• Aucun résultat trouvé

La coordination nationale pour le changement et la démocratie algérienne et la réveil arabe: griefs, resources et opportunité

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "La coordination nationale pour le changement et la démocratie algérienne et la réveil arabe: griefs, resources et opportunité"

Copied!
153
0
0

Texte intégral

(1)

LA COORDINATION NATIONALE POUR LE CHANGEMENT ET LA DÉMOCRATIE ALGÉRIENNE ET LE RÉVEIL ARABE: GRIEFS,

RESSOURCES ET OPPORTUNITÉ

Islam Amine Derradji Département de science politique

Université McGill, Montréal

Juillet 2012

Mémoire présenté à l’université McGill en vue de l’obtention du grade de maîtrise ès arts © Derradji, 2012

(2)
(3)

TABLE DES MATIÈRES EXTRAIT………...………..………….ii REMERCIEMENTS………...iii INTRODUCTION………..………..1 1. PERSPECTIVES THÉORIQUES 1.1 Revue de littérature………...10 1.2 Cadre d’analyse……….………17 1.3 Les données………..……….23 2. LES RAISONS DE LA COLÈRE 2.1 Régularité des émeutes et récurrence des griefs……….……..29

2.2 L’émergence des griefs……….………....33

2.3 La persistance des griefs……….………..49

2.4 L’importance des griefs………..………...75

2.5 Synthèse du chapitre………..…………78

3. LA MONTÉE DES RÉSISTANCES 3.1 L’explosion de la société civile?...82

3.2 Un réseau associatif entre instrumentalisation, cooptation et résistance………....…..89

3.3 Synthèse du chapitre……….…..102 4. ET S’IL SUFFISAIT D’UN SIGNE? 4.1 L’intermédiation médiatique……….………106 4.2 L’opportunité politique……….…….116 4.3 Synthèse du chapitre……….…….129 CONCLUSION……….………….131 BIBLIOGRAPHIE………..………..……...137

(4)

ABSTRACT

This essay examines the conditions leading to the emergence of the National Coordination for Change and Democracy (CNCD), an Algerian social movement that followed the riots of January 2011. It posits that the movement is the result of three necessary variables. Grievances that are the reasons of collective action and justify its validity. A civil society that politicises the grievances and articulates the movement in order to call for a counter-hegemonic demand. An opportunity that precipitates the movement. In this perpective, we argue that the politicisation of protests in Tunisia and the departure of President Ben Ali has led Algerian activits to reimagine the possible. In fact, these events trigger a spike of politicisation in Algeria that signals to civil society activists that the conditions of receptivity of counter-hegemonic demand is set and the momentum favorable to mobilize the population.

EXTRAIT

Ce mémoire examine les conditions d’émergence, de la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD), un mouvement social algérien né dans la foulée des émeutes de janvier 2011. On soutient que le mouvement se constitue à l’aune de trois variables nécessaires à son occurrence. Un ensemble de griefs qui justifient le bien fondé de l’action collective et en sont la raison. Une société civile qui politise les griefs et articule le mouvement pour porter une revendication contre-hégémonique. Enfin, une opportunité politique qui précipite le mouvement. À ce titre, on constate que la politisation croissante des protestations au niveau régional, avec comme point d’orgue la chute du régime de Ben Ali, amène les militants algériens à réinterpréter le champ des possibles et les met devant l’urgence d’agir. Ces évènements se traduisent par un pic de politisation qui leur signale que les conditions de réceptivité et de formulation d’un discours contre-hégémonique sont favorables.

(5)

REMERCIEMENTS

Il m’aurait été impossible de mener à bien ce travail sans le support et la mansuétude de plusieurs personnes auxquelles il convient de témoigner ma gratitude, pour bien d’autres raisons que les règles d’usages.

Mes pensées et mes remerciements vont d’abord à mon superviseur, le professeur Rex Brynen. En plus de l’intérêt qu’il a témoigné à mon travail, il s’est montré d’une incroyable disponibilité et d’une grande générosité. Je ne le remercierai jamais assez d’avoir partagé avec moi toute l’étendue de son savoir, la finesse de ses analyses et la justesse de ses intuitions. Rex Brynen est bien plus qu’un superviseur, c’est le mentor que tout étudiant de cycle supérieur voudrait avoir. Par ailleurs, les professeurs Philipp Oxhorn, Vincent Pouliot et William Clare Roberts ont bien voulu lire et commenter des passages de ce mémoire. La qualité de leur critique n’a fait que bonifier mon analyse et raffermir mon jugement. Enfin, le Prof. Krzysztof Pelc m’a suggéré l’utilisation de données qui ont été inestimables pour étayer certains arguments. Je leur sais tous gré pour leur aide et les remercie vivement.

J’aimerai également remercier les militants de la société civile algérienne qui ont pris le temps de me rencontrer, pour répondre à mes questions. Leur courage et leur dévouement sont une source constante d’admiration et d’émulation. Leurs témoignages ont été d’un renfort précieux. Ils éclairent et informent ce mémoire, bien qu’il demeure le fruit d’une interprétation personnelle. Aussi, ses manques, ses erreurs et ses faiblesses sont miens. J’espère malgré tout rendre justice à leur action.

En outre, mes remerciements vont aux membres de ma famille et à mes amis, pour leur patience d’abord et leur support ensuite. Ils n’ont eu de cesse de m’écouter et de m’encourager: Asma, Christopher, Hamza, Hélène, Ilyas, Kedra, Laurene, Merouan, Mimi, Momoh, Mourad, Narrimane, Nassim et Nassim, Sarah.

Je dédie enfin ce mémoire à mes parents, mon petit frère, mes grands-parents et Tata Tout Court.

(6)

INTRODUCTION

Le 21 janvier 2011, les Algériens découvrent la Coordination nationale pour le changement et la démocratie. La CNCD est une coalition formée de la Ligue algérienne des droits de l’homme (LADDH), de syndicats autonomes (Snapap, Satef, Cnes, Cla), d’organisations de jeunes (Algérie pacifique, Mouvement des jeunes Algériens) et d’associations diverses telles que SOS disparus ou encore le Collectif national pour la défense des droits des chômeurs (CNDDC).1 À peine créée, elle invite « tous les Algériens : jeunes, étudiants, femmes, chômeurs, retraités, travailleurs, cadres… à participer massivement à une marche pacifique » pour réclamer le « départ du système» et un « changement de régime ».2

Maître Ali Yahia Abdenour3, souligne que : « l’Algérie vit dans un gangstérisme politique et

qu’il n’y a pas de séparation des pouvoirs », avant de relever que « pour le moment, nous vivons sous le joug d’une dictature. Nous sommes des sujets et non pas des citoyens ».4 La CNCD appelle donc de ses vœux une transformation profonde des structures du régime algérien et entend y parvenir en organisant des marches, pourtant interdites par les autorités publiques. Le 12 février, 3000 personnes sont réunies autour de la place du Premier mai à Alger.5 Si la mobilisation est incomparable à celles de Tunis ou du Caire, les membres de la CNCD n’en sont pas moins optimistes. Abdelmoumen Khelil6 estime que : « La manifestation

est déjà un succès : le fait d’avoir suscité une mobilisation, la vivacité du débat public, constituent déjà une victoire ». Fodil Boumala7 note un changement de dynamique et constate

que : « La Coordination réunit des gens qui n’ont pas l’habitude de parler ensemble ».

La CNCD apparait résolument comme un mouvement social, dès lors qu’on en accepte la définition proposée par Charles Tilly et Sidney Tarrow. Ces derniers parlent « d’une campagne durable de revendications qui fait usage de représentations répétées pour se faire connaitre du plus large public et qui prend appuie sur des organisations, des réseaux, des

1

Initialement, la coordination était également composée de trois partis politiques, mais la CNCD s’est scindée en deux le 22 février. Dans le cadre de ce travail, nous nous intéressons spécifiquement à la tendance société civile, laquelle a pris le nom de CNCD Barakat.

