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À la recherche des sens cachés

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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HAL Id: hal-01422852

https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01422852

Submitted on 27 Dec 2016

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Liudmila Fedorova

To cite this version:

Liudmila Fedorova. À la recherche des sens cachés : Sur la traduction de la phraséologie dans un texte de Rabelais. Etudes et travaux d’Eur’ORBEM, Paris : Eur’orbem, 2016, Proverbes et stéréotypes : forme, formes et contextes, 1 (1), pp.113-138. �hal-01422852�

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1 / 2016

À la recherche des sens cachés

s ur la traduction de la phraséologie

dans un texte de r abelais

Liudmila L. F edorova

RGGU (Moscou)

décembre 2016, pp. 113-138

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IntroductIon

Point de départ

L

e sujet de cette étude est issu de l’analyse comparative d’un fragment du texte sur l’enfance de Gargantua (chapitre 3 du 1er livre de F. Rabelais) et de sa traduction en russe, faite par Nikolaj Lubimov dans les années 1960, ainsi que de la traduction en po- lonais, réalisée dans les années 1930 par Tadeusz Boy-Żeleński.

Quand il se penche sur le texte français – sur la description de la conduite du petit héros de Rabelais –, le lecteur est tout d’abord frappé par la représentation du petit Gargantua sous les traits d’un personnage stupide et niais. M. Bakhtine avait noté cette particularité, avançant que Gargantua se conduisait comme le sot des proverbes – celui dont la conduite est toujours en contradiction avec les normes, le bon sens et le sens commun.

Nous supposons que les caractéristiques attribuées par Rabelais à son héros répondent à une image stéréotypée qui peut être parallèle à celle du sot russe dans la traduction de Lubimov, ainsi que du sot polonais dans la version de Żeleński. En outre, nous supposons que chaque langue a ses propres stéréotypes du sot. C’est le point de départ de notre recherche.

Références

Cinq siècles après l’apparition du livre de Rabelais (1531), une grande quantité de commentaires et de travaux de recherches ont été effectués en français ainsi qu’en russe1. On pourrait croire

1. Parmi les travaux les plus importants et les plus accessibles, nous nous reporterons surtout au livre désormais classique de Bakhtine sur Rabelais (Bakhtine, 1970). En russe, citons l’étude d’Irina Popova sur le « carnaval lexique » de Rabelais et la traduction du livre de Grasset d’Orcet sur le « langage des oiseaux » (Popova, 2006 ; Grasse d’Orse, 2006). S’agissant des publications en français, outre la Revue des études rabelaisienne, consacrée à l’œuvre de l’écrivain, mentionnons l’ouvrage de François Rigolot sur les langages rabelaisiens, le petit livre de Jean Yves Pouilloux (Rigolot, 1996 ; Pouilloux, 1993). De même, la thèse de Marie Proshina qui porte sur Rabelais et Montaigne mérite l’attention du lecteur, qui y trouvera une importante

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que tout a été déjà dit, or les images de Rabelais gardent toujours quelques énigmes. Elles peuvent être déchiffrées à la lumière d’une étude des origines populaires, comme l’avait proposé Bakhtine.

Il faut alors se tourner vers le folklore, les proverbes, la phra- séologie où plutôt vers les dictionnaires et commentaires, ainsi que vers les locuteurs de la langue vivante. Dans l’analyse des textes, nous avons consulté des dictionnaires français, russe et polonais2. Nous avons, bien entendu, eu recours aux grandes col- lections de proverbes russes composées par Vladimir Dahl et par Moritz Mixel´son (Dal´, 1957 ; Mixel´son, 1992).

Pour mieux comprendre la langue et la réalité de l’époque de Rabelais nous avons également utilisé les commentaires faits par Le Duchat dans l’édition d’Amsterdam (Rabelais, 1741) ainsi que ceux du Glossaire-index de l’édition de 1906 (Rabelais, 1906).

Enfin, nous avons interrogé plusieurs slavistes français et étran- gers3, et utilisé les résultats de questionnaires soumis à des étu- diants français de Moscou, Grenoble et Lausanne.

But de l’étude

Nous avons abordé le texte de Rabelais avec un objectif concret : trouver des traits communs et différents dans les repré- sentations du sot russe et français en nous appuyant sur la com- paraison des formules françaises et russes décrivant le compor- tement de Gargantua. Nous avons ajouté des matériaux polonais pour vérifier nos hypothèses de travail.

2008). Les travaux effectués dans le premier tiers du xxe siècle sont toujours dignes d’intérêt. L’on pense notamment au livre de Leo Spitzer sur le style de Rabelais, aux commentaires d’Abel Lefranc responsable de l’édition des Œuvres de F. Rabelais de 1912 à 1931, au livre de J. Plattard qui reçut, en 1910, le prix de l’Académie Française, ou encore au travail de Lazare Sainéan sur la langue de Rabelais (Spitzer, 1910 ; Lefranc, 1953 ; Plattard, 1910 ; Sainéan, 1922-1923). Enfin, ce petit tour d’horizon ne serait pas complet sans l’ouvrage que Michael Screech a consacré à Rabelais en 1979, paru des années plus tard en français (Screech, 1992).

