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Proème à la méthode des lớgoi dans le Sophiste de Platon

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(1)

FRÉDÉRIC DULAC

Oo.s

kj■׳ L-y

PROÈME À LA MÉTHODE DES ΛΟΓΟΙ

DANS LE SOPHISTE DE PLATON.

Mémoire présenté

à la Faculté des études supérieures de l'Université Laval

pour 1'obtention

du grade de maître es arts (M.A.)

FACULTÉ DE PHILOSOPHIE UNIVERSITÉ LAVAL

FÉVRIER 2000

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Puisque le Sophiste de Platon nous semble être un proème à plusieurs écrits logiques d'Aristote, nous nous sommes introduits à la technique de recherche qu'est la méthode des λόγοι. Pour ce faire, nous avons analysé en détail la démarche de 1'Étranger lorsqu'il procède à la recherche de !'explication de l'essence des pêcheurs à la ligne. L'étude de cette démarche nous a amené à dégager les propriétés principales de la méthode : elles sont avant tout à découvrir dans les sens multiples du mot « λόγος ». Pour autant que le mot « λόγος » signifie une explication, c'est-à-dire un entrelacement vocal d'un minimum de deux noms autres par l'espèce, il diffère d'un autre « λόγος », qui renvoie à la phrase énonciative. L'art d'expliquer et de faire des phrases qu'est la méthode des λόγοι présuppose 1'emploi des cinq prédicables ainsi qu'une connaissance de base des propriétés physiques et grammaticales des mots.

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Ayant découvert que le dialogue le Sophiste est très important dans l'étude des écrits de Platon, j'ai été encouragé à intensifier mon étude du grec et du latin. J'ose présenter ici les premiers résultats de ma recherche. J'espère que ce bilan sommaire vous permettra d'aborder plus convenablement l'étude de ce dialogue, lequel est devenu pour moi un proème à la logique dite aristotélicienne.

Une grande lacune dans mon mémoire est le peu de références d'érudition. De telles références auraient facilement doublé sa longueur. J'ai en revanche travaillé avec le Manuel du cours Principes de logique (PHI-16149) utilisé à l'Université Laval. Je crois y avoir découvert un instrument pour mieux comprendre la subtilité cachée dans les mots ayant une multiplicité de significations. Ce sont les tableaux de visualisation des rapports entre un tout et ses parties. L'intelligence ayant besoin du support de !'imagination, j'ai construit plusieurs schémas.

Déjà dans le Sophiste, Platon discutait de la nature de !'imagination. Il la posait comme l'un des principes de 1'opinion. Il comprenait, me semble-t-il, qu'entre les sens externes et !'intelligence, se trouve !'imagination qui exerce une fonction intermédiaire indispensable. C'est elle qui joue un rôle quant à la capacité des hommes à dire le vrai et le faux et à tromper éventuellement les autres par des explications erronées.

Or, tenter de dire le vrai à l'aide d'un nom et d'un verbe ainsi qu'expliquer, c'est employer la méthode des λόγοι. En retraçant les premiers sens historiques des mots « λόγος », je comprends davantage pourquoi 1'Étranger a posé cinq genres communs. Je saisis désormais la raison pour laquelle le dialogue contient une définition d'un λόγος comme composé de nom et de verbe tandis qu'il y a un autre λόγος qui sert de cadre à

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l'art d'expliquer. Cet art nécessite !'utilisation des cinq predicables et de divers procédés que je vais expliquer dans la suite.

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Résumé... ... i

Avant-propos... ii

Table des matières... iv

Liste des schémas... vi

Introduction... 1

Chapitre I; Platon accorde une grande importance à 1'analyse grammaticale de l'instrument de communication qu'est la langue... 9

A. Une prise de conscience de la nécessité d'analyser la langue grecque existait déjà avant Platon... 11

B. L'intérêt de Platon pour la technique grammaticale est indiqué par le développement d'un vocabulaire de plus en plus approprié dans son oeuvre... 18

Chapitre II: Le mot « λόγος » peut signifier selon les trois niveaux de signification et et selon les trois thèmes de 1 ' action... 40

A. La comparaison entre la langue grecque et celle latine est scientifiquement pertinente... 43

B. La racine *leg— comporte trois niveaux de signification... 50

C. Le nom « λόγος » signifie les trois thèmes ou aspects de 1 ' action... 75

Chapitre III; La méthode des λόγοι est en partie une méthode des explications... ... 81

A. Le λόγος en tant qu 'explication est un entrelacement de noms... 84

B. Toute explication n'est pas nécessairement une définition... 101

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Chapitre IV: La première partie de la méthode des λόγοι est constituée par trois procédés : celui du groupement, celui

de la division et celui de !,explication proprement dite... 124

A. La première partie de la méthode des λόγοι est constituée par trois procédés : celui du groupement, celui de la division et celui de 1 ,explication proprement dite... 126

B. L'explication du pêcheur à la ligne proposée par 1'Étranger et Théétète est découverte en respectant 1 ' emploi des trois procédés... 151

Conclusion... 170

Bibliographie... 182

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page Schéma 1: L'emploi du mot par les Grecs et par les

Barbares... 21

Schéma 2: Division des langues chez Platon... 21

Schéma 3: Division des langues chez les linguistes... 22

Schéma 4: Division du grec chez Platon... 23

Schéma 5: La navette est une partie du bois et un résultat. 25 Schéma 6 : Le mot est une partie du son vocal et un résultat... 25

Schéma 7: Le mot est une imitation... 26

Schéma 8: Le mot est un instrument... 27

Schéma 9: Le mot est une partie du λόγος... 28

Schéma 10: Le nom et le verbe sont des parties du λόγος.... 31

Schéma 11: Le mot, la syllabe et la lettre écrite sont des signes... 33

Schéma 12: Le phonème et la syllabe comme parties du mot... 35

Schéma 13: Les voyelles, les demi-voyelles et les muettes sont des phonèmes... 37

Schéma 14: Le développement des langues indo-européennes .. 47

Schéma 15: Les deux premiers niveaux historiques de signification de la racine *leg—... 59

Schéma 16: Les trois niveaux historiques de signification de la racine *leg— en grec... 68

Schéma 17: Les trois thèmes de 1 'action... 77

Schéma 18: Les trois thèmes du nom d'action « λόγος »... 79

Schéma 19: Une explication du mot « entrelacer »... 89

Schéma 20: Les deux espèces de mot... 95

Schéma 21: Le « pêcheur à la ligne » comme nom collectif ou signe d'un groupement d'êtres singuliers.... 128

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Schéma 23: Les deux premiers diviseurs... 141

Schéma 24: Les deux espèces d'art... 143

Schéma 25: L'art factif comme art non acquisitif... 144

Schéma 26: Les débuts de !'explication du pêcheur à la ligne... 149

Schéma 27: La pêche à la ligne est un art acquisitif... 151

Schéma 28: Les deux espèces d'art acquisitif... 152

Schéma 29: L'art d'échange comme art de non-appropriation.. 152

Schéma 30: Les deux espèces d'art d'appropriation... 153

Schéma 31: La lutte comme une non-capture... 154

Schéma 32: Les deux espèces de la capture... 155

Schéma 33: L'espèce anonyme (non nommée) comme chasse aux non vivants... 155

Schéma 34: Les deux espèces de la chasse aux vivants... 156

Schéma 35: La chasse aux marcheurs comme chasse au gibier non nageur... 156

Schéma 36: Les deux espèces de la chasse au gibier nageur.. 158

Schéma 37: La chasse aux oiseaux comme non-pêche... 158

Schéma 38: Les deux espèces de la pêche... 159

Schéma 39: La pêche à la clôture comme pêche non vulnérente 159 Schéma 40: Les deux espèces de la pêche vulnérente... 160

Schéma 41: La pêche au feu comme pêche au non-hameçon... 161

Schéma 42: Les deux espèces de la pêche à l'hameçon... 162

Schéma 43: Ό τής άστταλιευτικής τέχνης λόγος... 164

Schéma 44: Le mot est une partie du son vocal et un résultat... 171

Schéma 45: Une explication de 1 'όνομα (mot) dans la ligne de la cause matérielle... 172

Schéma 46: Le mot, la syllabe, la lettre écrite et le phonème sont des signes... 173

Schéma 47: Ce qui est au repos et ce qui est en mouvement sont des êtres... 180

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Avoir une méthode est essentiel à qui veut atteindre convenablement un but. Un but commun exige une méthode commune. Un but précis exige une méthode précise. Les deux buts doivent se compléter.

