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Les implications théoriques d’un choix d’items : de la
norme d’internalité à la norme d’allégeance
Bernard Gangloff
To cite this version:
Bernard Gangloff. Les implications théoriques d’un choix d’items : de la norme d’internalité à la
norme d’allégeance. Pratiques Psychologiques, Elsevier Masson, 1997, pp.99-106. �hal-01693280�
Les implications théoriques d'un
choix d'items : d·e la
norme
d' intemalitê
à
la norme d'allégeance
1Bernard GANGLOFF
Professeur de Psychologie Sociale et du Travail
Université de Rouen -Dpt. de Psychologie Labo. PRIS
-Rue Lavoisier
76821 Mont-Saint-Aignan Cedex
SUMMARY
A survey of studies devoted to the
interna-lily nonn may welllead to thînking that there are two sorts ofintemality: the loyalistone ( refering to the courage, to the readinessfor effort ... ) and the rebel one (reflecting the hypocrisy, the inclination to cheat ... ). Bence we may hypothesite thar onCy the former are
- by reason of their allegiance -the abjects
of social valorization. To support this thesis, the standard model of self-preser:~tatîon was used, bm wîth a questionnaire thar opposes externat responses to irllunal rebel res-panses. ln keeping with the hypothesis,
obser-vation of a student sample group has shawn that the subjects, when given supernormative instructions, tum out more externat than internai, whueas the reverse is true when they are given counternonnative instructions. Tt luis also been observed thal, given neutral ins-tructions. socially maladjusted individuals, having badly integrated the social norms (minor delinquents) are more internai than
Pratiq~s PS)·chologiqurs, 1997.2.99-106.
others (be they .rtudents, clerlcs,factory
wor-~rs or executives).
Key-words: normofintemality, normof allegiance, construct validity.
Lorsque l'on cherche à déterminer les causes d'un comportement, d'une réussite ou d'un échec, on a souvent tendance à les situer chez l'acteur, c'est-à-dire à surestimer l'in-fluence des facteurs internes au détriment des déterminants externes comme la chance, le basard,le destin, les circonstances, ou autrui tout puissant. Cette surestimation a longtemps
~té interprétée comme une erreur. Ainsi, au siècle dernier, Nietzsche (ed. ~aise, 1968. p. 163) employa-t-ill'expression « d•erteur fondamentale ».Cette analyse en tenne d;·er~
reui-, reprise ensuite par Heider ( 1944, p. 361) puis par Ross ( 1977), ne fut remise en cali se que
dilns
les années 1980, avec I'intr!)duèti.on du coricept'de nonne d'intemalité; d'abord par Jellisson ·et Green ( 1981) pour la causalité des renforcements, puis par Beaûvois ( 1984) à la fois en matière .d'explication des conduites et d'explication des renforcements. Depuis, de nombreuses rtè~èfcbes·ont ~té menées pour vérifier l' existentè:de èette dite nonne. Et il fut alors effectivement observé une hétéro-valorisation des individus internes. On remàrqua qu'ainsi leS internes bénéficiaient de meilleurs pronostics de réus-site professionnèlle ou sociale que les elltel)les, et 6taielit préféientiellement choisiscomme candidats
à
un emploi (Beauvois etLe
Poultier 1986, étude 2 ; Beauvois, Bourjadc etPansu 1991 ;Pansu l994,études6et7).0nob~crv~ également davantage d' autoprésen
-~ttons rn ternes avec des consignes sumonna-tives que lors de consignes contrenonnasumonna-tives point qui fut dit attester la clairvoyance de 1~ valorisation de l'intcrnalit~ (Beauvois et Le Poullier 1986, étude4; Pansu 1994, étude2).
Il~~ eru:m constaté que les institutions de tra-vail social et de formation diffusaient
cer-t~nes
valeurs internes (Beauvois et Le Poul-lier 1 ?86, étude 3 ; Dubois 1988 ; Gangloff et Sounsse 1995); ou encore que les cadres étaient plus internes que les exécutants
(An~sani et Nestel 1976; Beauvois et
Le
Poul~er 198~,~tude
1 ;Pansu 1994,étude 1), ce qut condu151t à considérer que l'intemalité était l'apanage des groupes sociaux favorisés (Beauvois 1984,p.l04à 109 ;Dubois 1987, P: 180). P~ur expliquer ces résultats, iJ fut par~l~eurs
fatt référence à un critère«d'évalua-btltté-sanction~bilité ,. (Beauvois 1976, p. 13 ct ~4; Beauvois 1982, p. 527 et 528; Beau-vmsetLePoultier 1986,p. 102 ;Louche 1992
en cause la validit~ de structure du concept de nonne d' intemalité.
