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Vraisemblance et idéologie à travers "clélie" de Madeleine de Scudéry

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Academic year: 2021

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Texte intégral

(1)

par

Danielle BONFA-LAPOINTE

(2)

Abstract

En ce milieu du XVIIe siècle, deuxi;sortes de li"ttérl:i:tures

co-exis-tent: la littérature qui s'attache

à

ce qui est, au vrai, et celle qui

peint "ce qui doit être", la littérature vraisemblable. Au moment même

où les théoriciens classiques cautionnent exclusivement la littérature

vraisemblable, Clélie qui s'y apparente, obtient un. vif succès, ceci

au sein du public aristocrate.

Clélie, comme tout livre, fait appel à des opinions, à un mode de

pen~

sée, voire

à

des préjugés communs

à

un groupe homogène suffisamment

im-portant (ou prédominant) pour lui consti.tuer un public. Ce tissu ae

pos-tulats de base, cette "idéologie" conti tue àlors la base du roman.

A cette époque, penseurs et critiques, mus par l'idée de

fo~ctiün

IIlora':"

le de la littérature, établirent que seule la vraisemblance était la

i;i,."",

±e condition de validité de la fiction. Tous définirent la

vraisemblan-ce comme fidélité par rapport à un "ordre naturel des choses", mettant

ainsi en évidence la nature historique et relative de cette notion. Pour

nous, la vraisemblance conduit inévitablement à une contrafte de

l'in-vÉmtion puisqu'elle bannit l'unique, l'étrange,le différent, bref tout

ce que le lecteur (le noble cultivé) ne peut croire spontanément.

Il est clair qu'il existe un rapport direct entre l'idéologie de ce

pu-blic privilégié et les lois du vraisemblable: le vraisemblable consiste

en fait en une expression littéraire de cette idéologie. On se bornera

ici à étudier l'inter-action du vraisemblable et de l'idéologie

appli-quée à un roman et un auteur particuliers.

En effet, Glélie nous propose un "ordreùnaturel": Scudéry peint des

per-sonnages irréprochables véhiculant un ensemble de valeurs dont le

carac-tère idéologique est limpide. A la limite, le roman a l'aspect d'un

mi-roir complaisant dans lequel le lecteur (ou la lectrice) de cette

épo-que trouvait une confirmatmon de ses convictions les plus intimes.

Ainsi, soumise à la loi du vraisemblable, euphorique au

se~n

de son

en-tourage (qui

est~Qussi

son public), Madeleine de Scudéry paya, selon

nous, son succès d'une carence de l'invention au profit de l'imitation.

(3)

by

Danielle BONFA-LAPOINTE

A the sis

submitted to

The Faculty of Graduate Studias and Research

McGill University

in partial fulfilment of the requirements

for the degree of

Master of Arts

Department of French Language

and Literature

(4)

l Roman et anti-roman ••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• 1-6 Les deux tendances du roman (vrai vs vraisemblable) correspondent à

dcuce sortes de public. Succès parmi la noblesse de Clélie, qui s'ap-parente au vraisemblable. Le roman du vrai marche à contre-courant.

II L'oeuvre comme signe ••••••••••••••••••••••••••.•.•.•.•.•.•.•• o • • • • • •

7-8

L'oeuvre à succès s'inscrit dans un contexte global précis: c'est un fait de nature historique. Le livre à succès est un "signifiant" dont le signifié est le monde extérieur. 'llrouver dans Clélic la na-ture et l'importance d.u signifié extérieur.

III L'idéologie et les discours ••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• 9-11 Les discours du temps et la sélection des écrits cautionnés

révè-lent certaines exigences maîtresses du public. Tentative de défini-tion de l'intelligentsia du XVIIe. 'llrouver la reladéfini-tion entre l'idé-ologie ct le vraisemblable.

IV La notion de vraisemblable •••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• 12-18 Vrai/possil)lc/vraisemblable. Nature contractuelle du vraisemblable;

arbitraire et historicité du vraisemblable; aspect contraignant du vraisemblable. Le vraisemblable d'après La I.1esnardière: ordinaire =

ordre nnturel des chosus, ct extraordinair~ = procédé de"vraiscm-blablisation'\ du merveilleuxv du hasard.

V La relation signifiante ••••••••••••••••••.•••.•••.•.•••.•••••••••••• 19-21

Relation ùe conformité entre idéologie ct vraisemblable ordinaire, le vraisemblable ordinaire so soumettant à l'idéologie. Clélie ma-nifeste cette conformité sur plusieurs niveaux grUce à des expé-dients syntaxiques ou motivations logiques. Diégésis limité au ni-veau syntaxique. L'idéologie se réflètc exclusivement dans l'ordre ni?turel cles choses qui appnraît spontanément au public.

(5)

)

VI La Compagnie ou l'ordre naturel des choses •••••••••••••••••••••••••• 22-62 Les histoires: structure de l'oeuvre, leur motivation. La conversa-tion: mécanisme ct fonction. Les honnêtes gens: portrait-robot. Les bienséanoes: au sens de politesse, "qu'en dira-t-on", usage, "à-propos", usage, i.e. norme de conduite sociale. Sens et signes: mode d'appréhension du réel à partir des sens, de la vue surtout, lecture et interprétation des signes physiques. L'amour: importan-ce du r0gard, rôles respectifs de l'homme et de la femme, amour-con-quête, péripétio qui met en péril l'amour. L'héroïsme et l'amour: anour stimulant, revalorisé, chevaleresque. Le peuple: maximes sur la nature du peupla, notion de la politique qui en découle.

VII Mimésis et diégésis ••••••••.•.•.•••••••••.•.••.••••••••.•.•••.•.•••• 63-66

Scudéry a reproduit les modes de pensée et de vic qui lui étaient fa.miliers. Situation do l'écrivain dans le contextE.. Bannissement du "différent" et do l' im3.gination: deux 1Jonséquences principales: au niveau s~1taxique, logique visant à la créance spontanée, au ni-veau du sens, sujet omprunté à l'Histoire Ancienne et invention de détail. L'écrivain est contraint à l'imitation. Scudéry fait l'a-pologie de son milieu, sans dépassement. Part de l'invontio chez l'auteur: probablement d3.ns un prGcipité de tous les discours am-biants. Carrefour de 12. théorie du vraisemblable et de l'idéologie de l'élite.

VIII Synthèse et conclusion ••••••••••••••••••• e • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •

67-71

Vraisemblance ordinaire et idéologie: nature nécessairement idéolo-gique du vraisemblable. Le roman et la morale: aspect restrictif de l'intention morale de Clélie. Le roman et l'élite: pauvreté du thème de l'honnête homme.

(6)

)

1656-1660. 5 parties en 10 volumes, in-8°.

Chaque citation sera suivie de sa référencp., comprenant dans l'ordre: la partie, le livre (ne pas confondre avec le volume), la page. Exemple: (II,1,2l5).

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l RQr.1AN ET ANTI-RO~1AN

1.1. La littérature du XVIIe si~cle offre un exemple assez unique de démar-cation entre idéalisme et réalisme, ou plus simplement entre littérature du "vrai" et littérature du "vraisembla.ble"o Que ces deux tendances s'affrontent tout spécialement dans le roman, cela ne surprend gu~re, car n'ayant jamais atteint le statut de genre indépendant, le roman avait échappé aux r~gles des Anciens, et s'en retrouva donc plus libre, plus facile et plus accessible.

