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Claude Ponsard (1927-1990) .Un essai biographique

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Claude Ponsard (1927-1990) .Un essai biographique

Antoine Billot, Jacques-François Thisse

To cite this version:

Antoine Billot, Jacques-François Thisse. Claude Ponsard (1927-1990) .Un essai biographique.

[Rap-port de recherche] Institut de mathématiques économiques (IME). 1991, 10 p. �hal-01541891�

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Claude PONSARD (1927 - 1990)

UN ESSAI BIBLIOGRAPHIQUE

Antoine BILLOT*

Jacques-François THISSE**

juin 1991

* Université de Paris 2

Université Catholique de Louvain

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Claude PONSARD ( 1927-1990 )

UN ESSAI BIOGRAPHIQUE

Antoine BILLOT, Université de Paris 2

Jacques-François THISSE, Université Catholique de Louvain, CORE

Il est toujours extrêmement difficile de résumer la vie d’un homme que l ’on a croisé à une époque particulière de sa propre existence et dont on a partagé les enthousiasmes et les déceptions jusqu’à dépasser cette relation du maître à l ’élève dont l’alchimie est si particulière, si délicate qu’ il serait présomptueux d’en amorcer ici l’explication. Il s’agit néanmoins d’un fait, objectif, brut : le regard que nous allons poser sur l ’homme et sur l ’oeuvre n’est pas libre de tout sentiment. Nous avons admiré l’esprit, la ténacité, la rigueur scientifiques de celui dont nous avons aimé l’humanité, l’exigence et la chaleur. La difficulté de la tâche réside précisément en la construction d’une biographie qui n’exagère pas les qualités sous peine d’en discréditer l’énoncé et qui n’amenuise pas les défauts sous peine d’édulcorer le portrait jusqu’à l ’affadir.

Avant que d’entrer dans le détail des dates ainsi que dans la chronologie de la formation de sa pensée scientifique et l’élaboration de son oeuvre, il convient de décrire en quelques traits rapides, l ’homme et le professeur qu’il fût simultanément.

Tous ses anciens élèves, et particulièrement ses thésards, se souviennent d’abord de l’impression d’exigence qui émanait de lui. L’ homme était franc, direct et ne brisait cette rigueur de maintien qu’à l ’occasion d’ une remarque emplie d’enthousiasme où l ’on apercevait alors une manière de lueur jubilatoire : plaisir de chercheur mais aussi de tuteur. Il aimait à convaincre par l’esprit, pour l ’esprit. Sa franchise est légendaire

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tant elle fut parfois cruelle et ceux de ses collaborateurs, de ses élèves qui en souffrirent, furent aussi ceux qui, recevant un encouragement ou des félicitations, surent en apprécier justement le prix. Il ne refusait pas la contradiction mais il exigeait d’elle qu’elle fût rigoureuse, aussi rigoureuse que sa propre conviction.

Ainsi le débat s’engageait, âpre parfois, excitant toujours. Nous sommes quelques-uns à avoir vécu de ces après-midi de travail, dans son bureau, chez lui à Vincennes, où l ’on disputait des heures durant d’une hypothèse, d’une équation ou d’ une interprétation. Il aimait par dessus tout cette émulation, cette relation privilégiée qui s’installait peu à peu entre lui et ses étudiants. Il s’amusait de notre résistance, lui qui n’envisageait pas son travail de chercheur et de professeur comme une fonction sociale quelconque mais comme un office, avec cette rigueur presque janséniste qui pouvait heurter quand elle ne fascinait pas.

Quelques points de repères biographiques : l’aspect universitaire

Claude Ponsaid naît le 2 Novembre 1927 à Dijon, capitale des Ducs de Bour­ gogne. Cette ville fut son refuge ( il sût nous y attirer tous les deux, quelques mois ) et surtout le point fixe de sa carrière universitaire, attaché qu’il était à son Université et à cette faculté des Sciences Economiques dont il contribua, durant vingt sept années, à développer le renom scientifique.

