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Sens de l'existence et société : recherche théorique et épistémologique sur le sens social de l'existence

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Texte intégral

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STEVE SIMARD

SENS DE L'EXISTENCE ET SOCIETE

Recherche théorique et épistémologique sur le sens social de

l'existence

Mémoire présenté

à la Faculté des études supérieures de l'Université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en sociologie

pour l'obtention du grade de Maître es arts (M.A.)

DEPARTEMENT DE SOCIOLOGIE FACULTÉ DES SCIENCES SOCIALES

UNIVERSITÉ LAVAL QUÉBEC

2010

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Résumé

Ce mémoire se veut une recherche exploratoire visant à établir des bases théoriques et épistémologiques, tant sur des plans philosophiques que sociologiques, pour l'étude du sens de l'existence et ses rapports avec le monde social. L'existence et le sens sont d'abord analysés de manière à situer ce qui fonde le social et à comprendre ce qui est sous-jacent à la représentation. Notre vision du sens de l'existence est ensuite exposée, donnant une large place à l'exploration, au dépassement et à l'évolution, elle sert en outre de point de référence pour l'interprétation des différentes représentations sociales du sens de l'existence. L'analyse se resserre enfin sur les manières dont on se construit une représentation pour culminer dans ses rapports avec la société, voyant dans la culture un champ d'interactions entre unités idéelles où se dessinent un ou des courants sociaux dominants. D en ressort du mémoire des bases pour une théorique sociologique se centrant sur la représentation, qui comprend essentiellement la société et son devenir à partir des finalités et des valeurs collectives qui en découlent.

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Avant-propos

Voilà maintenant plus de sept années que la vie intellectuelle emplit de sens ma propre existence. Une passion pour la compréhension des choses et le partage de connaissances, avec au-dessus, une volonté de découvrir du sens derrière l'immensité de ce qui nous englobe.

Au fil de ces années, j'ai pu prendre connaissance de théories et d'auteurs variés en sciences humaines et en philosophie avec lesquels j'ai pu repérer un certain nombre d'idées majeures sur l'existence et d'approches théoriques utiles pour l'étude de certaines de ses dimensions. Après ce bref parcours, j'ai alors ressenti le besoin de faire le point sur mes connaissances, d'essayer de clarifier certaines choses et d'entrevoir des voies qui me semblaient plus prometteuses. La rédaction d'un mémoire de maîtrise m'a ainsi fourni l'occasion unique d'un tel projet. Malgré ma jeune expérience, j'ai donc pris le pari risqué de me faire une propre tête sur les phénomènes sociaux et existentiels. Ce mémoire ne se veut donc pas seulement une recherche sur le sens de l'existence et ses rapports avec le social, mais aussi un certain aboutissement de réflexions sur des idées fortes et des concepts qui ont pour moi une grande valeur. Un projet plutôt ambitieux qui ne fut pas sans de nombreuses embûches et angoisses, pour un nombre de pages et un temps alloué à la rédaction évidemment trop restreints pour son ampleur.

C'est donc très modestement et surtout en tant qu'exploration scientifique que ce mémoire vise à amener une contribution à la sociologie, voire à la philosophie. Par notre manière toute particulière de saisir l'existence, le sens et le social, et par ses intuitions, qui mériteraient par ailleurs bien des développements ultérieurs, nous espérons amener une grille d'analyse originale des phénomènes et avoir repéré certaines voies prometteuses pour la recherche.

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Mon cheminement intellectuel doit énormément à mes cinq années d'études en sociologie. J'en profite donc pour d'abord remercier l'ensemble du corps professoral du département de sociologie de l'Université Laval pour la qualité de cette formation. Chacun et chacune avec les qualités qui leur sont propres m'ont permis de faire cheminer ma pensée et de dépasser mes limites.

Je suis également grandement reconnaissant envers mon directeur de programme Olivier Clain. D'abord pour avoir accepté de diriger un mémoire aussi atypique, ce qui ne fut évidemment pas sans appréhensions compréhensibles. Je le remercie ensuite pour ses commentaires pertinents, sa grande disponibilité malgré une année des plus chargées à la direction du département, et pour son enseignement très inspirant.

Un parcours intellectuel ne va pas non plus sans l'aide précieuse de collègues étudiants. Nos fréquentations quotidiennes et flâneries au local de l'association étudiante ont été l'occasion de nombreuses discussions fort constructives. Je pense en particulier à mes amis Marc-André Gauthier et à Sébastien Bolduc que je remercie pour nos discussions profondes, nos débats parfois houleux et leurs critiques constructives.

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Table des matières

Résumé i Avant-propos ii Table des matières iv Liste des tableaux vii Liste des figures vii INTRODUCTION 1 PREMIÈRE PARTIE -LE SENS DE L'EXISTENCE 7

CHAPITRE I - LES BASES EXISTENTIELLES 8

1. Unité et différence 8

2. La dualité 9 3. Tout, système et emboîtement 11

4. Ordre, organisation et antagonistes 13 5. Typologie d'unités générales 15

6. L'unité sociale 19 7. Autonomisation 22 8. La structure de l'unité idéelle 24

9. L'information 24 10. Ordres et classes de l'idée 26

11. Les systèmes et environnements idéels 27

CHAPITRE 2 - LE SENS 29 12. Le mouvement primaire 30 13. Direction, finalité et transversalité 30

14. Cohérence, sélection et valeur 32

15. Sens et existants 34 16. L'unité sémantique 35

17. he pattern 35 18. Consistance du sens 37

19. Vie et mort du mouvement collectif 38 20. Synergie, lutte et sens dominant 39 21. Courants de sens sociaux 41 CHAPITRE 3 - LE SENS DE L'EXISTENCE 44

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22. Exploration et création 45 23. Le dépassement 46 24. Évolution, lignées et cycles 49

25. L'évolution et finalité 50 26. La finalité chez l'être humain 51

27. Évolution, conservation et équilibre 53

28. Énergie et effort 55 DEUXIÈME PARTIE - REPRÉSENTATION ET SENS SOCIAL DE L'EXISTENCE

56

CHAPITRE 4 - LA CONSTITUTION DE LA REPRÉSENTATION 57

29. La conscience et l'esprit 58 30. L'appréhension humaine et ses modalités 62

31. Les sens physiologiques : perceptions et sensations 63

32. L'émotion : affects et passions 64 33. L'entendement : compréhension et interprétation 67

34. L'imaginaire : réflexivité et créativité 68

35. Appréhension et schemes 71

36. La perspective 73 37. La représentation 78 38. L'action individuelle 81 39. Représentations individuelles et sociales 83

CHAPITRE 5 - SENS DE L'EXISTENCE ET SOCIÉTÉ 85

40. Unités de sens de l'existence 85 41. Unités de sens de l'existence humaine 87

42. Entrelacements et homogénéité des unités de sens 88 43. Le sens positif ou les principes d'orientation : nécessités, possibles et valeurs 90

44. Le sens négatif ou les limitations de l'existence : lois, morale et politique 93

45. Courants de sens, systèmes sociaux et institutions 95

46. Bref aperçu d'une typologie 97 47. L'unité mythique du monde 97 48. Le sens chrétien de l'existence 99 49. L'éclatement moderne du sens 101 50. Le socialisme comme type de sens pour l'existence 103

51. Le sens de l'existence individuelle 106 52. Constitution et élaboration des unités de sens 108

53. Expansion, lutte et sens dominant 109 54. Cohésion sociale, hiérarchie et élites 112 55. Sens social de l'existence, exploration et dépassement 115

CONCLUSION 118 v

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ANNEXE 122 Annexe 1 - Création et reproduction 122

A. Émergence et différenciation 122 B. Reproduction et production 125

BIBLIOGRAPHIE 127

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Liste des tableaux

Tableau 1 - Courants de pensées et utilisation des modalités d'appréhension 77

Tableau 2 - Disciplines et utilisation des modalités d'appréhension 77 Tableau 3 - Styles de vie et utilisation des modalités d'appréhension 77

Liste des figures

Figure 1 - Typologie des principales unités 16 Figure 2 - Schématisation des rapports entre ordres et organisations en fonction de

l'émergence et de la différenciation 124

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INTRODUCTION

Quel est le sens de l'existence ? Le questionnement est universel, bien qu'il ne fût pas toujours posé dans ces termes ou de manière explicite. Un questionnement devenu nécessaire pour l'être humain conscient de son existence, dont l'action immanente et instinctive cherche à se dépasser dans un sens plus englobant, supérieur, transcendant... Le sens de l'existence rassemble les représentations et croyances les plus larges qui répondent aux « pourquoi » ultimes de l'existence humaine, par le plus grand recul qu'il est permis au regard de prendre. Cette manière de voir le monde implique donc tout ce qui est possible de sentir, de comprendre et d'imaginer.