Cependant, pour les théoriciens le roman reste soumis à la loi de la vraisem-blance. Huet tient que "le vraisemblable est essentiel au roman"(l). Sorel lui, un praticien, exprime exactement l'inverse au début de son Berger Extra-vagant:

"Je consid~re tout ce qui est au monde et je l'écris comme je le voy."(2)

Le vrai, qui rel~verait de l'observation, s'opposerait au vraisemblable, qui résulterait plutôt de la connaisance et de la technique. Plus loin

d'ail-leurs, dans son Traité de l'origine des Romans, Huet reconnaît l'existence de deux sortes de romans:

"Dans ce dénombrement que je viens de faire, j'ai dis-tingué des romans réguliers de ceux qui ne le sont pas. J'appelle romans réguliers ceux qui sont dans les r~gles du p'o~me épique. "(3)

Quels sont donc ces "irréguliers" ? Il s'agit de ceux qui ne respectent pas les "bienséances", de tout ce qui est llvulgaire ou lascif", de ce qui fait

(1) Huet, Evêque d'Avranohes, Traité de l'origine des Romans ... , N.L.M., Desessarts, Paris An VII, page

9.

Sorel,C., Le Berger Extravagant, Paris 1627, page

4.

(8)

"intervenir des machines" et de ce qui est "pédant"(l). Cette conception vise donc toute tentative de littérature fantastique, mais aussi et surtout exclut le roman qui a pour objet le "vrai", c'est à dire les témoignages et les peintures de moeurs, que l'on songe au Franoion, au Roman Bourgeois,

au~-ger Extravagant, ou encore au Roman Comique.

Ces quelques lignes illustrent les préoccupations des grands esprits de cette époque, qui, à partir de la Poétique d'Aristote, érigent la théorie, la pra-tique et la cripra-tique du vraisemblable, de ce ~l'il faut croire.

1.20 Scarron, Furetière et Sorel, pour ne citer que les principaux, qui font ouvertement fi des préceptes des Anciens et de leurs nouveaux exégètes, n'obtiennent, si l'on en croit Gustave Reynier(2), qu'un succès limité, et ce-ci au sein d'un public essentiellement bourgeois. L'autre groupe de romance-ciers (Scudéry, La Calprenède et La Fayette) eut, au contraire, un vaste succès: on compte plusieurs éditions de Clélie et du Grand Cyrus, ainsi que quelques con-trefaçons.

René Bray voit à travers ces faits une preuve de l'orientation sociale et

a-ristocratique du classicisme:

"A aucun moment ni chez personne l'art classique n'a été un art populaire ••• L'Astrée, Po l exandre, La Clé-lie n'étaient lus qu'à la Cour, dans la bourgeoisie riche et aisée, dans quelques ch~teaux ou h6tels de province."(3)

Cependantf s'il y a clivage au sein du public, un seul de ces publics est

dé-terminant, celui qui délaisse le Berger Extravagant au profit de La Clélie.

(1) Huet, Traité de l'origine des Romans, page 73.

(2) Reynier,G., Le roman réaliste au XVIIe siècle, Hachette, Paris 1912. (3) Bray,R., La formation de la doctrine classi e en France, Thèse

(9)

La J.1esnardi~re fournit une explication à ce choix. Pour lui, la poésie (et donc le roman) ne doit et ne peut plaire qu'aux gens raisonnables:

"Le plaisir intérieur que le poème bien entendu pro-duit à un honnête homme qui n'en a pas appris les

r~gles, est même trop spirituel pour toucher les

sen-timents d'un animal stupide; et pour ressentir les effets de la scène thé~trale, il faut être fort éle-vé au-dessus de la populace."(l)

Nombreuses sont les phrases analogues qu'on pourrait extraire de la Poétique de La J.1esnardière. Point n'est besoin de les citer, ces paroles seules per-mettent de déduire que la littérature est l'apanage des honnêtes gens et que les critères du vraisemblable qui lui sont liés, sont exclusivement définis en fonotion du plaisir utile d'une élite sociale et intellectuelle.

C'est oette oligarchie des ~.'grandes a.mes" qui à elle seule va juger, oondi-tionner et épurer la littérature. Ce qu'aujourd'hui nous appelons "public" n'était en fait qu'une minorité lettrée et riohe qui annexa le domaine litté-raire.

1.3. On pourrait remarquer qu'à l'instar des Jobelins et des Uranistes, deux camps se forment et se oristallisent autour de certaines oeuvres et de leurs auteurs. Cependant, si les amateurs de "bons" romans affirment et oom-mentent leurs gants, les partisans de Sorel eux, restent muets: la bourgeoisie ne publie pas, elle travaille. Il est important de souligner qu'à cette époque déjà, les prises de position littéraires ne sont jamais strictement littérai-res, elles renvoient à d'autres prises de position plus fondamentales, d'or-dre sooial ou moral, par exemple. C'est pourquoi, aimer ou décrier Cervantes, beauooup plus qu'un ohoix esthétique, oorrespondait à une attitude presque politique: picaresque/réalisme/mise en question s'opposant alors à classique/

(10)

idéalisme/acceptation, dans la mesure où le roman idéaliste (fiction euphori-que par excellence) s'appuie sur la croyance en la perfectibilité du "statu quo" au moycn de l'exemple, de la frayeur et de la maxime. (1)

1.4. Le public noble ignore donc le roman réaliste. Simultanément la théo-rie classique l'écarte.

La théorie du vraisemblable a pour fondement, on le sait, la Poétique d'Aris-tote. La Mesnardière a largement

la suite des Italiens d'ailleurs) expliqué

et commenté les règles du "Philosophe". Cette doctrine s'appuie sur la distinc-tion entre Histoire d'une part, Philosophie et Poésie d'autre part:

"Le Po~te, imitateur du Philosophe, attache ses contem-plations aux choses universe11cs, et( ••• )il se plaît de les décrire selon qu'elles doivent être; au lieu que l'Historien s'arrête au détail des affaires; et qu'il raconte simplement les actions particulières, tant8t bonnes, tant8t mauvaises."(2)

C'est dire que la doctrine classique répugne au singulier, à l'exceptionnel, voire à l'exotique, et tend vers un idéal d'universalisme. Par ce biais nou-veau elle exclut de ses rangs les romanciers réalistes, dans la mesure où ceux-ci font figure d'historiens de leur temps, au sens aristotéliceux-cien du terme. P1acé·dans de telles conditions, le roman réaliste, "l'anti-roman", marche dé-finitivement à contre-courant.

1.5.

Seules restent donc en ligne de compte les oeuvres fidèles au principe

du "devoir être" dont la maxime est sans doute l'expression la plus achevée si on la considère comme une lapidaire affirmation à valeur universelle.

A propos de ce "devoir être", Gérard Genette a subtilement mis en évidence l'ambiguité du terme "doit": à la fois obligation, c'est à dire morale et

(1) Voir à ce sujet Le Roman Comique de Scarron, Classiques Garnier, Paris

1955,

page 130.

(11)

raison, et probabilité, c'est à dire référence à un implicite ordre naturel des choses (vision idéaliste et relative s'il en est)(l). Ce qui est évident, c'est que ce terme est normatif. A ce sujet, un relevé du champ sémantique du devoir (verbes "devoir" et "fall<!>ir" conjugués, les mots "règles", "ordre",

etc ••• ) dévoilerait l'importance que revêt l'établissement et le respect de la norme dans les écrits classiques et pré-classiques.

Cette exigence de norme vaut pour le roman, mais elle reste peu codifiée. Les théoriciens s'intéressent plus aux règles du thé~tre ou de l'épopée. Que Scudéry et Huet nous disent que le roma.n doit obéir aux règles du poème épi-que, cela n'est pas très éclairant puisqu'on parle peu de ce eenre et que le public, même le grand public, ne juge euère en termes de règles (témoin, Le

~)(2). En fait, en matière de roman, dans lequel 10 contenu prend souvent le pas sur l'expression, seul le succès témoigne que l'examen,a été satisfai-sant. C'est dire que le code de référence et les cI'itères sont plus implicites.

1.6.

