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Des formes de médiation sexuellement orientées ? Lieux, institutions et acteurs du placement des ‘travailleuses’ migrantes à l’époque contemporaine

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Des formes de médiation sexuellement orientées ? Lieux,

institutions et acteurs du placement des ‘travailleuses’

migrantes à l’époque contemporaine

Manuela Martini

To cite this version:

Manuela Martini. Des formes de médiation sexuellement orientées ? Lieux, institutions et acteurs du placement des ‘travailleuses’ migrantes à l’époque contemporaine. Migrations Société, CIEMI, 2010, Genre, filières migratoires et marché du travail. Acteurs et institutions de la société civile en Europe au vingtième sicèle, pp.7-12. �hal-01281169�

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Manuela Martini (Université Paris VII ) et Philippe Rygiel

(Centre d’histoire sociale du XXe siècle, Université Paris I/CNRS)

« Des formes de médiation sexuellement orientées ? Lieux,

institutions et acteurs du placement des ‘travailleuses’ migrantes à

l’époque contemporaine », Migrations-Sociétés, numéro 127, janvier

2010, pages 41-57.

À la croisée des études migratoires et du genre, la recherche sur les femmes migrantes et leur rapport avec le travail domestique et extra-domestique a bénéficié de l’activité foisonnante des praticiens de ces deux domaines d’étude en plein essor. Le remarquable enrichissement des connaissances qui a marqué ces dernières années a concerné tout particulièrement la condition migrante. Les recoins les moins accessibles de sa longue histoire, demeurés longtemps invisibles, dans la sphère domestique et professionnelle1 ont été explorés. Si le

travail extra domestique, et plus particulièrement la production industrielle ont, dans un premier temps, été l’objet de tous les efforts de l’historiographie féministe, les recherches se sont ensuite tournées vers le quotidien des migrantes et de leurs familles, les formes du travail à domicile et, enfin, vers les multiples facettes du travail non rémunéré, surtout féminin2.

Si nous insistons sur la profondeur historique des approches du travail genré migrant, c’est parce que les historiens ont joué un rôle clé dans cette dynamique.

1 Plusieurs des communications concernant le travail des migrant-e-s du colloque « Genre, Histoire, Migration » (ENS, Paris 1, Paris 7, Paris 2006) portaient notamment sur ces questions, voir la sélection publiée dans RYGIEL Philippe et MARTINI Manuela (dir.), Genre et travail migrant. Mondes atlantiques, XIXe-XXe siècle, Paris, Publibook, 2009 et l’Introduction, p. 15-36. L’historiographie sur ces questions est très vaste dans le monde anglo-saxon, cf. GABACCIA Donna R., From the Other Side : Women, Gender and Immigrant Life in the U.S., 1820-1990, Bloomington, Indiana University Press, 1994 ; HARZIG Christiane, “Women migrants as global and local Agents. New Research Strategies on Gender and Migration”, in SHARPE Pamela (dir.), Women, Gender and Labour Migration. Historical and Global Perspectives, London and New York, Routledge, 2001, p. 15-28 ; GABACCIA Donna R. et IACOVETTA Franca (dir.), Women, Gender, and Transnational Lives : Italian Workers of the World, Toronto, University of Toronto Press, 2002 ; GREEN Nancy, Repenser les migrations, Paris, PUF, 2002, p. 105-120.

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Qu’elle ait été autonome ou subordonnée à la migration masculine, la vie des femmes migrantes a attiré leur regard avant même que les sociologues et les anthropologues ne se soient emparés du thème3. Les débats ont porté d’abord

sur la valeur doublement émancipatrice de la migration de travail des femmes à l’époque de l’industrialisation, du fait du travail hors « les murs domestiques » et des changements anthropologiques accompagnant la migration. Les études se sont orientées ensuite, en un processus cumulatif, d’une part vers la migration des femmes « seules », ou mieux autonomes par rapport aux hommes4, et de l’autre vers l’examen des interprétations trop optimistes et linéaires de la « libération » de la migrante via le travail extra-domestique5.