À travers les sociétés, les groupes sociaux ou les individus, les réponses amenées ont pris des formes les plus diverses au cours de l'histoire. Le sens de l'existence peut être lié à des ancêtres, à un sens inhérent à la « nature », à un ou plusieurs dieux, à une recherche de progrès matériel ou social, à une quête de sens plus individuelle, etc. C'est lui qui fonde en dernière instance l'agir individuel et social, rend légitime le pouvoir en place ou sa contestation, motive la répétition des tâches quotidiennes comme les projets collectifs intergénérationnels. Ce sont les buts, projets, valeurs pour lesquelles on mobilise le plus de temps et d'efforts, et les idées par lesquelles on devient ce qui est visé, parfois jusqu'à en mourir pour elles. Bref, il nous apparaît que ce type de représentation supérieure constitue le noyau de sens le plus central pour l'existence humaine. Notre thèse sociologique sera d'entrée de jeu la suivante : c'est en fonction de la représentation du sens de l'existence que les sociétés, les groupes sociaux et les individus construisent globalement leur monde, oriente leur devenir et dépassent leur être.

En complément au courant de la philosophie existentialiste, s'étant consacrée au sens de l'existence sur le plan de l'individualité, et à la sociologie générale, s'étant penchée sur le sens et la signification que l'acteur attribue à son action, le présent essai cherche à constituer des bases théoriques et épistémologiques pour l'étude du sens de l'existence des sociétés et groupes sociaux. Un essai essentiellement exploratoire, dans une perspective aussi bien philosophique que sociologique, qui se centre sur ce type de « sens » dans le

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champ du social et qui le situe dans ses rapports avec le reste de l'existence. Le mémoire pourra aussi servir ultérieurement de fondement à une autre recherche sur le sens de l'existence, mais cette fois sur le plan historique, c'est-à-dire en situant les unités de sens majeures formées plus spécifiquement dans l'histoire de l'Occident. Une recherche pour saisir dans le temps leurs rapports de successions et de différenciations, de luttes et de coopérations, etc. Deux études qui pourront s'enrichir mutuellement de leur regard, l'une, plus théorique, fournissant des bases pour l'analyse historique, l'autre, plus empirique, amenant de la substance à la première. C'est finalement à travers le va-et-vient réflexif continu entre ces deux études que nous pourrons espérer amener, outre des apports scientifiques et philosophiques visés par toutes investigations, certains éclaircissements sur le sens de l'existence « lui-même ».

* * *

Le présent essai rassemble dans un premier temps une sélection d'idées et de concepts englobant certaines dimensions majeures de l'existence1 et ayant pour nous une grande

valeur heuristique. Pour toute la première section du mémoire, ce déploiement d'idées forme une théorie générale sur l'existence et sur son sens - dans une approche plutôt philosophique et systémique -, qui servira ensuite de fondation pour mieux situer, dans la seconde section, la constitution de la représentation du sens de l'existence et ses effets sur la société, dans des approches plus phénoménologique, heuristique et sociologique. Une partie qui réutilisera parfois des aspects de sociologie générale pour les intégrer à une théorie se centrant sur le sens de l'existence. Le mémoire se déploie ainsi d'une certaine manière sous un modèle en spirale : les concepts et idées généraux sont d'abord analysés pour être réutilisés au fil du mémoire dans un resserrement vers le social. Le tout structuré dans une série d'aphorismes ou de courts segments qui forment les

1 On entendra par la notion d'existence la référence à la totalité de tout ce qui nous implique et nous entoure dans un sens près de son actualité ultime, par opposition à Y essence, de nature plus universelle. Tandis que les existants seront les constituants distingués et différenciés de cet ensemble dont la propriété première étant le fait d'exister, que ce soit dans la réalité ou en imaginaire. Ceux-ci ne qualifieront pas seulement l'humain, mais tout étant à des degrés divers. De manière générale, la réflexion sur l'existence pourra parfois se confondre avec celle de l'« être » issue de la tradition philosophique, leur sens étant toujours en fait largement entremêlé. Le concept d'existence se concentrera davantage sur les rapports entre les existants dans des transformations continues de leur devenir ; par opposition à l'approche ontologique, qui privilégie la recherche de leur être « en soi », plus ou moins fixé dans le concept d'essence, et qui tente de séparer la connaissance de l'implication du sujet qui l'élabore.

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carrefours de notre « labyrinthe existentiel », pour reprendre Castoriadis, ou le tricotage relativement serré d'un maillon d'idées nous permettant de mieux nous représenter et analyser l'existence. Chacun pose brièvement une idée générale, explore des voies de savoirs et de méthodes dans des références mutuelles. Les vastes étendues couvertes par eux mériteraient évidemment des développements beaucoup plus grands, mais nous nous en tiendrons le plus souvent à quelques découpages analytiques en quelques dimensions.

Le mémoire s'appuie sur plusieurs paradigmes et théories, mélangeant leurs approches comme autant de perspectives entrecroisées sur l'existence. Nous suivrons, pour ainsi dire, le postulat épistémologique d'Edgar Morin qui nous invite à la transversalité des savoirs et des concepts, en dehors de leurs cloisonnements traditionnels2. Ainsi, notre approche

multidisciplinaire prend évidemment des appuis sur la philosophie et la sociologie, mais aussi plus spécifiquement sur des courants tels que l'existentialisme, la théorie des systèmes, le cognitivisme, l'évolutionnisme, la phénoménologie et l'herméneutique. On évitera de ce fait tout réductionnisme doctrinal ou propre à un domaine spécifique, réduisant le reste de l'existence et de celle de l'être humain à quelques principes logiques et déterminismes mécaniques.

L'essai laisse toutefois, faute de temps et d'espace, peu de place à la comparaison d'idées et aux débats ou polémiques potentiellement liés aux positions prises - malgré que l'organisation des idées répond parfois, le plus souvent indirectement, à un certain nombre de critiques anticipées. La raison en est que nous cherchons avant tout à former notre propre cohérence interne, à travers la constitution d'un corps de postulats et de prémisses en liens avec les objectifs de recherche. Un bon nombre d'idées et de concepts généraux souvent utilisés et repris par de multiples auteurs et n'appartenant pas en propre à aucun d'entre eux ne seront donc pas non plus référés, excepté bien entendu lorsque cela nous apparaît nécessaire. À tout le moins, nous mentionnerons brièvement les auteurs qui nous ont le plus inspirés : nous pensons surtout, pour ce qui est de la philosophie, à Nietzsche3,

mais aussi à Sartre, Heidegger, Edgar Morin, ainsi qu'à Bergson pour certains aspects de sa

2 MORIN, Edgar. IM méthode (tome 1) : La nature de la nature, Éditions du Seuil, Paris, 1981, pp. 15-16.

3 Nous soulignerons également l'apport important pour nous de deux de ses commentateurs : Robert C.

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théorie. Quant à la sociologie, Weber, Parsons, Marx, Michel Freitag et Niklas Luhmann sont sans doute les auteurs qui ont le plus influencé notre pensée.

Nous ne pouvons également passer sous silence les appuis importants des « philosophies de l'existence » à cette étude, incluant entre autres des auteurs nommés ci-dessus. Un courant philosophique qui s'est consacré à la question « qu'est-ce qu'exister pour un individu ? », impliquant les choix et responsabilités qui en découlent. Un questionnement qui devient possible - pour prendre déjà un regard sociologique sur lui - dans une société et à une époque où le sens de l'existence n'est plus imposé par la société, mais devient aussi une affaire de choix individuel4. À partir de la « mort de Dieu » et avec la multiplication

des échanges culturels, l'individu se trouve en effet devant davantage de choix pour se donner un sens à l'existence et sa propre vie. La présente recherche se veut, entre autres, un complément sociologique à leurs apports philosophiques, comme recherche des conditions existentielles et sociales qui rendent possible la création de sens par l'homme.