Parmi les brillants reçus de cette époque, Clélie, Le Grand CyrUS et Ibrahim ti-l'ri vent dans les premiers. Succès aussi important qu'éphémère (vinet ans après on compte déjà une Anti-Clélie) parce que trop tributaire des eoüts (si fluctuants) du public. Cette allégeance, et même cette dépendance face au public, peut s'expliquer dans le cas de Scudéry en termes de fonctions: d'une part, fonction économique de la production littéraire et recherche de mécènes (Mad. de Scudéry est pauvre, de petite noblesse et peu favorisée par la

natu-r~ de surcro!t), et d'autre part, fonction moralisatrice de la littérature (exigée par les censeurs) assumée par des héros aux moeurs irréprochables.

(1) Genette,G., Figures II, "Vraisemblance et motivation", Seuil, Paris

(12)

Clélie n'est donc pas une oeuvre de dilettante, au contraire on a tout lieu de penser que l'auteur a mllrement prémédité son coup pour qu'il porte et rapporte à coup sllr.

Ainsi orientée, l'oeuvre se convertit en roman~code dont on plagie conversa-tions et lettres d'amour, en roman-miroir, où les grandes dames se retrouvent gracieusement éthérées, en roman d'évasion gr~oe aux platoniques amours qui y sont dépeintes. Bref, Clélie présente toutes les oaraotéristiques de ce qu'on nomme aujourd'hui un roman à succès. A oette réserve près, que oe succès se limite à une élite de nobles et de oourtisans.

Le rôle-actif que joue la Clélie au sein de oette sooiété choisie témoigno d'u-~

V

ne appréhension positive du public par l'auteur et son oeuvre. Ou mieux, ce roman, lu, relu, imité, révèle qu'il répond de façon pertinente aux maximes explicites et implioites reçues au sein de la majorité qualitative constituée par les honnêtes gens. En oe sens, Clélie-objet esthétique est une marque, c'est à dire un noyau de significations. Reste à savoir de quoi et en quoi le roman est signifioatif.

(13)

II L'OEUVRE C0r.'JME SIGNE

II.1. Toute oeuvre qui devient "objet esthétique" dans la conscience collec-tive d'un milieu donné dans un temps donné est le lieu d'une osmose de tous les discours possibles (actuels et passés) du contexte socio-histori~~e par lequel et le lecteur et l'auteur sont conditionnésG L'auteur d'une oeuvre à succès, c'est presque autant son public que le scripteur lui-m~me. L'oeuvre, pourrait-on dire, se situe à la résultante d'un contexte global et d'une conscience

collective, ou d'une fraction de celle-ci en l'occurence, médiatisée en la per-sonne de l'auteur. L'oeuvre à succès sera alors la preuve de l'adéquation du médiateur par rapport à la colle~tivité.

II.2. Ces remarques préliminaires permettent de considérer le fait litté-raire réussi commc un signe, c'est à dire l'objet d'une relation entre deux relata (signifiant et signifié).

La reconnaissance d'une oeuvre d'art par un pubUc est indubitablement un fait de nature historique: la lecture du livre fait appel à une connaissance, à un mode de compréhension, voire à une complicité communs à l'auteur et aux lecteurs. Le livre, une fois devenu objet esthétique (on l'aime, il influen-ce, on s'identifie aux personnages), peut atre assimilé à un si~~ifiant,

c'est à dire le lieu concret d'un sens, signifiant dont le signifié serait à chercher dans le contexte socio-historique ambiant, lequel inclut les cons-ciences du public et de l'auteur. Dans cette perspective, on peut concevoir le contexte global comme le système de référence qui détermine au départ les "possibles" du livre. Il ne fait pas de doute que Les Fleurs du Mal, par ex-emple, sont liées et sc reportent à un Paris bien précis, avec certains

(14)

bistrots populaires, et une certaine absinthe: les poèmes s'appuyaient sur une éventuelle expérience collective au moins partiellement similaire à

cel-le de l'auteur. Il est donc possibcel-le, à partir du livre comme signifiant, de déeager le signifié extérieur dans ses principes généraux, signifié que cons-tituerait l'ensemble diffus mais convergent des discours audibles, scripti-bles ct crédiscripti-bles (nous traitons du vraisemblable) en un temps et milieu don-nés, et de voir la nature et l'importance de la relation qui se trouve entre

le livre et le monde.

Pour ce qui concerne Clélie, nous pouvons d'ores et déjà présager que le "si-gnifié" risque d'atteindre un fort "rendement" dans l'oeuvre, puisque celle-ci réussit à passer brillamment la rampe dans une conjoncture particulièrement intransigeante et dogmatique en matière de littérature.

(15)

III L'IDEOLOGIE ET LES DISCOURS

111.1. Nous avons fait allusion à un signifié qui influerait sur la struc-ture de l'oeuvre. Quel est l'élément déterminant pour l'oeuvre à l'intérieur de ce signifié? Le fait que Paris s'obstine, malgré les pressions de l'Aca-démie, à !lavoir pour Rodrigue les yeux de Chimène", la contestation que crée la scène de l'aveu dans La Princesse de Clèves (correspondance Bussy-Rabutin--Sévigné), les procès intentés à des tragédies (Nédéo ou La Sophonisbe par

ex-emple) ou à d'innocents sonnets, tout indique que l'accueil du public prédo-mine dans la critique dos oeuvres produites. Que l'attitude de ce public s'a-ligne servilement sur celle dos théoriciens, ou que ce docte public se dédou-ble parfGis en critique éclairé, comme ce fut le cas dans les Salons, peu im-porte, il résulte de cette collusion un filtrage très serré de la production littéraire. Le nom de Poète est glorieux, rares sont les élus.

111.2. Une enqu~te dans les lettres, les traités, les discours, disserta-tions et préfaces, révèle certaines exigences maîtresses de ce public. Ces constantes quo recèllent les écrits, nous les avons groupées sous le terme d'idéologie, terme qui inclut valeur~, opinions, assertions et préjugés. L'i-déologie n'est pas·.:le fait d'un individu ni m~me de la somme des consciences de plusieurs individus; olle peut se comparer à un dénominateur commun à tous

les esprits d'un groupe humogène. Au XVIIe, l'idéologie du public (+ criti-que), lequel se recoupe avec la classe des "honnêtes gEinS", représente à el-le seuel-le l'opinion de tous el-les publics éventuels. Le plaisir de l'honn~te hom-me vaut en Gai, comhom-me critère absolu de la qualité littéraire, à l'exclusion de toute autre considération.

(16)

111.3. Si les idéologies modernes peuvent parfois Se résumer en théories

sociales ou politiques, elles-mêmes quelquefois explicitées par des slogans (calicots, devises, affiches, etc ••• ), il est plus délicat de parler de l'i-déologie de l'intelligentsia de c~ milieu du XVIIe. Le terme d'idéologie n'ex-istant pas à ce moment-là (ce qui ne veut pas dire que le phénomène n'existe pas), il est nécessaire de l'inférer avec prudence à cette époque. hu ce qui concerne la France des années 1650, il conviendrait mieux de parler d'un tis-su de valeurs tenues pour indiscutables, d'un état de fait constituant la ba-se d'une forme préciba-se de société. A cette époque, pour les gens qui penba-sent, parlent et écrivent, la société c'est l'élite, l'honnête homme, le seul hom-me possible, et le doghom-me, c'est Dieu et le Roi. Nous savons par exemple que la formule de la monarchie héréditaire de droit divin n'a jamais été contestée par personne avant le milieu du XVIIIe: il existe donc un dicible historique, qui correspondrait à une définition maximale de l'idéologie.

Ainsi posée, l'idéologie s'apparente plutôt à un "à-priorisme" sous-jacent à l'état de fait d'ensemble. Ces postulats de base, souvent enfouis dans les discours sous forme de maximes, et qui s'avèrent relatifs à un moment précis de la connaissance universelle, peuvent être mis à jour. Il est possible, à partir dûs traces syntaxiques et sémantiques qu'elles font dans les textes, de reconstituer quelques bribes de ce système tout virtuel appelé quelquefois

"découpage du monde".

