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Figure(s) du philosophe chez Maxime de Tyr : traduction et commentaire des Dialexeis 3, 17, 26 et 36

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Traduction et commentaire des Dialexeis 3, 17, 26 et 36

Mémoire

Maîtrise en études anciennes

Colette-Marie Huot

Université Laval Québec, Canada Maître ès arts (M.A.)

et

Université de Strasbourg Strasbourg, France

Master (M.)

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iii

RÉSUMÉ

Les Dialexeis de Maxime de Tyr (seconde moitié du IIe siècle ap. J.-C.) sont de courts

textes abordant des questions philosophiques avec clarté et élégance. Ce mémoire présente la traduction et le commentaire littéraire de quatre d’entre eux, qui discutent de grands philosophes du passé : le procès de Socrate (Dialexis 3), la querelle d’Homère et de Platon sur la poésie (Dialexis 17), la réconciliation de ces derniers en faisant d’Homère le premier des philosophes (Dialexis 26) et enfin l’éloge de Diogène (Dialexis 36). À la suite d’une traduction annotée, le commentaire cherche à dégager les principaux aspects de la construction d’un idéal du philosophe à partir de micro-analyses textuelles. Le premier chapitre pose le cadre conceptuel de ces portraits : une rhétorique proche de la Seconde Sophistique, marquée par les procédés de l’éloge ; et une définition de la philosophie comme sagesse et vertu poussées à leur paroxysme, s’incarnant au long des siècles dans la succession des sages. Le deuxième chapitre examine les traits caractéristiques de ces philosophes. Socrate et Diogène, tout comme Homère et Platon – les premiers traités comme exempla d’action vertueuse et les derniers comme des enseignants de la sagesse par leurs œuvres – voient leur ethos grandi par la présence de comparants divers. Enfin, le dernier chapitre s’intéresse de plus près à la situation d’énonciation interne et externe des Dialexeis, qui se reflète dans la stratégie pédagogique d’une part, et d’autre part dans la confrontation des différentes figures philosophiques – Maxime compris – avec leurs rivaux dans le domaine littéraire et esthétique, sophistes, orateurs, poètes et artistes. Le mémoire conclut sur le caractère protéiforme de la figure du philosophe dans les Dialexeis.

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ABSTRACT

Maximus of Tyre’s Dialexeis (second half of the 2nd century BC) are short lectures

dealing with style and clarity with philosophical questions. This study aims at translating and analysing four of them, in which Maximus portrays some famous philosophers of the Greek past. He thus pictures Socrates’ trial (Dialexis 3), Homer and Plato’s quarrelling about poetry (Dialexis 17), tries to reconcile both of them by showing how great a philosopher Homer is (Dialexis 26) and praises Diogenes’ lifestyle (Dialexis 36). The literary comment is based on close readings of the annotated translation, in order to show the author’s ideal picture of the philosopher. The first chapter qualifies Maximus’ style as mainly epidictic, close to the Second Sophistic’s standards, and defines philosophy as virtue and wisdom embodied in the wisemen who succeed in cultivating them along centuries. The second chapter explores the philosopher’s main features. Whereas Socrates and Diogenes are pictured as virtuous

exempla, Homer and Plato are rather dealt with as authors and teachers of wisdom. All of

them are compared with diverse characters, who add to their ethos. Eventually, the third chapter is a closer look at the Dialexeis’ internal and external enunciative situatio n: Maximus’ and his philosophical characters’ self-display as wise and virtuous teachers leads them to confront their fellow enemies – sophists, orators, poets and artists – in the literary and aesthetic field. This study concludes on the portray of the philosopher as a man with many turns and faces.

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SOMMAIRE

RÉSUMÉ... i i i ABSTRACT...i v SOMMAIRE ... v REMERCIEMENTS ... vi i INTRODUCTION ... 1

1. L’auteur, le texte, l’époque ...1

Ma xi me de Tyr ...1

Les Dialexeis , genre et public ...2

Ma xi me de Tyr, un philosophe du IIe siècle ap. J.-C...4

2. Jus tifi ca tion du corpus et visée de la recherche ...9

3. Éta t de la ques tion...10

Édi tions et tra ductions ...11

Études sur les Dialexeis ...12

4. Probléma tique, hypothèses et a xes de recherche...14

Intérêt du sujet...15

Approche théorique et méthodologique...17

5. Plan du mémoire ...18

PREMIÈRE PARTIE : TRADUCTION ... 19

Dialexis 3 ...19

Dialexis 17 ...33

Dialexis 26 ...44

Dialexis 36 ...59

SECONDE PARTIE : COMMENTAIRE ... 73

A. LE CADRE CONCEPTUEL DES DIALEXEIS : L’ELOGE D’UNE PHILOSOPHIE ... 73

I. Un corpus philosophique fondé su r une rhétoriqu e de l’éloge ... 73

1. La structure rhétorique des textes du corpus...73

2. Un cercle vertueux entre éloge de philosophes et éloge de la philosophie...77

3. Théorie et pra tique de l ’éloge chez Ma xi me ...78

II. Définition et histoire de la philosophie chez Maxime ... 82

1. Une définiti on inclusi ve de la philosophie ...82

2. La succession his tori que des philosophes , une « cha îne d’or »...88

3. Ca cophonie et dégénéres cence de la philosophie...92

B. UN RESEAU DES FIGURES PHILOSOPHIQUES ... 97

I. La construction de figures exemplaires : Socrate et Diogèn e ... 97

1. Socra te, portrai t du philosophe idéal...97

2. Diogène en a ction, un protreptique à la vertu...102

II. Platon et Ho mère : réconcilier les maîtres de la sagesse ...106

1. Une impossible réconcilia tion ? ...107

2. Homère et Pla ton, réconciliés pa r l’i mita tion complémentai re de leur style ?...113

III. Figures compa rées aux philosophes ...117

1. La di vini té, plus qu’une figure d’inspi ra tion...118

2. Ethos héroïque du philosophe ...123

3. Le philosophe seul face à ses adversai res ...128

C. LE PHILOSOPHE, SON ART ET SES RIVAUX...137

I. Le philosophe, le sophiste et l’orateur ...137

1. Le sophis te, contre -modèle de l’a rt philosophique ...137

2. Le philosophe doi t-il ga rder le silence ?...142

3. Le philosophe est le seul bon ora teur ...145

II. Figu res du maître et de son auditoire : une énonciation avant tout didactique ...150

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2. Stra tégie protreptique et cons truction de l ’ethos philosophique de l’a udi toi re ...154