Le philosophe qui a comme but de connaître un objet dans un domaine particulier d'étude applique une méthode précise commandée par son objet d'analyse particulier. Il en est de même pour le scientifique au sens moderne du mot. Il use d'une méthode précise exigée par son objet d'étude particulier. Comme le but est précis, c'est-à-dire connaître les principes et les causes d'un objet particulier, la méthode est également précise.

Le philosophe dialecticien, dont l'objet d'analyse n'est pas nécessairement limité a priori par sa méthode, use d'une méthode commune. Puisque son but est de pouvoir aborder n'importe quel sujet, sa méthode est commune.

Une méthode commune est nécessairement constituée d'instruments ou d'outils communs. Bien que communs, ces outils sont toutefois utilisables dans tous les domaines particuliers de recherche. Dans ce contexte, le particulier présuppose effectivement le commun. Par exemple, les outils tels la définition, la phrase énonciative et le raisonnement sont employés autant dans un domaine particulier de recherche que dans un domaine plus extensif.

Comme 1'emploi d'outils communs est un principe universel de recherche, nous pourrions dire qu'une méthode précise présuppose constamment une méthode commune. Qu'elle porte sur un objet particulier ou qu'elle concerne un objet commun, une recherche nécessite toujours !'application d'outils communs. C'est par 1'emploi de ces outils que le chercheur peut s'engager sur le chemin de la connaissance. Et, si l'objet de ce chercheur est particulier, il emploie, outre une méthode commune, une méthode plus précise.

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Le constat précédent, bien que simple à réaliser, est une source de compréhension fertile. Il nous permet de saisir pourquoi certains philosophes passés tenaient tant à découvrir les principes d'une méthode commune. À notre avis, ils avaient compris qu'une telle méthode sert de fondation à toute recherche, particulière ou commune.

Le premier ayant employé une méthode commune et l'ayant décrite est Platon. Il fait entre autres allusion à cette méthode dans la IIe lettre. Dans l'extrait en question, il y admire le talent de Denis en ce qui concerne la discussion:

έγώ δέ και περί Λυκόφρονος και τών άλλων των παρά σοι όντων λέγω και πάλαι και νυν τόν αυτόν λόγον, ότι πρός τό διαλεχθήναι και φύσει και τη μεθόδω τών λόγων πάμπολυ διαφέρεις αυτών... (D'autre part, moi, je soutiens, maintenant tout comme autrefois, le même discours à propos de Lycophron et des autres individus auprès de toi: que, en fait de discussion et

par

une méthode des

λόγοι, tu 1 ' emportes naturellement de beaucoup sur ceux-ci'.)

Ce premier extrait nous indique qu'une méthode, appelée méthode des λόγοι par Platon, est soit la dialectique soit, du moins, d'une aide utile en dialectique. L'extrait en question ne contient toutefois pas une explication claire de cette méthode.

Un second extrait, tiré du Politique, est davantage révélateur. Platon, par la bouche de 1'Étranger, y précise la matière sur laquelle peut être appliquée la méthode:

Ότι τη τοιψδε μεθόδω τών λόγων οϋτε σεμνοτέρου μάλλον έμέλησεν η μή, τόν τε σμικρότερον ούδέν ήτίμακε πρό τού μείζονος, άεΐ δέ καθ' αυτήν περαίνει τάληθέστατον. (Que,

par cette méthode des

λόγοι, on ne s'intéresse pas plus à ce qui est sérieux qu'à ce qui ne l'est pas ni on ne traite avec mépris ce qui est moins important en faveur de ce qui est plus important; toujours, on tend selon

Notre traduction et c'est nous qui 1 Platon, Lettre II, 314dl-4.

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cette même méthode à la suprême vérité2.

Par la méthode en question, le chercheur peut aborder n'importe quel sujet d'étude. Le sujet d'étude n'est pas limité a priori par sa méthode. Cette méthode est donc commune. De plus, comme chercheur, Platon y ajoute que nous ne devrions avoir cure de la noblesse ou pas de notre sujet d'analyse. Ce qui importe, c'est la vérité que l'étude de celui-ci peut nous apporter. C'est là un aspect fondateur de toutes les recherches qui se veulent objectives.

Cette méthode, Platon ne l'a pas seulement décrite dans le

Politique. Dans le Sophiste, toujours par 1 'entremise de

1'Étranger, Platon y explique encore une fois l'usage d'une méthode qui n'a cure de la noblesse du sujet étudié, signe qu'il s ׳ agit bien d׳ une méthode commune :

Άλλα γάρ tq τών λόγων μεθόδω σπογγιστικής ή φαρμακοποσίας ούδέν ήττον ουδέ τι μάλλον τυγχάνει μέλον εί τό μεν σμικρά, τό δε μεγάλα ημάς ώφελεΪ καθαίρον. (Mais,

par la méthode des

λόγοι, on ne se trouve en effet s'intéresser ni moins à 1'action d'éponger ni plus à celle de prendre des médicaments, même si l'une devait nous purifier moindrement et 1'autre, grandement2 3. )

À nouveau, il s'agit là d'une méthode commune. Il est clair que celui qui use de cette méthode peut étudier n'importe quel être. La méthode n'est pas limitée à un seul sujet d׳ étude.

Ces trois extraits sont des signes évidents de l'existence d'une méthode commune utilisée par Platon. Il la nomme méthode des λόγοι. Selon nous, elle est basée sur deux emplois du mot 2 idem, Politique, 266d7-9. Notre traduction et c'est nous qui soulignons. 3 Idem, Sophiste, 22737-10. Notre traduction et c’est nous qui soulignons. Nous retrouvons l'expression « ή τών λόγων μέθοδος » à trois reprises dans 1'oeuvre de Platon d'après le lexique d'Édouard des Places. Cf., Oeuvres complètes: lexique de la lanque philosophique et religieuse de Platon,

traduction d'Édouard des Places, Paris, Les Belles Lettres, 1970, tome XIV, 2e partie, pp.330-331 (Collection des Universités de France).

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« λόγος » : « explication » et « phrase ». Comme nous le verrons dans la suite, cette méthode est une combinaison de 1'application de deux procédures de recherche: celle de !'explication et celle de la mise en phrase.

Bien qu'il serait nécessaire de discuter des propriétés respectives de ces deux procédures, nous n'étudierons en détail que celle de !'explication. La raison en est fort simple. Les limites d'un mémoire nous 1'imposent. Cependant, sans pour autant entrer dans les détails, nous allons parfois examiner la procédure de la mise en phrase dans la mesure où cela pourrait clarifier notre étude concernant celle de !'explication.

Notre analyse de la première partie de la méthode des λόγοι commencera par la mise en relief de 1'importance qu'accorde Platon à la grammaire. La méthode des λόγοι est fondée sur des actes de la connaissance. Celui qui connaît et ce qui est connu sont tous deux connus et nommés à partir des propriétés de l'acte de connaître. Or, nous connaissons entre autres au moyen des mots. L'emploi de cette méthode présuppose celui de la grammaire. Platon le savait.

Comme il faut prendre en compte 1'apport cognitif fourni par 1'analyse grammaticale des mots, il sera nécessaire de porter une attention particulière aux mots employés par 1'Étranger. Afin de parvenir à une connaissance véritable de la méthode des λόγοι, c'est le mot « λόγος » qu'il nous faudra avant tout étudier. Il possède plusieurs sens. Ces sens sont répartis parmi trois niveaux distincts de signification lexicale. La compréhension respective de chacun de ces niveaux est un prérequis nécessaire à la compréhension totale de la méthode.

Suite à cette analyse, nous serons en de meilleures dispositions pour tenter de cerner les sens utilisés par Platon dans le Sophiste. Nous constaterons dans cette partie que Platon connaissait ce qu'il est maintenant convenu d'appeler la

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doctrine des cinq predicables.

Enfin, nous terminerons notre analyse par l'étude des procédés constituant la première partie de la méthode : celui de groupement, celui de division et celui de 1'explication proprement dite. Nous verrons entre autres que cette méthode semble avoir été utilisée pour constituer, ce que plusieurs appellent aujourd'hui en logique aristotélicienne, les deux premières opérations de !'intelligence. Aristote semble s'être inspiré grandement de Platon. Est-ce le cas? Il sera nécessaire de comparer les procédés de la première partie de la méthode des λόγοι avec ces deux opérations.