* * *

Pour une recherche couvrant un objet aussi vaste, nous devrons d'abord poser notre regard sur l'ensemble de l'existence. En ce sens, la première section consiste en une théorie générale de l'existence pouvant englober aussi bien l'atome et la cellule que les mondes idéels et sociaux. Elle nous permettra en outre de situer ce qu'il y a de commun dans l'homme avec le reste de l'existence, avant de voir plus loin la manière dont il donne sens à l'existence et à la sienne.

Les deux premiers chapitres pourraient se résumer à des elaborations théoriques autour des notions d'« existence » et de «sens», ainsi que sur leurs liens mutuels. Dans le premier, nous nous concentrons sur les fondements de l'existence, sur ses unités de bases vues dans leurs aspects plus structurels et synchroniques. Une sorte de synthèse métaphysique d'apports traditionnels et contemporains qui présente les caractères généraux des existants : modalités d'être, ordres et organisations, déterminations, manières

4 Un courant de pensée que l'on appréciera également pour toute l'importance rendue aux affects et aux

passions humaines, trop souvent réduites à un pathos par la tradition philosophique, du moins jusqu'à Kant, qui nous ferait dévier de la voie « véritable » vers le logos.

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structurelles de l'« idée », qui elle fera l'objet d'un traitement plus en profondeur dans la section II.

Le deuxième chapitre, sur le « sens », situe les mêmes existants mais sur des plans plutôt temporels, sur les dimensions du mouvement et de la transformation. Le « sens », terme des plus polysémiques, sera ici saisi dans un sens très élargi, dans une perspective qui garde aussi en tête sa référence au « sens de l'existence » en général dans le chapitre 3. De la sorte, le sens donné par l'homme, comme dans l'expression « cela fait sens », sera plutôt vu comme un cas particulier du « sens en général », qui encadre et conditionne le devenir de tous les existants. Le sens plus spécifiquement humain, quant à lui, traité dans les chapitres suivants, sera plutôt vu comme une extension et un enrichissement de sa portée. En somme, il sera question du sens par lequel les existants s'orientent vers un certain devenir, des fonctions, finalités, buts, projets, etc. qui font sens pour les êtres vivants, ainsi que des structures et modalités générales de la transformation dans l'existence.

Avant d'étudier le sens de l'existence pour les êtres humains, nous croyons qu'il est impératif de rendre d'abord explicite ce que nous croyons nous-mêmes à ce sujet. Le troisième chapitre présente ainsi notre propre représentation du sens de l'existence. Un noyau théorique qui constitue le cœur de notre thèse sur le sens, qui pourra ensuite nous servir de point de référence pour comprendre, comparer et interpréter les différentes représentations du sens de l'existence des sociétés, groupes sociaux et individus. Un sens qui pourrait se résumer grossièrement à la création et à la recréation perpétuelle de l'existence elle-même, à l'exploration des possibles ouverts devant elle, ainsi qu'à son dépassement par les êtres qui la constituent. On trouvera ainsi dans l'évolution, prise au sens large, un point de vue privilégié pour l'analyse de tout existant.

La deuxième section du mémoire se concentrera spécifiquement sur l'être humain. Nous verrons d'abord, dans le chapitre 4, les manières dont l'homme élabore des représentations sur les existants, qui lui serviront ultimement à la constitution d'une représentation globale de l'existence et de son sens. Une étude débutant avec la conscience, et l'esprit qui l'encadre, qui nous permettra de comprendre les modes de saisies dont elle dispose pour accueillir les contenus phénoménologiques, se structurant dans l'ouverture de ses schemes d'appréhension et par l'emploi de différentes perspectives. La saisie de significations qui en

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résulte nous mènera ensuite à l'étude des représentations comme telles. Celles-ci étant formées d'éléments des plus divers (perceptions, images, intuitions, sentiments, idées, raisons, souvenirs, croyances, savoirs, imaginations, illusions, etc.), elles référeront à l'ensemble des manières dont une chose se présente à l'esprit. C'est avec elles que l'individu se construira l'ensemble de son monde (idéel), à la fois dans une culture et par ses expériences personnelles, et pourra trouver les guides de sens pour son action dans l'existence.

Nous pourrons enfin, dans le chapitre 5, assembler nos éléments théoriques en vue de l'étude du sens de l'existence pour les sociétés, groupes sociaux et individus. L'ensemble des représentations de ces acteurs sociaux va culminer ou se condenser dans un noyau de sens donné à l'existence en général et à celle de l'homme. À partir de là, l'acteur pourra en tirer des principes d'orientation et de limitation pour l'action qui sont cohérents avec ce sens (nécessités, possibilités, projets, valeurs, morales, règles, lois, etc.). Le sens de l'existence pourra ainsi être vu à la fois comme une unité culturelle supérieure - comme manière de saisir l'existence et son devenir - et un courant social de transformation - dont le sens dominant va motiver et justifier l'ensemble de l'activité humaine. Un certain type de société sera conséquemment engendrée, structurée par diverses unités sociales (systèmes sociaux, organisations, institutions, etc.) dont l'importance ou la force seront relatives au sens dominant. On pourra également voir brièvement quelques exemples d'une typologie d'unités de sens de l'existence ayant marqué l'histoire de l'Occident. Et l'on pourra situer théoriquement les manières dont ces unités sont élaborées et constamment retravaillées, ainsi que leurs possibles « interactions » et luttes pour l'extension de leur sens. Elles mèneront à la formation d'un sens dominant la société, avec ses conséquences sur le plan de sa cohésion sociale, de ses ordres hiérarchiques et de ses élites.

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PREMIERE PARTIE

LE SENS DE L'EXISTENCE

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CHAPITRE I - LES BASES EXISTENTIELLES

Ce chapitre regroupe les idées et concepts qui fondent l'existence, impliquant en particulier leurs modalités relationnelles et déterministes. On pourra tout au long du chapitre situer le social dans ses analogies et rapports avec le reste de l'existence. Des bases essentiellement structurelles à partir desquelles nous pourrons, au chapitre suivant, situer le devenir des existants et les modes de transformation. Ce développement « ontologique » en deux moments ne se présente toutefois pas comme une séquence logique ; l'existence et le devenir ne font qu'un. C'est plutôt selon une certaine habitude épistémologique occidentale que nous commençons par ce qui se présente comme « conditions » dans l'existence avant de voir ce qui s'exerce « au-dessus » d'elles.

1. Unité et différence

Au départ de notre recherche, il y a d'abord l'existence. La totalité du réel et de la pensée a pour premier attribut d'être marquée par de la stabilité et du mouvement. Un mouvement « héraclitéen » s'exerce en effet constamment en elle, transformant tout existant dans un renouvellement continu où tout est actualisé pour être éventuellement remplacé. Et c'est au cœur de ce mouvement primaire que nous distinguerons nos premiers existants : l'« unité », ou le fait d'être « un » dans l'existence. Des unités qui vont, dans ce qui nous est humainement et culturellement possible d'entrevoir, des plus petites particules atomiques, cellules et organismes vivants jusqu'aux mondes sociaux et idéels les plus abstraits, en passant par l'unité des classes et genres. Un nombre potentiellement infini d'unités unifient et différencient les existants sous divers modes, dimensions, plans, propriétés, attributs, caractères, qualités, etc., s'interpénétrant dans l'existence selon différents degrés. L'homme ne crée et ne distingue en fait qu'une infime partie d'entre elles, selon ses capacités, les perspectives d'individus et de cultures avec leurs critères de différenciation propres.

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Définie comme un « ensemble de constituants unis et interreliés », l'unité se trouve ainsi au commencement de notre « mythe des origines », émergeant du « chaos primitif » qu'était notre flux originel d'indistinction ; elles sont comme de multiples petites bulles jaillissantes d'une ebullition des profondeurs de l'océan primordial de l'existence, fl s'agit

là d'un concept surtout utile à simplifier l'analyse et la comparaison, à situer des dimensions internes et externes dans l'existence, et pour plus tard (au chapitre 2) unifier du mouvement de transformation. Mais aussi, comme tout concept ayant une portée explicative des plus englobantes, il est en même temps des plus vides, par son faible degré de distinction et son très haut niveau d'abstraction, nous laissant plutôt avide de relations plus concrètes.

