• Aucun résultat trouvé

Des forêts servies ou desservies par l'eau ? Le cas des « pays de par deçà » bourguignons aux XIIe -XVe siècles

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Des forêts servies ou desservies par l'eau ? Le cas des « pays de par deçà » bourguignons aux XIIe -XVe siècles"

Copied!
7
0
0

Texte intégral

(1)

HAL Id: hal-01796604

https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01796604

Submitted on 21 May 2018

HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers.

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés.

Des forêts servies ou desservies par l’eau ? Le cas des “

pays de par deçà ” bourguignons aux XIIe -XVe siècles

François Duceppe-Lamarre

To cite this version:

François Duceppe-Lamarre. Des forêts servies ou desservies par l’eau ? Le cas des “ pays de par deçà ” bourguignons aux XIIe -XVe siècles. L’eau et la forêt (XIIe-XXIe siècle), Sep 2006, Bordeaux, France. �hal-01796604�

(2)

Des forêts servies ou desservies par l’eau ?

Le cas des « pays de par deçà » bourguignons aux XIIe-XVe siècles.

François Duceppe-Lamarre

Institut historique allemand de Paris Hôtel Duret de Chevry

8 rue du Parc Royal F-75003 Paris 01.44.54.23.88

fduceppe-lamarre@dhi-paris.fr hiboucane@orange.fr

Si la voie d’eau ou encore la forêt en France septentrionale ont déjà été abordé comme sujet, force est de constater que le couple eau et forêt reste un sujet quasi totalement vierge concernant cet ensemble géographique. Or, la France septentrionale regorge de ressources hydrauliques et étant « populeuse » depuis le Moyen Âge – si l’on suit les sources narratives1 – la ressource forestière ne pouvait être que sujette à une gestion scrupuleuse pour cette « civilisation du bois ». Ces quelques remarques me conduisent donc à me poser la question suivante : est-ce que les hommes du Moyen Âge ont tiré profit des importantes ressources hydrauliques de la France septentrionale afin d’exploiter les milieux forestiers ? Pour cette enquête médiévale, j’intègre la position frontalière de la zone d’étude comme élément modifiant les relations entre l’homme et le couple eau et forêt. Pour autant, ce n’est pas une étude climatique – puisqu’il n’existe pas de données pluviométriques pour l’époque médiévale – mais une étude qui se sert toutefois des données indirectes du climat à partir des actions de l’homme comme le percement de canaux et la récurrence de ce genre d’aménagement. Cette recherche, chronologiquement, va des comtés médiévaux à la principauté bourguignonne, soit ici du XIIe à la fin du XVe siècle. Spatialement, elle prend pour cadre la partie méridionale des « pays de par deçà » bourguignons. Dans cette optique, je cherche à savoir si les forêts de cette région historique étaient servies ou non par l’eau à partir de quelques exemples de cas tirés des sources écrites et du terrain afin d’illustrer l’importance du transport par eau, puis l’importance de l’aménagement des voies d’eau dans cette région afin d’exploiter les ressources forestières, pour terminer avec la création et la destruction de paysages combinant l’eau et la forêt.

1 Suger. La geste de Louis VI, présenté par Michel Bur, coll. Acteurs de l’histoire, Paris, Imprimerie nationale,

1994. Dans Waquet XXX ou Bur Chap. XXXVII, pp. 150-153. Suger raconte le meurtre de Charles, comte de Flandre qui eut lieu durant les mois de mars-mai 1127. Au cours de cette anecdote historique, l’abbé de Saint-Denis en profite pour qualifier la région où se déroule l’action de Mention de « très populeuse terre de Flandre ».

(3)

I. L’état des sources

J’ai constitué un corpus de sources écrites qui cumulent des sources de la pratique et des sources narratives. Ces deux grandes catégories couvrent les débuts du XIIe siècle jusqu’aux dernières années du XVe

siècle.