De 1950 à 1958, il est Chargé de mission à l ’INSEE et passe quatre ans ( 1950-1954 ) au CNRS comme Attaché de recherche avant de devenir Chargé de cours à l ’Université de Nancy. En 1953, il soutient sa thèse de Doctorat d’Etat ès-Sciences Economiques à l ’Université de Dijon, sous la direction du Professeur Henri Guitton. Celle-ci, honorée du Prix Vouters en 1954, concerne l’intégration du facteur spatial dans l’analyse économique et marque ainsi le début de sa contribution à la théorie économique.

En 1958, il réussit le concours d’ Agrégation des Sciences Economiques et part pour Lyon où il restera cinq ans. En 1963, il devient Professeur titulaire à l ’Université de Dijon et un an plus tard, Professeur à l ’Ecole Nationale Supérieure du Pétrole et des Moteurs ( Institut Français du Pétrole ). Trois mois avant son décès, il y enseigne toujours.

Claude Ponsard a de grandes ambitions pour son Université bourguignonne. Afin de les réaliser, il s’investit en de nombreuses tâches administratives, sans que jamais son travail de chercheur n’ait à en pâtir. De 1966à 1969, il estPrésident du Département

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de Sciences Economiques puis, de 1969 à 1972, il devient Vice-Doyen de la faculté. Pour promouvoir la recherche et en particulier les travaux d’économie quantitative ( mathématique ), il crée,en 1969,rinstitutdeMathématiquesEconomiquesquireçoit le label CNRS en 1974. Cette équipe sera une pépinière de chercheurs en même temps qu’un lieu privilégié d’échanges scientifiques. En 1982, Claude Ponsard est nommé, par le CNRS, Directeur du LATEC (Laboratoire d’Analyse et de Techniques Economiques ) qui inclut, entre autres, l’IME.

Parallèlement à ses activités en terre bourguignonne, le renom de ses travaux et la très grande rigueur de sa direction scientifique 1 ’ amènent à prendre un certain nombre de responsabilités au niveau national. Ainsi, en 1962, il est élu membre du CCU ( Conseil Consultatif des Universités ) et assure la direction de la section de Sciences Economiques entre 1970 et 1978, date à laquelle il est appelé à présider le jury du concours d’Agrégation des Sciences Economiques. Au début des années 80, il décide de se consacrer uniquement à sa recherche et abandonne alors la plupart de ses fonctions officielles.

Quelques points de repères biographiques : Vaspect scientifique

Scientifiquement, il fut avant tout un esprit libre : libre dans le choix de ses enthousiasmes ( l’espace, le flou ), libre jusque dans ses excès. Il n’aimait la tradition que pour s’en évader, ouvrant des portes nouvelles et s’y engouffrant sans calcul, par conviction. Derrière lui, suivaient ses élèves. Il eût souvent l’impression de ne pas être compris, ou du moins celle d’être systématiquement en décalage avec le reste de la communauté scientifique. Il aimait à dire qu ’il avait dû écrire son Histoire des Théories Economiques Spatiale s pour qu’enfin l’on prît la peine de lire son Economie et Espace : Essai d’Intégration du Facteur Spatial dans VAnalyse Economique. Il pensait aussi que ses travaux de pionnier en économie floue ne connaîtraient le succès que longtemps après qu’il en aurait essuyé les critiques. Sans conteste, il fut un précurseur : de ces hommes qui ont l’intuition avant la raison et qui en éclairent la totalité de leur oeuvre.

Il est rétrospectivement aisé d’apercevoir les deux champs théoriques fonda­ mentaux sur lesquels il a construit sa recherche et qui reviendront constamment au long de ses publications, imbriqués ou séparés, définissant ainsi une manière de principe intellectuel : la théorie traditionnelle ignore, par commodité ou par efficacité ( tel est finalement le débat ), un certain nombre de phénomènes réels dont l’existence empirique est une évidence. Les nier peut être fécond pour engendrer des résultats

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stylisés. Ainsi la théorie économique ponctuelle1, ainsi la théorie économique crisp2.

