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La polyvictimisation comme variable modératrice des conséquences de l'exposition à la violence familiale

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Academic year: 2021

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LA POLYVICTIMISATION COMME VARIABLE

MODÉRATRICE DES CONSÉQUENCES DE

L’EXPOSITION À LA VIOLENCE FAMILIALE

Mémoire présenté

à la Faculté des études supérieures et postdoctorales de l’Université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en Service social

pour l’obtention du grade de Maître en service social (M. Serv. Soc.)

ÉCOLE DE SERVICE SOCIAL FACULTÉ DES SCIENCES SOCIALES

UNIVERSITÉ LAVAL QUÉBEC

2013

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RÉSUMÉ

La présente recherche veut connaitre l’ampleur des victimisations autres vécues par les jeunes exposés à la violence familiale et en savoir davantage en regard des effets de l’accumulation de violence dans la dernière année sur les conséquences de cette exposition. Pour ce faire, des données secondaires de deux recherches québécoises sur la polyvictimisation des enfants et des adolescents québécois sont utilisées, ainsi qu’une adaptation du Stress Process Model en tant que cadre théorique. L’analyse des données démontre que les enfants exposés à la violence familiale vivent plus de formes de violence diverses et d’événements aversifs que les enfants non exposés. Ils présentent aussi de l’anxiété, de la colère, de la dépression et du stress post-traumatique à un plus haut niveau. Le nombre d’autres victimisations vécues dans la dernière année a un effet modérateur sur la colère des deux à 11 ans et sur le syndrome de stress post-traumatique des 12 à 17 ans. La variation des symptômes de trauma est par contre faiblement expliquée par le modèle utilisé, impliquant que d’autres variables doivent être prises en compte pour bien comprendre les processus sous-jacents à l’apparition de conséquences psychologiques dans la vie des enfants vivant une accumulation de violences diverses.

ABSTRACT

The current research explores the importance of victimization of young people who have been exposed to family violence. It investigates the effects of violence accumulation in the last year and the consequences of their exposure to these specific circumstances. This project uses an adaptation of the Stress Process Model as a theoretical framework and two poly-victimization studies of children and teenagers as empirical evidence. Overall, this study shows that children who have been exposed to family violence experience more types of violence and adverse events than non-exposed children. They also suffer from anxiety, anger, depression and post-traumatic stress at a higher level. In concrete, the results show that the number of victimizations observed during the last year have a moderating effect on the anger of the 2 to 11 year-olds and on

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the post-traumatic syndrome of the 12 to 17 year-olds. Yet, the variation of traumatic symptoms is only weakly explained by the model used. Other variables must be taken into account to have a better understanding of how psychological consequences affect children who have endured the accumulation of diverse types of violence.

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Remerciements

La réalisation de mon mémoire n’aurait pu être possible si je n’avais pas été aussi bien entourée. D’abord, je souhaite remercier ma directrice, Geneviève Lessard, pour ses commentaires toujours encourageants et constructifs. J’ai eu la chance d’être dirigée par quelqu’un qui m’a fait confiance et qui m’a permis de me dépasser.

Je remercie également les équipes de recherche de Madame Marie-Eve Clément et Madame Claire Chamberland, de m’avoir permis d’utiliser les données de leurs propres projets pour mon mémoire. Un merci spécial à Kathy Cyr, pour son efficience et sa rapidité à répondre à mes interrogations.

Merci aux collègues étudiantes qui ont fait ce bout de parcours avec moi; Mélissa, Catherine, Caroline, Julie, Joannie, Claudia et Marie-Eve. Merci pour votre capacité d’écoute et votre présence lorsque j’avais besoin de ventiler, de me questionner ou simplement de penser à autre chose. Merci également à Simon, pour ses commentaires constructifs et son aide ponctuelle.

Un énorme merci à mon mari, Jean-Philippe, qui a permis que ce processus soit plus facile, par sa présence et sa patience.

Enfin, la réalisation de mes études de maitrise a été facilitée par l’aide financière apportée par le Fonds de soutien aux étudiants du CRI-VIFF et par le Programme de soutien à la réussite de l’École de service social.

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TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ ... ii

REMERCIEMENTS ... iv

TABLE DES MATIÈRES ... v

LISTE DES TABLEAUX ET FIGURES ... viii

INTRODUCTION ... 1

CHAPITRE 1 : DÉFINITIONS DES CONCEPTS À L’ÉTUDE ET RECENSION DES ÉCRITS EMPIRIQUES ... 3

1.1 Définitions des concepts ... 3

1.1.1 Violence conjugale ... 3

1.1.2 Exposition à la violence familiale ... 4

1.1.3 Polyvictimisation et victimisations récentes ... 5

1.2 Recension des écrits ... 5

1.2.1 L’exposition à la violence conjugale ... 6

1.2.1.1 Prévalence ... 6

1.2.1.2 Conséquences ... 7

1.2.1.3 Facteurs de risque et de protection ... 8

1.2.2 L’exposition à la violence envers la fratrie ... 9

1.2.3 La polyvictimisation ... 11

1.2.3.1 Risques de polyvictimisation en présence d’exposition à la violence familiale... 11

1.2.3.2 Prévalence ... 13

1.2.3.3 Typologie ... 14

1.2.3.4 Conséquences ... 15

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1.2.5 Conclusion ... 17

1.3 Pertinence sociale et scientifique ... 17

1.4 Conclusion ... 21

CHAPITRE 2 : CADRE THÉORIQUE ET MÉTHODOLOGIQUE ... 22

2.1 Approche et type de recherche ... 22

2.2 Cadre théorique et opérationnalisation des concepts ... 23

2.2.1 Théorie du Stress-Coping... 23

2.2.2 Stress Process Model ... 24

2.2.3 Adaptation du modèle appliqué à la présente étude ... 25

2.2.4 Opérationnalisation des concepts ... 27

2.3 Population à l’étude et échantillonnage ... 28

2.4 Mode de collecte de données et instruments de recherche ... 28

2.5 Méthodes d’analyse statistique ... 30

2.5.1 Analyses descriptives ... 30

2.5.2 Régressions multiples ... 31

2.6 Limites de la méthodologie choisie ... 33

2.7 Les aspects éthiques ... 34

CHAPITRE 3 : RÉSULTATS ... 35

3.1 Ampleur des victimisations vécues par les enfants exposés à la violence familiale ... 35

3.1.1 Les 2-11 ans ... 36

3.1.2 Les 12-17 ans ... 37

3.2 Effets des variables étudiées sur les symptômes de trauma ... 39

3.2.1 Les 2-11 ans ... 39

3.2.2 Les 12-17 ans ... 42

3.3 Conclusion ... 45

CHAPITRE 4 : DISCUSSION ... 47

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4.2 Interprétation des résultats... 49

4.2.1 Prévalence de l’exposition à la violence familiale ... 49

4.2.2 Risques en présence d’exposition à la violence familiale ... 50

4.2.3 Application du cadre théorique... 52

4.2.4 Effets des autres variables étudiées ... 53

4.3 Forces et limites de la présente recherche ... 56

4.4 Recommandations pour la recherche et l’intervention ... 56

4.5 Conclusion ... 57

CONCLUSION ... 59

RÉFÉRENCES ... 61

ANNEXE A ... 67

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LISTE DES TABLEAUX ET DES FIGURES

Tableau 1 : Présence de chacune des formes de victimisation et d’adversité,

selon l’exposition à la violence conjugale ou non ... 12

Tableau 2 : Opérationnalisation ... 27

Tableau 3 : Plans de régressions multiples selon les variables en présence ... 32

Tableau 4 : Grille d’interprétation des mesures d’association... 32

Tableau 5 : Moyennes des scores aux symptômes de trauma selon l’exposition à la violence familiale des deux à 11 ans ... 36

Tableau 6 : Moyennes du nombre d’autres victimisations et d’événements aversifs chez les enfants de deux à 11 ans, selon qu’ils soient ou non exposés à la violence familiale ... 37

Tableau 7 : Moyennes des scores aux symptômes de trauma selon l’exposition à la violence familiale des 12 à 17 ans ... 38

