poursuivre outre-Atlantique des recherches comparatives au sein du prolétariat ». Les « pesanteurs du contexte social local », comme on dit, – Colette est blanche, elle enquêtait à Harlem, Harlem où elle a « marché des heures, visité des boutiques, des clubs et des cafés, suivi des infirmières à domicile et fréquenté assidûment des églises misérables… » ont rendu difficile l’établissement des relations suivies et diversifiées nécessaires pour l’investigation ethnographique. C’est alors à Philadelphie, dans la middle class noire, un milieu d’enseignants de l’Université ou du secondaire, de médecins et de psychanalystes, d’avocats…, principalement auprès de femmes d’âge mur, vivant seules dans la plupart des cas, que Colette Pétonnet a effectué les observations qui ont abouti à « La Pâleur noire », article paru en 1986 dans le numéro de L’Homme « L’Anthropologie : état des lieux », seule trace qui témoigne de cette aventure américaine.

Un seul texte oui, mais dont la lecture, à chaque fois que je la reprends, me stupéfie.

J’ai l’impression que si on mettait d’un côté toute la littérature sociologique consacrée aux Afro-américains des Etats-Unis et de l’autre ce seul article, pour ce qui est de la connaissance, non pas ponctuelle, documentaire, mais profonde, c’est-à-dire la connaissance du retentissement dans les existences individuelles des enjeux de la relation entre Noirs et Blancs aux Etats-Unis, je ne sais pas de quel côté pencherait la balance. D’un côté une grande richesse d’informations mais les généralisations, la multiplication des interprétations et souvent la hâte de conclure, de l’autre « un regard épris de détail » – les descriptions de Colette sont parfois très brèves, deux lignes, une ligne : un coup d’œil, un croquis. Mais maintenant que nous les avons aperçus, nous n’oublierons pas Mamie R., la sexagénaire tantôt « vêtue d’une jupe écossaise et d’un blazer grenat, coiffée d’un béret assorti », tantôt « en robe à collerette » qui, installée derrière les tambours et les cymbales de sa batterie, mène d’une main alerte son assemblée de fidèles dans « une ancienne boutique transformée en église », ni Deborah, la psychanalyste « bottes italiennes, blouson Yves Saint-Laurent, parfum Dior » qui proclame : « Il n’y a pas de culture noire, il n’y a que des classes sociales » ; et Nettie qui « roule en Cadillac jaune, prend des pilules pour supprimer l’appétit, ne cuisine plus et a horreur des gospels » ; Franck, le professeur d’anglais, il

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Duke Ellington après le dîner, il consacre ses loisirs à la composition musicale, il aime à chanter dans la chorale de l’église, il déplore que les étudiants africains qui séjournent un temps dans son université ne s’intéressent pas à la communauté noire locale, mais il « ne peut envisager un voyage en Europe car il craint trop d’y souffrir de nostalgie » ; Kenneth, « le comptable qui arrondit sa retraite en cuisinant des plats du Sud à un traiteur », il paye une bière à Colette dans un bar disco, un soir qu’elle s’est échappée d’une réception mondaine pour aller acheter des cigarettes dans une rue réputée mal famée…

Si le tableau s’inscrit si profondément dans nos mémoires, et s’il sonne si juste, certainement cela tient au talent d’écriture de Colette Pétonnet, mais aussi tout simplement – et j’aimerais m’arrêter sur cette dimension – à la mise en application des principes qu’elle a illustrés, et parfois enseignés, tout au long de sa carrière : 1) décrire (ce qui suppose évidemment que l’on sache regarder) ; 2) confronter les observations et les discours (ce qui suppose que l’on sache laisser parler et que l’on sache entendre, même ce qui ne se dit pas) ; 3) situer ce recueil dans un contexte pertinent ; 4) ne pas être effrayé par les implications qu’il est possible de tirer du tableau ainsi composé.

Splendide isolement de « La Pâleur noire » ? A la fois dans l’œuvre de Colette Pétonnet et dans le champ des études sur les Afro-américains ? Peut-être… Mais pas sans écho, dans d’autres registres, d’autres genres.