L'unité est aussi différence avec d'autres unités en même temps qu'elle maintient un commun partagé avec d'autres existants. Elle est donc intrinsèquement liée à la différence, qui est ce par quoi elle peut exister et vice-versa ; les deux doivent être saisis sur un même plan. Contrairement à certains existants, l'existence n'a pas de préférence pour l'un ou l'autre de ces modes. Ces deux concepts forment en outre notre premier rapport d'opposition et de complémentarité, c'est-à-dire aussi notre première dualité existentielle.

2. La dualité

Tout existant peut être posé sur la base - ou la perspective - de la dualité. Celle-ci se définit comme l'opposition et la complémentarité de deux existants ou concepts, dont l'existence, le sens ou la signification seront orientés l'un par rapport à l'autre (haut et bas, espace et temps, nature et culture, bien et mal, coopération et compétition, compréhension et interprétation, corps et esprit, etc.). Après le « un » de l'unité, c'est ici le « deux » qui unifie et différencie les existants, qui permet de les situer et de se situer soi-même dans l'existence. La dualité maintient dans le temps ses deux constituants, qui se pensent l'un par l'autre, contrairement à la dialectique hégélienne, où l'opposition est dépassée ou subsumée dans un troisième terme dans un déroulement historique. On peut donc dire que le verre d'eau est à la fois à moitié plein et à moitié vide...

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La dualité se distingue en deux types : comme opposition binaire (1/0, vrai/faux, être/néant, etc.) ou comme polarité (tendance relative vers plus ou vers moins, vers plus de chaleur ou de froid, plus à gauche ou à droite, etc.). Dans le second cas, les deux concepts correspondent aux pôles d'un axe bipolaire gradué, permettant de situer un existant par rapport à deux termes et à d'autres existants sur un même axe5. Les pôles pointent en ce

sens soit vers un infini ou des régions inatteignables, soit vers un état atteignable en franchissant un certain seuil. La dualité comprend alors à la fois la binarité et la polarité : la couleur, par exemple, peut de la sorte se situer entre le blanc et le noir, atteints respectivement par la saturation et l'absence de rayonnement.

La dualité existe comme réalité de deux forces en symbiose ou dans la pensée comme modalité d'observation, elle oppose alors diversement deux symboles selon l'individu, la perspective ou la culture. Un des plus grands piliers de l'existence et du savoir, elle est représentée dans certaines mythologies par l'opposition entre deux dieux, ou par le Yin et le Yang dans des cultures orientales. Certaines sociologies et anthropologies en font également un mode d'analyse privilégié pour l'étude du social (société/communauté, nature/culture, etc.). En somme, tout un jeu de dualités s'entremêle dans l'existence, marquant tout existant d'un balancement entre deux états ou modes de transformations. Les existants peuvent ainsi se transformer ou s'orienter vers un pôle plus que l'autre, selon les situations, les buts, les projets... de sorte qu'un des deux est presque toujours plus valorisé que l'autre6.

5 On pourra également les situer dans la conjonction simultanée de plusieurs axes, dans des nombres

virtuellement infinis. Voir entre autres le carré sémiotique de Greimas (Greimas, Algirdas Julien. Sémantique structurale: recherche de méthodes, Larousse, Paris, 1966, 262 pages) ou, pour de plus récentes modélisations, la matrice de concepts de Paul Franceschi (Paul Franceschi, « Le plan dialectique: pour une alternative au paradigme », dans Semiotica, vol. 146 (1-4), 2003, pages 353-367).

6 Cette valorisation a fait également naître dans certaines pensées mythiques, religieuses ou philosophiques le fantasme d'une victoire ultime d'une « entité » sur son opposé dual : le bien sur le mal, par exemple, dans le manichéisme. C'est toutefois mal comprendre que l'élimination d'un pôle entraîne de fait l'élimination de l'autre, et que le suivi d'une direction plutôt que son opposé est aussi un moyen de créer du sens dans l'existence.

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3. Tout, système et emboîtement

L'existant étant d'abord identifié comme une unité, nous pouvons décomposer celle-ci en deux types de structures duales fondamentales, qui nous serviront aussi d'outils conceptuels essentiels : d'un côté, l'unité peut être vue comme un « tout » fait de parties mises en relation, de l'autre comme un « système » fait d'éléments en rapport d'interaction. Deux modalités structurelles qui s'interpénétrent simultanément au cœur de l'unité, correspondant aussi, d'une certaine manière, à deux paradigmes dominant la science occidentale7.

Le premier type de structure nous fait donc voir l'unité comme un tout fait de parties, où l'on dira de celui-là qu'il est supérieur à la somme de celles-ci. L'association d'existants engendre au sein d'un tout des propriétés émergentes, non existantes dans les parties saisies séparément et ne pouvant être réduites à des principes antérieurs fondamentaux. Le tout est ici ce qui agence du « haut vers le bas » les parties, qui elles prennent leur sens par rapport à lui, s'y inscrivent a posteriori ou en sont de simples instruments ou matériaux. Aussi, le tout peut être vu comme une partie d'un tout supérieur, lui-même une partie d'un autre tout supérieur, et ainsi de suite, dans une extension qui se retrace également en sens inverse, vers les niveaux inférieurs. On peut donner comme exemple l'étude du corps humain dans le fonctionnement relationnel de ses organes, du cerveau à travers ses régions cervicales et l'analyse structuro-fonctionnaliste de la société, distinguée en champs sociaux réglant l'agir individuel (holisme méthodologique).

Le deuxième type de structure nous fait voir l'unité comme un jeu d'interactions et de rapports entre des éléments. Ce sont plutôt ici les éléments qui agencent et changent un système (ou son état) du « bas vers le haut », à travers leurs mouvements, réactions, actions, intentions, stratégies, etc. Le système étant plutôt relatif à ses éléments, il se définit a posteriori et est plutôt vu comme un ensemble encadrant leurs interactions. Comme le tout, il pourra être vu comme l'élément d'un supra-système et ses éléments comme des

sous-7 Le tout fait ici davantage référence aux paradigmes métaphysique et ontologique, où on l'identifie parfois à la « totalité ». On retrouvera le tout chez Aristote, où il fait plus particulièrement référence aux êtres naturels, et chez Kant, comme la catégorie de la totalité, synthétisant l'unité et la pluralité. Chez Husserl, il prend le sens de concrétude, comme donné avec l'ouverture de son « horizon ». Alors que le système fait davantage référence aux paradigmes systémiques, dans le sens donné par la science positive contemporaine (Bertalanffy, Luhmann...).

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systèmes d'éléments. L'analyse systémique insiste davantage sur l'autonomie et l'évolution des éléments que sur le système lui-même. Elle pourra par exemple analyser le cerveau comme un réseau d'interconnexions de neurones, voir les communications humaines comme une circulation d'information dans un réseau social ou la société comme la somme des interactions entre individus (individualisme méthodologique).

« Tout » et « système » sont ainsi deux manières de voir l'unité sur lesquelles la pensée pourra se balancer dans le cheminement de l'explication, centrant son attention tantôt sur l'une, tantôt sur l'autre des perspectives. L'une sera ainsi privilégiée relativement à ce sur quoi l'on veut insister ou centrer le point de vue dans l'explication - sur le tout ou sur le système -, et selon les buts de l'explication. Tandis que le terme générique de « structure » nous servira à synthétiser à la fois le tout et le système, et de la même manière, le « constituant » va référer à la fois à la partie et à l'élément, sans qu'une priorité soit donnée à l'un ou à l'autre.

Conséquemment, tout existant intègre et est intégré dans divers emboîtements à la fois de touts et de systèmes, dont il est plutôt impossible - compte tenu des capacités humaines actuelles de comprendre le monde - de situer les limites inférieures et supérieures. Dans cet assemblage, les unités en tant que parties ou éléments seront nommées « composantes », alors que celles considérées comme des touts ou systèmes seront nommées « englobantes ». Les unités constituantes étant donc incluses dans diverses unités englobantes, qui les uniront d'un « commun » généralement d'un certain type, l'existence se dessine ainsi comme un immense complexe d'entrelacements ou d'interpénétrations d'unités de toutes sortes. Par exemple, le concept « travail » sera conjointement utilisé par les sciences de la gestion, l'économie et la sociologie, en même temps que par les idéologies marxistes, libérales, anarchistes, etc., étant une « partie » de leur tout théorique ou « élément » de leur système. D peut aussi être vu comme un élément s'interconnectant à d'autres mots dans le système d'une phrase, d'un discours, ou comme partie d'une langue. Un même concept a donc toujours une unité de significations variables, un sens relatif au contexte l'englobant et à l'existant qui le mobilise, tout en gardant cependant un noyau de significations assez stable dans le temps.