Tableau 8 : Moyennes du nombre d’autres victimisations et d’événements aversifs chez les jeunes de 12 à 17 ans, selon qu’ils soient ou non exposés à la violence familiale ... 38

Tableau 9 : Effets des variables étudiées sur l’anxiété des deux à 11 ans ... 40

Tableau 10 : Effets des variables étudiées sur la dépression des deux à 11 ans ... 41

Tableau 11 : Effets des variables étudiées sur la colère des deux à 11 ans ... 42

Tableau 12 : Effets des variables étudiées sur le syndrome de stress post-traumatique des 12 à 17 ans... 43

Tableau 13 : Effets des variables étudiées sur la dépression des 12 à 17 ans... 44

Tableau 14 : Effets des variables étudiées sur la colère des 12 à 17 ans ... 45

Figure 1 : Processus de stress-coping ... 24

Figure 2 : Stress Process Model ... 24

Figure 3 : La polyvictimisation comme variable modératrice des conséquences de l’exposition à la violence familiale ... 26

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INTRODUCTION

Dans les maisons d’hébergement pour femmes victimes de violence, les intervenantes jeunesse doivent chaque jour venir en aide à des enfants meurtris par la violence dont ils ont été témoins, mais aussi très souvent par celle dont ils ont été directement victimes (Stephens, McDonald, & Jouriles, 2000). Par exemple, selon certains auteurs, l’exposition à la violence conjugale représente un élément clé dans la création de conditions qui conduisent aux mauvais traitements, à l’exposition à de l’abus physique sur un membre de la fratrie ou à d’autres assauts sur un membre de la famille (Hamby, Finkelhor, Turner, & Ormrod, 2010). Le travail de ces intervenantes en devient donc d’autant plus complexe que le cocktail de violence vécu est propre à chaque jeune et entraîne des conséquences diverses sur leur santé physique et psychologique. La prise en compte de l’accumulation de victimisations dans la vie des enfants et des adolescents peut avoir un certain impact sur la manière dont sont développés les programmes de prévention et d’intervention. Ceux-ci doivent-ils se concentrer uniquement sur l’exposition à la violence conjugale et ses conséquences ou tenir compte des effets des autres violences? Si oui, quels sont ces effets?

Il faut aussi dire que les violences vécues par les enfants peuvent se produire tant dans la sphère familiale qu’à l’extérieur de celle-ci (Cyr et al., 2012; Elliott, Alexander, Pierce, Aspelmeier, & Richmond, 2009; Finkelhor, Ormrod, & Turner, 2009a; Finkelhor, Turner, Hamby, & Ormrod, 2011c), par de l’intimidation dans le milieu scolaire, par exemple. La présente étude s’intéresse quant à elle à certaines violences intrafamiliales en considérant le lien entre ces violences et les autres victimisations susceptibles d'être vécues par les enfants, à partir de données recueillies dans le cadre de deux recherches québécoises portant sur la polyvictimisation des enfants (Clément et al., en cours) et des adolescents (Chamberland et al., en cours). De façon plus spécifique, l’étude réalisée ici se penche sur le nombre de victimisations vécues par les enfants exposés à la violence familiale (EVF) dans l’année précédent l’étude en tant que variable modératrice de l’impact de cette exposition sur les jeunes. Elle tente de répondre à la question suivante : dans quelle mesure le nombre de victimisations a-t-il une influence sur les conséquences ressenties par les enfants EVF? Cette question générale est étudiée sous l’angle du

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paradigme post-positiviste, basé sur l’observation de phénomènes par une méthode scientifique et visant l’objectivité la plus complète possible du chercheur. Ce paradigme épistémologique est choisi, car il permet d’énoncer certaines généralisations, de décrire un phénomène complexe et de valider ou de rejeter le cadre théorique utilisé.

Un intérêt est d’abord porté aux concepts importants et sur ce que les recherches antérieures nous ont appris de la problématique étudiée dans le chapitre 1. Par la suite, le chapitre 2 s’attarde au cadre théorique et à la méthodologie sur lesquels s’appuie la recherche. Enfin, le chapitre 3 expose les résultats de la recherche, alors que le chapitre 4 établit certains parallèles entre les résultats et les connaissances déjà existantes sur le sujet.

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CHAPITRE 1 : DÉFINITIONS DES CONCEPTS À L’ÉTUDE ET RECENSION DES ÉCRITS

Les concepts à la base de l’étude sont d'abord définis, soit la violence conjugale, l’exposition à la violence familiale et la polyvictimisation. Par la suite, ces mêmes concepts sont repris pour structurer la recension des écrits empiriques qui aborde la prévalence de ces formes de victimisation, leurs conséquences et particularités.

1.1 Définitions des concepts 1.1.1 Violence conjugale

La violence conjugale peut être comprise de diverses façons, dépendamment de la théorie explicative à laquelle on adhère. Alors que pour certains elle peut être attribuable aux caractéristiques de l’agresseur ou de la victime (théories intra-individuelles), pour d’autres elle dépend plutôt d’une addition entre ces caractéristiques et celles de l’environnement dans lequel les individus impliqués évoluent (théories psychosociales). D’autres encore voient la violence comme une résultante de structures et de normes sociales favorisant l’utilisation de celle-ci (théories sociologiques / structurelles). Les théories féministes, par exemple, considèrent que la violence conjugale s’appuie sur le contexte social et historique des relations entre les hommes et les femmes, en plus de voir, dans la structure sociétale, une cause à la violence (Desmarais, 1990). En effet, le patriarcat présent dans la société est montré du doigt par les féministes qui y voient une légitimation de l’inégalité de pouvoirs entre les sexes (Bilodeau, 1990).

Un souci de clarté nous amène, dans la présente étude, à faire un choix parmi les différentes définitions existantes de la violence conjugale. C’est la définition adoptée par le gouvernement du Québec en 1995 dans sa politique d’intervention en matière de violence conjugale qui est donc retenue, parce qu’elle s’appuie à la fois sur le contexte historique et légal avec lequel les intervenants en matière de violence conjugale doivent composer (Gouvernement du Québec, 1995, p.18) :

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La violence conjugale comprend les agressions psychologiques, verbales, physiques et sexuelles ainsi que les actes de domination sur le plan économique. Elle ne résulte pas d'une perte de contrôle, mais constitue, au contraire, un moyen choisi pour dominer l'autre personne et affirmer son pouvoir sur elle. Elle peut être vécue dans une relation maritale, extramaritale ou amoureuse, à tous les âges de la vie (Gouvernement du Québec, 1995, p. 23).

1.1.2 Exposition à la violence familiale

Le concept d’exposition à la violence familiale renvoie ici à l’une ou l’autre des formes suivantes : l’exposition à la violence envers la fratrie et l’exposition à la violence conjugale. Il faut par contre savoir que le phénomène de l’exposition à la violence conjugale est beaucoup mieux connu et documenté que celui de l’exposition à la violence envers un frère ou une sœur. Le choix de définition pour ces deux formes d’exposition à la violence est balisé par la méthodologie de recherche des enquêtes dont sont issues les données brutes. Comme celles-ci s’attardent à la polyvictimisation et aux liens entre les différentes victimisations, elles ne peuvent mesurer chacune des victimisations avec autant de finesse et de détails que dans une étude qui se pencherait uniquement sur l’exposition à la violence conjugale, par exemple.

Il est à noter que c’est le terme « exposé » plutôt que « témoin » qui est utilisé tout au long de ce travail lorsqu’il s’agit de faire référence aux jeunes qui voient ou entendent des scènes de violence conjugale ou qui en constatent les effets. Alors que le témoin d’une situation est passif face à celle-ci et vit les choses de l’extérieur, l’enfant exposé à la violence conjugale en fait directement partie, par le fait qu’il se retrouve au centre de ce climat de peur et de tension (Lessard, Damant, Brabant, Pépin-Gagné, & Chamberland, 2009). Il faut par contre ajouter que les données utilisées pour la présente étude ne permettent pas de connaitre toute l’ampleur de cette exposition chez les enfants. En effet, seule la violence conjugale physique est considérée par les instruments de mesure et, pour ce qui est des adolescents, seule une exposition directe (avoir vu l’acte de violence) est prise en compte. La mesure de l’exposition à la violence conjugale a ensuite été bonifiée, lorsqu’est venu le temps de questionner les parents des enfants de deux à 11 ans.

