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Étude des variantes de psychopathie selon l'empathie, le narcissisme pathologique et l'attachement

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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© Vincent Mathieu, 2019

Étude des variantes de psychopathie selon l'empathie,

le narcissisme pathologique et l'attachement

Thèse

Vincent Mathieu

Doctorat en psychologie - recherche et intervention (orientation clinique)

Philosophiæ doctor (Ph. D.)

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Étude des variantes de psychopathie selon l'empathie, le

narcissisme pathologique et l'attachement

Thèse

Vincent Mathieu

Sous la direction de :

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Résumé

La psychopathie est une pathologie grave de la personnalité dont les manifestations sociales fascinent et inquiètent. Même si les recherches sur sa conceptualisation et son opérationnalisation foisonnent, les efforts des scientifiques mènent à peu de réponses claires. Les questions sur l’étiologie de la psychopathie, sur l’aspect dimensionnel ou catégoriel de ses traits, sur l’existence possible de différents phénotypes et sur la structure factorielle des outils psychométriques qui la mesurent sont toujours débattues. La présente thèse vise à apporter des éléments de réponse à deux de ces questions. En premier lieu, l’idée que les traits psychopathiques sont dimensionnels et se distribuent sur un continuum au sein de la population générale est testée dans un premier article. Cet article se divise en deux études. La première étude concerne la traduction des items et la validation de la structure interne d’un questionnaire auto-rapporté, le Psychopathic personality

inventory – revised (PPI-R). La deuxième étude de cet article vise à évaluer la stabilité temporelle

de l’instrument et sa validité convergente. Les résultats montrent que bien que certaines questions persistent quant à la robustesse de sa structure factorielle, le PPI-R est un outil adéquat pour mesurer les traits psychopathiques dans la population générale. La pertinence d’évaluer la qualité de la structure factorielle d’un instrument tel le PPI-R via des analyses factorielles confirmatoires est questionnée en discussion. En deuxième lieu, un second article vise à examiner l’idée selon laquelle les facteurs de psychopathie ne mesurent pas un construit unitaire et hyperonyme. Les facteurs de psychopathie du PPI-R sont ainsi étudiés dans leurs liens avec des mesures externes saillantes dans la pathologie relationnelle des psychopathes. Ces mesures sont l’empathie, le narcissisme pathologique et l’attachement. Des analyses de corrélations canoniques montrent que les facteurs de psychopathie diffèrent dans leur manifestation pathologique, soutenant l’existance des variantes de psychopathie primaire et secondaire. Le chevauchement conceptuel entre certaines caractéristiques de la psychopathie secondaire et la personnalité limite est discuté, posant ainsi un regard critique sur le label de psychopathie secondaire. La thèse apporte un appui à l’idée selon laquelle établir un diagnostic de psychopathie sur la base des tendances antisociales et des symptômes manifestes est à remettre en cause. La pertinence d’intégrer les théories psychodynamiques au sein des modèles opérationnels de la psychopathie est défendue.

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Table des matières

RESUME ... III

TABLE DES MATIERES ... IV

LISTE DES ANNEXES ... VII

LISTE DES TABLEAUX ... VIII

LISTE DES FIGURES ... IX

LISTE DES ABREVIATIONS ... X

REMERCIEMENTS ... XII

AVANT-PROPOS... XIV

INTRODUCTION ... 1

Les premières conceptualisations de la psychopathie ... 2

À la base de la conceptualisation contemporaine ... 5

Mesure de la psychopathie et opérationnalisation du construit ... 7

Le PPI et le PPI-R ... 9

Que mesure-t-on au juste? ... 11

Le traitement de la psychopathie ... 12

Les variantes de psychopathie ... 15

L’empathie ... 15

Le narcissisme pathologique ... 19

L’attachement ... 20

Description de la problématique et objectif de la thèse ... 22

Hypothèses générales ... 23

CHAPITRE 1 :DEVELOPPEMENT ET VALIDATION D’UNE VERSION FRANÇAISE DU PSYCHOPATHIC PERSONALITY INVENTORY –REVISED (PPI-R) ... 26

Résumé ... 27

Introduction ... 28

Le Psychopathic Personality Inventory (PPI) ... 30

Le Psychopathic Personality Inventory – Revised (PPI-R) ... 32

Objectif général ... 34 Étude 1 ... 34 Objectifs ... 34 Méthodologie ... 35 Résultats ... 37 Étude 2 ... 41 Objectifs ... 41

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Méthodologie ... 41

Résultats ... 44

Discussion ... 49

Limites des études ... 49

Les facteurs de psychopathie: ce qu’ils mesurent ... 51

Orientations futures ... 52

Références ... 54

CHAPITRE 2 :ÉTUDE DE LA PSYCHOPATHIE PRIMAIRE ET SECONDAIRE SELONL’EMPATHIE, LE NARCISSISME PATHOLOGIQUE ET L’ATTACHEMENT ... 71

Résumé ... 72

Introduction ... 73

La psychopathie: pathologie multifactorielle ou psychopathologies distinctes ... 74

La psychopathie, l'empathie, le narcissisme pathologique et l'attachement ... 77

L'empathie ... 77

Le narcissisme pathologique ... 78

L'attachement ... 79

Objectif et hypothèses de recherche ... 80

Méthodologie ... 81 Participants ... 81 Procédure ... 82 Instruments psychométriques ... 83 Analyses statistiques ... 84 Résultats ... 85 Discussion ... 88 Limites de l’étude ... 92

Conclusion et perspectives futures ... 93

Références ... 96

CONCLUSION ... 117

Retour sur les articles ... 118

Premier article ... 118 Deuxième article ... 120 La psychopathie secondaire ... 121 La psychopathie primaire ... 123 Le traitement de la psychopathie ... 126 Limite de la mesure ... 127 Perspectives futures ... 129

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Liste des annexes

ANNEXE A : FIGURE ET TABLEAUX RELATIFS À L’INTRODUCTION ET À LA

CONCLUSION DE LA THÈSE..………...………...161

ANNEXE B : TEXTE DES ANNONCES POUR INVITER LES PERSONNES À

PARTICIPER, FEUILLETS D’INFORMATION ET QUESTIONNAIRES RELATIFS AU PREMIER ARTICLE………..166

ANNEXE C: TEXTE DES ANNONCES POUR INVITER LES PERSONNES À PARTICIPER, FEUILLET D'INFORMATION, FORMULAIRE DE CONSENTEMENT ET

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Liste des tableaux

CHAPITRE 2:

Tableau 2.1 Indices de cohérence interne (alpha de Cronbach) des sous-échelles du PPI-R .. 38

Tableau 2.2 Saturations factorielles des échelles du PPI-R: modèle à trois facteurs ... 39

Tableau 2.3 Différences observées selon les sexes pour les scores au PPI-R ... 41

Tableau 2.4 Corrélations du PPI-R pour la stabilité temporelle ... 44

Tableau 2.5 Corrélations entre le PPI-R et le LSPS ... 46

Tableau 2.6 Corrélations entre le PPI-R et le STAI ... 46

Tableau 2.7 Corrélations entre le PPI-R et une mesure de dépression ... 47

Tableau 2.8 Corrélations entre le PPI-R et le Mini-IPIP ... 48

CHAPITRE 3: Tableau 3.1 Corrélations canoniques ... 85

ANNEXE A: Tableau A1 Critères diagnostiques de la psychopathie selon Cleckley (1976) ... 162

Tableau A2 Sous-échelles du PPI-R ... 163

Tableau A3 Éléments de fonctionnement de la personnalité selon le modèle alternatif du DSM-5 (2013) ... 164

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Liste des figures

CHAPITRE 3:

Figure 3.1 Saturations canoniques de la première équation canonique ... 86 Figure 3.2 Saturations canoniques de la deuxième équation canonique ... 87 Figure 3.3 Saturations canoniques de la troisième équation canonique ... 87

ANNEXE A:

Figure A1 Niveaux d'organisation de la personnalité selon Kernberg (Clarkin et al., 2006) ... 165

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Liste des abréviations

a Alpha de Cronbach

ACP Analyses à composantes principales AFC Analyses factorielles confirmatoires AFE Analyses factorielles exploratoires AP Absence de peur