On peut toutefois les subdiviser en trois types. Tout d’abord en documents d’archives qui sont parfois regroupés en cartulaires, comme celui de Guiman pour l’évêché d’Arras, ou ceux de l’abbaye cistercienne de Flines ou de l’abbaye des Augustins de Cysoing. Ensuite ce sont les sources narratives écrites dans les entourages princiers. Suger pour le roi Louis VI dit le Gros, Jean Molinet pour la maison des Habsbourg qui prend la suite des ducs de Bourgogne. C’est une histoire officielle, avec parti pris et qui sert de miroir des princes. Pour autant, Suger se permet de souligner les faiblesses de son roi, ce qui n’est guère le cas de Jean Molinet. Je termine avec le troisième type de source qui est un type mixte, à la fusion entre les deux premiers puisque c’est une histoire-polyptyque, celle de l’abbaye de Marchiennes, dont la mise en écriture vise à rendre littéraire un ensemble de documents d’archives.

Ce corpus correspond donc à un ensemble princier : celui des États des Habsbourg dont je retiendrai la partie sud des « pays de par deçà » bourguignons2, qui seront par la suite appelés les anciens Pays-Bas espagnols. Cet ensemble mord sur le Nord de la France mais aussi sur l’actuelle Belgique et les Pays-Bas3. S’ajoutent des seigneurs laïques comme les

comtes de Flandre dans les vallées de l’Aa et de la Lys et des seigneurs ecclésiastiques avec leurs communautés, de moines à Cysoing, à Flines et Marchiennes dans la vallée de la Scarpe, les évêques d’Arras, religieux séculiers situés aussi dans la vallée de la Scarpe.

Au total ce sont seize descriptions à partir d’actes ou de passages de sources narratives qui nous documentent sur quatre vallées, six espaces forestiers et trois formations forestières linéaires.

II. L’importance du transport par eau

Il existe plusieurs logiques économiques qui font que le transport par eau est rentable.

A. Des raisons économiques : fiscales, les flux, les larcins.

Pour la communauté cistercienne féminine de Flines, ce type de transport génère de « très grand profit, car s’il convenait tout amener par charroi, il y aurait tant de frais que lesdites religieuses ne pourrait le supporter »4. En fait, il faut comprendre par ce passage que cette communauté monastique possède au XVe siècle des droits de navigation qui exonèrent les produits qu’elle fait transiter par la voie d’eau. C’est d’abord une raison économique de nature fiscale qui explique ce type de transport, plutôt qu’une question de flux ou de vitesse.

D’ailleurs, si l’on prend le cas de l’abbaye de Marchiennes, au début du XIIe

siècle, cette abbaye est multi-modale pour reprendre un langage géographique d’aujourd’hui. Les marchandises circulent « aut humeris, aut plaustris, aut navali »5, donc selon trois modes de transport, l’homme et le charroi par voie de terre et par bateaux par voie d’eau. L’existence de cette diversité doit trouver sa logique autant du côté des types de marchandises qui circulent, que du côté des acheteurs, soit selon leur groupe socio-économique que pour des raisons

2 Des exemples de comparaison, proviennent du royaume de France par le biais de Suger. Ils correspondent à des

forêts de plaine de milieu tempéré situées dans le bassin parisien.

3

En France: comtés d‘Artois, de Boulogne, de Flandre et de Hainaut; en Belgique: comtés de Flandre et de Hainaut.

4 Édouard Hautcoeur. Cartulaire de l’abbaye de Flines, Bruxelles, Lille et Paris, Imprimerie Lefebvre-Ducrocq,

1873, acte n°DCCCCXXVIII.

5 Bernard Delmaire. L’histoire-polyptyque de l’abbaye de Marchiennes (1116/1121). Étude critique et édition,

(4)

environnementales. En effet, la Scarpe est qualifiée par l’auteur de son histoire-polyptyque comme étant une rivière au cours lent, « fluvius taratata »6.

Sinon, le transport du bois par voie d’eau se fait de manière récurrente d’après les sources comptables. Par exemple, en 1382, les ventes forestières du massif de Rihoult-Clairmarais - près de Saint-Omer -, sont transportées par nefs7.