2. Voir en fin d’article les sources lexicographiques utilisées.

3. Merci à Stéphane Viellard, Liudmila Kastler, Ekaternia Velmezova, Ewa Białek et Olga Katrechko.

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AnAlysetheorIque L’image du sot

L’image du sot dans des proverbes est toujours comique, c’est un personnage suscitant le rire, la moquerie voire l’injure. Il fait tout de travers, en dépit du bon sens. En cela, il nous ramène aux principes de l’ordre universel et du sens commun. Le sot agit selon la nature et non par habitude, il voit ce qui échappe aux autres, révèle ce que le monde a perdu, réfléchit lorsque d’autres savent, il appelle les choses par leur propre nom. Sa naïveté le rapproche du « premier homme au monde »4, tel que le represente Armen Grigorjan (2008), il découvre le monde et l’arrange comme le fait un enfant. Cette ressemblance permet à Rabelais d’établir une transition entre l’image de l’enfant et celle du sot dans ses diverses manifestations et par rapport au monde des adultes.

Mais Gargantua n’est pas un sot, Rabelais n’entendait pas le représenter comme le sot des proverbes. C’était un héros des lé- gendes populaires, de la « Grande Chronique » – un géant-gentil- homme qui accomplissait des exploits grâce à sa force colossale, gouvernait son peuple, savait vaincre ses ennemis et conquérir des terres étrangères. Ce personnage populaire incarne l’esprit de l’époque, son humeur et son goût carnavalesque. Dans la descrip- tion de ses habitudes et de ses occupations d’enfant, il est présenté comme d’humeur enjouée, tandis que tous ses traits le rattachant au sot et au garnement sont exagérés pour un effet de comique.

Le genre du « coq-à-l’âne»

Les procédés de Rabelais relèvent du burlesque : il joue lui- même avec les stéréotypes linguistiques en employant des pro- verbes et des idiomes renversés et modifiés dans le genre du

« coq-à-l’âne ». Ce genre médiéval, dont le nom montre le caractère inconséquent de la conduite, suppose un enchaînement de phrases liées sans raison, sans logique mais associées par hasard ainsi que

4. Le sot comme premier homme est étudié par A.G. Grigorjan (Grigorjan,

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par assonances et rimes. Le conteur mêle la vérité et la plaisanterie, les sens propre et métaphorique, il tend des pièges pour duper son lecteur. Rabelais replace les formules dans leur contexte original en les développant ; le sens premier réactivé, il fait calambour avec des sens figuratifs reculés – ce qui rend le texte plus profond et plus complexe, son sens n’étant pas toujours transparent (selon Dmitrij Dobrovol´skij, 2007, c’est la modification de double actualisation).

Nous pouvons suivre l’idée de l’auteur et essayer tout d’abord de lire le texte littéralement, puis réinterpréter certaines expres- sions en fonction de leur sens caché.

Les stratégies de Rabelais et des interprètes

Dans le fragment étudié, on dénombre 68 locutions caractéris- tiques. 45 d’entre elles sont soit des formules et phraséologismes, soit leurs modifications. 23 sont des locutions créées librement par l’auteur. Rabelais commence sa description par des locutions libres, puis il s’engage de plus en plus dans un jeu de formules fixées en les détruisant. Nous voyons que, dès le début Gargantua, est présenté comme un enfant tout à fait ordinaire : il se mascarait le nez, se chauffourait le visage, patrouillait partout, il aimait à faire bonne chère et s’amuser. C’est un enfant qui n’a pas le sens de la propreté et dont le comportement rappelle naturellement le comportement typique de beaucoup d’enfants mal élevés. Aussi ces descriptions sont-elles traduites littéralement.

Mais en développant le sujet, l’auteur nous montre des choses de plus en plus étranges : Gargantua « beuvoit (buvait) en sa pantoufle, se frottoit (frottait) ordinairement le ventre d’un panier, ses mains lavoit (lavait) de potaige, ses dens aguysoit (aiguisait) d’un sabot, se pignoit (peignait) d’un goubelet, se couvrait d’un sac mouillé », etc – autant de comportements qui peuvent sembler bizarres. Cette impression est confirmée par les résultats d’une enquête menée auprès d’étu- diants français qui n’ont reconnu ici des locutions fixées que dans un cas : beuvoit en sa pantoufle (remarque d’autant plus intéressante que cette expression est absente des dictionnaires phraséolo- giques, où l’on trouve en revanche: « se couvrir d’un sac mouillé »).

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Ces locutions sont, elles aussi, traduites littéralement, parce que ce qu’elles décrivent est extraordinaire et imprévisible.

En suivant les détours de la description nous voyons que le héros change d’image : tour à tour novice inhabile, rêveur naïf, gobe-mouches, flâneur nonchalant et même chasseur malchan- ceux, chapelain hypocrite, paysan niais et parfois fripon. La stra- tégie de Rabelais consiste à mêler toutes ces images et à mé- langer la conduite raisonnable et absurde, malicieuse et niaise, ordinaire et drôle, digne d’éloge ou de blâme – comme il est na- turel à l’esprit carnavalesque de la culture populaire médiévale dont le caractère ambivalent a été analysé par Bakhtine.