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L’exposition à la violence envers la fratrie se définit ici par le fait « d’être témoin d’une agression physique sur un frère ou une sœur de la part d’un parent », tel que décrit par le Juvenile Victimization Questionnaire (Finkelhor, Hamby, Ormrod, & Turner, 2005a).

1.1.3 Polyvictimisation et victimisations récentes

L’une des façons de déterminer si un enfant est polyvictimisé est de comptabiliser les victimisations au cours de la vie complète du jeune, l’état de polyvictimisation étant défini par le fait, pour un enfant, de se retrouver dans les 10% des jeunes présentant le plus grand nombre de victimisations (Finkelhor, et al., 2009a). Une autre façon de faire est d’additionner les événements de violence ayant eu lieu dans l’année précédente, ce qui permet d’avoir un laps de temps standardisé pour tous les enfants, peu importe leur âge. Cela permet aussi que les souvenirs soient frais à leur mémoire ou à celle de leurs parents (Finkelhor, et al., 2009a). Les victimisations prises en compte sont ciblées dans le JVQ (Annexe A), qui a déjà déterminé qu’en moyenne, les enfants vivent trois victimisations par année. Un enfant polyvictimisé est donc celui qui en a vécu quatre et plus dans une année donnée (Finkelhor et al., 2005c). C’est cette dernière façon de déterminer la polyvictimisation qui est retenu dans le présent mémoire.

1.2 Recension des écrits

Le concept d’exposition à la violence familiale, tel que défini dans la présente étude, couvre deux domaines de connaissances, soit celles se rapportant à l’exposition à la violence conjugale et celles – beaucoup plus limitées – se rapportant à l’exposition à la violence envers la fratrie. La première section présente la prévalence, les conséquences et les facteurs de risque et de protection associés à l’exposition à la violence conjugale. La deuxième section soulève les quelques informations disponibles dans les écrits empiriques en lien avec l’exposition à la violence envers la fratrie. Les connaissances sur la polyvictimisation sont ensuite synthétisées, en débutant par les liens étroits qui semblent exister entre celle-ci et l’exposition à la violence familiale. Puis, la prévalence

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de la polyvictimisation, les typologies de polyvictimisation et les conséquences de cette problématique pour les jeunes sont exposées1.

1.2.1 L’exposition à la violence conjugale

Depuis plusieurs années maintenant, on reconnait l’exposition à la violence conjugale comme une violence subie par l’enfant, et d’ailleurs au Québec, elle est considérée dans la Loi sur la protection de la jeunesse comme l'une des formes de mauvais traitement psychologique susceptibles de nuire à la sécurité et au développement de l'enfant (Gouvernement du Québec, 2011). En effet, plusieurs auteurs ont statué sur le fait que l’enfant n’est pas qu’un témoin passif des agressions entre ses parents, mais qu’il en ressent toutes les répercussions (Cunningham & Baker, 2007; Lessard & Paradis, 2003).

1.2.1.1 Prévalence.

Au Canada, on estime que de 11% à 23% de tous les enfants seraient exposés chez eux à des actes de violence dirigés contre leur mère (Sudermann & Jaffe, 1999), alors qu’aux États-Unis, une étude portant sur l’exposition à la violence familiale des jeunes fait ressortir que 17,9% (N=4549) des 17 ans et moins ont vu de la violence physique entre leurs parents (Hamby, Finkelhor, Turner, & Ormrod, 2011). D’ailleurs, cette même étude estime que, de tous les jeunes exposés à la violence conjugale, 90% en ont été directement témoin. Les écarts de pourcentage dépendent principalement des méthodologies diverses ayant été utilisées dans ces études (Lessard, et al., 2009). De plus, seul un portrait partiel de la réalité peut être dressé, puisque moins de trois personnes sur dix ne dénonceraient un épisode de violence conjugale au Canada (Lortie & D'Élia, 2011), ce qui peut avoir de sérieux impacts sur notre connaissance de l’ampleur du problème de l’exposition à la violence conjugale.

1 Ces écrits sont tirés de différentes recherches collectées dans les banques de données Social Services Abstract, PsycInfo, FRANCIS et Social Sciences Full Text, à partir des concepts suivants : poly-victimization, comorbidity, co-occurrence, poly-victimization, victims of crime, maltreatment, child abuse, domestic violence, family violence, intimate partner violence, exposure to family violence, witnessing violence, violence against siblings, children, adolescents, teenagers, youth, siblings, injuries, wounds and injuries, trauma, psychic trauma, emotional trauma, mental health, depression, depressive disorder, polyvictimisation, comorbidité, cooccurrence, victimisation, violence familiale, exposition à la violence familiale, mauvais traitements, violence conjugale, violence entre conjoints, exposition à la violence conjugale, témoin de violence, violence envers la fratrie, enfants, adolescents, jeunes, fratrie, blessures, santé mentale, dépression.

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1.2.1.2 Conséquences.

L’exposition à la violence conjugale a des impacts dans les différentes sphères de développement de l’enfant. En effet, si la sévérité des conséquences varie considérablement d’un jeune à l’autre, les enfants exposés à cette violence sont à risque de vivre une mauvaise adaptation dans au moins un des domaines suivants : comportemental, émotionnel, social, cognitif et physique (Kolbo, Blakely, & Engleman, 1996) et ces conséquences prennent différentes formes selon le stade de développement atteint. Pour les nourrissons, les risques d’être blessés physiquement lors de l’épisode de violence sont élevés, car le petit est souvent dans les bras de sa mère. Au niveau psychologique, les conséquences peuvent par exemple être associées aux bruits intenses et aux images vives de la violence, qui peuvent créer de l’angoisse chez le bébé. De plus, des retards de développement et des perturbations dans les habitudes de l’enfant sont à prévoir. Pour les trois à cinq ans, comme pour les plus vieux d’ailleurs, les risques de blessures physiques sont présents si l’enfant tente d’arrêter la violence en s’interposant entre ses parents. Les effets physiques peuvent être de l’ordre des plaintes somatiques, alors qu’au niveau émotionnel peuvent apparaître de l’anxiété et des peurs irraisonnées. Des retards de développement peuvent aussi surgir à ce stade, entre autres au niveau verbal. D’autre part, les enfants d’âge préscolaire sont en plein apprentissage de l’expression des émotions et les agressions auxquelles ils sont exposés peuvent leur faire croire que la violence est un mode adéquat d’affirmation (Cunningham & Baker, 2007; Lessard & Paradis, 2003).

Pour les enfants de six à 12 ans, la situation peut être d’autant plus anxiogène maintenant qu’ils sont à même de comprendre que leur mère, malgré tous ses efforts, n’arrive pas à faire cesser la violence. Alors que certains développent des troubles intériorisés tels que de la tristesse, des symptômes dépressifs et une faible estime personnelle, d’autres extériorisent leur mal-être par des comportements destructeurs et agressifs (Cunningham & Baker, 2007; Lessard & Paradis, 2003). De plus, certaines études ont démontré que d’être exposé à un trauma tel que la violence conjugale amène les enfants à être dans un état de constante hypervigilance (Adams, 2006). Les difficultés vécues à la maison se répercutent souvent dans les résultats scolaires de ces enfants, qui présentent des difficultés de concentration, et parfois même des symptômes du syndrome

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de stress post-traumatique (SSPT). La violence perçue entraîne aussi une mauvaise perception des relations hommes-femmes, ayant une incidence sur les relations que l’enfant a avec ses pairs (Cunningham & Baker, 2007; Lessard & Paradis, 2003).