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Les existants n'ont ainsi d'existence qu'entre eux, que dans le champ de leurs relations et rapports, que dans la relativité de leurs emboîtements et entrelacements. L'être n'existe qu'en tant qu'« être-en-relation », dans les unités englobées par une situation, dans un espace-temps, une culture. Il n'y a donc pas pour nous d'« essence » dans l'existence, de choses existant « en soi ». Une totale interdépendance ou relativité qui complique d'autant la référence à la « totalité » d'un existant, dont la seule que nous reconnaissons est la totalité existentielle. Ceux-ci peuvent en effet moins être saisis dans la « totalité » de ce qui les englobe, mais davantage dans les unités englobantes et englobées le plus en lien avec ce sur quoi (dimension, caractère, fonction, sens, etc.) ils sont en rapport avec, ou ce sur quoi la pensée choisit de les cerner. C'est-à-dire celles qui auront une plus grande incidence sur un existant visé, une plus grande proximité, valeur, détermination, etc., dans un certain degré d'intensité de relations et de rapports8.

4. Ordre, organisation et antagonistes

Notre modèle de l'unité peut ensuite être complexifié en associant les deux structures précédentes à deux autres dimensions, plus particulièrement mises de l'avant par Edgar Morin : l'ordre et l'organisation9. Ces deux concepts, que nous définirons pour

nous-mêmes, ciblent essentiellement les modes de structuration entre les constituants d'une unité.

V ordre est ce qui assure une certaine régularité et solidarité des constituants. Il régule par le « dessus » pour se soumettre le « dessous » de l'unité par son agencement relationnel de lois et de règles, de principes de contrôles, de contraintes et de normes... D assure un certain équilibre par ses principes d'assemblages, de liaisons, de connexions, bref d'« ordonnance » entre ses constituants. E réfère aussi davantage au tout d'une unité.

8 L'ambiguité avec l'utilisation de la « totalité » d'une unité est donc la délimitation «juste » de ses caractères propres et tend d'autant plus au bouclage de l'unité sur elle-même, négligeant alors ses entrelacements et emboîtements dans l'existence. Le foie, par exemple, comme partie du corps humain, est davantage en rapport avec le système digestif qu'avec la totalité du corps, entretient des liens plus serrés avec le système sanguin et nerveux qu'avec le système reproducteur... Un tout ou un système saisi plus isolément par la pensée est certes nécessaire pour mieux se représenter l'existence, permet un gain de clarté par la simplification, mais se paie toujours au prix d'une réduction de sa complexité.

9 Voir MORIN, Edgar. La méthode, op. cit., en particulier l'ensemble de la première partie.

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Tandis que l'ordre est une structure d'un sens plus statique, Vorganisation quant à elle est plus dynamique. Référant davantage au système d'une unité, l'organisation est un « milieu » où entrent en rapport des unités, qui s'associent, se combinent, s'agencent, se coordonnent. C'est par leurs interactions qu'elles se soumettent du « dessous » l'unité.

Des individus s'associant pour fonder une entreprise, par exemple, forment ainsi leur propre organisation, constituée des règles et principes qu'ils décident entre eux. En même temps, au-dessus de leur interaction se développe un ordre qui les surplombe, auquel ils pourront se référer, devront respecter, obéir. On dira également que l'unité est à la fois mise en relation de constituants ordonnés et mise en rapport de constituants organisés10. Toute

unité est donc, selon des degrés divers, en même temps structurée et structurante, soumise à des ordres en même temps qu'elle les organise au sein du complexe d'entrelacement et d'emboîtement que constitue l'existence.

Toutefois, comme le note Morin11, l'existence n'est pas qu'une simple accumulation

d'ordres et d'organisations, mais comporte également des divergences, mutations, destructions, etc. L'ordre et l'organisation s'opposent ainsi à leur antagoniste que sont le « désordre » et la « désorganisation ». Deux « chaos » qui, d'une part, peuvent s'exercer de manière interne comme résistance, dispersion, fouillis, entropie - un caractère inévitable des unités à tendre vers la désintégration et la dispersion. D'autre part, ils peuvent s'exercer de manière externe, par des logiques relationnelles ou organisationnelles qui leur sont opposées, nuisibles, perturbantes, engendrant des frictions. Les structures et leurs opposés

10 Nous empruntons ici, pour une certaine part, à la distinction conceptuelle que propose Michel Freitag dans son ouvrage Dialectique et société, tome 1, Éditions Saint-Martin, Montréal, pages 129-133. Pour lui, le concept de « rapport » se réfère à « un mode d'expérience existentielle réel de l'altérité, soit à propos des animaux, soit surtout dans le contexte des "rapports sociaux", ou des "rapports cognitifs" ». Alors que le terme de « relation », plus près des sciences positives et des structures physiques, « comporte dans sa constitution objective, ou phénoménale, l'intervention d'une médiation réelle dans la mise en relation de ses éléments ». Une médiation « extérieure » qui n'est toutefois pas « physiquement objective », précise-t-il, et ne peut être que le résultat d'une projection par une subjectivité. « On opposera donc la "relation" au "rapport" concret dans lequel ne peut être engagé qu'un être subjectif disposant d'une réflexivité vis-à-vis de soi, et capable dès lors d'effectuer dans le champ d'extériorité qui s'ouvre à lui des "mises en relation" » (p. 133). Pour nous, cependant, « relation » et « rapport » vont pouvoir s'appliquer à n'importe quel existant, dans le sens où, aussi simples peuvent-ils être, ceux-ci vont être à la fois « régis » par un ordre de relations supérieur et vont en même temps fournir eux-mêmes l'« impulsion » qui les fait entrer en rapport avec les autres. C'est donc surtout des degrés de capacités et de possibilités qui vont différencier fondamentalement les divers types d'existants : les relations et rapports de l'atome, par exemple, sont ainsi infiniment plus simples et limités que ceux de l'homme.

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forment ainsi des rapports conflictuels dans tous les niveaux de l'existence, avec son lot de perturbations destructrices, mais aussi de « victoires » sur la résistance aux changements. C'est ici par ailleurs que débute, sur un plan très global, le conflit social : lorsque l'ordre des besoins d'un individu cherche à s'imposer sur l'autre, par exemple.

De la même manière que Nietzsche voit dans la résistance envers l'action d'une force ce qui permet justement à cette dernière d'exister12, nous pouvons aussi voir en ces « chaos »

des stimulants nécessaires à l'unité, qui cherche à s'« approprier », à «assimiler» ou à « absorber » d'autre unité pour s'étendre dans l'existence. Des luttes s'exercent ainsi entre les ordres et organisations qui se saisissent mutuellement comme des désordres et des désorganisations, et peuvent se résoudre par la destruction de l'un par l'autre, par le dépassement dialectique des deux ou la création d'un ordre supérieur équilibrant les antagonistes. Du point de vue de l'ordre, est désordre tout constituant qui tend à se disperser ou à être ordonné ailleurs. Une tension qui se produit chaque fois qu'au moins deux ordres différents s'entrelacent à un même constituant, dans une friction proportionnelle au degré de différence et de puissance entre eux. Alors que du point de vue du système, est désorganisation la tendance des éléments à s'organiser ailleurs, étant « attirés » par la force ou l'attrait des organisations concurrentes.

5. Typologie d'unités générales

L'unité, qui se présente jusqu'à maintenant dans des modèles structurels généraux, sera maintenant distinguée en quatre principaux « types ». Une typologie générale où les unités pourront être situées dans des axes vertical et horizontal, et des degrés d'universalité et d'extension (voir la figure 1), qui nous permettra également de mieux comprendre certains rapports d'emboîtements et d'entrelacements dans l'existence.

12 Nietzsche, Freidrich. La volonté de puissance, §§296-298, 303,304.

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Figure 2 - Typologie des principales unités

Rapport vertical système/élément n_ r~~ O NJ O o a. rs IV QC tV t_ Q_ O Sphère Environnement n_ r~~ O NJ O o a. rs IV QC tV t_ Q_ O Classe Existant Global Extension v Local Abstrait <- -> Concret Universalité

Le premier type, l'existant, est une unité englobant les plus concrètes et singulières unités de l'existence13, l'unité la plus souvent identifiée comme « sujet », voire comme

« substance ». On parlera le plus souvent ici des êtres humains, d'un groupe social (la société, le prolétariat, l'homme, etc.), du vivant (des organismes unicellulaires aux animaux), voire d'une planète pour certains (Gaïa), mais il implique également d'une certaine manière les objets matériels14. Comme nous le verrons, l'existant est à la fois

élément de divers environnements, où il y interagit avec d'autres et y organise d'autres

Son sens est proche de l'« étant » en philosophie.