Ces études ont longtemps placé la famille et les réseaux relationnels au centre des mécanismes d’organisation et de structuration des itinéraires individuels et des chaînes migratoires, amenant de fait les historiens, mais aussi les anthropologues et les sociologues, à négliger tout autre intermédiaire entre individu et marché du travail6. De ce fait, nous connaissons peu encore les caractéristiques et le fonctionnement des instances qui ont permis aux femmes migrantes du passé d’accéder au marché du travail formel ou informel, alors même que depuis quelques années de nombreux spécialistes des sciences sociales prêtent à celles-ci beaucoup d’attention et d’importance et montrent l’intérêt heuristique de les étudier en prenant en compte la dimension du genre. Pionniers en la matière, Jon Goss et Bruce Lindquist définissent l’ensemble des

3 Pionnières en France, les études des sociologues du travail féminin ont plus tardivement que celles des historiennes des femmes abordé la vie quotidienne des travailleuses migrantes, THEBAUD Françoise, Ecrire l’histoire des femmes, Paris, Editions ENS, 2001, p. 49, p. 81-82 ; cf. HERSENT Madeleine,ZAIDMAN Claude, Genre, travail et migrations en Europe, Cahiers du CEDREF, 10, décembre 2003 ; CATARINO Christine et MOROKVASIC Mirjana (dir.), Femmes, genre, migration et mobilités, REMI, vol. 21, 1, 2005, « Introduction », p. 7-27.

4 Janine Ponty fut la première en France à attirer l’attention sur l’importance et l’ancienneté des migrations féminines de main d’œuvre, cf. PONTY Janine, Polonais méconnus. Histoire des travailleurs immigrés en France dans l’entre-deux-guerres, Paris, Publications de la Sorbonne, 1988.

5 On verra en français, RYGIEL Philippe, Lillo Natacha (dir.), Rapports sociaux de sexe et immigrations, Paris, Publibook, 2007. F. Sirna se fait l’écho en ce volume de ces débats.

6 BOYD Monica, « Family and Personal Networks in International Migrations : Recent Developpements and New Agendas », International Migration Review, 23, 1989, 3, p. 638-70.; MASSEY Douglas S., «Social Structure, Household Strategies, and the Cumulative Causation of Migration », Population Index, 56, 1990, 1, p. 3-26.

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intermédiaires avec lesquels les migrants entrent en rapport comme des « migrant institutions » et placent leur activité de médiation au cour du projet migratoire et de sa réussite, tout en soulignant le risque, pour un système très institutionnalisé, de devenir de plus en plus frauduleux7. En un effort pour mettre fin à la longue guerre de tranchées opposant les tenants d’une approche structurale des migrations internationales et les auteurs insistant sur la capacité qu’ont les migrants à agir, ils définissent ainsi un niveau médian d’analyse devant permettre d’articuler les projets et les actes des migrants et les impulsions données par les grandes évolutions macro-économiques et politiques. Creusant le sillon, et orientant l’analyse d’une façon genrée, plusieurs auteurs ont montré que ces institutions incorporent, explicitement ou non, des normes de genre8 et que leur fonctionnement, en particulier parce qu’il détermine un accès

inégal à l’information et aux ressources selon le genre, mais aussi l’âge ou la classe, contribue à déterminer les relations entre hommes et femmes en migration9.

Quoique sociologues et anthropologues contemporains affirment volontiers que la prolifération et le développement de telles institutions est un phénomène récent et lié à un contexte spécifique10, les études réunies ici nous montrent que la chose n’est en soi pas nouvelle et que son analyse peut se révéler riche d’enseignements pour l’historien.

Nous avons choisi d’insister ici sur celles de ces institutions qui mettent en contact migrants et marché du travail – ce que ne font pas toutes les institutions migratoires –- et qui sont des émanations de la société civile aussi

7 GOSS Jon, LINDQUIST Bruce, « Conceptualising International Migrations : A Structuration Perspective », International Migration Review, 1995, 2, p. 317-51, cf. Idem, “Placing Movers: An Overview of the Asian-Pacific Migration System”, The Contemporary Asian-Pacific, 122000, 2, p. 385-414 . En s’appuyant sur la théorie de la structuration d’Anthony Giddens, ils proposent une « institutionnalisation des migrations », à l’intersection entre agency et structure, en utilisant le cas des migration philippines comme terrain empirique de recherche, p. 335-336.

