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Pour la langue d'oc à l'école

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Academic year: 2021

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HAL Id: hal-03050513

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Submitted on 30 Mar 2021

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Yan Lespoux. Pour la langue d’oc à l’école : De Vichy à la loi Deixonne, les premières réalisations de la revendication moderne en faveur de l’enseignement de la langue d’oc. Presses universitaires de la Méditerranée, 252 p., 2016, Estudis occitans, Marie-Jeanne Verny, 978-2-36781-211-3. �hal-03050513�

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Pour la langue d’oc à l’école

De Vichy à la loi Deixonne,

les premières réalisations de la revendication moderne

en faveur de l’enseignement de la langue d’oc

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Collection « Estudis occitans »

Directrice de collection Marie-Jeanne Verny

Les études occitanes à Montpellier ont une longue histoire, plus que centenaire, dont témoigne aujourd’hui encore la Revue des Langues Romanes, créée en 1870. Et l’histoire continue...

Le champ des recherches en domaine occitan est vaste, comme l’est, à son échelle qui dépasse la seule région Languedoc-Roussillon, l’aire linguistique d’oc. Ce champ inclut aussi bien la linguistique, diachronique et synchronique, que la sociolinguistique, notamment à travers la revue Lengas, qui existe depuis 1977; la littérature, depuis le temps des Troubadours jusqu’à la littérature d’aujourd’hui, en passant par le baroque; l’histoire et la civilisation de l’espace occitan. Dans notre catalogue voisinent donc aussi bien des rééditions ou éditions de textes introuvables ou inédits que des anthologies, des ouvrages collectifs faisant le point sur une période ou un problème particuliers, ou encore des outils destinés aux étudiants comme à un public plus large, dans les régions d’oc ou d’ailleurs, qui a envie d’en savoir plus sur une culture millénaire.

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Collection « Estudis occitans »

Pour la langue d’oc à l’école

De Vichy à la loi Deixonne,

les premières réalisations de la revendication moderne

en faveur de l’enseignement de la langue d’oc

Yan Lespoux

2016

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Mots-clés : occitan, langue d’oc, occitanisme, Félibrige, enseignement, revendication.

Illustration de couverture :

La figuièra, Bisan de Menerbés, 2016. Photographie : Georges Souche.

ISBN 978-2-36781-211-3 Tous droits réservés, PULM, 2016.

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Préface

Le livre qu’on va lire est le fruit d’un parcours personnel dont la richesse et la singu-larité méritent d’emblée l’attention. Yan Lespoux a abordé sa quête d’historien muni, certes, d’une formation adéquate, mais en outre d’une expérience d’enseignant d’occitan et de militant, bien conscient, donc, du caractère polémique des questions qu’il posait et se posait. Ce caractère ne tient pas seulement au fait que la revendication en faveur de l’enseignement de la langue d’oc à l’école — le titre de son livre affiche on ne peut plus clairement la nature de l’objet historique qu’il étudie — a été portée par des individua-lités fortes. Il résulte des divergences d’appréciation, entre les associations comme entre les hommes, sur la capacité de l’État à faire droit à leurs demandes et sur la capacité des mouvements à faire entendre des arguments raisonnables. Le travail d’historien dans lequel il s’est lancé a d’abord consisté à prendre la distance critique nécessaire par rapport à ce qui avait été pour lui, en premier lieu, une cause à défendre et un enseignement à faire vivre. Ce travail a abouti à une thèse de doctorat préparée sous la direction de Christian Thibon et Jean-Yves Casanova, soutenue le 8 septembre 2009 à l’université de Pau et des pays de l’Adour et jugée digne de la mention la plus haute.

Sagement, Yan Lespoux s’est donné le temps de tirer de cette thèse le livre que voici. Il en a limité le propos, puisque la thèse embrassait une période plus longue, jusqu’aux années 1990. Il se concentre ici sur les spécificités paradoxales d’un temps commencé avec ce qui a pu être considéré comme le « cadeau de Carcopino », sous Vichy, et que clôt la conquête partielle obtenue dix ans après du législateur républicain. La sûreté de son information, fondée sur de vastes dépouillements d’archives, lui permet de brosser un tableau nuancé de l’entrée progressive de l’occitan dans les programmes scolaires, de préciser la division du travail ou la répartition des rôles entre les militants, les hommes politiques concernés à un moment ou à un autre et enfin les fonctionnaires du ministère, questions sur lesquelles s’était aussi penché, peu avant lui, Youenn Michel1.

1. Youenn Michel, De la tolérance à l’intégration : l’école et l’enseignement des langues régionales en France, du régime de Vichy aux années 1980, thèse de doctorat d’histoire sous la direction de Jean-Noël Luc, université de Paris-IV-Sorbonne, 2007, 2 vol., 1 250 p.

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L’un des premiers mérites de Yan Lespoux est de ne rien dissimuler des handicaps initiaux de la mobilisation en faveur de l’enseignement de la langue d’oc à l’école. Il n’élude pas la question de la représentativité. La faiblesse des effectifs du mouvement occitaniste limitait en effet le nombre de ceux qui pouvaient efficacement porter la revendication et, parmi eux, avant 1945, les non-enseignants étaient plus actifs que les enseignants, si respectés que fussent un Jean Bonnafous ou un Henri Mouly. L’Institut d’études occitanes, créé en 1945, se dote d’un secteur pédagogique; mais les enseignants n’en sont pas les seuls animateurs, ni les plus zélés, pour des raisons qu’expliquent assez le poids du passé, les habitudes, les représentations dominantes de la hiérarchie. Le majoral Pierre-Louis Berthaud, journaliste, n’est pas des leurs. Yan Lespoux met bien en lumière l’influence des militants établis à Paris, comme Berthaud, mieux placés assurément que les instituteurs de village pour faire du lobbying. L’efficacité de ce lobbying se heurte cependant à la difficulté de rompre avec la posture de l’interpellation générale, sonore mais de peu d’effet pratique, en usage depuis Frédéric Mistral, pour s’engager dans un travail plus modeste et obscur, qu’il soit de nature didactique ou politique. D’un côté, la revendication se heurte à la difficulté de construire une pédagogie occitaniste qui prenne en compte l’évolution des pratiques linguistiques en pays d’oc, entre le temps où l’occitan est encore en usage dans les familles et celui où, dans bien des cas, il n’est plus pour les enfants qu’une seconde langue à apprendre ou à réapprendre. De l’autre, elle souffre d’un déficit de mobilisation des élus en relais de militants cantonnés sur le terrain de ce qu’on appellerait aujourd’hui l’action culturelle. La division déjà ancienne du mouvement entre l’aile occitaniste et l’aile mistralienne du Prouvençau à l’Escolo est une autre faiblesse : on a affaire à deux mouvements parallèles, entre lesquels existent à part égale les ressemblances inavouées et les concurrences envenimées.

Face aux militants, les institutions. De l’enquête que Yan Lespoux a conduite dans les archives ressortent d’abord un certain nombre de traits anciens dans l’idée que les responsables politiques et administratifs se font des langues régionales. Comme l’a souligné en son temps Philippe Martel1, on trouve parmi eux peu de convaincus du

bien-fondé de la revendication d’un enseignement des langues régionales à l’école. Ils se partagent plutôt entre la bienveillance pour des parlers qu’ils ont tendance à reléguer dans le patrimonial et l’hostilité déclarée, héritière des griefs de Barère en 17932. Mais

l’historien fait aussi mesurer une évolution progressive et le rôle nouveau que, suivant les situations, les rapports de force, peuvent jouer certains acteurs, qu’ils soient hostiles, comme les membres du Conseil supérieur de l’Éducation nationale au moment de la loi Deixonne, ou plus réceptifs, comme tel ou tel ministre — ainsi Jérôme Carcopino et

1. Philippe Martel, L’école française et l’occitan ou Le sourd et le bègue, préface de Robert Lafont, Montpellier, Presses universitaires de la Méditerranée, 2007.

2. Maïté Bouyssy, José Cubero et Robert Vié (dir.), Bertrand Barère, 1755-1841, actes du col-loque organisé à Tarbes en septembre 2005, Tarbes, Association Guillaume Mauran, 2012.

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Yvon Delbos, si différents qu’ils soient par ailleurs —, tel ou tel parlementaire — c’est aussi le cas de Maurice Deixonne, à sa façon.