APA American Psychiatric Association BDI-II Beck Depression Inventory-II

BES Basic Empathy Scale

CESDS Center for Epidemiologic Studies of Depression Scale

CFI Comparative fit index

DI Dominance impavide

dl degré de liberté

DR Deviant Responding

DSM Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders

EB Externalisation du blâme

ECR Experience in Close Relationship

ÉT Écart-type

F1 Premier facteur du Psychopathy checklist-revised

F2 Deuxième facteur du Psychopathy checklist-revised

FE Froideur émotionnelle

IE Impulsivité égocentrique

IP Incapacité à planifier

IPO Inventory of Personality Organisation

IR Inconsistant responding

ISO Influence sociale

IST Immunité au stress

LSPS Levenson Self-Report Psychopathy Scale

M Moyenne

ME Machiavélisme et égocentrisme

Mini-IPIP Mini-International Personality Item Pool

NEO-PI-R Neuroticism, Extraversion and Openness Personality Inventory-revised

η2 éta-carré

N Taille de l'échantillon

NI Non-conformisme impulsif

NPI Narcissistic Personality Inventory

NR Non-conformisme rebelle

p probabilité

PCL Psychopathy Checklist

PCL-R Psychopathy Checklist-revised

PPI Psychopathic Personality Inventory

PPI-R Psychopathic Personality Inventory-revised

PPI-1 Premier facteur du Psychopathic Personality Inventory-revised PPI-2 Deuxième facteur du Psychopathic Personality Inventory-revised

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PPI-3 Troisième facteur du Psychopathic Personality Inventory-revised

r corrélation

RMSEA Erreur moyenne d’approximation au carré

SAS Statistical Analysis System

SPSS Statistical Package for the Social Sciences

SRMSR Erreur moyenne standardisée des résidus au carré

SRP-II Self Report of Psychopathy-II

STAI State and Traits Anxiety Inventory

TPA Trouble de personnalité antisociale

TPL Trouble de personnalité limite

TriPM Triarchic Psychopathy Measure

VR Virtuous responding

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Remerciements

La rédaction d’une thèse est un marathon éreintant. On avance sans voir le fil d’arrivée et l’envie nous prend parfois d’arrêter sur le côté de la piste pour s’y reposer en paix. Ce sont les gens qui sont là, qui nous accompagnent et nous regardent, qui nous encouragent à poursuivre, qui nous rappelle ce qu’on a donné et sacrifié pour seulement avoir la chance de participer à la course, ce sont eux qui nous permettent de ne pas abandonner et de continuer malgré tout. C’est à eux que je pense en écrivant ces remerciements, eux, qui bien que je me sois parfois senti seul et retardataire, m’attendaient toujours au fil d'arrivée.

Tout d’abord, merci à mon directeur de thèse, Louis Diguer, pour ta présence à travers les années. Merci de ta patience envers moi et de l’accompagnement que tu m’as offert tout au long de mon parcours doctoral. Tes insights cliniques lors de mes premières années au doctorat ont certainement forgé la base de ma pensée actuelle de clinicien et alimenté mes questions de recherche. Merci aussi aux membres de mon comité de thèse, Philip Jackson et Tamarha Pierce, pour vos précieux conseils et votre bienveillance à mon endroit. Je tiens à dire merci à Jean Brin, Raquel Luis Da Silva, Jérôme Houle, Valérie Turmel et Simon Chrétien pour avoir participé au processus de traduction de l’inventaire de psychopathie dont je me suis servi au sein de ma thèse. Merci aussi à François Morasse et à Julie Émond de m’avoir facilité la tâche lors de mon recrutement en institutions carcérales. Votre aide à tous m’a été très précieuse.

Merci à mes amis et aux membres de ma famille qui m’ont offert un soutien fort important au fil des années. Autant dans les bons moments que dans les moments difficiles, vous étiez là pour moi. Je remercie spécialement Guy et Ginette qui m’avez logé et si bien accueilli lors de mon recrutement au pénitencier de Ste-Anne-des-Plaines. Merci aussi à mes collègues de la Maison St-Jacques pour votre sollicitude et vos encouragements. Vous tous, de prêt ou de loin, en parole ou dans vos actions, m’avez donné la volonté de poursuivre malgré les écueils et le découragement. J’ai senti votre désir pour ma réussite et cela a contribué à me donner l’énergie nécessaire pour mener à terme ce projet. Un merci particulier aux Petits frères de la croix et aux Recluses missionnaires de m’avoir généreusement ouvert vos portes et offert un environnement calme et propice à la rédaction.

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Je souhaite terminer en remerciant ma conjointe et mes parents. Merci à toi Cindy. Merci de me tenir la main à chaque jour. Tu es un exemple de résilience et de persévérance qui m’a permis, dans les derniers milles, de trouver la force et d’y croire. Merci aussi de l’aide pratique que tu m’as offerte en fin de parcours. Et merci à mes parents. Les mots me manquent pour exprimer toute l’admiration et la gratitude que j’ai pour vous. Vous avez été d’un indicible soutien du début à la fin de mon parcours académique. Je répondrai à une question que vous vous êtes posée il y a quelques mois, à savoir si un petit coin de mon diplôme de doctorat vous reviendrait après toutes ces années, après ce long parcours partagé. Je ne sais pas si un bout du diplôme vous revient, mais je sais que vous êtes le cadre qui supporte le diplôme, qui lui donne son lustre, qui le fait se tenir droit, sans quoi le Philosophiæ doctor ne serait qu’un bout de papier qui vole au vent.

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Avant-propos

Cette thèse doctorale contient deux articles empiriques. Les deux articles seront soumis pour publication à la suite du dépôt initial de la thèse. Je suis l'auteur principal des deux articles et j'ai moi-même fait le recrutement des participants ainsi que la saisie et l'analyse des données. Mon directeur de recherche, M. Louis Diguer, Ph.d., est coauteur des deux articles.

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La psychopathie est une pathologie difficile à définir en raison de la grande diversité des écrits portant sur elle. Qu’elles soient étiologiques ou descriptives, les diverses conceptions de la psychopathie sont bien souvent sous-tendues par des fonds théoriques distincts. Il nous semble utile d’amorcer cet ouvrage en effectuant un survol des diverses théories sur la psychopathie. Bien que ce survol soit sommaire et n'intègre pas la contribution d’un bon nombre de théoriciens des deux derniers siècles, il permettra néanmoins d’éclairer le lecteur sur l’évolution de la pensée théorique et clinique entourant la psychopathie. Il permettra aussi de soulever les questions qui restent à élucider, dont certaines sont posées au sein du présent ouvrage.

Les premières conceptualisations de la psychopathie

Les premières conceptions de la psychopathie datent environ du début du 19e siècle. En 1809, le psychiatre français Philippe Pinel réfère à la « manie sans délire » pour décrire des patients qui s’engagent de façon répétitive dans des actes injurieux et impulsifs face à eux-mêmes ou aux autres, mais dont la particularité est de reconnaître, au plan verbal et conceptuel, l’irrationalité de ces actes (citée dans Patrick, 2007). Benjamin Rush (1812, cité dans Patrick, 2007) défend quant à lui l’hypothèse étiologique d’un trouble moral au sein duquel la manipulation et la tromperie seraient fondamentales. Selon Millon, Simonsen et Birket-Smith (1998), Rush est le premier à mettre l’accent sur les aspects affectifs et passionnels du trouble en soulignant la froideur des individus psychopathes face aux conséquences de leurs actions. Prichard (1835, citée dans Million et al., 1998), crédité comme le premier à avoir utilisé le terme « insanité morale », réfère à l’égosyntonie avec laquelle ces personnes s’engagent dans des actes socialement répugnants tout en restant rationnellement conscient de l’aspect répréhensible de ces actes.

Koch (1891, cité dans Million et al., 1998) propose de remplacer la notion d’insanité morale par le terme d’infériorité psychopathique. La position de Koch est que ces individus ne sont pas en totale possession de leur faculté mentale et que des facteurs congénitaux peuvent être à la source du mauvais fonctionnement de leur cerveau. Au début du 20e siècle, Emil Kraepelin s’appuie sur ce label et propose le terme de « personnalités psychopathiques » pour décrire une étendue de conditions chroniques caractérisées par une origine constitutionnelle. L’auteur parle entre autres de problèmes de contrôle pulsionnel, de syndromes obsessionnels, de perversions sexuelles et de personnalités dégénératives (voir Million et al., 1998). Karl Birnbaum s’oppose toutefois à la

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caractérisation de Kraepelin et introduit le terme « sociopathie », Birnbaum voyant dans l’origine des troubles mentaux des facteurs socio-environnementaux plutôt que constitutionnels (voir Patrick, 2007). Pour Birnbaum, la sociopathie ne fait pas exception et les tendances antisociales seraient selon lui davantage tributaires d’une immaturité émotionnelle que d’une infériorité constitutionnelle.