3. « A s trong “I” » : Ma xi me, une fi gure d’autorité omniprésente...159

III. Le philosophe, le poète et les a rtistes ...163

1. Le rôle du plaisir poétique dans l ’ensei gnement philosophique ...164

2. Une réflexi on esthétique au cœur des Dialexeis ...169

3. Ekphrasis : ri valité a vec les a rtisans du beau ...173

CONCLUSION ...181

BIBLIOGRAPHIE ...188

I. Sources p rimaires : Maxime de Tyr...188

1. Édi tions du texte grec...188

2. Arti cles philologiques majeurs ...188

3. Traducti ons les plus récentes à ce jour ...188

Fra nçais ...188

Allemand ...189

Anglais ...189

Espagnol ...189

Italien ...189

II. Littérature secondaire ...191

1. Philosophie et li ttéra ture grecques impériales ...191

2. Ma xi me de Tyr...192

3. Socra te...194

4. Homère et Pla ton ...194

5. Diogène et le cynisme ...195

INDEX ...196

Index des ci ta tions des Dialexeis ...196

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REMERCIEMENTS

À M. Pernot, pour m’avoir accueillie à Strasbourg, avoir accepté de diriger le présent mémoire et m’avoir orientée vers Maxime de Tyr, pour vos réponses toujours claires et précises à mes interrogations parfois embrouillées, pour avoir enfin judicieusement amendé les maladresses de la traduction. À Mme Morand, pour votre disponibilité durant toute cette année de rédaction, pour avoir écouté patiemment mes altermoiements et mes doutes, m’avoir encouragée à toujours remettre mon ouvrage sur le métier et avoir éclairci le mystère de la scansion grecque. À Mme Fleury, pour avoir accepté de relire ce mémoire et l’avoir corrigé avec une redoutable efficacité – si j’avais pu tenir compte de toutes vos remarques, beaucoup de défauts en auraient été éliminés. À M. Goeken, pour avoir accepté de faire partie du jury et avoir contribué à la réussite de cette

mobilité. À M. Baudou, pour votre accueil chaleureux à Laval, votre soutien dans le cadre du séminaire

de maîtrise et pour l’organisation du colloque de fin d’année. À M. Vix, pour avoir également accepté de faire partie du jury et de corriger ce mémoire. À mes parents et à mon frère, pour avoir soutenu inconditionnellement, depuis le début, mon choix des Lettres et de l’Antiquité, et particulièrement durant ces deux ans de maîtrise. Merci à toi, Maman, pour m’avoir donné un rythme de rédaction et pour avoir passé de longues heures à relire et corriger ma prose avec ton acribie habituelle. À mes amis de France et du Québec, pour avoir supporté mes incessantes anecdotes sur l’Antiquité et la cohabitation avec Maxime de Tyr, et aussi pour m’avoir fait parfois sortir de la bibliothèque pour partir à la rencontre du monde. À mes collègues, notamment les deux quartets de Strasbourg et Laval, pour tous ces moments passés avec vous à préparer les colloques de fin d’année, et ces échanges passionnants sur nos études et l’avenir. Mention spéciale à Achille, pour les allégories maritimes, à Viviane, pour le partage du bureau, ainsi qu’à Paola, Pia et Amandine pour le soutien moral. J’adresse également mes remerciements les plus chaleureux à Mmes Chassignet, Bour et Quimper, et à tout le personnel administratif de Laval et de Strasbourg, pour votre redoutable efficacité à surmonter et contourner toutes les embûches administratives. Sans vous, je n’aurais pas pu vivre cette formidable expérience d’échange. L’Université de Strasbourg et la région Alsace ont aussi contribué à la réussite de ce projet par

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INTRODUCTION

1. L’auteur, le texte, l’époque

Maxime de Tyr

Parmi les innombrables rhéteurs, philosophes, conférenciers, de toutes origines géographiques et culturelles qui sillonnèrent l’Empire romain durant son apogée, marqués par une culture commune, celle de la paideia grecque, Maxime de Tyr est l’un des rares auteurs qui a pu transmettre son nom et son œuvre à la postérité.

Peu d’éléments biographiques nous sont parvenus à son sujet – « scarcely more than a cipher », selon l’éditeur le plus récent des Dialexeis, M. B. Trapp1. On peut certes déduire de

son toponyme une origine proche-orientale, mais des incertitudes subsistent : Tyr était- elle la ville d’origine de ses ascendants, de sa naissance, de ses débuts ? Nous ne possédons que trois brèves références antiques à cet auteur : une notice dans la Souda, une ligne chez Eusèbe de Césarée et la préface de l’un des manuscrits des Dialexeis (Parisinus Graecus 1962). La

Souda indique qu’il « vécut à Rome sous Commode »2, soit entre 180 et 191, ce que complète

la datation donnée par Eusèbe (agnoscitur dans la 232e Olympiade, soit entre 149 et 152). Le

Parisinus Graecus ajoute que les Dialexeis – le seul texte conservé de cet auteur – ont été

prononcées « lors de sa première visite à Rome »3, ce qui témoigne de son passage dans

l’Urbs sans qu’on puisse dire avec certitude si c’était avant ou durant le règne de Commode. Plusieurs tentatives ont par ailleurs été faites pour rapprocher l’auteur des Dialexeis d’un

1 M. B. Trapp, introduction aux Philosophical Orations, Oxford, New York, Oxford University Press, 1997, p. xi.

2 Μάξιμος, Τύριος, φιλόσοφος, διέτριψε δὲ ἐν Ῥώμῃ ἐπὶ Κομόδου. Περὶ Ὁμήρου καὶ τίς ἡ παρ’ αὐτῷ

ἀρχαία φιλοσοφία, εἰ καλῶς Σωκράτης οὐκ ἀπελογήσατο, καὶ ἄλλα τινὰ φιλόσοφα ζητήματα (Souda,

cité dans M. B. Trapp, introduction aux Philosophical Orations, p. lvi : « Maxime, Tyrien, philosophe, vécut à Rome sous Commode. Au sujet d’Homère et de l’ancienne philosophie dans ses

œuvres ; Si Socrate a bien fait de ne pas se défendre, et quelques autres questions philosophiques »).

Sauf mention contraire, les traductions sont de notre main. Les passages de Maxime absents du corpus d’étude sont tous inspirés de la traduction française de Combes Dounous ainsi que de la traduction anglaise de M. B. Trapp ; enfin, pour les autres citations d’auteurs antiques, nous signalerons à chaque occurrence la traduction dont nous nous sommes servie.

3 Τῶν ἐν Ῥώμῃ διαλέξεων τῆς πρώτης ἐπιδημίας, expression discutée et citée par M. B. Trapp, ibid. Il donne également quelques autres citations du nom de Maxime dans des chroniques, qui n’apportent pas beaucoup plus car elles se réfèrent aux sources déjà mentionnées.

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2

autre philosophe du nom de Μάξιμος ou Maximus, mais personne n’est parvenu à une conclusion décisive tant le nom est courant.