2

Dernières nouvelles d’Algérie, « Ali Yahia Abdenour, nous voulons le changement du système et non dans le système », 28 février 2011, En ligne : http://www.dna-algerie.com/interieure/ali-yahia-abdenour-nous-voulons-le-changement-du-systeme-et-non-dans-le-systeme-2

3

Un des représentants de la CNCD et président d’honneur de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LAADH).

4

Ibid.

5 Chiffre avancé par les organisateurs. 6

Le secrétaire de la Ligue Algerienne de Defense des Droits de l’Homme (LADDH).

7

(7)

traditions et des solidarités ».8Dès lors, comment peut-on expliquer l’apparition d’un tel mouvement9?

Maître Mustapha Bouchachi10 soutient que la coordination émerge en réponse aux

émeutes de janvier 2011,11 lesquelles avaient embrasé le pays et conduits à l’arrestation de

milliers de jeunes par les autorités. Il s’agissait alors, pour les militants de la société civile, d’articuler les revendications de ces jeunes et de leur donner un contenu politique, de sorte que leurs actions ne restent pas vaines.12 Ce faisant, dans la mesure où des révoltes, des

protestations et des émeutes ponctuent le quotidien des Algériens depuis plusieurs années, on pourrait avancer que son avènement était devenu inévitable. Ce mouvement aurait émergé tôt ou tard, en réponse au malaise et à la frustration de pans entiers de la société algérienne. Une société qui a enduré d’innombrables épreuves au cours des dernières années.

En 1988, l’Algérie se lance déjà dans une transition démocratique. Le régime est alors usé, gangréné par la corruption et le népotisme. L’indépendance, arrachée à la France en 1962, après une guerre de libération nationale de sept ans, n’a pas tenue ses promesses. L’armée s’était emparée du pouvoir pour construire un État de droit, capable de mettre le pays sur les rails du développement et rendre aux colonisés leurs dignités. Elle avait fait du Front de libération nationale (FLN), le parti unique, mais avait assuré qu’il s’agissait d’un parti d’avant garde qui se ferait l’écho de la volonté populaire et serait le représentant fidèle de ses aspirations légitimes. Néanmoins, au tournant des années 1980, le modèle de développement algérien échoue et les griefs à l’égard du régime se multiplient. À son incapacité à répondre aux besoins les plus pressants de la population, s’ajoute la corruption d’une partie de ses élites. Les désillusions sont grandes et des milliers de jeunes sortent dans les principales villes du pays pour y déverser leur colère contre tout ce qui symbolise l’État. Leur révolte est toutefois réprimée dans le sang par l’armée nationale populaire (ANP). Cet acte finit par délégitimer le régime qui consent à organiser une transition démocratique.13 Une nouvelle

constitution est adoptée le 23 février 1989, elle prévoit le multipartisme, la liberté

8

Tarrow Sidney et Charles Tilly, Politiques du conflit de la grève à la révolution (Paris : Les Presses de SciencesPo, 2008), 27.

9

Ce mémoire ne traite pas du développement du mouvement, de sa dynamique, de ses dissensions, des stratégies du régime pour le contrer ou des résultats qu’il a obtenus. Étant donné que le mouvement était toujours en cours au moment de la rédaction du projet de mémoire, nous nous penchons exclusivement sur les conditions qui en ont favorisé l’émergence.

10

Président de la Ligue algérienne de Défense des Droits de l’Homme et porte parole de la CNCD.

11 Les émeutes sont consécutives à l’augmentation du prix des denrées alimentaires. 12

Daikha Dridi, « CNCD, pouvoir, agenda du changement, maître Bouchachi s’explique sur tout ». Maghreb émergent (9 mars 2011). En ligne: http://www.maghrebemergent.info/actualite/maghrebine/2516-cncd-pouvoir-agenda-du-changement-me-bouchachi-sexplique-sur-tout.html (page consultée le 7 avril 2011).

13

À vrai dire, cette transition résulte autant de pressions exercées par la population que de divisions au sein du régime entre réformateurs et conservateurs.

(8)

d’association et d’expression. Plusieurs partis voient le jour et des élections sont programmées dans la foulée.

Néanmoins, le processus dérape après que le FIS (Front islamique du salut) se soit affirmé comme le principal prétendant au pouvoir. L’armée décide alors d’interrompre le processus électoral pour prévenir la victoire d’un parti islamiste dont on considère qu’il est une menace aux fondements de la République. Dans ces conditions, les membres du FIS montent au maquis pour défendre leurs acquis électoraux. L’Algérie sombre dans la guerre civile.

Le régime parvient toutefois à résister et les islamistes signent une trêve en 1997, avant de déposer les armes en 1999. Le président Abdelaziz Bouteflika arrive au pouvoir avec pour mandat de parachever le retour à la normalité, de consolider la paix et de répondre aux demandes sociales de la population. Néanmoins, aucune concession n’est faite en matière de démocratisation. Certains opposants politiques, à l’instar de la féministe Khalida Messaoudi, sont cooptés et entrent au gouvernement.14 La constitution est même révisée en 2008 pour

supprimer la limitation du nombre de mandats présidentiels.15 Se dessine alors une démocratie

de façade, derrière laquelle le système se maintient et se perpétue. L’ère Bouteflika est en outre marquée par plusieurs crises. En 2001, des émeutes éclatent en Kabylie et Bruno Étienne observe que : « L’Algérie est au bord de l’insurrection ».16 Idem en 2008, où on enregistre une vague d’émeutes dans plusieurs villes et régions du pays. À Oran, à Berriane, à Chlef et à El Harrach en banlieue d’Alger, des milliers de jeunes sortent dans les rues. Ils bloquent des routes, brulent des pneus et déracinent des poteaux électriques.17 Le Quotidien d’Oran constate que: « ce qui se passe dans notre pays est la remise en cause d’un système qui a dépossédé le peuple de son État, le privant du droit de citoyenneté. Ses désillusions sont amers et la colère à fleur de peau ».18 Les motifs de mécontentement sont donc innombrables et

l’émeute s’inscrit progressivement dans le quotidien du vécu algérien.

14

Algeria-Watch, «Biographie des nouveaux membres du gouvernement». En ligne http://www.algeria-watch.org/farticle/elections_02/biographies_el_moudjahid.htm

15

Libération, « Algérie, le projet de révision constitutionnelle a été adoptés ». Le 12 novembre 2008 En ligne, http://www.liberation.fr/monde/0101265534-algerie-le-projet-de-revision-constitutionnelle-a-ete-adopte

16 Blecher Ludovis, «L’Algérie est au bord de l’insurrection». Le 14 juin 2001. En ligne,

http://www.algeria-watch.org/farticle/kabylie/insurrection.htmle

17

Bertho Alain, « Émeutes à Oran mai 2008 ». Le 27 mai 2008 En ligne, http://berthoalain.wordpress.com/2008/05/27/emeutes-a-oran-mai-2008/

18

Stora Benjamin, «Émeutes de la jeunesse à Oran ». Le 6 juin 2008 En ligne,

(9)

Néanmoins, si des griefs sont nécessaires pour justifier le mouvement, ils n’en sont pas une condition suffisante d’occurrence. Ces griefs sont les raisons qui fondent l’action collective et lui donnent un sens, mais comme le souligne Theda Skocpol, les « considérer comme le signe indubitable d’une révolution imminente, c’est exposer le chercheur à un flux constant d’alarmes, pour la plupart fausses »19. La raison en est simple. Les griefs et les émeutes sont communs en Algérie, le mouvement pour le changement et la démocratie est contingent.