Plus récemment, Karpman (1941; 1948a) aborde l’étiologie de la psychopathie un peu de la même façon que les précédents auteurs, mais au lieu de distinguer la psychopathie de la sociopathie, il réfère à deux types de psychopathie: la psychopathie primaire ou idiopathique et la psychopathie secondaire ou symptomatique. Pour Karpman, les types de psychopathie primaire et secondaire sont similaires dans la propension des individus à commettre des actes criminels et antisociaux, mais diffèrent fondamentalement en ce qui a trait à la cause de la pathologie. D’après l’auteur, l’inadaptation émotionnelle et sociale du psychopathe secondaire peut être comprise par la présence d’hostilité envers certains facteurs environnementaux (p. ex. l’abus, le rejet parental), par l’anxiété ou par d’autres conditions psychopathologiques préexistantes (Karpman, 1941; 1948a). Les caractéristiques du psychopathe primaire ne seraient quant à elles pas le produit symptomatique d’une de ces difficultés psychologiques prémorbides, mais seraient plutôt constitutionnelles.

D’autres auteurs ont repris cette distinction faite par Karpman entre la psychopathie primaire et secondaire. Mealey (1995a; 1995b) définit par exemple la psychopathie primaire comme une stratégie adaptative de survie. Elle serait due à une prédisposition génétique qui rend l’individu insensible aux aspects de réciprocité affective de la relation humaine. Cette stratégie d’adaptation coût-bénéfice et de gratification à court terme serait centrée sur l’individu lui-même, le rendant incapable de développement moral et de socialisation. Un pourcentage stable de la population serait ainsi constitué. À l’instar de Karpman, Mealey (1995a) voit la psychopathie secondaire comme une pathologie influencée par l’environnement et l’histoire de vie individuelle (p. ex. statut socioéconomique faible, discipline inconstante, violence familiale) qui sont susceptibles de causer des troubles émotionnels à la personne. L’auteur décrit les psychopathes secondaires comme les copies phénotypiques des psychopathes primaires et leur appose le label de « psychopathes désavantagés ».

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Porter (1996) et Lykken (1995) abordent aussi cette distinction entre ce qu’ils considèrent la psychopathie per se et une pathologie s’apparentant à la psychopathie dans son phénotype. Pour Porter (1996), la psychopathie primaire est liée à un déficit affectif inné alors que la psychopathie secondaire est acquise et causée par des traumas ou des infortunes environnementales telles que la maltraitance, l’abus sexuel, la négligence ou l’abandon par une figure parentale significative. Bien que les psychopathes secondaires aient naturellement des capacités affectives et d’empathie, ces traumas environnementaux mèneraient à un détachement affectif et relationnel et, conséquemment, à un défaut de socialisation. Lykken (1995), qui partage ce point de vue, distingue ces deux types de psychopathie par une appellation différente. Les individus psychopathes seraient ceux qui ont une prédisposition constitutionnelle aux déficits de réactivité affective. L’auteur qualifie plutôt de « sociopathes » les individus qui se comportent phénotypiquement comme des psychopathes suite à des stresseurs et des traumas environnementaux, le concept de sociopathie référant ainsi à la difficulté de socialisation conséquente.

Les travaux de Lykken (1957; 1995) ont grandement soutenu l'idée que les psychopathes primaires aient des déficits sur le plan de la réactivité émotionnelle de base. L'auteur réfère au tempérament exempt de peur (low-fear temperament) pour décrire cette condition affective singulière des psychopathes. Les psychopathes primaires ne ressentiraient ainsi pas les émotions, telles la peur et l’anxiété, nécessaires à l’inhibition de leurs comportements et au processus de socialisation (voir Fowles et Dindo, 2006). D’autres auteurs affirment que l’anxiété est une émotion absente chez les psychopathes primaires. Par exemple, Newman et ses collaborateurs suggèrent par leurs travaux qu’une différence existe à travers les psychopathes selon le degré d’anxiété qu’ils présentent (Newman, Patterson, Howland et Nichols, 1990; Newman et Wallace, 1993). Plusieurs proposent ainsi que la présence ou non de déficits affectifs, entre autres les déficits reliés à la peur et à l’anxiété, soit un marqueur distinctif de la psychopathie primaire et secondaire (Patrick et Bernat, 2009; Skeem, Poythress, Edens, Lilienfeld et Cale, 2003).

En effet, les psychopathes secondaires seraient plutôt aux prises avec une hyper-réactivité affective dont l’anxiété et la rage sont prééminentes (Blackburn, 1998; Skeem et al., 2003). Les problèmes d’impulsivité, la labilité émotionnelle et la difficulté de régulation des affects chez

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certains psychopathes sont donc davantage associés à la psychopathie secondaire (Fowles et Dindo, 2006; Poythress et Skeem, 2006). La colère, l’anxiété ainsi que la difficulté à contenir ces émotions envahissantes pourraient être à la source des comportements antisociaux des psychopathes secondaires (Vaillant, 1975). Pour revenir à la proposition de Karpman (1941; 1948a), la déviance sociale des psychopathes pourrait avoir une étiologie distincte selon le type de psychopathie. Cette distinction s’avère importante, particulièrement en termes de pronostic clinique et de cibles thérapeutiques. Nous reviendrons sur ces derniers aspects plus loin dans le chapitre.

À la base de la conceptualisation contemporaine

La conceptualisation de la psychopathie, telle qu’elle est majoritairement acceptée aujourd’hui, doit beaucoup aux écrits de Hervey Cleckley dont son livre The mask of sanity publié en cinq éditions (1941/1976). L’auteur considère les psychopathes comme des individus d’apparence saine. Ils ne seraient ni psychotiques ni névrotiques, mais malgré l’absence de difficulté majeure apparente dans leur groupe social, ils cacheraient une personnalité gravement inadaptée. C’est ainsi que Cleckley propose l’idée du masque de bonne santé mentale. Il réfère aux psychopathes comme des individus qui présentent une façade de bonne santé psychologique, mais qui dissimulent un monde interne superficiel et pathologique (Cleckley, 1976).

Sa définition de la psychopathie met l’accent sur les caractéristiques émotionnelles et interpersonnelles qui distinguent les psychopathes des autres types de criminels antisociaux. Cleckley affirme que la principale distinction entre les psychopathes et les autres criminels est leur capacité à mieux se contrôler et à garder une apparence constante de normalité. Il fait même l’usage du terme « psychopathes à succès » (successful psychopaths) pour distinguer certains psychopathes dont le succès social camoufle la pathologie. Cleckley (1976) ne réfère pas à une typologie primaire/secondaire tel que le fait Karpman (1941; 1948a). On peut voir toutefois qu’il distingue la psychopathie d'autres conditions psychologiques selon la présence ou l’absence de traits émotionnels/interpersonnels spécifiques, traits qu’il place au cœur du syndrome, plus importants que la présence d’une déviance antisociale marquée. Les seize critères de Cleckley pour définir la psychopathie se trouve dans le premier tableau de l’Annexe A (tableau A1).

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Curieusement, l’importance actuelle qu’occupe cette conception au sein des récentes versions du Diagnostic and statistical manual of mental disorders est mitigée (DSM-4: American

Psychiatric Association (APA), 1994; DSM-4-TR, 2000; DSM-5: APA, 2013). Le trouble de

personnalité antisociale (TPA) du DSM est un diagnostic catégoriel qui se base essentiellement sur des critères comportementaux. Une approche dimensionnelle alternative pour l’évaluation des troubles de la personnalité est certes mise en annexe dans le DSM-5 (APA, 2013), mais l’approche catégorielle est toujours officiellement préconisée. Pourtant, dans les deux premières versions du DSM, les critères diagnostiques de la « personnalité antisociale » étaient grandement influencés par une conception personnologique et affective de la psychopathie (voir Patrick, 2007). À partir de la troisième édition du DSM (APA; 1980), les critères du désormais appelé « trouble de personnalité antisociale » ont changé. Le changement est survenu afin de remédier au problème de faible fidélité inter-juges qu’amenait un diagnostic basé sur l’inférence de traits subjectifs. On a alors adopté une vision du trouble basée sur des critères observables, dont la présence de comportements antisociaux (Hare, 1996; Patrick, 2007).