Les informations contenues dans les Dialexeis n’éclairent pas la biographie personnelle de l’auteur, mais elles permettent de mieux saisir son ethos. Dans ce qui est considéré comme le discours programmatique du recueil, Maxime de Tyr se définit comme un orateur compétent en rhétorique et en poésie4, et la qualité de son style confirme ses dires. Plusie urs

allusions à des νέοι garantissent par ailleurs qu’il s’agissait bien d’un rhéteur5, enseigna nt

l’art oratoire à des jeunes gens au terme de leur parcours scolaire. S’il se déclare compétent pour ensigner la rhétorique, il emploie toujours en mauvaise part le terme de « sophiste » en suivant la tradition platonicienne issue du Gorgias6, et s’il se refuse le titre de philosophe7,

c’est pour mieux souligner la fonction protreptique de ses discours – et sans doute par ethos de modestie. Pour lui, la philosophie est un combat comparable à une discipline olympiq ue, mais accessible à tous car il se livre dans l’esprit8. Enfin, si les thèmes et questions abordés

dans les textes survivants de Maxime présentent une certaine cohérence par leur aspect philosophique malgré la diversité des sujets abordés, on ne peut dire si cette compilation est un échantillon représentatif de ses cours et de ses éventuels autres discours.

Les Dialexeis, genre et public

L’œuvre de Maxime nous est parvenue sous la forme d’un recueil de quarante-et-une

dialexeis. Il s’agit de textes courts, occupant une dizaine de pages dans l’édition Teubner, qui

traitent d’une question philosophique précise, souvent en antithèse (Dialexeis 23 et 24 sur les mérites respectifs du soldat et de l’agriculteur) ou en série (Dialexeis 18 à 21, sur l’amour

4 Cette Dialexis est numérotée 1 dans l’édition de H. Hobein (De Maximo Tyrio quaestiones

philologae selectae, Leipzig, B. G. Teubner, 1895). Cette numérotation a été reprise par M. B. Trapp,

et nous la suivrons pour citer les Dialexeis. Sur l’aspect programmatique de ce texte, voir entre autres J. Lauwers, « The Rhetoric of Pedagogical Narcissism : Philosophy, φιλοτιμία and Self-display in Maximus of Tyre’s First Oration », Classical Quarterly, 59, 2009, p. 593-607.

5 Notamment Maxime, Dialexeis,1, 7 ; 18, 9 ; 37, 6.

6 Cf. notamment infra, p. 137-150, sur les figures de l’orateur, du sophiste et du philosophe, ainsi que les définitions de ces notions par J. Lauwers (J. Lauwers, Philosophy, Rhetoric, and Sophistry in the

High Roman Empire : Maximus of Tyre and Twelve Other Intellectuals, Leyden, Brill, 2015, p. 20-30)

et D. Karadimas (Sextus Empiricus against Ælius Aristides : the conflict between philosophy and

rhetoric in the Second Century A.D, Lund University Press, 1996, p. 5-7).

7 Maxime, Dialexeis, 1, 7, cité infra, p. 159-169. 8 Maxime, Dialexeis, 1, 6, cité infra, p. 155.

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3

socratique). L’exorde est généralement travaillé, mais la clôture des textes n’est pas toujours bien marquée. Les thèmes des conférences sont variés, ce qui a valu à leur auteur d’être qualifié d’« éclectique » par plusieurs critiques9. Chaque texte est muni d’un titre éditorial,

sans doute postérieur à Maxime car il ne correspond pas toujours exactement au sujet traité10.

Le genre de ces textes pose également problème. La Souda les qualifie de ζητήματα, c’est-à-dire « recherche (sur une question philosophique) », tandis que le manuscrit cité plus haut utilise διάλεξις. Ce dernier terme peut renvoyer à plusieurs types de textes, selon le contexte. À l’origine, il est employé pour désigner le dialogue philosophique, sur le modèle socratique, et par extension tout texte philosophique prenant plus ou moins à partie l’auditoire. Cependant, au IIe siècle, il est devenu synonyme de προλαλιά, ou introduction à

un discours, ce qui pourrait convenir pour désigner ces écrits en raison de la brièveté, de l’affectation d’informalité et de la recherche d’ornementation qui les caractérise. Cependant, comme le souligne M. B. Trapp11, on voit mal à quel type de texte les Dialexeis de Maxime

pourraient préparer la voie, puisque chacun forme un enesemble clos. On gardera ici le terme de Dialexis pour les désigner, tout en signalant la traduction française proposée par B. Pérez-Jean et F. Fauquier12, « conférence », qui permet de mieux situer ce genre pour le lecteur

contemporain. Mais il ne faut pas perdre de vue le contexte scolaire antique, où les rhéteurs déployaient fréquemment leurs talents oratoires en prononçant des déclamations, non seulement pour donner un modèle vivant à leurs élèves mais aussi pour rehausser leur prestige personnel auprès d’un public extérieur à la classe, parfois de simples badauds, parfois l’empereur en personne. Se trouvaient également, sans doute, dans le public de Maxime, des individus plus âgés que les élèves. La fréquence des adresses à l’auditoire ainsi

9 On constate une nette prédilection pour le terrain moral et éthique (Dialexeis. 29 à 34, sur les rapports de la vertu et du plaisir), mais Maxime soulève également nombre de questions métaphysiques et théologiques, souvent dans une perspective platonicienne (par exemple Dialexeis. 39 et 40 sur les degrés du Bien, les Dialexeis. 8 et 9 sur le daimon de Socrate).

10 M. B. Trapp, introduction aux Philosophical Orations, p. xv-lviii. 11 M. B. Trapp, introduction aux Philosophical Orations, p. xl-xli.

12 Maxime, Choix de conférences : religion et philosophie, texte édité et commenté par F. Fauquier et B. Pérez-Jean, Paris, les Belles Lettres, 2014, introduction, p. 22. La formule condensée de J. Sirinelli peut aider à mieux définir ces textes et leur public : il s’agit pour lui de « causeries d’une vingtaine de minutes dépourvues de tout caractère technique » (J. Sirinelli, Les enfants

d’Alexandre : la littérature et la pensée grecques, 331 av. J.-C., Paris, Fayard, 1993, p. 393 sq. sur

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4

que des procédés visant à capter ou à regagner l’attention de celui-ci permet de conclure que ces textes étaient destinés à être prononcés en public et ensuite compilés pour une diffus io n plus large, selon leur succès. Nous tenterons d’ailleurs de traiter notre corpus sous l’angle de la réception.

Maxime de Tyr, un philosophe du II

e

siècle ap. J.-C.

Pour mieux comprendre ces textes, essayons de les replacer brièvement dans leur contexte. Au moment où Maxime vit, étudie, se déplace et donne ses conférences, c’est-à-dire sous le règne des Antonins, plus précisément entre Trajan ou Hadrien et Commode, voire au début du règne des Sévères, l’Empire romain est à son apogée, bien que sa stabilité commence à être menacée sur les frontières par des mouvements de populations barbares13.

C’est une période propice à l’épanouissement des arts et de la philosophie, où la prospérité et la sécurité, qui règnent au sein du limes, favorisent la liberté de circulation des hommes, des textes et des idées. Rhéteurs, orateurs, philosophes de toutes sectes, prédicateurs, médecins, se déplacent, enseignent, se produisent et circulent entre les grands centres intellectuels de l’Empire, mais sont surtout attirés par la Ville éternelle, où la concurrence est rude. Le fait que les discours de Maxime de Tyr nous soient parvenus, avec la mention qu’ils ont été prononcés à Rome, laisse donc entendre qu’il s’agissait d’un conférencier distingué parmi ses pairs, bien qu’il ne soit pas cité dans les Vies des Sophistes de Philostrate.