Il faut dire ici qu'un tel travail sera profitable à toutes nos recherches futures. En effet, cette méthode, découverte en partie par Socrate4 et en partie par Platon, est nécessairement utilisée dans toutes les recherches puisque c'est une méthode commune. Comme nous l'avons soulevé auparavant, !'application de cette méthode présuppose entre autres la connaissance et 1'emploi des procédés de groupement, de division et d'explication. Elle présuppose également la compréhension et la pratique de la doctrine des cinq prédicables. Ce sont là des procédés essentiels à toute recherche.

L'étude de la méthode des λόγοι est aussi un préliminaire indiqué à l'étude de la logique dite aristotélicienne. Cette logique invite entre autres à 1'emploi des procédés de groupement, d'universalisation, de division, de définition, d'explication, de mise en phrase et de mise en syllogisme. Si la méthode des λόγοι est une méthode combinant les procédures de !'explication et de la mise en phrase, n'est-il pas avantageux d'étudier cette méthode pour s'introduire à la logique? Au commencement de !'Isagoge, Porphyre rend d'ailleurs compte à Chrysarios de 1'importance et des avantages d'étudier les 4 « D'un autre côté, Socrate, dont les préoccupâtions portaient sur les choses morales, et nullement sur la Nature dans son ensemble, avait pourtant, dans ce domaine, cherché l'universel, et fixé, le premier, la pensée sur les définitions (ορισμών). Platon accepta son enseignement... »

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notions préalables à la doctrine des Catégories d'Aristote: Όντος αναγκαίου, Χρυσαόριε, και τών παρά Άριστοτέλει κατηγοριών διδασκαλίαν του γνώμαι τί γένος καί τί διαφορά τί τε είδος καί τί ίδιον καί τί συμβεβηκός, εί'ς τε την τών ορισμών άπόδοσιν καί ολως εις τα περί διαιρεσεως καί άποδείξεως χρησίμης οϋσης τής τούτων θεωρίας, σύντομόν σοι παράδοσιν ποιούμενος πειράσομαι διά βραχέων ώσπερ έν εισαγωγής τρόπω τα παρά τοίς πρεσβυτέροις έπελθεΐν, τών βαθυτέρων άπεχόμενος ζητημάτων, τών δ’ άπλουστέρων συμμέτρως στοχαζόμενος. (Étant donné qu'il est nécessaire, CHRYSARIOS, pour apprendre la doctrine des Catégories d׳ARISTOTE, de connaître ce qu'est le genre, ce qu'est la différence, ce qu'est l'espèce, ce qu'est le propre et ce qu'est l'accident, et que cette connaissance est nécessaire aussi pour donner

les

définitions, et, d'une manière générale, pour tout ce qui concerne la division et la démonstration, dont la théorie est fort utile, je t'en ferai un bref exposé, et j'essayerai en peu de mots, comme en une sorte d'introduction, de parcourir ce qu'en ont dit les anciens philosophes, en m'abstenant de recherches trop approfondies, et en ne touchant même qu'avec mesure à celles qui sont plus simpies5.)

De plus, cette méthode est exploitée inconsciemment et, plus ou moins maladroitement, par un grand nombre d'entre nous . Comme 1'appréhension des principes et des causes permet d'obtenir une connaissance approfondie d'un être, nous allons examiner les propriétés principales de cette méthode. Cet examen nous fournira une connaissance scientifique de la méthode qui nous mettra en mesure de profiter nous-mêmes des fruits dûs à l'usage ordonné d'une telle méthode.

Outre ces avantages, il y a des difficultés. Voici les plus notables. D'abord, le mot « λόγος » est en soi problématique. Il possède plusieurs sens en langue grecque. Le sens du mot est particulièrement difficile à saisir dans le contexte de la méthode. Une traduction dépourvue de commentaire est trop souvent une source de confusion pour le lecteur. 5 Porphyre, Commentaria in Aristotelem Graecat Porphyr ii Isagoge et in Aristotelis Categorias commentarium, edidit Adolfus Busse, Berolini, Reimer, 1887, 1, 3-9. Traduction de Tricot. C'est nous qui soulignons.

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Derrière une apparente clarté de traduction se cachent divers niveaux de signification dans le mot grec. Une compréhension poussée de ces niveaux est primordiale pour qui veut connaître la nature de la méthode des λόγοι.

En plus de cette difficulté, le nom « λόγος » est issu du verbe grec « λέγειν ». La forme grammaticale du mot est changée et elle cache à nouveau un niveau de signification que le grammairien a pour fonction d'analyser et d'expliquer. L'étude de la structure phonétique du mot et de ses origines étymologiques sont nécessaires, mais 1'examen de sa forme grammaticale l'est autant. En effet, c'est un auxiliaire supplémentaire afin de parvenir à une compréhension théorique totale de la méthode. Lorsque cela lui paraît nécessaire, Platon lui-même procède à 1'analyse grammaticale de certains mots. Afin de comprendre un auteur, il nous faut faire les mêmes démarches que 1'auteur en question.

Par ailleurs, le mot « λόγος » est utilisé sous une forme grammaticale de pluriel: « λόγοι ». Pourquoi Platon propose-t-il le pluriel du mot? Le pluriel est souvent un signe renvoyant à une multiplicité d'êtres possédant la même nature universelle. À combien de « λόγος », possédant la même nature universelle, fait-il allusion? Et, puisque le mot peut signifier plus d'une nature universelle, est-il possible que le mot renvoie, outre à une multiplicité de même nature, à une multiplicité ayant des natures d'espèce différente?

Afin de parvenir à une analyse claire et adéquate de la méthode des λόγοι dans le Sophiste, ce mémoire contiendra quatre chapitres. Dans un premier temps, nous constaterons que Platon accorde une grande importance à 1'analyse de 1 'instrument de communication qu'est la langue. Nous passerons ensuite à l'examen de la racine *leg— dans le mot « λόγος ». Par la suite, nous analyserons le λόγος pour autant que son sens semble être « explication ». La première partie de la méthode est déterminée par ce sens. Malheureusement, cet ouvrage ne fera

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pas état du λόγος en tant que « phrase » d'une façon détaillée. Ce sens du mot délimite en fait la seconde partie de la méthode. Il s'agit d'une partie nécessaire à la compréhension théorique totale de la méthode de recherche en question. Enfin, nous terminerons notre recherche en analysant les procédés employés dans la première partie de la méthode: celui de groupement, celui de division et celui de 1'explication proprement dite. Afin de voir clairement leur emploi, nous décortiquerons en plus !'explication du pêcheur à la ligne découverte dans le Sophiste.

Le but de notre mémoire est d'arriver à une explication valable de la première partie de la méthode des λόγοι.

Nous nous acquitterons de ce travail en prenant autant que possible en considération les exigences imposées par un mémoire en philosophie. D'abord, la logique présupposant la grammaire au sens large, nous procéderons parfois à l'analyse grammaticale de certains mots. De plus, puisque le Sophiste nous semble être un dialogue introductif à la logique dite aristotélicienne, nous aurons recours à certains extraits de texte d'Aristote afin de comparer et noter les ressemblances étonnantes, mais souvent négligées par les commentateurs, entre Platon et Aristote. Et, puisque le verbe d'Aristote est souvent extrêmement concis, nous ferons également appel avec mesure à certains commentateurs, notamment Porphyre, afin de décortiquer les explications du Stagirite. Nous nous aiderons également des recherches de quelques commentateurs actuels. En vue de répondre aux besoins de représentation de !'intelligence, nous illustrerons aussi les notions plus difficiles par des tableaux pédagogiques de visualisation6. Enfin, comme il faut expliquer pendant que nous sommes en train d'éclaircir la nature de la méthode, nous appliquerons la méthode des λόγοι pendant que nous sommes en train de dégager ses propriétés.

6 Pour l'explication des détails de nos différents tableaux, cf. p. 186 (annexe A).

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PLATON ACCORDE UNE GRANDE IMPORTANCE À L'ANALYSE

GRAMMATICALE DE L'INSTRUMENT DE COMMUNICATION QU'EST LA

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Puisque nous considérons que la méthode des λόγοι présuppose le besoin de savoir analyser grammaticalement les mots, nous faisons 1,hypothèse que Platon doit avoir fréquemment examiné divers problèmes grammaticaux. Il doit avoir accordé une grande importance à 1,analyse de 1'instrument de communication qu'est la langue. Il doit avoir été, outre philosophe, grammairien.

Or, comme nous le verrons, Platon utilise et développe effectivement un vocabulaire de plus en plus approprié à la grammaire. Le développement du vocabulaire est signe de 1'intérêt de Platon pour la technique grammaticale. Afin de montrer cet intérêt, nous étudierons différents passages de 1'oeuvre de Platon dans lesquels il organise le vocabulaire de la grammaire.