Les critères DSM du TPA ont toutefois été fortement critiqués dans la littérature au cours des dernières décennies (Lilienfeld, 1994; Hare, Hart et Harpur, 1991). Une critique majeure tient au fait que l’évaluation diagnostique se base essentiellement sur des actes délictueux plutôt que sur des expériences affectives et interpersonnelles ou des traits de personnalité (Hare et al., 1991). Selon Salekin (2006), plusieurs aspects de la psychopathie vont au-delà des symptômes compris dans la nosologie préconisée au sein des récentes versions du DSM. Certains auteurs défendent l’idée que les critères catégoriels du TPA sont en fait à la fois sous-inclusifs et sur-inclusifs (Cale et Lilienfeld, 2004; Lilienfeld, 1994). En effet, ils ne permettent pas d’identifier les psychopathes qui ne font pas de gestes criminels ni ne manifestent de pathologie comportementale marquée (p.ex. les « psychopathes à succès » de Cleckey (1976)). En revanche, ils incluent des individus criminels n’ayant possiblement pas de « personnalité antisociale » en tant que tel et dont les comportements antisociaux peuvent par exemple s’expliquer par de l’anxiété, de la colère réactive, une identification à un groupe de pairs déviants ou à une autre condition psychiatrique sous-jacente (Cale et Lilienfeld, 2004; Lilienfeld; 1994; Lykken, 1995). Cette distinction entre la psychopathie de Cleckley et le TPA s’apparente à celle qui est faite entre les types primaire et secondaire de psychopathie. Peu importe l’approche nosologique préconisé, on peut dire que la source affective

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et psychologique de la déviance antisociale est déterminante dans la conceptualisation du syndrome. Les aspects antisociaux et comportementaux y sont vus davantage comme des caractéristiques secondaires et non constitutives de la pathologie.

Mesure de la psychopathie et opérationnalisation du construit

La volonté d’opérationnaliser le concept de psychopathie afin d’offrir une alternative au DSM a mené à une réflexion sur sa mesure (Hare, 1985a). L’outil psychométrique qui a dominé les recherches empiriques contemporaines est celui de Robert Hare : le Psychopathy Checklist -

revised (PCL-R) (Hare, 1991; 2003). Le PCL-R permet d’identifier les psychopathes, tels que

décrits par Cleckley (1976), au sein des populations carcérales. Il comprend 20 items cotés sous une échelle de 0 à 2 (absent, équivoque, ou présent) sur la base d’informations obtenues à partir d’une entrevue semi-structurée et des dossiers judiciaires. L’accès au dossier judiciaire est nécessaire à la cotation du PCL-R car il donne des informations additionnelles sur l’individu et permet de corroborer les informations recueillies lors de l’entrevue. Le score total du PCL-R se divise en deux facteurs (F1 et F2). Le facteur F1 évalue les caractéristiques affectives et interpersonnelles de la psychopathie, incluant l’image grandiose de soi, l’égocentrisme, la manipulation, le manque d’empathie, l’insensibilité et le charme superficiel. Pour sa part, F2 évalue les facettes du style de vie antisocial telles que l’impulsivité, l’instabilité, la pluralité criminelle et les comportements déviants et délinquants. Dans la deuxième version du PCL-R (Hare, 2003), l’auteur propose une structure factorielle en 4 facettes. Les 2 facteurs originaux se subdivisent en deux pour un total de 4 facettes. Ces facettes sont : facette interpersonnelle; facette affective; facette du style de vie déviant; facette des comportements antisociaux. La structure en 2 facteurs demeure toujours la plus étudiée dans le domaine.

L’échelle de psychopathie de Hare (1991; 2003) a été critiquée pour plusieurs raisons. Cooke et Michie (2001) ont d’abord remis en question la structure à 2 facteurs en mettant l’accent sur F1, considérant que les caractéristiques interpersonnelles et affectives sont au cœur de la pathologie. Comme dans le cas des critères diagnostiques du DSM, ces auteurs critiquent l’importance trop grande accordée aux comportements criminels dans le choix des critères de cotation à l’échelle de psychopathie de Hare. Cooke et Michie (2001) estiment que la saillance des comportements antisociaux dans le modèle factoriel du PCL-R est due aux populations carcérales

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et psychiatriques au sein desquelles l’outil a été validé et normalisé. Cooke et ses collaborateurs prétendent qu’étant donné la non-incarcération de plusieurs psychopathes tels les psychopathes « à succès » ou « à cols blancs »(voir Babiak et Hare, 2006; Cleckley, 1976), le retrait du facteur comportemental et antisocial dans l’évaluation de la psychopathie permet une meilleure mesure du construit clinique (Cooke et Michie, 2001; Cooke, Michie et Skeem, 2007; Skeem et Cooke, 2010a)1. De la même façon, Blackburn (1988) avait déjà critiqué la première version du PCL de Hare (1985b) en mentionnant qu’une échelle comportementale pour mesurer la psychopathie permettait au mieux d’identifier un groupe d’antisociaux hétérogène sur le plan de la structure de personnalité.

Blackburn (1998) propose d’ailleurs que la confusion conceptuelle en ce qui a trait à la psychopathie provienne de la difficulté à distinguer les dimensions personnologiques et comportementales qui la constituent. En accord avec la pensée traditionnelle présentée plus haut, ces deux dimensions ont, selon l’auteur, une origine développementale différente. À cet égard, Lilienfeld (1998) propose que les items associés à F1 du PCL-R réfèrent à des composantes constitutives de la personne (basic tendencies) et que les items associés à F2 réfèrent à des traits caractériels d’adaptation (characteristic adaptations). La psychopathie ne serait qu’une cause parmi d’autres des comportements antisociaux qui sont associés à un vaste éventail de facteurs biologiques, psychologiques et sociaux (Cooke, Michie et Hart, 2006; Gottfredson et Hirschi, 1990; Patrick, 2007).

Le désir d’évaluer les traits de personnalité psychopathique en se gardant du biais comportemental et criminel a mené des chercheurs à développer d’autres types de mesures, dont les questionnaires auto-révélés (p. ex. Hare, Hemphill et Paulhus, 2002; Levenson, Kiehl et Fitzpatrick, 1995; Lilienfeld, 1991; Lilienfeld et Andrews, 1996). Les traits psychopathiques étant considérés par plusieurs comme se distribuant sur un continuum (Edens, Marcus, Lilienfeld et Poythress, 2006; Lilienfeld, 1994; Marcus, John et Edens, 2004; Miller, Lynam, Widiger et

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Leukefeld, 2001; Widiger et Lynam, 1998), le développement de ces mesures auto-révélées permet de surcroit d’étudier la psychopathie dans de la population générale.

Parmi les principaux questionnaires validés, le Levenson Self-Report Psychopathy Scale (LPSP; Levenson et al., 1995) et le Self-report of Psychopathy-II (SRP-II; Hare et al., 2002) ont une structure factorielle semblable au PCL-R. Leur premier facteur tend à mesurer les déficits affectifs et interpersonnels de la psychopathie et leur deuxième facteur, l’impulsivité et la déviance antisociale. Toutefois, les données de recherche suggèrent que dans le cas de ces deux instruments, les deux facteurs corrèlent davantage avec des mesures de comportements antisociaux et de mauvaise adaptation (voir Lilienfeld et Fowler (2006) pour un résumé détaillé). Le Psychopathic

personality inventory (PPI : Lilienfeld, 1991; Lilienfeld et Andrews, 1996) et sa version révisée

(PPI-R; Lilienfeld et Widows, 2005) apportent une alternative intéressante. Une des particularités du PPI et du PPI-R est que les auteurs laissent délibérément de côté la mesure des comportements antisociaux. Ceci s’avère plus cohérent avec la littérature théorique résumée plus haut qui place les comportements antisociaux comme conséquences de la psychopathie.