Au moment où l’actualité pouvait lui en fournir le sujet, comme les guerres parthiques, menées par Marc Aurèle et Lucius Verus en 161-166 ou l’arrivée au pouvoir en 193 de la dynastie des Sévères, d’origine syrienne, celle de Maxime ne semble influencer ni le contenu ni le ton des Dialexeis. Certes, la situation de soumission des provinces comme des esprits à Rome suffirait à expliquer, en grande partie, l’absence de références à l’actualité, ou de thèses philosophiques trop hardies – Maxime exprime, par exemple, avec une véhémence mesurée, sa préférence pour Sparte contre la démocratie athénienne. Mais il ne fait pas non plus mention d’éléments culturels ou religieux en provenance d’Orient, ni même d’un sentime nt d’appartenance à une ville ou une ethnie particulière, même par allusion à la mythologie. Ce

13 Notons que Tyr, la ville d’origine de Maxime, est comprise dans la province romaine de Syrie durant toute la durée de sa vie.

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n’est visiblement pas par allégeance à l’Empire romain, car on ne relève aucune allusion à Rome dans une série de discours prononcés dans la capitale de l’Empire, quand ses contemporains pouvaient lui consacrer des discours entiers, tel Aelius Aristide dans son

Éloge de Rome. En réalité, tout son univers culturel s’épanouit dans une seule direction : la

Grèce archaïque et classique. Il semble donc plutôt un représentant de cette assimilat io n culturelle réussie des élites urbaines de l’Empire fondée sur la paideia, car bien que d’origine non grecque, il pousse l’hellénisme au point de ne faire mention d’aucun nom propre, d’aucun événement postérieur à Alexandre le Grand14. Son attitude dans tous les domaines

est à l’exact opposé de celle de son compatriote et contemporain, Tatien, dans son Discours

aux Grecs, qui rejette tout élément culturel, philosophique, religieux ou même linguist iq ue

grec. Mais Maxime la partage avec la grande majorité de ses contemporains, pour qui le passé idéalisé de la Grèce – et plus rarement de Rome – sert de référence commune, de banque d’exemples, d’illustration et de topoi, de même que la mimesis des auteurs anciens, imitatio n et rivalité, est omniprésente15. On pourrait interpréter l’idéalisation de la Grèce archaïque et

classique comme un désengagement de la vie politique, en raison de la datation des Dialexeis sous le règne du « mauvais empereur » Commode16. Cependant, le contexte scolaire et

parascolaire suffit à expliquer de nombreux traits de ces textes, y compris cet univers culturel restreint17. En effet, Maxime a, de façon générale, le souci d’être accessible à un large public

cultivé, en dehors de toute querelle d’école philosophique ou religieuse : aussi ne fait-il pas usage de termes techniques18. Nombre de procédés, de formules, d’anecdotes et de citations,

14 Cf. pour une analyse exhaustive des noms propres, auteurs et événements cités dans les Dialexeis, M. B. Trapp, introduction aux Philosophical Orations, p. xxxvii-xxxviii.

15 Cf. E. L. Bowie, « Greeks and Their Past in the Second Sophistic », Past & Present, 46, 1970, p. 3-41 ; J. Bompaire, Lucien écrivain : imitation et création, Paris, E. de Boccard, 1958.

16 Voir à cet égard l’attitude d’A. Gangloff, « Les héros et les penseurs grecs des deux premiers siècles après J.-C. : mythologie et éducation », Pallas, 78, 2008, p. 153-155.

17 Quelques mots suffiront à résumer le système d’éducation qui perdura sans grandes variations dans l’Empire de la période hellénistique jusqu’au Moyen-Âge. Le jeune homme passe successivement entre les mains du grammatikês, du grammatikos, puis, muni d’un bagage linguistique et littéraire fondés principalement sur la poésie, il parvient chez le rhéteur. Il apprend à composer des discours à partir d’exercices scolaires, les progymnasmata. Cf. sur l’éducation en général H. I. Marrou, Histoire

de l’éducation dans l’antiquité, Paris, Éditions du Seuil, 1948 et D. L. Clark, Rhetoric in Greco-Roman Education, New York, Columbia University Press, 1997 ; sur l’enseignement des

sophistes à l’époque impériale, L. Pernot, dans le monde gréco-romain, Paris, Institut d’études augustiniennes, 1993, La Rhétorique de l’éloge, p. 57 -66.

18 Il s’excuse par exemple en 21, 4 d’avoir employé ὄρεξις comme synonyme d’ἐπιθυμία et insiste sur l’absence de distinction entre les deux termes.

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que l’on retrouve dans les Dialexeis, sont clairement inspirés des progymnasmata : c’est en ce sens qu’on peut évaluer un certain souci de la variation du style, une volonté d’imitatio n et d’émulation avec les Anciens, un atticisme presque pur. Maxime est cependant plus qu’un

pepaideumenos s’adressant à partir d’un fonds commun à d’autres pepaideumenoi, il se sert

de ses compétences pour asseoir son statut d’autorité en tant qu’orateur philosophique – c’est la thèse, longuement développée, de J. Lauwers19.

S’interroger longuement pour savoir si l’on doit qualifier Maxime de philosophe ou de sophiste semble donc hors de propos20. La critique a longtemps cherché à tracer entre

philosophie et rhétorique une ligne qui n’existait sans doute pas dans l’esprit des auteurs antiques eux-mêmes21, et il nous semble pertinent de reprendre l’expression employée lors

d’un récent colloque consacré à Maxime : « entre rhétorique et philosophie »22. Plus

significatif est de rappeler le contexte de la Seconde Sophistique, où les orateurs tiennent une importance capitale dans la vie sociale et politique de l’Empire, et tirent un prestige, parfois immense, de leurs productions littéraires et philosophiques23. Philostrate, qui, dans ses Vies

19 J. Lauwers, Philosophy, Rhetoric, and Sophistry.

20 Cf. à ce sujet l’analyse synthétique et éclairante de D. Karadimas, Sextus Empiricus against Ælius

Aristides p. 1-7. Concernant Maxime en particulier, J. Lauwers n’hésite pas à poser directement la

question : « Is Maximus of Tyre (…) to be regarded as a philosopher, a rhetor, or a sophist ? » (Philosophy, Rhetoric, and Sophistry, p. 1). L’ouvrage démontre clairement l’ambiguité du personnage, qui, à l’instar de nombre de ses contemporains, participe à la fois de chacun de ces statuts, tout en revendiquant un ou plusieurs pour construire son ethos littéraire et social.