Echos de voix que Colette Pétonnet a su reconnaître : « Dans les romans que je reçus en cadeau d’adieu, symbole de ce qui n’avait pas pu, su ou osé être transmis, la couleur est restituée, elle est précisée en termes évocateurs tels que café, cuivre, miel… ».

Parmi ces voix, certaines particulièrement m’ont retenu – celles de Toni Cade Bambara, de Toni Morrison, de Shirley Anne Williams… – dont j’aime à penser qu’elles appartiennent à des femmes qui ressemblent aux informatrices de Colette – Noires, américaines, intellectuelles, bourgeoises… – mais qui aussi s’en éloignent précisément parce qu’en écrivant des romans, elles ont choisi de dire ce que les autres taisent et qu’en faisant ce choix – ce qui pourrait se dire : en décidant de « mettre en évidence les tabous, de déceler la vérité dans la complexité, d’élucider ce sur quoi le silence est fait par crainte, pudeur ou culpabilité » – d’une certaine manière c’est à l’ethnologue, c’est à Colette elle-même, qu’elles ressemblent. Et c’est d’ailleurs le même constat

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fondamental que les unes et l’autre déclinent dans leurs écrits, et avec la même sensibilité, la même absence de complaisance, le même abandon au concret aussi… : il existe bien une différence noire dans la société des Etats-Unis, mais c’est une différence américaine. Voilà, en référence à la maxime initiale – « Toute parole est d’abord résonnance » – le premier motif qui m’autorise à croiser les voix.

Le second motif, il tient à des échos qui retentissent dans une autre thématique : non plus spécifiquement la société des U.S.A., mais la ville, en général. Dans l’œuvre de ces romancières, et particulièrement chez celle qui est aujourd’hui la plus illustre, la plus fêtée, je retrouve certains des thèmes qui sont au cœur de la réflexion de Colette Pétonnet sur la Ville et auxquels, il me semble, elle s’est surtout attachée après son retour des Etats-Unis : la ville définie comme mouvement ; l’anonymat « protecteur » et la rencontre ; la fertilité intellectuelle et le plaisir de la libre déambulation ; l’absence de hiatus ville-campagne ; la présence de la nature dans la ville… « La Pâleur noire » n’apparaît plus alors comme un hapax dans l’œuvre de Colette Pétonnet mais plutôt comme le compte-rendu d’une épreuve que l’ethnographe de la ville s’est imposée – ou s’est offerte – avant d’entamer une nouvelle phase de son parcours. Elle s’interroge : que tout au long de son enquête à New York et à Philadelphie, elle en ait été

« réduite à la relation individuelle qui ne se prolonge pas, ni dans le temps ni dans l’espace », n’est-ce pas dû, tout autant qu’à « la discrimination », au fait que là-bas, elle a rencontré « l’essence urbaine » ? Et c’est bien en effet « l’essence urbaine » que Colette Pétonnet, tout autant que ces romancières, célèbre en traitant les thèmes que j’ai mentionnés.

Mais qu’est-ce donc, « l’essence urbaine » ?

« La ville… lieu de tous les brassages, du mouvement incessant […] : mouvements pendulaires et orbites individuelles des gens, traversée processionnaire des passages cloutés, automatiquement stoppée et inlassablement recommencée, mouvement des choses, vitrines qui se renouvellent à chaque saison, commerces qui changent de destination, mort et renaissance des maisons […], lieu de la circulation incontrôlable des hommes et des choses […] Nulle part ailleurs que dans les villes il n’existe ce battement, cette pulsation… » “…Une chose de sûre, la rue vous embrouille,

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vous enseigne ou vous casse la tête… Il faut comprendre ce que c’est, de s’attaquer à une grande cité. […] Pourtant, pour moi, c’est la seule vie. J’aime la façon dont la ville fait croire aux gens qu’ils peuvent faire ce qu’ils veulent et s’en tirer… Faîtes ce qu’il vous plaît dans la Ville, elle est là pour vous épauler et vous encadrer, quoi que vous fassiez…”