À bien y regarder, la CNCD n’aurait pas vu le jour, sans l’existence d’un réseau d’activistes, de militants et d’opposants qui puissent diagnostiquer le malaise social, politiser les griefs dont les émeutes sont porteuses et articuler le mouvement. La forme qu’a prise la coordination de même que la nature de sa revendication ont été tributaires de l’existence d’une certaine société civile à la fois autonome vis-à-vis du régime et critique à son égard. Celle-ci existe toutefois depuis les années 1990. Elle est née à la faveur de l’ouverture politique et active avec détermination, depuis, pour améliorer la condition des Algériens. Elle peut être considérée comme une seconde condition nécessaire de l’émergence de la CNCD, mais elle n’en est pas une condition suffisante, du fait de l’antériorité de son existence. Dès lors, comment expliquer que le mouvement n’ait pas pris forme plus tôt si les griefs qui le justifient et les élites qui le portent préexistent aux événements de janvier? Pourquoi les membres de la société civile, qui s’étaient jusque-là limités à faires des gains ciblés vis-à-vis du régime, ont-ils décidé de se réunir pour porter une revendication de nature contre-hégémonique20

réclamant expressément le « départ du système », le « changement » et la démocratie?

L’argument que nous soutenons est que la CNCD voit le jour à l’aune d’une contingence régionale. Celle-ci est marquée par la politisation croissante des actes protestataires en Tunisie, avec comme point d’orgue le départ du président Ben Ali. La singularité de ces évènements a amené les militants de la société civile à réinterpréter le champ des possibles et les a mis devant l’urgence d’agir. En plus des griefs (V1) et des

ressources (V2), l’émergence de ce mouvement s’explique donc de manière nécessaire par

l’ouverture d’une fenêtre d’opportunité politique (V3).

19

Timur Kuran, “Now out of Never : The Element of Surprise in the East European Revolution 1989”World Politics Vol. 44, No. 1 (Oct., 1991),16.

20

Au sens défini par Adam Przeworski, c'est-à-dire de projet collectif pour un avenir alternatif. Voir: Adam Przeworski, Democracy and

(10)

Pourquoi étudier l’Algérie?

L’avènement de la CNCD nous donne donc l’occasion de réinvestir le concept d’opportunité politique, désormais incontournable dans l’analyse des mouvements sociaux. En effet, un mouvement émergerait dès lors qu’une opportunité se présenterait aux agents et signalerait la faisabilité ou la profitabilité de l’action collective. Dans un ouvrage récent, Tarrow et Tilly parlent de structure d’opportunité politique et la définissent en fonction de cinq critères : « la multiplicité des centres autonomes de pouvoir, son degré d’ouverture à de nouveaux acteurs, l’instabilité des alignements politiques du jour, l’existence d’éventuels alliés de poids pour les contestataires, la mesure dans laquelle le régime réprime ou au contraire facilite la revendication collective, des changements importants intervenants dans les cinq domaines ci-dessus ».21 Ces changements affecteraient ainsi le degré d’ouverture de la

structure d’opportunité, laquelle faciliterait ou contraindrait l’émergence d’un mouvement social. Cette définition a toutefois fait l’objet de vives critiques. Les tenants de l’approche dite culturaliste y voient un biais « structuraliste et objectiviste »22 et soulignent le caractère

socialement construit d’une opportunité.

Appliquée au cas algérien, cette critique n’est pas dénuée d’intérêt. En effet, si nous reprenons les critères dégagés par Tilly et Tarrow, force est de constater qu’il n’y a pas eu de changement majeur de la structure d’opportunité politique. Le système est certes plus ouvert, mais cette ouverture a eu lieu en 1989. Elle explique l’émergence d’un réseau associatif et syndical au cours des années 1990, mais pas sa coalition récente dans la CNCD. On peut également penser que plusieurs réalignements politiques ont été opérés au cours des dernières années, du fait de la disparition d’acteurs politiques importants ou encore de la rivalité qu’on prête au président et au chef des services de renseignements algériens23. Cela dit, la situation

n’est pas plus instable au mois de janvier 2011 qu’elle ne l’était au mois d’Avril 2004. En effet, à l’occasion des élections présidentielles, le premier ministre sortant, Ali Benflis, bénéfice du soutien d’acteur influents tel que le général Mohamed Lamari. Il se présente donc comme le challenger du président Bouteflika. Cette situation se traduit par plusieurs réalignements politique avec, au final, le «départ à la retraite» du général Lamari et l’éviction

21

Tarrow Sidney et Charles Tilly, Politiques du conflit de la grève à la révolution (Paris : Les Presses de SciencesPo, 2008),106.

22

Jeff Goodwin, James M Jasper et Jaswin. «Caught in a Winding, Snarling Vine: The Structural Bias of Political Process Theory »

Sociological Forum, Vol. 14, No. 1. (Mar., 1999). 23

Mohammed Hchemaoui, « permanence du jeu politique en Algérie », Politique Étrangère (2009). En ligne : http://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2009-2-page-309.htm (page consultée le 7 août 2011).

(11)

du premier ministre. En bref, si l’instabilité de 2004 n’a pas abouti à l’émergence de ce mouvement, on ne peut que s’étonner que la relative stabilité de 2011 y aboutisse. Enfin, on pourrait penser que les discours du président Obama, en faveur des mouvements arabes, ont signalé à l’opposition le soutien des États-Unis et l’existence éventuelle d’un allié de poids. Toutefois, si on prête attention à la chronologie des évènements, force est de constater que la première déclaration américaine au sujet de l’Algérie intervient un mois après la création de la CNCD. Initialement, la Maison blanche faisait montre de prudence et de circonspection. En bref, aucun changement n’a affecté la structure d’opportunité politique telle que définie par Tarrow et Tilly. Pourtant, la CNCD a bel et bien émergé. Pourquoi?

Il nous apparait que la tournure des évènements au niveau régional contribue à l’ouverture de cette fenêtre d’opportunité. Celle-ci est marquée par la fuite du président Ben Ali et le renversement historique d’un régime arabe. Cet évènement va extirper les militants algériens de leur neutralité ontologique initiale et les pousser à penser le changement et ré-imaginer le possible. L’opportunité n’est donc pas objective et structurellement déterminée par le degré d’ouverture du régime, mais intersubjective, socialement construite et découle, en partie, d’une libération cognitive.24 Toutefois, comme le soulignent Meyer et Minkoff, la

littérature n’a pas suffisamment abordé les mécanismes par lesquels une opportunité politique se traduit en action collective. Ils notent également le manque de clarté des chercheurs sur les relations entre structure et agence.25 Bien que ce travail s’efforce d’établir l’importance

respective des griefs et des ressources dans l’émergence du mouvement, l’intérêt de notre recherche est de retracer le processus par lequel un changement structurel intervenu à l’échelle régionale va se traduire en opportunité politique au niveau local.

Méthodologie

Notre démarche est double. Nous procédons d’abord à une analyse diachronique par méthode des différences. Cette démarche consiste à comparer un même objet à travers le temps. Notre unité géographique demeure inchangée (Algérie), mais elle est étudiée à différentes périodes. Concrètement, nous comparons l’Algérie de 2011 à celle de 199926à

2010. On constate la permanence des mêmes griefs populaires qui s’expriment violement par

24

Doug McAdam, Political Process and the Development of the black insurgency, 1930-1970, (Chicago: University of Chicago Press, 1999).

25

David S. Meyer et Debra Minkoff. “Conceptualizing Political Opportunity”. Social Forces, Vol 14. N°4 (Juin 2004).

26

(12)

des émeutes. On observe également la présence des mêmes militants et du même réseau associatif. Le seul changement est donc la réponse apportée par les membres de la société civile aux émeutes.27 Ces derniers décident, en 2011, de lancer un mouvement à caractère

contre-hégémonique, revendiquant le changement et la démocratie, alors qu’ils s’étaient jusque là contentés de réclamer au régime le respect des droits des émeutiers. Pourquoi? Le fait est que dans l’Algérie de 2011 s’est construite une opportunité politique. L’analyse diachronique par méthode des différences nous permet ainsi de contrôler deux des variables indépendantes identifiées comme étant nécessaires (griefs et ressources). Dans la mesure où on en constate la permanence dans le temps, on en conclut qu’elles ne sauraient être les causes directes de l’émergence du mouvement. De ce fait, c’est une variation dans la troisième variable (opportunité) qui précipite la création de la CNCD. Comme l’évoque Arend Lijphart, analyser un même pays de manière diachronique est la meilleure façon de maximiser la comparabilité puisque cette démarche offre une solution au problème de contrôle qui peut se poser entre deux unités géographiques.28 Le tableau ci-dessous résume notre raisonnement.