Le PPI et le PPI-R

Le PPI et le PPI-R mesurent l’étendue des traits psychopathiques au sein de la population générale avec un score global de psychopathie et un score sur huit sous-échelles: Machiavélisme et égocentrisme (ME), Non-conformisme impulsif (NI)2, Externalisation du blâme (EB), Incapacité à planifier (IP), Influence sociale (ISO), Absence de peur (AP), Immunité au stress (IST) et Froideur émotionnelle (FE). Benning, Patrick, Hicks, Blonigen et Krueger (2003) ont appliqué une analyse factorielle exploratoire (AFE) sur les sous-échelles du PPI et révèlent que celles-ci se regroupent autour de deux principaux facteurs. Un premier facteur (PPI-1) inclut les sous-échelles ISO, AP, IST et un deuxième facteur (PPI-2) inclut les sous-échelles ME, NI, EB et IP. La sous-échelle FE ne sature significativement sur aucun des deux facteurs dans ce modèle. Avec le même type d’analyses, plusieurs ont répliqué une structure factorielle semblable autant avec le PPI (p. ex. Benning, Patrick, Salekin et Leistico, 2005; Claes et al., 2009; Patrick, Edens,

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Poythress, Lilienfeld et Benning, 2006) qu'avec le PPI-R (Edens et McDermott, 2010; Hughes, Stout et Dolan, 2013; Lilienfeld et Widows, 2005; Uzieblo, Verschuere, Van den Bussche et Crombez, 2010).

D’après une étude de Poythress, Edens et Lilienfeld (1998), le score total au PPI corrèle à

r = .54 avec le F1 du PCL-R et à r = .40 avec F2. Lilienfeld et Fowler (2006) soulignent que le

PPI est le premier questionnaire auto-révélé à être davantage associé au facteur 1 du PCL-R et avec les caractéristiques affectives et interpersonnelles centrales à la psychopathie. Au sein du PPI-R plus spécifiquement, la sous-échelle FE, qui ne sature sur aucun des deux facteurs principaux, est maintenue dans la structure interne de l’instrument. Elle l'est pour des raisons statistiques, cette sous-échelle saturant seule sur un troisième facteur (PPI-3), mais aussi pour des raisons théoriques, vu l'importance accordée aux aspects affectifs pathologiques inhérents à la psychopathie (Lilienfeld et Widows, 2005). Les facteurs de psychopathie du PPI-R et leurs sous-échelles sont présentés plus en détail au sein du tableau A2.

Une particularité du PPI et du PPI-R est que leurs facteurs ne sont pas significativement corrélés entre eux (voir Lilienfed et Fowler, 2006; Lilienfeld et Widows, 2005; Patrick, 2007). Ceci suggère que ces instruments ne mesurent pas un construit unitaire mais des dimensions distinctes. Certains font même le parallèle entre la structure factorielle du PPI/PPI-R et la psychopathie primaire et secondaire (Benning, Patrick, Blonigen, Hicks et Iacono, 2005; Del Gaizo et Falkenbach, 2008; Edens, Poythress, Lilienfeld, Patrick et Test, 2008; Patrick et al., 2006). Ces auteurs mentionnent que PPI-1 mesure le tempérament « exempt de peur », la faible anxiété, les indices de bonne adaptation sociale et les rapports de domination avec les autres, tous des caractéristiques spécifiques à la psychopathie primaire et qui incarnent bien la psychopathie telle que décrite par Cleckley (1976). Au contraire, PPI-2 mesurerait des traits de personnalité plus cohérents avec la définition de la psychopathie secondaire qui est davantage associée aux indices de mauvaise adaptation (p. ex. toxicomanie, anxiété, dépression), aux difficultés de régulation affective, à l’impulsivité et à l’agressivité réactive (Edens et al., 2008; Patrick et al., 2006). De manière générale, il ressort de la structure factorielle du PPI-R deux facteurs (Dominance impavide (DI) et Froideur émotionnelle (FE)) qui semblent incarner la pathologie interpersonnelle et

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affective spécifique à la psychopathie ainsi qu’un facteur (Impulsivité égocentrique (IE)) qui semble représenter la facette impulsive et antisociale du syndrome.

Que mesure-t-on au juste?

Il semble y avoir, en ce qui a trait à la mesure de la psychopathie, plusieurs questions fondamentales en suspens. On peut effectivement questionner la signification profonde des patrons corrélationnels divergents concernant les facteurs de psychopathie puisque ces divergences sont observées autant avec le PPI/PPI-R que le PCL-R (voir Hare et Neumann, 2006; Lilienfeld et Fowler, 2006; Patrick, 2007). Ces facteurs représentent-ils des facettes différentes mais interactives d’un même construit unitaire qu’est la psychopathie (Hare et Neumann, 2006; 2008; 2010)? Ou reflètent-ils, tel que le suggérait Karpman (1948a) avec la psychopathie primaire et secondaire, des variantes de personnalités pathologiques? Autrement dit, renvoient-ils à des entités cliniques distinctes aux sources distinctes? Cette dernière hypothèse est soutenue par certains auteurs pour qui le vocable « psychopathique » devrait être abandonné en ce qui concerne ce groupe de personnes chez qui les tendances délinquantes et antisociales s’expliquent par une impulsivité comportementale, une hostilité réactive ou toute autre condition psychologique sous-jacente (p. ex. Blackburn, 1996; Poythress et Skeem, 2006). Plusieurs établissent d'ailleurs un lien entre les tendances antisociales, la psychopathie secondaire et la personnalité limite (Alterman et al., 2002; Falkenbach, Stern et Cravy, 2014; Skeem et al., 2003; Skeem, Johansson, Andershed, Kerr et Louden, 2007). Blackburn (1996) réfère quant à lui directement aux « psychopathes état-limites » pour catégoriser ces personnalités état-limites promptes à l’agir et qui semblent, si l’on ne se fie qu’aux manifestations symptomatiques, avoir une personnalité antisociale. Sans défendre une position aussi délicate que celle de Karpman (1948b) et Vaillant (1975) qui suggèrent que la psychopathie, en tant qu’entité clinique, soit possiblement un mythe, il semble à tout le moins qu'elle incarne, dans sa conceptualisation emprique actuelle, une configuration de facteurs, de symptômes et de traits de personnalité épars. Ceci tend à mettre en doute la représentation unitaire du syndrome actuellement en vogue dans la littérature scientifique. Comme l’affirme Blackburn (1988) et Wulach (1983), le danger est d’apposer les étiquettes « antisociale ou psychopathe » à des individus seulement hors normes, ayant ainsi pour conséquence d’occulter les variations attendues à travers la population en ce qui a trait aux tendances antisociales. Cette erreur conceptuelle peut dès lors mener à l’établissement de stéréotypes cliniques illusoires qui reflètent

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mal la réalité psychique des individus. Ceci nous ramène à la question thérapeutique brièvement évoquée précédemment et sur laquelle nous avions proposé de revenir.

Le traitement de la psychopathie

La psychopathie est reconnue par plusieurs comme une condition difficile voire impossible à traiter (Kernberg, 1998; Stone, 2006). Différents auteurs font même valoir l’idée que la psychothérapie puissent empirer l’état des psychopathes en ce sens qu’elle augmenterait leur risque de récidive (Harris et Rice, 2006; Rice, Harris et Cormier, 1992; Skeem, Monahan et Mulvey, 2002). Ces auteurs mentionnent que plusieurs programmes thérapeutiques offerts à la population antisociale aident les participants à développer leur compréhension des états émotionnels d’autrui, leur capacité de prise de perspective et soutiennent le développement d’un langage émotionnel approprié supposé rehausser leurs habiletés sociales. Pour les criminels non-psychopathes, les succès thérapeutiques semblent probants. Pour les criminels non-psychopathes, on postule que non seulement leur condition ne s’améliore pas, mais que le développement de ces habiletés relationnelles les rendent de meilleurs manipulateurs et exploiteurs (Harris et Rice, 2006; Skeem et al., 2002).