Dans cette optique, il est aussi possible de voir comment et à quel niveau cette idéologie se retrouve en tant que facteur déterminant de la loi du vraisemblable, si nécessaire à ce discours privilégié qu'est le roman.

(17)

111.4. On peut considérer le texte comme un carrefour de tous les textes. Aussi,il est certainement éolairant, du point de vue de l'idéologie, de cap-ter autour de quels textes gravitent les discours du groupe. A travers les textes ressucités pendant cette période, on peut constater (lUe les esprits ne s'autorisent plus ~ créer de toutes pièces, mais seulement ~ suivre les le-çons des Anciens, et ~ les imiter. Résolrunent tournés vers le Passé, les clas-siques trouvent des parangons en Homère et Virgile pour la veine épique, Sé-nèque et Eschyle pour la veine dramatique, et enfin Horace et Aristote pour la théorie de la poésie; ces derniers sont d'ailleurs commentés ~ travers les critiques Italiens. Parmi les écrivains, l'Italie est ~ la mode, Le Tasse et l'Arioste sont un peu contestés à cause de leurs rares licences, mais pour-tant influents. Pour les Français, il ne reste guère qu'Honoré d'Urfé, sym-baIe du romanesque, Urfé dont l'Astrôe soulevait les vives réactions de Sorel alors m~me que les Précieuses en faisaient leur livre de chevet (dit-on). Cette sélection n'est évidemment pas directement opératoire pour cette étude: elle a néammoins valeur d'enseigne en co qui concerne l'idéologie de la gent lettrée, elle en montre l'orientation. ',llout eüt été différent si les pré-clas-siques avaient connu Boccace ••• En procédant par élimination, théoriciens et public ont montré qu'ils ne cautionnaion"b parmi tous les écrits que les tenta-tivefJ de mise en ordre, de formalisation du domaine littéraire, et qu'ils re-cherchaient des modèles à la fois cohérents, divertissants et moraux. Si le siècle tout entier s'accorùe pour pr8ner que l'art n'a de fin que morale, que cette morale s'accompagne de plaisir, et que l'ensemble passe par la créance, les vues sc diversifient quelque peu au niveau de l'écriture. Sera-t-elle truquaee et comment ?

(18)

IV LA NOTION DE VRAISEMBLABLE

IV.l. "Vraisemblable" s'écrit au XVIIe siècle: "vray-semblable", c'est à

dire ce qui semble vrai, ce qui a l'apparence du vrai (cf. l'expression "il y a peu d'apparence" il n'est pas vraisemblable). Cette définition, si peu 0-pératoire soit-elle, montre que la notion de vraisemblable se différencie de la notion contigue de vrai et m~me s'y oppose.

C'est au rlom de la fin essentiellement morale de la littérature que les au-torités classiques proscrivent catégoriquement le vrai et le possible comme objets de la littérature. En effet, le vrai est libre de s'attacher à l'unique, à l'étrange, 10 vrai peut choquer, étonner, co qui troublerait une créance fa-cile. Le vrai peut être qualifié d"extravagant", comme le fait Bussy-Rabutin (correspondance Bussy-Rabutin-SEivigné) à propos de l'aveu de Iliadame de Clè-ves à son mari, ce qui signifie au sons strict que le vrai s'écarte du dit

"principe naturel des choses".

Le possible est tout aussi rejeté parce qu'il laisse place au doute, aussi est-il nécessaire de le rendre vraisemblable par des moyens intrinsèques à l'oeuvre. Le vrai seul n'est pas toujours croyable. Le vraisemblable sera un vrai au second degré, un vrai artificiel, un vrai qu'on croit vrai, un tru-quage du vrai à fin utile ainsi que le résume Chapelain:

"La vraisemblance et non la vérité sert d'instrument au Poète pour acheminer l'homme à la vertu." (1)

Un peu plus tard Rapin explicitera cette idée, suggérant que le vraisemblable consiste en un nouveau vrai résultant d'une sélection et d'une correction d.u

(1) Cité par Bray,H., La formation de la doctrine classique en France, page 207.

(19)

vrai donné. La nature est déréglée, déraisonnablo. Le rôle du Poète, comme de tout artiste, n'est pas de décrire fidèlement ce qui est mais plutôt de re-mettre de l'ordre dans ce modèle imparfait:

" ••• la vérité ne fait les choses que comme elles

sont: et la vraisemblance les fait comme elles doi-vent ~tre. Il ne naît rien au monde qui ne s'éloi-gne de la perfection de son idée en y naissant. Il faut chercher des originaux et des mod.èles dans la vraisemblél.nce et dans le principe universel des

choses: où il n'entre rien de matériel et de sin-gulier qui les corrompe." (1)

Ces remarques synthétisent l'évolution de la doctrine classique dont l'achè-vement consistera à mettre en scène ùes passions humaines à l'état pur, sans relation avec le temps ou l'espace, comme l'illustre le théâtre de Racine. Pour les débuts cependant, la vraisemblance semble dériver plus du naturel, de l'habituel ou du local, que de l'universel.

IV.2. Que la vraisemblance conduise à la vertu par l'intermédiaire d'une créance facile suppose qu'il existe une relation chose crue-sujet croyant sur laquelle doit s'appuyer l'oeuvre erui se veut crue. La connaissance du public étant nécessaire, le vraisemblable est dE; nature contractuelle. Rapin formule cette notion empirique du vraisemblable:

"Le vraisemblable est tout ce qui est conforme à

l'opinion du public." (2)

L'artiste doit modeler son génie créateur selon les préjugés, croyances, con-naissances et exigences du public. Par le vraisemblable, c'est donc

l'idéolo-gie qui se manifeste, comme un pur reflet, une image adéquate, attendue du public. Le vraisemblable de l'oeuvre à succès provient donc indirectement du

( 1) (2)

Rapin,R., Réflexions Stlr la Poétique de ce temps et sur les ouvrages des

Poètes anciens et modernes, Bdition critique par E.T.Dubois, Droz, Genè-ve 1970, page 41.

(20)

public, plus que de l'auteur, et comporte donc une part d'arbitraire.

La notion de vraisemblable ne peut se cerner que de manière historique puis- . qu'elle prend sa source dans un public déterminé, puisqu'elle est relative à ses pensées et à sa position sociale.

Chapelain avait perçu l'historicité de la vraisomblance, et par là son divorce d'avec la vérité historique:

"Tout écrivain qui invente une fable dont les actions humaines font le sujet, ne doit représenter ses per-sonnages, ni les faire agir que conformément aux moeurs et à la créance de son siècle, puisqu'il est

constant que nos idées ne vont guère au-delà de ce que nous voyons ou de ce que nous entendons." (1)

Ce modeste principe vaut en soi, mais l'application peut conduire, à la limite, et c'est le cas pour j'fJadeloino de Scudéry, aux anachronismes et au pur et sim-ple calque des moeurs de ce milieu du XVIIe français sur d'autres moeurs em-pruntées à l'Histoire. Dans un m~me esprit, La Nesnardière prétend que le Poè-te qui prend son sujet dans l'Histoire, ne doit la respecPoè-ter que dans son

en-senfule, qui est connu du public, mais que dans le détail, il garde toute lati-tude. A l'abri de ces conseils, Scudéry fait de Brutus un galant aussi habile à taquiner la 1\1use qu'à soulever les peuples (fait que tout le monde connaît).

Dans la suite de son texte, Chapelain se réfère à une norme de bon sens qui correspondrait à la conduite moyenne des gens, des honn~tes gens:

"Comme sa fin est de plaire, s'il (le Poète) la veut obtenir, il la cherchera par des choses d.ont la per-suasion n'est pas difficile; il ne s'y emploiera

~e dans des peintures de ce qui arrive ou se prati-qUe ordinairement, parce que le plaisir n'est que selon la nature ou selon l'usage." (2)

(1)

Chapelain,J., Opuscules critiques ••• , Droz, Paris

1936,

page

218.