. on. ~nstate en effet que les questionnaires dits d mternalité ne sont pas exclusivement cen!r~s sur l'internalité, mais qu'ils font conJointement varier deux dimensions situées sur le .~ême r~gistre 2. Plus précisément, le t~pe d _mtemahté mis en scène dans ces ques-tiOnnaues ~st bien particulier puisque ren-voyan~ ~0~Jo~rs exclusivement à un registre ~trophJe, !1m1té par« naturalisation ,. (selon 1 expressiOn de Bourdieu ct Passeron 1970 p. ~2. 23, 52) à des caractéristiques de bo~ alot: comme les efforts ou la conscience pro-fessiOnnelle 3. Ou fait de cette infraction
métho~ologiquc,
on est ainsi restrictivcment co~tramt de comparer des internestra-va•~leurs, consciencieux, à des externes qui, attnbuant leurs conduites et renforcements à
1~ chance ou au système social, sont susccp-llblcs, en cas de conduites et de renforcement négatifs, des' en prendre, par définition, non à e~x-mêmes mais à l"cnvironncment ; c,
cst-à-~tre ~ de.s externes qui risquent de percevoir p. 1 ; Pansu 1994, p. 75) :on ne pourrait év;
lu er, .et donc sanctionner quelqu • un, qu. en Je considérant au préalable responsable de ses actes, c'est-à-dire qu'en occultant l'influence des facteurs externes.
Cette interprétation pose cependant quel-~ues problèmes. Ainsi les juristes n'ignorent-tls pas que les sanctions les plus fréquentes sont prononcées, en matière civile sur la base de la solvabilité, c'est-à-dire en l'absence de toute responsabilité de fait (par exemple
sur le
fondement de l'article le plus utilisé du cod. 'lfr e
cm ançais: l'anicle 1384), et en matière pénale du fait même de cette absence de res-ponsabilité (un n~n-lieu. une relaxe, sont éga-leme?t des sancttons, ct constituent même les san~~IOns les pl~s habituelles ; de même qu'en ~alle~ profcsstonnelle,le maintien à l'idcn-hquc d un salarié dans son emploi représente le. modèle Ide gestion le plus chronique). L examen des questionnaires employés dans les études s~r la norme d' intcrnalité peut alors no~s fo~IJ"une autre voie d'interprétation, vole QUI nous conduira également à remettre
1 arbttra~re des situations sociales (Beauvois 1,984, p. 133) et. par suite, de sortir un jour ou 1
autr~
de leurIéthargi~
pour adopter des conduates contestataires, voire subversives ; donc de s~ révolter contre l'arbitraire du sys-tème SOCial. Ainsi, qu'ils aient été obtenus av~c le paradigme des juges ou en autoprésen-tatlo~, !es résultats des études mcn~es dans ces co~dlt~ons pour le moins curieuses ne pou-~alcnt-tls que refléter une préférence pour ces mt.emes, respectueux de l'ordre et des hiérar-chies, par rapport aux rebelles potentiels que sont ~es externes. Et l'on peut alors sc deman-der st les questionnaires d'intemalité ne sont pas en fait des .~uestionnaires d' all~geancc, mesurant non ' •. mternalité mais l'allégeance, non la nonne d mtcmalité mais la nonne d'al-lége~ce (nonne que l'on peut définir comme
~aduls~t la valorisation sociale des explica-tJ~ns preservant l'environnement de toute rruse en examen).
