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ARTheque - STEF - ENS Cachan | Risques globaux et changements climatiques : quelle éducation pour une survie à long terme ?

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RISQUES GLOBAUX ET CHANGEMENTS CLIMATIQUES :

QUELLE ÉDUCATION POUR UNE SURVIE À LONG TERME ?

Vítor OLIVEIRA

Département d’Éducation, Université d’Évora

MOTSCLÉS : RISQUE ENVIRONNEMENTAL RESPONSABILITÉ ÉDUCATION À L´ENVIRONNEMENT

RÉSUMÉ : Les risques environnementaux, dits naturels, sont plusieurs fois des constructions sociales. Cependant, la manifestation de ses effets n’est pas immédiate, ce qui ne contribue pas à la construction d’une stratégie responsable de prévention. L’éducation aux risques à long terme, notamment les changements climatiques, pose ainsi des problèmes complexes, surtout parce que nous n’envisageons pas la portée de leurs possibles conséquences.

SUMMARY : In this paper we stress that some serious environmental risks, linked with the increasing greenhouse effect, have an anthropic origin. Environmental education must take in account the possible consequences of such climate changes, preparing people to be responsible in a complex world, where the consequences of our behaviour are not evident.

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1. INTRODUCTION

Cette communication s’inscrit dans une réflexion et dans un travail sur un terrain plus vaste (Oliveira, 1997, 1998). Un projet développé avec des élèves de 14/15 ans et avec leurs professeurs sur le phénomène de l’effet de serre atmosphérique est le point de départ d’une réflexion en cours sur les caractéristiques d’une éducation à la citoyenneté et à l’environnement qui puisse faire face à la dégradation des conditions de vie à l’échelle planétaire.

La possibilité de changements climatiques globaux, d’origine anthropique, pose un défi éducatif considérable ; il faut essayer de comprendre les conséquences à long terme de notre action présente, dans un scénario dominé par la complexité et par l’incertitude. La notion de « risque global » peut être un point de départ pour la réflexion correspondante.

2. CES OBJETS HYBRIDES QUI RETOMBENT SUR NOS TÊTES

Le ciel étoilé au-dessus de nos têtes, la loi morale dans notre cœur, tel était la synthèse kantienne de

sa propre éthique de la liberté avec la cosmologie de Newton. En une seule phrase, le cosmos et l’homme étaient réunis. Deux cents ans après la mort d’Emmanuel Kant, quel rapport pouvons-nous établir entre un univers, dont nous commençons à peine à connaître la complexité, et les lois morales avec lesquelles nous essayons de régler les rapports avec nos compagnons de voyage, pour utiliser une expression chère à Hubert Reeves ? Si ce rapport appartient au domaine des conséquences de l’intervention humaine et, donc, de sa responsabilité, nous pouvons dire que l’effet de nos actions sur l’espace extérieur n’est pas, pour le moment, très visible. Toutefois, si nous nous rapprochons de la Terre, les choses changent, même au niveau de la haute atmosphère.

En paraphrasant Kant avec un peu d’ironie, et en soulignant la fragilité de la mince pellicule gazeuse qui nous sépare du ciel étoilé, Bruno Latour (1997) nous parle du rapport entre le trou

d’ozone sur nos têtes et la loi morale dans notre cœur. Finie, la séparation nature – culture ! Dans le

cas de la couche d’ozone stratosphérique, comme dans plusieurs autres domaines et à l’image d’autres civilisations, dites primitives, nous recommençons à avoir peur que le ciel nous tombe sur la tête :

« Nous aussi, nous attachons le geste infime de presser un aérosol à des interdits qui concernent le ciel. Nous aussi, nous devons prendre en compte les lois, le pouvoir et la morale pour comprendre ce que disent nos sciences sur la chimie de la haute atmosphère. » (Latour, 1997, pp. 15-16)

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Latour désigne sous le nom d’objets hybrides ce genre de créatures qui échappent au contrôle de leur créateur et qui, loin de lui obéir et de disparaître gentiment après usage, une fois terminée leur phase utile, vont, tout au contraire, continuer leur activité, en rendant folles les vaches, en ouvrant des trous dans le ciel ou en rendant de plus en plus imprévisible le rythme de nos saisons. La connaissance de la portée spatiale et temporelle de plusieurs de ces objets hybrides, sortis de nos mains, est très récente ; si récente que nous ne l’avons intégrée ni dans nos consciences ni dans notre action.