Différentes raisons expliquent la faible réponse des psychopathes à la psychothérapie. Parmi celles-ci, la difficulté de ces patients à former une alliance thérapeutique est saillante (Skeem et al., 2002; Thornton et Blud, 2007). L’alliance thérapeutique est reconnue comme une variable centrale et nécessaire au succès thérapeutique à travers les conditions psychopathologiques (p. ex. Ardito et Rabellino, 2011; Horvath et Luborsky, 1993; Horvath et Symonds, 1991). Pour Kraus et Raynolds (2001), l’incapacité des psychopathes à former une alliance thérapeutique dépendrait en partie de leur pathologie de l’attachement. Bowlby (1973; 1977; 1980) a bien décrit comment la qualité de l’attachement de l’enfant est à la base du potentiel des individus à s’investir sainement dans des relations interpersonnelles à l’âge adulte. Au contraire, un lien avec l’objet d’attachement marqué par la violence ou la séparation prolongée provoque chez l’enfant une réaction d’égocentrisme et d’évitement relationnel (Bowlby, 1973; 1977). En cas de négligence franche et d’abus de la part des parents, on peut observer chez l’enfant un détachement affectif, voire un rejet agressif de l’objet d’attachement. Pour certains, cette rupture du lien d’attachement pourrait bien être le prélude à la psychopathie et aux déficits d’empathie caractéristiques de cette

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psychopathologie (Meloy, 2001; Meloy et Gacono, 1998). Meloy (1992) va même jusqu’à parler d’un attachement marqué par l’agressivité et la haine chez les psychopathes. Kraus et Raynolds (2001) mentionnent que bien que tous les troubles de personnalité soient plus ou moins marqués par une pathologie de l’attachement, l’attachement pathologique des psychopathes est d’autant plus susceptible d’être un frein à l’établissement de tout lien affectif positif.

Une autre source d’échec thérapeutique est le narcissisme grandiose et pathologique des individus psychopathes (Kernberg, 1998). La grandiosité narcissique est reconnue comme un aspect fondamental de la psychopathie, particulièrement parce que cette grandiosité est infiltrée par une représentation agressive de soi et des autres (voir Meloy, 1988; Kernberg, 1984; 1989). Selon Thornton et Blud (2007), la pathologie du narcissisme inhérente à la psychopathie nuit à l’établissement d’une alliance thérapeutique en raison de la difficulté du patient psychopathe à investir une relation de dépendance. La psychothérapie est pour ce dernier un dispositif menaçant qui risque de le mettre dans une position de vulnérabilité. La dépendance et la vulnérabilité sont fuits par le psychopathe pour qui cela est synonyme de faiblesse, d’humiliation et susceptible de le mettre du mauvais côté de la dynamique de prédation sur laquelle son monde interne est constitué. Autrement dit, la thérapie ou toute autre relation affective est investie par le psychopathe de façon paranoïaque: soit il domine l’autre, le parasite et rehausse ainsi son estime de soi; soit il se retrouve du côté de la victime. Le besoin de triompher sur autrui, parfois de façon plus ou moins sadique, est une source de gratification pouvant être la seule motivation à s’investir dans un lien thérapeutique (Diamond et Yeomans, 2008). Le psychopathe étant dans ce désir de triomphe narcissique et dans cette dynamique d’exploitation et de gratification de ses besoins, il ne voit pas la nécessité de changer ni n’est touché par le tort qu’il cause aux autres.

Ceci mène à aborder l’insensibilité affective caractéristique des psychopathes. En effet, la question de l’empathie est au coeur de la conceptualisation de la psychopathie (Blair, Mitchell et Blair., 2005; McCord et McCord, 1964; Cleckley, 1941/1976). Selon plusieurs, le manque d’empathie est une des sources principales de l’inefficacité des programmes thérapeutiques auprès des psychopathes (Skeem et al., 2002; Thornton et Blud, 2007). Les déficits d'empathie feraient obstacle au développement du sentiment de culpabilité et à l’établissement d’une alliance thérapeutique honnête en vue d’un processus de changement. Thornton et Blud (2007) insistent

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sur l’absence de détresse du psychopathe en lien avec ses actes antisociaux ou ses relations interpersonnelles superficielles, faisant en sorte que ce dernier n’a aucun motif pour changer son état psychologique. C’est à cet égard que certains auteurs mentionnent que les thérapies basées sur un apprentissage de l’empathie parfois appliquées en institution carcérale sont à proscrire avec les psychopathes, car ceux-ci se servent de ces apprentissages cognitifs et relationnels pour devenir plus habiles à duper et à manipuler autrui (Hare, Clark, Grann et Thornton, 2000; Skeem et al., 2002). Autrement dit, ils apprennent à dire ce que les thérapeutes veulent entendre. Comme il est parfois figuré, les psychopathes apprennent le langage émotionnel tel un daltonien qui apprend à nommer les couleurs qu’il ne perçoit pas tout à fait comme les autres.

Pour Stone (2003), le narcissisme pathologique, les problèmes d’attachement et les déficits d’empathie interfèrent avec l’établissement d’une alliance thérapeutique. Selon lui, ces composantes de la personnalité s’interpénètrent et rendent les patients non seulement difficiles mais impossibles à traiter. De manière intéressante, plusieurs affirment que c’est surtout le facteur interpersonnel-affectif de la psychopathie qui est associé au risque de récidive des psychopathes ainsi qu’à leur échec de réponse au traitement, et non le facteur impulsif-antisocial (Hare et al., 2000; Harris et Rice, 2006; Skeem et al., 2002). Tel qu’il a été discuté précédemment, ceci ramène la question des variantes de psychopathie. Est-ce que tous les psychopathes présentent la même constellation de difficultés sur le plan du narcissisme, de la qualité de l’attachement et des déficits d’empathie? Y aurait-il, selon les facteurs ou les variantes de psychopathie, une différence au niveau de ces composantes de la personnalité qui sous-tend un plus ou moins bon pronostic thérapeutique? Conséquemment, n’y a-t-il pas des divergences fondamentales au sein même du construit de psychopathie, divergences dont les variantes primaires et secondaires peuvent rendent compte?

Harris et Rice (2006) mentionnent que parmi les études cliniques et les devis expérimentaux qui s'intéressent à l'efficacité des traitements auprès des psychopathes (voir Salekin (2002) pour une revue de cette littérature), il n’est pas d’usage de faire une distinction en ce qui a trait aux variantes de psychopathie. Certains suggèrent qu’il s’agit d’une lacune de ces études car si on croit en la nature distinctive de la psychopathie primaire et secondaire, mixer des personnes avec un profil antisocial hétérogène biaise assurément les conclusions concernant la réponse au

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traitement (Lösel, 1998; Skeem et al., 2002; Skeem et al., 2003). Le pessimisme ressenti dans le milieu clinique à l’égard du traitement des psychopathes et les conséquences légales pour une personne de se voir apposer cette étiquette sont majeurs. Si un espoir subsiste dans la possibilité de traiter certaines personnes qui reçoivent le diagnostic de psychopathie sur la base des outils d'évaluation actuellement reconnus, cet espoir doit être entretenu. Et si la psychopathie secondaire s’apparente à un trouble de personnalité limite qui s’exprime par un caractère antisocial (voir Blackburn, 1996; Skeem et al., 2003), le pronostic de ces individus est beaucoup plus encourageant et une clarification diagnostique et conceptuelle se doit d'être faite.

Les variantes de psychopathie

Incidemment, distinguer les variantes primaire et secondaire de psychopathie a selon nous une importance conceptuelle et clinique. Nous croyons que parmi les composantes de personnalité qui peuvent marquer la distinction entre ces deux phénotypes de psychopathie, le narcissisme pathologique, le style d’attachement et l’empathie sont au centre. De façon intéressante, ces composantes rejoignent les éléments de fonctionnement de la personnalité proposés en annexe du DSM-5 (APA, 2013). En effet, selon le modèle alternatif pour les troubles de la personnalité de cette dernière version du DSM, les perturbations sur le plan du soi et de la sphère interpersonnelle sont perçues comme le noyau des psychopathologies. On y présente les domaines de l’identité, de l’autodétermination, de l’empathie et de l’intimité comme altérés de façon spécifique selon le trouble de personnalité en présence. Une description de ces quatre domaines est illustrée dans le tableau A3. Nous croyons que la psychopathie primaire et secondaire se constituent d’une manière similaire et qu’un modèle basé sur l’empathie, la pathologie du narcissisme (domaine de l’identité) et l’attachement (domaine de l’intimité) offre une perspective intéressante pour distinguer les deux variantes de psychopathie et préciser leurs spécificités. Il appert important de regarder plus en détail ces composantes de la personnalité afin de mieux les saisir dans leur lien avec la psychopathie.