De plus, les infrastructures hydrauliques existantes permettent des économies substantielles au moins dans la tête des voleurs. D’après un acte juridique concernant des délits forestiers, un dénommé Robin Marlart réalise en octobre 1458 des coupes illégales dans le bois de Faux dans la vallée de la Scarpe. Des frênes et d’autres arbres sont transportés « par navire ou autrement »8 mais le contrevenant est appréhendé et il doit finalement payer une amende de 10 livres 10 sous. L’économie n’est donc pas au rendez-vous…

B. Pour quels bois ? Construction et chauffage.

Le bois figure en bonne place parmi les marchandises transitant par la voie d’eau. La vallée de la Scarpe constitue un exemple dès le premier quart du XIIe siècle. Elle est documentée par l’abbaye bénédictine de Marchiennes et celle cistercienne de Flines. L’abbaye de Marchiennes possède un temporel riche de zones cultivées, de forêts et de zones humides. La seule forêt de Marchiennes totalise aujourd’hui autour de 3 000 hectares, ce qui fait partie des massifs importants pour l’actuelle région Nord-Pas-de-Calais9. L’exploitation

forestière est donc importante pour cette abbaye qui traite la forêt de Marchiennes en taillis et en futaie, peut-être aussi en têtards, afin de produire du bois de chauffage, du bois de construction et du bois de clôture pour les moines et pour ses hôtes10. De fait, cette communauté possède un portus dans une localité voisine de l’autre côté de la Scarpe. Alnes est bien approvisionné en bois et en d’autre matériaux (de lignis et materie) d’après l’histoire-polyptyque dont la rédaction remonte au premier quart du XIIe siècle11.

En fait, du XIIe au XVe siècle d’après les textes, les abbayes de la vallée de la Scarpe, comme Marchiennes et Flines approvisionnent les villages voisins et surtout la ville de Douai.

Duacense castrum et provintialia loca in circuitu lignorum copia et domorum culminibus indesinenter adimplens pour Marchiennes au XIIe siècle12. « les laignes ou coppilles des bois appartenant à ladite église [Flines] se widoient et venoient à vendage par ladite rivière d’Escarp à Douay et partout ailleurs où ladite rivière avoit cours » pour Flines au XVe

siècle13. Il apparaît que c’est surtout le bois de construction de ces abbayes qui accompagne l’essor rural et urbain ainsi que l’entretien de ces sites d’habitat entre le XIIe

et leXVe siècle.

C. Les perturbations de la guerre : politique de la terre brûlée, blocus, défense/attaque

Après avoir vu l’importance du transport par eau, il convient également de s’arrêter sur ses perturbations dont la guerre apparaît comme le principal élément. En 1485, nous sommes à la fin de la guerre entre Maximilien d’Autriche et les Flamands. « Aucuns [des Flamands] tendoyent à la paix, les aultres à la guerre et, de .XXXII. mestiers qui estoyent en Gand, ne furent que les .II. ou .III. qui incitoyent les aultres à la discorde. Les navieurs, qui

est ung des gros membre des mestiers, ne desiroyent que la paix, car, en tempz de guerre, ne pevent riens gaignier »14. La guerre perturbe donc le commerce fluvial dont

6

Bernard Delmaire. L’histoire-polyptyque de l’abbaye de Marchiennes (1116/1121). Étude critique et édition, Louvain-la-Neuve, Centre belge d’histoire rurale, n°84, 1985, fol. X.

7 Inventaire sommaire des Arch. dép. du Pas-de-Calais, A785, 1382. Voir le document de manière approfondie! 8

Arch. Dép. du Nord, 10H51 pièce 835.

9

Nous sommes loin des grands massifs de plaine du bassin parisien ou des forêts de l‘Est de la France.

10 Voir François Duceppe-Lamarre. 11 Histoire-polyptyque, fol. 134. 12

Histoire-polyptyque, fol. 134.

13 Cartulaire de l‘abbaye de Flines, acte n°DCCCCXXVIII, pp. 826-829. 14 Chroniques de Jean Molinet, t. I, chap. CXIII, pp. 458-459.

(5)

l’importance est encore une fois confirmée pour cette région par les chroniques bourguignonnes.

Mais la guerre génère aussi de nouvelles relations entre l’eau et la forêt qui sont plutôt inattendues. L’historient le sait et le rappelle au public grâce aux sources financières du bailliage d’Éperlecques15. Pour les coupes du bois de Beaulo dans la vallée de l’Aa, des hommes d’armes sont placés dans les zones d’exploitation et autour de la forêt afin qu’ils « guettent les Englés ». En outre, le soir ce sont des gardes de nuit qui sont installés « pour doute que les rebelles de Flandre ne viennent en petits bateaux bouter le feu dans les moies ». Voilà donc un usage singulier de la voie d’eau qui dessert les forêts dans un contexte guerrier ayant opté pour une politique de la terre brûlée.