Qui, mieux que celui qui vient d’ailleurs – regard neuf, nouveau venu, « nouvel arrivant […] qui d’emblée sait qu’il est arrivé » – peut saisir, ou être saisi par, la force de cette impression (c’est bien ce qu’a ressenti, à son arrivée de province à Paris, « au début d’un hiver inclément » – et j’ajouterai : à l’orée de saisons fertiles – celle que nous fêtons aujourd’hui, et de manière si vive qu’elle en fut, nous dit-elle, effrayée : « … le défilé des fenêtres éclairées devant le métro aérien, toutes ces niches à humains à hauteur de mes yeux, me remplissaient d’effroi »). Car les villes, pur mouvement, sont aussi des « lieux circonscrits » où l’on arrive, « en traversant les faubourgs », toujours, « comme une antichambre inévitable, même à Jérusalem » ; ou bien « par la mer, comme à Gênes où l’on voit du bateau les gens vivre dans les rues, et Istanbul qui s’offre d’un coup au regard ébloui » ; ou « par le train qui vous jette clignant des yeux au sortir de la gare, en plein cœur d’un quartier »… {East St Louis Toodle Oo2} “Quelle que

soit leur manière de venir, le moment ou la raison de leur venue, à la minute où leurs semelles touchent le trottoir, c’est sans espoir de retour. Même si la chambre louée est plus petite que la stalle de l’étalon et plus sombre que les latrines au petit matin, ils restent pour se faire voir leur numéro, s’écouter eux-mêmes en public, se sentir descendre une rue avec des centaines d’autres qui avancent comme eux, et qui, quand ils parlent, sans compter leur accent, traitent aussi la langue comme un jouet compliqué, malléable, fait pour jouer avec… Mais qu’ils oublient vite, les gens de la campagne. Quand ils tombent amoureux d’une ville, c’est pour toujours, et c’est comme ça depuis toujours. Comme s’il n’y avait jamais eu un moment où ils ne l’avaient pas aimée. La minute où ils arrivent à la gare ou descendent du ferry et aperçoivent les larges avenues et le gaspillage des lampes qui les éclairent, ils savent qu’ils sont nés pour ça. Là, dans une ville, ce n’est

2. Ce texte a été conçu avec un accompagnement musical. On trouvera en fin de

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pas tant qu’ils sont neufs, ils sont eux-mêmes : un être plus fort, prêt au risque. Et au début quand ils arrivent, et vingt ans plus tard quand eux-mêmes et la Ville ont grandi, ils aiment tellement cette part d’eux-mêmes qu’ils oublient ce qu’étaient les autres, s’ils l’ont jamais su bien sûr. Je ne veux pas dire qu’ils les haïssent, non, juste que ce qu’ils s e mettent à aimer, c’est la façon dont on est dans la Ville : la façon dont une écolière ne s’arrête jamais au feu mais regarde aux deux bouts de la rue avant de descendre du trottoir : dont les hommes s’accommodent à la hauteur des immeubles et à la petitesse des porches, à quoi ressemble une femme qui avance dans la foule, ou le choc de son profil avec l’East-River en arrière-plan… ; la stupéfaction d’ouvrir les fenêtres en grand et d’être hypnotisé pendant des heures par les gens dans la rue… ”

{Washington Wobble}

« Ils ne restent jamais immobiles longtemps. Ils vont où bon leur semble, vaquant à leurs affaires, séparément […] Quand il pleut

sur les trottoirs changés en satin, des silhouettes vont l’épaule en avant, le haut de la tête penché en bouclier contre les petits plombs des gouttes d’eau […] Badauds, ils s’agglutinent un moment. Puis ils disparaissent au tournant ou sous une porte-cochère, s’évanouissent dans un souterrain […] Rien ne peut les arracher de ça ; la Ville est ce qu’ils veulent qu’elle soit : dépensière, chaude, effrayante et pleine d’aimables inconnus […] La rencontre nue, entre gens privés de tout autre contexte que celui de leurs vêtements – mais les vêtements, les habits, les étoffes ! « … tailleurs stricts, robes décolletées, manches à volants, paillettes et dentelles, fourrures et bijoux, costumes sombres ou rayés, ouverts sur le gilet, chaussures vernies, ou à deux tons, organdi blanc, satin violet, larges capelines de feutre rouge, turbans noir et or ou de taffetas fleuri, bérets de velours cramoisi, toques à plumes ou à cerises, avec ou sans voilettes à pois, larges ceintures des fillettes… » !