Tableau 1. Analyse par méthode des différences.

Cas Variables indépendantes Variable dépendante

Griefs Ressources Opportunité Mouvement pour le changement Algérie 99-10   × ×

Algérie 11    

Il reste néanmoins à déterminer comment et pourquoi s’est construite cette opportunité. La méthode la mieux indiquée est celle du process-tracing. Le chercheur qui adopte cette démarche dégage l’ensemble des liens et des enchainements causaux qui se combinent ou se juxtaposent pour aboutir à un résultat donné.29 Il s’efforce ensuite de retranscrire ces mécanismes de causes à effets dans une narration cohérente et structurée qui lui permet d’expliquer le cas étudié. Pour Peter Hall, cette méthode est particulièrement « bien adaptée pour tester les théories dans un monde marqué par de multiples interactions, où il est

27

Pour accroite la similarité nous insistons surtout sur la période allant de 2008 à 2011, car la crise économique mondiale a changé les conditions structurelles.

28

Arend Lijphart, “Comparative politics and the Comparative Method.”The American Political Science review, Vol.65 ( sep., 1971), 689.

29

(13)

difficile d’expliquer des résultats à partir de deux ou trois variables indépendantes ».30 De plus, comme l’évoquent Alexander et Bennett cette méthode peut être heuristiquement très féconde. En générant des variables et hypothèses nouvelles, à partir d’études de cas déviants, elle peut nuancer et informer une théorie dominante.31Le cas de la CNCD nous apparait

précisément comme un cas déviant par rapport au modèle de Tilly et Tarrow. Nous espérons ainsi contribuer au débat sur le concept d’opportunité politique et sur les mécanismes de diffusion des mouvements sociaux, en appliquant la méthode du process tracing au cas de la CNCD.

Plan du mémoire

Le mémoire est divisé en cinq chapitres. Le chapitre 1 présente une revue de la littérature. Sur la base de cette littérature, nous justifions le choix de nos variables indépendantes, avant de proposer un cadre d’analyse qui les articule. Enfin, nous présentons les données pour le tester.

Le chapitre 2 traite des griefs. On détermine l’importance de cette première variable dans l’émergence du mouvement, tout en indiquant qu’elle ne saurait être considérée comme la condition suffisante de son occurrence. Le chapitre se penche sur la relation qui s’établit entre État, élites, et société en Algérie. On constate que le régime algérien génère un certain nombre de griefs dès lors qu’il ne répond pas aux attentes de la population et aux objectifs qu’il s’est lui-même fixé. Ces griefs sont toutefois d’ordre socio-économique. Les émeutiers exigent des autorités qu’elles prennent en charge leurs besoins en matière de logement, d’emploi ou de disponibilité des commodités. Ils expriment le besoin d’une meilleure répartition des ressources collectives et d’une plus grande justice. Les émeutiers réclament donc la prise en charge de leurs griefs, mais ne proposent aucune alternative au statu quo. C’est les membres de la société civile qui donnent un contenu politique aux émeutes et réclament expressément la démocratie. Ainsi, les griefs sont des conditions nécessaires. Il s’agit des raisons qui justifient le bien fondé de l’action collective, mais le mouvement n’aurait pu émerger sans l’existence d’associations qui puissent penser et avancer l’option contre-hégémonique.

30

Hall, Peter A, “Aligning Ontology and Methodology in Comparative Politics”, paper presented at the Annual Meeting of the American Political Science Association in Washington DC. September 2000, p14-18.

31

Alexander, L. George et Bennett Andrew. Case studies and theory development in the social sciences. (London: MIT Press, 2005), 209.

(14)

Le chapitre 3 traite donc du fait associatif en Algérie. On établit l’importance de cette variable tout en soulignant elle n’est pas une condition suffisante de l’émergence du mouvement. On observe qu’un réseau associatif émerge à la faveur de la libéralisation politique de 1990, mais que la société civile est très limitée. De plus, elle éprouve la plus grande des difficultés à mobiliser la population pour l’État de droit. Le militant se heurte à l’indifférence de ses concitoyens pour sa cause et leur scepticisme quant à la possibilité d’obtenir un réel changement. Dans l’absence d’appuis suffisants, la société civile perd toute prétention à se constituer en force contre-hégémonique et cesse de représenter une menace pour le régime. Elle se contente alors de gains ciblés (défense des droits de l’homme ou des droits syndicaux des travailleurs). Dès lors, la variable ressource ou société civile est nécessaire, car elle œuvre à la politisation des griefs, mais non suffisante, car elle ne le fait pas systématiquement. Toute la question est donc de savoir à quelle condition cela est-il fait.

Le chapitre 4 traite de l’opportunité politique et retrace le processus par lequel un changement structurel en Tunisie en a favorisé l’ouverture en Algérie. On constate que la politisation croissante des protestations tunisiennes et leur succès historique vont se traduire par un pic de politisation en Algérie. Cette re-politisation subite signale aux militants du réseau associatif que les conditions de réceptivité d’un discours, contre-hégémonique, pour la démocratie et le changement, sont posées. Autrement dit, les militants sentent que le moment et plus que jamais favorable pour mobiliser une population jadis réticente à défendre leur cause ou sceptique quant à ses chances de succès. C’est donc la perception qu’il est désormais possible de mobiliser la population qui précipite le mouvement. En bref, les évènements amènent les membres de la société civile à ré-imaginer le possible et les mettent devant l’urgence d’agir, l’urgence d’emboiter le pas du mouvement régional.

Le chapitre 5 conclut le mémoire et en dégage les contributions empiriques et théoriques.

(15)

CHAPITRE 1: PERSPECTIVES THÉORIQUES

1.1 Revue de littérature

Pourquoi s’engage-t-on? Pourquoi se rebelle-t-on et se mobilise-t-on? Ces questions ont animé d’innombrables débats au sein de la science politique, de la sociologie et de la psychosociologie.

La théorie du comportement collectif

Les premières théories à s’être penchées sur la question sont celles du comportement collectif (collective Behaviour). Ces théories empruntent leurs cadres d’analyse à la psychologie et à la psychanalyse et réinvestissent les travaux de Gustave Le Bon ou de Georg Simmel. Les auteurs y accordent une attention particulière aux phénomènes d’agitation et d’hystérie collective. Les rassemblements de masse sont perçus comme des phénomènes anomiques et dysfonctionnels répondant à une tension sociale. Les individus qui agissent par mimétisme ne sont mus que par un désir d’extérioriser « des pulsions normalement réprimées »32. Hoffer souligne que « l’objectif de la protestation importe peu, la protestation est elle-même la motivation ».33 Les auteurs insistent également sur l’importance d’un chef

charismatique qui excite les foules. Souvent démagogue, celui-ci devient l’objet d’une idolâtrie, d’une adoration et se trouve paré d’un certain mysticisme. Ces théories ont toutefois fait l’objet de plusieurs critiques. D’une part, on a reproché aux auteurs de projeter sur les foules leurs propres angoisses et appréhensions et de délégitimer ainsi toute revendication que pouvaient avoir les protestataires.34 D’autre part, ces théories ont fait l’objet d’un démenti

empirique. Keniston montre par exemple que les chefs de groupes étudiants américains sont psychologiquement « aussi équilibrés que la plupart de leurs collègues les moins actifs ».35 Parkin constate quant à lui que la plupart des militants pour le désarmement nucléaire en Grande-Bretagne, dans les années 1960, sont membres de forums et organisations politiques et sociales diverses. Leur action n’est en rien irrationnelle et doit aboutir à un objectif précis.36

Théories des privations relatives

32 Cefai, Daniel. Pourquoi se mobilise-t-on ?(Paris : La découverte, 2007)p56. 33

Cefai, Daniel. Pourquoi se mobilise-t-on ?(Paris : La découverte, 2007)p60.