(21)

Ce précepte, qui ne sc démontre finalement que par une sentence, c'est à dire une assertion non démontrée, constitue pour nous une "trace" nette

d'idéolo-gie dans la théorie du vraisemblable: Chapelain y fait l'économie d'une preuve et impose habilement son dogme. Cependant, si la "nature" ou ce "qui arrive ••• ordinairement" renvoie au principe universel des choses, l"usage" ou ce qui "se pratique ordinairomcnt" ramone au contraire le domaine littéraire à une création spatio-tcmporellement locale, puisque l'usage borne la vision de l'é-crivain. Paradoxalement, cette littérature qui vise à l'universel, sombre, pour les débuts du classicisme, dans un ré~onalisme quelque peu égocentrique, faute pout-être de mal se différencier soi··mêmc par rapport à l'universel.

La littérature, par le truchement des exigences du vraisemblable, ne sort donc guère des cadres du même: la mimésis cerne et opprime la diégésis. Par le vraisemblable, le champ de l'inventio se referme. Ainsi, pour ces années

1650-1670,

le vraisemblable a plut8t l'aspect de 'force centripètE!'de la littératu-rc.

IV.3. Le plus représentatif analyste du vraisemblable est Jules de la 1-1es-nardière dont La Poétique se subordonne entièrement à cella d'Aristote. Il est

souvent cité à cause des exemples assez grossiers qu'il donne du vraisembla-ble, cependant, il a ~ le mérite de toucher au problème de l'arbitraire du vrai littéraire lorsqu'il écrit:

" ... il (le Poète) doit considérer que les choses

uni-verselles cèdent aux particulières selon l'inten-tion de la Fable ••• " (1)

Les principes d.e La r.1esnardière ne sont donc pas aussi rigides qu'ils peuvent le paraître.

(22)

A la suite de Cast el vetro, La I·lesnardi ère di st ingue deux sort es de vrai s em-blabla dont il dOllile successivement la définition, les exemples et la criti-que.

IV.3.1.

Premièrement le "vraisemblable ordinaire". Lié aux "Moeurs", ce vraisemblable repose sur un principe de conformité par rapport à la

psycholo-sic couran~ent reçue, psychologie variant selon les inclinations naturelles

d'une part, et selon les situations d'autre part. La r.1Gsnardière n'abord.e pas les possibilités combinatoires de ces deux cat.5gories. Ainsi, du type "homme cruel", on (le public qui a le droit de juger la littérature: l'auteur a été clair à co sujet dans son Discours) pout aisément déduire et croire une série d'actions conformes à cc type:

"Un homme cruel est ravi quand il voit de tristes spectacles; son âme nage dans le sang, se baigne dans le carnage, et il n'a jamais tant de joie quo lorsqu'il entend les plaintes, les cris et les gé-missements qu'arrachent les afflictionn aux mal-heureux qui los endurent." (1)

La place de la créativité individuolle est donc bien rétrécie. Ainsi, l'objet de la poésie n'est par:: de montrer con~ent le personnae;e faillit à son type, ou comment il es:::aio tl 'en échapper, mais au contraire comment il y répond: dans ces conditions la littérature du vra.isemblable tourne à vide.

Pour les qualités dites "accidentelles", la marne conformité se retrouve, mais cette fois appliquée à l'âge, au rang, au sexe, à la nationalité, etc •.

Dans l'exemple relatif à l'âge, l'auteur, après avoir brossé le portrait d'un jeune homme, note en exergue: "De l'homme parfait". Ce portrait, fortement

im-e

prégné de l'idéal du

XVII,

réflète la structure hiérarchisée d'une société fondée sur l'honneur, l'ambition et le gaüt d'une sécurité relativement

(23)

à-terre:

"Un homme de trerfGe-cinq ans aimera la solidité, comme les sciences utiles, qui peuvent éclairer son ame, et les profits légitimes qui accomodont ses affaires. Il sera civil et adroit pour s'ac-quérir des amis, ferme. dans ses résolutions, pru-dent, discret et régulier. Il s'avancera dans les charges, bref il fera toutes choses pour se met-tre dans un état qui le rende considérable et qui assure son repos pour tout le reste de sa vie." (1)

Voil~ un bon exemple de vraisemblable, lui-même très idéologique: La

Mesnar-di~re ne semble pas vouloir tenir compte du fait qu'il puisse exister ou qu'il

ait existé des sociétés dans lesquelles ces valeurs n'ont pas cours.

Il sera utile pour la suite de citer la règle du "vraisemblable ordinaire" se-lon la nation, car elle explicite les préjugés ambiants auxquels le Po~te doit être fidèle:

"D'ailleurs selon les Pays, un Asiatique est timide, un Africain infid~le, un Européen sage, un Américain stupide." (2)

IV.3.2. La vraisemblance "rare ou extraordinaire" est tout ce qui échappe à ce principe naturel des choses, et se rapproche donc du "merveilleux" et du "sublime". En voici la définition:

"L'autre esp~ce de vraisemblable est celle que je nom-me Rare ou Extraordinaire à='cause qu'elle arrive peu et contre les apparences." (3)

Ce recours est admis s'il est motivé à postériori, et expliqué. Ici, La 14es-nardière aborde judicieusement le probl~me de la gestion de la Poésie en tant que fiction intentionnelle:

Ibid, page 36. Ibid, page 37. Ibid, page 39.

(24)

" ••• je conseille à notre Poète de les (ces aventu-res) employer rarement, et seulement aux occasions où elles pourront produire quelques effets qui mé-ritent d'être achetés par ce peu de répugnance que nous aurons à croire le principe d'où ils partento " (1)

Chapelain, qui reprend la même distinction entre les deux vraisemblables, pre-tend que le vraisemblable extraordinaire n'autorise que les rencontres dues au hasard, mais pas du tout les entorses à la bienséance. Citons René Bray à ce propos:

" ••• il (Chapelain) refuse la vraisemblance, même extraordinaire, au mariage de Chimène et de Ro-drigue: une fille vertueuse ne peut se résoudre à épouser le meurtrier de son père." (2)

La bienséance est règle de cohérence: si Chimène a été donnée comme fille ver-tueuse, elle ne doit pas être montrée comme fille qui ne l'est pas, elle ne doit pas s'écarter du caractère qui lui a été attribué (Rapin prescrit la même chose lorsqu'il écrit que l'on doit "soutenir les caractères des personnages") La vraisemblance extraordinaire est donc exclusivement le recours à une in-tervention transcendante, c'est à dire au Hasard ou à Dieu, intervention qui loin de fournir des circonstances atténuantes aux personnages, les éprouve

(3)

et/ou les sert, et ainsi les fait héros. Chimène, prise au piège du hasard (l'homme qui doit tuer son père est et reste son amant), n'est pas une héro~ne,

et Le Cid n'cst pas vraisemblable.

(1) Ibid, page 40.

(2) Bray,R., La formation de l~ doctrine classique en France, page

199.

(25)

V LA RELATION SIGNIFIANTE

V.l. Cette brève étude du vraisemblable a mis à jour une relation entre l'idéologie du public et l'oeuvre vraisemblable. C'est cette, relation qui in-téresse notre enquête. Il s'est avéré que cette relation obéissait à un prin-cipe de conformité, le vraisemblable se soumettant ouvertement à l'idéologie du public noble. Le vraisemblable est "conforme à l'opinion" de ce public, sous peine de ne pas convaincre, c'est à dire de trahir la finalité nécessai-rement morale de la littérature.

Pour Clélie, cotte relation est pertinente puisqu'il est possible de l'extra-poler et de constater qu'elle se répercute sur plusieurs niveaux du livre. Clélie n'est pas seulement conforme à l'idéologie du public, et simultanément objectivement vraisemblable. Le livre, qui constitue un système clos (fait d'expositions, d'épisodes et d'un dénouement définitif), reproduit de manière interne cette relation de conformité, toujours composée de termes binaires con-formes les uns aux autres.