21 Cf. B. P. Reardon, qui reproche ainsi Maxime de « [servir] d’exemple à cette rhétorique qui se voulait philosophie », (Courants littéraires grecs des IIe et IIIe siècles après J.-C., Paris, Les Belles

Lettres, 1971, p 205). Cependant, pour les Anciens, la philosophie est un idéal pour tous les états de vie, comme en témoigne Galien : οὕτω δὲ καὶ τὰς ἄλλας ἀρετὰς ἀναγκαῖον ἔχειν αὐτόν· σύμπασαι γὰρ ἀλλήλαις ἕπονται καὶ οὐχ οἷόν τε μίαν ἡντινοῦν λαβόντι μὴ οὐχὶ καὶ τὰς ἄλλας ἁπάσας εὐθὺς ἀκολουθούσας ἔχειν ὥσπερ ἐκ μιᾶς μηρίνθου δεδεμένας. Καὶ μὴν εἴ γε πρὸς τὴν ἐξ ἀρχῆς μάθησιν καὶ πρὸς τὴν ἐφεξῆς ἄσκησιν ἀναγκαία τοῖς ἰατροῖς ἐστιν ἡ φιλοσοφία, δῆλον ὡς, ὅστις ἂν 〈ἄριστος〉 ἰατρὸς ᾖ, πάντως οὗτός ἐστι καὶ φιλόσοφος. (Que le bon médecin est aussi philosophe, 2, trad. V. Boudon-Millot, modifiée : « Ainsi le philosophe possède nécessairement les autres vertus, car toutes se tiennent, et il n’est pas possible d’en posséder une quelconque sans que les autres suivent, comme si elles étaient enchaînées par un lien commun. S’il est vrai que la philosophie soit nécessaire au médecin et quand il commence l’étude de son art, et quand il se livre à la pratique, n’est-il pas évident que le vrai médecin est philosophe ? »).

22 Maxime de Tyr, entre rhétorique et philosophie au IIe siècle de notre ère (F. Fauquier. et

B. Pérez-Jean, éd.), Montpellier, Presses universitaires de la Méditerranée, 2015.

23 Sur la question du statut social et des pratiques des membres de la Seconde Sophistique, cf. B. Puech, Orateurs et sophistes grecs dans les inscriptions d’époque impériale, Paris, Vrin, 2002 ; G. W. Bowersock, The Greek Sophists ; R. C. Fowler, The Platonic Rhetor in the Second Sophistic, (Ph. D.), Rutgers, The State University of New Jersey-New Brunswick, 2008 et L. Pernot, « L’art du

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des Sophistes, dresse le canon des auteurs de l’ancienne et de la nouvelle sophistique, ne

parle pas de Maxime. J. M. Dillon n’hésite cependant pas à en faire « a distinguished member of the Second Sophistic »24, et on peut supposer avec D. Karadimas que Philostrate l’aurait

inclus dans la catégorie des « sophistes philosophes » ou philosophes éloquents, auprès de Dion de Pruse et de Favorinus d’Arles25. G. Anderson va en ce sens : « the easy interractio n

between rhetoric and philosophy is perhaps most easily noted [parmi les auteurs de l’époque impériale] in the Dialexeis of Maximus of Tyre »26. On peut d’ailleurs souligner que

Philostrate n’est pas contemporain des phénomènes littéraires qu’il décrit et qu’il avait pour but de réhabiliter ce terme de sophistique ; il ne semble pas que les membres de ce mouvement aient revendiqué ce titre ou l’aient même accepté, en raison de l’hérita ge platonicien notamment. Mais rhétorique et philosophie sont au IIe siècle étroitement liées,

comme en témoignent les contemporains de Maxime : Dion de Pruse, Épictète, Lucien de Samosate, Fronton, Aelius Aristide, Marc Aurèle, Galien, et de nombreux autres, développent chacun leur style et leurs idées propres, sans qu’on puisse objectivement tracer une ligne de démarcation entre « vils » sophistes et « nobles » philosophes27.

La plupart des commentateurs parlent de Maxime comme d’un médio-platoniste, là encore, quelques mots de contexte peuvent être utiles. Au IIe siècle, le stoïcisme de l’ancienne

République est encore la doctrine majoritaire, qui fleurit avec l’empereur philosophe Marc Aurèle ; mais il est concurrencé par le scepticisme et le cynisme, tandis que le néo-pythagorisme, l’aristotélisme et le platonisme jouissent d’un regain d’intérêt dans un siècle marqué par un retour du religieux. L’épicurisme est toujours objet d’attaques virulentes de la

sophiste à l’époque romaine », Ars et ratio. Sciences, art et métiers dans la philosophie hellénistique

romaine, (C. Lévi, B. Besnier et A. Gigandet. éd.), Bruxelles, Éditions Latomus, 2003.

24 J. M. Dillon, The Middle Platonists, 80 B.C. to A.D. 220, Ithaca, New York, Cornell University Press, 1996, p. 399.

25 D. Karadimas, Sextus Empiricus against Ælius Aristides, p. 250.

26 G. Anderson, The Second Sophistic : a Cultural Phenomenon in the Roman Empire, Londres,

Routledge, 1993, p. 136.

27 E. L. Bowie, « Greeks and Their Past in the Second Sophistic »; G. W. Bowersock, The Greek

Sophists ; J. Lauwers, Philosophy, Rhetoric, and Sophistry, p. 15 à 40. Le titre de philosophe peut

cependant à cette époque être plus spécifiquement lié à un mode de vie particulier, par exemple dans les écoles cyniques – dont les membres se distinguent par une tenue vestimentaire excentrique et un mode de vie itinérant – ou à titre personnel, à l’issue d’une « conversion », comme celle de Dion de Pruse. Ce n’est clairement pas le cas de notre auteur, pour qui la philosophie est avant tout la recherche d’une vertu et d’une sagesse accessibles par l’étude des exemples et textes du passé, comme nous tenterons de le démontrer dans le présent mémoire.

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part des autres écoles, tandis que le christianisme commence à devenir visible dans les sphères cultivées : Maxime suit la tradition concernant le premier, et ignore le second28.

J. M. Dillon, dans sa synthèse sur le médio-platonisme29, soutient de façon convaincante que

Maxime n’appartient à aucune école philosophique particulière, et M. B. Trapp argumente dans le même sens30, ce qui inclut notre auteur dans ce que la critique moderne a appelé

l’« éclectisme philosophique »31, c’est-à-dire une attitude ouverte face aux différentes

doctrines et qui semble bien caractériser l’époque. Certes, l’auteur des Dialexeis n’ignore pas l’existence de ces écoles, mais il évite de se positionner sur le terrain des polémiques entre elles ; notons toutefois un rejet  somme toute peu original et peu approfondi  de l’épicurisme32. Plus encore, il condamne explicitement la division des philosophes entre eux 33, dans le cadre de sa conception d’une philosophie unique, transcendant époques, courants

et même modes d’expression. On constate que les questions abordées et les éléments de réponse donnés sont en effet empruntés à différents courants : Maxime peut discuter de problèmes typiquement platoniciens, comme le daimon de Socrate (Dialexeis 9 et 10), mais aussi faire l’éloge de Diogène, meilleur représentant de la vie philosophique que Socrate (Dialexis 36), et sa position sur certains sujets comme le problème du Mal (Dialexis 41) ou du libre-arbitre (Dialexis 13) est plutôt empreinte de stoïcisme34. G. L. Koniaris pousse ce

28 M. B. Trapp, introduction aux Philosophical Orations, p. xvii-li. Le traducteur consacre plusieurs pages au commentaire de cette absence de toute référence au christianisme. Il suggère que l’analyse du style et de la pensée de Maxime donne un point de comparaison intéressant au corpus des apologistes.