L’empathie

La déficience affective et empathique des psychopathes est admise et consensuelle (p. ex. Blair, 1995; 2007; Celckley, 1976; McCord et McCord, 1964). Si les déficits d’empathie sont fondamentaux dans le syndrome de psychopathie, leur source est moins claire. De Davis (1980;

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1983a; 1983b) à Blair (2008), l’aspect multidimensionnel de l’empathie est reconnu. Certains auteurs tels que Singer (2006) établissent une distinction entre les composantes affectives et cognitives de l’empathie. L’empathie affective concernerait davantage un processus implicite et involontaire de contagion émotionnelle ou de résonance affective, alors que l’empathie cognitive concernerait la prise de perspective consciente et le jugement d’un individu par rapport aux états affectifs d’autrui3.

Blair et al. (1996) émettent d’ailleurs l’hypothèse que des différences qualitatives peuvent être observées dans les types de rupture d’empathie. Dans la première proposition, un processus de mentalisation déficitaire rendrait l’individu, dans certains contextes, incapable de produire une réponse affective et comportementale accordée aux émotions de l’autre. On peut voir la mentalisation chez l’humain comme la faculté qui permet de prendre en compte la perpective de l’autre, de se représenter ses états mentaux et ses intentions dans toute leur complexité (voir Allen, Fonagy et Bateman, 2008). Selon Blair et al. (1996), ce défaut de mentalisation mènerait donc à des déficits d’empathie, mais des déficits qui se situent au niveau cognitif, dans un échec à penser les émotions d’autrui. Dans la seconde proposition, le processus qui gère la production d’une réponse affective involontaire serait à la base du déficit d’empathie. L’individu pourrait, dans une certaine mesure, cognitivement prendre en compte la perspective de l’autre, mais il ne serait pas touché par les états affectifs de celui-ci (Blair et al., 1996).

D’après certains auteurs, bien que l’intégrité fonctionnelle de ces deux dimensions de l’empathie dépende de processus dynamiques et inter-reliés, des régions et des circuits cérébraux distincts pourraient être impliqués davantage dans une dimension que dans l’autre (Cox et al., 2012; Singer, 2006). L’empathie, dans sa dimension affective, dépendrait surtout du cortex sensorimoteur ainsi que des structures limbiques et para-limbiques (Singer, 2006). L’amygdale,

3 Bien que nous ayons choisi d’utiliser les termes d’empathie affective et cognitive dans cet ouvrage, des auteurs tels

Decety et Jackson (2004) et Decety et Moriguchi (2007) affirment que l’empathie est multidimensionnelle et qu'elle requière autant des fonctions somatosensorielles que des fonctions exécutives telles que la conscience de soi, la flexibilité mentale et la régulation émotionnelle. Les dimensions affectives et cognitives seraient nécessaires à l’intégrité de la fonction de l’empathie, mais aucune des deux ne pourrait être qualifiée d’empathie lorsque prise séparément. Si on en croit la définition opérationnelle de ces auteurs, on ne pourrait donc pas parler d’empathie affective et d’empathie cognitive per se.

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constituée de deux noyaux sous corticaux du système limbique, a des connexions bi-directionnelles avec plusieurs parties du cerveau et est reconnue comme le siège des émotions chez l’humain. Plusieurs affirment que l’amygdale a un rôle important à jouer dans l’apprentissage par la punition et par le renforcement, dans l’anticipation de la menace ainsi que dans le traitement d’émotions telles la peur et la tristesse (Blair, 2003a; 2003b; 2006a; 2006b ; 2007; 2008; Decety et Moriguchi, 2007; Murphy, Nimmo-Smith et Lawrence, 2003; Phelps et LeDoux, 2005). Les individus à tendances psychopathiques élevées auraient justement une réaction réduite face à certains stimuli provoquant généralement ce genre d’émotions négatives, par exemple la peur, l’anxiété, la détresse et la tristesse (Blair, 1995; 1999; 2006a; 2006b; 2007; Blair, Colledge, Murray et Mitchell, 2001; Fowles et Dindo, 2006; Marsh et Blair, 2008; Patrick, 1994; Patrick et al., 1994).

De manière intéressante, l’intégrité fonctionnelle de l’amygdale et du système limbique semble mise à mal chez certains psychopathes (Blair, 2003a; 2003b; 2006a; 2006b; 2007; Blair, Mitchell et Blair, 2005; Intrator et al., 1997; Kiehl et al., 2001). D’autres évoquent même un lien entre la réduction du volume de l’amygdale et les traits psychopathiques (Pardini, Raine, Erickson et Loeber, 2014). En plus de cette atteinte à l’intégrité fonctionnelle du système limbique, des chercheurs proposent qu’il y aurait une augmentation de l’activité de certaines aires cérébrales frontales chez les psychopathes lors de performances à des tâches émotionnelles (Intrator et al., 1997; Schneider et al., 2000; Williamson, Harpur et Hare. 1991). Ces résultats suggèrent que la préservation de certaines fonctions cognitives puisse compenser pour les déficits émotionnels des psychopathes. Bien qu’au sein de ces recherches, les variantes de psychopathie ne soient souvent pas évaluées, ces résultats vont dans le sens de l’hypothèse de la psychopathie primaire comme étant l’expression pathologique d’un tempérament exempt de peur et dont les manifestations d’insensibilité et de faible empathie concernent surtout la sphère affective.

L’empathie, dans sa dimension cognitive, qui comprend des habiletés de mentalisation et de prise de perspective, serait quant à elle surtout dépendante des structures frontales et préfrontales ainsi que du cortex temporal (Singer, 2006). Des auteurs affirment d’ailleurs que des atteintes fonctionnelles à ces régions cérébrales sont observées chez les populations ayant des comportements antisociaux ou violents (Blair, 2005; Raine et Yang, 2006; Rogers, 2006). Ces auteurs associent le dysfonctionnement des lobes frontaux et préfrontaux aux problèmes de

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contrôle cognitif et de régulation affective observés chez les populations antisociales. L’intégrité de ces régions cérébrales serait primordiale dans le développement de bonnes conduites sociales par le biais de l’autorégulation des émotions et de la prise en compte des états internes d’autrui (Decety et Moriguchi, 2007; Gabbard, Miller et Martinez, 2006). Blair (2005) fait l’hypothèse que les déficits frontaux pourraient expliquer, en partie du moins, les comportements antisociaux par l’échec du rôle inhibiteur et autorégulateur dont le cerveau frontal est normalement responsable. Cette idée est partagée par Jackson, Malmstadt, Larson et Davidson (2000) pour qui l’incapacité chronique à inhiber ou écarter les émotions négatives serait un précurseur à l’anxiété et aux comportements agressifs et antisociaux.

Les populations antisociales ne sont pas les seules à présenter ce portrait pathologique. L’agressivité, l’impulsivité, les problèmes d’autorégulation et les difficultés en ce qui concerne la prise de perspective et l’attribution d’états mentaux sont évoqués dans la littérature comme caractéristiques des personnes aux prises avec un trouble de la personnalité limite (TPL) (Allen et al., 2008; Kernberg et Caligor, 2005; Mancke, Herpertz et Bertsch, 2015). Selon certains, la pathologie limite pourrait en fait impliquer la suractivation de l’amygdale et la sous-activation des régions préfrontales (Gabbard et al., 2006). Tel que le résument Gabbard et al. (2006), les cortex préfrontaux orbital et médian ont des connexions réciproques avec l’amygdale et ont un rôle inhibiteur de cette structure. Une diminution des fonctions régulatrices du cerveau préfrontal pourrait ainsi contribuer à une hyperréactivité de l’amygdale et conséquemment, à la manifestation de réactions émotionnelles intenses, à de l’impulsivité et à de l’agressivité. Cette suggestion concorde avec les résultats de plusieurs recherches qui évoquent la sous-activation des fonctions inhibitrices frontales et préfrontales en contexte d’émotions négatives intenses chez les TPL (Baczkowski et al., 2017; Rosell et Siever, 2015; Schulze, Schmahl et Niedtfeld, 2016; Silbersweig et al., 2007; van Zutphen, Siep, Jacob, Goebel et Arntz, 2015; Winter et al., 2015). Herpertz et al. (2001) montrent d’ailleurs qu’autant les TPL criminels que non criminels présentent une hypersensibilité aux stimuli émotionnels négatifs, mais pas de déficit sur le plan de la réactivité affective de base.