Le livre peut se diviser en deux catégories distinctes: le discours et le ré-cit. Est récit tout ce qui est raconté par l'auteur ou par des narrateurs privilégiés, et qui correspond donc à la diégésis d'Aristote. Est discours l'ensemble des paroles et des conduites expressives (ici discours devient ré-cit) prêtées aux personnages, c'est à dire tout ce qui relève de la mimésis au sens de reproduction des langages. Ainsi posé, le récit sert d'armature aux discours, la diégésis supporte' la mimésis.

(26)

conformité par rapport ~ l'idéologie: la syntaxe dénote l'arbitraire. Ainsi, les relations de réciprocité toujours vérifiées entre les couples induction-déduction d'une part

( ex.: "l'Ilai s comme la prudence humaine ne va pas jusqu'à prévoir avec certitude tout ce qui doit arriver, quelque savant qu'on soit en l'art de raisonner sur les conjectu-res, la fortune en disposa autrement." (C1é1ie, II,1,74)),

conséquence d'autre part

(ex.: Il • • • Aronce attaqua si vigoureusement ceux à qui il

s'étai t rendu, ~ les vaTnqueurs devinrent les vaincus, et furent contraints de laisser échapper un captif, dont la prise était importante. De sorte que .... 11 (I,2,744)),

cause-et enfin implication-explication

(ex.: " ••• i1 écrivit avec une précipitation étr.ange tout ce que sa passion lui inspira: car il est certain que cet-te :cet-tettre fut p1ut8t une production de son coeur que de son esprit.1I (I,1,338)),

sont simultanément la preuve de l'inci-dence de l'idéologie et de sa motivation dans l'oeuvre. Ces trois p~ocessus

sont suffisamment récurrents et présentent à l'intérieur de chacun d'eux suffisamment de constantes pour n'être pas significatifs.

En

fait, ils sont les charnières autour desquelles s'ordonne l'écriture du livre. Ils en déter-minent un cadre idéel qui offre l'image d'um monde déchiffré, où il n'y a pas de place pour le mystère, le malheur gratuit, un monde où il y a toujours par-faite conformité entre causalité et finalité. En bref, ces méticuleuses

arti-cu1ations logiques font "passer" l'idéologie: face à elles, le lecteur n'a plus le choix d'objecter.

(27)

laissée à la diégésis chez Scudéry: le fréquent recours aux maximes et la né-cessité d'une logique catalysant la créance immédiate du lecteur, permettent d'avancer que pour C1é1ie, les "possibles" de la diégésis s'av~rent délimités au niveau de l'écriture. Autrement dit, la situ.ation d'ensemble de la fiction littéraire face au vraisemblable, c'est à dire la réduction de l'inventio (IV.2), se répercute déjà au niveau syntaxique du roman. Le but de notre analyse ul-térieure consistera à voir si cette m~me situation se reproduit aussi au ni-veau sémantique.

V.2o La distinction entre récit et discours, quoiqu'un peu artificielle,

permettrait de soumettre à l'épreuve de conformité l'ensemble du livre. Les deux sortes de vraisemblable se plient aisément à cette distinction: l"extra-ordinaire", qui re1~ve du procédé littéraire, s'applique exclusivement à la catégorie du récit, tandis que l"ordiaaire" s'applique à la fois aux catégo-ries du récit et du discours. Le premier renvoie à la théorie du genre et ne met pas en cause l'opinion du public (tout au moins pas directement), celui-ci ne juge pas en termes de règles. Le second, au contraire, apparaît spontané-ment: pour le pUblic, ce qui est dit compte plus que le "comment c'est dit". L'histoire est rejetée ou accueillie selon qu'elle va dans le sens de l'opi-nion du public ou qu'elle en diverge, selon qu'elle est conforme à "son" or-dre naturel ou qu'elle ne l'est pas.

Examinons donc quel "ordre naturel" propose la petite sooiété de C1é1ie et nous découvrirons le terrain idéologique sur lequel s'érige le roman afin d'avoir du succ~s.

(28)

"r +.te vrai- VI LA COMPAGNIE OU L"ORDRE NATUREL DES CHOSES" s,- .Jlance est

tirée des qua-lités naturel-les qui se trouvent dans

VI.l. Les histoires. Le lecteur qui commence à lire Clélie se demande com-les hommes, ment l'auteur parviendra à remplir les dix volumes qui l'attendent. En effet en tant qu'ils

ont des habi- le roman s'ouvre sur une image de bonheur: le mariage tant attendu de Clélie tudes selon

lesquelles et dl Aronce; ce qui ressemble plut8t à un dénouement. Iîiais voilà que survient

ils agissent."

(2) un tremblement de terre, Clélie est séparée d'Aronce, enlevée par son rival Ho-race, et Aronce parcourt l'Italie à sa recherche, accompagné de son ami Célèreo

L'action se déplace ainsi de Carthage à Pérouse, où Célère raconte l'histoire d'Aronce jusqu'à son mariage manqué, puis enfin à Rome.

Cette exposition, qui correspond à un dénouement retardé et qui s'appuie sur ce que Tomachevski appelle une "Vorgeschichte"(l), sera reproduite une dizaine de fois au cours de ce long roman. I,'histoire d'Aronce reste ouverte tant que celui-ci et Clélie ne se seront pas retrouvés libres de se marier (ceci se rapproche de la "recherche de 13. fiancée" dans la ~lorphologie du conte de Propp), et elle devient la matrice d'autres histoires secondaires qui se gref-fent sur elle et l'alimentent. Ces épisodes, comme on dit à l'époque, sont au-tant de "Vorgeschichte". Ils ont la double fonction de situer historiquement

l'action et d'occasionner de nouvelles aventures pour les héros: ceci s'appli-que aux motifs symétris'appli-ques formés par l"Histoire de Tarquin" et l"Histoire de Brutus". Les autres histoires ont une fonction plus statique en ce qu'elles

re-l~ohent la tension et surtout assurent la part d'amour (~ guerre) et aussi

(1) In Théorie de la littérature, Textes des Formalistes Russes ••• , Collection "Tel Quel", Editions du Seuil, Paris

1965,

page

277.

(29)

de morale nécessaire au roman. Cela vaut pour les histoires suivantes: Histoire d'Artémidore

Histoire de Césonie

Histoire d'Herminus et de Valérie Histoire de Thémiste

Histoire d'Auré1ise et de Térentia Histoire d'Artélise et de Mé1icrate Histoire de la Princesse Elismonde Histoire de Lysimère

( 1)

Une troisième sorte d'histoire s'apparente au contraire à une "Nachgeschichte" qui dépasserait le cadre du roman. Il s'agit de l"Histoire d'Hésiode" racontée par un des personnages dans un but de pur divertissement. Cette histoire consis-te en une prophétie sous l'allure d'un songe et sert de préconsis-texconsis-te à un moroeau de critique littéraire au cours duquel l'auteur examine sa propre oeuvre. Tous oes récits sont intrinsèquement motivés. Ils sont généralement présentés à la fois comme preuve et résultat d'une amitié qui a pour appui la oonfidenoe

(terme dont préoisément le sens arohaique est oelui de "confiance"). Chaque confident d'un personnage confie à d'autres les aventures de oe personnage. Une maxime justifie cette action:

DD'autre part Clélie et Valérie, qui s'étaient entre-tenues ensemble pendant que la oonversation était

générale, s'étaient dit mille choses agréables: ~

comme la confiance est la véritable marque d'une so-ï~amitié, elles se demandèrent l'une à l'autre le réoit de leurs aventures." (111,1,150)

L'histoire n'est pas racontée par le personnage intéressé 1ui-m~me, probab1e-ment par modestie. Ils connaissent leurs aventures réoiproques et peuvent in-différemment les relater. L'auteur explique ce fait par une déduction, cette fois:

(30)

"Il s'établit unes grande confiance en eux par sa seule probité qui était également connue des uns et des autres, ~sur sa simple parole ils se confi~­

rent mutuellement ce qu'il y avait de plus important en leur fortune." (II,1,143)

L'oeuvre a donc pour essence un logos enchevêtré: le récit supporte et rappor-te des discours permanents qui appellent eux-mêmes de nouveaux discours, comme des jeux de miroir.