14 Nous voyons d'abord dans le « sujet » l'unité à partir de laquelle une perspective doit se centrer parmi une multitude de références possibles. Dans le grand jeu d'interdépendance de l'existence, il permet au discours de se simplifier l'existence, en établissant des points de référence pour situer l'action ou la transformation. Le sujet est le plus souvent mouvant dans l'explication, implique une certaine projection de la part de ce qui le définit et de ce qui est privilégié. Toutefois, il n'existe pas pour nous de « sujet » absolu, clairement identifiable ou au « privilège ontologique » dans l'existence. Il y a plutôt que de l'existant qui se transforme constamment, qui se forme et se reforme sans point fixe dans les divers niveaux et dimensions de l'existence, impliquant simultanément une quantité potentiellement infinie d'unités. Un individu agissant dans une entreprise, par exemple, est bien un sujet agissant dans une organisation, mais en même temps, c'est toute l'entreprise à laquelle il fait partie qui « agit » dans la société. De plus, l'individu fait partie de multiples autres unités sociales qui entrent en interaction dans une société. Une société qui elle-même s'entremêle et interagit avec d'autres sociétés. Ensuite, de l'autre côté, l'individu est le « produit » d'une pluralité de sous unités en interaction, c'est-à-dire de cellules, neurones, nutriments, oxygènes, hormones, etc. En somme, aucune de ses unités ne peut servir de sujet « absolu », être la cause première de l'action ; tout dépend de la perspective adoptée.

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unités, en même temps qu'il est intégré dans plusieurs classes l'interpénétrant, ordonnant son existence.

L'existant entre donc en rapport avec d'autres êtres dans un environnement, un deuxième type d'unité générale que l'on peut également identifier comme milieu ou contexte. L'environnement est un champ d'interactions encadrant des rapports entre unités plus concrètes, le plus souvent en fonction d'une proximité (physique, physiologique, culturelle, sémantique, etc.). Il s'exerce dans un même milieu des rapports de complémentarités, d'échanges, de luttes et de synergies, de compétitions et de coopérations. L'existant s'adapte aux contraintes de son environnement en même temps qu'il le mobilise en fonction de lui, le transforme en fonction de sa survie et de ses fins. De multiples environnements englobent simultanément l'existant sur ses différents niveaux ou dimensions : environnement cellulaire pour une cellule, environnement culturel pour une unité discursive, environnement ou champ social pour l'activité humaine, univers pour les corps astraux, etc. Les constituants de l'existant appartiennent le plus souvent à divers environnements, en même temps qu'il est lui-même un environnement pour ses éléments. C'est surtout la perspective du « système/éléments » qui sera le plus souvent utilisé pour l'analyse des rapports entre l'existant et son environnement (on dira aussi un « écosystème »).

Le troisième type, la classe, est l'unité de propriétés ou de principes partagés entre les existants, là où ils sont unis dans l'appartenance à un même genre, catégorie, espèce, type, etc. La classe sera plutôt vue sous l'angle du tout, saisie comme une ordonnance de traits, qualités, caractères, fonctions, aspects, etc. L'existant et ses constituants sont ainsi intégrés à diverses classes, qui ordonneront chacune pour leur part son existence. Alors que les environnements permettent l'organisation des existants dans des rapports d'interaction, les classes prédéterminent l'existant dans des ordres de relations. Elles transcendent ainsi l'existant, l'intégrant dans des unités d'ordres, qui s'emboîtent et se superposent dans son existence. Un individu, par exemple, sera ainsi déterminé à des degrés divers par son appartenance et son identité à diverses classes sociales (genre, communauté, nation, âge, profession, etc.). Environnements et classes fourniront ainsi un ensemble d'ordres et de

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systèmes emboîtés et entrelacés pour les liens entre existants, un jeu de possibles pour l'action et la transformation15.

Enfin, les unités comme classes et environnements seront également englobées par des unités encore plus grandes que nous nommerons sphères16. De vastes unités que nous

distinguerons principalement, plus ou moins selon les habitudes de la science occidentale, en quatre, soit les sphères physique, biologique, sociale et idéelle. Des sphères qui peuvent être différenciées en sous-domaines : dans la biologie, par exemple, on retrouvera la biologique moléculaire, cellulaire, des organismes, des populations... Et elles pourront également être remodelées selon d'autres critères de distinctions : comme unité de l'univers physico-chimique, de la nature (unité de la physique et du monde biologique), de la vie (tout ce qui est au-delà de la physique), de l'anthropologie (unité des dimensions biologiques à idéelles propre à l'homme), etc.17 C'est bien sûr la sphère sociale qui nous

intéressera le plus, en particulier au §6 et au chapitre 5. Elle implique l'ensemble des unités structurées des relations et rapports entre individus, et les modalités de transformation modelant leur devenir18.

L'existence fait alors office d'unité la plus large possible, englobant tout type d'unité et servant d'environnement le plus général pour toutes les interactions. Cette « communauté d'appartenance », en étant la plus vaste, se trouve également à être la plus pauvre en

15 Les existants entrant simultanément en rapport d'interaction dans des environnements et en relation au sein de classes, leur existence et leur devenir impliquent la détermination de multiples unités entre elles. Nous pouvons aussi dire que la transformation de l'existant est le résultat de la conjonction d'une immensité de causes (sciences de la nature) et, s'il y a lieu, de raisons (sciences humaines), en fonction des ordres et organisations impliqués dans l'événement. Ce déterminisme n'est toutefois pas à prendre dans un sens strict de causalité nécessaire et prévisible, mais doit plutôt se saisir dans un sens général, référant aux multiples manières dont un existant est déterminé. Un certain degré de hasard et de contingence a en effet toujours sa place dans les créations imprévisibles d'une évolution non prédéterminée d'avance. En outre, les mêmes causes ne produisent pas nécessairement les mêmes effets, et ceux-ci engendrent toujours une transformation des conditions d'existence, influençant en retour de manières irréversible et irréductiblement nouvelle les causes.

16 Nous parlerons parfois aussi de « niveaux existentiels ».

17 Notre distinction élémentaire en quatre « univers » existentiels laisse également une porte ouverte - mais sans plus, faute de certitudes scientifiques - à d'hypothétiques sphères supérieures, liées aux mondes spirituels et parapsychologiques. Par ailleurs, comme toutes entités vivantes « reconnues » s'intègrent d'abord à une base physico-biologique, la question de l'existence d'êtres sans cette base (fantômes, esprits, etc.) sera également évitée.

18 Dans sa dimension verticale, la sphère englobe l'ensemble des classes d'un niveau d'existence donné,

implique un ensemble général de principes, de lois et de structures communes à chacune d'elles. Quant à sa dimension horizontale, la sphère est l'unité environnementale la plus large d'un niveau, impliquant tous environnements possibles pour des unités de même type.

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détermination, les existants étant plus fortement déterminés par les ordres de l'existant et par leurs interactions au sein d'environnements. L'existence est simplement la condition initiale la plus minimale de tous les existants, le fond de tous les possibles, de toutes les interactions et déterminations. Une simple base sur laquelle se différencient et s'unifient diverses modalités et unités, qui elles forment plus concrètement et « substantiellement » l'existence.

Comme pour nos concepts précédents, cette différenciation typologique des unités n'est évidemment pas absolue ; les types sont aussi et surtout des manières de mettre de l'ordre dans une conceptualisation générale de l'existence, constituée moins par des ruptures que par des continuités entre existants. La distinction stricte entre vivant et non vivant, par exemple, fait toujours l'objet de débats scientifiques. Il n'existe ainsi pas de séparation « claire et distincte », comme pour Descartes, entre les existants ; les délimitations entre les unités sont plutôt question de degrés, se découvrant par évolutions progressives. Une succession de petits sauts qualitatifs qui à mesure d'évolution engendrent des différences devenant plus frappantes entre les existants, en même temps qu'existent entre eux des types plus distinctifs de multiples formes « hybrides ». - Pour des développements supplémentaires sur les unités en générale, voir « création et reproduction » en annexe 1.