8 PHIZACKLEA Annie, « Gendered Actors in Migration… », in ANDALL Jacqueline (dir.), Gender and Ethnicity in Contemporary Europe, Berg, New-York, 2003, pp. 23-37.

9 GEORGE Sheba M., When Women come first. Gender and Class in Transnational Migration, University of California Presse, Berkeley, Los-Angeles, Londres, 2005.

10 Par exemple, MASSEY Douglas S. et al., « Theories of International Migration : a Review and Appraisal », Population and Development Review, 19, 19933, pp. 431-66, pp. 451 et suivantes.

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bien des lieux de départ que d’arrivée et non des administrations publiques ou des ramifications d’un État, parce que le thème nous paraissait plus neuf. Nous n’en sous-estimons pas pour autant l’importance des logiques d’État, qui du reste ne se laissent pas si facilement oublier.

Linda Guerry évoquant l’action des offices départementaux de placement dans la Provence de l’entre-deux-guerres et C. Muller rappelant la sollicitude inquiète des autorités consulaires luxembourgeoises nous rappellent que, tant l’État dont les migrants sont les nationaux que l’État d’immigration se préoccupent, dès le dix-neuvième siècle, des formes prises par la travail féminin migrant. Ces institutions d’État apparaissent cependant ici en toile de fond. Elles façonnent les déplacements et les rapports institutionnels avec la société d’immigration et la société de départ, mais ne sont pas au cœur des analyses, qui portent sur des structures de médiation qui se développent aussi bien au sein des groupes immigrés que des sociétés réceptrices (associations ethniques, agences de repérage et recrutement de main-d’œuvre migrante, œuvres charitables, bureaux de placement). De même apercevons-nous à contre-jour l’activité dles organismes internationaux11, au premier chef le BIT, qui se soucie très tôt de la protection des femmes migrantes au travail. Mais nous remarquons également .l’action des réseaux associatifs internationaux de la nébuleuse réformatrice : entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle l’espace transnational de la protection des femmes et des enfants migrants se densifie très rapidement comme le souligne ici Caroline Douki12.

Même lorsque nous restreignons ainsi l’analyse, nous ne pouvons qu’être frappés par la diversité des acteurs et des institutions que nous rencontrons. Les

11 DOUKI Caroline, FELDMAN David ROSENTAL Paul-André, « La protection sociale des travailleurs migrants dans l’entre-deux-guerres : le rôle du ministère du Travail dans son environnement national et international (France, Italie, Royaume-Uni). Note de synthèse », Revue Française des Affaires Sociales, 2, 2007, p. 167-171.

12 TOPALOV Christian, Laboratoires du nouveau siècle. La nébuleuse réformatrice et ses réseaux en France, 1880-1914, Paris, Éditions de l'École des hautes études en sciences sociales, 1999.

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pages qui suivent évoquent des filières migratoires institutionnalisées, divers placeurs de migrants, des institutions patronales prenant en charge le recrutement et l’encadrement de travailleuses migrantes. Nous y croisons des associations caritatives spécialisées dans l’aide aux migrants, sexuellement définis, (notamment les domestiques), et qui fonctionnent également comme des agences de recrutement; autant d’exemples de médiations formelles et informelles entre migrantes et marché du travail qui peuvent être multipliés à l’envie13. La variété des formes possibles est sans doute accentuée par la diversité chronologique et géographique des situations présentées dans ce volume, qui nous amène de la fin du XIXe siècle à nos jours. Entre migrantes et marché du travail se matérialisent, ainsi, en filigrane des parcours individuels, une cohorte d’acteurs, une collection de lieux et d’institutions qui créent des ponts entre « travailleuses » migrantes et marché du travail et dont certaines, celles en particulier qui émanent du monde catholique, sont authentiquement et anciennement transnationales ou du moins capables, telles la ligue belge des familles nombreuses, de nouer des alliances efficaces par delà les frontières.