Ces atteintes neurofonctionnelles aux régions préfrontales pourraient expliquer le mécanisme par lequel les personnalités limites et certaines personnes commettant des actes

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antisociaux peinent à inhiber leurs émotions intenses et se sentent rapidement envahies et anxieuses, les rendant du même coup inhabiles à penser les états internes d’autrui et à faire preuve d’empathie. Ceci soutien l’hypothèse du psychopathe secondaire ou, tel que nommé par Blackburn (1996), du psychopathe « état-limite ». En effet, on peut croire que ce genre d’individus aient des déficits au plan de la régulation affective qui se manifestent par des ruptures d’empathie, mais des ruptures d’empathie qui concernent surtout la sphère cognitive, c.-à-d. la prise de perspective et l’attribution d’états mentaux en contexte d’émotions intenses.

Le narcissisme pathologique

Le narcissisme pathologique est également au cœur de la psychopathie et des tendances antisociales (Gunderson et Ronningstam, 2001; Kernberg, 1984; 1989; 1998; Meloy, 1988). En effet, ces auteurs conçoivent la psychopathie comme une variante extrême de la pathologie du narcissisme. Certes, la pathologie du narcissisme est aussi présente au sein de divers troubles de la personnalité et sous divers modes d’expression (voir Ronningstam, 2005). Plusieurs auteurs mettent l’accent sur deux grands phénotypes de narcissisme pathologique, le premier représentant la grandiosité narcissique et l’autre l’hypersensibilité ou la vulnérabilité narcissique (voir Cain, Pincus et Ansell, 2008; Ronningstam, 2005). Ces deux phénotypes du narcissisme sont certes inter-reliés et complémentaires, mais ils reflètent une expression différente de la pathologie du narcissisme à travers les individus et les conditions psychiatriques (Pincus et Lukowitsky, 2010; Ronningstam, 2005).

La grandiosité narcissique est surtout associée à certains troubles de personnalité du DSM-4-TR (APA, 2000) tels les troubles narcissique, histrionique et antisocial (Dickinson et Pincus, 2003). Les rapports interpersonnels de ces gens sont surtout teintés par des comportements de domination et de désir de contrôle. Ce noyau narcissique grandiose est aussi susceptible de s’incarner dans un sentiment d’invulnérabilité et de supériorité (Diguer, Turmel, Da Silva, Mathieu, 2015). Selon Dickinson et Pincus (2003), la souffrance liée à cet état narcissique est absente, ou à tout le moins serait niée. La dimension vulnérable est quant à elle davantage décrite comme empreinte de forts sentiments de honte face à l’image idéale de soi non atteinte, de sentiment de vide intérieur, d’hypersensibilité à la critique, dévalorisation, d’auto-victimisation, de passivité voire de parasitisme, d’envie et d’agressivité passive ou active envers

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autrui (Dickinson et Pincus, 2003; Plakun, 1990; Ronningstam, 2005). Comme l’expose Bergeret (1974), on peut penser que les défenses narcissiques contre le sentiment de vide, la dépendance et l’abandon n’arrivent pas à soutenir les représentations de soi grandioses chez ces individus, la blessure narcissique étant ainsi plus à vif. Ces personnes exhiberaient un niveau de détresse plus évident et seraient plus susceptibles de faire appel à la psychothérapie (Pincus et al., 2009).

D’après Kernberg (1984), la particularité du noyau narcissique du psychopathe a trait à sa structure grandiose (grandiose self-structure) imprégnée d’agressivité, structure qui affecte son système de valeurs. Le sujet se sent au-dessus de tout, y compris des lois et des règles morales, s'autorisant ainsi à poser des actes illégaux. La motivation relationnelle principale du psychopathe serait de dominer l’objet et de l’exploiter, sa relation aux autres ne lui servant alors qu’à refléter ses propres fantaisies d’omnipotence (Meloy, 1988; 2001). Cette structure grandiose est certainement reliée aux déficits d’empathie du psychopathe et à son détachement émotionnel.

La surestimation de soi, les relations d’exploitation et la domination sont des variables importantes du facteur interpersonnel/affectif de la psychopathie au sein d’outils psychométriques tels le PCL-R (Hare, 1991; 2003) et le PPI/PPI-R (Benning et al., 2003; Lilienfeld et al., 2012; Marcus, Fulton et Edens, 2013). Plusieurs établissent d’ailleurs un lien direct entre le facteur interpersonnel/affectif de la psychopathie et des mesures de personnalité narcissique (Benning, Patrick, Salekin et al., 2005; Blackburn et Coid, 1999; Hart et Hare, 1997; Patrick, 2007; Ray, Weir, Poythress et Rickelm, 2011; Widiger, 2006). Selon Poythress et Skeem (2006), ce facteur serait toutefois davantage corrélé à la facette grandiose du narcissisme pathologique tandis que le facteur antisocial/impulsif serait davantage relié à la facette vulnérable. D’autres comme Miller et al. (2010) établissent aussi un lien entre le facteur antisocial/impulsif de la psychopathie, le narcissisme vulnérable et le trouble de personnalité limite. À la lumière de ces résultats empiriques et de ces théories, il est possible de croire que le narcissisme pathologique des psychopathes s’exprime différemment selon le facteur de psychopathie.

L’attachement

Un autre des éléments constitutifs des troubles de la personnalité et du passage à l’acte criminel et violent est la pathologie de l’attachement (Dozier, Stovall-McClough et Albus, 2008;

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Fonagy et al., 1997; Fonagy, Target, Steele et Steele, 1997; Meloy, 1992). La théorie de l’attachement de Bowlby (1969) souligne que l’être humain est fait pour s’accorder affectivement avec ses semblables. D’un point de vue éthologique, la relation affective entre l’enfant et sa mère (ou son donneur de soins) est basée sur un système biologique d’adaptation et d’évolution au sein duquel la sensibilité de la mère aux pleurs, aux cris et aux manifestations de détresse de son enfant lui permet de le protéger des dangers et des prédateurs.

Cette sensibilité de la mère implique aussi la conscience et la tolérance des réactions comportementales et physiologiques de l’enfant reliées à son expérience affective (Gross, 2006). Dans ce contexte sécuritaire, l’enfant maintient la proximité avec la mère lors de situations stressantes. L’acquisition chez l’enfant de ses propres stratégies de régulation affective est inévitablement un reflet des actions du donneur de soins. L’importance de la régulation affective dans le processus d’empathie a été évoquée plus haut. C’est dans ce contexte d’attachement sécuritaire, où le donneur de soins offre un environnement aimant et bienveillant, ou comme le propose Winnicott (1965; 2006), un environnement contenant et « suffisamment bon », que l’enfant est à même de se représenter son monde interne, de le différencier de celui de l’autre et de concevoir cet autre dans sa singularité (Fonagy, Gergely et Target, 2008; Fonagy et Bateman, 2005). L’attachement et le développement des capacités de mentalisation seraient ainsi intrinsèquement liés (Fonagy et Target, 1996; 1997; Target et Fonagy, 1996). La mentalisation contribuerait plus tard dans la vie de l’individu à ses capacités de symbolisation et à la diminution du risque de passage à l’acte en situation de frustration (Fonagy et al., 1997; Fonagy, Target et al., 1997). L’angoisse d’abandon, la labilité émotionnelle et les difficultés de régulation affective associées aux troubles de la personnalité pourraient ainsi prendre leur source dans l’attachement insécurisant en bas âge (Dozier et al., 2008; Meyer et Pilkonis, 2005; Mikulincer et Shaver, 2007; 2008).

Comme l’écrivait Bowlby (1973; 1977; 1980), la séparation prolongée ou la perte d’objet est à la base de sentiments dépressifs, anxieux ou colériques ressentis par l'enfant envers son donneur de soins, mettant ainsi la table à des difficultés relationnelles futures. Bowlby (1973; 1977) et Meloy (1992; 2001) mentionnent qu’une réaction possible de l’enfant à la séparation prolongée avec l’objet d’attachement est le détachement face à cet objet, particulièrement lorsque

Figure

Figure 3.1   Saturations canoniques de la première équation canonique
Figure 3.3   Saturations canoniques de la troisième équation canonique
Figure A1. Niveaux d'organisation de la personnalité selon Kernberg (Clarkin et al., 2006)

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