Néanmoins, s’ il est possible d’ intégrer formellement ( mathématiquement ) les phé­ nomènes réels que nie la théorie standard, la théorie nouvelle sera supérieure. Ce principe, cette conviction, nous les retrouvons à la base des deux étapes canoniques de l ’oeuvre de Claude Ponsard : l ’intégration du facteur spatial ( 1953-1974 ) et l’intégration de l’imprécision des comportements ( 1975-1990 )3.

L'intégration du facteur spatial dans la théorie économique ( 1953-1974 )

C’est en 1947 qu’ Alain Piatier, alors Directeur d’Etudes à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes de Paris, invite deux jeunes chercheurs à consacrer leur thèse, l ’un ( Claude Ponsard ) à l ’élaboration d’ une synthèse des travaux prenant en compte l’espace au sein de la théorie économique, l ’autre ( Raymond Barre ) poursuivant une démarche similaire consacrée au temps. Dès l’origine, l ’asymétrie des carrières que vont connaître ces deux esprits curieux et brillants se retrouve au niveau même des thèmes de recherche. En effet, si dès le développement de l’économie en tant que discipline scientifique, le facteur temps se trouve au centre des débats fondamentaux portant sur la théorie de la valeur, de l’intérêt et de la stabilité des systèmes écono­ miques, le facteur spatial semble, quant à lui, évacué de la réflexion économique.

Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir un fondateur éminent. En 1826, von Thünen montre comment la rente foncière différentielle reçoit une explication claire et logique dans le cadre d’ une économie spatialisée ( à rencontre de Ricardo qui, lui, privilégie la fécondité différentielle des sols ). Les travaux de von Thünen sont plus abstraits et plus formels que ceux de ses contemporains ; il s’efforce aussi de confronter sa théorie de l ’organisation concentrique des récoltes aux données réelles. On peut donc, sans exagération, considérer von Thünen comme l ’un des fondateurs, à la fois de l’économie pure et de l’économétrie.

1 On dit d’un modèle économique qu’il est ponctuel, par opposition, aux modèles spatiaux, lorsqu’il concentre, par définition, les activités qu’il décrit ( consommation, production, échange ) en un point et un seul, niant ainsi l’influence économique de l’espace.

2 Dans un article particulièrement original, Foundations of Soft Décision Theory, Claude Ponsard opposait la décision soft, c’est à dire imprécise, nuancée, éventuellement contradictoire, à la décision crisp, laquelle correspond à la théorie standard.

3 Cette séparation en deux périodes est forcément artificielle en ceci que durant la seconde, il est indéniable qu’il existe toujours une préoccupation spatiale ; mais l ’on peut toutefois considérer que le coeur de cette recherche sur l’économie floue n’est pas fondamentalement influencé par le facteur spatial mais bien plutôt par les comportements.

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En dépit, ou peut-être à cause, de leurs nombreuses qualités, les travaux de von Thünen demeureront longtemps méconnus en dehors de l ’Allemagne. En revanche, pour une fois prophète en son pays, von Thünen aura de nombreux successeurs dont les plus prestigieux seront Launhardt, Weber, Christaller et surtout Lösch.

Au sortir de la guerre, c’ est-à-dire à une époque encore peu favorable aux échanges scientifiques, Claude Ponsard s’attache au travail titanesque de fournir aux économistes français une remarquable synthèse des travaux, jusqu’ alors épars, consacrés à la théorie économique spatiale4. Il y distingue quatre grands paradigmes, à savoir la théorie économique de l’utilisation du sol chez von Thünen, la localisation de la firme chez Weber, la théorie de la concurrence spatiale d’Hottelling et celle des lieux centraux de Christaller - Lösch. C’ est cette même division qui préside à l ’ar­ chitecture de son Histoire des Théories Economiques Spatiales5 publiée en 1958.