Mais, comme le champ de la grammaire était assez bien balisé à 1'époque de Platon, la délimitation de cette technique doit avoir été entamée avant Platon. Un tel travail ne s'est pas réalisé en un tournemain. Une prise de conscience de la nécessité d'analyser la langue doit avoir eu lieu avant Platon. C'est ce point qu'il faudra en premier lieu aborder afin de découvrir la source de 1'intérêt des Grecs pour 1'analyse grammaticale. Nous verrons que cette source est d'abord un contraste entre diverses formes langagières. Chez Platon, ce contraste prend une tournure plus précise étant donné 1'évolution de la technique grammaticale.

Dans l'ordre, nous examinerons deux points. Nous démontrerons qu'une prise de conscience de la nécessité d'analyser la langue grecque existait déjà avant Platon et, en dernier lieu, que 1'intérêt de Platon pour la technique grammaticale est indiqué par le développement d'un vocabulaire de plus en plus approprié dans son oeuvre. De là, nous pourrons conclure que Platon accorde une grande importance à l'analyse grammaticale de 1'instrument de communication qu'est la langue et que, pour saisir la nature de la méthode des λόγοι, nous devons nous-mêmes procéder à des analyses grammaticales.

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A. Une prise de conscience de la nécessité d'analyser la

langue grecque existait déjà avant Platon.

« éàv ouv μή είδώ την δύναμιν τής φωνής, εσομαι τω λαλοϋντι βάρβαρος κα'ι ό λαλών έν έμοί βάρβαρος. » (« Si je ne sais pas le pouvoir des sons vocaux, je serai un barbare pour celui qui [me] parle et celui qui [me] parle sera un barbare pour moil. »)

En son sens moderne, la grammaire est l'étude des éléments d'une langue, telle la langue française, la langue grecque, etc. Cette étude se divise habituellement en trois branches: la phonétique, la morphologie et la syntaxe. Or, selon H.I. Marrou, pas avant la période hellénistique, ni même avant le premier siècle précédent Jésus-Christ, la grammaire n'existait au sens moderne du mot:

Mais à partir du 1er siècle avant notre ère, l'étude littéraire des poètes n'est plus seule à occuper les études grammaticales secondaires : sans la détrôner, elles la complètent par ce que l'on appelle la « technique », c'est-à-dire l'étude méthodique des éléments du langage, ce qu'aujourd'hui nous appelons proprement la grammaire?.

Il semble qu'il ait tort. Nous pouvons parler de grammaire au temps des Sophistes et de Platon. Cratyle, dans le dialogue du même nom, confirme l'existence d'un art grammatical: « ...όταν ταυτα τα γράμματα, τό τε άλφα κα'ι τό βήτα καί έκαστον των στοιχείων, τοίς όνόμασιν άποδιδώμεν τη γραμματική τέχνη... » (« ...chaque fois que nous donnons aux noms ces lettres écrites, [signifiant] celle alpha et celle bêta et chacun des phonèmes, par l'art

1 Corinthiens I, 14, 11. Notre traduction.

2 Henri-Irénée Marrou, Histoire de l'éducation dans l'Antiquité, 5e éd., Paris, Éditions du Seuil, 1960, p.236 (Collection Esprit).

(20)

grammatical.

.

.3 4 5») Le problème est ici celui de la relation du nom, comme signe oral, avec le signe écrit. Est-ce que chacune des lettres d'un nom est bien celle à employer? Par exemple, est-ce que les lettres écrites alpha et gamma sont les meilleurs signes écrits à utiliser dans le mot « γράμμα »? Selon Cratyle, c'est par l'art grammatical que nous pouvons résoudre la question. La grammaire existe bel et bien pour lui.

Théétète, interlocuteur de l'Étranger dans le Sophiste,,

corrobore les propos de Cratyle. L'Étranger introduit subtilement son élève au problème de la communauté des genres suprêmes par celui de la communauté des lettres :

ΞΕ: Πας οΰν οίδεν όττοΤα όποίοις δυνατά κοινωνεΐν, η τέχνης δεϊ τώ μέλλοντι δράν ίκανώς αυτό: ΘΕΑΙ: Τέχνης. ΞΕ: Ποιας: ΘΕΑΙ : Τής γραμματικής. (

L ' Étranger:

Donc, chacun sait-il quelles choses puissantes communiquent avec quelles autres, ou faut-il un art à celui s'apprêtant à faire convenablement cela?

Théétète:

Il faut un art.

L

'

Étranger:

Lequel?

Théétète:

La

grammaire

4.)

Aristote, plus tard, utilisera comme exemple le fait que la grammaire est une science. L'existence de cette discipline semble établie depuis fort longtemps : « άπαντος δέ γένους καί αϊσθησις μία ενός καί επιστήμης, οΐον ή γραμματική μία οΰσα πάσας θεωρεί τάς φωνάς. .. »

(« Pour chaque genre, il y a une seule sensation et une seule science, par exemple, la

grammaire,

étant une science une, étudie tous les sons vocaux... 5 ») Le grammairien étudie les signes que sont les sons vocaux et leur lien avec les signes écrits.

3 Platon, Cratyle, 43169-11. Notre traduction. C'est nous qui soulignons. Remarquez que le στοιχείον, le phonème ou le son oral est soit consonne, soit voyelle, soit semi-voyelle. C'est un signe oral. Il peut être manifesté aux yeux par un signe visuel. Il est alors un γράμμα, une lettre écrite. En ce sens, la lettre écrite est un signe pour un autre signe qu'est le phonème.

4 Idem, Sophiste, 253a8-12. Notre traduction. C'est nous qui soulignons. 5 Aristote, La Métaphysique, 11003 ,2 ,־bl9-21. Notre traduction et c'est nous qui soulignons. D'autres passages d'Aristote confirment que la grammaire est bien établie comme science. Cf., Idem, Catégories, 1 et 2.

(21)

À. L'opposé de Marron6, nous soraro.es d'avis que la grammaire existait comme technique d'analyse de la langue à 1'époque de Platon et d'Aristote. Il semble même qu'elle existait avant cette époque. C'était en outre une technique assez bien définie au temps de Platon. Les trois citations précédentes semblent du moins le présupposer. Si c'est le cas, une prise de conscience de la nécessité d'analyser la langue grecque doit s'être faite sentir bien avant Platon. Chez les Grecs, cette prise de conscience a pris naissance dans un contraste entre la langue d'Homère et le grec classique. C'est ce que nous allons maintenant examiner.

Nous savons que 1'éducation des jeunes gens grecs, à 1'époque ancienne, était constituée par deux domaines : la gymnastique et la musique. Un passage de la République nous le confirme:

Τις οΰν η παιδεία: η χαλεπόν εΰρείν βελτίω τής ύπό του πολλού χρόνου ηύρημενης. Έστιν δε που ή μεν έπί σώμασι γυμναστική, ή δ' έπί ψυχή μουσική. (Mais quelle éducation leur donnerons-nous? N'est-il pas difficile d'en trouver une meilleure que

celle

qui a été découverte au cours des âges?

Or, pour le corps nous avons la gymnastique et pour l'âme la musique7.)

L'éducation par la musique n'est pas celle limitée au chant, à la danse et à la pratique d'un instrument. Il s'agit bien plutôt de l'éducation par les Muses. C'est l'éducation artistique qui comprenait aussi l'étude littéraire, surtout axée sur l'étude des poètes, particulièrement Homère. Les étudiants apprenaient à écrire pour tous les domaines de la vie, à lire les oeuvres d'Homère, à les réciter par coeur et à les chanter accompagnés d'un ami à la cithare ou s'accompagnant eux-mêmes.

À 1'origine, la grammaire consistait en une étude

6 pour ceux qui sont encore réticents, la seconde partie de ce chapitre écartera le doute.

7Platon, République, II, 37663-5. Traduction de Robert Baccou. C'est nous qui soulignons.

(22)

littéraire surtout axée sur les textes d'Homère. À ce niveau, Marrou a tout à fait raison. Il semble toutefois faire erreur sur le moment de naissance de la grammaire comme technique. Il situe ce commencement aux environs du premier siècle avant notre ère. Notre impression à ce sujet est plutôt que les premiers balbutiements de la grammaire ont eu lieu avant 1'époque des Sophistes, avant le milieu du 5e siècle.