6. L'unité sociale

À partir d'ici, nous pouvons maintenant recentrer notre regard sur le champ du social et sur la société, où l'on pourra faire ressortir les caractères structurels de ses unités. L'unité sociale implique tout ensemble de relations et de rapports humains, les contacts, interactions et échanges qui sont encadrés dans des « touts » qui dépassent les individus. On verra donc ce type spécifique d'unité qui maintient ses propres principes et caractères, au-delà des niveaux physico-biologiques ou dimensions humaines « naturelles » sur lesquelles elle s'appuie, et en corrélation avec les niveaux culturel et idéel, à partir desquelles elle va orienter son devenir (voir en ce sens §§8-11).

Tout un jeu de critères peut servir à différencier le social en unités, qui pourront être déterminées relativement à la visée d'explication, dans des possibilités de découpages 19

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potentiellement infinies. On pourra ainsi identifier des unités sociales en fonction de la proximité géographique ou biologique des individus (famille, ethnie, clan, communauté, nationalité, race, etc.), selon leurs rôles ou statuts sociaux (guerriers, prêtres, esclaves, prolétaires, bourgeois, professionnels, etc.), ou selon les types d'activités humaines (économique, politique, religieuse, médiatique, éducative, etc.). Pour les objectifs de notre recherche, nous ferons ici seulement quelques distinctions en vertu des types et modes de structuration des unités vus précédemment, en référence également à certains principes de sociologie générale. De premières bases sociologiques, donc, dans le monde social qui va évidemment bien au-delà de ces premières dimensions systémiques ou plus « mécaniques ».

D'abord, l'interaction et l'association des individus vont former des organisations sociales, terme pris dans un sens large qui comprend toute unité sociale formée « du dessous ». Elles apparaissent partout où les individus coordonnent leurs activités, interagissent par la communication et l'échange, la coopération et la compétition, la domination ou la soumission, etc. Elles peuvent être plus consistantes, comme pour les institutions sociales, ou bien regroupements plus éphémères, comme dans une manifestation. Les unions sont plus spontanées lorsque les individus sont liés par une plus grande proximité biologique ou géographique, et lorsque des intérêts communs sont en jeu. Alors que d'un point de vue plus fonctionnel ou formel, les organisations seront établies en fonction de fins communes (construire, éduquer, soigner, aider, etc.).

Ensuite, au-dessus des interactions se forment en même temps des ordres sociaux, issus de l'objectivation des relations possibles ou contraintes relationnelles entre les individus. Les ordres sociaux sont constitués pour l'essentiel de principes de relations communes, c'est-à-dire de mœurs, normes et coutumes qui sont transmises par la socialisation. Par ailleurs, une partie d'entre eux sont formalisés dans des systèmes de règles et de lois plus contraignantes (rituels imposés, lois de l'État, droits, règles bureaucratiques, etc.), impliquant souvent des sanctions formalisées pour leur non-respect. Ce sont là des ordres établis de manière à encadrer le conflit entre acteurs sociaux. Les plus rigoureux d'entre eux sont les ordres légaux et politiques, qui gèrent les tensions sociales les plus fortes, là où se confrontent le plus les divers ordres.

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Enfin, toute unité sociale implique également une structure de positions sociales (chef, ami, parent, subalterne, ennemi, concurrent, etc.), comportant des rôles et statuts plus ou moins implicites pour les individus. Les positions sociales correspondent ainsi à des « classes de comportements » ou modèles de conduites à prendre pour les acteurs. Tous les individus étant impliqués simultanément dans diverses positions sociales, elles exerceront ensemble une influence et un déterminisme variables sur eux.

L'ensemble des unités sociales, qui sont donc organisées par les rapports sociaux et qui vont ordonner les relations sociales, va finalement former un environnement social pour l'action. Une matrice faite d'un complexe d'emboîtements et d'entrelacements d'unités sociales qui déterminent l'étendue de ses possibles et de ses limites. Les unités sociales impliquent toujours ainsi un degré de structuration par leur « force de loi », qui sera fonction de la consistance de ses relations. Les unités sociales plus denses et consistantes imposent plus solidement leurs modèles à suivre, contraignent à des règles et des sanctions plus strictes, assurant ainsi un développement social plus stable ou plus « prévisible ». Alors que d'autres unités plus ouvertes exercent moins de pression sur l'individu, s'entremêlent en lui avec d'autres plus facilement. Ces dernières leur laissent davantage de marge de liberté, augmentant d'autant leurs possibilités de choix, mais aussi leurs responsabilités individuelles. Une consistance de lois qui est également fonction du pouvoir d'action des différentes unités sociales en jeu, qu'elles soient publiques (royaume, État, gouvernement) ou privées (milice, entreprise, think tank, etc.), et de la légitimité accordée à leur force de contrainte.

Deux individus entrant en discussion, par exemple, vont ainsi former une unité sociale simple, où s'entrelacent idées, sentiments, recommandations, etc. Un système social très fluctuant et instable, impliquant une dynamique d'échange verbale, le suivit de sujets de discussion variables, un degré de respect entre interlocuteurs, des dons et contre-dons symboliques, etc. Ces petites unités, qui naissent et meurent constamment à chaque fois que des individus entrent en interaction, sont aussi encadrées par de plus grandes unités sociales, plus stables et permanentes ; elles sont comme des petits systèmes dans des supra-systèmes sociaux, des interactions encadrées par un contexte social (famille, entreprise, institution sociale, Etat, etc.), par une époque et dans une société. Ces ordres et

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organisations plus consistantes et plus persistantes dans le temps sont également reconnues plus formellement par la société. Elles pourront en outre se coordonner dans un ordre de hiérarchies fortes (les structures étatiques, par exemple) ou à travers une pluralité d'unités en réseau (l'entreprise en réseau, un club de cinéastes amateurs, etc.).

Toutes ces unités sont enfin englobées dans l'unité sociale la plus vaste qu'est la société. Elle forme un immense complexe comportant des bases sédimentées et des mouvements de surface plus fluctuants. En tant que « tout », elle implique également ses propres déterminations sur les individus, au-dessus des nombreuses unités sociales qu'elle englobe. On peut également la différencier en divers types selon les critères retenus (époques, structures, luttes...), comme société « primitive », traditionnelle, techno-bureaucratique, démocratique, moderne, postmoderne, hypermoderne, etc.

7. Autonomisation

À mesure que se poursuivent l'émergence et la différenciation, à mesure que les existants s'intègrent les uns aux autres dans des ensembles d'une plus grande complexité, l'existant développe peu à peu une autonomie. Un cheminement qui s'inscrit également dans l'évolution générale de l'existence, qui elle sera traitée plus en profondeur dans une bonne partie du chapitre 3. Nous nous contenterons plutôt ici de suivre cette tendance chez l'être vivant, dans un petit parcours philosophique qui esquisse à grands traits une évolution échelonnée sur quelques milliards d'années.

L'autonomie, c'est la capacité de l'existant à s'attribuer ses propres normes et à diriger son devenir. C'est le développement d'une progressive capacité d'organisation et d'ordonnance de lui-même à travers son évolution. L'existant, qui est d'abord simple passage du mouvement dans des organisations plus hasardeuses, réaction passive d'ensembles de matière vis-à-vis des forces et énergies environnantes, développe peu à peu des capacités d'accumulation et de (re)canalisation de l'énergie. Une progressive maîtrise de la circulation et du mouvement dans l'existence s'exerce ainsi dans des niveaux d'ordres toujours plus élevés au cœur de la structure d'un même existant - celui-ci devenant davantage la cause du mouvement et de la transformation. On dira, du point de vue de la

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théorie des systèmes, une progressive part d'auto-organisation et d'auto-détermination se constitue dans l'être vivant, des moyens de produire et de se reproduire par soi-même (autopoïèse) et de se renouveler à la suite de l'« expérience » acquise (rétroaction).