Yan Lespoux a vu les archives qu’il fallait voir pour éclairer les décisions politiques, mais ce qui fait vraiment le prix de son étude, c’est ce qu’il a tiré des archives privées et particulièrement des correspondances entre les acteurs, fort qu’il était de la conviction qui porte sa thèse, au sens intellectuel du terme : cette histoire est avant tout celle d’« hommes et de femmes investis dans la militance ». En fait, il s’agit d’une histoire à six groupes de personnages : les militants, les élus — qui le plus souvent cumulent un mandat national et au moins un mandat local —, les « institutionnels », hauts fonctionnaires au ministère ou membres d’un organe comme le Conseil supérieur de l’Éducation nationale, les enseignants, enfin les élèves et leurs parents. En raison de la délimitation de son sujet que je viens de rappeler et, faut-il ajouter, des sources existantes, ces deux derniers groupes sont largement absents de son étude et on ne saurait le lui reprocher.

Dans la première partie, on voit se confirmer l’équivoque complémentarité des patrio-tismes sous l’Occupation, donc la pertinence de la catégorie de « vichysto-résistant » proposée par Denis Peschanski et Jean-Pierre Azéma1. Entre toutes les illusions de ce

temps, la plus étrangement tenace est celle qui consiste, de la part des félibres comme des occitanistes, à tenir l’État français pour un État fort et à tout attendre de lui. Mais on voit apparaître aussi ce qui devient l’un des fils rouges du livre : l’absence de demande sociale d’enseignement de la langue d’oc et l’indifférence, voire l’hostilité, largement répandues dans le corps enseignant, signes d’un consentement majoritaire à son déclin et conditions d’affirmation de ce que Pierre Bourdieu désignait comme une « reconnaissance sans la connaissance2».

Les pages relatives à la gestation de ce qui deviendra la loi Deixonne éclairent une autre lutte d’influence, celle qui existait alors entre les communistes, qui jouèrent leur rôle d’aiguillon, et les socialistes, en position de force au ministère de l’Éducation nationale. Il faut tenir compte des appartenances régionales de celles et ceux qui prirent la parole dans le débat : la position de Rachel Lempereur, par exemple, députée du Nord de 1945 à 1958, doit beaucoup au fait qu’elle avait été directrice d’école. Le lobbying des occitanistes gagne cependant en efficacité, au point que Yan Lespoux en vient à suggérer qu’avec la loi Deixonne, plutôt que des langues, ce sont des groupes de défenseurs de certaines

1. Denis Peschanski, « Les vichysto-résistants », communication au colloque « Pourquoi résister. Résister pour quoi faire », Caen, du 2 au 4 décembre 2004; Jean-Pierre Azéma, « Les vichysto-résistants », communication au colloque « Guerre, collaboration, résistance : un demi-siècle d’historiographie française », Tel-Aviv, 17-19 mai 2005; Johanna Barasz, De Vichy à la Résistance : les vichysto-résistants, 1940-1944, thèse d’histoire sous la direction de Jean-Pierre Azéma, Institut d’études politiques de Paris, 2010, 3 vol., 818 p.

2. Pierre Bourdieu, La distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Éditions de Minuit, coll. « Le sens commun », 1979, 2eéd. augmentée, 1982.

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langues qui font l’objet d’une reconnaissance. À cet égard, les usages de la presse sont bien mis en lumière. Ils sont loin d’avoir la simplicité binaire qu’on pourrait imaginer entre de grands quotidiens nationaux supposés indifférents ou hostiles et une presse militante ardente mais confidentielle. La presse régionale à grand tirage joue aussi son rôle, et celui-ci n’est pas univoque.

On sera sensible enfin aux nombreux signes de la dépendance de la culture occi-tane, en tant que culture politique, à l’égard du cadre national dans lequel s’inscrivent nécessairement les modes d’action de l’occitanisme — l’effort de création des centres départementaux de l’I.E.O. en témoigne : on ne parvient pas à penser l’efficacité en dehors du cadre départemental. Au total, on retiendra du présent livre trois apports importants. Il nous apprend beaucoup sur l’organisation et la vie internes des mouve-ments et associations, leur capacité à se constituer en véritable lobby mais aussi leur tendance à se diviser et à s’affronter, entre félibres et occitanistes ou entre mouvances occitanes. Il éclaire les réponses données par l’État, caractérisées par la continuité dans la réserve, la réticence de principe et tout de même aussi par des concessions progressives. Enfin, et plus largement, il sait donner à voir la culture occitane et son rayonnement dans la société méridionale, avec un sens jamais démenti de la nuance, de la contex-tualisation nécessaire et de la complexité des échanges entre cette culture et celles qui l’environnent. Cette histoire-là se poursuit bien sûr dans la seconde moitié du siècle et jusqu’à nos jours. Yan Lespoux est bien armé pour l’écrire et l’on ne peut que souhaiter qu’il ait l’occasion de le faire.

Jean-François Chanet Recteur de l’académie de Besançon

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Introduction

S’il faut chercher une origine à la revendication en faveur de l’enseignement de la langue d’oc, c’est sans aucun doute vers le Félibrige et vers son Maître que l’on doit se tourner. Un mouvement dont l’ambition était de sauver et promouvoir la langue d’oc ne pouvait faire l’impasse sur la question de la vie sociale et de l’usage de la langue, et donc de sa place dans l’école. L’intérêt premier du Félibrige, groupe de poètes, est avant tout la littérature, mais à partir de la fin du xixesiècle la

ques-tion de l’enseignement de la langue prend de plus en plus d’importance au sein du mouvement. Frédéric Mistral lui-même va porter haut et fort cette revendication.

Recevant les félibres catalans à Saint-Rémy, le 9 septembre 1868, Mistral com-mence à exprimer clairement les griefs que le Félibrige peut faire à la société concernant le recul de la transmission de la langue :

Nous voulons que nos fils, au lieu d’être élevés dans le mépris de notre langue (ce qui fait que, plus tard, ils mépriseront la terre, la vieille terre maternelle sur laquelle Dieu les a fait naître), nous voulons que nos fils continuent à parler la langue de la terre, la langue dans laquelle ils sont fiers, par laquelle ils sont forts, par laquelle ils sont libres.

Nous voulons que nos filles, au lieu d’être élevées dans le dédain de nos coutumes de Provence, au lieu d’envier les fanfreluches de Paris ou de Madrid, continuent à parler la langue de leur berceau, la douce langue de leurs mères, et qu’elles demeurent, simples, dans la ferme où elles naquirent, et qu’elles portent à jamais le ruban d’Arles comme un diadème de reine.

Nous voulons que notre peuple, au lieu de croupir dans l’ignorance de sa propre his-toire, de sa grandeur passée, de sa personnalité, apprenne enfin ses titres de noblesse, apprenne que ses pères se sont toujours considérés comme une race, apprenne qu’ils ont su, nos vieux provençaux, vivre toujours en hommes libres, et toujours su se défendre comme tels [...]

Il faut qu’il sache, notre peuple, qu’ils se sont, nos aïeux, annexés librement, mais dignement, à la généreuse France : dignement, c’est-à-dire en réservant les droits de leur langue, de leurs coutumes, de leurs usages et de leur nom national. Il faut qu’il sache, notre peuple, que la langue qu’il parle a été, quand il l’a voulu, la langue poétique et littéraire de l’Europe, la langue de l’amour, du gai savoir, des libertés municipales, de la civilisation...

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Peuple vaillant, voici ce que nous voulons t’apprendre : à ne pas rougir, devant qui-conque, comme un vaincu, à ne pas rougir de ton histoire, à ne pas rougir de ta patrie, à ne pas rougir de ta nature, à reprendre ton rang parmi les peuples méridionaux1... Ainsi donc le Félibrige doit œuvrer de manière à ce que les enfants apprennent à aimer leur langue, mais aussi que l’on cesse de leur enseigner des mensonges, ou tout au moins des vérités historiques qui ne sont pas celles de leur terre. Véritable projet ou simple rhétorique? S’il a l’ambition d’atteindre cet objectif, le Félibrige n’en a en tout cas pas les moyens. Le mouvement garde sans doute pour beaucoup l’apparence d’une simple coterie de poètes (avec le peu de sérieux que cela suppose) réunis autour de Mistral2. Mais le discours, pour romantique qu’il soit, révèle un

début de prise de conscience de la situation de la langue; prise de conscience qui va peu à peu amener l’association à s’intéresser de plus près au rôle de l’école.