Avec 1'arrivée des Sophistes, les Grecs devenaient de plus en plus sensibles à leur langue, surtout au point de vue de la grammaire. La langue grecque ayant évolué et ayant suffisamment changé dans sa structure depuis Homère, une étude littéraire sans grammaire ne suffisait plus. Lire ses oeuvres exigeait désormais des commentaires grammaticaux. Il fallait décortiquer grammaticalement ses textes afin de les saisir. Modestement, une analyse plus grammaticale des textes, contenant même un certain aspect étymologique, est apparue. Les Sophistes sont la première forme manifeste de grammairiens.

Par exemple, Hippias s'est intéressé énormément à tout le domaine de l'étude littéraire et à la grammaire. Socrate le perçoit comme un expert en littérature et en grammaire:

...πρός δέ τούτοις ποιήματα εχων έλθεΐν, και Επη και τραγωδίας καί διθυράμβους, καί καταλογάδην πολλούς λόγους καί παντοδαπούς συγκειμένους · καί περί των τεχνών δη ών άρτι εγώ ελεγον επιστήμων άφικέσθαι διαφερόντως τών άλλων, καί περί ρυθμών καί αρμονιών καί γραμμάτων όρθότητος, καί άλλα ετι πρός τούτοις πάνυ πολλά... (En outre, tu [Hippias] apportais avec toi des poèmes, épopées, tragédies, dithyrambes, et beaucoup de discours en prose de toute espèce; et, sur les arts desquels je parlais tout à l'heure, tu te présentais comme un homme plus entendu que personne, ainsi qu'aux rythmes, aux modes de musique, à la grammaire et à quantité d'autres choses...8)

Prodicos a étudié la justesse des noms et, notamment, le C'est nous 8 Idem¡ Hippias mineur¡. 368c7-d5» Traduction d'Emile Chambry.

(23)

problème de l'étymologie des noms. Sa science est si enviable qu'il peut se permettre d'imposer un prix fort coûteux aux Grecs assistant à ses leçons :

.. .και δή και τό περί τών ονομάτων ού σμικρόν τυγχάνει ον μάθημα. El μεν ουν εγώ ήδη ήκηκόη παρά ΙΊροδίκου τήν πεντηκοντάδραχμον έπίδειξιν, ήν άκούσαντι υπάρχει περί τούτο πεπαιδεύσθαι, ώς φησιν εκείνος, ούδέν αν έκώλυέν σε αύτίκα μάλα είδε ναι τήν άλήθειαν περί ονομάτων όρθότητος. . . (En particulier, l'étpde des noms n'est pas une petite affaire. Si, pour ma part, j'avais déjà entendu de la bouche de Prodicos la leçon de cinquante drachmes qui, à l'en croire, donne à 1'auditeur une connaissance complète de la question, rien ne t'empêcherait de savoir à 1'instant la vérité sur la justesse des noms9 10. )

Protagoras, dans le dialogue éponyme, soutient que ce type d'étude littéraire, savoir celle contenant une analyse grammaticale des textes, est le fondement de l'éducation. Il faut savoir reconnaître le bon et le mauvais dans la poésie:

'Ηγούμαι, έφη, ώ Σώκρατες, εγώ άνδρι παιδείας μέγιστόν μέρος είναι περί επών δεινόν είναι · ε'στιν δέ τούτο τα υπό τών ποιητών λεγάμενα οΐον τ' είναι συνιέναι ά τε όρθώς πεποίηται και a μη, καί έπίστασθαι διελεΐν τε και έρωτώμενον λόγον

δούναι. (Je crois quant à moi, Socrate, dit-il, qu'une partie importante de l'éducation consiste pour chacun à être un connaisseur en poésie: je veux dire par là qu'il faut, dans les oeuvres des poètes, savoir reconnaître le bon et le mauvais, pouvoir distinguer l'un de l'autre, et être capable d'en donner les raisons à qui les demándelo. )

De plus, Protagoras s'est passionné pour la syntaxe poétique d'Homère. Ici, Aristote constate que Protagoras savait discerner les différentes formes de la phrase:

ΤΙ γάρ αν τις ΰπολάβοι ήμαρτήσθαι ä Πρωταγόρας επίτιμα, ότι

9 Idem, Cratyle, 384bl-6. Traduction de Méridler. Hermogene (de la race d'Hermès, dieu du gain), parce qu'il a des embarras d'argent, se questionne sur la justesse étymologique de son nom.

10 Idem, Protagoras, 338e8-339a3. Traduction de Croiset en collaboration avec Bodin.

(24)

εϋχεσθαι οίόμενος έπιτάττει είπών « μήνιν αειδε θέα »: τό γάρ κελευσαι, φησί, ποείν τι η μή, έττίταξίς έστιν. (Car comment pourrait-on admettre le reproche fait par Protagoras à Homère de donner un ordre en croyant adresser une prière dans les mots:

« Chante, déesse, la colère... » ; car, dit-il, dire de faire ou de ne pas faire telle chose est un or dre 11. )

Ces extraits prouvent 1,existence d'une prise de conscience de la nécessité d'analyser la langue. Sauf erreur, la prise de conscience est issue d'un contraste entre deux formes langagières : la langue d'Homère et le grec classique. C'est pourquoi nous croyons que la grammaire est née bien avant le premier siècle avant notre ère. Marrou, semble-t-il, n'a pas lu assez minutieusement les écrits de Platon et d'Aristote. Il n'a pas remarqué 1'importance que ces deux philosophes accordaient sans répit à la grammaire.

Elle n'était certainement pas une technique aussi sophistiquée que la grammaire actuelle. Pourtant, c'était un art méthodique par lequel les Grecs étudiaient les problèmes phonétiques, morphologiques et syntaxiques. Les grammairiens examinaient également des problèmes étymologiques et les significations des mots, deux branches qui appartiennent davantage à la linguistique aujourd'hui. Alors, est-ce que la grammaire, en tant que science méthodique par laquelle nous analysons les problèmes de langage, existait avant le premier siècle avant J.C.? À la. lumière des citations données, notre réponse est affirmative.

Nous concluons cette partie en disant que l'étude littéraire ne pouvait plus être limitée à 1'apprentissage de divers poèmes. Une brèche était maintenant créée pour 1׳ analyse grammaticale de ces mêmes poèmes. Il s'agit d'une analyse grammaticale dont le but n'est pas simplement 1'examen de la signification des mots, mais dont le but est également d'attirer 1'attention sur la forme dite grammaticale. En effet, les Sophistes s'intéressent aux phonèmes, aux syllabes, aux mots, 11 Aristote, Poétique, 1456bl5-18. Traduction de Hardy.

(25)

aux phrases et à l'étymologie. Ils sont grammairiens et, dans une certaine mesure, linguistes: « Même si beaucoup des questions ainsi soulevées en marge des textes n'ont été d'abord que de simples prétextes à la joute dialectique, très tôt pourtant elles amenèrent les Sophistes et leurs élèves

à

étudier sérieusement la structure et les lois du

langage... 12 »

Cette impulsion, qui favorisait l'analyse grammaticale, ne s'arrêtera jamais. Platon prendra la relève des Sophistes. Il affermira les bases de l'art grammatical en fournissant aux Grecs un vocabulaire de plus en plus convenable à cet art. En plus d'être utilisés parfois comme synonymes, certains mots tels que « λόγος », « όνομα » et « ρήμα » seront dotés d'une nouvelle signification plus précise et plus technique. Ils pourront servir désormais pour nommer certaines propriétés en relation avec l'activité du langage et de la grammaire. Ce développement du vocabulaire est un signe du progrès de la grammaire. Chez Platon, c'est également un signe de la grande importance qu'il accordait à la nécessité d'analyser la langue. Dans le dixième du Sophiste, 1'Étranger et Théétète s'intéressent d'ailleurs à la structure grammaticale du λόγος en tant que phrase énonciative et à son droit de cité dans le royaume des êtres. Examinons maintenant 1'importance qu'accordait Platon à cette analyse.

12 Marrou, Histoire de l'éducation..., p.94. C'est nous qui soulignons. C'était leur propre subsistance qui était en jeu. Les Sophistes se devaient d'être performants, le paraître du moins, pour attirer de nouveaux disciples.

(26)

B. L'intérêt de Platon pour la technique grammaticale

est indiqué par le développement d'un vocabulaire de

plus en plus approprié dans son oeuvre.

L'étude des règles de la phonétique, de la morphologie et même de la syntaxe ainsi que celle de la pluralité des significations des mots ont intéressé au plus haut point Platon. Il a surtout consigné ses observations grammaticales dans les écrits de la dernière période de sa vie, ce que d'aucuns ont appelé la troisième période ou la période tardive. À partir de ce moment, 1'examen grammatical du langage est devenu un point important de ses dialogues.

