• Aucun résultat trouvé

Étude comparative de la justice restaurative à travers la mise en place des rencontres détenus victimes en France et au Canada

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Étude comparative de la justice restaurative à travers la mise en place des rencontres détenus victimes en France et au Canada"

Copied!
115
0
0

Texte intégral

(1)

© Mathilde Rostaing, 2019

Étude comparative de la justice restaurative à travers la

mise en place des rencontres détenus victimes en

France et au Canada

Mémoire

Maîtrise en droit - avec mémoire

Mathilde Rostaing

Université Laval

Québec, Canada

Maître en droit (LL. M.)

et

Université Toulouse 1 Capitole

Toulouse,France

(2)

«

Étude comparative de la justice restaurative à travers la mise en place

des rencontres détenus victimes en France et au Canada ».

Mémoire

« Maîtrise en droit avec mémoire (LL.M) »

Mathilde ROSTAING

Sous la direction de :

Julie DESROSIERS, Université Laval

(3)

Résumé :

En France et au Canada, la justice restaurative a fait son apparition à travers le temps. Celle-ci est arrivée pour répondre aux insuffisances du système pénal actuel qui est un modèle punitif. Cette intégration a toutefois été plus rapide au Canada, par le développement de nombreuses mesures restauratives, dont la France s’inspire aujourd’hui. Il s’agit ici d’étudier l’opportunité d’intégrer les mesures restauratives, notamment les rencontres détenus victimes, au sein de l’arsenal de réponses pénales français, en étudiant leurs effets au Canada. Bien que les effets de la justice restaurative se voient sur les infracteurs, les victimes et la communauté, notamment grâce aux études menées au Canada et aux retours des rencontres détenus victimes expérimentées à la maison centrale de Poissy, son utilisation est encore sujette, en France, à de vives critiques, tant du côté de ses soutiens, qui souhaitent un développement plus rapide et plus efficace des mesures restauratives, que de ses opposants qui n’y trouvent pas une solution aux limites du système actuel.

(4)

Abstract:

In France, as much as in Canada, restorative justice has emerged through time. It has been brought to light in order to respond to our current criminal judicial system which is based on punition. However, its integration has been way faster in Canada, through many different restorative procedures, rather than in France who is now trying to catch up. The aim of this study is to demonstrate the opportunity to integrate restorative procedures within the French criminal system, such as victim offender meetings, by studying their effects in Canada. The benefits of restorative justice have been shown on the offenders, as well as the victims and the community, namely through several Canadian studies and previous victim offenders meetings at Poissy’s penitentiary. However, its use is still being criticized in France as much by its followers who want a faster and better development of restorative procedures than by its opponents who don’t think it is an answer to our current criminal system.

(5)

Table des matières

RESUME : ... II ABSTRACT: ... III TABLE DES MATIÈRES ... IV REMERCIEMENTS ... VI

INTRODUCTION ... 1

PARTIE I – L’INTEGRATION DE LA JUSTICE RESTAURATIVE AU CŒUR DES SYSTEMES PENAUX FRANÇAIS ET CANADIEN... 19

CHAPITRE 1ER : LA REMISE EN QUESTION DE LA JUSTICE PUNITIVE PAR LA JUSTICE RESTAURATIVE ... 20

1. LA CRISE DE LA LEGITIMITE PENALE : UN TERRAIN FERTILE POUR L’AVENEMENT DE LA JUSTICE RESTAURATIVE ... 20

1.1. La perte d’efficacité des institutions... 20

1.1.1. La remise en question de la peine de prison ... 20

1.1.2. La remise en question de l’éthique de la peine ... 22

1.2. Le développement des mouvements pour les victimes d’infractions ... 24

1.3. Le populisme pénal et la crise de la pénalité moderne ... 26

2. L’EMERGENCE D’UN MOUVEMENT NOVATEUR DE JUSTICE RESTAURATIVE ... 29

2.1. La pierre angulaire du mouvement avec la Déclaration de Leuven ... 30

2.2. Le courant très engagé des maximalistes ... 32

2.3. Le mouvement plus nuancé des minimalistes ... 33

2.4. La pensée abolitionniste ... 34

3. L’ELOIGNEMENT DES FINALITES TRADITIONNELLES DE LA PEINE. ... 36

3.1. Le crime comme atteinte aux personnes ... 37

3.2. La redistribution des rôles ... 38

3.3. Un sens de la peine basé sur la réparation. ... 40

CHAPITRE 2 : L’ADAPTATION DE LA JUSTICE PUNITIVE A LA JUSTICE RESTAURATIVE, UNE EDULCORATION DES PRINCIPES RADICAUX ... 43

1. L’INTEGRATION DE LA JUSTICE RESTAURATIVE DANS LE SYSTEME CANADIEN ... 43

1.1. La réforme de 1996 intégrant des objectifs de détermination de la peine imprégnés de justice corrective ... 43

1.2. La consécration des objectifs de réparation et de responsabilisation par la jurisprudence de la Cour suprême ... 47

1.3. La place limitée de la victime dans le procès ... 50

2. L’INTEGRATION DE LA JUSTICE RESTAURATIVE DANS LE SYSTEME FRANÇAIS ... 51

2.1. Des débuts timides ? ... 52

2.1.1. L’affirmation de la place de la victime au sein du procès pénal ... 52

2.1.2. Les diverses mesures préalables à la loi de 2014 ... 54

2.2. La consécration ultime par la loi Taubira en 2014 ? ... 56

2.2.1. Codification de nouveaux objectifs pénologiques ... 56

2.2.2. L’insertion du recours à la justice restaurative dans le Code de procédure pénale 58 2.2.3. Le développement lent des mesures restauratives après 2014 ... 59

(6)

PARTIE II : LA JUSTICE RESTAURATIVE : COMPLEMENT OU SUBSTITUTION AU

MODELE PUNITIF ? ... 62

CHAPITRE 1ER : LES RENCONTRES DETENUS VICTIMES AU SEIN DES MESURES RESTAURATIVES AU CANADA ET EN FRANCE ... 63

1. DES FINALITES DIFFERENTES SELON LE MOMENT D’INTERVENTION DE LA MESURE RESTAURATIVE ... 63

1.1. Les mesures pré-sentencielles ... 63

1.1.1. Un véritable effet sur la détermination de la peine ... 64

1.1.2. L’application des principes directeurs de la procédure pénale ... 65

1.1.2.1. Le consentement de l’accusé vicié pour obtenir une réduction de peine ... 65

1.1.2.2. Le consentement de la victime, encore sujette à de vives émotions ... 67

1.3. Les mesures post-sentencielles ... 69

1.3.1. L’ouverture d’un dialogue ... 70

1.3.2. Le respect nécessaire des droits fondamentaux ... 71

2. LE CAS PARTICULIER DES RENCONTRES DETENUS VICTIMES. ... 73

2.1. Définition ... 73

2.1.1. Définition négative ... 73

2.1.2. Définition contemporaine ... 74

2.2. Les rencontres détenus victimes face aux objectifs de détermination de la peine 75 2.2.1. La responsabilisation du détenu ... 76

2.2.2. Une possible réparation chez les victimes et une ouverture au pardon ... 79

2.2.3. Le rétablissement de la paix sociale au sein de la communauté ... 81

CHAPITRE 2 : LES MESURES RESTAURATIVES : UN NECESSAIRE ELARGISSEMENT DU FILET PENAL ? ... 83

1. UN ELARGISSEMENT DIFFERENT SELON LE MOMENT D’INTERVENTION DE LA MESURE RESTAURATIVE ... 83

1.1. Le cas des mesures pré-sentencielles : un élargissement variable ... 83

1.2. Les mesures post-sentencielles avec l’exemple des rencontres détenus victimes : un ajout à la peine ... 85

1.3. Des conséquences différentes selon les traditions juridiques ... 85

2. LA JUSTICE RESTAURATIVE : UNE INSUFFISANTE REMISE EN QUESTION DU SYSTEME PUNITIF ... 87

2.1. Un impact à petite échelle ... 87

2.2. Une mutation du punitif vers le civil ? ... 90

CONCLUSION GENERALE : ... 94

(7)

Remerciements

Pour la rédaction de ce mémoire, je tenais à remercier tous les professeurs qui l’ont rendu possible en premier lieu. Merci au Professeur De Lamy qui a accepté d’être mon directeur de mémoire français sur le sujet de mon choix et de m’avoir apporté des conseils bénéfiques quant à mon plan et mes angles de recherche. Merci également au Professeur Rainville qui a été accueillant depuis notre arrivée et a su, durant l’atelier de présentation, critiquer mon mémoire de manière juste et intéressée afin de le rendre meilleur, tout en m’encourageant dans mon sujet. Et enfin merci à la Professeure Desrosiers, sans qui ce mémoire n’aurait sûrement pas vu le jour. Elle a su être patiente, m’encourager à pousser le plus ma recherche sur un sujet qui me tenait à cœur, m’aider à améliorer mon plan le plus possible et surtout, ne jamais cesser de m’encourager dans ma rédaction.