Les interprètes suivent la méthode de Rabelais, mais ils puisent leurs images dans la tradition culturelle et selon les possibilités de la langue. Ainsi, Lubimov donne les 68 traductions en répétant tous les détours de la description, tandis que Żeleński en donne seulement 51 en omettant les passages où le sens des locutions a un rapport au chapelain qui, vraisemblablement, ne convient guère aux anecdotes de la tradition polonaise – selon laquelle un homme d’église ne doit pas être moqué. Aussi les formules d’ivresse sont- elles omises (escorchoyt le renard, tiroyt au chevrotin, faisoyt gerbe de feurre aux dieux). Parfois, Żeleński ajoute des formules synony- miques qui expriment l’idée de sottise ou de passe-temps oisif.

Stéréotypes culturels et formules de langage

Les moyens linguistiques que Rabelais utilise sont des proverbes et des phraséologismes dans leurs modifications particulières. Ils relèvent de stéréotypes culturels, qui, selon J. Bartmiński (2005), peuvent avoir plusieurs formes : topiques – des sentences communes en locutions libres (par exemple « tous les cordonniers boivent ») –, formules de langages où les stéréotypes sont affirmés (« ivre comme un cordonnier », « jurer comme un cordonnier / charretier » ; « les cordonniers sont toujours les plus mal chaussés »), et idiomes de sens figuré qui ne sont pas transparents quant à leur forme (« écor- cher le renard / écorcher le bouc ») et dont le sens ne peut pas être tiré de la signification de leurs parties (Dobrovol´skij, 2007).

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Hypothèses Nous pouvons supposer que :

• dans ses habitudes enfantines Gargantua est représen- té selon les stéréotypes culturels à peu près universels quant au temps et au pays – ce qui permet de les traduire par des topiques et par des formules directes ;

• la conduite inattendue et comique ne peut pas être ty- pique, et c’est ce qui explique leur traduction littérale ;

• en revanche, le comportement du sot et du niais a ses mo- dèles propres, des situations-étalons dans chaque culture ; c’est pourquoi ces modèles sont rendus par des formules et expres- sions au sens figuré et sont traduits autrement, par des formules propres à la langue de la traduction.

Proverbes-prescriptions

Pour mieux comprendre les procédés de Rabelais, exami- nons maintenant la composition logique propre à une grande classe de proverbes. Nous ne prétendons pas faire ici une clas- sification quelconque, bien que de nombreuses recherches soient consacrées à ce problème et qu’il n’y ait pas de consen- sus parmi les auteurs (Baranov & Dobrovol´skij, 2008 ; Barley, 1984 ; Kanyó, 1984 ; Krikmann, 1984a et b ; Permjakov, 1979). Les traits des proverbes de cette classe, observés habituellement, représentent la généralité et le sens prescriptif, qui peut être exprimé par la modalité impérative ou affirmative ou encore prédictive. Les proverbes sont pour la plupart constitués par des expressions dont le sens direct est évident et suppose des implications prescriptives.

Modèle prescriptif impératif :

Agis ainsi (de telle manière / dans telles circonstances / avec tels moyens, etc.) – N’agis pas autrement :

Ne fais pas d’un fou un messager

Choisissez votre femme par l’oreille (bien plus que par les yeux) Modèle prescriptif affirmatif à modalité obligatoire :

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• Il faut toujours agir ainsi (de telle manière/dans telles cir- constances / avec tels moyens, etc.) :

Il faut battre le fer pendant qu’il est chaud Il ne faut pas courir deux lièvres à la fois

Il existe des modifications syntaxiques impersonnelles : À cheval donné on ne regarde pas la bouche / (à) la bride / (à) la dent /en la gueule

Des modifications logiques prédictives

Le modèle commun peut avoir des modifications logiques pré- dictives sous deux formes : positive et négative.

Positive :

• Qui agit ainsi, obtient un résultat positif : Qui bien commence, bien avance.

Négative :

• Qui agit autrement, obtiendra un résultat inadéquat/nul : Qui trop embrasse, mal étreint

Qui compte sans son hôte, compte deux fois

Les implications d’appréciation éthique et intellectuelle sont évidentes :

• Qui agit ainsi, est sage

• Qui agit autrement, est un sot/ fou.

Du proverbe à la locution

Puisque le résultat est bien connu, l’implication est sous- entendue – ce qui permet d’employer la partie essentielle du proverbe comme locution : mettre la charrue avant les bœufs, courir deux lièvres à la fois.

Quand les modalités prescriptives ou prédictives sont per- dues, le sens figuré de la locution prend le pas sur le sens propre (quoique le proverbe exploite le sens propre !) ; les implications d’un comportement stupide sont conservées (mais elles peuvent être perdues parfois : serait-il sage ou fou de vouloir que maille à maille on fasse les haubergeons ?)

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C’est ainsi qu’un proverbe peut se transformer en locution.