Enfin, les adolescents peuvent se sentir responsables de la sécurité de leur mère et de leurs frères et sœurs et se retrouver de façon prématurée dans un rôle d’adulte, ce qui contribue à augmenter leur détresse (Fortin & Lachance, 2011). Les jeunes peuvent se retrouver en effet à accomplir des tâches qui ne leur reviennent pas, tel que de faire la discipline pour les plus jeunes, d’être responsable du budget familial ou de servir de confident au parent. Ces tâches trop importantes pour eux empêchent ainsi les adolescents de s’individualiser et ils en viennent à faire passer les besoins des autres membres de la famille avant les leurs (Fortin, Côté, Rousseau, & Dubé, 2007). Par ailleurs, les problèmes de comportement, qu’ils soient intériorisés ou extériorisés, sont d’autant plus marqués à l’adolescence. On parle ici de symptôme dépressif, d’idéations suicidaires, d’agressivité et de violence envers les gens qui l’entourent, d’absentéisme ou de décrochage scolaire, de fugue, de prostitution, d’abus de drogues ou d’alcool et de délinquance. Les risques de transmission intergénérationnelle de la violence sont également présents à l’adolescence, alors que les jeunes ont leurs premières relations amoureuses (Cunningham & Baker, 2007; Lessard & Paradis, 2003).

1.2.1.3 Facteurs de risque et de protection.

Cette énumération de conséquences, loin d’être exhaustive, démontre bien que les enfants exposés à la violence conjugale présentent des vulnérabilités dans toutes les sphères de leur vie. Il faut par contre noter que certains jeunes trouvent le moyen d’éviter, ou du moins de diminuer l’impact de la violence sur leur vie (Fortin, Cyr, & Lachance, 2000; Martinez-Torteya, Bogat, von Eye, & Levendosky, 2009; Sternberg, Lamb, Guterman, & Abbott, 2006b).

Ces différences dans les conséquences de l’exposition à la violence conjugale semblent prendre leurs sources dans la présence, ou l’absence, de divers facteurs jouant un rôle aggravant ou protecteur pour les enfants. Par exemple, la perception du jeune face à la situation peut nuire ou atténuer les conséquences de l’exposition à la violence conjugale. Ainsi, dans une étude faite auprès de 687 enfants référés par des policiers suite

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à une intervention pour violence conjugale, 70 % d’entre eux avaient senti que l’événement représentait une menace à leur sécurité, sentiment qui était associé à des taux plus élevés de symptômes de trauma sévère et de problèmes de comportements (Spilsbury et al., 2007). En plus de prendre place dans le contexte de violence vécue, les facteurs de risque et de protection associés à l’exposition à la violence conjugale se retrouvent aussi dans les caractéristiques de l’enfant, dans celles de son milieu familial ou de son environnement. Pour ce qui est des caractéristiques de l’enfant, on parle entre autres de l’âge de l’enfant ou de comment il se perçoit, alors qu’au niveau familial la qualité du lien mère-enfant est un des facteurs pouvant avoir une grande incidence sur le développement de ces jeunes (Fortin, et al., 2000). Enfin, au niveau social, on peut donner en exemple la présence d’un adulte significatif dans la vie de l’enfant ou d’un bon réseau social (Lessard, et al., 2009).

1.2.2 L’exposition à la violence envers la fratrie

Malgré le fait que l’exposition à la violence conjugale ait des conséquences graves et touche un bon nombre d’enfants, elle ne constitue pas la seule forme de violence familiale à laquelle les enfants ont à faire face (Hamby, et al., 2011). La présente étude tient donc aussi compte de l’exposition à la violence d’un parent sur un frère ou une sœur, qui semble avoir certaines similitudes avec l’exposition à la violence conjugale. En effet, les frères et sœurs des enfants abusés ont, eux aussi, de grands besoins psychologiques (Beezley, Martin, & Alexander, 1976) et on sait que des degrés élevés de symptômes de trauma chez les enfants sont associés à l’exposition à la violence familiale, peu importe sa forme (Turner, Finkelhor, Ormrod, & Hamby, 2010). Certains auteurs font d’ailleurs le parallèle entre l’exposition à la violence envers la fratrie et l’exposition à la violence conjugale, principalement en terme de peur et d’anxiété ressentie (Beezley, et al., 1976). En effet, Beezley et ses collègues (1976) considèrent que l’impact de l’exposition à la violence envers la fratrie est un trauma psychologique, certains enfants se sentant responsables de l’attaque pourtant perpétrée par l’adulte. D’ailleurs, les moyens pris pour se protéger de cette exposition sont semblables (crier, tenter de partir, aller chercher de l’aide) et utilisés dans les mêmes proportions que pour les enfants exposés à la violence conjugale (Hamby, et al., 2011). Plusieurs jeunes considèrent pour leur part qu’ils

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auraient dû intervenir pour faire cesser la violence sur le frère ou la sœur (Beezley, et al., 1976), cette façon de penser la violence se retrouvant aussi chez les enfants exposés à la violence conjugale (Fortin, et al., 2000). Bien qu’il s’agisse encore d’une hypothèse à démontrer, on peut se demander si les enfants exposés à la violence envers la fratrie vivent un sentiment d’impuissance semblable à celui vécu par les enfants exposés à la violence conjugale (Fortin, avec la collaboration de Vaillant, Dupuis, & Préfontaine, 2005) . Alors qu’un enfant se tourne d’habitude vers ses parents en premier lieu en cas de difficulté, il se retrouve ici à ne pouvoir compter sur ceux-ci. Il semble en effet que les relations soient plus difficiles entre l’enfant et l’instigateur de la violence (Bourassa et al., 2008), alors que la victime se retrouve quant à elle submergée par la détresse vécue (Fortin, et al., 2005). Pour ce qui est des enfants exposés à la violence envers la fratrie, les deux parents peuvent être les utilisateurs de la violence envers le frère ou la sœur de l’enfant, ou l’un des parents peut vivre lui aussi l’impuissance reliée à la violence de l’autre. Peu importe le contexte, l’enfant se retrouve en manque de moyens pour agir sur une situation qui le dépasse. Enfin, notons que les pères sont plus souvent identifiés comme les agresseurs lorsqu’on parle d’exposition à la violence envers la fratrie, quoiqu’il y ait plus de mères responsables de cette forme de violence que pour la violence conjugale (Hamby, et al., 2011).

Les recherches sont pourtant limitées en lien avec l’exposition à la violence envers la fratrie (Halperin, 1981, 1983), et datent souvent de plusieurs dizaines d’années. De plus, la prévalence de l’exposition à la violence envers la fratrie semble beaucoup moins élevée que pour l’exposition à la violence conjugale. Une étude auprès d’un échantillon représentatif de 2030 enfants américains a démontré que 1,1 % des jeunes de 17 ans et moins ont fait face à l’exposition à la violence envers la fratrie (Finkelhor, Ormrod, Turner & Hamby, 2005b). Suite à ces résultats, les auteurs ont réalisé une deuxième étude auprès de parents ou d’adultes significatifs de 503 enfants de moins de deux ans et ont constaté que de cet échantillon, 0,7% des enfants avaient été exposés à la violence d’un parent sur un membre de leur fratrie (Turner, et al., 2010). On peut par contre se demander si le manque de connaissance en lien avec la problématique a une incidence sur le peu de nombre de cas dépisté.

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Pour la présente étude, les ressemblances entre l’exposition à la violence conjugale et l’exposition à la violence envers la fratrie font qu’elles sont considérées selon un mode inclusif et désignées sous l’appellation « exposition à la violence familiale ».

1.2.3 La polyvictimisation

Alors que les études des dernières décennies en regard de la violence envers les enfants se concentraient sur un type de victimisation à la fois, on voit de plus en plus apparaitre dans les écrits scientifiques des recherches tenant compte du cumul de violences vécues chez nos jeunes. Cette façon de faire permet entre autres de mieux comprendre les problèmes intériorisés et extériorisés que présentent les enfants, tout en se penchant sur les liens existants entre les différentes victimisations. Le concept de polyvictimisation a d’ailleurs été développé dans cette optique. Avant d’aborder plus en détail cette problématique, il faut d’abord s’intéresser aux liens entre la polyvictimisation et l’exposition à la violence familiale.