Je tiens également à remercier tous ceux qui ont été là pour moi pour ce mémoire et à travers mon expérience au Canada, que ce soit en étant sur place, ou à travers un écran depuis la France, vous vous reconnaîtrez et vous savez ce que votre soutien a représenté. J’ajoute un petit mot pour ma mère qui, sur ses vacances au Québec, s’est levée à 6h du matin pour venir écouter la présentation de mon mémoire, sans en douter une seconde.

(8)

Introduction

« La fonction principale de la réaction sociale à la criminalité n’est ni de punir ni de rééduquer, ni de traiter, mais de promouvoir la réparation des torts causés par le délit »1. Par cette déclaration en 1997, différents auteurs aux pensées novatrices distinguent différents systèmes judiciaires : la voie qui punit avec la justice rétributive, celle qui rééduque par le biais de la justice réhabilitative2 et finalement celle de la justice restaurative qui répare. Bien que cette séparation entre les différents types de justice soit extrême, puisqu’il convient de penser que la peine peut à la fois punir, rééduquer et réparer cumulativement, et non alternativement, c’est cette troisième voie de justice, celle qui répare, qui va intéresser ce mémoire.

Avant de se concentrer sur les modèles qui s’affrontent ou se complètent aujourd’hui – justice punitive et restaurative- il faut retracer les différents modèles de justice, fondés sur différentes idées de la peine, qui ont évolué avec l’histoire.

A l’origine, bien avant notre ère, le conflit est d’abord vu comme privé et la peine est égale au mal infligé : c’est la loi du Talion. La peine est strictement vindicative et aux mains des familles qui s’affrontent3. Toutefois, la vengeance n’était pas illimitée et devait se limiter au mal subi4.

La peine va progressivement évoluer pour devenir pécuniaire. En effet, dès le Code Justinien en -529 avant J-C, des montants correspondant à différents comportements étaient établis5. De plus, cette composition pécuniaire avait à la fois une vocation réparatrice et vindicative qui satisfaisait la vengeance

1 Declaration of Leuven (1997), On the advisability of promoting the restorative Approach to

Juvenile Crime European Journal of Policy and Research, vol 5, no4, p.118-122

2 LEMONNE A. et CLAES B., La justice réparatrice en Belgique : une nouvelle philosophie de la

justice ? dans Alice Jaspart, Sybille Smeets, Véronique Strimelle et Françoise Vanhamme (dir.),

Justice! Des mondes et des visions, Montréal, Érudit, coll. Livres et actes, 2014 [ http://erudit.org/livre/justice/2014/index.htm ].

3 PANSIER F-J., La peine et le droit, Que sais-je ?, Presse universitaire de France, 1994, p.18 4 PAILLARD B., La fonction réparatrice de la répression pénale, L.G.D.J., Thèse de l’Université

Panthéon-Assas, Bibliothèse des sciences criminelles tome 42, 2007, p.1

(9)

tout en assurant la compensation du droit lésé6. Avec le droit romain en Europe, le conflit devient également public et dans les pays de Common law, l’étatisation du conflit arrivera plus tard, au 12ème siècle avec l’invasion normande de la Grande-Bretagne, lorsque le Roi devient la victime symbolique des préjudices légalement reconnus7. Ainsi, pour des raisons de lutte contre l’arbitraire, l’hétérogénéité, la démesure prétendue de la justice privée, l’État s’est arrogé le monopole de la réaction pénale, de l’incrimination à l’exécution des peines en passant par la procédure pénale et a imposé son autorité politique8.

Ensuite la peine devient corporelle, notamment au Moyen-âge, le rôle essentiel est de faire souffrir et dissuader le public qui regarde les châtiments infligés. Ce modèle de rétribution pénale perdure au moment de la Révolution française, tel que soutenu par Kant, qui voit « la loi pénale (comme) un impératif catégorique »9 et Hegel pour qui la peine est une nécessité dialectique quand une règle de droit est violée. De plus, la religion chrétienne justifie la punition par l’expiation du péché10 et que la répression est une délégation divine11. Il faut alors punir non pas pour dénoncer, mais pour compenser le mal du crime par le mal de la peine12. En effet, la compensation et la punition se distinguent avec le code des délits et des peines du 3 brumaire an IV qui énonce à son article 5 que « l’action publique a pour objet de punir les atteintes portées à l’ordre social » et que « l’action civile a pour objet la réparation du dommage que le délit a causé » à son article 6.

6 PAILLARD B., La fonction réparatrice de la répression pénale, L.G.D.J, Thèse de l’Université

Panthéon-Assas, Bibliothèse des sciences criminelles tome 42, 2007, p.1

7 KIM M., Essai sur la justice restaurative illustré par les exemples de la France et de la Corée

du Sud, Droit, Thèse inédite, Université Montpellier, 2015. Français. ffNNT : 2015MONTD004ff.

fftel-01275715f, p.20

8 ALLINNE J-P.,, dans Les victimes, des oubliées de l’histoire du droit ?, GARNOT B. (Éd),

Presse Universitaire de Rennes, 2000, p. 25 s.

9 KANT E,, La raison pratique, Paris, Presses universitaires de France, 1968, p. 178.

10 PAILLARD B., La fonction réparatrice de la répression pénale, L.G.D.J, Thèse de l’Université

Panthéon-Assas, Bibliothèse des sciences criminelles tome 42, 2007, p.14

11 CARIO R., Justice restaurative. Principes et promesses, Ed. L’Harmattan, Coll. Traité de

sciences criminelles, Vol. 8, 2è éd. 2010, p.30

12 DUBE R. et LABONTE S., La dénonciation, la rétribution et la dissuasion : repenser trois

obstacles à l’évolution du droit criminel moderne, Erudit, les cahiers de droit, Volume 57,

numéro 4, décembre 2016, https://www.erudit.org/fr/revues/cd1/2016-v57-n4-cd02863/1038262ar/

(10)

Cette phase de peine corporelle va ensuite se muter vers la phase caractérisée par la privation de liberté13 qui représente « le progrès des idées et l’adoucissement des mœurs »14. La peine va alors trouver son idéal dans la prison. Jusqu’au XVIIIème siècle, la prison n’est que le lieu de rétention avant l’affliction d’un mal corporel. Ensuite, celle-ci devient la peine par excellence. La pensée des Lumières est tournée vers le modèle de l’utilité sociale où les objectifs de la punition sont alors la réhabilitation, la dissuasion générale et individuelle et la neutralisation de l’individu15. Ce courant est notamment porté par Beccaria qui propose des peines proportionnelles aux délits, avec une progression de peines selon la progression du crime, pour que chaque peine soit dissuasive16, ou encore Bentham qui prône que la peine doit être juste suffisante pour empêcher le criminel d’agir tout en étant assez sévère pour être dissuasif sans engendrer de souffrances superflues17. Il s’inspire d’ailleurs de la théorie développée par Adam Smith en économie avec ce calcul que le délinquant fait entre le profit à tirer du délit et le mal du châtiment18. Il évoque également le but collatéral de la sanction qui est la satisfaction de la partie lésée, sans que ce soit le but principal de la punition, car celle-ci ne peut jamais être équivalente à la douleur causée19. La limite de cette théorie est que l’intimidation ne fonctionne que si l’interdit et la peine sont réellement connus et si l’évaluation des risques est exacte20.

En 1791, la France verra la rédaction de son premier Code Pénal, et ses auteurs veulent bannir les peines corporelles qui sont « indignes d’un siècle

13 Jean PRADEL, Droit pénal comparé, 4e édition, coll. Précis, Paris, Dalloz, 2016, par. 491 14 ROSSI P., Traité de droit pénal, 1829, III, p. 169. 3. VanMeenen, Congrès pénitentiaire de

Bruxelles, in Annales de la Charité, 1847, p. 529- 530. 3. A. Duport, Discours à la Constituante, Archives parlementaires.