Il y a donc plus de trente ans que, grâce à Claude Ponsard, les économistes français ont accès aux idées maîtresses de l’analyse spatiale. A l’époque, curieusement, ils n’ y prêtent guère attention. Certains préfèrent le verbe de François Perroux à la rigueur de Claude Ponsard. D’autres, la grand majorité, ne voient dans le facteur spatial qu’ un indice de plus servant à définir le concept de marchandise au sens Arrow - Debreu. Dès lors, pourquoi ne pas laisser ce travail aux géographes ; après tout, l ’espace, c’est leur métier !

Claude Ponsard perçoit très tôt que le facteur spatial ne réclame pas qu’ une simple généralisation des théories existantes. Bien au contraire, le facteur spatial est déran­ geant en ce qu’ il nous oblige à réinventer de nouvelles théories : les marchés ne sont plus parfaitement concurrentiels dès lors que les vendeurs et les acheteurs sont dispersés dans l’espace. Comme l ’avait déjà noté Sraffa en 1926, la différentiation spatiale suffit à remettre en cause l ’hypothèse de bien homogène. A partir de là, la concurrence ne concerne plus un grand nombre d’agents mais bien plutôt un petit nombre d’entre eux.

4 Economie et Espace. Essai d Intégration du Facteur Spatial dans V Analyse Economique, Société d’Edition de l’Enseignement Supérieur, Paris, 1955.

5 Histoire des Théories Economiques Spatiales, A. Colin, Paris 1958. English translation : History o f Spatial Economie Theory, Springer Verlag, Berlin, Heidelberg, New York, Tokyo, 1983.

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Claude Ponsard, peut-être, préoccupé qu’il est à l’époque de diffuser les idées de ses grands prédécesseurs, n’a-t-il pas mis toute la force de persuasion qu’on lui connaît par ailleurs, à convaincre ses collègues que l’espace les invitait plus à dépasser, qu’à généraliser, les théories existantes. Paradoxe chez un homme à l’esprit si critique : Claude Ponsard souhaite réconcilier l ’espace et la théorie de la valeur. Sans doute est-il, comme nous tous, fasciné par l ’élégance magistrale des travaux de Gérard Debreu. En privé, pourtant, il n’hésite pas à défendre l ’équation "espace = concurrence imparfaite". Ce point de vue se retrouve dans l ’admiration qu’ il éprouve pour Lösch6 qui peut être considéré comme l’un des principaux fondateurs de la concurrence imparfaite.

S’il ne doit faire avancer le débat sur cette question que de façon occasionnelle7, en revanche, Claude Ponsard exerce une influence décisive au niveau de la modéli­ sation de l’espace. De ses lectures, il retient un emploi systématique, exagéré de la géométrie euclidienne. C ’est très vite qu’ il remet en cause cette hypothèse. Il intègre d’abord la théorie des graphes®. Comme plus tard, à l ’occasion de la théorie des sous-ensembles flous, il s’ intéresse à l ’outil mathématique per se et entrevoit de nombreuses applications. C’est le début d’une longue suite de travaux consacrés à l ’emploi des graphes de transfert dans l ’analyse des systèmes économiques linéaires9 ( par exemple, l ’analyse input-output ). La veine est riche et nombreux sont les étu­ diants qui ont développé et appliqué ses idées.

Dans un second temps, au début des années 70, Claude Ponsard réalise que la géométrie euclidienne comme les graphes ne sont encore que des structures particu­ lières. C ’est tout le potentiel des espaces métriques, normés ou topologiques10 qui est à la disposition de l’économiste spatial. Avec la générosité qui l’a toujours caractérisé, il livre ses idées à ses étudiants, chacune constituant le point de départ d’ une thèse ou de plusieurs articles. Il est heureux de voir ses intuitions concrétisées par d’autres,

6 August Lösch : A Famous, but Ignored Economist, in Space, Structure, Economy : A Tribute to August Lösche Funks R.H. & A. Kuklinski ( Eds ), Von Loepere Verlag, Karlsruhre, 1986,35-45.