VI.2. "Que la conversation ne meure". La conversation est l'élément vital de l'oeuvre. Sans elle, pas de société (on l'appelle plus restrictement la "Compagnie"), pas de communication, pas de livre. On croit au langage, on lui prête vie, on l'entretient comme une flamme: cette métaphore en témoigne:

" ••• ces personnes excessivement bonnes, ne trouvent ja-mais rien ~ redire ~ quoi que ce soit; elles approu-vent tout, elles endurent tout, et la conversation se meurt ~ tous les moments." (II,1,311)

A la mani~re aristotélicienne, le langage est perçu comme une manifestation ex-térieure possible des sentiments, de la morale, du beau. Le langage est instru-ment. De l~ naît une tentative è.e perfectionnement du "dire", principal souci des Précieux.

La conversation devient art. Un art difficile qui exclut d'emblée ceux qui, d'une mani~re ou d'une autre, risqueraient de l'étOuffer, c'est ~ dire ceux qui parlent trop ou trop peu. Ensuite, on déeage les conditions requises pour parler bien:

"Premi~remel1t dit Amilcar en souriant, il faut avoir

bien de l'esprit, assez de mémoire, et beaucoup de jugement." (IV, 2,665 )

Quel langage faut-il parler ? Parler bien consiste en une sélection rigoureu-se de tous les langages. Le langage n'est formalisé ~~e pour mieux s'adapter aux lois de la conversation:

(31)

"Ensuite il faut parler le langage des honn~tes gens du pays où l'on est, et fuir également celui du peuple bas et grossier, celui des beaux esprits, et celui qu'ont certaines gens qui tenant un peu de la Cour, un peu de peuple, un peu du siècle passé, un peu du présent, et beaucoup de la ville, est le plus bizarre de tous." (IV,2.665)

De tels propos démentent la croyance, si longtemps répandue par des généra-tions de critiques, que la Préciosité n'est qu'un galimatias puéril •••

Enfin, la conversation, en tant qu'héritage du rang, de l'esprit, et de

l'hon-n~teté, s'apprend à travers elle-même. La Compagnie est un milieu fermé:

" ••• pour l'agrément du langage, la conversation seule peut le donner, encore faut-il que ce soit une conver-sation de gens du monde dont les femmes fassent la plus grande partie ••• 11 (IV,2,671)

La conversation ne peut être qu'agréable ou n'être pas du tout. Pour cela, elle tend à se protéger du malheur et de la tristesse du réel. Ceci explique que la Compagnie soit assise en rond, à l'intérieur ou dans un cadre agréable. L'événement y prend figure d'incursion facheuse de l'inéluctable, et pour ce fait disperse le groupe. L'auteur explique ce phénomène par l'introduction d'u-ne subordonnée de conséquence:

"1!.'n suite de quoi la conversation changea, ~ Ivlutius

e~ Spurius étant entrés, dirent qu'on venait d'appren-dre que les troupes ennemies seraient bient8t en cam-pagne, et qu'on assurait que l'armée de Tarquin serait fort belle. De sorte que ce sujet de conversation n'é-tant pas si agréable que l'autre dont on venait de s'en-tretenir, la Compagnie se sépara bient8t." (111,2,745)

Une autre fois, un individu qui vient de l'extérieur, rompt l'agréable harmonie, provoque soudainement un déséquilibre au sein du grOUp8. Ici, l'auteur relate simplement le fait, mais la juxtaposition des deux syntagmes montre qu'il y a relation de cause à effet entre la perspective d'un sujet grave et la rupture:

(32)

":E.'n suite la conversation changea d'objet, on parla de cent choses agréables, jusqu'à ce qu'Artémise étant arrivé, apprit à la Compagnie qu'on avait su que le siège de Rome avait été résolu et qu'en fort peu de jours il fallait se préparer à voir paraître l'armée ennemie. Cette nouvelle fit changer la conversation

et obligea m~me cette belle troupe à se séparer." (IV,3,1255) Le groupe est cantonné et attend: ceci peut s'expliquer par le fait qu'il est

en ma~orité composé de femmes qui ne doivent pas participer à la vie

politi-que ou à la guerre. Le groupe est donc passif. Il veut ignorer le réel aussi biün que le présent, il ne s'intéresse qu'à l'intemporel et, d'une manière gënérale, qu'à la morale des honnêtes gens.

La conversation obéH à un mécanisme fixe, pour ne pas dire à un rituel. Le débat a pour point de départ une remarque ou une question faite à propos d'un personnage précis du groupe. Ces "démarrages" revêtent souvent un caractère artificiël :

" ••• un jeune Aquilien vint à parler de la gloire que Luorèce avait eue d'avoir plus de Festons de fleurs que toutes les autres ••• " (11,1,468)

"Nais comme il parut moins enjoué qu'à l'ordinaire, Clélie lui en demanda la oause." (111,2,722)

Le débat qui s'ensuit porte sur la gloire, sur la complaisance (car le per-sonnage apprend qu'il a été affecté par la oonversation d'un homme trop oorn-plaisant), sur l'ami"l;ié, ou sur tout autre thème d'intérêt colleotif. La cour-be de la conversation oommence par une définition générale qui a l'aspeot d'u-ne sentenoe, et qui est donc chargée d'à-priori:

Il • • • ce mot là (gloire) ne devrait être employé ce me

semble que pour ceux qui auraient fait quelque cho-se de grand à la guerre, ou pour oeux qui exoellent en quelque vertu ou en quelque Art." (11,1,569) " ••• 1a oomplaisanoe qui est une vertu paisible et

a-gréable, fort nécessaire à la société, et fort digne d'être estimée, devient un vioe quand elle n'a point de bornes." (111,2,730)

(33)

Après ces affirmations, tous les membres du groupe contribuent à élaborer un dénombrement:

"Ainsi je m'assure que vous ne savez pas qu'il y a des amitiés de mode, des amitiés de caprice, des amitiés de jugements, des amitiés de bel esprit, des amitiés d'intérôt, des amitiés de prom0nade, des amitiés d'a-mour, et de plusieurs autres espèces, sans compter

cette amitié d'imagination qui vous est si inconnue, et dont tant de gens sont capables." (111,1,59)

Ces multiples formes subsidiaires sont expliquées et illustrées par des exem-ples. Ce procédé rappelle le mode de connaissance taxinomique caractéristique du siècle précédent. Enfin, une règle morale est dégag~e, règle à laquelle doit se conformer l'honnôte homme idéal:

"En

effet il ~ assurément songer à s'estimer qu'à se faire estimer par autrui

t et à mériter la gloire

qu'à la publier." (11,1,481)

" ••• i l ~ faire tout ce que la raison veut qu'on fasse, reprit Herminius, C'dst à dire qu'il ~ avoir de la douceur, de la civilité et de la complaisance: mais de la complaisance qui n'est point incompatible avec la liberté, qui cède sans faiblesse, qui loue sans flat-terie, qui s'accomode avec jugement et avec

innocen-ce, aux temps, aux lieux, aux personnes ••• " (111,2,742)

Le débat psyohologique consiste donc en une nomenclature diversifiée, détour-née au profit de la morale. Il n'atteint jamais le stad.e de la généralisa-tion, au contraire, il s'appuie constamment sur des anecdotes et des exemples vécus. On a dit que cette méthode de oonduire le raisonnement était cartésien-ne, en fait elle ne s'y apparente que par ce que Descartes emprunta aux

pen-seurs du Noyen-Age, c'est à dire 10 prooessus "définition-dénombrement-analy-se". La différence fondamentale est que les raisonnements développés ici re-posent sur une connaissanoe empirique qui forme un terrain de maximes, par exemple: "la connaissance est néoessaire à la société", "le goüt de la gloire