15 BEBIN X., Pourquoi punir ? L’approche utilitariste de la sanction pénale, L.G.D.J,

L’Harmattan, 2006

16 BECCARIA C., Des délits et des peines, 1764, édition Du Boucher, p.77,

http://www.leboucher.com/pdf/beccaria/beccaria.pdf

17 LEROY M-L., Quantité et qualité des plaisirs chez Bentham, Revue d’études benthamiennes,

http://journals.openedition.org/etudes-benthamiennes/180 ; DOI : 10.4000/etudes-benthamiennes.180

18 BENTHAM J., Traité des peines et des récompenses, Ed 1811, Tome 1, Hachette livre, 1794 19 JEANCLOS Y., La peine, miroir de la justice, Clefs politique, Montchretien, 2012, p.193 20 R. CARIO Justice restaurative, principes et promesses, L’harmattan, Traité de sciences

(11)

humain et éclairé ; la raison et la philosophie les proscrivent »21. Les rédacteurs du Code voient la liberté comme valeur suprême dont la privation semblait être la peine la plus dissuasive.22 Toutefois, les peines cruelles reverront le jour sous le Code de 1810 avec des « peines corporelles d’esclavage et de travail » avant d’être de nouveau supprimées par la loi du 28 avril 183223, qui par la même occasion introduit les circonstances atténuantes dans le Code. La prison connaît le même succès en France et au Canada, et est vue comme répondant à tous les objectifs pénologiques : la dissuasion, la dénonciation et la réinsertion sociale des délinquants qui avaient du temps pour réfléchir et des travaux d’intérêt général au sein de la prison24.

A la fin du XIXème siècle, c’est le courant positiviste qui se développe notamment grâce aux travaux des criminologues italiens tels que Lombroso, Ferri et Garofalo qui envisagent le crime uniquement sous l’angle scientifique. Le but de la punition devient alors uniquement la protection de la société, le délinquant est envisagé sous l’angle de la dangerosité25.

Toutefois, au XXème siècle c’est une nouvelle phase pénologique qui voit le jour avec le modèle réhabilitatif dont l’idée est de traiter le délinquant pour protéger la société26. Il est porté notamment par les travaux de Saleilles, dans la continuité de ceux de Lucas et l’École de la Défense Sociale qui veut individualiser la peine à l’individu donc l’adapter à chaque criminel27, c’est en effet « la considération de l’individu qui détermine le genre de mesure qui lui convient »28. L’Ecole de la Nouvelle défense sociale se rapproche de ce mouvement et défend également ce modèle et une pensée plus humaniste. En effet, Ancel, ancien magistrat, dénonce le fait que le droit pénal n’exprime plus la

21 Lepeletier de Saint-Fargeau, 1791

22 PONCELA P., Droit de la peine, Thémis droit privé, 2ème édition, puf, 2001, p.88 23 Ibid p.81

24 R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688

25 Projet de loi de finances pour 2015, ADOPTÉ PAR L’ASSEMBLÉE NATIONALE, Tome VIII

administration pénitentiaire, n°114 Sénat session ordinaire de 2014-2015, <https://www.senat.fr/rap/a14-114-8/a14-114-81.pdf>

26 JEANCLOS Y., La peine, miroir de la justice, Clefs politique, Montchretien, 2012,, p.167 27 SALEILLES R., L'individualisation de la peine. Étude de criminalité sociale, Paris, 1898 28 Ibid, p.164

(12)

réalité sociale et que le délinquant ne doit pas être soumis à la justice pénale aux seules fins de vengeance ou de rétribution29. Il veut accroître les pouvoirs du juge et introduire systématiquement un traitement du délinquant pour sa « socialisation »30. La politique criminelle doit comporter des mesures de resocialisation, qui va notamment permettre le développement des mesures de sûreté ou le sursis de peine. C’est l’émergence de nouveaux traitements de la criminalité31, qui se traduit notamment en France par la réforme Paul Amor32 en 1945 qui énonce quatorze principes pour l’administration pénitentiaire, notamment que « la peine privative de liberté a pour but essentiel l’amendement et le reclassement social du condamné »33. Cette idée se retrouvera également en droit canadien par exemple avec la probation. La peine se concentre donc sur l’individu et non pas le châtiment.

Ce qu’il faut retenir à la fin du XXième siècle, c’est que « la peine réside dans son caractère afflictif et infamant »34 et qu’elle constitue « une réaction contre la violation d’une règle de droit qui a pour fonction, au moins partielle, de punir cette violation »35. La peine est justifiée par sa raison d’être et c’est pourquoi, à travers le temps, elle a été désignée en fonction du dommage causé, de l’infraction commise, de la responsabilité morale ou de la dangerosité de l’agent. Chaque justification relevait d’une approche philosophique et d’une politique pénale différentes36.

Néanmoins, tous ces modèles utilisent la prison comme peine idéale, même si elle est vue tantôt comme un châtiment uniquement, une utilité ou encore une peine à individualiser pour correspondre au délinquant. Or cette première voit

29 ANCEL M., La Défense sociale nouvelle, un mouvement de politique criminelle humaniste,

1954, 3e édition, Cujas, Paris

30 PONCELA P., Droit de la peine, Thémis droit privé, 2ème édition, puf, 2001, p.62 31 PRADEL J., Droit pénal comparé, 4e édition, coll. Précis, Paris, Dalloz, 2016, par. 491 32 Paul AMOR directeur de l’Administration Pénitentiaire à partir du 30 septembre 1944 33 PINATEL J. Chronique pénitentiaire, Revue de science criminelle et droit pénal comparé,

1946, p. 142-143

34 MERLE R. et VITU A., Traité de droit criminel, t.1, Cujas, 1981

, p.743-744

35 TROUSSE P-E, Les principes généraux du droit pénal positif belge, Les nouvelles, droit

pénal, t. 1, vol. 1, Bruxelles, Larcier, 1956, p. 143

36 VAN DE KERCHOVE M., Les fonctions de la sanction pénale, entre droit et philosophie, , 2005,

(13)

ses limites, que ce soit en France ou au Canada. On remarque que l’incarcération est à utiliser avec retenue et modération et qu’elle ne permet pas de réduire le taux de criminalité37, et qu’elle devient, plus qu’autre chose, un lieu de surveillance généralisée et que « le châtiment est passé d’un art des sensations insupportables à une économie des droits suspendus »38. Ainsi, la justice pénale du milieu du XXème siècle fait face à une crise : comment améliorer ou changer le système actuel ? Comment trouver des alternatives à la prison ou lui permettre de répondre mieux à des objectifs pénologiques définis ? Une réponse à ces questions semble à la fois nécessaire, mais délicate quand on sait que « la justice punitive est inscrite au cœur de notre système pénal »39.

En ce qui concerne les parties au procès, l’accusé est un terme qui ne laisse pas de doutes, en revanche, le sens du mot « victime » a évolué avec le temps et les changements sur la « peine » au cours de l’histoire. En effet, à ses origines latines, la victime renvoyait à la bête offerte en sacrifice aux dieux puis « ce qui est sacrifié »40. Par extension le terme a ensuite renvoyé à toute personne qui subit les agissements d’autrui avant de trouver une véritable utilisation au XVème siècle41 puis son sens moderne et commun au XVIIIème siècle pour indiquer la personne tuée, ou blessés à la suite d’une violence quelconque42.

Au niveau international une définition a été donnée par l’Assemblée Générale des Nations Unies en 1985 qui énonce que ce sont « des personnes qui, individuellement ou collectivement, ont subi un préjudice, notamment une atteinte à leur intégrité physique ou mentale, une souffrance morale, une perte matérielle, ou une atteinte grave à leurs droits fondamentaux, en raison d’actes ou

37 R. c. McDonald (1997), 113 C.C.C. (3d) 418 (C.A. Sask.)

38 FOUCAULT M., Surveiller et punir, naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975, p.18 39 DEYMIE B., La justice restaurative : repenser la peine et le châtiment, Études, 2016/6 (Juin),

URL : https://www-cairn-info-s.biblio-dist.ut-capitole.fr/revue-etudes-2016-6-page-41.htm, p.41-52

40 Recueil de recherches sur les victimes d’actes criminels, no 10,

https://www.justice.gc.ca/fra/pr-rp/jp-cj/victim/rr10-rd10/p3.html

41 MARZANO M., Qu'est-ce qu'une victime ? De la réification au pardon, Archives de politique

criminelle, 2006/1 (n° 28), p. 11-20, consulté le 10 juillet 2019, URL : https://www.cairn.info/revue-archives-de-politique-criminelle-2006-1-page-1.htm

(14)

d’omissions qui enfreignent les lois pénales en vigueur dans un État membre, y compris celles qui proscrivent les abus criminels de pouvoir »43. Cette définition a été appuyée également au niveau régional par celle de l’Union européenne en 2001 qui énonce que la victime est « « la personne qui a subi un préjudice, y compris une atteinte à son intégrité physique ou mentale, une souffrance morale ou une perte matérielle, directement causée par des actes ou des omissions qui enfreignent la législation d’un État membre »44.