La seconde moitié du xixesiècle voit en effet considérablement progresser les

effectifs des enfants scolarisés. Dans la majorité des départements du Sud de la France, qui sont de plus des départements ruraux, la langue maternelle de ces enfants est le plus souvent la langue d’oc. Or dans une Nation où le pouvoir est fortement centralisé depuis des siècles, et à une époque où l’existence même de cette Nation est menacée par des ennemis intérieurs (monarchistes) ou extérieurs (l’Empire germanique), il est important que l’école transmette un sentiment profond d’appartenance à cette communauté nationale. Cela passe par l’apprentissage d’une langue commune. Les progrès de l’école en France vont donc de pair avec le recul des langues régionales. La scolarisation de plus en plus importante des filles va sans doute accélérer encore ce processus : entre 1847 et 1861, note Françoise Mayeur (Mayeur, 2004, p. 391) on passe ainsi de 1 354 000 filles scolarisées à 2 632 000. Sans que ce facteur soit le seul à entrer en compte, si l’on part du principe que la langue régionale est souvent la langue maternelle, on imagine combien le fait que les femmes aient pu apprendre le français a pu avoir de l’influence sur le recul des langues régionales. À cela s’ajoute aussi la conscription, et, bien entendu, le travail de l’École elle-même vis-à-vis des élèves qui y arrivent en ne sachant parler que le « patois » local.

Le constat est fait par Mistral lui même en 1875 à Montpellier : « Aquelo lengo d’O, grando voues istourico, signau de nosto raço, mirau de nosto glòri [...] à l’escolo la coursejon e ié barron la porto au nas3... » La même année, il demande qu’une épreuve

1. Frédéric Mistral, Discours e dicho, Raphèles-les-Arles, Culture provençale et méridionale — Marcel Petit, 1980, p. 134-135.

2. Sur le Félibrige d’avant 1914, son engagement et sa réception dans la société française, voir Philippe Martel, Les félibres et leur temps. Renaissance d’oc et opinion (1850-1914), Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 2010, 690 p.

3. Cité par Joseph Salvat, « Peut-on espérer? », Lo Gai Saber, no156, octobre 1937, p. 277.

« Cette langue d’oc, grande voix historique, symbole de notre race, miroir de notre gloire [...] à l’école on la pourchasse et on lui ferme la porte au nez. »

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de provençal puisse avoir lieu au baccalauréat. Les lois scolaires de la République laïque des années 1881-1882 ne vont pas inverser la tendance, bien au contraire. Le Félibrige se trouve alors une nouvelle mission : permettre l’enseignement de cette langue. Cela passera par l’organisation de concours scolaires en langue d’oc; en 1878, 1882 et 1885 par exemple (Lafont, 1974, p. 216). Joseph Lhermite, entré en religion sous le nom de Frère Savinien, s’applique à créer une méthode. En 1882 est éditée une grammaire établie par Savinien. En 1896, il présente officiellement sa méthode destinée à faire de la langue d’oc le « latin des classes primaires du Midi », un auxiliaire pour un meilleur apprentissage du français. Il reçoit le soutien de Mistral mais voit s’élever contre lui de nombreuses voix chez les félibres qui souhaitent un enseignement de la langue elle-même et qui, pour reprendre des paroles du Maître, ne veulent pas qu’elle ne serve en fin de compte qu’à « cira li boto de soun desdegnous rivau », cirer les bottes de son dédaigneux rival1.

C’est finalement là que va apparaître un long débat à l’intérieur même du Félibrige. Quelle place doit-on demander pour la langue d’oc dans les écoles? Ses qualités intrinsèques suffisent-elles à justifier son enseignement?

Les positions de Mistral sur la question ne sont d’ailleurs pas toujours claires, qui alternativement s’insurge contre « le cirage de bottes » du rival et loue la méthode de Savinien. Mais après sa mort, en 1914, le pragmatisme va l’emporter chez les félibres. La première guerre mondiale terminée, le Félibrige compte ses morts et tente de se relancer.

On pourrait penser que les sacrifices consentis par les populations du Midi qui ont payé un lourd tribut humain lors du conflit vont en quelque sorte décomplexer le Félibrige. À ceux qui pourraient lui reprocher des vues séparatistes, l’organisation provençale pourra au moins opposer ses morts pour la France. Mais cette position demeure minoritaire et, de plus en plus, la revendication pour l’enseignement de la langue d’oc s’appuie sur les arguments présentant la langue d’oc comme une aide dans l’apprentissage du français. Pragmatisme, disions-nous. C’est en effet ce que laissent penser les paroles du frère Savinien lorsqu’il écrit :

Mai, à bèn regarda dins lou founs de la causo, entre l’escolo ounte lou Mèstre ansin respetuous à sa maniero de la lengo meiralo, n’en tiro de richesso linguistico pèr alisca lou francés e aquelo autro escolo ounte mespreso lou prouvençau e se ié fai défènso de lou parla quento chausirié tout félibre amourous de sa lengo2?

1. Cité par Joseph Savinian-Lhermite, « Esclargimen sus la Metodo pèr ensigna lou Prouven-çau » (Éclaircissements sur la Méthode pour enseigner le Provençal), Lou Felibrige, no10, janvier-mars

1919, p. 12.

2. Joseph Savinian-Lhermite, op. cit., p. 11-12. « Mais, à bien regarder le fond de la chose, entre l’école où le Maître ainsi respectueux à sa manière de la langue maternelle, en tire de la richesse linguistique pour corriger le français et cette autre école où il méprise le provençal et où il défend de le parler, laquelle choisirait tout félibre amoureux de sa langue ? »

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Les circonstances elles-mêmes, la conjoncture dans laquelle se trouve le Félibrige à cette époque, facilitent l’épanouissement de ce sens du pragmatisme chez les félibres. Les statuts de 1912 permettent aux « escolos », ces structures locales « qui œuvrent avec lui pour l’épanouissement de la langue d’oc [...] et généralement à toute associa-tion ayant pour but unique ou non la propagande des idées du Félibrige » (Calamel-Javel, 2002) de s’affilier à l’association. On passe ainsi de 11 écoles affiliées en 1908 à 47 en 1913 et 77 en 1936. Ces écoles locales acquièrent pour certaines une importance manifeste dans le Félibrige. Par le nombre de leurs adhérents d’abord : le Bournat du Périgord ou l’Escole Gastou Febus en Béarn par exemple comptent chacune plusieurs centaines de membres. Bien que les « véritables » félibres ne représentent qu’une très faible part des adhérents, ce nombre permet une diffusion importante des idées félibréennes par le biais des revues qu’éditent les écoles les plus importantes. Toutefois, ces écoles comptent parmi leurs adhérents beaucoup de notables et de fonctionnaires, qu’ils soient simplement des personnes importantes localement où qu’ils détiennent une certaine influence sur le plan national, comme a pu le mon-trer Jean-Marie Sarpoulet à propos de l’Escole Gastou Febus (Sarpoulet, 2005). Or, les félibres qui dirigent ces revues, aussi engagés soient-ils, à l’image d’un Michel Camélat ou d’un Simin Palay en Béarn, ne peuvent se permettre de heurter ce public avec une prose par trop violente vis-à-vis de l’État central ou de l’administration de l’Instruction publique. Enfin, ces écoles peuvent permettre de créer certains réseaux propres à faire porter la revendication pour la langue à l’école dans les plus hautes sphères de l’État. L’Escole Gastou Febus, encore elle, compte par exemple dans ses rangs dans les années 1920 le ministre de l’Instruction publique Léon Bérard qui, par ailleurs, ne fera rien pour l’enseignement de la langue d’oc. Plus généralement, les notables de ces écoles ont la possibilité d’exercer une amicale pression sur des parlementaires sensibles à leurs arguments et qui pourront éventuellement tenter de faire changer les choses. À condition, bien entendu, de ne pas passer pour des soutiens actifs d’un quelconque autonomisme... C’est aussi sans doute pourquoi la revendication scolaire félibréenne porte alors essentiellement sur cette demande minimale : permettre l’utilisation de la langue d’oc afin de faciliter l’apprentissage du français.

La mise en place de ces réseaux de personnes permet tout au long de l’Entre-deux-guerres de faire de la question de l’enseignement de la langue d’oc — ou du français grâce à la langue d’oc — une question redondante dans les débats politiques au Parlement1.

Des interventions ont lieu quasiment tous les ans, en direction du Parlement et des ministres. Elles restent toutefois lettre morte la plupart du temps et ne semblent avoir pour seul intérêt que de permettre aux élus de montrer à certains de leurs

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électeurs, à peu de frais, qu’ils agissent en faveur de leur langue et demeurent attachés à leur terroir. En effet, les réponses des ministres varient peu, notamment pour le primaire qui est le niveau pour lequel un enseignement de la langue semble le plus important aux félibres : c’est là, en extirpant de l’École la langue du peuple qu’on l’ôte de la société même, c’est là que se joue véritablement l’avenir de la langue d’oc. Mais l’argument qui naît alors en défaveur d’un tel enseignement et qui fera florès pour encore des décennies semble imparable : l’introduction d’une nouvelle matière ne fera qu’alourdir des programmes déjà trop lourds. Les ministres qui refusent cet enseignement prennent d’ailleurs bien souvent soin de faire remarquer l’attachement qu’ils éprouvent cependant vis-à-vis de la langue d’oc lorsqu’ils sont — et c’est souvent le cas — originaires du Midi. Ainsi le ministre Marraud, répondant à la demande de Paul Feuga, fait-il remarquer qu’il parle lui-même la langue d’oc mais que l’introduction de cette langue dans le cadre de l’École lui ferait perdre son charme puisqu’elle serait alors soumise « aux contraintes de l’enseignement et de la méthode, livré[e] aux supplices inséparables de la pédagogie1». En définitive,

c’est bien une faveur que lui fait le ministre en l’empêchant d’entrer dans les salles de classes...