Leur diversité est liée d’abord à l’identité des acteurs animant ces institutions, qui souvent explique aussi que les fonctions qui leur soient assignées diffèrent en partie. Les préoccupations morales ainsi sont profondément mêlées aux logiques économiques dans la mise en place de certaines institutions qui visent d’abord à encadrer ou à protéger les jeunes femmes migrantes. Ce sont les discours inquiets de la presse luxembourgeoise, rapportés par C. Muller, qui ressemblent à bien d’autres produits au sein de sociétés qu’affecte une émigration féminine massive14, qui, mettant l’accent sur

les dangers de l’émigration, tels que définis au sein de la société de départ, suscitent en réponse la création d’organismes d’accueil et d’assistance

13 MARTIN-FUGIER Anne, La place des bonnes. La domesticité féminine à Paris en 1900, Paris, Perrin/Grasset, 2004 (1979), p. 43-52.

14 Voir par exemple TUR Bruno, « ‘Femmes séduites et forcément enceintes’ . La sexualité des immigrées espagnoles sous le regard de leur village d’origine», in FOUCHÉ Nicole, WEBER Serge (dir.), Construction des sexualités et migration, Migrance, 27, premier semestre 2006, pp. 79-85.

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d’inspiration religieuse et d’institutions plus ou moins liées aux représentations diplomatiques. Lorsqu’elle émanent des sociétés de départ ou sont fondées au lieu d’arrivée grâce à des financements provenant de celle-ci, ces institutions ont fréquemment également pour fonction de maintenir les liens avec les lieux d’origine.

Le plus souvent elles finissent par devenir aussi des intermédiaires avec les employeurs, voire par assurer la formation des migrantes. Comme le souligne Vera Hajto, les associations exercent à titre gracieux le rôle de lieux d’échange et de rencontre entre employeurs en quête de domestiques moralement fiables et jeunes femmes cherchant à se placer dans une famille convenable, cependant qu’à travers le réseau associatif catholique ces associations « ethniques » permettaient également à leur membres de varier leurs possibilités d’emploi et leurs trajets migratoires, en répondant à une demande internationale, provenant notamment de Paris ou Bruxelles. Les grandes réunions conviviales organisées par les associations une fois par an, où patrons et domestiques se rencontrent en dehors du cadre de la maison couronnent les activités de l’association et leur déroulement symbolise l’alliance de l’État hongrois, de l’église catholique et des employeurs, tous soucieux que les migrantes respectent leurs allégeances nationales et religieuses et les normes de genre qui, à la fois, permettent et justifient - ou du moins excusent - leur emploi. Se matérialise ainsi une, configuration que nous retrouvons dans bien d’autres contextes dans le cas de migrations domestiques féminines15.

Les acteurs économiques obéissent principalement à d’autres logiques. Placeurs et employeurs, sont soucieux surtout de leurs gains et n’hésitent pas à faire payer les prix de leurs services aux migrantes. Les employeurs ne se privent pas de déduire la commission du placeur du premier salaire de leur

15 PAGE MOCH Leslie, « Provinciaux et provinciales à Paris sous la III République. Vers une analyse du genre », pp. 39-52, in RYGIEL Philippe et MARTINI Manuela (dir.), Genre et travail migrant. Mondes atlantiques, XIXe-XXe siècle, Paris, Publibook, 2009.

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domestique, de même frais de voyage, logements et entretien dans les internats sont pour partie payés par les migrantes (C. Muller, L. Guerry et C. Douki)16.

Les migrantes sont nombreuses pourtant à en passer par leurs exigences.

Pour les domestiques luxembourgeoises employées à Paris ainsi, le recours à l’un des nombreux bureaux de placements, municipaux, mais surtout privés (autorisés par la municipalité ou totalement informels) était le moyen le plus fréquemment employée par celles qui souhaitaient trouver un emploi, et les migrantes étaient peut-être plus nombreuses encore à trouver un emploi par ce moyen qu’en recourant aux réseaux familiaux 17.

Parmi les placeurs, plus ou moins honnêtes, des migrants occupaient une place de choix. Logeurs, boutiquiers ou cafetiers, devenaient parfois des spécialistes de la médiation et facilitent l’accès des primo-arrivants au marché du travail. Les réseaux informels, dans certains cas, s’institutionnalisent, les commissions versées pouvant devenir un revenu, logique que décrit Francesca. Sirna dans le cas de l’immigration italienne à Marseille dans l’après deuxième Guerre mondiale.