Selon le philosophe Paul Ricœur, cette connaissance nous oblige à reconsidérer les effets de notre intervention en termes d’une mutation de l’agir humain et, donc, d’une mutation du domaine de notre responsabilité :

« Les phénomènes qui semblaient relever de la simple nécessité, et qui étaient perçus comme destin dès lors qu’ils interféraient avec les projets de l’homme, apparaissent aujourd’hui comme des effets de l’agir humain et de son intervention dans le cours des choses. [En conséquence] les effets, même non voulus, de l’intervention de l’homme à l’échelle planétaire, posent d’emblée le problème éthique en termes de responsabilité. » (Ricœur, 1991, p. 272)

Sommes-nous devenus des apprentis sorciers, sans nous en rendre compte ? En partant de la notion de risque, mot-clef de nos Journées, il est vrai que nous ignorons trop souvent les risques que nos actions font subir à nous-mêmes et à la vie de nos semblables, actuels et futurs, pour ne parler que d’une perspective anthropocentrique. Mais de quoi parlons-nous, quand on parle de risques ?

3. UNE CIVILISATION À HAUT RISQUE ?

En risquant une boutade, on pourrait dire que « vivre, c’est toujours risquer la mort »… Le mot

risque signifie, en effet, « un danger, un inconvénient plus ou moins probable auquel on est

exposé » selon Le Petit Larousse, ou « un péril dans lequel entre l’idée de hasard » selon Le Littré. En portugais, ma langue maternelle, le mot « risco » a une double signification : la même qu’en français - danger, mais aussi un trait, le dessin vigoureux d’une ligne. Si on associe ces deux sens du mot, nous pouvons nous imaginer devant une ligne de frontière qui sépare un territoire familial, qu’on connaît bien, de l’inconnu. Sommes-nous décidés à risquer, en franchissant ce trait de démarcation ? Et avec quels critères, si on veut décider d’une façon responsable et non à l’aveuglette ?…

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Nous l’avons vu plus haut, on peut considérer deux concepts subordonnés, associés au concept de

risque : celui de danger ou de péril et l’idée de hasard ou de probabilité. Si on prend des risques,

c’est toujours pour gagner quelque chose ; il faudrait faire un bilan du rapport coûts / bénéfices et décider en fonction de ce rapport. Pour le faire en pleine responsabilité, il faut savoir que le risque existe, il faut apprendre à l’identifier et à évaluer sa dimension réelle. Dans le cas des changements climatiques possibles, associés au réchauffement global, ces procédés d’analyse les risques sont extrêmement difficiles, sinon impossibles, si on considère la complexité des interrelations entre les phénomènes en jeu, aussi bien que l’incertitude associée à leur évolution, y compris l’évolution du comportement humain dans les décennies prochaines.

Reprenons la parole des philosophes. Hans Jonas, dans une conférence peu avant sa mort en 1993, insistait sur l’importance d’associer la responsabilité à notre action, considérant la dimension temporelle et spatiale que cette-ci peut acquérir :

« La responsabilité nous en incombe sans que nous le voulions, en raison de la puissance que nous exerçons quotidiennement au service de ce que nous est proche, mais que nous laissons involontairement se répercuter au loin. Cette responsabilité doit être du même ordre de grandeur que cette puissance, et, comme celle-ci, englobe donc tout l’avenir de l’homme sur terre. Jamais une époque n’a disposé d’une telle puissance (…), ni porté une telle

responsabilité. Cette dernière ne peut donc s’exercer qu’en étant liée à un savoir. » (Jonas,

1998, p. 70)

Examinons, de plus près, la question du pouvoir et du savoir, radicalement associés à cette nouvelle

responsabilité, de dimensions presque absolues. S’il est vrai que cette responsabilité, envers la

Terre entière et envers les générations futures, découle de notre puissance technologique, sans précédent dans l’histoire de l’humanité, elle est aussi la conséquence d’un non-pouvoir associé, par exemple, à la perte de contrôle sur les objets hybrides que nous jetons dans la nature. Notre pouvoir est, dans ces circonstances, un pouvoir illusoire et fictif ; le produit final de notre action, quand nous exerçons ce pouvoir, est, en fin de compte, le contraire de l’effet prévu, sinon espéré.

D’autre part, si nous avons besoin de fonder nos actions sur un savoir prévisionnel, pour décider en fonction de ce savoir prévisionnel, il faut prendre en compte ses nombreuses limitations. Ce

non-savoir se traduit irréductiblement par l’incertitude associée soit à l’objet, soit au sujet ; c’est ce que

nous dit Edgar Morin quand il dit que « la plus grande certitude que le 20e siècle nous a donnée est celle de l’inéliminabilité d’incertitudes, non seulement dans l’action, mais dans la connaissance » (Morin, 1999, p. 61).