7 Quelques Réflexions sur la Théorie Economique de 1* Equilibre Spatial Général, in Marchés, Capital et Incertitude, Essais en VHonneur de Maurice Allais, Boiteux M., T. de Montbrial & B. Munier ( Eds ), Economica, Paris, 1986,47-55.

8 Une Application de la Théorie des Graphes à 1* Analyse de l’Espace Economique : un Modèle de Loca­ lisation de l’Unité de Production dans une Structure de Concurrence, Cahiers T E .M ., 4,1966,1-21. 9 Un Modèle Topologique d ’Equilibre Economique interrégional, Dunod, Paris, 1969 et "Graphes de transfert et Analyse Economique", numéro spécial de la Revue d’Economie Politique, 1972.

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quand bon nombre les auraient gardées jalousement pour eux-mêmes. Au moment où

il pourrait offrir sa propre synthèse de l’

analyse économique spatiale, Claude Ponsard

délaisse quelque peu son amour de jeunesse : il vient de découvrir l’

existence de la

théorie des sous-ensembles flous.

L ’

intégration de l’

imprécision des comportements dans la théorie économique

( 1975-1990 )

Au mois d’

Août 1974, Claude Ponsard se promène boulevard Saint-Michel et

aperçoit dans la vitrine des Presses Universitaires de France le manuel de Kaufmann

consacré à la théorie des sous-ensembles flous. Il entre dans la librairie, achète les

quatre tomes et retourne chez lui, intrigué par le singulier couple que forment le terme

flou accolé à celui de sous-ensemble. Littérairement, l’

adjectif "flou" évoque l’

im­

précis, le vague, le mal-défini : tout ce qui, par définition, échappe à la mesure, au

quantifiable. A l’

inverse, le mot "sous-ensemble" réfère à la théorie des ensembles,

aux structures topologiques qui correspondent aux mathématiques sophistiquées à la

Bourbaki dont les économistes ( dans leur très large majorité ) ont appris l’

existence

en lisant Arrow et surtout Debreu et sa Théorie de la Valeur.

Sans nul doute, ce livre, plus qu’

aucun autre, exerce une fascination considérable

sur les générations d’

économistes qui vivent ou suivent son édition. Claude Ponsard

- nous le répétons - est de ceux-là, convaincu a priori que la théorie fondamentale de

l’

échange nécessite un instrument mathématique puissant ( et donc difficile d’

accès ),

convaincu surtout que la fondation du concept central de l’

analyse économique

- l’

équilibre - doit passer par cette sorte de dépouillement esthétique qui n’

est du reste

pas étranger à son succès. Les principales caractéristiques de l’

ouvrage, rigueur,

efficacité du commentaire, pureté des enchaînements, sont aussi les critères au vu

desquels Claude Ponsard évalue tout travail scientifique ; il n’

est qu’

à lire ses rapports

de thèse, ses revues critiques de la Revue d’

Economie Politique ou même son rapport

du concours d’

Agrégation des Professeurs dont il est le président en 1978, pour s’

en

convaincre.

Lorsqu’

il termine la lecture du seul premier tome du manuel de Kaufmann, il a

déjà les principales intuitions qu’

il développera ensuite, année après année, article

après article, avec une ténacité absolue, malgré le silence poli de la communauté

scientifique française, jusqu’

à définir finalement une théorie de la valeur floue. A

l’

intégration du facteur spatial - cible privilégiée de sa première recherche - va

répondre ici l’

intégration de l’

imprécision comportementale. Il y aura un débat assez

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vif entre lui et certains de ses élèves sur l ’origine de cette imprécision : pour lui, elle provient directement de l ’homme, elle lui est intrinsèque et tout ce qui décrit l ’agent économique en tant qu’ être parfaitement rationnel, au choix complets et totalement discriminés, relève du réductionnisme le plus évident. Pour d’autres, elle est extrin­ sèque et provient seulement du modélisateur.