1.2.3.1 Risques de polyvictimisation en présence d’exposition à la violence familiale.

Il faut savoir qu’une situation de violence, quelle qu’elle soit, est étroitement reliée au risque d’apparition d'autres victimisations (Elliott, et al., 2009; Finkelhor, Turner, & Hamby, 2011b). Les enfants victimisés dans une année précise ont d’ailleurs deux à sept fois plus de risques d’être revictimisés sous une autre forme dans la même année (Finkelhor, Ormrod, & Turner, 2007c). Dans le même ordre d’idées, une étude menée à partir d’un échantillon de 8 629 adultes volontaires fréquentant un centre de santé a démontré que de tous ceux présentant une première victimisation dans leur enfance, 86,5 % en rapportait au moins une deuxième et 38,5 % nommaient avoir été touchés par quatre formes ou plus de violence dans les dix-huit premières années de leur vie. Ces auteurs soutiennent aussi que s’il y a apparition d’une première forme de victimisation, les risques d’en vivre une autre sont de deux à 18 fois plus élevés que pour un individu n’en ayant jamais subi (Dong et al., 2004).

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Pour ce qui est spécifiquement de l’exposition à la violence conjugale, des recherches démontrent qu’elle est souvent accompagnée d'autres victimisations telles que les mauvais traitements dans la famille (Hamby, et al., 2010; Zolotor, Theodore, Coyne-Beasley, & Runyan, 2007) ou la violence en provenance des pairs (Knous-Westfall, Ehrensaft, Watson MacDonell, & Cohen, 2011). D’ailleurs, les chercheurs considèrent que de vivre dans une famille où il y a de la violence entre les parents multiplie de deux à trois fois les risques, pour les enfants, de vivre d’autres situations d’adversités ou d’autres victimisations (Dong, et al., 2004; McGuigan & Pratt, 2001). Le Tableau 1 fait d’ailleurs état de cette multiplication de risques.

Tableau 1 : Présence de chacune des formes de victimisation et d’adversité, selon l’exposition à la violence conjugale ou non. Adapté de Dong et al. (2004).

Ces chiffres démontrent le grand écart entre les victimisations vécues par un individu ayant été exposé à la violence conjugale comparativement à quelqu’un n’ayant jamais vu son parent se faire violenter par un conjoint. L’étude de Mitchell et Finkelhor (2001) rapporte quant à elle que de vivre dans une famille où il y a de la violence conjugale augmente les risques d’une victimisation de 158%. On peut donc s’interroger à savoir si cette tendance est similaire pour l’exposition à la violence envers la fratrie. D’ailleurs, Finkelhor et ses collègues (2007c) affirment que de vivre dans une famille « dangereuse », c’est-à-dire un milieu familial où l’enfant est exposé ou victime de violence, prédispose à la polyvictimisation.

Exposition à la violence conjugale

Abus

émotionnel Abus physique Abus sexuel Négligence émotionnelle Négligence physique

Séparation ou divorce des parents Abus de substance d’un membre de la famille Problème de santé mentale dans la famille Criminalité d’un membre de la famille Avec exposition (N=1125) 31,3 % 57,5 % 36,4 % 35,9 % 27,5 % 51,2 % 64,5 % 37,2 % 15,2 % Sans exposition (N=7504) 7% 21,7% 18,7% 11,6% 7,3% 20% 22,7% 17,7% 4,6%

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1.2.3.2 Prévalence.

La présence de polyvictimisation est évaluée par Finkelhor et ses collègues à l’aide du Juvenile Victimization Questionnaire (JVQ). Ces auteurs ont utilisé le questionnaire à deux reprises dans le cadre du Developmental Victimization Survey, une première fois entre 2002 et 2003 afin de comptabiliser les victimisations vécues chez les enfants américains de deux à 17 ans dans une année précise, et une deuxième fois entre 2003 et 2004, auprès de la même population, afin de s’attarder à l’ensemble des victimisations vécues dans la vie des jeunes. Les violences sur lesquelles s’attardent le questionnaire sont au nombre de 33 (34 pour la première collecte de données) et se divisent en cinq catégories, soit les crimes conventionnels, les mauvais traitements, les victimisations par les pairs ou la fratrie, les victimisations sexuelles et les victimisations indirectes ou l’exposition à la violence (voir Annexe A) (Finkelhor, et al. 2005b; Finkelhor, et al., 2009a). Il est aussi important de remarquer que les victimisations se retrouvent à tous les niveaux sur une échelle de gravité, en fonction de la forme de violence, du lien entre la victime et l’agresseur et des séquelles subies.

Le JVQ a ainsi permis de savoir que 80% des enfants et des adolescents interrogés ont subi, au cours de leur vie, au moins une victimisation, alors que 22% ont vécu quatre victimisations ou plus dans la dernière année et 10% en ont subi sept ou plus (Finkelhor, et al., 2007c; Finkelhor et al., 2009a). De façon plus pointue, les recherches démontrent que 59% des enfants polyvictimisés étaient victimes à la fois de membres de leur propre famille et de membres de la communauté. De plus, la moitié des jeunes polyvictimisés sont agressés autant par des jeunes que par des adultes. Enfin, 30% ont vécu un abus sexuel et 41% de toutes les victimisations ont entraîné des blessures physiques pour l’enfant. Il faut également ajouter que la polyvictimisation est un peu plus présente chez les garçons et qu’elle touche davantage les jeunes de plus de 14 ans (Finkelhor, et al., 2011c).

Au Québec, le JVQ a été utilisé jusqu’à maintenant auprès d’un échantillon clinique de 220 enfants de deux à 17 ans suivis en Centre Jeunesse. Les résultats de cette étude montrent que 91% des jeunes de l’échantillon ont vécu, seulement dans la dernière année, au moins une victimisation, que 29% ont vécu entre quatre et six victimisations et que 25% en ont subi sept ou plus. D’ailleurs, les chercheurs notent que la majorité des

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jeunes vivent des victimisations issues de plus d’une des catégories du JVQ. Par exemple, 93% des enfants victimes de mauvais traitements et 100% de ceux ayant vécu une victimisation sexuelle ont aussi dû subir des formes de violence provenant des autres catégories. Enfin, on constate que la polyvictimisation touche davantage les adolescents (Cyr, Chamberland, Lessard, Clément, Wemmers, et al., 2012).

1.2.3.3 Typologie.

Certaines voies semblent mener l’enfant dans une spirale où les victimisations sont plus fréquentes. À travers une étude longitudinale, on peut remarquer que les jeunes polyvictimisés présentent des facteurs de risque dans au moins une des quatre voies suivantes (Finkelhor, et al., 2011c):

 Famille dangereuse: La première voie situe les facteurs de risque principalement dans l’environnement familial, lorsque l’enfant est maltraité par des membres de sa famille immédiate. Seulement dans le milieu familial, les possibilités de victimisations diverses sont nombreuses: sexuelle, physique, psychologique, exposition à la violence, etc.

 Éclatement et adversités dans la famille : La deuxième voie dépend des obstacles que rencontre la famille de l’enfant. Celle-ci traverse différentes situations d’adversité et d’éclatement, sans que les victimisations viennent directement des membres de la famille. Par exemple, une séparation ou une perte d’emploi des parents peut entraîner une diminution de la supervision parentale, un manque de soutien émotionnel et une exposition à des personnes non recommandables pour l’enfant.

 Voisinage dangereux : La troisième voie passe par le voisinage dangereux ou les risques que peut représenter une communauté précise. Là où il y a des gangs de rue qui sévissent et un fort taux de vol et de vandalisme, par exemple.

 Problèmes émotionnels : La dernière voie dépend de certaines caractéristiques personnelles de l’enfant. Ces jeunes présentent des problèmes affectifs qui augmentent les comportements à risque et compromettent leur capacité à se protéger eux-mêmes.