Nous l'avons relevé auparavant, Platon est d'avis que la grammaire, partie de la musique, doit être un élément de l'éducation fondamentale de tous les enfants. Chaque citoyen libre doit posséder une certaine éducation préparatoire qui le conduit éventuellement à l'étude de la science véritable: « Ta μέν τοίνυν λογισμών τε κα'ι γεωμετριών καί πόσης τής προπαιδείας, ήν τής διαλεκτικής δεΐ προπαιδευθήναι, παισιν ουσι χρή προβάλλειν . .. » ( « C'est donc dès 1'enfance qu'il faut faire étudier 1'arithmétique, la géométrie, et toutes les sciences qui

doivent précéder

l'enseignement de la dialectique..

.13 » ) Et, cette préparation contient bien évidemment des notions d'analyses grammaticales.

En ce sens, l'étude de la philosophie pour Platon présuppose au minimum une solide base en grammaire. Marrou l'a d'ailleurs constaté:

Cette « éducation préparatoire », προπαιδεία, ne prétend pas donner accès à la science véritable : elle se contente de rendre l'être humain capable d'y accéder un jour, en développant harmonieusement 1'esprit et le corps; parallèlement, elle 1'oriente par avance vers cette acquisition et l'y prédispose en

13Platon, République, VII, 536d6-8. Traduction de Chambry. C'est nous qui soulignons.

(27)

1'imprégnant d'habitudes salutaires14 15.

Également, Gilbert Ryle note sommairement !,intérêt de Platon pour la grammaire dans !,un de ses articles: « In the

Cratylus, Theaetetus and Sophist Plato, like Aristotle in, for example, his De Interpretatione and Categories, is beginning to consider grammatical and semantic questions about the elements and the compositions of truths and falsehoods and of the sentences that convey them16. »

Afin d'appuyer cette observation de Gilbert Ryle, nous allons relever quelques passages indicateurs de !,intérêt de Platon. Puisque l'étude de la grammaire l'a amené à en raffiner le vocabulaire, nous allons mettre en relief des extraits contenant des clarifications au niveau grammatical. Ces passages sont un signe de !,intérêt de Platon pour la grammaire et, tacitement, de 1'importance accordée par ce dernier à !,analyse de !,instrument de communication qu'est la langue. La grammaire, semble-t-il, est un instrument absolument indispensable pour le sage, car il y a un λόγος avec lequel il peut dire le vrai et le faux16.

Nous savons par le Cratyle que Platon, en utilisant le procédé de division du genre logique par des différences 4!־Marrou, Histoire de l'éducation..., p.100.

15 Gilbert Ryle, "Plato", The Encyclopedia Of Philosophy, New York, MacMillan publishing co.; inc., The Free Press, t.5, 1972, p.320. Il est important de noter que, selon cet auteur, trois écrits de Platon sont considérés utiles pour la compréhension des oeuvres logiques d'Aristote;

Cratyle, Théétète et Sophiste. Dernièrement, Carson est du même avis que Ryle pour dire que le Sophiste a été une source d'inspiration pour Aristote lorsque ce dernier a rédigé le traité De l'Interprétation : « The language in De interpretatione 1 is reminiscent of Plato's language of "interweaving" in Sophist 262 ff.; indeed, the same metaphor is used (συμπλοκή). Part of the project of De interpretatione seems to be to give an Aristotelian account of how it is that subject terms combine with predicate terms to give rise to assertions about relations between metaphysical subjects and predicates, and on this score it seems that Aristotle is in agreement with Plato... » (Résumé d'une présentation qui a eu lieu le 2 8 décembre 1998 à Washington tiré d'une publication

Society For Ancient Greek Philosophy.) 16p1aton, Cratyle, 385b et ss.

(28)

spécifiques^״ s'intéresse à la grammaire de diverses langues. À 1'inverse de la majorité des Grecs, son intérêt ne se limite pas seulement à la considération des divergences entre la langue d'Homère et le grec classique. La source de 1'intérêt de Platon est un certain contraste entre sa propre langue et la langue barbare.

Dès le départ du dialogue, il fixe notre attention sur le problème de la multiplicité des langues par 1'entremise de celui de la nomination. Selon lui, il est de mise d'examiner une difficulté grammaticale en diverses langues ou dialectes si cela permet de parvenir à une compréhension plus précise de celle-ci:

...καί ού τούτο είναι όνομα ö äv τινες ουνθε'μενοι καλεΐν καλώσι, της αυτών φωνής μόριον έπιφθεγγόμενοι, άλλα ορθότητα τινα των ονομάτων ττεφυκε'ναι καί Ελλησι και βαρβάροις την

αυτήν απασιν. (...un mot n'est pas ce que

certains, ayant convenu d'appeler ceci, appellent ceci, ayant prononcé une partie de leur propre son vocal, mais une certaine justesse naturelle des mots,

la même

pour tous, existe et pour les Grecs et pour les Barbares^8. )

Socrate observe d'abord une première distinction. Est-ce que 1'emploi d'un mot est le même et chez les Grecs et chez les Barbares ou est-ce qu'il est différent? S'il est différent, il y a le mot a) tel qu'utilisé par les Grecs et b) tel qu'utilisé par les Barbares, savoir les non-Grecs: 17 18

17 cette méthode est celle des cinq prédicables. L'emploi des prédicables est présent dans le Sophiste, même si une analyse théorique de ces prédicables n'est pas là. Nous ne réaliserons pas un examen détaillé de tous les prédicables. Un tel travail dépasserait les limites imposées par un mémoire. Pour tout ce qui concerne la théorie des prédicables,

!'isagoge de Porphyre s'avère être la meilleure introduction.

18 Ibid., 383a5-b2. Notre traduction et c'est nous qui soulignons. Il s'agit de l'une des deux opinions examinées. C'est pourquoi nous pouvons établir la distinction qui va suivre dans le texte. Il est de plus curieux que, dans Corinthiens I, 14, 11, saint Paul utilise le contraste entre les gens parlant une langue barbare et une langue non barbare. En renversant 1'opposition relative, nous serions barbares pour autrui et autrui, pour nous.

(29)

Schéma 1: L'emploi du mot par les Grecs et par les Barbares.

- a) tel qu'utilisé par les Grecs.

Le mot

- b) tel qu'utilisé par les Barbares (non-Grecs).

Dans le même passage, nous trouvons une autre distinction en lien avec la multiplicité des langues. Le mot « langue » est utilisé pour nommer un genre, un tout universel, se disant de ses espèces. Il y a deux espèces distinguées dans le dialogue: la langue grecque et la langue barbare.

Une parenthèse s'impose ici. Habituellement, dans la formulation d'une définition, le genre est signifié par un nom substantif, 1'est-il du moins par un syntagme nominal. La différence est signifiée par un nom adjectif ou par un syntagme équivalent au niveau grammatical. Enfin, l'espèce nous est connue par un nom substantif ou, de nouveau, par un syntagme nominal19. Plus tard, nous verrons que Platon divise si possible le genre en espèces par des différences suivant ces distinctions grammaticales.

Dans le schéma 2, le mot « langue » signifie le genre. Les mots « barbare » et « grecque » signifient les deux différences. Les syntagmes nominaux « La langue barbare » et « Le grec » signifient les deux espèces. En tableau :

Schéma 2: Division des langues chez Platon.

Langue

barbare grecqu

La langue barbare | | Le grec

19 De plus, nous utilisons l'expression « nom adjectif » pour désigner 1 'adjectif au sens moderne du mot. En effet, pour les Grecs et les Romains, le nom est un genre qui se divise en nom substantif et en nom adjectif. L'adverbe est également une espèce de nom pour autant qu'il ne signifie pas le temps grammaticalement.

(30)

Ces deux distinctions, 1,emploi du mot et la division des langues, sont une invite Io) à 1,analyse grammaticale et 2°) à la comparaison grammaticale d,un même mot retrouvé dans diverses langues. Cette invite à la comparaison prend sa source dans le contraste entre les langues de structures grammaticales très différentes. Au départ, cette opposition en était une entre la langue d'Homère et le grec classique dont les structures grammaticales divergeaient plus ou moins. Avec Platon, l'étude de cette opposition s'élargit.