Conformément à cette optique, Claude Ponsard se concentre d’ abord sur le noeud de la théorie de la valeur, à savoir l ’utilité. Dans une communication adressée au Quatrième Colloque Annuel de l’Association Canadienne de Science Régionale et de l’Association de Science Régionale de Langue Française, en 1980, à Montréal, il présente la première version de ce qui deviendra l ’article fondateur du courant "fuzzy économies", publié un an plus tard dans F u zzy Sets and Systems, "An Application of Fuzzy Subsets Theory to the Analysis of the Consumer’ s Spatial Preferences". Sa thèse est simple : les méthodes nouvelles d’optimisation floue permettent d’envisager que l ’objectif ou la contrainte ( ou les deux ) sont floues et ainsi de rendre compte, soit de l ’imprécision de la fonction d’utilité ( et donc des préférences ) soit de l ’imprécision de la contrainte de budget Cette possibilité introduite, l’économiste intervient pour justifier des modifications. L ’ introduction des relations de préférences floues, aux propriétés plus souples, va permettre de décrire des agents économiques aux com­ portements moins rationnels, plus nuancés dans l ’énoncé de leurs choix. Certains axiomes, comme la totalité du préordre ( au sens flou ), cessent d’être indispensables et autorisent ainsi un relâchement des contraintes techniques du modèle traditionnel.

Puis, sur cette base, il développe l’analyse symétrique du producteur11 après introduction d’une fonction d’ utilité du profit ( fort discutée ) et fuzzyfication des contraintes technologiques, puis le concept d’équilibre flou d’une économie à la Arrow-Debreu12 et enfin celui d’équilibre de Nash13. Les théorèmes d’existence ainsi présentés se fondent sur les travaux de D. Butnariu qui généralisent le concept de point fixe à des correspondances floues. Par ailleurs, il est fait appel au concept d ’agent médian dont le comportement permet l’agrégation des correspondances de demande et fonde de manière indirecte l’hypothèse classique de l’agent représentatif. Claude

11 Producer’s Spatial Equilibria with Fuzzy Constraints, European Journal o f Operational Research, 10,

1982,302-313.

12 A Theory of Spatial General Equilibrium in a Fuzzy Economy, Fuzzy Economics and Spatial Analysis, Ponsard C. & B. Fustier ( Eds ), Librairie de TUniversité, n°32,1986,1-27.

13 Nash Fuzzy Equilibrium : Theory and Application to a Spatial Duopoly, Europran Journal o f Operational Research, 31,1987,376-384.

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Ponsard démontre ainsi que le système d’organisation par le marché demeure efficace en présence de comportements imprécis. En 1987, la recréation d’ une théorie de la valeur est alors achevée. J. Eatwell, M. Milgate et P. Newman lui demandent de rédiger un article14 dans le New Pal grave, A Dictionary of Economies ; il y voit le premier signe d’une reconnaissance pour ses travaux dans le domaine.

Pour autant, Claude Ponsard ne cesse pas de remettre en cause ses propres résultats. De 1988 jusqu’à sa disparition, il continue inlassablement d’améliorer sa théorie en introduisant nuances et analyses, interprétations et raffinements mathé­ matiques. En février 1988, il publie ainsi sa première réflexion sur ce qui devait per­ mettre la fuzzyfication du concept de marchandise15 et en 1990, quelques jours avant son décès, il corrige encore les épreuves d’un article consacré aux nombreuses formes de transitivités floues que l’on peut introduire dans les modèles de la théorie des préférences16. Simultanément, il encourage de nombreux travaux : ceux de B. Mathieu-Nicot en théorie de la décision, ceux de B. Fustier en économie spatiale et urbaine et ceux encore de plusieurs étudiants de l’institut Français du Pétrole17. Il noue de fructueux contacts avec des chercheurs étrangers, L.A. Zadeh, F.-J. Zimmermann, R. Yager et J. Kacprzyk qui accueillent, en 1985, l’un de ses papiers les plus stimulants18 ; il persuade P. Nijkamp et M. Beckmann de l’intérêt de cette théorie19 ; il en débat à chaque occasion, avec son ami P. Balestra, F. Hahn, E. Malinvaud ou G.L.S. Shackle ; il invite au Colloque Annuel de l’IME tout ce que le monde scien­ tifique compte de fuzzistes, de D. Dubois à M. Roubens, de M. Salles à P. Vincke.