34

Meyer, David S. «Protest and Political Opportunities ». Annual Review of Sociology 30 (2004) p126.

35 Keniston K. Young Radicals. (New York: Harcourt Brace, 1968). 36

Parkin F. Middle-Class Radicalism: The Social Bases of the British Campaign for Nuclear Disarmament. (Manchester: Manchester Univ. Press, 1968)

(16)

En réaction aux théories du comportement collectif, qui tendent à évacuer les motivations profondes des individus, s’est constitué un noyau de recherche autour de l’idée de « revolutions of rising expectations ». En effet, James C. Davies constate l’éruption récurrente de soulèvements populaires, après qu’une période faste de croissance économique ait cédé la place à une période plus morose de stagnation ou de récession. Il en déduit que la période marquée par une croissance soutenue a généré au sein de la population de nouveaux besoins. Or, au moment où l’économie connait un ralentissement, l’État ne parvient plus à combler les attentes de sa population. Il en résulte un écart insupportable entre ce que les individus veulent et ce qu’ils obtiennent. Cet écart que James C. Davies illustre par une courbe en J, explique les mouvements révolutionnaires.37

Néanmoins, on a reproché à cette théorie de ne considérer que la dimension économique de ces déterminants révolutionnaires. C’est ainsi qu’a été développé le concept plus large de « privation relative ». Schaefer le définit comme : « la prise de conscience d’un écart négatif entre des attentes légitimes et des réalités présentes ».38 Il s’agit d’un écart entre

des aspirations et les conditions objectives de leur réalisation. Entre ce qu’on perçoit comme un dû et ce qu’on a. Or, cette perception est affectée par ce qu’obtiennent d’autres individus au sein de la société. Ces derniers participent à définir ce qu’on est en doit d’attendre et d’espérer.39 Pour Robert Ted Gurr, c’est des changements d’intensité dans les privatisations

relatives qui expliquent l’émergence de mouvements protestataires.

Toutefois, cette théorie n’a pas échappé à la critique. Abeles40 et McPhail41 ont ainsi

montré qu’il n’y a pas de relation claire entre privatisation relative et soulèvements populaires. Des individus qui se sentent privés d’un dû ne se mobilisent pas pour autant.42De la même manière, après avoir analysé 130 ans d’histoire française, riche en évènements conflictuels et en mobilisations, Snyder et Tilly soulignent que le modèle de Davies et Gurr a un intérêt limité.43 Orum conclut également une étude consacrée au mouvement civique noir aux

États-Unis en indiquant que la théorie des rising expectations ne reçoit aucune validation par ses

37 J-C Davies, “The J-Curve of rising and declining satisfaction as a cause of some great Revolutions and some contained rebellion”

dans., Hugh Davis Graham and Ted Robert Gurr dir, Violence in America: Historical and comparatice perspectives (New-York: Praeger, 1969)

38 Schaefer, Richard T. Racial and Ethnic Groups, (New York: Longmanm, 1998), 76. 39

Serge Guimond, « Les racines de la révolte », Sciences Humaines n°144 (décembre 2003).

40

Ronald P. Abeles, “Relative Deprivation, Rising Expectations and Black militancy”. Journal of Social issues n°32.

41 Clark McPhail, “Civil Disorder and Participation: A critical examination of recent research”. American sociological review 36 (6). 42

Ibid.

43

(17)

données et que « l’interprétation selon laquelle le mouvement pour les droits civiques émerge largement pour exprimer le mécontentement d’une classe moyenne noire qui nourrissait un sentiment de privation relative n’est pas confirmée ».44

Théorie de la mobilisation des ressources

Ces questions pavent la voie aux tenants des théories de la mobilisation des ressources, de l’opportunité politique, et framing process. La première est une réaction directe à la théorie des privations relatives. Pour les tenants de cette approche, un contexte n’est qu’une condition permissive. Il crée un ensemble de potentialités, mais n’explique pas l’émergence d’un mouvement. McCarthy et Zald ouvrent leur réflexion par la question suivante : « si dans toutes les sociétés et à n’importe quelle époque il y a suffisamment de mécontentement pour alimenter des mobilisations, alors comment expliquer que certains groupes se mobilisent à un moment donné et d’autres non? »45 La question du pourquoi de la

mobilisation est alors intimement liée à celle du comment. Celle-ci ne peut exister sans un ensemble de ressources mises à la disposition des agents. Combien même les individus auraient-ils des griefs, encore faut-il qu’ils aient les moyens de se constituer en mouvement. Combien même la privation relative serait-elle intense, encore faut-il détenir les structures organisationnelles permettant de soutenir les revendications sur la durée. Comme le suggèrent Jenkins et Perron « plutôt que de se concentrer sur des fluctuations du niveau de mécontentement pour rendre compte de l’émergence d’une insurrection, il semble plus fructueux de partir du postulat que les griefs sont constants et omniprésents »46. De ce fait,

« c’est le nombre de ressources sociales à la disposition de groupes lésés, mais non organisés qui leur permet de porter des demandes organisées pour le changement ».47 McCarthy et Zald abondent dans le même sens et soutiennent que l’acquisition de nouvelles ressources est une condition sine qua non de l’émergence d’un mouvement. La littérature sur les réseaux vient compléter celle des ressources. Les travaux de Snow et Zurcher ayant montré dès les années 1980 que « la probabilité d’être recruté par un mouvement particulier est largement ».48

44 Doug McAdam, Political Process and the Development of the black insurgency, 1930-1970, (Chicago: University of Chicago Press,

1999), 15.

45

John D.McCarthy et Mayer N. Zald, «Ressource Mobilization and Social Movements: A Partial Theory » The American Journal of

Sociology, 82 (1977) p1215. 46

Doug McAdam, Political Process and the Development of the black insurgency, 1930-1970, (Chicago: University of Chicago Press, 1999), 21.

47 Ibid. 48

McAdam Doug et David A. Snow, «Readings on Social Movements, Origins, Dynamics, and Outcomes». (Oxford: Oxford University Press, 2010),

(18)

Néanmoins, on a reproché à cette théorie de ne pas expliquer ce qui permet aux « groupes lésés » d’accumuler de nouvelles ressources. La littérature s’est donc penchée sur les relations qu’entretient l’État avec ces groupes, sur le processus politique que leurs relations conflictuelles dessinent et sur les opportunités qui s’offrent aux différents agents.

Théorie de l’opportunité politique

Le concept d’opportunité politique voit d’abord le jour sous la plume de Michael Lipsky qui considère déjà en 1970 que « la protestation est largement fonction des changements qui rendent les autorités vulnérables ou réceptives aux demandes d’un groupe particulier ».49 Ce concept est par la suite repris par Peter Eissinger. Il utilise le terme de structure d’opportunité politique pour rendre compte des succès et échecs du mouvement noir dans 43 villes américaines. Les succès sont largement attribuables à une structure « ouverte » et favorable au changement. Autrement dit, une structure dont le « degré d’ouverture permet à certains groupes de gagner un accès au pouvoir ou de manipuler le système politique ».50 Le concept demeure toutefois flou et il faut attendre Charles Tilly pour en avoir une définition plus fine. Tilly parle tout à la fois d’opportunités et de menaces politiques qu’il ne conçoit que dans un rapport à l’État. Lorsque le système politique est totalement ouvert, lorsque l’État agrée les revendications des groupes sociaux et s’efforce de les contenter, la protestation n’a aucune utilité puisqu’il est possible de défendre ses intérêts via des canaux institutionnels. À l’inverse, si le système est totalement fermé, si l’État réprime durement la contestation, les agents craignent de s’engager, car ils s’exposent à une répression sanglante. En d’autres termes, l’ouverture relative du système, indique aux agents la faisabilité, la profitabilité et la nécessité de l’action collective. Tout l’enjeu est alors de déterminer ce qui entraine ces variations. Si McAdam parle des « changements institutionnels et de la disposition idéologique de ceux au pouvoir » ou tout « évènement contribuant à saper leurs calculs et prévisions»,51 Théda Skocpol met en exergue l’effondrement administratif et militaire de

l’État qui a favorisé les révolutions française, russe et chinoise. Finalement, Tilly et Tarrow en viennent à retenir les cinq critères que nous avons mentionnés précédemment.