Ajoutons que Platon propose ici une division ayant comme l'un de ses principes la négation. Selon lui, il y a une langue qui possède une certaine caractéristique essentielle permettant de la différencier du reste. Cette caractéristique permet de qualifier cette langue comme étant grecque. Les autres langues

ne possèdent

pas

cette caractéristique. Ce sont des langues barbares ou non grecques.

Avec des connaissances plus approfondies au sujet des propriétés réelles des langues, la même technique de division par la négation est employée aujourd'hui en linguistique. D'un côté, il y a les langues indo-européennes caractérisées par des racines communes, de l'autre, les langues non indo-européennes. En tableau:

Schéma 3: Division des langues chez les linguistes.

4

Langue

indo-européenn׳ non indo-européenne

L ׳indo-européen

i

Langue non indo-européenne

Par ce tableau, nous voyons très bien la ligne de prédication selon laquelle le tout se dit de ses parties. L'indo-européen est une langue et le non indo-européen est une langue. Il y a deux langues ou deux espèces de langue. La prédication est difficile ici parce qu'il n'existe pas vraiment de mot adéquat en français pour signifier les autres langues qui

(31)

ne sont pas indo-européennes. Il en est de même en ce qui concerne la division proposée par Platon. Le grec est une langue et, bien que laborieux comme prédication, le barbare est une langue. Il serait préférable d'utiliser un syntagme nominal avec un article et de dire que la langue barbare est une langue. En passant, il est intéressant de noter que la langue grecque est la langue à laquelle 1'auteur du Sophiste s'identifie.

Conformément au procédé d'analyse relevé, Platon va ensuite examiner tour à tour des problèmes de nomination dans le

Cratyle. Ces observations auront trait non seulement aux

problèmes de nomination en attique, son propre dialecte, mais entre autres à ceux en ionien: « ΟΤσθα συν δτι έττ'ι τώ αύτώ ήμεΤς μέν φαμεν « σκληρότης », Έρετριής δέ « σκληρότηρ »; » ( « Sais-tu donc que sur la même chose nous nous prononçons « σκληρότης », tandis que ceux d'Erétrie prononcent « σκληρότηρ »20? » ) La langue grecque est divisée à nouveau et elle comprend au minimum deux dialectes: 1 'attique et 1 'ionien. Tout ceci est une fois de plus une invite à la comparaison d'un problème grammatical dans diverses langues.

Schéma 4: Division du grec chez Platon.

grecque^

i

Le grec Attique Ionien Langue barbare

Í

Langue barbare

De même que le grec ou la langue grecque est une langue, 1׳attique est un grec ou, préférablement, une langue grecque et 1'ionien est une langue grecque. La dernière division est le résultat d'une nouvelle observation chez Platon. L'attique doit posséder une caractéristique dont l'ionien ne bénéficie pas. C'est cette caractéristique qu'il tentait de découvrir à ce moment.

(32)

Jusqu'ici, nous pouvons retenir deux choses. D'abord, ces divisions ont suscité un grand intérêt chez Platon pour la langue et la grammaire. Nous apporterons d'autres exemples dans la suite afin d'appuyer de nouveau ce point. Ensuite, ces divisions sont un procédé instrumental utile pour découvrir les propriétés des êtres signifiés par les mots. Lorsque Platon divise la langue par exemple, c'est la chose signifiée par le mot « langue » qui est divisée et non le signe « langue ». Il faut reconnaître que les propriétés de la chose signifiée sont autres que celles du signe.

Les limites entre langue grecque et langue barbare posées, posées parce qu'observées et acceptées par les autres dans le dialogue, Platon passe à un problème de la nomination. Or, le premier passage précité2! contient une perspicace observation grammaticale. Le son vocal est une réalité physique qui frappe nos oreilles. Il est pris comme un tout plus large. En effet, il est une matière à partir de laquelle le mot est fait et d'autres sons peuvent être faits. Il est un genre-sujet* 22.

En vue de faciliter la compréhension de la nature du mot, Platon utilise la comparaison entre le mot et une autre sorte d'instrument, la navette. Le mot est fait à partir du son vocal comme la navette est faite à partir du bois. D'abord, le bois est un tout plus large que la navette. Il est effectivement une matière à partir de laquelle autre chose que la navette peut être fabriquée. En ce sens, la navette est une partie ou un morceau de bois. Pour le mot, le son vocal est également un tout plus large dans la ligne de la matière. Le mot est lui aussi une partie du son vocal.

Par ailleurs, la navette23 est un tout pour autant qu'il s'agit d'un résultat fabriqué. Celle-ci est composée de deux parties; la matière, à savoir le bois provenant de la nature, et la forme, c'est-à-dire celle donnée au bois par celui fabriquant 2"1Cf., supra, p.20.

22Cf., Aristote, Mét., Δ, 28.

(33)

la navette. Remarquons que le bois existait déjà dans le monde des êtres naturels. Il était formé naturellement avant même que 1 ' homme ne lui donne la forme de navette. La forme de navette est en fait une nouvelle forme ajoutée à celle que le bois possédait déjà. C'est une forme artificielle. En tableau :

Schéma 5: La navette est une partie du bois et un résultat. résultat

navette (un tout composé) la forme de navette

forme à ajouter

(forme donnée par un art)

bois matière recevante (forme naturelle) partie 2

+

partie 1

mouvement selon l'ordre! de construction

Par ce tableau, nous illustrons les deux points mis en relief auparavant. D'abord, la forme de navette est ajoutée au bois et elle est une partie du bois. Le bois naturel existait donc avant la navette. Ensuite, la navette est un tout résultatif composé d'une matière naturelle et d'une forme artificielle.

Par 1'analogie, Platon nous offre l'occasion de saisir un élément composant la nature du mot comme tout intégral. Ce que le bois est à la navette, le son vocal l'est au mot. Le mot, pour autant qu'il est une forme ajoutée au son vocal, en est une partie. Le mot est également un tout résultatif composé d'une matière naturelle et d'une forme artificielle. L'analogie présuppose donc l'existence d'un son vocal ayant déjà une forme naturelle, un son vocal à l'état de nature. Le langage serait ainsi un curieux mélange du naturel et de l'artificiel.

Schéma 6: Le mot est une partie du son vocal et un résultat. résultat

ονομα (mot) (un tout composé) la forme de όνομα (mot)

φωνή ( son vocal ) partie 2 forme à ajouter

_|_ (forme donnée par un art)

partie 1 matière recevante (forme naturelle)

(34)

Ces premières précisions, que nous venons d'exposer sous forme visuelle, sont des signes éclatants de 1'intérêt de Platon pour la grammaire. Il n'arrête pourtant pas là son analyse. Il nous propose une seconde explication du mot. Cette fois-ci, le mot, au lieu d'être considéré comme une certaine partie du son vocal, est une imitation ayant le son vocal comme support sensible: « ’Όνομ’ ccp’ έστίν, ώς εοικε, μίμημα φωνή εκείνου μιμείται και ονομάζει ό μιμούμενος τη φωνή όταν μιμήται. » ( « Un mot est ainsi, semble-t-il, une imitation de quelque chose par un son vocal et un imitateur, chaque fois qu'il imite, imite et nomme par un son

voca!24. » )

Bien qu'il soit de nouveau une partie, le mot est imaginé ici comme une partie dans la ligne de la cause formelle. Il s'agit d'une partie subjective, c'est-à-dire une partie rangée sous un genre de prédication et dont le genre se dit de la partie. Dans 1'extrait nous préoccupant, le genre de prédication est 1 'imitation. Le mot est une imitation24 25.

Schéma 7 s Le mot est une imitation.

μίμημα (imitation)

όνομα (mot)

Il faut noter que le mot, qui est une partie subjective ici, est le mot que nous disions être un tout résultatif auparavant. Ce n'est pas le mot en tant que forme ajoutée au son vocal. De même que la forme de l'homme n'est pas une partie de 1 'imitation à moins d'être dans une matière autre que le corps, la forme ajoutée, appelée un mot, n'est pas une partie de 1'imitation à moins d'être dans le son vocal. C'est le composé de forme et de matière qui est une imitation. C'est le mot en tant que résultat.

24 ibid., 423b9-10. Notre traduction..

25 plus loin, Platon observera que le mot est une imitation qui s,offre au sens de l'ouïe. Cf., Ibid., 431a et ss. À la suite de Platon, Aristote dira clairement que le nom et le verbe, qui sont des mots, et la phrase sont des sons vocaux. Cf., Aristote, De !'interprétation, 1-3, 16al-16b25.