D’ailleurs, selon A. Potebnja (1894), les proverbes avaient leur origine dans les fables. Bien que toutes les locutions ne proviennent pas de proverbes, elles ont toujours pour origine une situation particulière.

L’on constate, chez Rabelais, les modifications syntaxiques des proverbes en forme personnelle et parfois avec négation, syn- taxique ou sémantique (selon le modèle de départ) – ce qui lui permet de ranimer le contexte et réaliser la métaphore : « il bat- toyt à froid » <= Il ne battait pas le fer pendant qu’il était chaud

<= Il faut battre le fer pendant qu’il est chaud .

Nous considérons que les situations qui autorisent le choix antinomique (entre ainsi et autrement) servent d’étalons pour reconnaître un fou ou un sot. Dans ce domaine, chaque tradi- tion culturelle possède ses propres exemples (quoiqu’ils puissent parfois coïncider). Les situations qui exigent l’ordre naturel ou approuvé des actions peuvent également servir d’étalon.

Les formules et locutions expriment le comportement stupide en fixant le choix contraire au naturel et l’ordre renversé des actions.

AnAlysedestextes Images du sot

Ainsi nous pouvons comparer des exemples du texte origi- nal avec leurs traductions russe et polonaise. Rabelais découvre l’image de son héros sous la forme de différents avatars : l’on rencontre non seulement un enfant-plouc, mais un sot maladroit, un niais, un songe-creux, et même un fripon.

Un sot maladroit

La plupart des exemples montrent Gargantua comme un sot maladroit : il commence toujours à l’envers, agit de travers, d’une manière inconséquente ou inhabile. Les parallèles dans les tra- ductions multiplient des situations modèles (les corrélations di- rectes sont données sans traduction ; des formules de langage françaises sont en italique) :

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Tableau 1

Texte original Equivalent en russe equivalent en polonais 34*. mettoyt la charrette

devant les beufz начинал не с того конца [commencer par l’autre bout ; commencer par le mauvais bout].

Łowił ryby przed niewo- dem (28) [il pêchait (le poisson) avant la senne] ; mówił hop, zanim przes- koczył (29) [il disait “hop!”

avant de sauter ; il ne faut pas se moquer des chiens qu’on ne soit hors du village]

35. se grattoyt où ne luy

demangeoyt poinct обжегшись на молоке, дул на воду [s’étant brûlé avec le lait il soufflait sur l’eau ; chat échaudé craint l’eau froide]

drapał się, gdzie go nie swędziało (31)

37. trop embrassoyt et peu

estraignoyt гонялся за двумя

зайцами [il courrait deux lièvres à la fois ; on ne court pas deux lièvres à la fois]

budował domy na piasku (32) [bâtir les maisons sur le sable]

38. mangeoyt son pain blanc

le premier любил, чтоб нынче

у него было густо, а завтра хоть бы и пусто [il aimait avoir beaucoup aujourd’hui, sans penser à demain]

43. faisoyt chanter Magnificat à matines et le trouvoyt bien à propous

в будний день ударял в большой колокол и находил, что так и надо [le jour ouvrable il faisait sonner de grandes cloches et croyait que c’était ainsi qu’il fallait faire]

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44. mangeoyt choux et

chioyt pourrée целился в ворону, а попадал в корову [il visait une corneille, mais touchait une vache]

opasywał się siekierką, podpierał się workiem (37) [se ceignait avec une hache, se soutenait avec un sac]

51. comptoyt sans son

houste не спросясь броду,

совался в воду [il entrait dans l’eau (dans la rivière) sans avoir de- mandé le gué ; regardez-y à deux fois]

rachował się bez gospo- darza (44)

52. battoyt les buissons sans

prandre les ozillons оставался на бобах [il restait «avec des fèves» – sans rien ; revenir bredouille]

56. de son poing faisoyt un

maillet прыгал выше носа [il

sautait au-dessus de son nez]

mur przebijał głową (30) [enfonçait le mur par sa tête]

60. saultoyt du coq à l’asne начинал за здравие, а кончал за упокой [com- mençait (par la prière) pour la santé et finissait (par la prière) pour le repos de l’âme ; com- mencer avec des rires et finir avec des pleurs]

61. mettoyt entre deux

verdes une meure в бочку дегтя подливал ложку меду [il jetait une cuillère de miel dans un tonneau de goudron ; un peu de fiel gâte beau- coup de miel]

szukał dziur na całym (51) [cherchait le trou sur (le tissu, vêtement) intact]

62. faisoit de la terre le

foussé хвост вытаскивал,

а нос у него завязал в грязи [tandis qu’il tirait sa queue, son nez s’embourbait (comme un oiseau)]

* Ordre d’apparition dans le texte.