Parfois les réponses sont plus sèches. À l’été 1925, huit personnalités, parmi les-quelles le Capoulié Marius Jouveau et les majoraux Loubet, Anglade et Charles-Brun, écrivent au ministre de l’Instruction publique Anatole de Monzie afin que les maîtres puissent « utiliser le dialecte maternel de leurs élèves pour l’enseignement du fran-çais2». Le ministre répond par une lettre et par une circulaire où il énonce les divers

arguments qui s’opposent, selon lui, à l’utilisation des « patois ». La circulaire se termine ainsi :

Est-il donc vrai que le dialecte local puisse servir à enseigner le Français? Ce n’est, à cette heure, l’avis d’aucun pédagogue qualifié. [...] Comment en surplus, accorder une telle proposition avec les méthodes générales de l’enseignement, avec la méthode directe dont il est usé pour apprendre l’Allemand ou l’Anglais? Se servira-t-on du Languedocien comme truchement du Français, tandis que le mot d’ordre moderne est l’apprentissage du Français par le Français ? Les objections valables se multiplient sans qu’apparaisse en sens contraire aucun argument décisif3.

Ces refus répétés ne découragent toutefois pas les militants qui ne cessent de tenter de porter le débat sur la place publique et lancent même dans les années 1920 la première association corporatiste en faveur de l’enseignement de la langue d’oc. Il s’agit de la Ligue pour la langue d’oc à l’école, fondée en 1923, et qui cherche

1. Jean d’Occitanie, « La langue d’oc au Sénat », Lo Gai Saber, no58, mars-avril 1929, p. 31.

2. Lettre reprise dans « Lous “patouès” a l’escole » (Les « patois » à l’école), Reclams de Biarn e Gascougne, octobre 1925, p. 30-31.

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à regrouper des membres des divers niveaux de l’enseignement qui s’engagent à appliquer et à défendre six points essentiels pour que le peuple du Midi retrouve la fierté de sa langue :

— ne jamais punir un enfant qui a parlé patois;

— ne pas inculquer aux élèves le mépris de la langue d’oc;

— utiliser autant que possible la méthode comparative « savinienne »; — expliquer aux élèves l’histoire de leur langue;

— donner des cours sur la littérature en langue d’oc aux côtés de celle en langue d’oïl;

— commenter et faire traduire aux élèves des extraits d’œuvres en langue d’oc. Si la Ligue pour la langue d’oc à l’école s’avèrera finalement être un échec politique, il n’en demeure pas moins qu’elle sera la première à mobiliser plusieurs centaines de personnes, et en particuliers des maîtres, en faveur de cet enseignement1.

Parallèlement à l’expérience de la Ligue pour la langue d’oc à l’école, un autre projet voit le jour, lui aussi proche du foyer toulousain. En 1919, à Toulouse, a été créée l’Escòla Occitana, à la tête de laquelle se trouvent deux majoraux du Félibrige : Prosper Estieu et Antonin Perbosc. C’est cette école félibréenne qui lance en 1927, sous l’impulsion d’Estieu et de l’abbé Joseph Salvat, une nouvelle expérience originale en faveur de l’enseignement de la langue d’oc : le Collège d’Occitanie.

Accueilli dans des locaux prêtés par la mairie de Castelnaudary, le Collège connaît des débuts modestes. Les cours assurés par l’abbé Salvat et Prosper Estieu n’accueillent au début qu’une quinzaine d’étudiants, adultes ou élèves du petit séminaire. L’année suivante, ils sont vingt-deux auxquels s’adjoignent sept inscrits par correspondance. En 1935, ce sont 250 personnes qui suivent les cours du Collège d’Occitanie, sur place et surtout par correspondance. Surtout, des Jeux floraux Scolaires sont organisés auxquels, dès 1927 près de 200 concurrents sont inscrits. De plus en plus d’écoles, privées en majorité, mais aussi publiques, adhèrent au Collège et reçoivent le matériel nécessaire à la mise en œuvre de cet enseignement, notamment à partir de 1929 avec la Rampelada del Colètge d’Occitania, bulletin de l’établissement dans lequel l’abbé Salvat publie par tranches sa grammaire.

De fait, le Collège d’Occitanie forme des centaines d’élèves et de maîtres en Lan-guedoc. Bien que son action reste généralement cantonnée à cette région, il est un vec-teur important de diffusion de la langue et surtout de la graphie « Estieu-Perbosc ». Il montre aussi aux militants qu’il n’est pas nécessaire d’attendre l’action des pou-voirs publics pour œuvrer en faveur de la langue. Bien que le Collège n’en soit pas

1. Sur le sujet, voir Yan Lespoux, « Autour d’une revendication méridionale : la Ligue pour la langue d’oc à l’école (1923-1928) », Annales du Midi, tome 122, no271, juillet-septembre 2010,

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directement issu, il représente un relais essentiel à l’action menée par la Ligue pour la langue d’oc à l’école, et complète son action politique par une mise en place pratique. Au même moment, au début des années 1930, une autre tendance monte en puis-sance à la suite de l’expérience du journal Oc d’Ismaël Girard. La Societat d’Estudis Occitans (S.E.O.) est créée sur le modèle de l’Institut d’Estudis Catalans. La réussite catalane avec la création de la Generalitat est un modèle pour les occitanistes qui se lient avec les Catalans soutenant l’idée que, sous les différences dialectales, les dialectes occitans et le catalan ne forment en fait qu’une seule langue. C’est d’ailleurs un disciple du philologue Pompeu Fabra, Louis Alibert, qui va se charger de mettre en place une graphie unifiée de l’occitan voulant cherchant à concilier les systèmes mistralien, « Estieu-Perbosc » et catalan qui deviendra la graphie « officielle » de l’occitanisme.

Outre ce foyer, une nouvelle génération de militants apparaît. À Toulouse les Estudiants Ramondencs avec notamment Jean Séguy, le Nouveau Languedoc des Jean Lesaffre, Roger Barthe ou encore Max Rouquette à Montpellier, Lou Calen et l’équipe de la revue l’Araire de Jòrgi Reboul, Paul Ricard et Charles Camproux à Marseille. Cette jeune génération va se retrouver dans un projet commun, la revue Occitania.

Occitania paraît à partir de 1934 et se présente comme un organe de lutte. La revue est fédéraliste et son objectif, clairement énoncé dans son Programa Occitanista Basic1de 1935, est d’arriver à une forte autonomie au sein d’un État français fédéralisé.

Ce programme fait bien évidemment la part belle aux questions économiques, mais celle de l’enseignement est aussi très présente dans la revue.

Toutefois, Occitania, comme le Félibrige depuis la fin du xixesiècle et comme la

Ligue pour la langue d’oc à l’école, se heurte aux refus habituels de l’État de répondre à ses revendications. Là encore, comme toujours depuis près d’un demi-siècle, la question de la surcharge des programmes est récurrente dans l’argumentaire du minis-tère de l’Éducation nationale. Aussi Occitania propose-t-elle en 1937 un programme d’enseignement de l’occitan qui tient compte des arguments qui lui sont opposés par les autorités. Bien entendu, ce pragmatisme dont fait preuve Charles Camproux, le rédacteur de ce programme, ne peut que s’accompagner d’un allègement sensible de la revendication. Il n’est ainsi plus question, du moins clairement, d’un apprentissage réel de la langue, mais plutôt d’un enseignement culturel, plus général. Nul doute que, peu dupe des préventions de l’État vis-à-vis de cet enseignement, Charles Cam-proux compte sur un effet « boule de neige » : cet enseignement étant officiellement accepté tel que proposé par ce programme, on pourrait à force de propagande créer

1. « Programa Occitanista Basic adoptat a l’Acamp dels Amics d’Occitania, lo 8 de Decembre de 1935 » (Programme occitaniste basique adopté à la réunion des Amis d’Occitania, le 8 décembre 1935), Occitania, no22, 7 décembre 1935.

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un réseau de maîtres et de professeurs militants épaulés par les associations locales qui seraient en mesure de dispenser des cours plus complets et allant au-delà de ces propositions minimales. Mais, une fois de plus, ce projet adressé au ministère de l’Éducation nationale reste lettre morte.