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4. LA CONSTRUCTION SOCIALE DES RISQUES

Dans sa Lettre à M. de Voltaire, à propos du tremblement de terre qui a frappé Lisbonne en 1755, Rousseau rappelait que si le phénomène était naturel dans son occurrence, il était attribuable aux hommes dans ses conséquences :

« Convenez, par exemple, que la nature n’avait point rassemblé là vingt mille maisons de six à sept étages, et que, si les habitants de cette grande ville eussent été dispersés plus également, et plus légèrement logés, le dégât eût été beaucoup moindre et peut-être nul. » (Rousseau, 1969, p. 1062).

Le sujet de la Lettre de Rousseau à Voltaire reste comme un exemple paradigmatique de ces risques considérés auparavant comme naturels et qui sont, en effet, des constructions sociales. Cette constatation est le point de départ pour la résolution des problèmes : « L’idée que les hommes sont les principaux auteurs des maux qui les affectent marque la nette volonté d’y porter remède » (Larrère, Larrère, 1997). C’est parce que les risques sont socialement construits que nous sommes responsables, soit au niveau de leurs causes, soit au niveau de leurs conséquences. Toutefois, une fois connus, il n’est pas possible d’éliminer totalement plusieurs de ces risques. Dans le cas des possibles changements climatiques, leur cause est associée à l’augmentation dans l’atmosphère des gaz à effet de serre, comme le CO2 ou le CH4, provenant en partie de notre activité comme êtres

métabolisants évolués : « Nous n’existons qu’en vertu d’un échange continu de matière [et d’énergie] avec le monde extérieur », remarque H. Jonas (1998, p. 72). Nous connaissons bien, d’ailleurs, l’inégalité de ces échanges, en ce qui concerne l’accès aux biens essentiels et l’impératif éthique de modifier cet état de choses à l’échelle mondial.

Comme programme d’action global et local, il faut essayer de minimiser les risques, en diminuant la production de gaz à effet de serre, mais il faut aussi développer des politiques d’adaptation, pour prendre en considération la possibilité de modifications climatiques irréversibles. Dans ce cas -inondations, sécheresses, épidémies - les plus démunis seront, en toute probabilité, les plus affectés par les catastrophes. Sous le point de vue de l’action humaine, il faut enfin apprendre à associer sagement précaution et innovation :

« La démarche de prudence doit se doubler d’une démarche constructive, la précaution permettre l’innovation. Ces deux principes, apparemment opposés, procèdent en fait d’une prise de conscience similaire, à l’égard des générations futures. » (Bindé, 1997, p. 31)

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5. AGIR HUMAIN, RESPONSABILITÉ HUMAINE

Le défi éducatif pour affronter l’incertitude et la complexité, associées aux risques globaux, climatiques et autres, pose des problèmes considérables, par son urgence et par sa nouveauté. Edgar Morin (1999) souligne, à ce propos, qu’il nous faut réformer la pensée pour pouvoir repenser la

réforme du système éducatif, et vice versa. Ces deux mouvements sont indissociablement liés mais,

le point cricial est, peut-être, comme l’auteur souligne, l’institution « d’un mode de penser capable de relier et solidariser les connaissances disjointes » (Morin, 1999, p. 111). Cette réorganisation du savoir, capable de concevoir le complexe et le global, serait plus apte, à favoriser le sens de la responsabilité et celui de la solidarité, dans une perspective de long terme pour toute l’humanité.

BIBLIOGRAPHIE

BINDÉ J., L’éthique du futur. Pourquoi faut-il retrouver le temps perdu ?, Futuribles, 1997, 226, 17-40.

JONAS H., Pour une éthique du futur, Paris : Rivages, 1998.

LARRÈRE C., LARRÈRE R., Du bon usage de la nature, Paris : Aubier, 1997. LATOUR B., Nous n’avons jamais été modernes, Paris : La Découverte, 1997. MORIN E., La tête bien faite, Paris : Seuil, 1999.

OLIVEIRA V., Citoyenneté, problèmes globaux et éducation à l’environnement, in Giordan, Martinand et Raichvarg (éds), XIXes Journées Internationales sur la Communication, l’Éducation

et la Culture Scientifiques et Industrielles, 1997, Chamonix.

OLIVEIRA V., L’importance du concept de développement durable dans la formation des professeurs de sciences, in Giordan, Martinand et Raichvarg (éds), XXes Journées Internationales

sur la Communication, l’Éducation et la Culture Scientifiques et Industrielles, 1998, Chamonix.

ROUSSEAU J.-J., Lettre à M. de Voltaire, in Œuvres Complètes, t. IV, Paris : Gallimard, 1969. RICOEUR P., Lectures Autour du politique, Paris : Seuil, 1991.

Références

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