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On relève également des exemples de traduction mot à mot des images qui coïncident (ou semblent coïncider) :

Tableau 2

17. se asseoyt entre deux

selles le cul à terre садился между двух стульев [s’asseyait entre deux chaises]

siadał między dwa krzesła zadkiem na ziemi 19. beuvoyt en mangeant sa

souppe запивал суп водой popijał jedząc zupę

25. se cachoyt en l’eau pour

la pluye от дождя прятался в

воде chował się przed

deszczem pod rynnę [sous un chéneau]

26. battoyt à froid ковал, когда остывало kuł żelazo, kiedy wystygło 47. ratissoyt le papier скоблил бумагу psuł papier (42) 48. chaffourroyt le

parchemin марал пергамент bazgrał po pergaminie

(43)

La locution « se cacher dans l’eau de la pluie » (c’est-à-dire

« pour éviter un danger s’abandonner à un autre ») a des va- riantes : « se cacher sous un chéneau » en polonais, la version russe Ot doždja da pod kapel´ : « de la pluie sous l’eau tombant du toit » ; cette locution n’est plus utilisée de nos jours. Mais nous avons une situation-type parallèle et une locution bien parlée:

iz ognja da v polymja – « [tomber] du feu dans la flamme » (ou

« tomber de poêle en braise »). Il y a tout de même, dans ces for- mules russes, un autre sens qui domine : ce n’est pas la sottise qui pousse quelqu’un à tomber d’un danger dans un autre, mais c’est plutôt les vicissitudes de destin.

L’autre locution fixée, « s’asseoir entre deux selles le cul à terre », ressemble à l’expression « russe s’être assis sur deux selles à la fois » –, en d’autres termes, « être au service de deux maîtres » ou encore « être valet de deux seigneurs ». Le résultat négatif, qui est présent en français, est rendu par une autre locution : s’asseoir dans la flaque – c’est-à-dire « faire une gaffe ». D’ailleurs, Mixel´son donne la version russe qui correspond au texte fran- çais, mais elle n’est plus utilisée de nos jours. La formule réduite

(14)

est plus répandue : « s’asseoir entre deux selles » dans le sens de position indéfinie : elle est exploitée dans le titre du roman d’E. Kljuev – « Entre deux selles » (Meždu dvux stul´ev, Kljuev, 2006) – dont le nom artificiel du personnage, Petropavel, illustre déjà cette position entre « deux selles », son détenteur se trouvant toujours entre la réalité et la fiction. Ces comparaisons montrent la non-coïncidence du sens dans les formes semblables, ou plu- tôt la polysémie et la divergence de sens.

Un niais, un gobe-mouches, un flâneur

Une autre image de sot qui reflète la variété de formules et expressions est celle du gobe-mouches, du flâneur ; il profite des divers passe-temps que lui offre l’oisiveté. Plusieurs locutions, avec de petites modifications lexicales semblent répéter à peu près l’original :

Tableau 3

5. Baisloit souvent au

mousches ловил частенько мух ziewał, aż mu muchy do gęby wpadały

6. et couroit voulentiers après les parpaillons, desquelz son pere tenoit l’empire

и с увлечением гонялся за мотыльками, подвластными его отцу

i uganiał chętnie za motylami zamieszkują państwo jego ojca cymi 22. souvent crachoyt au

bassin частенько плевал в

колодец [au puits] spluwał raz po raz do niecek

Le dernier exemple fondé sur un sens propre, à peu près le même dans les trois langues, rend des sens figurés différents : en russe c’est la modification du proverbe Ne pljuj v kolodec – prigo- ditsja vody napit´sja (Ne crache pas au puits – il peut être utile pour boire de l’eau ≈ Il ne faut pas dire : Fontaine, je ne boirai pas de ton eau – ce qui décrit une situation bien différente de cracher au bassin.

Le développement de la signification conduit à l’homonymie.

Mais la plupart des sujets sont propres à des traditions cultu- relles particulières, ils représentent des parallèles indirects aux locutions du texte original :

(15)

Tableau 4

39. ferroyt les cigalles толок воду в ступе [piler

de l’eau dans un mortier] podkuwał żabom nogi (35) [il ferrait des pieds aux grenouilles]

45. congnoissoyt mousches

en laic не плутал только в

трех соснах [il s’est perdu entre trois pins ; se perdre entre trois sapins]

studnie stawiał na piecu (38) [il mettait le puits au poêle]

46. faisoyt perdre les pieds

au mousches переливал из пустого в порожнее [il versait l’eau du vide dans du creux]

wodę czerpał przetakiem (39) [il puisait l’eau avec un tamis] ; ryby łowił widłami (40) [il pêchait le poisson avec la fourche] ; sarny strzelał makiem (41) [il tirait aux chamois avec des grains de pavot]

57. prenoit les grues du

premier sault черпал воду решетом [il puisait l’eau avec un tamis]

chwytał parę srok za ogon (45) [il prenait deux pies par la queue à la fois]

Un songe-creux

Un autre avatar du fou est le niais, le songe-creux. On en relève des exemples :

Tableau 5

27. songeoyt creux ловил в небе журавлей [il prenait les grues dans le ciel ; un tiens vaut mieux que deux tu l’auras]

myślał o niebieskich migdałach [il rêvait aux amandes du ciel]

53. croioyt que nues feussent pailles d’arain et que vessies feussent lanternes

полагал, что облака из молока, а луна из чугуна [il croyait que les nuages sont faits de lait et la lune de fonte]