Mais on ne peut cantonner Occitania à ces échecs. Ne serait-ce que parce que ce mouvement a su sensibiliser une nouvelle génération de militants à la question de l’enseignement de la langue d’oc. Jean Lesaffre, Jòrgi Reboul, Pierre-Louis Berthaud, Charles Camproux, seront parmi les plus investis dans ce combat pendant les décen-nies suivantes. Certes, ils reproduisent en partie les tactiques mises en place par le Félibrige et qui semblent vouées à l’échec. Mais, ce faisant, ils acquièrent une expérience qui leur sera d’autant plus profitable que, contrairement aux générations précédentes, ils vont savoir faire évoluer cette revendication, ainsi que le montre le projet de programme de 1937, et la porter d’une manière nouvelle et sans doute plus active qu’elle ne l’a été jusque là (Lespoux, 2009).

Où en sommes-nous donc arrivés à la fin des années 1930?

Sur le plan politique, depuis le début de la revendication pour l’enseignement de la langue d’oc, les réalisations un tant soit peu importantes sont à la fois rares et d’une portée minime :

— En 1911, Maurice Faure incite à l’étude de l’histoire et de la géographie locales dans les écoles et préconise l’utilisation des dialectes pour l’apprentissage du français.

— En novembre 1924, François-Albert, dans une très timide circulaire, autorise la tenue de conférences sur la langue d’oc dans les établissements secondaires et les Écoles normales du Midi, « à la condition que ces conférences ne soient pas trop nombreuses ».

— Lorsqu’il succède à Anatole de Monzie, en 1925, Édouard Daladier se contente de confirmer les autorisations accordées précédemment.

Maurice Faure, majoral du Félibrige, en 1911, Léon Bérard, membre de l’Escole Gastou Febus en 1919-1920 et entre janvier 1921 et mars 1924, Édouard Daladier maire de Carpentras et fervent défenseur des traditions locales... Il semble bien que les militants de la langue d’oc aient été destinés à être déçus par leurs amis.

Sur le plan pratique, quelques autorisations de dispenser des cours ont bien été accordées. Qui par un ministre, qui par un recteur ou un inspecteur d’académie, permettant essentiellement l’ouverture de cours dans le secondaire ( Joseph Fallen à Marseille et Aix-en-Provence, Pierre Fontan à Toulon...), ou de conférences dans des Écoles normales (par les membres de l’Escole Gastou Febus à Lescar, par exemple). Peu de choses en fait, et surtout dans des lieux où des écoles félibréennes sont bien implantées et dynamiques, c’est-à-dire, pour l’essentiel en Béarn et en Provence. Sans oublier le Collège d’Occitanie qui œuvre dans la région toulousaine.

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Les années 1930, avec l’accession à l’autonomie en 1931 de la Catalogne qui réveille les idéaux fédéralistes des Occitans, puis l’arrivée de la crise économique, et la mon-tée des totalitarismes et surtout la guerre d’Espagne qui touche de plein fouet la Catalogne, font que Félibrige comme occitanisme naissant sont plus absorbés par des questions purement politiques (Simin Palay, en juillet 1936, en appelle même dans les Reclams de Biarn e Gascougne à la création d’un parti félibre) et ralentissent sensiblement leurs actions en faveur de l’enseignement. En 1939, lorsque la guerre éclate, on peut estimer que la question de l’enseignement, sans avoir été abandonnée, a été reléguée au second plan des préoccupations des militants de la langue.

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Vichy et l’enseignement de la langue d’oc

1

Vichy et les associations régionalistes d’oc :

une communauté de pensée?

1.1 La lune de miel des défenseurs de la langue d’oc et de l’État français

Le mouvement en faveur de la langue d’oc, on l’a vu, est un mouvement pluriel. Pluralité dans le sens où l’on commence à la fin des années 1930 à bien distinguer Félibrige et occitanisme, mais aussi parce que, au sein de chacune de ces deux ten-dances se trouvent impliqués des hommes et des femmes aux opinions politiques différentes. On trouve ainsi représentée une droite dure proche de l’Action française dirigée par le félibre Charles Maurras avec des figures comme celles de Frédéric Mistral Neveu, Joseph Salvat, Philadelphe de Gerde ou Joseph d’Arbaud pour le Félibrige et Louis Alibert, Jean Lesaffre, Pierre-Louis Berthaud ou encore André J. Boussac chez les occitanistes. Si, comme l’indique Philippe Martel (Martel, 2001, p. 18), cette « famille » est la plus visible grâce à la figure charismatique de Maurras, les démocrates-chrétiens, la gauche et l’extrême-gauche sont tout aussi représentés dans le mouvement avec des personnes comme Pierre Azéma, Marius Jouveau, Léon Teissier, Antoine Conio, Charles Camproux, Max Rouquette ou Jòrgi Reboul. Ainsi, presque tout l’éventail politique est représenté à l’exception notable du fascisme tel qu’il se structurera autour de Déat et Doriot. Exception qui peut en partie être expli-quée par deux facteurs : le premier est l’anti-germanisme féroce de l’Action française dont sont proches les milieux droitiers du mouvement occitan, le second est le sort réservé par l’extrême-droite franquiste aux Catalans. Or, quel que soit leur camp, les militants de la langue d’oc n’ont eu de cesse depuis le début de la guerre d’Espagne de défendre leurs frères catalans persécutés par un Franco soutenu par l’Allemagne et l’Italie. On peut relever ici le paradoxe qui veut que l’Action française soutienne Franco alors que ses membres militant en faveur de la langue d’oc apportent leur sou-tien aux Catalans. On trouvera ainsi parmi les Occitans qui apportent leur sousou-tien

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aux intellectuels catalans réfugiés en France des personnalités aussi opposées que l’abbé Joseph Salvat, proche de l’Action française, et le docteur Ismaël Girard.

À partir de l’entrée en guerre de la France le 3 septembre 1939, l’ensemble du mouvement occitan va clairement faire acte de fidélité à la Nation française. Des Béarnais de l’Escole Gastou Febus maudissant dans les Reclams de Biarn e Gascougne de l’automne 1939 Hitler qui vient d’envahir la Pologne à Pierre-Louis Berthaud lançant une édition de guerre du journal Oc dans laquelle il met en avant les valeurs de liberté et de protection des opprimés que la civilisation occitane partage avec la Nation française lorsqu’il écrit « Nòste pòple mèijornau es lo que concep e que prac-tica lo milhor la libertat. La libertat, a poscut dire un escrivan, “es consustanciala a nòste pòple1” », les Occitans font acte de loyalisme. Le même Pierre-Louis Berthaud,

toujours dans Oc, se plaît à mettre en avant l’occitanité des ministres dont la réputa-tion n’a pas encore souffert des échecs politiques et militaires. Il en va ainsi, dans le numéro de janvier 1940, du président du Conseil Daladier qui, « à un banquet presque officiel », avait su en 1938 en s’exprimant en occitan faire sentir à son audi-toire « la patrie présente, charnellement présente entre nous, avec ses parfums et ses musiques, et sa raison pure comme son ciel... ». Quelques mois plus tard, dans un article de mars 1940 à l’intitulé sobrement révélateur, « Paul Reynaud ou le Monta-gnard Économe », alors que la sagesse toute méridionale de Daladier ne fait plus recette auprès de l’opinion, c’est au tour du Bas-alpin Paul Reynaud de faire preuve d’un sens aigu des responsabilités, un bon sens qu’il présente là encore forgé par ses racines occitanes; n’est-il pas après tout « le fils d’un peuple qui a appris à compter, à économiser, à bâtir son destin lui-même »?

Bref, les militants de la langue d’oc montrent dans un bel ensemble leur fidélité à la France, mais cherchent aussi à mettre en avant l’esprit qu’ils jugent intrinsèque à la civilisation occitane; cet esprit qui place au dessus de tout la liberté et la dignité de l’homme et qui oppose donc naturellement le peuple occitan à l’hitlérisme. Cet esprit, il faudra, afin d’éviter que le drame ne recommence, le replacer au centre de la société française une fois la guerre terminée; c’est ce que dit encore en substance Pierre-Louis Berthaud, toujours dans Oc en mars 1940,

[...] pour que l’homme reste vraiment libre et digne, il faut le restituer à son cadre naturel; le replacer dans ses conditions normales de vie [...] c’est parce que les hommes issus de la prétendue civilisation moderne ne sont en définitive que des enfants trouvés que l’hitlérisme a été possible et la guerre s’en est suivie. Or, pour refaire une âme aux hommes, rien n’est inutile. Parler la langue de leurs pères et en être fier, c’est un moyen de se reconquérir eux-mêmes2.