J’ajouterai un autre aspect de ces relations particulières entre l’eau et la forêt toujours en période de guerre, en revenant sur l’année 1485, moment de guerre entre Maximilien d’Autriche et les Flamands qui sont retranchés dans Ninève près d’Alost16

. Le comte de Nassau attaque avec 2 000 Brabançons et 1 200 Suisses. Ces derniers sont aussi versés dans les travaux de charpenterie « car soudainement firent ung pont sur l’eaue, par lequel ilz passèrent engiens à pouldre, taudis, eschielles et instrumens necessaires à donner l’assault »17. Ici, l’eau constitue un obstacle pour le déplacement des troupes. On fait alors appel aux ressources forestières pour palier à cet inconvénient. C’est donc une exploitation ponctuelle qui se surajoute à la gestion normale des milieux boisés. Les armées se servent sur place et la forêt devient localement desservie par la présence de cours d’eau.

III. L’importance d’aménagement des voies d’eau

A. L’écho des textes : types d’ententes, échelle locale, effet frontière

Les ententes se font entre seigneurs qui possèdent soit les forêts, soit les cours d’eau. Ainsi retrouve –t-on des cas comme le seigneur de Rieulay et la communauté monastique de Cysoing qui décident « de refaire et réparer une navie que nous avons ensemble en commun »18. Cette navie, en fait un « cours d’eau qui descend du bois re Rieulay à la Scarpe », donc un canal de décharge forestier qui est réparé dans les premières années du XVe siècle19. Il va de soi que lorsque le seigneur possède le massif et un cours d’eau, comme le comte de Flandre puis le duc de Bourgogne au XIVe siècle à Nieppe, l’historien cherche alors les devis des aménagements et non plus les ententes contractuelles.

B. Coût

Le coût afin de creuser des canaux de décharge forestiers apparaît élevé. Le cas du canal de Rieulay qui rejoint la Scarpe coûte, dans la première décennie du XVe siècle, 176 livres et 5 sous. Toutefois, cet acte, issu du cartulaire d’une abbaye n’a pas pour but de décrire précisement l’investissement de ses seigneurs. Ce n’est pas un devis, d’ailleurs les mesures de ce canal ne sont même pas indiquées, ni une source financière de type comptable mais bien plutôt une entente entre les contractants.

C. Exemples : Nieppe et Saint-Omer

L’exemple du bois de Nieppe, en Flandre, est très instructif sur la relation entre l’eau et la forêt dans laquelle l’eau est au service de l’exploitation forestière20

. Son exploitation est d’ailleurs bien décrite par des documents à partir du début du XIVe

siècle21. De plus, si des

15 Arch. Dép. du Pas-de-Calais, A785. 16

Aalst en Belgique, au nord-ouest de Liège.

17

Chroniques de Jean Molinet, t. I, chap. CIV, p. 444.

18 Cartulaire de l‘abbaye de Cysoing, acte n°CCXLVI, 10 janvier 1406. 19 François Duceppe-Lamarre, CTHS.

20

François Duceppe-Lamarre, CTHS + Troyes.

21 Voir à ce sujet les travaux de Monique Sommé dont le récent article consacré à l’ordonnance de Yolande de

(6)

aménagements des voies d’eau périphériques ont lieu au XVIe

siècle, d’autres ont précédés deux siècles auparavant22. Le canal doit permettre de relier le massif à un affluent de la Lys. Son tracé, en 1329, fait 2 550 verges ou encore 53 550 pieds alors qu’en 1390 il faut élargir les berges et aproffondir le canal. Le croquis montre la configuration de ce massif dont les trois parties sont nommées dans les textes en fonction du cours de la Lys voisine et de la topographie locale. Le canal de la Nieppe devait recueillir les grumes du bois d’Amont et celui du bois d’Aval avant de se jeter dans la rivière de la Bourre puis dans la Lys, alors que les grumes du bois moyen devait profiter directement de la Lys. Voilà l’hypothèse du système sylvo-fluvial que je présente qui a été mis en place par les comtes de Flandre puis continué par les ducs de Bourgogne.