Ces définitions, bien qu’importantes, soulèvent des limites : tout d’abord, les victimes sont complètement subordonnées à la commission d’une infraction ; de surcroît, les victimes sont considérées comme un groupe large renfermant les victimes d’actes graves et d’actes simplement délictueux45.

C’est ainsi que les victimes, jusqu’à un récent présent, étaient les oubliées du procès pénal, leur définition peinant même à trouver un consensus et étant bien souvent oubliée des Codes Pénaux nationaux46. Cette exclusion récurrente du procès pénal les a amenées à se soulever et à obliger le législateur à agir en conséquence.

C’est alors notamment entre l’évolution de la peine et le soulèvement des victimes ainsi que les idées de différents auteurs que l’intérêt pour une autre voie de justice, au départ vue comme alternative complète au système pénal actuel, puis comme simple complément, apparaît. Un des auteurs qui va propulser la justice restaurative au cœur de l’actualité est Nils Christie qui, en 1977, va affirmer que la justice traditionnelle opère un « vol de conflit » au détriment de la victime, qui doit s’effacer au profit de la Couronne (ou de l’État de manière

43 Résolution 40/34 du 11 décembre 1985 de l’Assemblée Générale des Nations Unies 44 Décision-cadre du Conseil de l’Union européenne du 15 mars 2001 relative au statut des

victimes dans le cadre de procédures pénales

45 MARZANO M., Qu'est-ce qu'une victime ? De la réification au pardon, Archives de politique

criminelle, 2006/1 (n° 28), p. 11-20, consulté le 10 juillet 2019, URL :

https://www.cairn.info/revue-archives-de-politique-criminelle-2006-1-page-1.htm

46 Pas de définition précise en droit français dans le Code de Procédure Pénale ni en droit

(15)

générale) dans le cadre du procès. Il propose alors de substituer à la justice punitive la médiation et la réconciliation47.

Avant de rentrer plus en détail sur ce nouveau modèle de justice, il convient d’expliquer le terme retenu dans ce mémoire – celui de justice restaurative. En effet, les ouvrages regorgent de termes différents pour désigner ce qui est en fin de compte la même chose : réparatrice48, restauratrice, transformatrice, reconstructive, compréhensive, participative, etc49. Le terme utilisé au Canada est plutôt celui de justice réparatrice ou restauratrice alors que le terme français est de justice restaurative. Ce dernier est un anglicisme du terme originel de restorative justice. Les deux termes revêtissent toutefois la même réalité, celle d’une « méthode de justice qui cherche à contrebalancer les effets négatifs en amenant victimes, délinquants et collectivité à participer au processus de réparation et de guérison », tel qu’énoncé par le solliciteur général du Canada en 1999. L’utilisation de l’une ou l’autre appellation dépend des traditions théoriques et des origines géographiques de l’auteur50. Toutefois, le terme « restauratif » renvoie à l’idée de réparation pécuniaire, ce qui n’est pas le but premier de la justice restaurative, qui veut justement restaurer et guérir les blessures51.

Ainsi, la justice restaurative promeut le pardon de l’accusé par ceux qu’il a blessés et l’entraide entre délinquants selon Galaway et Hudson52, se concentre ainsi non pas sur l’infraction à la loi et à l’ordre public de l’État, mais sur l’atteinte aux personnes et au lien social qui doit se résoudre par un processus d’échange direct ou indirect entre les personnes qui souffrent du

47 CHRISTIE N., Conflicts as Property, British Journal of Criminology, vol.17, n°1, 1977, p.1-7. 48 ANELLI L., Justice restaurative : la fin de la logique punitive ?, 31 janvier 2017, consulté le 1er

mai 2019. https://blogs.mediapart.fr/observatoire-international-des-prisons-section-francaise/blog/310117/justice-restaurative-la-fin-de-la-logique-punitive;

49 CARIO R., Justice restaurative. Principes et promesses, Ed. L’Harmattan, Coll. Traité de

sciences criminelles, Vol. 8, 2è éd. 2010, p.51

50 ROSSI C. et CARIO R., Les bienfaits de la justice restaurative, publié le 19/10/2016, thyma.fr,

<http://www.thyma.fr/les-bienfaits-de-la-justice-restaurative/>, consulté le 8 juin 2019

51 DEYMIE B., La justice restaurative : repenser la peine et le châtiment, Études, 2016/6 (Juin),

p.41 à 52URL : https://www-cairn-info-s.biblio-dist.ut-capitole.fr/revue-etudes-2016-6-page-41.htm

52 GALAWAY, B. et J. HUDSON (Eds.) (1996). Restorative Justice: International Perspectives,

(16)

conflit53. Malgré des applications qui peuvent varier selon les différentes cultures juridiques des pays, la justice restaurative a trouvé une assise internationale par le Conseil Économique de l’Organisation des Nations Unies qui a adopté une résolution en 1999 sur l’application des mesures de justice restaurative en matière pénale, les définissant comme « un processus dans lequel la victime et le délinquant et, lorsqu’il y a lieu, toute autre personne ou tout autre membre de la communauté subissant les conséquences d’une infraction participent ensemble activement à la résolution des problèmes découlant de cette infraction, généralement à l’aide d’un facilitateur »54. La justice réparatrice est consacrée de nouveau par des résolutions des Nations Unies en 200055, qui encouragent l’élaboration de mesures, de procédures et de programmes de justice restaurative qui représentent les droits, les besoins et les intérêts des victimes, des délinquants, des collectivités et de toutes les autres parties, et 200256, qui visent à encourager l’utilisation de la justice restaurative et donner les lignes directrices à son intégration dans la justice pénale sans violer les droits fondamentaux des victimes et des délinquants57. Cette impulsion suit encore en 2005 où l’ONU a rappelé aux États membres la nécessité d’affiner les politiques, les procédures et les programmes de justice réparatrice par des alternatives aux poursuites58. En 2008 sort le « Handbook on Restorative Justice programmes » pour promouvoir et harmoniser le développement de la justice restaurative59. Bien que celui-ci ne donne pas de définition universelle de la justice restaurative,

53 ANELLI L., Justice restaurative : la fin de la logique punitive ?, 31 janvier 2017,

<https://blogs.mediapart.fr/observatoire-international-des-prisons-section-francaise/blog/310117/justice-restaurative-la-fin-de-la-logique-punitive>, consulté le 6 juin 2019

54 Résolution 1999/26 du 28 juillet 1999 intitulée « Elaboration et application de mesures de

médiation et de justice réparatrice en matière pénale »

55 Résolution 2000/14 du 20 juillet 2000 et Déclaration de Vienne sur la criminalité et la justice:

relever les défis du XXIe siècle, 10ème Congrès des Nations Unies sur la prévention du crime et le traitement des délinquants, Vienne, 10-17 avril 2000, www.un.org.

56 Résolution 2002/12 du 24 juillet 2002 relative aux principes fondamentaux concernant le

recours à des programmes de justice réparatrice en matière pénale.

57 MOONKWI K. Essai sur la justice restaurative illustré par les exemples de la France et de la

Corée du Sud. Droit. Université Montpellier, 2015, p.28

58 Déclaration de Bangkok, Synergies et réponses: Alliances stratégiques pour la prévention du

crime et la justice pénale, 11ème Congrès des Nations Unies sur la prévention du crime et le traitement des délinquants, Bangkok, 18-25 avril 2005, www.un.org.

59 Manuel sur les programmes de justice réparatrice, Coll. Série de manuels sur la réforme de la

(17)

il rappelle que « Tout le monde s’accorde sur deux points : que la criminalité cause du tort et crée des besoins et que la justice doit redresser ce tort et satisfaire ces besoins »60.

Par cette impulsion internationale, la justice restaurative a donc eu un large retentissement et a même été invoquée à la fin de conflits dévastateurs tels que l’Apartheid en Afrique du Sud où Desmond Tutu a soutenu « qu’il existe une autre forme de justice, une justice réparatrice (….) où le but recherché n’est pas le châtiment, mais la réparation des dégâts, le rétablissement de l’équilibre, la restauration des relations interrompues, la réhabilitation de la victime, mais aussi celle du coupable auquel il faut offrir la possibilité de réintégrer la communauté à laquelle son délit ou son crime ont porté atteinte »61 ou encore au Rwanda pour réconcilier la Communauté62.