1. Pierre-Louis Berthaud, « Libertat » (Liberté), Oc, janvier 1940. « Notre peuple méridio-nal est celui qui conçoit et qui pratique le mieux la liberté. La liberté, a pu dire un écrivain, “est consubstantielle à notre peuple”. »

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Ce disant, Berthaud exprime une sensibilité qui semble assez courante dans les milieux militants pour la langue d’oc et dont on peut légitimement se demander de quelle idéologie elle tient. Dénonçant à la fois la centralisation et la perte d’huma-nité entraînée par les « machines gigantesques, anonymes, monstrueuses et toutes-puissantes que sont devenus l’État et la forme de production », Berthaud paraît cristalliser dans sa réflexion plusieurs idéologies. Son article semble un patchwork politique mêlant socialisme, barrésisme de l’époque des Déracinés, maurrassisme dans une certaine mesure par sa critique de la centralisation et son désir de restituer l’homme à son « cadre naturel », et catholicisme social; dont, même s’il a coutume de se déclarer athée, Berthaud se rapproche ici, dans le sens où il s’appuie sur les valeurs traditionnelles et sur la pensée de Mistral. Il en cite d’ailleurs des paroles dont les termes sont empreints de pensée chrétienne (« la langue, c’est le signe de famille, c’est le sacrement qui unit aux aïeux les petits enfants, c’est le fil qui tient le nid dans la famille »). On peut considérer à ce titre que ce qu’exprime là Berthaud est une idéologie sans doute proche de ceux que Jean-Louis Loubet Del Bayle appelle les non-conformistes des années 301qui se trouve à la fois dans le droit fil de ce qu’a pu

proposer la Troisième République en France à travers ses lois sociales, et de ce que va bientôt proposer Vichy avec sa Révolution nationale. Ces idées, on va d’ailleurs les retrouver, avec toute leur nébulosité et sans doute aussi quelque opportunisme, sous la plume de bien d’autres militants occitans quelques mois plus tard, une fois la défaite consommée.

Après la débandade de l’armée française débordée par la guerre éclair des Alle-mands au mois de mai 1940, le gouvernement, qui a dû quitter précipitamment Paris pour se réfugier à Bordeaux, voit le maréchal Pétain succéder à Paul Reynaud à la présidence du Conseil le 16 juin. Le 22 juin, le héros de Verdun signe l’armistice. Le 10 juillet, après la débandade militaire, place à la « débandade républicaine » pour reprendre les termes de Jean-Pierre Azéma (Azéma, 1979, p. 81) : l’Assemblée natio-nale, par 468 voix contre 80 et 20 abstentions, accorde les pleins pouvoirs à Pétain afin qu’il promulgue une nouvelle Constitution. Le régime dit « de l’État français » est né. Comme le lui demandait l’Assemblée ce 10 juillet 1940, le nouveau chef de l’État va mettre en œuvre une Constitution garantissant « les droits du travail, de la famille et de la patrie » (Azéma, 1979, p. 82), trilogie qui remplace d’ailleurs en tant que devise nationale la liberté, l’égalité et la fraternité de la « Gueuse » enfin tombée.

Et les Occitans dans tout cela? Comme une majorité de Français, il semble bien qu’ils se satisfassent de ce changement de régime.

1. Jean-Louis Loubet Del Bayle, Les non-conformistes des années 30, Paris, Éd. du Seuil, 1969, édition revue et augmentée, coll. « Points Histoire », 2001, 562 p.

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Le Feu, « revue occitane de l’humanisme méditerranéen », qui peu auparavant continuait à opposer l’amitié pan-méditerranéenne et l’humanisme des civilisations de la Méditerranée face à la barbarie germaine, a tôt fait, dès juillet 1940, de chercher et de trouver les coupables de l’accablante défaite. Ce ne sont plus les barbares germaniques : « Abstractions, polytechniques, juridismes privés d’inspiration et de foi nous ont livré à la défaite », lit-on sous la plume de Gabriel Boissy dans Le Feu de juillet 1940. Le coupable, c’est le régime précédent. Et ce sont aussi finalement tous les Français, qui ont délaissé les valeurs essentielles, les choses simples et ont été « pourris par la démocratie ».

Nous n’étions plus, nous sommes encore — sauf beaucoup de simples et quelques rares êtres d’élite — que des espèces d’anarchistes jouisseurs, finalement des nihilistes intégraux, des destructeurs de nous-mêmes. Nous avons mérité le châtiment.

La solution, c’est le changement, continue Boissy dans son article « Au vent des jours ». Un changement radical des modes de pensée, et « cette révolution d’ordre intellectuel ne peut être menée que par les hommes d’âge d’une pensée saine et énergique ». Fort heureusement, la France a la chance de disposer d’un de ces hommes d’âge, un octogénaire encore vert, le nouveau chef de l’État, le maréchal Pétain qui, pour preuve de sa sagesse, a su condamner « l’esprit de jouissance [qui] avait aboli l’esprit de sacrifice », et qui va mettre en place une nouvelle Constitution. Une « constitution si simple et si claire, si forte aussi par son caractère monarchique, née à Vichy et conçue par le sage M. Alibert ». C’est que la « revue occitane de l’humanisme méditerranéen » est aussi très proche de Maurras...

Mais il est peut-être plus étonnant de lire dans le numéro de l’été 1940 de Terra d’Oc, la revue qui, sous l’autorité d’André-J. Boussac, prend le relais d’Occitania, des lignes finalement assez proches de celles écrites par Boissy concernant la Constitution :

[...] benleu que se i aviá agut un rei per l’aplicar alloc de sabem pas quantis de chefes irresponsables e de menistres entrecanviadisses, ne seriám pas arribats, chucats e vudes, al malastre de 19401.

Bien que plus nuancé, le Montpelliérain Pierre Azéma, que l’on peut difficilement suspecter de sympathies maurassiennes, pointe lui aussi dans Calendau de juillet 1940 les erreurs du régime précédent et du peuple qu’il énumère ainsi :

[...] mau-gouvèr, inchaiença e flaquige, pigresa e jouïna, oublidança de las vielhas vertuts e de las sanas tradiciouns dau terraire2.

1. « [...] peut-être que s’il y avait eu un roi pour l’appliquer au lieu d’on ne sait combien de chefs irresponsables e de ministres interchangeables, nous n’en serions pas arrivés, lessivés et vidés, au malheur de 1940. »

2. « [...] mauvais gouvernement, nonchalance et mollesse, paresse et jouissance, oubli des vieilles vertus et des saines traditions du terroir. »

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Coupable aussi l’École de la Troisième République, elle qui, par ses idéaux de laïcité et d’égalité, a ouvert ses portes à des enfants qui n’étaient pas faits pour cela, introduisant ainsi les ferments de la décadence et de l’instabilité. C’est ce que dit celui qui signe Lescholier dans un article au titre évocateur (« La Vraie Pitié de notre Enseignement ») de la revue Le Feu de juillet 1940 lorsqu’il s’offusque de la gratuité de l’enseignement secondaire qui a entraîné une baisse catastrophique (déjà!) du niveau du baccalauréat :

Était-il vraiment nécessaire de désaxer tant de cerveaux pour en arriver là? Que pouvaient devenir, sauf exception, ces recalés de l’enseignement secondaire, sinon des ratés fauteurs du nivellement par le bas?

Pis :

Espérai-t-on (sic) une fusion des classes sociales sous l’égide des humanités? On a vu les élèves arborer à leurs boutonnières les insignes de partis antagonistes, la politique s’introduire sous les formes les plus aigües dans les demeures des études désintéressées.

Marcelle Drutel analyse de son côté en octobre 1940 la faillite de l’école primaire dans Fe, le journal de Marius Jouveau, le Capoulié du Félibrige, dont les idées sont pourtant assez éloignées de celles du Feu ou de l’Action française :

An parla d’educacioun dóu pople… e nòstis escolo se soun tout just averado bono pèr manca meme soun estrucioun [...] nòstis escolo an mastrouia li cervello de nòstis enfant pèr n’en faire de marrit pisso-sciènci, liogo de n’en faire d’ome e de francès. Noste regime egalitàri, universau, a vueja un saupre mau adouba en d’esperit que poudien pas lou reçaupre1.

Car, ainsi que le note ironiquement Philippe Martel, « tous les enfants ne sont pas fait pour le travail intellectuel » (Martel, 2001).

La solution unanimement avancée par les défenseurs de la langue d’oc est finalement simple : il faut suivre les principes édictés par Mistral. On la retrouve dans toutes les publications. Le Feu, dans son numéro de juillet 1940, publie un article de Louis Giniès intitulé « De Mistral à Pétain ». Pierre Azéma, dans Calendau, écrit que « tout ço que nous predicoun ara, pèr reviéuda e reviscoulà la França matrassada, n’en trouban la mesoula dins l’obra dau Mèstre de Malhana » (tout ce qu’ils nous prédisent maintenant, pour raviver et ranimer la France meurtrie, on en trouve la moëlle dans l’œuvre du Maître de Maillane). Dans un article intitulé « Revièure », de septembre 1940, c’est le journal varois La Pignato qui met en avant la figure tutélaire de Mistral.