56. vouloyt que maille à maille on feist les hau- bergeons

клевал по зернышку [il béquetait grain après grain]

szukał wiatru po świecie (46) [il cherchait du vent par le monde (rus. : dans le champs)]

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63. gardoyt la lune des

loups охранял луну от волков

(traduciton littérale) 64. si les nues tomboient

esperoyt prandre les alouettes

считал, что если бы да кабы у него во рту росли бобы, то был бы не рот, а целый огород [il croyait que si des fèves avaient poussé dans sa bouche cela aurait été un vrai potager]

czekał, aż mu pieczone gołąbki wpadną same do gąbki (49) [il attendait que des pigeons tout cuits lui tombent dans la bouche]

Les rêves creux s’élancent plutôt vers le ciel.

Presque toutes les locutions dans les traductions sont des modi- fications de formules clichés. Une exception significative est la tra- duction de « croioyt que nues feussent pailles d’arain et que vessies feussent lanternes » par la phrase avec rime composée par Lubimov :

« ... oblaka iz moloka, a luna iz čuguna » (des nuages de lait et la lune de fonte), qui n’a pas de correspondance avec la phraseologie.

Un fripon

L’autre avatar du sot qui apparaît comme une de ses images est le fripon, ou plutôt le paysan à l’esprit pratique : il renverse les normes sociales en n’en faisant qu’à son aise. La conduite approuvée consiste à faire hommage à ses proches et respecter leurs intérêts ; Gargantua le fait en cas de nécessité. Cependant, lorsque ses propres intérêts sont en jeu, il va à leur encontre, et donne en échange ce qu’il reçoit des autres ; il suit la logique du bon sens, primaire, indifférent à ce qu’auraient voulu les normes sociales ou la bienséance :

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Tableau 6

42. faisoyt gerbe de feurre

aux dieux жертвовал богу то, что

не годилось ему самому [il donnait à dieu quelque chose dont il n’avait pas besoin]

sypał wróblom soli na pośladek (36) [il versait du sel sur la queue des moineaux]

54. tiroyt d’un sac deux

moustures c одного вола драл

две шкуры [il tirait deux peaux d’un boeuf]

55. faisoyt de l’asne pour

avoir du bren дурачком прикидывался, а в дураках оставлял других [il faisait le fou pour que les autres soient dupes]

59. de cheval donné tousjours reguardoyt en la gueulle

даровому коню неукоснительно смотрел в зубы

darowanemu koniowi zaglądał w zęby (47) 65. faisoyt de necessité

vertus по одежке протягивал

ножки [il ménageait ses pas selon son vêtement étroit]

66. foisoyt de tel pain

souppe всегда платил той

же монетой [il payait toujours avec la même monnaie]

67. se soucioyt aussi peu des raitz comme des tonduz

на все чихал с высокого дерева [il éternuait à tout d’un arbre haut]

troskał się o zeszłoroczny śnieg (50) [il se souciait (seulement) de la neige de l’année dernière]

Des motifs communs et spécifiques

La recherche des sens cachés permet non seulement de suivre les idées de l’auteur et des traducteurs, mais aussi de trouver les traits spécifiques du tableau que la langue et la culture nous imposent.

Les motifs communs peuvent avoir des sujets divers, des ob- jets et circonstances différents. Cela est manifeste quand il y a substitutions de formules de sens commun dans les traductions.

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Peut-on voir ici des traits culturels spécifiques ?

On peut remarquer que, dans le texte français, le plus souvent le passe-temps oisif est lié aux oiseaux, aux mouches, ce qu’on a de la peine à saisir et à retenir : ferrer les cigales, faire perdre les pieds aux mouches, connaître mouches en lait (cette phrase de François Villon ne signifie que « distinguer le blanc du noir », mais le contexte soutient le sens propre), prendre les grues du premier saut, battre les buissons sans prendre les oiseaux et même si les nues tombent espérer prendre les alouettes ; en russe cet objet insaisissable prend plutôt l’aspect de l’eau, lorsque l’on veut piler dans un mortier5, verse du vide dans du creux ou puise avec un tamis. La traduction polonaise utilise le motif de l’eau, elle aussi, mais dans un seul exemple (il puisait l’eau avec un tamis). Elle joue plutôt avec le lexique des petits animaux : des poissons, des grenouilles, des pies, des moi- neaux et des chamois. La préoccupation principale du Gargantua

« polonais », comme de son original français, est de les attraper (il ferrait des grenouilles, pêchait des poissons par la fourche et devant la senne, il tirait des chamois par des grains du pavot, il versait du sel aux moineaux pour les attraper, prenait des pies dans le ciel et songeait des pigeonnes tombantes du ciel toute cuites dans la bouche). Ces images et scènes sont tirées du folklore où elles constituent des formules fixées modifiées dans le texte.