De plus, au niveau régional, l’Union européenne63 a mis en place une directive en 2012 pour inciter les États membres à mettre en place des mesures restauratives dans leur système judiciaire64. Le Conseil de l’Europe65 a également adopté une recommandation en matière de médiation pénale66. En 2001, c’est une décision-cadre qui promeut la médiation pénale ainsi que d’autres mesures restauratives dans les États membres67. Ensuite vient la résolution relative à la mission sociale du système de justice pénale qui promeut la justice restaurative dont les mesures peuvent avoir un impact positif sur les

60 Ibid p.105

61 TUTU D., Il n’y a pas d’avenir sans pardon. Comment se réconcilier après l’Apartheid ?, Ed.

Albin Michel, 2000, p.59.

62 NDAHAYO E., La Commission Vérité Rwanda n’est pas un espace d’expression pour les

négationnistes du génocide contre les Tutsi,The Rwandan, 6 avril 2017,

<http://www.therwandan.com/fr/la-commission-verite-rwanda-nest-pas-un-espace-dexpression-pour-les-negationnistes-du-genocide-contre-les-tutsi/>, consulté le 10 juin 2019

63 Association politico-économique établie en 1958, composée de 28 États membres

64 Directive 2012/29 UE du 25 octobre 2012 établissant les normes minimales concernant les

droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité

65 Organisation intergouvernementale instituée en 1949, composée de 47 États membres 66 Recommandation R(99)19 sur la médiation en matière pénale, adoptée le 15 septembre 1999

par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe

67 Décision-cadre du Conseil de l’Union européenne du 15 mars 2001 relative au statut des

(18)

coûts sociaux de la criminalité et de la lutte contre celle-ci68, qui vient compléter la recommandation de 1999. Finalement la dernière en date est la directive de 201269 qui vient imposer aux États de transposer des mesures restauratives au sein de leur système judiciaire.

En ce qui concerne plus particulièrement les pays étudiés dans ce mémoire, le Canada a vu se développer ce type de justice dans les années 70, notamment par les revendications des peuples autochtones qui se sont vu imposer, avec la colonisation, la justice punitive alors qu’ils utilisaient la justice restaurative à travers notamment les cercles de sentence. Sous couvert de modernité et de civilisation, des pays ont instauré le droit continental à des populations qui n’avaient recours aux institutions officielles que quand le crime impliquait un dominant ou qu’aucun consensus n’avait été trouvé70. En effet, la situation est identique en Australie où, pour lutter contre une sur-pénalisation des aborigènes, le Gouvernement a puisé dans les traditions indigènes pour répondre au problème71. L’influence est également venue d’Amérique du Nord où dès 1950 Albert Eglash, un psychologue, parle de « creative restitution » c’est-à-dire la possibilité pour les auteurs d’infractions de s’engager dans une voie de réparation vis-à-vis de leurs victimes, qui ne soit pas uniquement une compensation financière ainsi que d’aider d’autres infracteurs à s’en sortir72. Son but était de trouver une solution qui serait meilleure et plus constructive pour

68 Conseil de l'Europe – 26e Conférence des ministres européens de la justice (Helsinki, 7-8

avril 2005) – Résolution n˚ 2 relative à la mission sociale du système de justice pénale

69 Directive 2012/29/UE du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2012 établissant

des normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité et remplaçant la décision-cadre 2001/220/JAI du Conseil, 14 décembre 2012, Journal officiel de l’Union européenne

70CARIO R., La justice restaurative en France : premier anniversaire de l'entrée en vigueur de la

Loi Taubira, https://asrsq.ca/revue-porte-ouverte/approche-differente/justice-restaurative-france

71 ANELLI L., Justice restaurative : la fin de la logique punitive ?, 31 janvier 2017,

https://blogs.mediapart.fr/observatoire-international-des-prisons-section-francaise/blog/310117/justice-restaurative-la-fin-de-la-logique-punitive, consulté le 6 juin 2019

72 MIRSKY L., Albert Eglash and Creative Restitution: A Precursor to Restorative Practices, 3

décembre 2003, restoring community, International Institute for Restorative Practices, consulté le 12 juillet 2019, URL: https://www.iirp.edu/news/albert-eglash-and-creative-restitution-a-precursor-to-restorative-practices

(19)

toutes les parties73. Par la suite, dans les années 70 la médiation a gagné une place importante dans le système judiciaire de manière générale, sous l’impulsion du criminologue mennonite Howard Zehr qui la définissait comme « guérissant et redonnant la vie »74, puis également dans le système pénal, notamment grâce aux revendications post-coloniales, aux mouvements de soutien aux victimes et aux travaux des criminologues 75. La première expérience canadienne a lieu en 1974 à Elmira, en Ontario, à la suite d’une détérioration de lieux publics par deux jeunes. L’agent de mise à l’épreuve en charge du dossier propose au juge Gordon McConnell de faire rencontrer les victimes et les jeunes afin qu’ils reconnaissent leur responsabilité et réparent le mal fait. C’est ce qu’ils ont fait et l’un d’eux témoigne d’ailleurs « Si j’avais été en prison, j’en serais ressorti en étant une personne pire, avec un cœur endurci. »76. Ces diverses raisons ont notamment amené à l’ajout d’objectifs pénologiques restauratifs au sein du Code Criminel77.

En France, il est régulièrement dit que la justice restaurative a mis plus de temps à se développer, qu’il y a un certain « désintérêt » sur le sujet78 ou encore que les mesures restauratives peinent à s’inscrire dans le droit positif des pays d’obédience romano-germanique79, toutefois, comme nous le verrons plus tard, ce postulat est à nuancer grandement. En tout cas, une large impulsion a été donnée, suite à la directive de l’Union européenne en 2012 pour inciter les États membres à mettre en place des mesures restauratives dans leur système judiciaire80. La France a donc légiféré en conséquence en 2014 en inscrivant la justice restaurative et des mesures dans le code de procédure pénale. Malgré la

73 O’MAHONY D. and DOAK J., Reimagining restorative justice, Hart publishing,2017, p.24 74 DEYMIE B., La justice restaurative : repenser la peine et le châtiment, Études, 2016/6 (Juin),

URL : https://www-cairn-info-s.biblio-dist.ut-capitole.fr/revue-etudes-2016-6-page-41.htm

75 ROSSI C., Le modèle québécois des rencontres détenus-victimes. Les Cahiers de la Justice,

Dalloz, 2012-2, p. 107-126

76 LECOMTE J., La justice restauratrice, Dans Revue du MAUSS 2012/2 (n° 40), p.223 à 235 77 Article 718 du Code criminel

78 CARIO R., La justice restaurative en France : premier anniversaire de l'entrée en vigueur de la

Loi Taubira, https://asrsq.ca/revue-porte-ouverte/approche-differente/justice-restaurative-france

79 CARIO R, la justice restaurative, de l’utopie à la réalité, in CARIO R. et MBANZOULOU P.,

La justice restaurative : une utopie qui marche ?, L’Harmattan, Controverses, 2010.

80 Directive 2012/29 UE du 25 octobre 2012 établissant les normes minimales concernant les

(20)

réticence de Christiane Taubira qui craignait une sur-victimisation des victimes en forçant une nouvelle rencontre81, cette loi a été transposée assez rapidement, notamment grâce à la présidente de France Victimes et d’autres personnes engagées en faveur de la justice restaurative, qui ont réussi à convaincre la garde des Sceaux de l’opportunité de cette loi en s’appuyant sur un voyage au cœur de la pratique au Canada82. Par l’insertion de la justice restaurative dans le Code de procédure pénale83 et d’objectifs restauratifs au sein de la détermination de la peine84 ainsi que le développement de nombreuses formations et programmes au sein des juridictions, ce modèle est réellement institutionnalisé – sans être complètement efficace, ce que nous verrons dans par la suite.

Suite à ce développement, des mesures restauratives ont été mises en place à la fois en France et au Canada, notamment par le biais des rencontres détenus victimes. Celles-ci sont nées en 1983 à Rochester en Angleterre grâce à l’aumônier Peter Taylor qui travaillait dans un centre de détention pour jeunes. Pete Taylor pensait que les victimes devaient pouvoir manifester leur expérience de détresse aux détenus et c’est pourquoi il organisa les premières rencontres. Il améliora le processus en faisant ensuite venir des médiateurs et des évaluateurs et en intégrant des jeux de rôles au sein de ces rencontres85. Toutefois, à leur origine, ces rencontres n’avaient pas comme objectif la réparation : l’idée était de permettre à la victime d’aller dans ces structures afin de témoigner et que les jeunes délinquants en tirent profit86. En revanche, aujourd’hui ces rencontres sont une mobilisation de deux groupes, un de

81 ANELLI L., Justice restaurative : la fin de la logique punitive ?, 31 janvier 2017,

<https://blogs.mediapart.fr/observatoire-international-des-prisons-section-francaise/blog/310117/justice-restaurative-la-fin-de-la-logique-punitive>, consulté le 6 juin 2019

82 BELLUCI S. in France culture LSD : condamnés victimes, un dialogue possible, 2017, <

https://www.franceculture.fr/emissions/lsd-la-serie-documentaire/condamnes-victimes-un-dialogue-possible-14-une-histoire-de-la-justice-restaurative>

83 Article 10-1 du Code de Procédure Pénale 84 Article 130-1 du Code Pénal

85 DE VILLETTE T., Faire justice autrement, le défi des rencontres entre détenus et victimes.

Médiaspaul, 2009, p.40

86 ROSSI C., Le modèle québécois des rencontres détenus-victimes. Les Cahiers de la Justice,

(21)

délinquants et un de victimes de crimes apparentés, ainsi que des représentants de la société civile, au même moment, sur une période de 5 à 6 semaines pour établir un dialogue et comprendre les conséquences du crime, mettre un doigt sur ce qui n’est pas résolu, ce que les rencontres peuvent apporter, etc87.