49

Ibid., 55

50 Ibid 51

McAdam, Doug. Political Process and the Development of Black insurgency 1930-1970 (Chicago: The University of Chicago Press, 1999), 9

(19)

Toutefois, cette définition ne fait pas l’unanimité. Jasper et Goodwin pointent du doigt le biais structurel et objectiviste de la structure d’opportunité politique. Ils soulignent que toute opportunité n’est pas une donnée intangible et objective, mais qu’elle est soumise à interprétation et sujette à perception.52 Toute opportunité est donc socialement et

culturellement construite. Aussi, Chazel remarque « qu’il ne suffit pas que des opportunités soient offertes, encore faut-il qu’elles soient saisies et elles ne peuvent l’être que si au préalable elles n’ont pas été perçues ».53 Kurzman montre par exemple que la révolution

iranienne de 1979 n’émerge pas à la suite d’une ouverture de la structure d’opportunité politique. En fait, « c’est la conviction que l’opposition s’était renforcée et serait plus facilement capable de renverser le régime qui a fait basculer des pans entiers de la société iranienne ».54 Ce concept nous semble toutefois pertinent pour comprendre l’émergence de la

CNDC algérienne. Une partie de notre travail sera d’ailleurs de comprendre le processus qui a conduit à la construction de cette opportunité.

Framing process et redécouverte de l’émotion

Notre revue de littérature serait incomplète sans aborder la théorie du framing process ou « processus de cadrage » discursif. Ce concept voit d’abord le jour en 1974 sous la plume de Goffman. Il entend ainsi montrer que les objets, événements et expériences n’acquièrent de sens qu’à travers un processus interprétatif et discursif. Toute réalité est alors le produit d’une construction culturelle faisant intervenir différents symboles. Ainsi, les griefs nourris par une population n’émergent pas naturellement et automatiquement de conditions objectives.55 Le

quotidien des individus ne devient intelligible qu’une fois cette entreprise de construction de sens a été faite. L’inégalité objective, mesurable et quantifiable ne devient une injustice que lorsqu’elle a été désignée et signifiée ainsi. Lorsqu’une « masse critique de gens ont socialement construit une représentation commune de la situation comme injuste et immorale et non comme malheureuse, mais tolérable ».56 Le concept est ensuite formalisé et appliqué

aux recherches sur les mouvements sociaux par Benford, Snow, Rochford et Worden. Ces- derniers parlent même de frame alignment process pour rendre compte du processus discursif

52 Goodwin Jeff, James M Jasper et Jaswin. «Caught in a Winding, Snarling Vine: The Structural Bias of Political Process Theory » Sociological Forum, Vol. 14, No. 1. (Mar., 1999)

53

Chazel F. Du pouvoir à la contestation (Paris : LGDJ, 2003),124

54 Kurzman C. « Structural Opportunity and Perceived Opportunity in Social Movement Theory: The Iranian Revolution of 1979 »

American Sociological Review No. 61 (1996)

55

Ibid, 317

56

Contamin, Jean-Gabriel, « Cadrages et luttes de sens » in, Olivier Fillieule, Éric Agrikoliansky et Isabelle Sommier dir, Penser les

(20)

par lequel des acteurs donnent sens à leur engagement et le rendent intelligible.57 Ce processus de cadrage revêt en outre trois fonctions : de diagnostic, pronostic et motivation. La première fonction consiste à identifier le problème, la seconde à suggérer des solutions et la troisième à justifier l’action collective.

Enfin, un nombre croissant de travaux se penchent sur le rôle des émotions dans l’émergence d’un mouvement social. Les critiques portées aux théories du comportement collectif ont d’abord débouché sur une négation de l’affect et de l’émotion, voir un oubli de l’individu dans ce qu’il a de subjectif. Néanmoins, Polletta, Goodwin et Jasper ont eu le mérite de souligner la nécessité de ne pas « jeter le bébé avec l’eau du bain »,58 car cette

dimension est importante pour comprendre le passage à l’action. L’espoir, la colère, l’indignation, l’optimisme sont autant de stimulus qui peuvent catalyser une mobilisation. Les changements d’échelle

Au-delà des théories qui traitent de l’émergence des mouvements sociaux, la transnationalisation de ces mouvements amène les chercheurs à se poser la question de leur diffusion. Kurt Weyland note que deux approches se sont développées dans la littérature.59

D’une part, on s’est efforcé de décrire le processus de changement d’échelle que peut connaitre une action locale. McAdam et Tarrow divisent ce processus en quatre mécanismes : l’intermédiation, l’attribution de similitude, l’émulation et l’action coordonnée. L’intermédiation renvoie simplement au fait qu’un intermédiaire est nécessaire pour créer un lien entre des sites. L’attribution de la similitude suppose que « les acteurs doivent se percevoir comme suffisamment similaires pour justifier l’entreprise d’une action analogue ».60

L’émulation implique la reproduction des pratiques observées. Elle est enfin suivie de la coordination des actions.

D’autre part, certains auteurs se sont demandés pourquoi et non pas comment les mouvements se diffusent. Kurt Weyland distingue quatre facteurs récurrents dans la littérature : des pressions externes, un apprentissage rationnel, la promotion de nouvelles

57

David A. Snow, E. Burke Rochford Jr, Steven K., Worden, and Robert D. Benford. « Frame Alignment Process, Micromobilization, and Movement Participation». American Sociological Review 51: 464-81.

58

Jeff Goodwin, James M. Jasper et Francesca Polletta, « The Return of the Repressed : The Fall and Rise of Emotions in Social Movements Theory» Mobilization: An International Journal, 2000 5(1) 65-83.

59 Kurt Weyland, «The Diffusion of Revolution: 1848 in Europe and Latin America». International Organization 63: 391-423. 60

Doug McAdam et Sidney Tarrow, « Scale Shift in Transnational Contention », dans Donatella Della Porta et Sidney Tarrow (eds), Transnational Protest and Global Activism ( Lanham: Ronwan Et Littlefield, 2005) p 128.

(21)

normes et des inférences cognitives. Les deux premiers facteurs sont dits objectifs, les deux seconds subjectifs.

L’argument des pressions externes est partagé par les tenants de la théorie réaliste. Ils soulignent que des États puissants tenteraient de déterminer la nature des régimes politiques d’États plus faibles, en créant une pression sur ces derniers. Celle-ci est exercée en privant lesdits États d’un soutien économique ou en agitant le spectre d’une intervention militaire. Cette pression renforcerait certains acteurs politiques et les pousserait à se mobiliser pour obtenir de nouveaux arrangements politiques.

Le second facteur dit objectif est celui de l’apprentissage rationnel. La théorie du choix rationnel part du postulat que la mobilisation est une entreprise risquée. Le manque d’information et l’incertitude qui pèsent sur les individus devraient les dissuader de passer à l’acte. Le régime tirerait profit de cette asymétrie d’information et « blufferait » l’étendue de sa puissance. Or, une mobilisation qui révèlerait la faiblesse d’un régime envoie un signal positif sur la possibilité de changement. Les individus apprendraient ainsi des expériences contestataires observées ailleurs, tout en améliorant la qualité de l’information à leur disposition. Cela affecterait leurs calculs stratégiques en termes de coûts et de bénéfice de l’action collective et catalyserait la mobilisation.