Un autre motif commun est celui du mouvement sans but. Ce motif est présent au début du texte (patrouiller par tout lieux) et est développé plus loin. Le plus souvent le personnage français se tourne dans l’espace étroit du foyer, de la basse-cour (où il tourne les truies au foin et retourne à ses moutons, met la charrette devant les beufz, saute du coq à l’âne – on a là un vrai carnaval des animaux !), tandis que le Russe flâne, musarde plutôt dans un espace extérieur plus ou moins vaste – « entre trois pins » et dans la forêt – où il court deux lièvres à la fois et où il faut crier Ahu? pour ne pas se perdre, où il chasse près de la rivière dans laquelle il entre sans connaître le gué. Le sot polonais, comme le russe, cherche du vent par le monde (russe : Išči vetra v pole ! [Cherche du vent par les champs !]). On

5. Notons que cette expression existe aussi en français.

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note, dans les études de folklore et la langue russes (Sinjavskij, 2001 ; Berezovič & Leont´eva, 2007), ce motif d’errance caractéris- tique du sot qui va parfois n’importe où, mais toujours au loin – littéralement « où ses yeux regardent » (kuda glaza gljadjat), où le vent le pousse (russe : S durnoj golovoju nogam net pokoju [Qui a la tête sotte, n’a pas de repos pour ses pieds])6.

D’autre part, ce motif du mouvement sans but est associé en français à celui du bavardage, de la conversation futile et incohé- rente (retournons à nos moutons, tourner la truie au foin, sauter du coq à l’âne) ; tandis qu’en russe le motif des paroles creuses est associé au vidage de bassins et aux actions vaines avec l’eau – c’est le fait de tourner autour du pot ou plutôt l’absence de mouvement dans les paroles et les idées.

Il est intéressant de remarquer que derrière les images de la basse-cour on peut deviner non seulement la figure du pay- san, mais aussi le masque du chapelain hypocrite – dans ces pa- roles rhétoriques et des d’autres actions du passage : il faisoyt le sucré, disoit la patenostre du cinge, battait le chien devant le lion, il escorchoyt le renard ; on peut comprendre qu’il buvait trop et, en même temps, qu’il renonçait à ses péchés – et de nouveau re- venait à ses moutons. Écorcher le renard, selon Grasset d’Orcet, un des interprêtes de Rabelais, signifie ‘renier’7. Dans le texte russe l’image explicite du chapelain n’est pas conservée, quoi qu’il y ait un apprenti ou un sacristain inhabile (le jour ouvrable il sonnait la grand cloche). La métaphore religieuse est ainsi main- tenue dans cette version alors qu’elle est absente du texte po- lonais, supprimée pour des raisons de censure religieuse. Ces divergences sont de toute évidence dues à des traditions cultu- relles, des valeurs attachées à certains sujets dans les blagues, les injures ou les compliments.

6. Cf. en français : Quand on n’a pas de tête, il faut avoir des jambes.

7. D’Orcet, qui étudiait « la langue des oiseaux » – la langue secrète des al- légories de l’Europe médiévale, decrivait un rituel ancien pendant lequel le renard escoursé représentait le renard escorché (écorché), c’est-à-dire le diable

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Cette comparaison permet de souligner aussi le caractère ac- tif du personnage français et passif du personnage russe. Le sot russe est paresseux et rêveur, ses activités (piler l’eau dans un mor- tier, verser l’eau du vide dans du creux) dénotent l’absence de curio- sité, il est disposé à becqueter grain après grain et à méditer sur le fait que si des fèves poussaient dans la bouche – ce serait un potager...

Au contraire, le sot français, aussi que le polonais, est inventif, il est toujours préoccupé, toujours actif, et ses occupations sont proches du divertissement : il ferre les cigales (ou grenouilles), prend les grues et alouettes (ou pies) dans le ciel, tire au chevrotin et aux oiseaux (ou chamois avec des graines de pavot), pêche des poissons avec la fourche et avant la senne, il embrasse trop et peu étreint, ses rêves sont pratiques : il fait des projets pour prendre des alouettes si des nuages tombent ; parfois il sait bâtir des maisons sur le sable, tirer deux moutures d’un sac, faire l’âne pour avoir du bren et faire souppe de tel pain ; il est parfois malicieux, parfois fait le sucré – cette ambiva- lence est typique de la culture populaire du Moyen Âge. Le sot semble le plus actif et énergique (enfonçait le mur par sa tête), ses activités sont plus nombreuses et variées.

Tableau 7

Motif Sujets (détails) du texte

français Sujets

du texte russe

Sujets du texte polonais Occupations

oisives : saisir l’insaissable

oiseaux, cigales, mouches l’eau oiseaux, grenouilles, poissons Errances sans but dans la basse-cour en dehors (en dehors) Bavardage vide va-et-vient dans la basse-

cour action de verser de

l’eau absent

Motif religieux chapelain de rhétorique

hypocrite apprenti inhabile absent

Ivresse écorcher le renard, tirer au chevrotin ; faire gerbe de feurre à Dieu ; cracher au bassin

écorcher le bouc ; crier comme une grue

absent

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Activité préoccupé paresseux préoccupé, énergique Nous savons qu’il s’agit toujours d’un seul et même person- nage, mais nous pouvons constater des différences et reconnaître les sens cachés. L’écart entre l’image est dû à une différence cultu- relle, elle-même engendrée par les autostéréotypes culturels fixés dans des langues. Notre hypothèse de départ est donc confirmée.