Certains individus se transforment en agences de placement « ethniques ». Cela ne les empêche pas, c’est le cas de la placeuse de domestiques décrite par Francesca Sirna, de se situer aux marges du marché du travail, où clandestinité des migrants et travail au noir se côtoient, sans nécessairement se superposer. Dans les cas des Italiennes ici décrites notamment, qu'elles soient du Nord ou du Sud, sans que la question des « papiers » ne se pose avec une particulière acuité, le travail féminin est systématiquement non déclaré. Ces exemples issus de recherches éminemment qualitatives ouvrent toute une série de questions relatives aux aspects méconnus de la surexploitation des immigrées non usinière

16 LEE DOWNS Laura, L'Inégalité à la chaîne. La division sexuée du travail dans l'industrie métallurgique en France et en Angleterre, Paris, Albin Michel, 2002.

17 À Paris, depuis 1852, chaque bureau de placement devait être autorisé par les autorités municipales, qui surveillaient ces entreprises « pour y assurer le maintien de l'fordre et la loyauté de la gestion », Martin-Fugier Anne, La place des bonnes, La domesticité féminine à Paris en 1900, Paris, Perrin, 2004, 2e édition, p. 49.

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dont les conséquences sont lourdes, par les coûts sociaux à long terme qu’elles implique. Le travail au noir des femmes apparaît comme une modalité d’intégration genrée dont l’articulation avec le statut administratif des migrantes demeure à explorer.

Malgré leur diversité ces institutions ont en commun de devoir s’articuler à une institution sociale incontournable – la famille –, structurant, en amont et en aval, les parcours migratoires. La première question qui se pose est alors de comprendre les formes de cette articulation avec les attentes, les stratégies, les relations de la famille mobilisées via l’activation de réseaux sociaux transnationaux. Tous les articles y font référence et mettent en évidence l’utilisation simultanée par les migrants de ressources familiales et institutionnelles émanant aussi bien de la société civile de départ que de celle d’arrivée. Cette, complémentarité des ressources familiales et extra-familiales représente un élément crucial, essentiel dans le développement des mécanismes migratoires, mais demeure malgré tout très peu explorée par l’historiographie, y compris récente.

Les réseaux sociaux personnels ont eu la parte belle dans les études jusqu’à présent et leur articulation avec la famille via l’analyse des liens parentaux a été largement explorée18. L’importance accordée aux structures

informelles de relation a ainsi porté à sous-évaluer les institutions migratoires à la charnière entre individus et marché du travail. Si nous détectons ici des cas de formalisation des tâches au sein des filières migratoires (grâce au rôle stratégique de certains migrants), le plus souvent réseaux personnels et réseaux migratoires formalisés ne sont pas forcement superposables. Ils appartiennent

18 BOYD Monica, « Family and Personal Networks in International Migrations”, art. cité.; MASSEY Douglas S. et al., « Theories of International Migration”, art. cité. Cf. ROSENTAL Paul-André, « Les liens familiaux, forme historique ?», Annales de Démographie Historique, n° spéc., « Famille et parenté : le renouvellement des approches », 2, 2000, p. 49-81.

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dans certaines situations au même univers mais il faut faire attention à ne pas les confondre et à donner la place qu’elles ont effectivement occupée aux instances de médiation avec le marché du travail extérieures à la sphère des relations familiales ou même personnelles.

La question a d’autant plus d’importance que c’est de la capacité de ces institutions à s’ajuster aux besoins de la population qu’elles entendent ou prétendent servir que dépend le succès de leur action et pour certaines leur capacité à protéger les femmes de ce qu’elles définissent comme les dangers de la migration. C’est le cas pour les associations internationales de protection des femmes qui jouent un rôle de plus en plus visible dans la deuxième moitié du XIXe siècle. À celles-ci s’ajoutent les associations et les organismes charitables issus de la société civile au niveau local ainsi que les organismes mis en place par l’église catholique dès la fin du XIXe siècle qui entendent former, placer et garder les migrantes19. Nouvelles figures, spécialisées, de la médiation entre migrantes et marché du travail, elles sont souvent très visibles dans les média de l’époque mais l’efficacité de leur action ne va pas, cependant, de soi. Comme le souligne Caroline Douki pour le cas des migrantes italiennes, la multiplication de référents crée une situation de concurrence, qui ne débouche pas forcement sur des formes institutionnelles permettant la protection durables de la santé des travailleuses ou l’amélioration des conditions de travail ou de vie des jeunes migrantes dont elles sont censés suivre les destins. Une telle configuration là encore n’est pas unique et découle du fait que tant la définition des normes de la féminité que les allégeances des migrantes constituent un enjeu pour des acteurs nombreux et parfois antagonistes20, qui tendent à faire des femmes « (…) des 19 SANFILIPPO Matteo L'affermazione del cattolicesimo nel nord America. Elite, emigranti e chiesa cattolica negli Stati Uniti e in Canada (1750-1920), Sette Città, 2003.