PROCÉDURE
Il convenait, pour le vérifier, de dissocier l'internalité de l'allégeance, c'est-à-dire d'établirde nouveaux questionnaires permet-tant d'opposer des externes à des internes quelque peu moins candides que les internes orthodoxes, c'est-à-dire à des internes ne répugnant pas à exprimer leur intcmalité par la tricherie,le vol,le mensonge, la violence ; stratégies tout aussi quotidiennes (sinor. plus) que le travail (tenne intcrnc)ou la mendicité (terme externe). Il n'estd'ailleurs, pour s'en convaincre, que de suivre la récurrente actua-lité politico-judiciaire ou de parcourir les titres des meilleures ventes de librairie (où quelque alléchant « traité de manipulation ,. nous apprend comment « arnaquer • notre ban-quier ou notre voisin).
Nous avons donc établi un tel questionnai-re, composé de 36 items (dont 24 de remplis
-sage). Les 12 items pertinents étaient consti-tués d'une situation présentant une réussite ou un échec ( 6 de chaque espèce) dont il conve-nait d'indiquer la cause, en choisissant celle-ci parmi deux possibilités :l'une externe (soit quatre causes externes réf~rant au destin, quatre à la chance, et quatre aux ci rcons-tances), l'autre interne (traits de personnalités négatifs comme la fourberie ou la pleutrerie ; ou comportements légalement déviants comme la fraude ou la violence. Exemples : « dans notre société, le meilleur moyen pour avoir de l'argent, c'est de le prendre à ceux qui en ont ,. ; « ceux qui réussissent leurs exa-mens scolaires sont surtout des faiUots ou des tricheurs ,. ; « ceux qui échouent ce qu'ils entreprennent sont essentiellement ceux qui respectent trop les lois ,. ; « ceux qui n' obtien-nent jamais ce qu'ils veulent sont surtout ceux qui ne trichent jamais ,. ) •.
Le paradigme de l' autopréscntation a alors été employé, sur trois populations diffé-rentes : une population d'étudiants divisée en 3 sous-groupes, le premier soumis à une consigne surnormative ( « répondez en vous mettant en valeur ,. ), le deuxième à une consigne contrenonnative ( « répondez de façon à vous faire mal voir ,. ), le troisième à
une consigne neutre ( « répondez le plus sin-œtement possible •) ; les deux autres popula-tions, chacune uniquement confrontée
à
la consigne neutre, étaient respectivement constituées de salariés (cadres et ouvriers) et de sujets en situation de marginalisation socia-le (petits délinquants).La population d'étudiants était composée de 253 sujets, inscrits en première année de psychologie ou de sociologie, âgés de 18 à 21 ans, contactés ct répondant au questionnai-re au cours d'un de leurs enseignements de début d'année. La population de salariés était constituée de 16 cadres et de 14 ouvriers, res-pectivement igés de 43 et 37 ans, tous mascu-lins, qui furent contactés et répondirent au questionnaire sur leur lieu de travail, en tion de face à face. Quant aux sujets en situa-tion de marginalisasitua-tion sociale, au nombre ~e
15, d'fige moyen 24 ans, tous masculins, ils ont reconnu commettre régulièrement de petits délits, ctfurentcontactés dans une struc-ture associative d'animation d'un quartier défavorisé, répondant au questionnaire dans cette structure associative, en situation de face à face.
Le traitement des réponses consistant à attribuer un point à chaque réponse interne et zéro à chaque réponse externe, chacun des sujets a obtenu une note variant de 12 (sujet totalement interne) à 0 (sujet totalement externe).
Les comparaisons des moyennes inter-groupes des scores d'intemalité-externalité ont alors été réalisées par des t de Student.
RÉSULTATS
-Les tableaux l et 2 expriment les données
obtenues sur la population d'étudiants, popu-lation à l'intérieur de laquelle nous avons 6tu-dié l'effet consigne, globalement et intrascxe.
Tableau 1: effectif5dessujetsétudlants
253
Tableau 2 :moyennes d'lntemalité-extemalité des étudiants
(not~ 12 ~ totalemen_t interne ; note?= totalement externe). Seules 4 différences sont non signi-fi.cattves. entre cons1gne sumonnative et consigne neutre (à la fois globalement et par sexe) et chez les hommes entre la consigne neutre et la moyenne théorique. '
Consipdâexe
. ·
;
·
~·Mucuiin
~·: '.