Cette énergie toute entière focalisée sur la promotion d’une théorie économique floue trouve sa pleine rétribution lorsqu’en avril 1986, l’Académie Economique de Poznan ( Pologne ) lui décerne le titre de Doctorat Honoris Causa et qu’il saisit là

14 Fuzzy Sets, Entry in The NewPalgrave, A Dictionary o f Economics, Eatwell J., M. Milgate & P. Newman ( Eds ), The MacMillan Press Limited, London, 1987,449-452.

15 Note on the Ranking of Fuzzy Numbers, Document de Travail de TIME, n"102.

16 Some Dissenting Views on the Transitivity of Individual Preference, Annals o f Operations Research, 23,279-288.

17 En décembre 1989, il comptait mettre au point un programme de recherche surréconométrie floue avec des étudiants de TIFP.

18 Fuzzy Sets in Economics : Foundations of Soft Decision Theory, in Management Support Systems Using Fuzzy Sets and Possibility Theory, Kacprzyk J. & R.R. Yager ( Eds ), Verlag TUV Rheinland, 1985,25-37. 19 Fuzzy Data Analysis in a Spatial Context, in Measuring the Unmeasurable, Nijkamp P., H. Leitner & N. Wrigley ( Eds ), Martinus Nijhoff Publishers, Dordrecht, Boston, Lancaster, 1985, 487-508.

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l’occasion unique d’exprimer sa philosophie de l’économie20. Dans un discours étonnant, il intègre l ’espace et l ’imprécision au sein d’une perspective commune, assimilant les deux pôles de son oeuvre pour en montrer la fécondité.

Plus encore, pendant deux ans, il rassemble les matériaux de ce qui devait être l ’équivalent "flou" de son essai d’ intégration du facteur spatial et qu’ il compte déjà appeler Fuzzy Economie Spaces : An Axiomatic Approach. Ce dernier s’achemine doucement vers sa structure définitive : les préférences floues, la fonction d’utilité floue, l’équilibre partiel du consommateur, celui du producteur, l ’équilibre général flou et enfin, un chapitre de concurrence imparfaite où sont présentés les équilibres de Nash généralisés aux jeux flous.

Ce livre existe, manuscrit, partiellement inachevé. Claude Ponsard y explique sa théorie de manière continue, homogène, rigoureuse. Il comptait sur sa parution pour clore le débat souvent riche mais parfois polémique concernant la réelle innovation que représente la théorie des sous-ensembles flous pour l’analyse économique. Il n’en eût pas le temps.

Au terme de cet hommage biographique, nous avons l’étrange sensation que l ’existence d’un homme ainsi enfermée dans quelques pages n’est qu’une mauvaise photographie, un portrait approximatif auquel manquerait le trait essentiel qui assure la ressemblance. Ce trait ne relève probablement pas de la science, de l ’oeuvre, mais bien plutôt d’une collection de souvenirs épars et personnels, d’impressions vécues et il ne nous appartient pas d’ imposer les nôtres. Certains ne reconnaîtront peut-être pas Claude Ponsard à travers ces lignes ; c’est qu’ils auront d’autres repères, d’ autres images. Nous avons juste essayé de décrire celui que nous avons connu.

20 Voir sur ce sujet l’autre texte épistémologique de Claude Ponsard, "L’Homo Oeconomicus et l’Espace", in L ’Homme et /’Espace, CRDP, Dijon, 1988,73-80.

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