Cette dernière voie augmentant le risque de polyvictimisation est plus significative pour les enfants de neuf ans et moins que pour les plus vieux. Pour ces derniers, ce sont les facteurs environnementaux qui ont le plus d’importance, ce qui peut

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être expliqué par le fait que l’influence de ces facteurs met plus de temps à faire effet, mais aussi par la méthodologie propre au JVQ, qui s’appuie sur les perceptions des parents pour les deux à neuf ans, mais qui questionne directement les jeunes de 10 ans et plus (Finkelhor, 2008). Par ailleurs, Finkelhor et ses collègues (2009b) ont également constaté la présence de deux pics d’apparition de la polyvictimisation dans la vie des jeunes, soit l’entrée à l’école primaire et celle à l’école secondaire. Confrontés à un environnement social moins défini, les jeunes peuvent rencontrer toutes sortes de conflit, de stress et d’inconnu pouvant miner leurs habiletés à évaluer les situations potentiellement dangereuses. De plus, les agresseurs, recherchant des enfants vulnérables, s’intéressent au groupe ayant le plus faible statut dans l’école, soit les enfants plus jeunes, les nouveaux arrivants. Enfin, les parents peuvent utiliser l’autorité coercitive pour maintenir le succès de l’enfant à l’école et contrecarrer la nouvelle indépendance qu’il prend par rapport à leur supervision (Finkelhor, Ormrod, Turner, & Holt, 2009b).

1.2.3.4 Conséquences.

L’accumulation de victimisation a d’importantes conséquences pour les enfants qui la vivent. Les chercheurs s’intéressant au phénomène constatent que la polyvictimisation augmente considérablement les symptômes de trauma et qu’elle est associée aux symptômes psychologiques les plus sévères (Finkelhor, Ormrod, & Turner, 2007a; Finkelhor, et al., 2009a). Elle est d’ailleurs plus à même de prédire le degré de symptômes de trauma (colère, dépression, SSPT et anxiété) que toute autre situation d’adversité incluant une maladie grave, un accident, être sans-abri, des conflits familiaux ou, pour un membre de la famille, la mort, l’absence d’emploi, l’abus de substance ou l’emprisonnement (Finkelhor, et al., 2005c). De plus, une étude faite auprès 321 étudiantes de 18 à 24 ans a démontré que celles ayant été polyvictimisées dans l’enfance présentaient, à l’âge adulte, des difficultés d’adaptation, principalement dans leurs relations interpersonnelles et familiales (Elliott, et al., 2009). Ceci pourrait entre autres s’expliquer par le sentiment de blâme ou d’impuissance qui peut imprégner plus facilement un individu lorsque les victimisations se passent dans plus d’un milieu et aux mains d’agresseurs différents (Finkelhor, Shattuck, Turner, Ormrod, & Hamby, 2011).

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En plus de souffrir de plus de conséquences psychologiques que les autres victimes en général, les enfants polyvictimisés sont aussi plus affectés que les jeunes vivant une seule victimisation de façon récurrente (Finkelhor, et al., 2011c). Par ailleurs, même si le nombre de victimisations peut être un indicateur de l’apparition de traumatisme, il n’en demeure pas moins que chacune d’elle a un degré de gravité différent. Les victimisations qui semblent avoir le plus d’impact sont celles se rapportant aux abus sexuels, celles impliquant un parent ou un tuteur et celles entrainant des blessures physiques pour le jeune (Finkelhor, et al., 2005c). En contrepartie, les enfants polyvictimisés sont plus souvent impliqués dans des victimisations avec blessures, avec une arme, dont l’agresseur est un parent ou un tuteur ou dans des victimisations sexuelles, comparativement à ceux ayant vécu moins de violence. Enfin, ces jeunes présentent aussi un risque plus élevé de vivre des événements aversifs au cours de leur vie, tels que le décès d’un proche, la toxicomanie d’un parent ou un accident grave vécu par l’enfant (Finkelhor, et al., 2011c).

1.2.4 Forces et limites des études recensées

Les études consultées ont d’abord l’avantage de ne pas se confiner à la recherche « en silo » et de s’intéresser de façon globale au vécu de violence des enfants et des adolescents. Alors que la majorité d’entre elles ont été réalisées aux États-Unis et sont plus difficilement généralisables ici, l’application du même genre d’étude au Canada et au Québec nous permet maintenant d’en savoir davantage sur le vécu global de violence de nos jeunes.

Il faut aussi mentionner que les quelques recherches rétrospectives présentées dans la recension peuvent présenter un biais, car les souvenirs des événements traumatisants peuvent être altérés par les désordres émotionnels que présentent les participants ou par une minimisation des faits (Elliott, et al., 2009). C’est d’ailleurs dans le but de pallier à ce biais que les adolescents sont interrogés directement dans les études sur la polyvictimisation. Le risque d’exagération ou de minimisation est ainsi diminué par le fait qu’ils sont les mieux placés pour nous parler de leur expérience (Cyr et al., soumis). Le problème se pose pourtant pour les plus jeunes, qui sont rejoints par l’entremise d’un parent, celui-ci pouvant produire des résultats différents s’il ne connait

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pas tout le vécu de l’enfant ou s’il est mal à l’aise avec une partie de celui-ci (Finkelhor, et al., 2005c).

Par ailleurs, des considérations éthiques différentes entre le Québec et les États-Unis ont fait qu’ici, ce sont les jeunes de 12 à 17 ans qui ont été interrogés directement, comparativement aux dix à 17 ans pour nos voisins du sud, ce qui limite les possibilités de comparaison entre les études, du moins pour les résultats concernant les 10-12 ans pour lesquels le répondant diffère.

Enfin, en ce qui a trait à la recherche de Cyr et al. (sous presse), elle se démarque par le fait qu’elle s’intéresse à un échantillon clinique plutôt que populationnel, ce qui permet entre autres d’en connaitre davantage sur le vécu de cette clientèle et sur les processus associés à la polyvictimisation. Pourtant, des études supplémentaires sont nécessaires pour connaitre les conséquences de la polyvictimisation chez ces jeunes.

1.2.5 Conclusion

En somme, les auteurs s’entendent pour dire qu’en présence d’EVF, les risques d’apparition d’autres formes de violence sont accrus et qu’à ce titre, il importe de tenir compte des implications de cette accumulation. On n’en connait pourtant peu sur ces implications, et c’est dans l’optique de combler, du moins en partie, cette lacune que cette recherche est développée. De façon plus spécifique, elle s’attarde aux questionnements suivants : Quelle est l’ampleur des victimisations vécues par les enfants EVF? Dans quelle mesure le nombre de victimisations a-t-il une influence sur les conséquences ressenties par les enfants EVF? On s’intéresse également aux constantes qui peuvent ressurgir des différents sous-échantillons, par exemple le sexe, l’âge, ou le nombre d’événements aversifs vécu afin de voir si un groupe d’enfants est plus à risque de souffrir d’un des symptômes de trauma évalués ou si ces variables peuvent venir, elles aussi, altérer le degré de ces symptômes.

1.3 Pertinence sociale et scientifique

L’intérêt porté aux conséquences de l’EVF est que l’on commence seulement à comprendre les mécanismes qui les sous-tendent (Adams, 2006) et qu’il existe encore peu de données sur ce qui contribue tant à les augmenter qu’à les diminuer. Davantage de

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recherches sont nécessaires pour en connaitre plus sur ces variables (Wolfe, Crooks, Lee, McIntyre-Smith, & Jaffe, 2003), ainsi que sur l’expérience des enfants étant victimes à la fois de plus d’une forme de violence (Adams, 2006).

En effet, jusqu’à tout récemment, les recherches portant sur les différentes formes de violence s’attardaient à une seule problématique à la fois, sans prendre en compte les probabilités que d’autres victimisations s’additionnent à une première perturbation dans la vie de l’enfant. Ceci a comme effet pervers d’exagérer la force de la relation entre une victimisation spécifique et les conséquences mesurées (Richmond, Elliott, Pierce, Aspelmeier, & Alexander, 2009). D’autre part, on constate depuis quelques années l’existence de concomitance entre les différentes violences qui peuvent être expérimentées (Hamby, et al., 2010; Lessard, et al., 2009; Litrownik, Newton, Hunter, English, & Everson, 2003; Zolotor, et al., 2007) et de plus amples recherches sur les multiples expositions à la violence sont maintenant nécessaires pour une compréhension plus complète de la violence à laquelle les jeunes doivent faire face (Foster & Brooks-Gunn, 2009). D’ailleurs, certains voient des avantages à un modèle intégré de la violence dans les recherches, entre autres afin de permettre que les formes les moins étudiées puissent être développées plus rapidement que si elles étaient prises isolément. En effet, l’émergence de facteurs de risque communs à plusieurs formes de violence que permet le modèle intégré ainsi que la prise en compte des conséquences d’une possible cooccurrence et des liens entre les différentes victimisations amène célérité et précision à ces études (Cyr, Chamberland, Lessard, Clément, & Gagné, 2012; Slep & Heyman, 2001).