. "·• 8,94 65.2
3,5A partir de ces données, on constate princi-palement, comme dans les études classiques : une absence de différence entre consigne sur-normative et consigne neutre (à la fois globa-lement et par sexe), et une différence signifi-cative entre consigne surnonnative (de même que neutre) et consigne contrenonnative (aussi bien là encore globalement que par sexe: p variant de .01
à
.0001). Cependant, cette différencea
ici une signification inverse de celles classiquement observées, puisque c'est maintenant en situation contrenonnativeFetnme
'
·
'
· Sonmxf7'10,65 10,41
6 6
4,12 4,33 3,86 3,81
que les sujets sont internes, et en situation sur-nonnative (ou neutre) qu'ils sont externes (différences à la moyenne théorique signifi-catives àp variant de .Ol à .0001, sauf chez les hommes où la différence consigne neutre /moyenne théorique est non significative).
- En ce qui concerne la population salariée, la littérature nous enseigne que les cadres sont internes, et notamment plus internes que les ouvriers. Le tableau 3 réswne les résultats que nous avons recueillis sur cette population. Tableau 3 : moyennes d'intemalité-extenWité des sujets salariés
(note 12= totalement interne; note 0= totalement externe). Seule la différence entre cadres et ouvriers est non signiftcative.
Cadres Ouvriers
..
Somme
'.Conaiguc neutre 4,81 4,29 4,57
Moyeimoth6orique
6 6 6On remarque donc ici que les cadres sont davantage externes qu'internes (diffûcnce à la moyenne théorique significative l p = .02), et qu'ils ne se diffûcncient pas des ouvriers (difftrence non significative).
• On sait enfin que les sujets socialement non insér6s, qui sont en situation d'intériori-sation limitée des nonnes sociales, sont externes ; ce contrairement aux populations insérées (Tostain, 1993, constate ainsi par exemple que les étudiants et les retraités, sujets exclus du jeu social, sont plus externes que les salariés). Or nous aboutissons ici
enco-re (tableaux 4 et 5) à des r6sultats opposés : les sujets en situation de marginalisation sociale sont plus internes que les autres (la différence
par rapport aux
~tuctiantset aux salariés est
significative avec des probabilités respectives de .02 et .0002), et sont ~me les seuls à
être
plus internes qu'externes (la différence de cette population à la moyenne théorique est significative à p = .02, alors que cette meme différence est non significative chez les étu-diants, et qu'elle est significative dans le sens de l' extemalité à p = .0001 chez les salariés).
Tableau 4 : effectifs des sujets masculins confront& J.la consigne neutre
Tableau 5 :moyennes d'iotemallté-extemalité des sujets (masculins) soumJs à la oonsigne neutre
(note12=totalementinteme;note0=tota1ementexteme).Deuxdifférencessontnonsigniftca• lives: entre étudiants et salariés, et pour les étudiants par rapport à la moyenne théorique.
DISCUSSION
Dans l'une de ses revues de littérature, Dubois indique (1991. p. 13 et 14) que les explications internes« sont plus fréq11emment sélectionnées dans les groupes sociaux favo-risés et sont socialement désirables ( c'est-à-dire plus valorisées) que les explications externes ( ... ), désirabilité ( ... )se traduisant à la fois par la sélection que font les gens des explications internes pour se mettre en valeur
ct par l'émission de jugements nettement plus favorables lll' égaid des individus privilégiant les explications causales internes des événe-ments ». Et cet auteur d'ajouter que ces don-nées expérimentales, concernant la nonne d'internalité, données qui se sont multipliées depuis 1984, « permettent de tenir pour acqui -se l'existence de cette nonne ,. ; point de we repris d'ailleurs par Dubois jusque dans le titre de son ouvrage de 1994.
En 1994, avec un questionnaire du J»êmc type que celui utilis6 ici, mais dans le cadre d'un recrutement (c'cst-l-direen utilisant le paradigme des juges), nous avions ~jà obSCT-vf que les externes 6taient pr6f6r68 aux internes. En complfment, nous constatons maintenant :
• que pour se mettre en valeur (consignes sumormatives), les sujets sc montrent externes, et que c'est pour se, «Uvaloriser (consignes oontrenormativcs) qu'ils se ~pei gnent internes ;
*
que les cadres ne sont pas plus internes que les ouvriers, et que les cadres sont, tout autant que les ouvriers, davantage externes qu'internes;*
enfm que ce sont les sujets les moins bien insérés dans la soci6té, appartenant aux groupes sociaux les plus d6favorisés, qui sont les plus internes.Autant de r6sultats qui s'opposent à ceux produits par la littérature pour attester l' exis-tence de la norme d'intemalité.