En ce qui concerne le Canada, l’influence vient de la communauté Mennonite, qui a instauré des rencontres détenus victimes dans des centres pénitenciers d’Amérique du Nord, en s’appuyant sur des conceptions plus religieuses et spirituelles que celles retenues aujourd’hui. C’est ainsi que la première expérience des rencontres détenus (adultes) victimes voit le jour en 1987 à Winnipeg dans le Manitoba pour des infractions de vol88 grâce au Comité central mennonite du Manitoba, Mediation Services et Open Circle. Trois ans plus tard, la première expérience a lieu au Québec89 et l’idée s’est répandue dans d’autres provinces du Canada en matière de vol, d’agressions sexuelles et de différents crimes graves avec une moyenne de 90% de satisfaction chez les participants90. Ces expériences ont évolué aujourd’hui vers un système bénéfique à la fois pour la victime et le détenu, et s’est éloigné de l’idée spirituelle initiale. Depuis 1999, c’est le centre de services de justice réparatrice qui propose les rencontres détenus victimes.

Pour la France, influencée par le Québec notamment, ce n’est qu’en 2010 que celles-ci voient le jour, avant la loi qui consacrera la justice restaurative, à la maison centrale de Poissy puis de nouveau en 2014. L’objectif fixé par leurs organisateurs était alors de faire prendre conscience des blessures, de mettre en place un endroit de libre expression et de trouver une voie à l’apaisement et à la responsabilisation91. Ces rencontres détenus victimes permettent un

87 CARIO R., les rencontres restauratives post-sentencielles, in CARIO R. et MBANZOULOU

P., La justice restaurative : une utopie qui marche ?, L’Harmattan, Controverses, 2010, p.49.

88 ROSSI C., Le modèle québécois des rencontres détenus-victimes. Les Cahiers de la Justice,

Dalloz, 2012-2, p. 107-126

89 ROSSI C., Le modèle québécois des rencontres détenus-victimes. Les Cahiers de la Justice,

Dalloz, 2012-2, p. 107-126

90 DE VILLETTE T., Faire justice autrement, le défi des rencontres entre détenus et victimes.

Médiaspaul, 2009, p41

91 MBANZOULOU P., L’expérimentation des rencontres détenus-victimes à la maison centrale

de Poissy : enjeux et résultats observés. Colloque,

(22)

dépassement du paradigme de notre pratique judiciaire qui distingue le groupe des victimes et le groupe des délinquants92.

La problématique de ce mémoire est alors d’éclairer l’opportunité d’intégrer la justice restaurative, notamment par le biais des rencontres détenus victimes, au sein du système de justice pénale actuel à l’aune de ce qui est fait au Canada.

Afin d’y répondre au mieux, deux questions spécifiques de recherche seront étudiées : tout d’abord, il conviendra de s’interroger sur la façon dont la justice restaurative peut permettre de répondre aux limites du système de justice traditionnelle, fondé sur la punition. Ensuite, il faudra déterminer quelles sont les opportunités et les limites de l’intégration de mesures restauratives dans l’arsenal juridique français à travers la notion d’élargissement du filet pénal.

Différentes hypothèses de recherche ont alors été dégagées. Tout d’abord, le système punitif a été remis en cause et a dû s’adapter à des revendications fortes. Cette adaptation a été différente entre la France et le Canada, ce qui s’explique en partie par des modèles juridiques très différents. Ensuite, le mémoire établit, en s’appuyant plus particulièrement sur les rencontres détenus victimes, comment ces mesures arrivent à répondre à des objectifs pénologiques laissés en marge par la prison, et les limites de ces mesures qui bien qu’utiles, ne sont pas miraculeuses. Finalement, la question qui se pose est de savoir si la justice restaurative, si prometteuse en théorie l’est autant lorsqu’elle est transposée dans la pratique judiciaire au Canada et en France.

Le sujet a une pertinence sociale et scientifique puisqu’en France, actuellement, il est au cœur des débats. En effet, la loi de 2014 est très prometteuse, elle garantit grâce à l’article 10-1 du Code de procédure pénale, un

92 MBANZOULOU P., L’expérimentation des rencontres détenus-victimes à la maison centrale

de Poissy : enjeux et résultats observés. Colloque,

(23)

accès à la justice restaurative dans toutes les procédures pénales, à n’importe quel moment du procès. Toutefois, les avancées vues depuis sa promulgation, même si elles sont notables, semblent insuffisantes. En effet, si le dispositif existe, il est à la peine sur le terrain93. En revanche, au Canada, l’assise de la justice restaurative est beaucoup plus ancienne. Elle a d’ailleurs inspiré le législateur français. Il est donc intéressant d’étudier un sujet d’actualité en revenant à ses origines géographiques.

Le sujet permettra également de voir comment mieux répondre aux objectifs de la peine qui ont évolué à travers le temps, mais qui semblent toujours aussi difficiles à réaliser complètement. Il est donc intéressant d’étudier des mesures, parallèles ou complémentaires au système actuel qui pourraient, ou pas, à terme, aider la peine à gagner du sens.

Notre étude s’articulera alors en différentes approches méthodologiques. Tout d’abord, celle-ci sera composée d’un volet théorique afin de donner « les assises théoriques au projet de recherche »94. En effet, cette analyse théorique sera « un agencement de concepts et d’hypothèses défini, délimité et ordonnancé sur les bases d’un système de référence »95. Ainsi, il conviendra d’étudier la doctrine existante sur la justice restaurative pour en poser les définitions et les assises, qui seront clés pour le reste de la recherche. Nous devrons également envisager comment la justice restaurative est évoquée en droit canadien et français lorsqu’il s’agit de la transposer dans le Code criminel et le Code de procédure pénale et comment les objectifs de détermination de la peine s’y sont adaptés. Cette approche théorique a été nécessaire afin d’éliminer également tout ce qui ne ferait pas partie du mémoire, par contrainte temporelle

93 COUSTET T., Justice restaurative : un dispositif encore trop peu utilisé, Dalloz Actualité, 12

juin 2019, <https://www.dalloz-actualite.fr/flash/justice-restaurative-un-dispositif-encore-trop-peu-utilise#.XQD3_JNKiT8>, consulté le 12 juin 2019

94BARTENSTEIN K. et LANDHEER-CIESLAK C., Pour la recherche en droit: quel(s) cadre(s)

théorique(s)?, dans Alexandre FLÜCKIGER et Thierry TANQUEREL (dir.), L’évaluation de la

recherche en droit : enjeux et méthodes, Bruxelles, Bruylant, 2015), p. 83

(24)

notamment, tel que l’étude plus approfondie de l’évolution des systèmes juridiques en France et au Canada.

Il y aura également une approche interdisciplinaire puisque mon sujet ne peut s’aborder qu’à l’aune du droit pénal. En effet, une étude de la doctrine criminologique sera nécessaire afin de cerner les effets des rencontres détenus victimes qui sont plus visibles d’un point de vue non juridique. Il en sera de même quant à l’essor de la justice restaurative en France, où la victimologie a permis d’asseoir la place importante de la victime. Ainsi, je me base sur le champ théorique du droit, mais qui développe aussi des problématiques et des hypothèses qui recoupent celles de la criminologie et de la victimologie96. De plus, H. A. Schwarz-Liebermann Von Wahlendorf dit que “l’exigence essentielle de la comparaison en matière de droit est de connaître le droit réel et non pas simplement le droit formel97” : c’est en effet la raison pour laquelle il est important d’analyser les résultats des mesures restauratives et plus particulièrement des rencontres détenus victimes par des études empiriques menées dans différentes prisons, à la fois en France et au Canada, pour mesurer au mieux leur effectivité.