Les existants autonomisés développent ainsi une relative liberté par rapport aux ordres qui les englobent et à l'environnement pour organiser de plus en plus par eux-mêmes leurs propres unités et déterminismes : ils deviennent des êtres vivants. Cette autonomie peut être distinguée en deux types. D'une part, elle est interne à l'être vivant, qui se détache progressivement des déterminismes internes et issus de ses classes d'appartenance (ses gènes, sa structure fonctionnelle, etc.). Il développe ainsi des capacités d'action et une liberté de « choix » au-delà de sa structuration initiale ou donnée à la « naissance ». D'autre part, l'autonomie s'accroît par rapport aux déterminismes externes à l'existant, c'est-à-dire issus de l'environnement. Il subit alors de moins en moins l'action, la contrainte ou l'influence des autres existants et devient plus en mesure de s'orienter par lui-même.

À partir de là, nous pouvons saisir la liberté, dans son sens large, comme un certain degré d'autonomie de l'existant, comme marges possibles pour l'auto-orientation de son devenir. L'élévation d'une « puissance » d'exister par l'être vivant, de créer soi-même le développement de l'existence au-delà des limitations de ses ordres, qui poussera rétroactivement plus loin son autonomie. En conséquence, la question de la liberté humaine n'attendra pas une réponse binaire (l'homme est-il libre ou non ?), mais sera plutôt question de degré. C'est-à-dire dans quelle mesure l'homme est-il libre ? Et aussi, qu'est-ce qui est « libre » en l'homme plus précisément ?

Enfin, le développement d'une plus grande auto-organisation de l'être vivant nécessite des capacités plus grandes d'auto-orientation de son développement. La poursuite de son autonomie trouve ainsi ces conditions dans le développement de la réflexivité et de la représentation. Celles-ci lui permettent alors de se situer dans l'environnement, de prévoir la réaction des autres, et de prendre de plus en plus conscience de soi et de ses possibles. Plus un être vivant aura une représentation vaste et développée de son monde -parallèlement aussi à l'extension de ses diverses capacités d'action -, plus il sera en mesure de contrôler les déterminismes qui s'exercent sur et en lui. Ces unités idéelles construiront

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ultimement, comme nous le reverrons dans les derniers chapitres, une représentation des existants et du sens de l'existence.

* * *

8. La structure de l'unité idéelle

La recherche du sens de l'existence et de ses formes socio-historiques nous amènera plus loin à nous pencher plus particulièrement sur les types d'unités relatives au social, à l'idée et à la culture, qui se situent en quelque sorte à mi-chemin entre les deux. Les unités sociale et culturelle étant largement traitées dans les chapitres 5 et 6, nous poserons seulement ici les dimensions plus structurelles et relationnelles de l'unité culturelle. Une saisie de l'idée dans ses ordres et organisations, dans ses rapports d'entrelacement et d'interpénétration avec les autres sphères existentielles, sans que soit approfondi à ce stade de l'analyse son rapport à l'individu et à la société.

9. L'information

L'idée, en tant qu'unité, est d'abord constituée d'informations, qui sont les premiers constituants de sa forme la plus simple. À son état le plus élémentaire, l'information est un signal binaire affirmant la présence ou non de quelque chose, marquant par sa différence une tendance ou un état tendance positif ou négatif. Un signe dual que l'on peut situer dans la genèse du vivant comme information vitale : nourriture/non-nourriture, danger/non-danger, fécond/non-fécond, etc. Ceux-ci s'organisent ensuite dans des systèmes de signes, pour y entrelacer les premières unités relationnelles plus complexes de son unité.

La sphère idéelle et l'information, qui en est à la base, se développent ainsi de manière primitive comme unité supérieure d'ordre et d'organisation pour les besoins du vivant. Les systèmes d'information sont comme des « modes d'emploi » pour l'être vivant, où ils y inscrivent des « procédures » à suivre pour leurs comportements et leur croissance. L'ordre

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idéel dans ses vastes profondeurs est un code ou un programme19. D est une structure

générale et abstraite en quelque sorte superposée aux unités physico-biologiques, au-dessus de leurs jeux de relations et en forte corrélation avec leurs « lois » et « principes ». Les idées se développent comme unités plus flexibles et facilement adaptables que les canaux des ordres inférieurs, permettant conséquemment un plus grand développement des potentialités du vivant et de son autonomie ; en effet, l'idée permet en outre de prévoir et d'anticiper, plutôt que de simplement agir et d'apprendre.

Les structures informationnelles rendent possibles la coordination des constituants de l'être vivant et la communication entre êtres vivants. De manière interne, ils réfèrent aux gènes, aux systèmes hormonaux et neuronaux, et à la circulation dans les schemes opératoires computationnels de base du cerveau (low level process). Tandis que de manière externe, la coordination sera communication, une circulation d'informations entre les êtres ou échanges élémentaires de signes entre émetteur et récepteur (agressivité, accouplement, indication de la présence de nourriture, etc.). L'information est codifiée par un être vivant selon un certain ordre, pour être ensuite transmise dans un canal physique et enfin décodée par un autre.

L'être vivant se construit ainsi des systèmes informationnels en lien avec ses ordres inférieurs, avec ce qu'il saisit de son environnement et dans les possibles ouverts à son niveau d'existence. À l'intérieur de l'ensemble de la sphère idéelle, c'est-à-dire en incluant également ses unités les plus complexes et évoluées, l'information se présente comme des structures de relations des plus strictes et rigoureuses, c'est-à-dire aussi comme les sédiments idéels les plus vastes et ancrés dans l'existence humaine. Elle sera donc aussi, en comparaison avec les formes les plus évoluées de l'idée, le niveau d'ordre idéel le plus limité en possibles et le plus prévisible. Les gènes, par exemple, sont de l'information relativement fixe chez l'être vivant qui reste stable jusqu'à sa mort. Seules des mutations génétiques à travers la reproduction en changeront la composition, c'est-à-dire aussi à

19 L'idée n'est donc pas une entité existante par soi, comme les idées hypostasiées de Platon, mais repose bien sur des configurations de matière qui lui correspondent. Une certaine isomorphic s'inscrit entre les structures de l'idée et ses conditions physiologiques, dans des rapports complexes de multiples ordres superposés et entrelacés. Toutefois, l'idée ne peut trouver dans ces fondations d'ordres inférieurs ses principes « propres », n'est pas un simple épiphénomène dépendant en entier des déterminismes inférieurs, comme pour le naturalisme. Elle constitue plutôt un niveau distinct et supérieur, avec ses propriétés émergentes, interagissant dans son niveau et son propre environnement.

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travers les « erreurs » de retranscription, qui ouvrent en fait la porte à de premiers élans d'évolution.

10. Ordres et classes de l'idée

L'idée dans ses développements plus complexes, que nous voyons d'abord sous l'angle du tout, est constituée d'ordres ayant leurs logiques ou « codes » propres. De manière générale, l'idée est agencée en fonction de classes d'unités supérieures (catégories, genres, types, etc.), eux-mêmes ordonnés dans des ensembles plus vastes (savoirs, théories, idéologies, etc.) et interpénétrés de logiques variées (scientifiques, mythiques, émotionnelles, esthétiques, imaginatives, etc.). Les idées se construisent ainsi selon de vastes ensembles hétérogènes d'ordres de toutes sortes, dont les couches les plus générales sont les langages humains. En somme, l'information se constitue dans des ordres symboliques, de différents niveaux et permettent ensemble de pousser plus loin la complexité de la représentation du monde.

Au sein du langage, les plus petites unités d'ordres idéels sont des symboles : mots, formes, logos, archétypes, images, sons, gestes... Une entité qui représente un ensemble existentiel d'ordre inférieur non présent et condensé dans un signifiant. Le symbole cristallise une structure d'idées pour en faciliter la manipulation et la communication. On le retrouve également à l'état primaire chez certaines « sociétés animales », chez les primates en particulier. On peut donc dire du langage, ou plus spécifiquement des langues chez l'homme, qu'ils sont des ordres d'agencements possibles de symboles, composés de modes de relations et de combinaisons pour la signification de quelque chose pour quelqu'un. Un cadre structurel qui permet donc la communication et la coordination sociale.

Quant aux théories, doctrines, philosophies, dogmes religieux, etc., ils sont aussi de vastes ordres disposant d'un cœur de propositions, de relations plus fortes et d'idées cohérentes avec ce qu'elles visent ou représentent. Une théorie, par exemple, est une organisation d'idées en fonction d'un objet de recherche, dont en découlent des postulats, axiomes, principes méthodologiques et d'intelligibilités. Une logique d'ordonnance qui s'exerce à travers ses divers principes d'attraction/éloignement d'idées. Un ordre idéel qui

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Figure 2 - Typologie des principales unités
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