D’ailleurs, nous constatons que ces observations préliminaires faites sur la base d’un seul texte relativement court, et surtout ap- partenant à un seul auteur, ne peuvent pas être généralisées. Mais l’auteur en question est un grand maître qui savait reproduire l’esprit et le discours populaire, et ces traductions sont aussi le fait de grands maîtres (ce qui confirme nos postulats).

La synonymie et pseudo-synonymie des phraséologismes Dans plusieurs cas, une correspondance se fait jour entre la forme et le sens des formules et phraséologismes en russe, fran- çais et polonais. Cela pourrait résulter d’emprunts d’une langue à l’autre ou des emprunts à une source commune ; il peut éga- lement s’agir d’une coïncidence des situations-types et de leurs interprétations. Nous en avons plusieurs exemples :

Tableau 8

5. baisloit souvent aux

mousches ловил [attrapait] частенько

мух ziewał, aż mu muchy

do gęby wpadały [il bâillait de sorte que les mouches lui tombaient dans la bouche]

29. escorchoyt le renard драл козла [bouc]

31. retournoyt à ses

moutons возвращался к своим

баранам

33. battoyt le chien devant

le lion бил собаку в назиданье

[dans l’édification] льву

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59. de cheval donné tousjours reguardoyt en la gueulle

даровому коню

неукоснительно смотрел в зубы [aux dents]

darowanemu koniowi zaglądał w zęby [aux dents] (47)

La locution battre le chien devant le lion en français et en russe re- monte à une source commune (Senger, 2004, pp. 339-397)8. La lo- cution retournons / revenons à nos moutons est une citation tirée d’une farce anonyme de l’époque de Rabelais (1470) sur l’avocat Patelain (où le juge demande au témoin, un paysan bavard, de ne pas dévier du thème – un vol de moutons). Cette locution dans sa forme fixée a été empruntée en russe à Rabelais. La locution bâiller / gober aux mouches – lovit´ mux (attraper des mouches) est présente dans les trois langues – cette image et le personnage de gobe-mouches (en russe ro- tozej, littéralement « celui qui a la bouche ouverte de sorte que des mouches peuvent y entrer ») – sont universels. La langue russe a aussi des variantes : attraper des corneilles / compter des corneilles. Ils font par- tie de la classe des images de la paresse et de la sottise. La locution écorcher le renard a pour parallèle en russe écorcher le bouc, qui a plu- sieurs sens, le premier est associé au sacrifice, d’où vient le sens de

« chanter faux, après avoir bu », selon V. Toporov (1978). L’expression russe peut avoir aussi le sens de son équivalent français.

Une autre observation concerne les différences de sens dans des formules semblables. Nous avons vu les cas de polysémie et d’homonymie dans des interprétations des situations analogiques dans des langues différentes :

Tableau 9

17. se asseoyt entre deux

selles le cul à terre садился между двух стульев [s’asseyait entre deux chaises]

siadał między dwa krzesła zadkiem na ziemi 22. souvent crachoyt on

bassin частенько плевал в

колодец [dans le puits] spluwał raz po raz do niecek

V. Gak (2006) prête en français deux sens à la locution du dernier exemple : 1) syn. écorcher le renard, 2) « payer à contrecœur », tandis

8. Harro von Senger fait référence à Ambroise de Milan.

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qu’elle n’est associée qu’au deuxième sens dans le dictionnaire de l’Académie française. Or, en russe, il existe un troisième sens : « être ingrat et imprévoyant ». Nous avons affaire à un cas d’homonymie, l’on peut également y déceler un trait culturel spécifique.

* * *

Nous avons voulu mettre ici en évidence la pertinence, même au sein d’un seul texte, de l’étude comparée des locutions dans leurs variations et leurs modifications, dans leur synonymie et leur homonymie.

L’analyse de la phraséologie et des procédés utilisés par Rabelais dans ce petit fragment nous a permis de révéler ses ra- cines plus profondes dans la culture populaire, que M. Bakhtine avait déjà, en son temps, démontrées. À cette fin, notre analyse observe les stéréotypes d’un sot de proverbes à travers diverses images et situations-modèles que les traducteurs Lubimov et Boy- Żeleński ont pu représenter par les moyens de la phraséologie russe et polonaise. Leurs stratégies ont permis de découvrir les motifs spécifiques, propres à ces cultures – l’eau ou les petits ani- maux dans les passe-temps oisifs, l’espace vaste ou restreint, la paresse ou l’activité pratique –, autant de traits particuliers qui peuvent distinguer les représentations nationales. La mise en perspective de ces nuances fait ressortir une relative proximité entre le sot polonais et le sot français.

La comparaison des stéréotypes des sots français, russe et polo- nais, qui trouve son impulsion dans l’idée de Bakhtine sur le texte de Rabelais, a été prolongée dans nos travaux qui s’appuient sur les materiaux lexicografiques et paremiologiques (Fedorova, 2014).

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