Finalement, par le choix de cette double maîtrise, l’exercice de ce mémoire doit forcément faire état d’une comparaison entre les deux systèmes étudiés. Ces deux pays ont des systèmes juridiques différents, puisque le Canada est inspiré de la common law britannique, étant sous l’égide de la reine britannique depuis la dernière bataille France – Angleterre en 175998. Cette tradition entraîne une moindre codification de la loi pénale que la France, qui repose sur le droit civil. Toutefois, en ce qui concerne les objectifs de la peine, le Code criminel, tout comme le Code Pénal, semblent consacrer des principes similaires. En revanche, en matière de procédure pénale, la pratique canadienne est beaucoup

96 OST F. et VAN de KERCHOVE M., De la scène au balcon. D’où vient la science du droit, dans

François CHAZEL et Jacques COMMAILLE, Normes juridiques et régulation sociale, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1991, p.77

97 SCHWARZ-LIEBERMANN VON WAHLENDORF H-A., Droit comparé, Théorie générale et

principes, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1978

98 L’origine de notre système juridique, Ministère de la Justice Canada,

(25)

plus silencieuse que le Code de procédure pénale français. Il conviendra donc de s’intéresser à leurs similarités, quant à leur origine, et à leurs différences, quant à leur mise en œuvre ainsi que, plus généralement, l’effet de ces mesures au sein des systèmes pénaux français et canadien.

L’identification des raisons pour lesquelles la justice restaurative est apparue est nécessaire pour comprendre son intégration dans les systèmes français et canadien (Partie I). Nonobstant, cette intégration est à relativiser, entre complément au système punitif ou substitution, la question de l’efficacité des mesures restauratives et de leur appartenance véritable au droit pénal reste à prouver (Partie II).

(26)

Partie I – l’intégration de la justice restaurative au

cœur des systèmes pénaux français et canadien

La justice restaurative existait déjà bien avant sa redécouverte au XXème siècle, mais différents courants ont mené à sa résurgence comme solution aux problèmes contemporains en matière pénale. L’essor de la justice restaurative est donc arrivé suite à la remise en question de la justice punitive (Chapitre 1er) avant de s’intégrer aux systèmes pénaux en abandonnant une partie de ses principes (Chapitre 2).

(27)

Chapitre 1

er

: la remise en question de la justice punitive par la

justice restaurative

La justice restaurative, malgré ses origines bien antérieures au XXème siècle, est réapparue dans nos sociétés par la suite de la crise de la légitimité pénale, qui a en effet mis en exergue les limites de nos systèmes pénaux et a laissé la place au renouveau (§1). Bien que l’émergence de la justice restaurative soit reconnue, celle-ci a fait l’objet de débats doctrinaux quant à la conception à adopter pour répondre au mieux aux défaillances du système (§2). Finalement, il faut retenir les principes novateurs qu’ont permis cette crise et l’émergence de courants de justice restaurative, et qui permettent de s’éloigner des finalités traditionnelles de la peine telles que nos sociétés les connaissaient depuis des siècles (§3).

1. La crise de la légitimité pénale : un terrain fertile pour l’avènement de la justice restaurative

La justice restaurative voit sa renaissance aidée par la convergence de trois courants criminologiques avec la contestation de l’efficacité des institutions (§1), l’émergence de groupes progressistes et de soutien aux victimes (§2) et une crise de la pénalité moderne (§3).

1.1. La perte d’efficacité des institutions

1.1.1. La remise en question de la peine de prison

Dans l’introduction, nous avons établi qu’à partir du XVIIIème siècle, la prison est la principale réponse au crime dans tous les pays industrialisés. Si elle est d’abord considérée comme étant une peine avec « plus de respect, plus d’humanité »99, il est ensuite établi que la prison est, plus qu’autre chose, une

(28)

détestable peine dont on ne saurait faire l’économie100, qui échoue à resocialiser les criminels et les condamnés et n’a qu’un effet corrupteur sur eux101 : on retrouve effectivement une hausse de la récidive après la prison et c’est un lieu qui lie les délinquants. Nietzsche l’avait d’ailleurs justement souligné au XIXème siècle : « nos sociétés ne savent plus ce que c’est que punir »102.

Il est vrai que « la peine privative de liberté prédomine à tel point que lorsque l’on parle de sanction pénale on fait automatiquement référence à la peine de prison », elle est en effet devenue la peine de droit commun103. En effet, bien qu’elle soit souvent disproportionnée à la gravité des faits, la réaction sociale est très répressive parce que la prison a colonisé la peine104. La question est alors de savoir pourquoi notre société marque une telle prédilection pour une peine qui fonctionne si mal. En effet, en plus de l’échec quant à ses objectifs, la prison marque un échec notable, également sur le plan économique. En effet, bien que les chiffres soient récents, le problème a toujours été présent et cette perte financière était et est impérativement à prendre en compte par le législateur lors de l’élaboration des sanctions pénales. Au Canada, pour l’année 2016-2017, en moyenne, un détenu dans un pénitencier fédéral coûtait entre 130$ et 250$105. En France, ce coût pour l’année 2013 était d’en moyenne 106€106, malgré de fortes disparités. C’est donc une solution qui coûte cher quand en France un placement sous bracelet électronique ne revient qu’à 12€ par jour107.

100 Ibid, p234

101 PAILLARD B., La fonction réparatrice de la répression pénale, L.G.D.J, Thèse de l’Université

Panthéon-Assas, Bibliothèse des sciences criminelles tome 42, 2007, p.15

102 FOUCAULT M., Interview de Michel Foucault, entretien avec C. Baker , Actes Cah.

Vaucresson 1984.n°45/46.5.

103 Didier Rebut in Retranscription d’un colloque du 12 mars 2003 à l’Assemblée Nationale, in

Réflexions sur l’efficacité de la sanction pénale, Éd Hervé de Charrette, 2003, p.27

104 MERLE R. et VITU A., Traité de droit criminel, t.1, Cujas, 1981, p.11 et s 105 FRECHETTE J-D., Mise à jour sur les coûts d’incarcération, 22 mars 2018, <

http://publications.gc.ca/collections/collection_2018/dpb-pbo/YN5-152-2018-fra.pdf>, consulté le 27 juin 2019

106 LECERF J-R., avis présenté au nom de la commission des lois constitutionnelles, de

législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale (1) sur le projet de loi de finances pour 2015, ADOPTÉ PAR L’ASSEMBLÉE NATIONALE, Tome VIII

administration pénitentiaire, n°114 Sénat session ordinaire de 2014-2015, <https://www.senat.fr/rap/a14-114-8/a14-114-81.pdf>, consulté le 27 juin 2019

(29)

Le système de neutralisation et de réhabilitation alors promus se sont avérés inefficaces, voire inutiles, et ont des effets néfastes entre les victimes et les infracteurs. Ces derniers récidivant souvent, la méfiance du public envers la justice pénale ne pouvait que croître.108 C’est ainsi que les institutions judiciaires rencontrent une crise d’efficacité et de légitimité avec des critiques telles que le fossé entre le public et les politiques et une perte de confiance croissante dans la prison et la peine plus largement109.

Toutefois, cette stratégie de « prisonisation » perdure et fait augmenter une population carcérale endémique. On voit également une augmentation des peines privatives de liberté comprises entre cinq et dix ans, moins de mesures de liberté conditionnelle, etc110.

1.1.2. La remise en question de l’éthique de la peine

Depuis toujours, la peine est rendue à la suite d’une infraction à la loi pénale. Toutefois, au XXème siècle, les auteurs remettent cette éthique en cause. En effet, pour Lode Walgrave, ce modèle de rétribution pénale de l’infliction d’un mal pour un mal ne contribue pas forcément à la paix et à la réinsertion sociale111. C’est tout le fondement de la peine qui est remis en cause, notamment parce qu’au procès, selon ces auteurs, la spécificité de l’individu n’est pas prise en compte112, le coupable est stigmatisé et la victime laissée de côté.

Les auteurs cherchent donc à développer une éthique plus sociale. Ainsi, en opposition au droit pénal qui préconise l’infliction d’une punition, qui est une

108 CARIO R., Justice restaurative. Principes et promesses, Ed. L’Harmattan, Coll. Traité de

sciences criminelles, Vol. 8, 2è éd. 2010, p. 16.

109 LEMONNE A. et CLAES B., La justice réparatrice en Belgique : une nouvelle philosophie de

la justice ? dans Alice Jaspart, Sybille Smeets, Véronique Strimelle et Françoise Vanhamme

(dir.), Justice! Des mondes et des visions, Montréal, Érudit, coll. Livres et actes, 2014 [ http://erudit.org/livre/justice/2014/index.htm ].