Le troisième facteur dit subjectif est celui de l’inférence heuristique et repose sur les théories de la psychologie cognitive. Les tenants de cette approche soulignent que les individus sont loin d’être en mesure d’accomplir des actes rationnels. Non seulement sont-ils placés dans une situation d’incertitude constante, mais ils doivent faire face à une somme extraordinaire d’information. Loin de collecter toutes les données nécessaires à la prise de décision, ils ne retiennent que les évènements dont l’impact psychologique est le plus marquant. Ils procèdent ensuite à des inférences sur la base de raccourcis cognitifs. Deux types de raccourcis sont mis en exergue. D’une part, la représentativité, qui découle de la construction de similitudes entre nous et autrui. Ce processus tant à évacuer les informations qui suggèrent des dissemblances. On se reconnait et on se projette en l’autre, en dépit des différences contextuelles qui peuvent exister. D’autre part, les connaissances disponibles ou heuristic availability. Chaque individu a un bagage d’expériences et de connaissances propres. Lorsqu’un évènement se produit, on est tenté d’établir des comparaisons et dégager des similitudes avec des évènements antérieurs qui présentent des ressemblances. On est alors

(22)

amené à éluder les renseignements qui établissent une différence entre ces deux évènements et à se focaliser sur ce qui les rapproche. En somme, l’incapacité d’un individu à traiter toute l’information dont il dispose et sa tendance à l’inférence crée des distorsions entre la réalité objective et sa perception subjective. Ceci amène les agents à prendre des décisions biaisées et à reproduire des actions collectives qui ont été couronnées de succès ailleurs.

Enfin, la dernière approche est celle de la promotion des normes, développée par les auteurs constructivistes. Ils considèrent que des changements de régime se produisent dès lors qu’un ensemble de normes libérales se diffusent du centre vers la périphérie. L’appropriation de ses valeurs par les agents politiques des pays de la périphérie les amèneraient à se mobiliser pour changer de système.

L’approche réaliste ne nous semble pas pertinente puisqu’un pays comme la France a commencé par proposer son « savoir-faire » pour mater l’insurrection. L’approche constructiviste est intéressante, mais ne permet pas d’expliquer le moment exact d’occurrence du mouvement. Enfin, il nous semble que l’approche de l’apprentissage rationnel et celle de l’inférence heuristique ne sont pas mutuellement exclusives et nous tentons de les réconcilier dans le cadre de notre modèle d’analyse.

1.2 Cadre d’analyse

Sur la base de la littérature présentée, nous proposons le modèle suivant pour rendre compte de l’émergence de la CNCD. Comme nous l’avons mentionné précédemment, nous situons cette émergence à la congruence de trois variables indépendamment nécessaires et collectivement suffisantes à son avènement. Un ensemble de griefs qui justifient la mobilisation (1). Des ressources et réseaux de militants et d’activistes qui rendent l’action collective intelligible, articulent le mouvement et portent un projet contre-hégémonique (2). Une fenêtre d’opportunité politique non pas objective, mais intersubjective qui précipite le mouvement (3).

V1 Les Griefs

Nous définissons les griefs comme « des motifs de plainte ou des doléances ».61 Nous

opérationnalisons cette variable en relevant lors de chaque émeute les « doléances » de ceux

61

Larousse, « Grief ». Dictionnaire (2012). En ligne : http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/grief/38198 (page consultée le 25 mai 2012).

(23)

qui y participent. La raison de cette opérationnalisation est simple. Au mois de janvier 2011, maître Bouchachi a expliqué l’émergence de la CNCD par les émeutes qui avaient embrasé le pays au début du mois et les arrestations auxquelles elles ont donné lieu. Il s’agissait alors pour les militants de la société civile d’articuler les demandes des jeunes émeutiers et de porter en leur nom la revendication démocratique. Ces émeutes auraient donc signalé aux militants de la société civile que des griefs populaires devraient être pris en charge. On pourrait donc s’attendre à ce que les mêmes individus réagissent de la même manière aux mêmes signaux. Autrement dit, si nous observons les mêmes évènements contestataires à travers le temps et que ces derniers sont porteurs des mêmes griefs, alors la société civile devrait y réponde de la même manière. Au cas contraire, la variable grief n’est pas une condition suffisante de l’émergence du mouvement. Néanmoins, elle demeure une condition nécessaire puisque les griefs justifient le bien-fondé de l’action collective, lui donne un sens et une raison d’être. Cette variable est donc moins explicative que justificative et rhétorique.

En outre, on constate que ces griefs expriment un profond sentiment de privation relative, soit un écart entre des attentes perçues comme légitimes et une réalité qui n’y répond pas. On l’explique par la nature du système politique algérien et les rapports qui s’établissent entre État, élites et société au lendemain de l’indépendance. En effet, après la guerre de libération nationale, l’armée s’empare du pouvoir et fait du FLN le parti unique. En contrepartie de cette monopolisation du pouvoir, elle promet de construire un État fort capable de relever les défis du développement, de répondre aux aspirations des Algériens en termes d’élévation du niveau de vie et de justice sociale. Pour remplir les objectifs qu’ils se sont eux-mêmes fixés, les élites nationalisent le pétrole et entreprennent des politiques publiques volontaristes destinées à prendre en charge la société. Dans le même temps, ils s’efforcent de consolider leur pouvoir en entretenant des réseaux clientélistes par lesquels ils redistribuent ressources et privilèges à des groupes sociaux influents, en échange de leur soutien et de leur allégeance. Néanmoins, à partir du milieu des années 1980, les prix du brut s’effondrent, le chômage augmente et les biens de consommation se font rares. Le régime ne parvient plus à maintenir le pacte social sur lequel repose sa légitimité et ne répond plus aux besoins de la population. En parallèle, le système clientéliste débouche sur la corruption, le népotisme et le passe-droit. Alors que la misère s’accroit, les élites d’État vivent dans l’opulence. Le régime est alors taxé d’inefficience et d’injustice et ses échecs alimentent la privation relative. Un écart entre des aspirations légitimes (emploi, logement, égalité devant la loi) et une réalité

(24)

marquée par le manque et les dysfonctionnements d’un système arbitraire qui ne profite qu’aux Insiders du système. Cette privation relative va s’exprimer de manière violente, en octobre 1988, par des émeutes.

Le régime décide alors de se lancer dans une transition démocratique. Bien que le système se libéralise, il ne se démocratise pas pour autant. Les règles constitutives du jeu politique demeurent inchangées. D’une part, le pouvoir reste monopolisé par une élite qui se maintient en renouvelant et en étendant les réseaux clientélistes. D’autre part, Abdelaziz Bouteflika justifie sa présidence en s’engageant à rétablir la paix et la prospérité après la guerre civile. A partir du moment que le régime ne tient pas ses engagements, il est taxé d’inefficience. A partir du moment que le clientélisme par lequel il consolide ses assises débouche sur le gaspillage des ressources collectives et leur distribution en faveur d’une minorité de privilégiés, il est taxé d’injustice. Perception d’inefficience et sentiment d’injustice alimentent une privation relative qui persiste malgré la libéralisation politique. Toutefois, les émeutiers réclament un meilleur partage des ressources collectives et la prise en compte par l’État de leurs besoins. Ils demandent au régime de tenir ses engagements et de prendre en charge leurs griefs, mais ne proposent aucune alternative au statu quo. La politisation du grief est entreprise par une société civile.

V2 Ressources

Par ressources nous entendons les militants et associations issus de la société civile.62

Nous opérationnalisons cette variable en répertoriant les associations qui composent la CNCD. La raison de cette opérationnalisation est simple. Sans ces associations, la CNCD n’aurait pas émergé. C’est à leur initiative que la coordination voit le jour. C’est elles qui articulent les griefs populaires, les interprètent et proposent un projet collectif alternatif au statu quo. Il convient donc de se demander comment un réseau associatif a t-il pu émerger et pourquoi ne s’est-il pas coalisé plus tôt pour réclamer le changement?