On pourrait alors envisager plusieurs façons de dépasser ces contradictions. Deux d'entre elles consisteraient à considérer les exceptions répertoriées, soit comme confir-mant l'existence de la règle, soit comme refl6-tant l'expression de normes supplétives. Cependant, seul l'abandon du concept de norme d'internalité permet à ces différents résultats d'aboutir à une cohérence d'en-semble. En effet, si l'on se situe sur le plan de _l'allégeance et que l'on évoque une norme d'allégeance, alors la cohérence r6apparaît, avec la hi6rarchie des préférences suivantes : les sujets totalement all6geants, modelés sous le sceau d'une « aliénation librement consen-tie,. (c'est-à-dire initialement les internes classiques), les potentiellement rebelles (c'est-à-dire les externes), et enfin les effecti-vement rebelles (c'est-à-dire les internes revendicateurs)~. Cela signifie également que les questiom~aires employés dans toutes ces études ne sont pas en fait des questionnaires d'intemalité, mais des questionnaires d' all6-geance. Et ce que l'on mesure, ce n'est donc pas l'internalité mais l'allégeance. Ecoutons d'ailleurs Dubois(l994,p. 55) qui atteste du
« peu de cas accordé en général par les cher-cheursétudiantlanonned'intemalitélla vali-dité de leurs instruments ».Si, pour cet auteur, ce« peu de cu( ... ) est loin de remettre en cause la pertinence des questionnaires d'in-temalité »,on peut cependant se demander si cela ne signifie pu tout simplement qu'on ignore totalement cc que l'on mesure 6• Est-cc l' internalité, la croyance en un monde juste, ou l'attrait pour les voyages grégaires dans les univers normatifs (par exemple dans celui de la norme d'internalité)? D'un point de vue théorique, tant les résultats obtenus que leur analyse semblent démontrer qu'on se situe bien plutôt dans le domaine de
r
allégeance. Rappelons au surplus les fameuses critiquessur la dichotomie intemeJexterne, notamment l'histoire de« Jack le solitaire ,. (Ross 1977, p. 176), critiques dont on ne peut se soustraire qu'en les évacuant purement et simplement (ainsi Dubois, 1994, p. 48), ou dont on ne vient à bout que grâce à un langage particulier conduisant par exemple l parler de « causes externes internalisées ,. (Serlin et Beauvois 1991, p. 463 et 469) ou de « causes internes externalisées »(Dubois 1994, p. 37) 7•
Cette norme d'allégeance permet égale-ment de comprendre d'autre phénomènes qui semblent eux aussi entrer en contradiction avec la norme d 'intemalité, et de transcender ces contradictions. Elle permet par exemple d'ôter tout caractère paradoxal au fait que les conduites dites internes ne constituent. en
rai-son de leur apprentissage, de leur caractère acquis, que le reflet de pressions externes.
CONCLUSION
Nous savions déjà que la valorisation sociale n'était pas fonction de la compétence des sujets évalués. Comme l'observait Gri
-gnon (1971, p. 101): «la moralit6 d'un ouvrier détermine presque autant que sa com-pétence professionnelle sa valeur sur le mar-ché de l'emploi et ses chances de placement et de promotion ,. . De même Pansu signale (1994, p. 19) : « l'évaluation des conduites sociales ne vise pas à sélectionner les
meilleurs, les plus capables, mais ceux qui adhèrent, se conforment aux valeurs idéolo-giques en tant que personnes pouvant assurer la cohésion sociale». Or, cette moralité qu'il importe d'acquérir et dont il convient de faire
état en tout temps et en tout lieu, ces vrueurs
id&> logiques auxquelles il est n6cessaired'ad-hérer et de se conformer, on constate ici que ce sont les valeurs rassemblées sous la banniè-re de l'allégeance. « Comme le bon ouvrier, indiquait encore Grignon (1971, p. 164),le bon apprenti est d'abord celui qui respecte l'ordre et la hiérarchie, qui sait obéir sans regimber, et qui se conduit en toute occasion comme quelqu'un de raisonnable, c'est-à-dire en dernière analyse comme quelqu'un d'inof-fensif», ayant acquis« le bon esprit, c' est-à-dire t'esprit de déférence et de soumission ».