(35)

Deux explications du mot, relevées jusqu'ici, retiennent notre attention. Le mot peut être imaginé comme une partie d'un genre-sujet ou il peut être une partie subjective d'un genre de prédication. Cette dernière explication correspond en fait au mot en tant que tout résultatif composé d'une matière universelle et d'une forme. En analysant 1'approche de Platon, il est facile de constater qu'il présuppose l'existence possible de plus d'une explication pour le même être. Il existe plus d'une façon d'expliquer la nature du mot tout comme il existe plusieurs façon d'expliquer la nature du sophiste.

Bien que n ' ayant pas exploré à fond les explications proposées, nous n'irons pas plus loin. Pour le moment, il faut simplement noter 1'intérêt de Platon pour la grammaire et non faire ressortir toutes les subtiles distinctions se trouvant dans les dialogues platoniciens. Cet intérêt de Platon est manifeste. Le désir de dégager les explications possibles d'un même mot est signe de cet intérêt.

Mais ce désir ne s'arrête pas là. Il semble possible d'expliquer autrement le mot. Il est également une partie subjective du genre instrument. Il est dit être un instrument : « Όργανον äpa τί έστι καί τό όνομα. » ( « Le mot est donc aussi un certain instrument^. »)

Schéma 8: Le mot est un instrument.

οργανον (instrument)

όνομα (mot)

Si le mot est une partie subjective de 1 ' instrument et qu'il est, comme nous l'avons vu, une partie subjective de l'imitation, l'instrument est alors une partie subjective de 1'imitation ou 1'imitation est une partie subjective de 1'instrument. Lequel est un genre et lequel est une espèce? Vu

(36)

que toute imitation est un instrument et que certains instruments ne sont pas des imitations, nous pouvons compléter cette ligne de prédication en disant que 1'instrument est le genre de l'espèce qu'est 1'imitation.

Tout en gardant son unité, le mot est aussi soumis à d'autres relations. Outre le fait qu'il soit une partie subjective d'un genre de prédication ou une partie d'un genre- sujet, il peut être aussi, mais par un autre biais, le composant d'un λόγος. Autrement dit, le λόγος est un tout composé ayant comme parties des mots. Cette fois-ci, le mot remplit une fonction dans la ligne de la cause matérielle: « ΣΩ: Έστιν oûv ο τι λέγεις λόγου σμικρότερον μόριον άλλο ή όνομα: ΕΡΜ: Οϋκ... » (

« Socrate:

Donc, est-ce que tu dis au sujet de la phrase une autre partie plus petite que le mot?

Hermogene:

Non...27 » ) En tableau :

Schéma 9: Le mot est une partie du λόγος.

—►־ résultat (matière + forme) —►־résultat (matière^ + forme) matière ----matière ►־ tout intégral

i

parties - intégrales

parties quasi --- ►tout intégral intégrales

λόγος (phrase) ό'νομα ( mot )

mouvement selon 1'ordre de composition

Le mot est ici une partie quasi intégrale et non une partie

(37)

purement intégrale du λόγος28. La partie quasi intégrale, au contraire de la partie intégrale, doit être expliquée au moyen du tout intégral. Le tout entre dans la définition de la partie. Par exemple, la cuisine et le salon, parties quasi intégrales, sont des pièces de la maison, tout intégral. À 1'inverse, le bois et le ciment, parties intégrales, n'ont pas à être expliqués à l'aide de la maison. En effet, il existe indépendamment de la maison. Plus tard, nous verrons que les parties intégrales de la phrase sont les consonnes et les voyelles.

Ajoutons que le mot est ici une partie matérielle du λόγος. Pourtant, ce λόγος n'est pas un genre-sujet pour le mot comme pouvait l'être le son vocal pour le mot. Le mot est une partie intégrale de ce λόγος. Dans 1 'explication précédente, le mot n'était pas une partie constituante du son vocal. En effet, l'existence du son vocal précède celle du mot. Le son vocal existe en tant que sujet du mot. Or, le sujet est un support pour le supporté.

Lorsque le mot est une partie quasi intégrale, le λόγος n'existe au contraire que si la partie existe. L'existence des parties est cause de 1 'existence du tout. Il en est de même pour l'existence de la maison. Les parties, la cuisine et le salon par exemple, doivent exister et être assemblées avant que le tout n'existe. La forme du tout est ici l'ordre entre les parties.

28 Nous retrouvons 1'expression « partie quasi intégrale » dans certains passages de 1'oeuvre de saint Thomas d'Aquin. Entre autres, cf., Thomas d'Aquin, In Scriptum Super Sentatiis Magistri Petri Lombardi,- Éditeur R.P. Maria Fabianus Moos, Parisiis, Lethielleux, 1933, tome III, d. XXXIII, q. Ill, a. I, sol. I, §269 : « Uno enim modo assignantur ei partes quasi integrales, cum scilicet partes virtutis alicujus ponuntur aliqua quae exiguntur ad virtutem, in quibus perfectio virtutis consistit. Et hae partes, proprie loquendo non nominant per se virtutes, sed conditiones unius virtutis integrantes ipsam. » ( « Car, d'une manière, les parties

quasi intégrales sont assignées à ce tout, comme lorsque certaines choses, qui sont requises pour telle vertu et dans lesquelles la perfection de cette vertu consiste, sont posées comme des parties de cette vertu. Et ces parties, à proprement parler, ne nomment pas par soi des vertus, mais elles nomment des conditions de telle vertu la composant. ») Notre traduction.

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De plus, ce λόγος ne peut pas être dit du mot car le tout intégral ne se pas dit de la partie intégrale. Le mot est une imitation et il est un instrument, mais il n'est pas un λόγος. De même que la cuisine et le salon pris séparément ne sont pas une maison, de même le mot n'est pas un λόγος. Lorsque le tout se dit de ses parties, nous sommes en présence d'un tout universel et de parties subjectives. Lorsque le tout ne se dit pas de l'une de ses parties, il s'agit souvent d'un tout matériel ou imaginé comme matériel. C'est le cas de la matière universelle ou du genre-sujet, le son vocal par exemple. C'est une forme réelle, imaginée comme une matière supportant un

supporté. Ce supporté est une autre forme.

Laissons là ces précisions et retournons à nos observations. Dans le Théétète, Platon ajoute que le λόγος, comme réalité physique et naturelle, est constitué par la mise ensemble de différents sons vocaux, savoir la mise ensemble du son vocal qu'est le nom et de celui qu'est le verbe. Le λόγος est aussi un certain son vocal, mais, au point de vue de sa prononciation, il nécessite une existence dans le temps plus longue que les deux précédents : « Τό μέν πρώτον ε'ιη αν τό την αυτού διάνοιαν εμφανή ποιεΪν διά φωνής μετά ρημάτων τε καί ονομάτων... » ( « Le premier sens [du mot λόγος] serait le fait de rendre manifeste notre propre pensée au moyen du son vocal avec des verbes ainsi que des noms... 29 » )

Il s'agit à nouveau d'une composition se réalisant dans la ligne de la cause matérielle. Le verbe et le nom sont des mots et ils sont des parties quasi intégrales du λόγος. Cette analyse du Théétète vient soutenir et préciser celle contenue dans le

Cratyle. Nous obtenons un nouveau tableau:

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Schéma 10: Le nom et le verbe sont des parties du λόγος. matière --- ► résultat (matière + forme)

Ψ

matière --- ► résultat (matière + forme) -tout intégral tout intégral parties quasi parties — intégrales

mouvement selon 1'ordre de composition

Une fois de plus, le λόγος n'est pas dit du nom ou du verbe car le tout intégral ne se dit pas de l'une de ses parties. Pour qu'un tout puisse se dire de ses parties, il est nécessaire que la partie possède la forme du tout. L'homme est dit être un animal parce qu'il possède la forme d'animal. Or, le nom ou le verbe ne sont pas un λόγος car il ne possède pas la forme du λόγος. S'ils ne possèdent pas la forme du λόγος, c'est que la composition du nom et du verbe permet la venue à l'existence d'une nouvelle forme. Ä. la matière constitutive du résultat est ajoutée une nouvelle forme permettant l'existence du résultat. L'ajout d'une forme nouvelle aux parties intégrales ou quasi intégrales est une condition nécessaire de l'existence du tout intégral30.

Cependant, tout en respectant la nature du sujet et du prédicat grammaticaux, il se trouve une situation où le tout intégral est apparemment dit de ses parties. C'est le cas lorsque le tout est dit de ses parties prises ensemble. Dans 30 c'est une condition nécessaire dans la mesure où les parties sont hétérogènes entre elles.

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