29 J. M. Dillon, The Middle Platonists, p. 400 : « Maximus’ metaphysics are simple enough (…) and it does not serve to connect him with any particular school or movement. Nor does his ethics place him firmly within either the Stoïc or Peripatic wing of Platonism ». Mais il s’agit d’une remarque portant uniquement sur l’aspect métaphyique des Dialexeis.

30 M. B. Trapp, introduction aux Philosophical Orations, p. xxii-xxv.

31 Sirinelli, Les enfants d’Alexandre, p. 394 ; G. Soury, Aperçus de philosophie religieuse chez

Maxime de Tyr, platonicien éclectique : la prière, la divination le problème du mal, thèse

complémentaire, Paris, Université de Paris, 1942.

32 Épicure est chez Maxime la figure promotrice du plaisir, opposée de façon schématique aux philosophes de la vertu : cf. notamment Maxime, Dialexeis, 4, 9 ; 15, 8 ; 32, 2.

33 Maxime, Dialexeis, 26, 2. Ce passage servira de point de départ à notre étude.

34 On peut éviter de se perdre en conjectures en gardant à l’esprit que chaque Dialexis fonctionne en système clos, au lieu de chercher dans l’œuvre entière une cohérence qui permettrait de rattacher Maxime à une école – par exemple, il fait l’éloge de Diogène dans la Dialexis 36, le présentant comme le modèle philosophique par excellence, alors que le cynisme n’est presque pas présent dans le reste de l’œuvre. Voir sur ce point J. Lauwers, Philosophy, Rhetoric, and Sophistry, p. 242 sq. Nous aurons cependant fréquemment recours aux Dialexeis 1 et 25, en raison de leur caractère programmatique, tout en gardant cette réserve à l’esprit.

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raisonnement jusqu’à lui supposer une succession de personae philosophiques, à partir d’une image tirée de la première Dialexis35, thèse que M. B. Trapp juge excessive. En effet, force

est de constater qu’il cite Platon plus qu’aucun autre auteur hormis Homère et que beaucoup de ses positions montrent qu’il s’inscrit dans la large mouvance du médio-platonisme. C’est pourquoi l’expression « Platonic rhetor »36, employée par R. C. Fowler dans sa thèse au sujet

de Maxime, Aelius Aristide, Apulée et Lucien ouvre plus de perspectives que celle de J. M. Dillon, « miscellaneous Platonist »37, qui semble ne rendre que partiellement justice à

son projet.

2. Justification du corpus et visée de la recherche

Les thèmes abordés par Maxime sont donc variés et peuvent être mis en relation entre eux ou avec d’autres auteurs, ce qui ouvre au chercheur de nombreux axes de recherche. Parmi les quarante-et-unes Dialexeis, notre attention s’est plus particulièrement portée sur les quelques textes qui font le portrait d’un personnage ou d’une figure littéraire ou philosophique. La référence à de telles figures est fréquente chez Maxime, à titre d’illustration ou d’argument, mais elle est plus développée dans certaines Dialexeis qui abordent un aspect de la vie ou la pensée d’une figure en particulier : éloge de Diogène, conception de l’amour socratique, opinions de Platon sur la divinité, etc. Le but premier de ce mémoire était de proposer une traduction commentée d’une partie des Dialexeis. Afin de

35 G. L. Koniaris, « On Maximus of Tyre. Zetemata I et II » : ἆρ’ ἄν τις ἡγήσαιτο τοῦτον πλημμελῆ καὶ πολύφωνον, καὶ οἷον τὸν Πρωτέα διηγεῖται Ὅμηρος ἥρω θαλάττιον, πολύμορφόν τινα καὶ παντοδαπὸν τὴν φύσιν; » (Maxime, Dialexeis, 1, 1 : « nous reprochera-t-on d’être dissonant et de parler avec plusieurs voix, tel ce héros marin, ce Protée dont parle Homère, à la nature polymorphe et diverse ? »)

36 R. C. Fowler, The Platonic Rhetor, p. 150 : « Maximus is often dismissed as more of a sophist than either a philosopher or a Platonist. My hope in this chapter is to suggest that a more fruitful way to think of him is as a proponent of a new type of popular Platonism – a philosopher who has taken on the method of the extremely public and successful Sophists of the time. Philostratus discusses a category of the authors who ‘seem the sophist but are actually philosophers’ (VS 479). Maximus’ work is perhaps not impressive or famous enough to warrant a mention. This division between philosopher and sophist, however, shows the limitation of viewing sophistry as merely a type of rhetoric in the second century ».

37 J. M. Dillon, The Midlle Platonists, p. 399. Le titre du chapitre qui traite de Maxime, à la fin du livre, est révélateur : « Some loose ends ». Cependant, l’auteur reconnaît que Maxime lui-même se considère comme « a Platonic philosopher, which means that he takes up a Platonic position on the questions with which he deals, and like Apuleius, professes a great reverence for the personality of Socrates, as well as for Plato and Pythagoras. »

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présenter une analyse homogène et cohérente dans les limites imposées de ce type d’étude, nous avons donc choisi de nous concentrer sur une vingtaine de pages de texte grec dans l’édition Teubner, soit quatre Dialexeis. Le corpus finalement retenu se compose des

Dialexeis 3, 17, 26 et 3638. Le thème qui unit ces quatre textes est donc celui des grandes

figures littéraires et philosophiques qui y sont discutées39. La Dialexis 3 justifie l’attitude de

Socrate durant son procès, la Dialexis 17 tente d’expliquer les raisons pour lesquelles Platon chasse Homère de sa République – sans pour autant condamner ce dernier –, la Dialexis 26 est une lecture allégorique de l’œuvre d’Homère, qui lui confère un statut de philosophe40, et

finalement la Dialexis 36 est un éloge de Diogène, en tant que représentant de l’âge d’or au milieu de l’âge de fer. Une unité à la fois thématique et formelle est présente dans ce corpus : il s’agit à chaque fois de l’éloge d’une figure majeure, posée comme philosophique et en tant qu’elle est philosophique. Notre commentaire, comme nous l’exposerons plus en détail dans la problématique, vise à cerner les enjeux qui sous-tendent cet usage de la rhétorique épidictique.