(34)

est une vertu humaine" etc. Ces principes, ces postulats implicites ne sont jamais radicalement remis en question: on ne s'interroge que sur leurs modali-tés. Nous nous trouvons donc aux antipodes du doute systématique de Descartes, puisque l'on fait ici confiance aux impressions et aux faits comme points de départ du raisonnement. Si les maximes à.e départ se retrouvent converties en règles à l'arrivée, de la même manière qu'une conclusion confirme les

hypothè-seg, ce raisonnement moral équivaut à une tautologie (ce qui est peut-être le sort de tous les raisonnements moraux) qui pourrait se schématiser par le si-gne de la double implication:

Naximes

<_

>

Règles

De cettè manière les conversations aboutissent à un code moral de l'honnête homme. Mais du fait que la Compagnie est exclusivement composée d'honnêtes gens, l'honnête homme disserte sur l'honnête homme. Ses conversations en ex-priment directemont l'idéologie, au sens de conduite idéale du groupe et dans

le groupe, et peut-être contribuent à le différencier du reste de la société. L'auteur avait perçu cette valeur éducative des conversations puisqu'elle les publia plus tard sous le titre de Conv81'sations morales sur divers su.iets, ce qui devait faire dire à Sainte-Beuve que ~iadeleine de Scudéry avait été l'ins-titutrice de toute une génération; nous avons pu constater qu'elle avait au-paravant bien appris sa leçon.

VI.3. Les honnêtes gens. L'honnête homme applique toutes les maximes et les rèeles dégagées dans les conversations. Les portraits décrits dans les histoires son~ autant de cadres où figuren·t les différentes espèces d'honnête homme. Il y apparaît toujours comme celui qui possède toutes les qualités

(35)

doit faire saillie:

" .•. i l possédait si égalemen"!; tout ce qu'il avait de bonnes qualités, qu'encore qu'il füt très honnête homme, ce n'était pas un de ces gens qui se font un

caractère particulier, et qui ne ressemblent à per-sonne ••• " (IV,2,613)

Ce nivellement risquerait de faire de tous les honnêtes hommes des stéréoty-pes, aussi l'auteur y pourvoit en introduisant une dominante dans ohaque

psy-oholoeie: Artémidore, par exemple, sera l"Inconstant":

"Il avait pourtant des commencements d'amour qu'on eüt dit qu'ils devaient avoir de la suite; mais on était tout étonné que le feu qu'on avait vu briller le ma-tin s'éteignait le soiro" (IV,2,615)

Pareillement, Herminius sera le liSage", Amiloar, l"Enjoué" (et insconstant com-me tous les Africains), Aronce, le "Valeureux" ••• L'auteur infère ensuite des

comportements correspondant à ces caraotères dOIDlés: Herminius joue toujours le r61e de moraliste, Amilcar et Plotine, oelui d'amuseurs:

"Cependant, afin qu'ils eussent la liberté de s'entrete-nir, Amilcar qui avait vu ces dames le jour auparavant, commenca de leur parler comme s'il les eÜ"!; vues toute sa vie: car comme il se trouva entre l'enjouée Plotine et l'aimable Césonie, qui supportaient leur infortune avec plus de constance que les autres, il lui fut aisé de tourner la conversation de manière agréable." (1,3,1154) Il ne reste plus guère de place pour la surprise lorsqu'on dit Clélie modeste pour en déduire simultanément le comportement adéquat:

"Clidamire et Bérélise louèren'~ la beauté de Clélie a-vcc beaucoup d ' esprit ••• Mais comme Clélie était modes-te, elle détourna les louanges qu'elles lui donnaient ••• "

(IV,2,7 22 ) Ces procédés de oaractérisation des personnages déooulent directement de l'ancienne notion de tempérament. Inutile de préciser ce que ces comporte-ments toujours conformes et donc consécutifs au tempérament donné, ont à la

(36)

fois d'arbitraire ct de monotone. Ils suggèrent de plus une conception déter-ministe du fait humain. En ce domaine, l'auteur se réclame ouvertement de la manière d'Homère dont il fait un éloge dans l"Histoirc d'Hésiode":

tlr/iais cc qu'il y a encore de beau, c'est que les di-verses personnes qu'Homère introduit, deviennent des personnes de notre connaissance, parce qu'elles a-gissent toujours selon le tempérament qu'il leur a attribué." (IVj 2,1133)

Ainsi, au lieu que les conduites créent le personnage (une certaine idée de sa psychologie), c'est le tempérament inoculé dans le personnage à-priori qui en conditionne toutes les actions. Si tel personnage agira toujours de manière conforme à son tempérament, la seule variable possible reste _·peut-~:I;re le. ha-sard •••

Il est de l'ordre du postulat que tout honn~te homme ou honn~te femme détient en priorité du jugement, de l'esprit, du coeur, et ainsi assume pleinement sa tlraison" et son "émotion". De là partent des séries de conduites raisonnables (lont on peut extraire une sorte de portrait-robot incluant divers types ou tempéraments.

L'honn~te homme, homme éminemment social, est pénétré de l'esprit de

concilia-tion: en lui et autour de lui, il tente de réunir plusieurs éléments en un en-semble harmonieux.

Si Herminius répond au type intellectuel, du fait qu'il est raisonnable, il parvient à n'~tre pas qu'intellectuel, car alors il sombrerait dans le "bel esprit" ou le pédantisme, ce qui est également blamable (voir VI.2.):

" ••• tout sage, tout savant, et tout sérieux outil

pa-ra~t; quand l'occasion s'en présente, il est enjoué

et dit cent choses divertissantes." (111,1,160)

(37)

accu-muler des vertus qui, à till infime degré supérieur, deviendraient vices:

" ••• jamais nulle autre personne n'a su mieux l'art d'a-voir de la gr~ce ~ affectation, de la raillerie

~ malice, de l'enjouement ~ folie, de la probité

~ contrainte, de la gloire ~ orgueil."

(111,2,1334)

Inversement, le négatif de l'honnête homme sera celui qui ne parvient pas à maintenir un ordre harmonieux à l'intérieur de lui-même, parce que sa raison n'est pas assez puissante:

" ••• il lui dit des choses si opposées les unes aux au-tres, qu'il lui était aisé de connaitre que la haine et l'amour causaioen"b'un désordre effro;)Cable dans le coeur de ce Prince."

(11,1,75)

Ne sera point honnête homme non plus celui dont l'imagination prend le pas sur la raison, car l"honnête homme a du jugement et de l'esprit". Dans l'exem-ple qui suit, la coincidence du Provincial (comment le sait-on 1) avec l'hom-me sans esprit relève du pur préjugé idéologique, et reste totalel'hom-ment

immoti-vée~il y a évidemment projection du mépris de Paris pour la province.

L'adver-be impose et souligne la maladresse de l'intervention du personnage: "Pour moi, dit brusquement un Provincial qui avait

l'i-magination vive et un enjouement étourdi, je souhaitc-raiD d'avoir le plus bel esprit du monde."

(V,1,n67)

Cet idéal de perfoction et de complétude est tout orienté vers la société. La vie ne se conçoit pas autrement que dans la mondanité. Cette affirmation prend l'allure d'une sentence:

"Il savait cent choses qui n'étaient pas nécessaires, ne savait pas que sa femme était une coquette, et é-tait enfin très ignorant de la morale et de l'art de vivre à propos dans le monde, i est cent fois lus

nécessaire que de savoir l'amour des crocodiles."

V,1,1l84)

Qu'on ne dise pas que l'hollilôte homme est tolérant: celui dont on parle sera rayé de la liste des intimes puisqu'il ne se conforme pas aux sentences qui

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