D’autres relations existent qui s’insèrent cette fois dans un cadre belliqueux ou du moins de défense. L’eau sert ainsi fréquemment à protéger des sites d’habitats comme les châteaux, les villages-tas ou les villes. Ces nombreux cas sont répertoriés par les cartes et plans anciens et par les prospections archéologiques, mais également par les sources écrites. Parfois ces sites sont isolés, des fossés sont creusés et la pluie ou la nappe phréatique remplissent progressivement les fossés. D’autres fois ces sites sont en fait intégrés au réseau hydraulique existant. Les fossés sont creusés autour du site d’habitat à protéger et un canal est aussi fosssoyé qui rejoint un autre canal ou une rivière voisine. En 1489, la ville de Saint-Omer est fortifiée par les Français bien qu’une partie des habitants conspirent avec les Impériaux en souvenir des Bourguignons. [Jacques de Foucquesole « fit fortiffier le quartier

du Hault-Pont, qui estoit le plus propice et lieu convenable pour prendre la ville, fit haucier

la muraille, faire doubles fosséz, grosses hayes d’espines à l’environ, pont-levis et nouvelle herce sur l’eaue »23. Dans un tel cas, l’hydrosystème est aménagé afin de défendre la ville ainsi que la forêt dont le bois permet de construire un nouveau pont-levis. L’eau et la forêt deviennent ainsi au service de la guerre.

IV. Création et destruction de paysages

A. Le cas des ripisylves : définition et analyse fonctionnelle

L’analyse de Paul Arnould sur les anciennes et les nouvelles forêts peut être repris pour les ripisylves. Il existe en effet une forêt de bords d’eau qui se régénère naturellement et une autre née de main d’homme. Cette « bordure anthropique », d’après l’expression d’Aline Durand, correspond bel et bien à une plantation linéaire d’arbres étêtés. D’une certaine manière, cette ligne de paysage constitue la synthèse du taillis et de la futaie avec son houppier particulier et son tronc. Les textes attestent de ce genre de ripisylve en France septentrionale au moins à partir de la fin du XIIIe siècle.

L’analyse fonctionnelle de ces « nouvelles ripisylves » révèle un choix judicieux d’essences ligneuses. Les textes parlent de « halots », un terme régional qui désignent les saules mais les aulnes sont aussi présents. En tout état de cause, ce sont des essences qui affectionnent les milieux humides qui sont sélectionnées. En Artois, le cartulaire de l’abbaye Saint-Vaast d’Arras décrit un paysage monastique de la vallée de la Scarpe en 127024. Les « nouvelles ripisylves » sont dites « juxta muros abbatiae supra ripam de Crinchon », c’est-à-dire longeant les murs de l’abbaye, sur la rive du Crinchon, un affluent de la Scarpe. Dans la Flandre voisine cette fois, le cartulaire de l’abbaye de Flines atteste par un acte daté du 29 septembre 129625 de la présence de telles formations forestières linéaires le long d’un canal de

22

Derville et Dubois. François Duceppe-Lamarre, CTHS + Troyes. Arch. dép. du Nord, B1310 pièce 6127 et B20188, pièce 11899.

23 Chroniques de Jean Molinet, t. II, chap. CLXXXVIII, p. 92. Guerre entre les Impériaux contre les Français et

les Flamands.

24

Arch. Dép. du Pas-de-Calais, H1 fol. 184.

25 Édouard Hautcoeur. Cartulaire de l’abbaye de Flines, Bruxelles, Lille et Paris, Imprimerie Lefebvre-Ducrocq,

(7)

vidange dans la vallée de la Scarpe. Ce qui est très intéressant c’est que leur usage réponde à des fonctions précises. Au-delà du caractère esthétique le critère fonctionnel l’emporte sur les textes. En effet, l’acte du XVe

siècle26 stipule qu’une plantation de saules est nécessaire afin de maintenir les levées de terres du Neuf-Fossé qui va de la Scarpe à l’abbaye. Les réseaux de racines des « nouvelles ripisylves » contribuent ainsi au maintien des berges aménagées. Si les documents consultés restent cependant muets quant à la fonction de halage que ces arbres pouvaient aussi remplir, il ressort une relation symbiotique entre la forêt et la voie d’eau avec une création paysagère originale.