En fait, il née à la faveur de la libéralisation politique et des nouvelles dispositions constitutionnelles de 1989. Néanmoins, les associations militent d’abord pour défendre des intérêts sectoriels, circonscrits dans leurs revendications et leur portée (droits syndicaux, droits

62 La société civile est définie comme“the zone of voluntary associative life beyond family and clan affiliations but separate from the

state and the market” Voir: A. Hawthorne, « Is Civil Society the answer ? », Carnegie Papers n°44, (2004),5. Voir: Francesco Cavarota et Vincent Durac, Civil Society and Democratization in the Arab World (London: Routledge, 2010), 10.

(25)

des femmes, vérité sur le sort des disparus de la guerre civile). Plutôt que de réclamer le départ du système, ils tentent de faire des gains à l’intérieur du cadre qui leur est prédéfini par le régime. En fait, les associations peinent à mobiliser une population méfiante et sceptique. Dans l’absence d’appuis populaires suffisants, elles ne peuvent se constituer en mouvement-contre-hégémonique. Ils réduisent progressivement leurs prétentions et se contentent de faire des gains limités. En bref, la société civile permet d’organiser la contestation et porte la revendication démocratique. Elle est donc une seconde condition nécessaire de l’occurrence du mouvement. Néanmoins, elle n’en n’est pas une condition suffisante, car elle ne porte pas systématiquement de revendication contre-hégémonique. En effet, cette option cesse d’être pensée comme relevant du possible, dès lors qu’on ne peut mobiliser la population.

V3 Opportunité politique

La troisième partie soutient qu’une opportunité politique s’est présentée aux militants de la société civile. Nous définissons l’opportunité, comme une « occasion ou circonstance favorable ».63 Nous nous efforçons donc de retracer le processus qui a conduit à la perception

et la construction de cette circonstance favorable.

Intermédiation. On commence par évoquer un changement structurel, la multiplication des évènements protestataires en Tunisie, leur politisation progressive, suivie du succès des mobilisations. Ces évènements auraient été sans conséquence s’il n’y avait pas eu intermédiation. Autrement dit, si rien ni personne n’avait rendu compte de l’occurrence de ces évènements. Dans le cas présent, c’est les médias, notamment transnationaux, qui ont assuré cette fonction. À ce titre, il est intéressant de noter la profonde mutation du paysage médiatique arabe. Les chaines satellitaires et Internet participent à démocratiser l’accès à l’information et en favorisent la circulation. Ils décloisonnent ainsi les sociétés et œuvrent à la création d’espaces publics transnationaux. En outre, les mass médias ne sont pas neutres. De par la couverture qu’ils accordent à un évènement et les grilles d’analyse qu’ils en proposent, ils peuvent suggérer des tendances. C’est donc à ce niveau que le framing process, commence.

Après l’intermédiation s’en suit la diffusion. Contrairement à McAdam et Tarrow, nous la divisons en trois éléments intimement liés : la perturbation du quotidien, la construction analogique et le débat.

63

Larousse, « opportunité ». Dictionnaire (2012). En ligne :

(26)

La perturbation du quotidien. Nous reprenons ce concept à Snow, Cress, Downey et Jones. Ils définissent le « quotidien » comme étant « l’ensemble des routines journalières »64

qui constituent la vie d’un individu. Ils retiennent par ailleurs deux composantes essentielles : les pratiques quotidiennes et l’attitude naturelle. Les pratiques quotidiennes renvoient à nos habitudes. Le sociologue Pierre Bourdieu et le philosophe Michel Foucault en parlent comme des actes que nous faisons régulièrement, sans même y prêter attention. L’attitude naturelle est quant à elle la dimension cognitive du quotidien. Ce concept fait référence à « l’orientation habituelle des individus et à leurs attentes routinières. Il se caractérise par une suspension du doute. Les choses vont de soit, elles ne sont plus questionnées et ne sont plus perçue comme problématiques ».65 L’autoritarisme fait partie du quotidien. Malgré les griefs, la société civile ne tente d’obtenir que des gains limités, car elle peine à mobiliser une population qui a cessé de croire dans la possibilité du changement. La LADDH offre des conseils juridiques et milite pour la défense des droits de la personne, les syndicats autonomes s’efforcent d’améliorer les conditions de travail des salariés, SOS disparus milite pour obtenir la vérité et la justice sur les disparitions d’individus pendant la guerre civile. Chaque association tente d’améliorer la situation des Algériens, mais aucune n’a de prétention contre-hégémonique.

Toutefois, un évènement peut venir troubler ce quotidien. Dès lors, le doute s’installe, « l’incertitude émerge » et les consciences s’éveillent. Et si tout compte fait nous pouvions changer les choses? En troublant le quotidien des individus, la chute du régime de Ben Ali suscite le questionnement, le débat et se traduit par un pic de politisation. Ce-dernier signale aux militants de la société civile que les conditions de réceptivité du discours contre hégémonique sont réunies. Autrement dit, les militants perçoivent qu’il est désormais plus aisé de mobiliser des individus jusque-là sceptiques ou indifférents à leur cause.

La construction analogique. Néanmoins, la question de la mobilisation ne se poserait pas ou déboucherait sur une réponse négative, si elle n’allait pas de pair avec un processus de construction analogique. En d’autres termes, si le contexte algérien était totalement différent du contexte tunisien, ou du moins perçu comme tel, les militants n’auraient aucune garantie de pouvoir justifier des actions analogues. Les individus ne se reconnaitraient pas dans l’idéal défendu par autrui et dans sa lutte et seraient moins enclins à « suivre l’exemple ». Pour tracer

64 Snow David A, Daniel M. Cress, Liam Downey et Andrew W. Jones, « Disrupting the “Quotidian”: Reconceptualizing the Relationship

Between Breakdown and the Emergence of Collective Action ». Mobilization: An International Journal 3: 1-22. P4

65

Figure

Tableau 1. Analyse par méthode des différences.
Graphique 2: Évolution du cours du brut en dollar courant et du taux de chômage 166
Graphique 4: L’emploi informel et le taux de chômage en Algérie 290
Graphique 5: Taux de chômage des personnes non éduquées et très éduquées en Algérie 294
+7

Références

Documents relatifs

Cet ouvrage aborde la problématique de la prévention du suicide à l’adolescence sous ses aspects les plus pragmatiques, à travers dix questions axées sur la pratique

Ensuite le Seigneur leur a dit : “L’homme est maintenant devenu comme l’un de nous, pour la connaissance du bien et du mal, il ne faut pas lui permettre de tendre la main pour

Mais toute sa vie elle aspire à un ailleurs mythique et quand, enfin, le docteur, à l’indépendance, propose de lui donner sa maison, elle refuse le cadeau malgré

Revenons au système linguistique, qui est lui-même un système spécifique, vu sa nature complexe par rapport aux autres systèmes. Les données linguistiques sont traitées

De sites kunnen enkel geschikt blijven voor amfibieën en reptielen door een actief en regelmatig beheer (behouden van open plekken en vochtige zones). Een gepast beheer van

Cette structure, portée par l’Alliance des sciences de la vie et de la santé (AVIESAN) bénéficierait du soutien de l’Agence nationale de la recherche (ANR), de l’Agence

This structure, led by AVIESAN (the French Life Sciences and Healthcare Alliance) would benefit from the support of ANR (the National Research Agency), ANRS (the National

TRAVAIL; CODE DU TRAVAIL ; CONVENTION COLLECTIVE; CONTENU ET FORMALITÉS; ARBITRAGE DE GRIEFS; HARCÈLEMENT; FARDEAU DE LA PREUVE; centre de soins de longue durée; plainte