L'erreur d'attribution, du fait de son systé-matisme, a été considérée comme non inno-cente. Nous pensons aujourd'hui que, du fait de son systématisme,la norme d'intemalité doit également être considérée comme non innocente car masquant fort opportunément la norme d'allégeance.
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2. L'existence,et m!me la prédominance. d'une deuxi~me dimension est d'ailleurs explicitement attest~ par Jellison et Green cux-m!mes, puisqu'ils indiquent (1981, p. 647) que les taux d'intemalit~ de leurs sujets auraient été encore accrus si les items internes proposés à ces sujets avaient été davantage positifs 1
3. Et le fait qu'un supérieur hiérarchique. du fait de sa personnalité ou intentionnellement, c'est-il-dire pour une raison interne, " pique une col~re »
contre ses subordonnés, constitue encore selon nous un comportement positif, tout à fait dans la norme de ce que l'entreprise attend de son em:adre· ment.
4. Les résultats de questionnaires proposant comme items alternatifs des rq>onses internes posi-tives versus externes étant bien connus (nous en avons cité un certain nombre en introduction), nous n'avons pas jugé nécessaire de les répliquer,cequi explique l'absence totale d'items internes positifs dans DOire questionnaire.
5. Précisons tout de suite que cette hiérarchie est provisoirement incompl~te. Il semble en effet que les externes ne constituent pas un ensemble homo-gbe, et que notamment dans notre société dite judéo-chrétienne, fownir des rq,Dnses explicatives référant à Dieu (c'est-à-dire faire allégeance à Dieu) soit significativcment davantage valorisé que des réponses internes classiques. Tels sont en effet les premiers résultats d'une étude que nous menons actuellement, étude cependant insuffisamment compl~te pour que nous la dtveloppions ici.
6. Nous pourrions d'ailleurs !tre tentés d'em -ployer un vocabulaire plus imagé, ct parler par exemple de « plllldie ,. psychométrique. Cepen· dant, afin d'éviter que les lecteurs ne se focalisent opportunément sur la forme de notre discours au dttriment du fond, nous préférons nous abstenir.
7. D'ailleurs, les expressions de "norme
d'intemalitt ,., de« valorisation des explications internes ,. sont elles aussi bien particuli~rcs. Ainsi, bien que les études sur la« norme d'intemalité ,.
aboutissent tout autant à 1' observation d'une valo· risation de l'internalité orthodoxe qu'au constat d'une dévalorisation de l'extemalité, seule l'ex-pression " valorisalion des explications internes ,
est employée ; ce qui n ·est pas sans conséquences au niveau interprétatif ct, plus largement, sur le plan théorique.
RÉSUMÉ
L'examen des études sur la nonne d'inter·
naliti peut conduire à penser qu'il existe deux
sortes d'intemalité: l'allégeante (rifirant au
courage, à la capacité de produire des
efforts ... ) et la rebelle (renvoyant à la sour· noiserie, à l'utilisation de la tricherie ... ). Il est alors fair l'hypothèse que seule la premiè-re ut, de pur son allégeance, l'objet d'une valorisation sociale. A l'appui de cette thèse, le paradigme classique de l' auroprésentation a été utilisé, mais avec un questionnaire
oppo-sant réponses externes à réponses internes
rebelles. Conformément à l'hypothèse, il est
observé, sur une population d'étudiants,
qu'avec une consigne sumonnative les sujets
se montrent plus externes qu'internes, l'inver-se étant obtenu avec une consigne contrenor-mative.ll est également constaté qu'avec une consigne neutre, les individus en rupture de société, ayant mal intégré les normes sociales
(petits délinquants) sont plus internes que les
autres (étudiants comme salariés, ouvriers ou cadres).
Mots-clis : nonne d'internaliti. norme d'allégeance, validité de structure.