Le spectacle des gens dans la rue enivre, mais pas seulement le spectacle des gens : “… Les porteurs et les serveurs du wagon-restaurant {Creole Love Call} qui n’auraient pas idée de quitter la Ville, parlent parfois longuement des cieux de la campagne qu’ils ont vus des fenêtres du train. Mais rien ne peut battre ce que la Ville peut faire d’un ciel de nuit. Il peut se vider de sa surface, faire comme l’océan mais mieux

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que l’océan, se faire profond, sans étoiles. Descendre sur le toit des immeubles, proche, plus proche que la casquette que vous portez ; un tel ciel de ville pèse et s’éloigne… Les grandes villes ne dorment pas. La nuit ne leur apporte ni silence ni obscurité. Des sortes de phares y restent allumés où des hommes veillent… En regardant ça, ce ciel de nuit qui explose sur une ville étincelante, il m’est possible de ne plus rêver de ce que je sais être dans l’océan… C’est peu, pour remplacer l’amour, mais ça aspire le désir… Si une femme s’assied en haut d’un perron avec une bière fraîche à la main, s a chaussure pendant au bout de ses orteils, l’homme réagit à sa posture, à la peau douce contre la pierre, au poids de l’immeuble soulignant la chaussure délicate, en équilibre, et il est pris. Et il croit que c’est la femme qu’il veut, pas une combinaison de pierre courbe avec une chaussure à haut-talon qui se balance du soleil à l’ombre. Il comprendra tout de suite l’illusion, le piège de formes, de lumière et de mouvement, mais ça n’aura aucune importance parce que l’illusion en fait partie, elle aussi… Quoi de mieux que des briques réchauffées au soleil ?”

Oui, quoi de mieux ?… {silence} Peut-être, ceci : « émerger du métro pour contempler une fois de plus, à l’angle du boulevard, le café-tabac flanqué d’une charcuterie… »

Quoi de mieux que le spectacle de la Ville ? Peut-être… la musique de la Ville {Hello Lola !} : “Les jeunes gens sur les toits changeaient d’air ; crachaient et tripotaient un peu leur embouchure, et quand ils la remettaient et gonflaient les joues, c’était juste comme la lumière de cette journée ; pur et fort et genre aimable. On aurait cru que tout avait été pardonné à les entendre jouer. Les clarinettes avaient des ennuis parce que le cuivre jouait si haut, pas en bas comme ils aimaient le faire, mais haut et clair comme une jeune fille qui chante au bord d’un torrent pour passer le temps, les chevilles dans l’eau froide. Les jeunes gens aux cuivres n’avaient probablement jamais vu ce genre de fille, ou de torrent, mais ce jour-là ils les ont inventés. Sur les toits. Certains au 254, où il n’y a pas de parapet ; un autre au 131, celui du réservoir vert pomme, et quelquefois juste à côté, au 133, où des tomates poussent dans des boîtes de graisse et où il y a une paillasse pour dormir, trouver la fraîcheur et le moyen d’éviter les moustiques incapables de

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voler si haut ou répugnant à quitter la chair tendre des gorges sous les lampadaires. Ainsi, de Lenox à Saint-Nicholas, et derrière la 135e Rue, Lexington, de Convent à la Huitième, j’entendais les hommes jouer de leur cœur en sirop d’érable, le soutirer à des arbres de quatre siècles, et le laisser couler le long du tronc et se perdre parce qu’ils n’avaient pas de seau pour le recueillir et n’en auraient pas voulu. Ils avaient juste envie de le laisser couler, ce jour-là, lentement s’ils le voulaient, ou vite, mais couler librement sur des arbres crevant d’envie de le donner.