20 Dans le Canada de l’entre-deux-guerres, bureaux consulaires, organisations socialistes finlandaises et syndicats canadiens mettent en place des bureaux de placement destinés aux domestiques finlandaises qui se

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symboles de l’identité nationale (…) en même temps que les gardiennes des frontières nationales ethniques et raciales21 ».

Dans le cas des domestiques hongroises immigrées à Bruxelles dans la première moitiés su XXe siècle analysé par Vera Hajto c’est la conjonction des intérêts de multiples acteurs qui permet la naissance d’une forme institutionnelle pérenne et appréciée de nombre de migrantes. Le cercle de Sainte Marguerite, une association créée en 1936 afin de rassembler les domestiques hongroises, représente à la fois un lieu de sociabilité, le moyen pour les migrantes d’élaborer collectivement des normes de conduites adaptées à leur situation et un point de repère pour les employeurs à la recherche de garanties sur la moralité de leurs employées de maison. Mais l’association est aussi l’expression de la volonté de préserver l’identité nationale de ses migrantes de la part d’un gouvernement hongrois nationaliste qui n’hésite pas à payer les assistantes sociales chargées de l’accueil et l’assistance aux migrantes.

Le fonctionnement, à la charnière entre public et privé, de ces institutions s’adressant explicitement à des populations féminines, permet de percevoir la volonté de contrôler la sexualité des migrantes que partagent nombre d’acteurs appartenant à la société d’accueil, ou bien émanant du pays d’origine. Dans le cas de l’association Sainte-Marguerite, la concurrence entre les diverses instances censées protéger les migrantes se fait coopération et les migrantes y trouvent à leur tour leur compte.

Demeurent cependant peu visibles les plus rétives à l’embrigadement national-religieux. Les résistances, qui se matérialisent par des formes spontanées d’auto-organisation, sont moins documentées, bien que nous en

livrent une rude concurrence, voir LINDSTRÔM BEST Varpu, Defiant Sisters. A Social History of Finnish Immigrant Women in Canada, Multicultural History Society of Ontario, 1988.

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percevions quelques échos dans le travail consacré aux domestiques luxembourgeoises travaillant à Paris étudiées par C. Muller.

Ces résistances sont plus marquée lorsque l’encadrement de la main d’œuvre s’accompagne du contrôle du logement. Plus contraignants que les associations caritatives ou de secours mutuels, les internats étudiés par Caroline Douki, sont l’expression d’une part d’une gestion paternaliste visant à stabiliser et à encadrer la main d’œuvre migrante, de l’autre des actions de protection "à distance" mises en œuvre par les communautés villageoises d'origine et l'Etat italien. Volonté des acteurs de veiller à leurs intérêts économiques et vigilance morale se superposent dans l’organisation de la vie en dehors du travail, typique de certaines activités industrielles, notamment dans le textile, dont la main-d’œuvre est pour certaines tâches majoritairement composée de jeunes femmes migrantes le plus souvent célibataires.

De même que nous percevons peu les formes de résistance à l’encadrement proposé, il est difficile de rendre compte, à la lumière des études rassemblées ici, de la distribution dans le temps et l’espace, selon les groupes aussi, des différentes formes institutionnelles que nous rencontrons. Si ne résiste guère à l’analyse l’idée, parfois avancée, que le développement d’institutions spécialisées dans le placement sur le marché du travail des migrantes, et plus particulièrement des migrantes, est chose nouvelle, il n’en demeure pas moins que la période contemporaine possède des traits propres – en particulier la forte tendance à la criminalisation de ces activités, qui n’épargne pas toujours les associations d’aide aux migrants – et que selon le lieu, le moment, la population étudiée, nous rencontrons plus ou moins fréquemment tel ou tel type d’institution. Il ne semble guère possible cependant de faire plus pour organiser cette diversité que souligner quelques associations fréquentes ou mettre en

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lumière l’importance de quelques facteurs.