3. État de la question

À première vue, Maxime de Tyr donne l’impression d’un auteur délaissé, voire oublié par la critique scientifique. Un aperçu rapide des éditions, traductions et études consacrées aux Dialexeis et à leur auteur depuis la fin du XIXe siècle permettra de nuancer cette thèse.

38 La Dialexis 4 (« Qui tient le meilleur discours sur les dieux, les poètes ou les philosophes ? ») confronte Homère et Platon dans une perspective complémentaire des Dialexeis 17 et 26. Déjà traduite en raison de son aspect religieux par F. Fauquier et B. Pérez-Jean, nous lui accorderons une place privilégiée dans le cadre de ce commentaire. Cependant, elle ne s’attache pas à une figure philosophique en particulier, contrairement aux textes retenus dans notre corpus.

39 La thèse de J. Puigalli présente ces textes dans un chapitre commun, intitulé « Pour les Quatre ». 40 Qu’Homère soit rangé parmi les philosophes, surtout lorsque les textes litigieux de la République de Platon sont abordés, cela peut surprendre. Nous discuterons ce point plus en détail dans le commentaire, mais notons déjà que pour Maxime, la poésie homérique est plus proche de la philosophie que la rhétorique. Il fait d’Homère le premier des philosophes, suivant en cela une longue tradition d’exégèse allégorique, que met en lumière l’ouvrage quasi exhaustif de F. Buffière, Les

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Éditions et traductions

La première édition scientifique moderne des Dialexeis est celle de H. Hobein41, publiée

en 1910, après un travail philologique synthétisé un peu plus tôt, dans sa thèse42. Cependant,

il faut attendre les années 1960, pour que paraisse une série d’articles philologiques de fond sur les Dialexeis. Leur auteur est G. L. Koniaris, qui poursuit ces travaux jusqu’à la publication d’une édition critique complète, en 1995, aux éditions De Gruyter43. Dans

l’intervalle, M. B. Trapp s’intéresse à son tour aux problèmes philologiques des Dialexeis et publie une série d’articles, initiés en 1986 par un article de fond44, travail qui aboutit à la

publication en 1994 d’une édition du texte grec dans la collection Teubner45 et en 1997 d’une

traduction en anglais aux Presses universitaires d’Oxford46. Des traductions partielles en

italien paraissent alors, dans les années 200047, ainsi qu’une traduction complète en

allemand48 et en espagnol49. La traduction française complète la plus récente remonte à

180250, et la seule traduction partielle, depuis lors, est un choix de textes sur les aspects

religieux des Dialexeis, publiée en 201451.

41 Maxime, Maximi Tyrii Philosophumena, texte édité et commenté par H. Hobein, Leipzig, B. G. Teubner, 1910.

42 H. Hobein, De Maximo Tyrio quaestiones philologae selectae.

43Plusieurs études de G. L. Koniaris ont été publiées entre 1962 et 1972, jusqu’aux articles les plus synthétiques (G. L. Koniaris, « On Maximus of Tyre. Zetemata I » Classical Antiquity, 1982, p. 87-121 ; « On Maximus of Tyre. Zetemata II », Classical Antiquity, 1983, p. 212-250) et finalement l’édition du texte, Maxime, Philosophumena, texte édité et commenté par G. L. Koniaris, De Gruyter, 1995.

44 M. B. Trapp, Studies in Maximus of Tyre : A Second Century Philosopher and his Nachleben, AD

200-1850, Oxford, Oxford University Press, 1986.

45 Maxime, Dissertationes, texte édité et commenté par M. B. Trapp, Stuttgart, B. G. Teubner, 1994. 46 Maxime, The Philosophical Orations, texte traduit par M. B. Trapp, New York, Oxford University Press, 1997.

47 Maxime, L’arte erotica di Socrate, orazione XVIII, texte traduit par A. Filippo Scognamillo, Galatina, Congedo, 1997 ; Maxime, Due orazioni di Massimo di Tiro (Diss. 4 & 10 Trapp), texte traduit par M. Grimaldi, Naples, Bibliopolis, 2002.]

48 Maxime, Philosophische Vorträge, texte traduit et commenté par O. et E. Schönberger Würzburg,

Königshausen & Neumann, 2001.

49 Maxime, Disertaciones filosóficas, texte traduit et commenté par J. Campos Daroca, Madrid, Gredos, 2005.

50 Maxime, Dissertations, texte traduit et commenté par J.-J. Combes Dounous, Bossange, Masson et Besson, 1802.

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Études sur les Dialexeis

Des travaux ont pu s’appuyer sur ces éditions, et le constat général va vers un accroissement progressif de leur volume total au fil du XXe siècle. Depuis l’édition de

H. Hobein jusqu’à la fin des années 1930, Maxime est étudié dans quelques rares articles qui se penchent sur une dimension de son œuvre à la fois, généralement conjointement avec les textes d’un ou plusieurs autre(s) auteur(s). On peut citer ainsi deux articles de E. Bignone, sur la polémique anti-épicurienne52, et un article de W. A. Oldfather53, qui discute de

l’historicité de l’Apologie de Platon, en partant du témoignage de la Dialexis 3. Les années 1940 s’intéressent plus à la dimension religieuse des Dialexeis, avec, notamment, la thèse de G. Soury54. Le qualificatif que ce dernier donne à Maxime (« platonicien éclectique »),

éclaire bien l’image de notre auteur, telle que reflétée par la critique scientifique de cette époque. Durant les années 1960-1970, divers articles sur Maxime sont publiés, mais toujours sur des points de détail et au sein d’une problématique et/ou d’un corpus plus vaste, si l’on excepte la thèse de J. Puiggali55, publiée en 1983, qui présente l’intérêt notable de prendre en

considération tout le corpus. On peut également citer les travaux de Szarmach56, en Pologne,

qui, dans les années 1960-1980, touchent à notre corpus en certains points. Mais ces années-là sont surtout marquées par un regain d’attention pour les auteurs de la période impéria le, dans la lignée de la volonté de réhabilitation et de remise en contexte affichées par B. P. Reardon. Dans son ouvrage publié en 1971, cet auteur veut, expose-t-il en préface, voir « dans cette période quelque chose de positif, quelque chose qui ne soit pas seulement un écho affaibli des Ve et IVe siècles » 57. La Seconde Sophistique a ainsi bénéficié d’une

52 E. Bignone, « A proposito della polemica di Eraclide Pontico e di Massimo Tirio contro Epicuro »

Convivium, 1936, p. 445-450; Bignone, « Ancora di Epicuro e di Massimo Tirio » Convivium, 1937,

p. 345-347.

53W. A. Oldfather, « Socrates in Court » The Classical World, 31, 1938, p. 203-211. 54 G. Soury, Aperçus de philosophie religieuse.

55 J. Puiggali., Étude sur les Dialexeis de Maxime de Tyr, conférencier platonicien du IIe siècle, thèse,

Lille, Atelier national de reproduction des thèses, Univ. Lille 3, 1978.