C’est ça que les jeunes hommes faisaient entendre ce jour là. Sûrs d’eux-mêmes, sûrs d’êtres bénis, debout là-haut sur les toits, d’abord se faisant face, puis, quand il fut clair qu’ils avaient vaincu les clarinettes, ils s’étaient tourné le dos, avaient levé tout droit leurs trompettes et rejoint la lumière tout aussi purs, et forts, et genre aimable…”

Textes Colette Pétonnet :

1982 « L’observation flottante. L’exemple d’un cimetière parisien » 1986 « La pâleur noire. Couleur et culture aux USA »

1987 « Anthropologie du monde urbain » 1987 « L’anonymat ou la pellicule protectrice »

1987 « Variations sur le bruit sourd d’un mouvement continu » 1988 « La ville et les citadins »

Toni Morisson

1992 Jazz, Paris, Christian Bourgeois Musiques

Duke Ellington & his Orchestra :

East St Louis Toodle Oo (extrait), 1927, New York Washington Wobble (extrait), 1927, New York Creole Love Call (extrait), 1927, New York

The Mound City Blue Blowers :

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ET DE LA RIGUEUR SCIENTIFIQUE

Daniel Terrolle

Ma rencontre avec Colette remonte à l’année 1977. Connaissant et appréciant ses travaux publiés, j’étais désireux de l’inviter à intervenir lors d’un séminaire de maîtrise en anthropologie urbaine que je venais de monter à l’Institut d’Urbanisme de Paris VIII-Vincennes où j’étais alors chargé de cours. Au téléphone, elle se révéla fort réticente, arguant du fait qu’elle préférait plus s’adresser à des chercheurs plutôt qu’à des étudiants pour faire comprendre ses méthodes et sa démarche. J’insistai alors sur l’importance et sur la nécessité de son témoignage scientifique à un moment où l’anthropologie urbaine était très peu connue. Elle finit par accepter de me donner rendez-vous à la bibliothèque du Laboratoire d’Anthropologie Sociale situé alors au Collège de France.

Ce jour-là, accumulant ce que les analystes repèrent comme des actes manqués, je finis par arriver à notre lieu de rendez-vous avec une bonne demi-heure de retard. Notre rencontre fut redoutable pour moi : je trouvai une lionne tournant en rond dans cette bibliothèque, se rongeant les ongles de rage et, malgré mes excuses sincères mais piteuses, malgré mon essouflement, je reçus la plus belle engueulade de ma vie de la part d’une personne mise hors d’elle par une attente, il est vrai, inqualifiable.

Sous l’orage de son ire, je pensai que notre collaboration éventuelle était terminée avant même d’avoir pu commencer. Puis elle se ressaisit et passa calmement à l’examen de ma demande à laquelle elle donna une suite favorable. Ainsi débuta notre relation dans laquelle s’enracina l’amitié qui nous lie toujours.

Le personnage me plut alors, lorsque j’y repense, car il était entier, direct, sans dissimulation hypocrite. Cependant, je saisissais mal comment une telle personnalité, apparemment sans nuances, pouvait, tant dans la collecte de terrain que dans l’écriture

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ethnologique, enchanter le lecteur par la finesse, la pertinence et la qualité de ses analyses. Je compris par la suite, plus tard, que ses déferlements sont à la mesure de sa timidité et que sa violence et parfois sa brutalité verbale n’ont d’égales que son extrême sensibilité.

En 1981, alors qu’elle me conviait à participer aux prémisses du Laboratoire d’Anthropologie Urbaine, je lui proposai de m’encadrer en thèse. Après discussion, elle accepta d’inaugurer cette aventure pédagogique avec moi. Rigoureuse et exemplaire dans cet encadrement, elle ne laissa rien passer ni sur le fond ni sur la forme. Et je me souviens qu’un jour, après lui avoir rendu cent cinquante pages rédigées avec application, je récupérai mon pensum, annoté et corrigé à la virgule près, avec ces mots : « Ce n’est pas une thèse. Il faut tout reprendre ». Elle m’expliqua alors pourquoi. Je fus d’abord effondré puis ensuite très défensif. Notre échange en arriva au cœur du problème qu’elle repèra ainsi : « Si tu n’es pas capable d’entendre ce que j’ai à te dire, il vaut mieux arrêter tout de suite ».