1. « Ils ont parlé d’éducation du peuple... et nos écoles se sont tout juste avérées bonnes à faire échouer leur instruction [...] nos écoles ont maladroitement tripoté les cervelles de nos enfants pour en faire de mauvais pisse-science, au lieu d’en faire des hommes et des français. Notre régime égalitaire, universel, a déversé un savoir mal préparé dans des esprits qui ne pouvaient pas le recevoir. »

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Boussac fait de même dans Terra d’Oc, lorsque, après avoir évoqué l’exposé des motifs de l’Assemblée nationale où le gouvernement de Pétain a mis en avant l’importance des corporations et des régions autant que de la cellule familiale, il annonce :

Es que vos sembla pas que coneissetz ja aquelas ideas? Las avetz pas jamai vistas, formuladas endacom, atal, o ço parier gairebén? Oh! que si, vertat? Son aquelas d’Occitania, aquelas de Terra d’Oc, aquelas que descolan de la doctrina mistralenca1. Si les militants de la langue d’oc ont partagé l’idée d’une nécessaire repentance en suivant en cela, comme beaucoup de Français, le discours pétainiste, ils se retrouvent bien plus dans celle du retour à la terre, qui, elle, « ne ment pas », selon la formule d’Emmanuel Berl qui écrivit quelques discours pour le maréchal Pétain, et plus que tout dans l’éventuelle restauration des provinces, dans le provincialisme annoncé du gouvernement de Vichy. Longtemps les félibres ont fustigé la centralisation; depuis 1892, chaque jeune génération de félibres a écrit son manifeste fédéraliste. Et voici qu’un gouvernement entend enfin appliquer ces idées et ces valeurs. Ajoutons que la France est coupée en deux. Le territoire de la zone dite « libre », administrée par le nouvel État français, correspond peu ou prou à la zone de diffusion de la langue d’oc en France, si l’on excepte évidemment une partie de l’Aquitaine, mur de l’Atlantique oblige, et une partie du Limousin. De fait, les Occitans peuvent avoir le sentiment que c’est par eux que la Nation va se régénérer. C’est ainsi que l’on peut interpréter les paroles du Capoulié dans sa circulaire du 21 juillet 1940 lorsque, après avoir précautionneusement incité les félibres à attendre un peu que les projets gouvernementaux soient éclaircis, il déclare :

Dès maintenant, faisons porter nos plus grands efforts sur la maintenance de notre langue et sur la diffusion de notre littérature. La maintenance de l’une contribuera à l’attachement si souhaité de l’homme à sa terre et l’expansion de l’autre montrera que demeure encore une pensée saine et fière dans le pays de France.

Ayons le plus grand soin, non seulement de ne pas perdre le contact avec le peuple, mais encore de le rendre chaque jour plus étroit et plus intime [...]

Enfin que nos Écoles, tout en revenant à leur vie normale, [...] continuent à mettre leur action au service de la Patrie [...] et qu’elles montrent ainsi que l’idéal félibréen

est un idéal loyalement français. ( Jouveau, 1977, p. 347)

Bien entendu, les jeunes éléments les plus actifs et sans doute les plus à même de pouvoir émettre des réserves, parce qu’ils ont dès le début de leur revue fustigé les régimes totalitaires allemand, italien et espagnol, sont les membres du Parti occitaniste issu de la revue Occitania. Mais les plus charismatiques, les plus engagés aussi, comme Jean Lesaffre, Charles Camproux ou Jòrgi Reboul, font partie du

1. « Ne vous semble-t-il pas que vous connaissez déjà ces idées? Vous ne les avez pas déjà vues, formulées quelque part, comme cela, ou presque pareil? Oh! Si, n’est-ce pas? Ce sont celles d’Occitania, celles de Terra d’Oc, celles qui découlent de la doctrine mistralienne. »

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million et demi de soldats prisonniers de guerre. Et finalement, le discours de Pétain séduit plus que celui qu’ont pu tenir les gouvernements précédents. Le temps est à l’opportunisme. L’on s’entend si bien là-dessus, que félibres et occitanistes, entre lesquels les relations sont plutôt tendues, en arrivent à se mettre d’accord. Boussac comme Azéma, dans leurs articles, en appellent assez nettement à l’union; le premier, parlant de la cause occitane, prend soin de préciser qu’il n’a pas écrit « occitaniste », le second indique que lorsqu’il fait référence aux félibres, il entend le mot au « sens large ». Si cette union doit se faire, elle doit, comme le dit le Capoulié, se faire dans l’action. Voilà à quoi ces militants vont rapidement s’employer.

1.2 Premiers contacts

Les doléances portées auprès des différents gouvernements concernant l’enseigne-ment ont été, nous l’avons vu, régulières tout au long de l’Entre-deux-guerres. La dernière date d’ailleurs du printemps 1939. À l’initiative de la Commission perma-nente de l’enseignement du provençal, proche d’Occitania et dirigée par Paul Ricard et le majoral Antoine Conio, est alors demandée au ministre Jean Zay « l’introduc-tion de la langue d’oc parmi les langues qui peuvent être présentées à l’examen du baccalauréat série B ». Le refus est toujours poli, mais Jean Lesaffre, au nom des « Amis d’Occitania » profite de l’occasion pour en appeler à l’union des « Occita-nistes » afin de faire revivre une Ligue pour l’enseignement de la langue d’oc calquée sur le modèle de la ligue bretonne « Ar Brezonnez er Skol » qui pourrait notamment faire œuvre de propagande et ainsi faire un peu plus pression sur le ministère. Il ne faut sans doute pas réduire le terme « Occitanistes » aux seuls adhérents de la S.E.O. Lesaffre, lui-même occitaniste et félibre, fait ici référence, même si la formulation est sans doute maladroite, à tous les militants, occitanistes comme félibres. Ce vœu est d’ailleurs présenté par le Capoulié lors la Santo Estello de Carpentras. On voit donc que l’idée d’union, encore une fois sous l’impulsion du Félibrige parisien puisque Lesaffre fait partie des Amis de la langue d’oc par l’intermédiaire desquels le vœu est transmis au Capoulié, commence à faire à nouveau son chemin.

Dès juillet 1940, alors que les remaniements ministériels se succèdent à un rythme effréné, Marius Jouveau écrit aux différents ministres et secrétaires d’État chargés de l’Instruction publique afin que, dans le cadre de la révision des programmes scolaires envisagée par le nouveau gouvernement, « une place soit faite à l’enseignement de l’histoire locale et à l’enseignement des langues provinciales » : à Rivaud le 5 juillet; le 25 juillet à Mireaux qui répond gentiment le 7 août pour remercier le Capoulié de ses « intéressantes brochures » sans s’engager plus sur la question. Cela n’est pas bien grave, puisque qu’il est à son tour remplacé le 6 septembre par Georges Ripert dont on attend beaucoup, puisque son frère, Émile, est majoral du Félibrige.

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Au même moment, une autre action se met en place sous l’égide d’Ismaël Girard avec l’aide d’André J. Boussac et de Pierre Azéma. Il s’agit d’écrire une requête au maréchal Pétain; requête qui serait cosignée par des représentants de l’ensemble des sensibilités existantes parmi les militants pour la langue d’oc. Cette requête présente un double intérêt : d’une part elle nous confirme les sentiments partagés par ces militants, de toutes tendances, à propos de la politique annoncée par Pétain, d’autre part elle nous montre la capacité d’action et d’union qu’ont pu déployer à ce moment précis ces personnes aux sensibilités bien différentes.

L’idée vient donc de Girard qui, dès la deuxième quinzaine de juillet, la confie à Boussac. Il faut dire que dans son message du 11 juillet 1940, le nouveau chef de l’État avait annoncé que « des gouverneurs seront placés à la tête des grandes provinces françaises et ainsi l’administration sera concentrée et décentralisée », ajoutant même que « la province sera organisée de manière à pouvoir se suffire à elle-même1».

L’annonce a de quoi séduire les militants de la langue d’oc qui peuvent trouver là un début de réponse à leurs revendications; la simple référence à un nouveau découpage administratif, lorsque Pétain parle des « grandes provinces françaises » auxquelles il semble vouloir laisser une certaine autonomie, venant sans doute quelque peu titiller la fibre fédéraliste de nombre d’entre eux. Même s’il est vrai que l’idée d’une administration à la fois « concentrée et décentralisée » peut laisser dubitatif tant ces deux termes frisent l’antinomie.