B. Les usages guerriers

Ils génèrent des paysages au sein desquels l’eau et la forêt sont activement sollicitées en mobilisant leurs ressources. En 1489, lors de la fortification de la ville de Saint-Omer par les Français alors qu’une partie des habitants conspirent avec les Impériaux en souvenir des Bourguignons. « Et, que pis fut, pour reboutement de laditte reduction, lui [Jacques de Foucquesole qui passe « de Bourguignon en Francois »] venu en Saint-Omer, fit fortiffier le

quartier du Hault-Pont, qui estoit le plus propice et lieu convenable pour prendre la ville, fit haucier la muraille, faire doubles fosséz, grosses hayes d’espines à l’environ, pont-levis et nouvelle herce sur l’eaue »27

. De cette manière, une partie urbaine de Saint-Omer devient triplement fermée par de hauts murs, pont-levis en bois et herse de fer, par de doubles fossés en eau et par d’épaisses haies arbustives épineuses. D’un autre côté, il faut bien extraire les matières premières de quelque part. Coupes de bois, carrière de pierres et buissons d’épines (Crataegus monogyna ou autres) détruisent des paysages, ou du moins forment des paysages en creux, des paysages de l’exploitation guerrière dans l’environnement médiéval.

Cette présentation n’est pas une synthèse régionale et, je le rappelle, elle ne vise pas l’exhaustivité. Au demeurant, à partir de plusieurs cas, on voit apparaître une complémentarité de relation entre la voie d’eau et l’exploitation forestière. La voie d’eau participe à l’écoulement du matériau ligneux. Toutefois, cette relation n’est pas figée car les hommes réalisent des aménagements afin que l’hydrosystème serve efficacement l’exploitation forestière. De plus, des paysages arborés sont aussi créés qui servent à leur tour la voie d’eau qui est elle-même au service de la forêt. Ce sont donc des relations complexes entre l’eau et la forêt et des relations qui évoluent au cours des siècles au gré des besoins des sociétés et des connaissances des hommes.

En outre, en temps de guerre, qui sont récurrentes dans cette région frontalière, les relations entre l’eau et la forêt se complexifient singulièrement. Les voies d’eau qui sont au service de la forêt en temps de paix servent dans certains cas à leur pillage. Ici, les forêts sont desservies par l’eau, le contrôle de l’infrastructure hydraulique devenant un enjeu militaire. Dans d’autres cas, naissent des paysages guerriers afin de fortifier des sites pour lesquels l’eau et la forêt constituent alors des ressources que l’on mobilise ad hoc. Une nouvelle relation naît pour ces deux ressources qui sont activement sollicitées dans le domaine de la défense d’objectifs stratégiques.

À partir de l’exemple des « pays de par deçà » bourguignons, j’ai donc tenté de montrer que les relations entre l’eau et la forêt évoluent en fonction des objectifs économiques et militaires des sociétés de la fin du Moyen Âge.

26 Édouard Hautcoeur. Cartulaire de l’abbaye de Flines, Bruxelles, Lille et Paris, Imprimerie Lefebvre-Ducrocq,

1873, acte n°CMXXVIII

27 Chroniques de Jean Molinet, t. II, chap. CLXXXVIII, p. 92. Guerre entre les Impériaux contre les Français et

Références

Documents relatifs

of the Product for use on vessels, MODUs or facilities built after the date of the ABS Rules used for this evaluation. Due to wide variety of specifications used in

La qualité de l’eau est donc variable et implique une réflexion au cas par cas pour choisir les éventuels traitements à mettre en place.. Pour cela, une analyse à

A u point de vue électrique, il se dégage de'cette étude que le courant alternatif apparaît c o m m e plus avantageux que le courant continu série, lorsqu'il s'agit de distribuer

L’hégémonie de l’Egypte dans cette zone lui permet actuellement de s’accaparer une part importante de ses eaux mais l’Ethiopie et le Soudan, à son amont, cherchent à utiliser

Pour répondre à cette demande croissante, Eliard-SPCP développe une gamme complète de semences biologiques avec des espèces pour prairie mais également pour couverts végétaux.

Les sites de demande : Population, Agriculture, Industrie avec leurs données de base, les ressources hydriques (de surface, souterraines, retenues, etc.) , les

La partie psychologie cognitive visait à étudier expérimentalement la mémoire des experts (dans le cadre de ce pro- jet, des experts au jeu d’échecs), et plus particulièrement

• Mécanisme de rapport au titre de la Convention sur l'eau et de l'indicateur 6.5.2 des ODD mesurant la coopération dans le domaine des eaux transfrontières. • Appui aux Parties