Hé oui ! nous touchions là à ce point où achoppent l’imaginaire de l’amitié et l’exigence scientifique. Là où, trop souvent, trop de concessions se font. Il n’y en eut point et je la remercie aujourd’hui de m’avoir appris non seulement à repérer et à dépasser ce qui pouvait alors apparaître comme une contradiction, mais encore de m’avoir enseigné que l’un et l’autre ne pouvaient qu’en sortir renforcés. Ce fut douloureux certes, mais riche pour la suite où je m’efforce, comme enseignant-chercheur d’assumer cette leçon.

Il n’est pas aisé d’être sans concessions ni avec les autres, ni avec soi-même. Colette part en retraite, mais nous pouvons être sûrs qu’elle ne fera pas retraite là-dessus. Cette exigence ne lui a sans doute pas valu que des amitiés. Mais qu’importe après tout, on ne peut pas s’épuiser à plaire à tout le monde et il vaut mieux, sans nul doute, recueillir la fidélité d’un petit nombre que l’agrément léger et volatil de tous. Sans concession avec un milieu professionnel où trop s’entendent à en faire, Colette nous enseigne le prix d’une liberté de penser, d’une indépendance jamais oublieuse ni de l’autre ni de l’enseignement de ses maîtres. C’est au témoignage qu’elle nous donne de cet espoir, à un moment où notre monde aurait tendance à nous faire croire que ces valeurs sont périmées, que, à travers mais aussi au-delà de mon expérience personnelle, je rends hommage aujourd’hui.

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Dans le rite de passage (qu’elle a souhaité festif et auquel le ton de mes propos déroge quelque peu) qui s’accomplit aujourd’hui, nous sommes ensemble pour attester d’un passé mais aussi d’un autre avenir. C’est vers celui-ci qu’il faut maintenant se tourner tant il est plein des multiples projets que nous avons avec Colette et dont la réalisation avait été différée jusque-là.

Cet avenir, délié des charges institutionnelles, lui appartient maintenant pour son bon plaisir qu’elle saura, nous pouvons en être sûrs, nous faire partager avec passion.

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UN OISEAU BLANC POUR COLETTE

Eliane Daphy

C’est une chanson pour Colette, une chanson qui s’appelle

L’Oiseau blanc. Un oiseau, parce que, dit le proverbe, il n’y a pas

de jardin heureux sans oiseau. Un oiseau, parce que la campagne en est pleine, et la littérature orale traditionnelle aussi : il y a des oiseaux dans les chansons et les contes, des rossignols, des merles, des alouettes et des hirondelles, voire de simples oiseaux des bois, anonymes volatiles. Dans les chansons, les oiseaux sont souvent magiques, messagers d’amour, mais aussi annonciateurs des bonheurs et des malheurs des hommes ; ils possèdent parfois la propriété de parler, y compris en latin, comme dans la célèbre chanson J’ai descendu dans mon jardin.

Un oiseau, parce qu’on trouve aussi des oiseaux en ville, et dans les chansons des villes, les chansons parisiennes, comme on les appelle à la campagne. Au fil des succès populaires d’hier et d’aujourd’hui se croisent des merles moqueurs et de gais rossignols qui sifflent quand revient le temps des cerises, des hirondelles, celle qui donne son nom à la pauvre fille d’amour des faubourgs parisiens ou celles qui font chanter de joie Charles Trénet.

L’oiseau de ma chanson est un oiseau particulier : il est blanc. Les oiseaux des chansons, nous n’en savons pas souvent la couleur, quoiqu’il y a bien sûr l’oiseau bleu du conte, ou celui de toutes les couleurs de Gilbert Bécaud. Mais de toutes les couleurs de la nature, des bruns, des gris, des mordorés, les chansons le plus souvent n’en ont retenu que deux, pour les opposer, le blanc et le noir. Quand les oiseaux sont noirs, ils sont corbeaux et corneilles de mauvais augure. Quand les oiseaux sont blancs, dans les chansons, c’est tantôt la colombe qui chante jour et nuit, fait des miracles et parle de paix, ou des oiseaux marins, mouettes et goélands, ceux tragiques de Damia dans les années trente, âmes des matelots morts en mer qui planent au-dessus des cimetières, ou ceux plus joyeux, mais tout aussi associés au bateau blanc dans le tube des années soixante Bleu bleu

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