110 CARIO R., Justice restaurative. Principes et promesses, Ed. L’Harmattan, Coll. Traité de

sciences criminelles, Vol. 8, 2è éd. 2010, p. 11 et s.

111 WALGRAVE L., La justice restaurative et la justice pénale : un duo ou un duel? In Victimes :

du traumatisme à la restauration, Œuvres de justice et victimes volume 2, L’Harmattan, 2001. P.275 et s.

112 Bien qu’au Canada l’article 718.2.a prévoit la prise en compte de circonstances aggravantes

et atténuantes, et qu’en France le principe d’individualisation de la peine soit consacré à l’article 132-24 du Code Pénal.

(30)

invention historique à remettre en question113, la justice restaurative va essayer de minimiser les conséquences négatives d’un conflit pour restaurer la qualité de vie sociale114. C’est en quelque sorte un retour aux sources puisqu’avant que le conflit soit privé, on considérait le mal aux victimes ainsi qu’à leurs familles et à la communauté et il y avait un dialogue entre le clan de l’infracteur et celui de la victime pour satisfaire les deux parties et que le conflit soit résolu115. Les sociétés antérieures visaient alors la prévention de l’escalade des conflits, la réintégration de l’infracteur, les besoins de la victime et de l’infracteur, la resocialisation, etc116. C’est vers ces objectifs que les auteurs vont vouloir se tourner, pour s’éloigner de la peine comme punition afflictive.

On observe ainsi dans le passé une « justice communautaire » où la communauté réglait les différends et où l’idée était la préservation des liens entre les personnes117. Ainsi le droit se devait de conserver la bonne santé du corps social en rétablissant l’harmonie entre les parties. Ce n’est que par la suite de l’histoire, lorsque les sociétés se sont complexifiées que la justice rétributive est apparue comme la plus rationnelle, au risque de punir indépendamment des liens entre l’infracteur et la victime ou la communauté118.

Finalement, il ressort des critiques des auteurs de l’époque que la détermination de la peine doit prendre en compte l’état permanent de l’individu et se débarrasser de la routine des tribunaux qui « se bornent à appliquer la formule juridique fournie par le texte du code, sans se préoccuper du mode

113 JOHNSTONE G. (Ed.), A Restorative Justice Reader. Texts, sources, context, Willan Pub.,

2003, p. 101.

114 WALGRAVE L., La justice restaurative et la justice pénale : un duo ou un duel? In Victimes :

du traumatisme à la restauration, Œuvres de justice et victimes volume 2, L’Harmattan, 2001. P.275 et s.

115 MOONKWI K. Essai sur la justice restaurative illustré par les exemples de la France et de la

Corée du Sud. Droit. Université Montpellier, 2015, p.18

116 Ibid

117 DEYMIE B., La justice restaurative : repenser la peine et le châtiment, Études, 2016/6 (Juin),

URL : https://www-cairn-info-s.biblio-dist.ut-capitole.fr/revue-etudes-2016-6-page-41.htm

(31)

d’existence, du milieu, des instincts et des prédispositions de la nature psychique de l’accusé »119.

1.2. Le développement des mouvements pour les victimes d’infractions Déjà dans les années 50, la victimologie naît. Cela va permettre de mieux considérer l’envers du crime et rééquilibrer la balance au bénéfice de la victime120. C’est ce mouvement qui va donner une impulsion aux actions à mettre en place pour venir en aide aux souffrances des victimes. Ce développement va aussi, plus tard, donner une assise académique à la théorie « exotique » des rencontres entre victimes et infracteurs comme réponse au crime, à la justice et à la sécurité121.

Par la suite, dans les années 60, le soulèvement de divers groupes de lutte politique, de combat pour les droits civiques des minorités, des revendications post-coloniales notamment chez les peuples autochtones a aidé le développement des mouvements de soutien aux victimes d’actes criminels122. La prise en compte de la victime réelle de l’acte criminel était nouvelle. En effet, le système pénal a longtemps été connu pour exclure la victime de son procès, en ne définissant même pas ce qu’elle était avant une période récente123 et en se focalisant sur la personnalité de l’infracteur. Dès lors, la victime ne se sentait pas prise en considération, et ce dès la commission des faits et après le dépôt de plainte à la police, avec un sentiment de négligence, d’aliénation et de revictimisation124, et bien souvent se retrouvait dans l’incompréhension de la

119 VAN GARSSE L., Restorative justice and democratic citizenship: a new social pedagogy or

back to social defence? In IAERTSEN I. et Pali B., - AERTSEN I. et PALI B., Critical Restorative

Justice, Hart publishing, 2017, p.129

120 CARIO R., Justice restaurative. Principes et promesses, Ed. L’Harmattan, Coll. Traité de

sciences criminelles, Vol. 8, 2è éd. 2010, p.15

121 VAN GARSSE L., Restorative justice and democratic citizenship : a new social pedagogy or

back to social defence ? in AERTSEN I. et PALI B., Critical Restorative Justice, Hart publishing,

2017, p.132

122 dedans dehors p.12

123 LOPEZ G., PORTELL I S., C LEMENT S., Les droi ts des victimes ; victimologie e t

psychotra umat ologie, Dalloz Etats De Droits, 1ère édition, 2003, Entreprise, économie & droit 124PEMBERTON A. and GM AARTEN P., a radical in disguise : Judith Shklar’s victimilogy and

restorative justice in AERTSEN I. et Pali B., AERTSEN I. et PALI B., Critical Restorative Justice, Hart publishing, 2017, p.315

(32)

mesure prononcée par le tribunal125. A partir de la seconde moitié du XIXème siècle toutefois, leur rôle s’affirme à travers l’émergence de la victimologie et notamment en son sein, du courant féministe qui va s’intéresser au vécu des victimes d’actes criminels et à leur prise en charge par le système criminel, qui se révèle bien insuffisante126.

De plus, au niveau international un nouveau souffle va venir propulser l’importance de la victime au sein du procès pénal avec la première déclaration sur les droits des victimes par l’ONU en 1985127. Cette déclaration donne notamment une définition du terme « victime »128 et énonce que « les auteurs d’actes criminels doivent réparer équitablement le préjudice causé aux victimes, à leur famille ou aux personnes à leurs charges »129. La victime est alors mise en avant par cette déclaration qui leur est entièrement consacrée.

Au niveau régional, en 1983 le Conseil de l’Europe adopte également une convention relative aux dédommagements des victimes d’infractions violentes130 qui met en avant l’importance d’indemniser toutes les victimes d’infractions violentes dans les États membres, notamment même si l’auteur de l’infraction ne peut pas indemniser sa victime131.

Finalement, les victimes ont l’impression d’être les grandes oubliées du procès pénal et le développement des mouvements d’aide va revendiquer ce mal-être, traduit par une perte de confiance en la justice qui « peine à relégitimer sa mission démocratique de pacification sociale »132.

125 CARIO R., La justice restaurative : vers un nouveau modèle de justice pénale ? AJ Pénal

2007, p.373.

126 CARIO R. et RUIZ-VERA S., Victimes d’infraction, Répertoire de droit pénal et de procédure

pénale, Dalloz, Juin 2018

127 Déclaration des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et

aux victimes d'abus de pouvoir, Adoptée par l'Assemblée générale dans sa résolution 40/34 du 29 novembre 1985

128 Article 1 de la déclaration 129 Article 8 de la déclaration

130 Convention européenne relative au dédommagement des victimes d'infractions violentes

Strasbourg, 24.XI.1983

131 Article 2 de la convention

132 CARIO R. et RUIZ-VERA S., Victimes d’infraction, Répertoire de droit pénal et de procédure

Références

Documents relatifs

L'idée centrale des thérapies comportementalistes et cognitives est que, pour pouvoir nous changer, il nous faut d'abord mieux nous comprendre : savoir précisément

Cette journée d’étude se donne pour objectif général de comparer sur le plan théorico-pra- tique l’expérimentation et la mise-en-œuvre de la justice restaurative dans le champ

Journée d’étude – La justice restaurative des mineurs Jeudi 2 juin 2016.

[r]

The applicant must have obtained a sufficient variety of supervised clinical experiences in different work settings and with different populations so that he or she can

En conséquence, les collectivités urbaines locales et régionales constituent l’échelon principal d’action pour agir en ce qui concerne les stratégie de

Les réponses apportées détermineront les orientations à venir des politiques de coopération avec l’Afrique ainsi que la place qu’y tiendra l’agenda de la

- Réaffirmer le rôle stratégique des collectivités territoriales dans la promotion du développement local et la création d’emploi, tout particulièrement dans le