C’est dans cette optique qu’en 1995, Turner et Lloyd commencent à parler d’adversité cumulative pour décrire l’accumulation d’expériences de vie violentes ou traumatisantes (Turner et Lloyd, 1995; dans Elliott, et al., 2009), alors qu’en 2000, Higgins et McCabe utilisent le terme multi-type de mauvais traitements (multi-type maltreatment), qui représente la coexistence de deux mauvais traitements ou plus parmi les suivants : abus sexuel, abus physique, mauvais traitements psychologiques, négligence et exposition à la violence familiale (Higgins et McCabe, 2000; dans Elliott, et al., 2009). Pourtant, les outils existants de mesure des victimisations chez les jeunes présentaient de nombreuses lacunes (Hamby & Finkelhor, 2000), autant pour la pratique

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que pour la recherche. C’est dans le but de contrer celles-ci qu’a été développé, en 2004, le Juvenile Victimization Questionnaire (Finkelhor, et al. 2005b). Celui-ci permet de mieux cibler les enfants qui souffrent à des degrés particulièrement élevés de différents types de violence. Les études utilisant ce questionnaire ont mené à l’élaboration du concept de polyvictimisation.

Le fait de s’intéresser à l’addition des types de violence vécue a permis d’en apprendre davantage sur ces victimisations, entre autres en regard de l’exposition à la violence conjugale. En effet, alors que la plupart des victimisations sont associées à un risque deux ou trois fois plus élevé d’apparition d’une autre victimisation, l’exposition à la violence conjugale augmente le risque de cooccurrence de mauvais traitements ou d’exposition à un autre type de violence familiale de trois à neuf fois plus que pour les enfants sans histoire de violence conjugale (Hamby, et al., 2010). Ce risque suggère donc que ces jeunes, déjà susceptibles de développer certains maux physiques et psychologiques (Cunningham & Baker, 2007), se retrouvent également vulnérables face à la polyvictimisation et à ses effets.

Les chercheurs ne sont pourtant pas tous d’accord sur la façon dont cette accumulation de violence influence les conséquences physiques et psychologiques que subit l’enfant. Pour certains auteurs, plus le nombre de victimisations vécu est élevé, plus les conséquences pour le jeune sont sévères (Foster & Brooks-Gunn, 2009). D’ailleurs, une méta-analyse de 15 études sur les conséquences de la violence familiale rapporte que les enfants à la fois victimes et exposés à cette violence présentent un plus grand risque de vivre des troubles intériorisés que ceux ne vivant qu’une seule forme de violence (Sternberg, Baradaran, Abbott, Lamb, & Guterman, 2006a). Ce phénomène est nommé «double whammy effect», qui se traduit par l’augmentation du risque de développer des problèmes au fur et à mesure que le nombre de victimisations augmente. Les mêmes auteurs constatent pourtant que cet effet n’est pas constant. En effet, lorsqu’on s’attarde aux problèmes de comportement extériorisés, les enfants de 10 à 14 ans exposés à la violence sans en être directement victimes sont ceux qui présentent le plus de vulnérabilité (Sternberg, et al., 2006a). D’ailleurs, d’autres chercheurs se sont également intéressés au « double whammy effect » sans pouvoir trouver de certitude à son existence (Bourassa, 1998; Silverman & Gelles, 2001), ce qui vient remettre en cause la présence

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d’un effet directement proportionnel entre le nombre de victimisations et les problèmes associés. Selon certains auteurs, ces divergences dans les résultats des études peuvent s’expliquer par le fait que certaines victimisations sont plus marquantes pour les jeunes, par exemple les abus sexuels ou les violences impliquant une blessure physique (Finkelhor, et al., 2005c).

À cet égard, une étude longitudinale auprès de 110 jeunes israéliens âgés en moyenne entre 10 et 15 ans rapportent que de faire l’expérience de plusieurs formes de violence familiale n’amplifie pas les symptômes de trauma qui y sont associés, comparativement au degré de symptômes rapporté pour des jeunes n’ayant vécu qu’une forme de violence (Sternberg, et al., 2006b). De plus, une autre recherche du même type auprès de 171 jeunes de 12 mois à 16 ans choisis sur la base de la pauvreté de leur famille a fait le constat que, tandis que les enfants qui présentent des facteurs de risque sont plus vulnérables à des problèmes accrus, au-delà d’un certain nombre de ces facteurs, l’amplification des difficultés n’est que minime (Appleyard, Egeland, van Dulmen, & Sroufe, 2005). Selon ces chercheurs, l'expérience d'un facteur de risque supplémentaire telle qu’une nouvelle victimisation n'augmente donc pas la probabilité de problèmes de manière multiplicative. Par ailleurs, d’autres victimisations telles que l’exposition à la violence dans la communauté atténuent plutôt l’impact de l’exposition à la violence conjugale, ce qui laisse croire à un effet de désensibilisation à la violence chez ces jeunes ou encore que l’exposition répétée établirait une norme dans la tête du jeune qui affecterait l’interprétation et l’impact de la violence (Mrug & Windle, 2010). On peut donc se demander si les jeunes EVF et à risque de polyvictimisation vivent des conséquences de plus en plus sévères au fur et à mesure que les victimisations s’accumulent ou s’il arrive plutôt un certain stade où la sévérité des impacts cesse d’augmenter, ou même diminue.

Sur le plan de la pertinence sociale, une meilleure connaissance de ce qui est vécu par les enfants EVF en lien avec les autres formes de victimisation peut permettre de renforcer l’importance d’intervenir auprès d’eux. Des études précédentes ont déjà statué sur le fait qu’ils ne sont pas que des témoins passifs sur lesquels la violence familiale n’a pas d’incidence (Lessard, et al., 2009). L’un des objectifs de la présente recherche est d’ailleurs de voir à quel point ces enfants, en plus d’être exposés à cette forme de

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violence, représentent un groupe vulnérable à vivre plus d’un type d’événements traumatisants. Ainsi, un dépistage plus systématique des autres violences susceptibles d’être vécues par ce groupe d’enfants devient nécessaire (Cyr, Chamberland, Lessard, Clément, & Gagné, 2012) et les pratiques doivent tenir compte des intersections entre les différentes formes de violence . Présentement les services sociaux québécois sont développés de manière spécifique à chacune des problématiques (Flynn & Adam, 2009). Les résultats de la présente recherche pourraient venir appuyer les études déjà recensées qui prônent une pratique holistique (Finkelhor, et al., 2009a), entre autres dans le but d’éviter de travailler sur les mauvaises causes ou de revictimiser l’enfant à l’intérieur du service d’aide (Flynn & Adam, 2009).

Par ailleurs, il peut être intéressant de voir quels symptômes de trauma étudiés sont affectés, et de quelle façon, selon le nombre de formes de violences différentes vécues dans une année donnée. Ainsi, le fait de connaitre les symptômes qui risquent d’être plus présents lorsque le nombre de victimisations augmente peut permettre d’ajuster les programmes d’intervention en conséquence. Par exemple, si l’addition de violence augmente principalement le sentiment de colère des enfants EVF, les intervenants pourront miser sur ce volet dans leur travail.

1.4 Conclusion

Les connaissances liées à la polyvictimisation se perfectionnent régulièrement et les études en sont maintenant à un stade où on se questionne sur comment l’accumulation de plusieurs victimisations affecte certains groupes précis d’individus. Pour la présente recherche, le groupe auquel on s’intéresse est constitué des enfants EVF, dû au fait qu’ils sont nombreux et que leur bien-être, déjà affecté par l’exposition à la violence, les amène à être particulièrement à risque de vivre une situation de polyvictimisation.