Ce que les étude rassemblées nous permettent ainsi d’observer est que le développement des institutions à but économique (agents patronaux ou bureaux de placement) s’opère à des moments particuliers, d'extrême ment faible, ou inversement de très forte, réglementation des flux migratoires et du marché du travail, tout particulièrement dans le cas de l’émigration féminine. En même temps, et parallèlement, fleurissent des institutions d’entraide ou assistance dont l’impact sur les conditions de travail ne va pas forcement de soit, mais qui créent indéniablement une configuration institutionnelle complexe, fournissant une source alternative et complémentaires de soutien aux traditionnels réseaux familiaux, sans forcement les remplacer. De même, quoique la règle souffre les exceptions, la grande industrie semble encline à organiser ses propres services de recrutement (L. Guerry nous en donne des exemples pour Marseille) alors que le travail domestique permet, depuis longtemps, aux intermédiaires privés de prospérer et aux associations catholiques de fleurir. Les organisations catholiques sont ainsi très présentes auprès des jeunes migrantes catholiques entrant en condition – qui longtemps en Europe de l’Ouest constituent la très grande majorité des migrantes - qu’elles travaillent à Paris ou en Belgique et viennent du Luxembourg ou de Hongrie et un même constat pourrait être fait dans bien d’autres contextes22.

L’étude menée par Francesca. Sirna, et les figures de médiatrice qu’elle nous donne à voir conduisent à une autre question, ouverte elle aussi : celle de la place des femmes, et particulièrement des migrantes, au sein des différentes instances de médiation. Là encore les situations observées sont extrêmement diverses et fonction en partie des ressources et des compétences détenues par les

22 Voir par exemple, VERSTEEG Pien, « Une manière de s’en sortir. Les réseaux des femmes polonaises aux Etats-Unis et en Allemagne, 1890-1940 », in RYGIEL Philippe, LILLO Natacha (dir.), Rapports sociaux de sexe …, op cit.

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migrantes, dont certaines sont objet d’un contrôle patronal aussi bien que masculin (Guerry et Douki), dont d’autres entrent en rapport avec des institutions spécifiquement destinées à des femmes et tenues par des femmes. C’est souvent le cas des institutions religieuses spécialisées dans la protection des femmes migrantes, fréquemment confiées à des religieuses, telles les sœurs de Sainte-Zitte. D’autres participent à l’activité de réseaux plus ou moins informels, tels ceux qui amènent les jeunes Luxembourgeoises à Paris et qui sont souvent des réseaux féminins, comparables en leur fonctionnement à bien d’autres réseaux facilitant l’emploi de domestiques migrantes tels ceux mis en place par les domestiques irlandaises tentant l’aventure américaine au XIXe siècle qui permettaient à des « femmes de faire venir d’autres femmes, leurs sœurs, leurs nièces, leurs cousines23 ». Des travaux récents prêtant attention aux

médiations permettant des migrations féminines autonomes font de la participation des migrantes aux institutions permettant leur placement sur le marché du travail, voire du contrôle de celles-ci par celles-là, la condition d’une autonomie professionnelle se traduisant dans la sphère familiale par une capacité de négociation accrue24. Si nous ne pouvons guère le vérifier ici, ces enquêtes attirent à bon droit l’attention sur le fait que le pouvoir au sein des institutions que nous étudions est inégalement partagé et que part qu’y prennent les migrantes et les migrants en détermine en partie le fonctionnement. Dans la mesure où cela contribue à déterminer les opportunités offertes aux migrants, les contraintes qui pèsent sur eux, les ressources auxquelles ils peuvent accéder et la distribution de celles-ci selon le genre, que les institutions assurant le placement des migrants soient ou non porteuses de normes de genre explicites, elles contribuent à la production du genre des migrantes, de même d’ailleurs qu’à la masculinisation des migrants dont il faut souhaiter que soit un jour entreprise l’étude.

23 DINER Hasia R., Erin’s Daugthers in America. Irish Immigrant women in the nineteenth century , Baltimpre, The John Hopkins University Press, 1983, p . 37.

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