Mais les revendications restent finalement classiques et diffèrent assez peu de celles faites jusque-là auprès des différents gouvernements, si l’on excepte bien sûr le premier de leurs trois grands points le plus lié à l’actualité politique puisqu’il consiste à interpeller le maréchal Pétain sur l’intérêt de ne pas négliger « l’élément historique et linguistique2» dans la délimitation des provinces. Le deuxième point concerne

la réorganisation de l’enseignement et demande que « l’histoire locale et la langue locale figurent en bonne place sur les programmes de l’école primaire ». Le troisième consiste en un vœu concernant « les futures Chambres où seront représentés tous les éléments vitaux du pays », dont la mise en place avait été annoncée par Pétain et dans lesquelles il faudrait que les « authentiques forces traditionnelles de nos provinces aient la possibilité de faire entendre leurs voix ». Il faut dire que la liste des signataires, dont certains ont des idées très opposées de la militance et de la défense de la langue, nécessite que l’on s’accorde sur un minimum de points consensuels.

En effet, ces signataires sont issus du Félibrige ou proches de lui (le Capoulié Jouveau, les majoraux Joseph d’Arbaud, Michel Camélat de l’Escolo Gastou Febus,

1. Cité par Guy Rossi-Landri, « La région », dans Jean-François Sirinelli (dir.). Histoire des droites, vol. 2, Cultures, Paris : Gallimard, 2006, (Tel), p. 94.

2. Texte de la requête publié dans « Le Maréchal Pétain et la langue d’oc », Supplément au numéro de février 1941 de Terra d’Oc.

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Léon Teissier, les syndics des maintenances de Provence, Limousin et Languedoc qu’étaient alors respectivement André Jaubert, René Farnier et Pierre Azéma, les félibres Gandilhon-Gens-d’Armes, Jean Bourciez et le chanoine Laffargue, Alfred Jeanroy de l’Institut), ou bien de la Société d’études occitanes (Ismaël Girard, Louis Alibert auxquels on peut ajouter Léon Cordes, ancien d’Occitania); certains étant membres des deux organisations, notamment André J. Boussac, majoral du Félibrige et président de la S.E.O. Encore que la liste finale des signataires ne comprenne pas tous les noms envisagés au départ par Ismaël Girard, André J. Boussac et Pierre Azéma. Une première liste établie par Ismaël Girard1comptait des personnes qui

n’apparaissent finalement pas pour diverses raisons. Quelques noms ou organisations d’importance manquent en fin de compte.

D’abord Jean Charles-Brun, le félibre président de la Fédération régionaliste française dont la politique envisagée par Pétain pouvait laisser penser que son organi-sation était susceptible d’avoir une certaine influence vis-à-vis du gouvernement. Or, cette absence semble due essentiellement au fait que les organisateurs de la requête n’aient pas pu le toucher à temps. Azéma, chargé de le contacter, voit sa lettre en date du 20 août retournée avec la mention « n’a pu être acheminé ». On est tout de même en droit de s’interroger sur le fait que personne d’autre ne semble avoir cherché à joindre Jean Charles-Brun. Peut-être simplement parce que la lourdeur des démarches entreprises pour joindre tous les signataires potentiels et toucher directement le maréchal Pétain n’ont finalement laissé que peu de temps pour cela? Ripert ensuite, qui devient particulièrement important après le 6 septembre 1940 puisque c’est à cette date que son frère devient secrétaire d’État de l’Instruction publique et de la Jeunesse, est également absent des signataires. Or, il ne semble pas particulièrement pressé de répondre à la demande faite par Azéma, et ne donne pas clairement son accord malgré une lettre qu’il adresse à ce dernier le 17 septembre. Pierre Azéma note d’ailleurs en écrivant à Girard le même jour :

[...] crese qu’es subretout lo message del marescal que l’a decidat de sourti de soun silenci... Amai que, dins sa letra, aloungue prou la saussa e negue un pauc lo peis, on pot pensà que signarà2.

C’est qu’entre temps, le Maréchal, comme nous allons le voir, s’est déjà manifesté. L’Escòla Occitana et l’académie des Jeux floraux ne sont pas non plus représentées parmi les signataires. Cela s’explique assez aisément. En effet, l’Escòla Occitana et

1. CIRDOC. Fonds Azéma, AZP 03-3-7, lettre du 4 août 1940. Les noms proposés par I. Girard sont : Jouveau, Charles-Brun, Alibert, Ripert, Amade d’Arbaud, Eyssavel, Azéma, Boussac, Teissier, Camproux, Cordes, Farnier, Camélat, Vidal, Gandilhon-Gens-d’Armes, de Pesquidoux, Laffargue, Cubaynes, Salvat et Perbosc.

2. Collège d’Occitanie. Fonds Girard, CQ 517 (19), lettre du 17 septembre 1940. « [...] je crois que c’est surtout le message du maréchal qui l’a décidé à sortir de son silence. Quoi que, dans sa lettre, il allonge bien la sauce et noie un peu le poisson, on peut penser qu’il signera. »

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la S.E.O. sont en conflit. Les dissensions portent essentiellement sur la question de la graphie, Perbosc reprochant en substance à la S.E.O. d’adopter la graphie proposée par Alibert, évacuant ce faisant la sienne, alors que cette graphie alibertine découle directement de la graphie Estieu-Perbosc. Cela explique nettement le fait que Perbosc ait refusé de répondre aux sollicitations concernant la requête sachant que l’idée venait de Girard et Boussac. On aurait pu s’attendre à voir aussi figurer l’abbé Salvat, au titre de l’Escòla Occitana ou de l’académie des Jeux floraux. Il semble là que l’absence finale de Salvat tienne surtout au caractère intransigeant de l’abbé, mais aussi à la méfiance qu’éprouvaient vis-à-vis de lui Boussac, Girard et Azéma. Dans une lettre du 30 août 1940, Azéma s’irrite ainsi d’une demande de Salvat :

Salvat demanda, se se mes de titouls as sinnatàris, que ié metoun à el « Director del Colètge d’Occitania »... s’agis pas, pas vrai? de pensà à ço que pot faire lou milhour efèt à Vichy, mes de pas quità passà l’oucasioun d’una reclama pèr la pichota boutiga1. Et le 11 septembre :

Me sembla d’à-founs inutile d’anà querre de mounde que vesoun, dins una escasença couma aqueste, subretout lou mejan de faire de reclama pèr sa boutiga. D’alhours, couma es iéu que i’ai demandat sa sinnatura, me cargue de ié dire que ié la renden, e perdequé2.

Salvat, jugé trop enclin à tirer la couverture à lui, se trouve donc écarté.

L’académie des Jeux floraux, quant à elle, devait initialement être représentée, dans l’idée de Girard, par Joseph de Pesquidoux. Avec opportunisme, Ismaël Girard voit là un moyen de toucher directement le maréchal Pétain. En effet, le Gersois de Pesquidoux, membre de l’académie des Jeux floraux, est aussi membre de l’Académie française où il a été élu en 1936 grâce au soutien actif du maréchal Pétain à la faveur de ses états de services lors de la première guerre mondiale. Ismaël Girard est alors en contact avec le chanoine Laffargue, autre Gersois, proche de Joseph de Pesquidoux, dont il envisage d’éditer par le biais de la S.E.O. une traduction occitane du Livre de Ruth et des Évangiles. Il décide donc de transmettre à Laffargue une adresse au Maréchal que Pesquidoux pourrait présenter à ce dernier en préambule à la requête finale. Malheureusement, Pesquidoux, qui déjeune avec Pétain le 12 août à Vichy, décide de ne pas faire passer le message au chef de l’État, estimant qu’il serait futile

1. Collège d’Occitanie. Fonds Girard, CQ 517 (19), lettre de P. Azéma à I. Girard du 30 août 1940. « Salvat demande, si l’on met des titres aux signataires, qu’on lui mette à lui “Directeur du Collège d’Occitanie”... il ne s’agit pas, n’est-ce pas ? de penser à ce qui peut faire meilleur effet à Vichy, mais de ne pas laisser passer l’occasion d’une réclame pour sa petite boutique. »

2. Collège d’Occitanie. Fonds Girard, CQ 517 (19), lettre de P. Azéma à I. Girard du 11 septembre 1940. « Il me semble totalement inutile d’aller chercher des gens qui voient, dans une occasion comme celle-là, surtout le moyen de faire de la réclame pour leur boutique. D’ailleurs, comme c’est moi qui lui ai demandé sa signature, je me charge de lui dire nous la lui rendons, et pourquoi. »

Figure

Tableau 1 – Les membres de la Commission de l’Éducation nationale présents lors de la séance du 16 février 1949 (sur fond gris les députés bretons)

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