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CHAPITRE 2 : CADRE THÉORIQUE ET MÉTHODOLOGIQUE

La présente étude vise à savoir comment les conséquences de l’exposition à la violence familiale peuvent être modifiées par une accumulation de violences diverses. La réalisation de ce projet se fera de façon connexe avec deux projets de recherche déjà en cours, soit « La polyvictimisation des jeunes au Québec » (Chamberland, et al., en cours), qui reprend l’étude américaine de Finkelhor auprès des adolescents de 12 à 17 ans et « La polyvictimisation des enfants au Québec » (Clément, et al., en cours) qui fait la même chose pour les deux à 11 ans. Pour ces études, 1 401 parents d’enfants de deux à 11 ans et 1 400 adolescents ont été interrogés par téléphone. Il faut souligner que la question de recherche retenue pour le présent projet n’est pas de prime abord étudiée par les chercheurs responsables de ces deux études, ce qui confirme sa spécificité.

Le détail de la procédure utilisée pour y arriver sera décrit dans le présent chapitre. Ainsi, une description générale de l’approche et du type de recherche ainsi que l’angle théorique choisi sont présentés dans la première section du chapitre. La seconde section présente la méthodologie, plus particulièrement : la population à l’étude, la stratégie d’échantillonnage, les méthodes et les instruments de collecte des données ainsi que les méthodes d’analyse statistique. Enfin, les limites de la méthodologie sont explicitées, ainsi que les considérations éthiques qui s’appliquent à la présente recherche.

2.1 Approche et type de recherche

Cette recherche privilégie une approche quantitative, c’est-à-dire l’utilisation de données quantifiées dans le but de faire des analyses statistiques et s’inscrit en cohérence avec la nature de la question de recherche (Turcotte, 2000, p.160). Elle est à la fois de nature descriptive, en raison du regard porté sur l’ampleur des victimisations vécues par les enfants exposés, et explicative, parce qu’elle vise à démontrer la contribution relative de l’accumulation d’autres victimisations dans l’explication des conséquences de l’exposition à la violence familiale. Bien que la démarche nous semble la plus pertinente pour répondre à la question de recherche, elle comporte tout de même certaines limites. En effet, cette façon de procéder permet de se pencher sur les caractéristiques qui

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ressortent des différentes strates de l’échantillon, par exemple en ce qui a trait à l’âge, au sexe, ou au nombre de victimisations vécues. Pourtant, l’utilisation de données secondaires pourrait limiter l’explication recherchée puisque, au départ, les données n’ont pas été recueillies dans le but poursuivi par ce projet (McCall & Appelbaum, 1991).

2.2 Cadre théorique et opérationnalisation des concepts 2.2.1 Théorie du Stress-Coping

Le présent projet s’appuiera sur certains concepts du cadre théorique du « Stress Process Model » de Foster et Brooks-Gunn (2009), tel qu’appliqué à la problématique de la violence vécue par les enfants et les adolescents. Ce modèle est lui-même inspiré de la théorie du stress-coping. Cette théorie ne considère pas seulement l’interaction du stimulus et de la réponse au stress, mais intègre aussi les processus cognitifs, les mécanismes de défense et le contexte social lorsqu’elle évalue le rôle du stress dans le développement de maux physiques et psychologiques (Brodzinsky, 1990). Pour les tenants de cette théorie, le stress est une interaction entre l’individu et la situation potentiellement traumatisante qu’il considère comme lui demandant davantage que ce à quoi ces ressources sont capables de faire face et qui pourrait lui être dangereux (Bruchon-Schweitzer, 2001), alors que le coping est un ensemble d’efforts cognitifs et comportementaux qu’il utilise pour gérer ce stress (Brodzinsky, 1990).

Le fonctionnement de la théorie part donc de variables personnelles et environnementales qui influencent la perception qu’un individu a d’une situation. Cette perception se fait par l’évaluation primaire, c’est-à-dire l’évaluation de l’impact potentiel de l’événement sur l’individu, et par l’évaluation secondaire, soit le jugement fait des ressources disponibles pour faire face au stress. Elle amène l’individu à faire des efforts de coping, à s’adapter à sa manière à l’événement stressant. Ces efforts pourront être centrés sur le problème, c’est-à-dire en tentant de modifier directement la situation stressante, ou centrés sur l’émotion, en visant à diminuer le stress vécu. Ils pourront d’ailleurs entraîner des résultats positifs ou négatifs au niveau de l’adaptation de l’individu, résultats qui peuvent avoir un effet rétroactif sur les variables personnelles et environnementales. Brodzinsky (1990) traduit ce processus par le schéma suivant :

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Figure 1 : Processus de stress-coping (Brodzinsky, 1990)

Variables Évaluation cognitive Coping Résultats sur personnelles l’adaptation

Évaluation primaire Centré sur le problème Évaluation secondaire Centré sur la solution Variables environnementales

2.2.2 Stress Process Model

Pour ce qui est spécifiquement du Stress Process Model, il contribue à mieux comprendre le large spectre de processus et de voies impliquées dans l’exposition à la violence et procure des opportunités pour la prévention et l’intervention au niveau de la santé, de la sécurité et du bien-être des enfants. En effet, Foster et Brooks-Gunn (2009) ont adapté cette perspective en situant les enfants exposés à la violence dans une vision globale du processus de stress, incluant différents types d’exposition à la violence, les causes et les corrélats de celles-ci, un éventail de conséquences dans la vie des jeunes et des variables jouant un rôle modérateur ou médiateur sur ces conséquences (Foster & Brooks-Gunn, 2009). De façon visuelle, ils traduisent le modèle tel que présenté à la figure 2.

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On remarque tout d’abord que les structures sociales et les inégalités, que Foster et Brooks-Gunn classent dans les causes et corrélats de la violence, ont un impact direct, à la fois sur l’exposition à la violence, sur les variables médiatrices et modératrices et sur les conséquences de cette exposition. De plus, les variables médiatrices et modératrices viennent altérer les conséquences que la violence a sur l’enfant, directement ou de manière plus subtile. Dans ce modèle, on peut dire d’une variable qu’elle est médiatrice lorsque la relation entre l’exposition à la violence et ses conséquences est réduite, ou partiellement expliquée par la prise en compte de cette variable (flèche c et f de la Figure 1). La variable modératrice, pour sa part, affectera la direction ou la force de la relation entre l’exposition et les conséquences (flèche d de la Figure 1) (Foster & Brooks-Gunn, 2009). En d’autres termes, l’effet de modération est établi lorsque l’interaction entre la variable indépendante et la variable modératrice est reliée de façon significative à la variable dépendante, alors qu’il y a un contrôle de l’effet individuel de la variable indépendante et de la variable modératrice (Camacho, Ehrensaft, & Cohen, 2012). Donc, malgré le fait qu’il y ait un lien direct entre la violence vécue et les multiples conséquences ressenties, des voies indirectes sont aussi possibles et complexifient le processus.

2.2.3 Adaptation du modèle appliqué à la présente étude

Pour le présent projet, ne sera retenue, comme forme d’exposition à la violence, que celle faisant référence à la violence familiale. Plusieurs des causes et des corrélats de la violence ne seront pas abordés, puisque les données secondaires utilisées permettent difficilement d’en tenir compte, notamment en ce qui a trait aux caractéristiques de l’environnement. Au niveau des conséquences, les symptômes de trauma que sont la colère, le SSPT, l’anxiété et la dépression seront observés, alors que la variable pouvant jouer un rôle de modérateur sera la polyvictimisation, ou plutôt le cumul de victimisations présentes dans l’année précédent l’étude. On peut donc résumer visuellement le cadre théorique retenu par la Figure 3 et poser l’hypothèse que la polyvictimisation aura un effet modérateur sur la relation entre l’exposition à la violence familiale et les symptômes de stress post-traumatique, de dépression, de colère et d’anxiété qu’entraine cette exposition.

Figure

Tableau 1 : Présence de chacune des formes de victimisation et d’adversité, selon  l’exposition à la violence conjugale ou non
Figure 2: Stress Process Model (Foster et Brooks-Gunn, 2009, p.72)
Figure 3 : La polyvictimisation comme variable modératrice des conséquences de  l’exposition à la violence familiale
Tableau 2 : Opérationnalisation
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