56 Notamment, « Wie Maximus von Tyrus den Kynismus und den Epikureismus interpretiert »,

Wissenschaftliche Zeitschrift der Wilhelm-Pieck-Universität Rostock, 34, 1, 1985, p. 59-60 ; « Drei

Diatriben des Maximos von Tyros mit Sokrates », Eo, 72, 1984, p. 75-84

57 B. P. Reardon, Courants littéraires grecs, p. 5. C’est d’ailleurs ce préjugé qui a desservi l’ensemble de la littérature de l’époque impériale, où l’on jugeait des systèmes philosophiques ou littéraires selon leur cohérence et/ou leur originalité, sans s’intéresser de plus près aux dynamiques à l’œuvre dans ces œuvres, et souvent dans une perspective de comparaison des auteurs entre eux – d’où des réflexions parfois abruptes.

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complète réévaluation et ses membres ont commencé à être considérés en dehors de l’opposition, somme toute assez artificielle entre « philosophes » et « sophistes », dressée à la suite de Philostrate. La position sociale des sophistes, ainsi que leur rapport étroit avec les milieux d’enseignement et aux élites de tout l’Empire sont particulièrement étudiés, ce qui permet de mieux situer leur prise de parole et, partant, les stratégies formelles qu’ils mettent en place dans leurs œuvres.

Au sein des ouvrages généraux ou des encyclopédies, la part réservée à Maxime de Tyr est toutefois minime58, et généralement redondante, chaque auteur reprenant, avec plus ou

moins de prudence, les quelques éléments connus sur l’auteur et ses œuvres, suivis d’un résumé des Dialexeis, parfois empreint de jugements de valeur. Aucune mention n’est ainsi faite de Maxime, même à titre illustratif, dans l’ouvrage plutôt exhaustif de G. W. Bowersock sur la sophistique impériale59. L’éclairage nouveau, porté sur des auteurs ayant recours aux

mêmes procédés et traitant des mêmes thématiques que Maxime, ne pouvait qu’attirer l’attention sur lui ou, du moins, offrir des outils à qui entreprendrait de l’étudier de plus près. C’est bien le sens de la conclusion de la brève notice qui lui est consacrée par J. M. Dillon, dans son ouvrage de synthèse sur le médio-platonisme paru en 1977 : « However, there is no question that he would repay rather closer study than I am prepared to give him in the present context. »60. Dans cette mouvance, les éditions et traductions de G.

L. Koniaris et M. B. Trapp attirent l’attention de la critique, comme en témoigne l’augmentation du volume des articles faisant référence à Maxime au tournant du XXIe siècle.

Dans les années 2000, en effet, sont publiés des articles reprenant un thème ou l’autre des

Dialexeis, ou comparant Maxime à divers auteurs. On peut notamment citer de J. Campos

Daroca, à qui l’on doit également un article éclairant – quoique discutable sur certains points – au sujet de la « voix du philosophe »61, c’est-à-dire l’harmonisation de celles d’Homère et

58 À titre indicatif, trois pages chez J. Sirinelli, Les enfants d’Alexandre ; cinq chez B. P. Reardon,

Courants littéraires grecs ; à peine deux chez J. M. Dillon, The Middle Platonists.

59 G. W. Bowersock, Greek Sophists. En offrant un large panorama de la vie intellectuelle au IIe

siècle, notamment sur les rapports entre Rome et la Grèce, et ceux des sophistes, non seulement avec les autres intellectuels, dont les philosophes, mais aussi avec les sphères politiques et religieuses, cet ouvrage permet d’insérer les Dialexeis dans un plus vaste mouvement.

60 J. M. Dillon, The Middle Platonists, p 400.

61 J. Campos Daroca et J. L. López Cruces, « Maxime de Tyr et la voix du philosophe » Philosophie

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de Platon, tout au long des conférences – ce qui culmine avec les Dialexeis 17 et 26 de notre corpus, où le problème est posé par l’auteur lui-même. Le travail de J. Lauwers apparaît enfin comme pertinent et éclairant, notamment sa lecture de la première Dialexis, comme une conférence programmatique62, ainsi qu’une discussion de son statut par une mise en contexte

avec douze autres auteurs de la même époque, dans un ouvrage plus général paru très récemment63. Celui-ci montre d’ailleurs bien le changement de perspective critique : on

cherche à comprendre les réalités derrière les termes de « philosophe » ou de « sophiste », plutôt que de leur garder leur valeur d’éloge ou de blâme64.

On constate donc que les Dialexeis n’ont pas suscité une littérature abondante, du moins jusqu’aux travaux de G. L. Koniaris et de M. B. Trapp, dont on peut souligner le rôle de catalyseur. Il apparaît également que la plupart des publicatio ns se consacrent à un ou quelques thèmes, c’est-à-dire à une ou plusieurs conférences seulement, ou bien à un thème trouvé dans toute l’œuvre, mais le plus souvent dans une étude conjointe à d’autres auteurs. Enfin, certains passages présents dans notre corpus ont attiré en particulier l’attention de la critique, dans le cadre de travaux portant sur l’une ou l’autre des figures classiques qui y sont considérées – notamment la Dialexis 3 comme témoignage indirect sur le procès de Socrate, preuve de la pertinence d’une étude plus précise de ces textes65.

4. Problématique, hypothèses et axes de recherche

Le but général de notre mémoire est d’explorer la diversité et l’unité des figures de philosophes présentes chez Maxime de Tyr, afin d’éclairer sous cet angle les rapports complexes entre rhétorique, poésie et philosophie dans la pensée de l’auteur. Nous sommes

62 J. Lauwers, « Self-Advertising Meta-Poetics in Maximus of Tyre’s 25th Oration », Wiener

Studien, 125, 2012, p. 75-84.

63 J. Lauwers, Philosophy, Rhetoric, and Sophistry.

64 C’est encore dans cette perspective que se place J. M. Dillon dans The Middle Platonists : « Maximus of Tyre, like Apuleius, was a sophist rather than a philosopher » ; « Maximus considerers

himself as a philosopher, which for him means using all the ressources of contemporary rhetoric to

adorn traditional philosophic themes » (nous soulignons). On peut aussi penser à la catégorie de

Halbphilosoph, encore employée en 1993 par J. Sirinelli dans Les enfants d’Alexandre (voir p. 394).

Le terme de philosophe sert alors, explicitement ou non, à porter un jugement d’appréciation et de classification des auteurs entre eux.

65 Maxime est notamment souvent cité pour le récit du procès de Socrate dans la Dialexis 3. Ses vues sur Homère et Platon tiennent également une place non négligeable dans la littérature critique, par exemple dans dans F. Buffière, Les mythes d’Homère.

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partie d’un constat simple : l’unité thématique – ces textes parlent de philosophes, en dressent le portrait, discutent leurs actions et leurs œuvres – est étroitement liée à une unité formelle, les procédés de la rhétorique épidictique66. Ce n’est pas tant l’éloge de grands personnages

philosophiques chez un orateur qui pose problème, car cela est somme toute banal, mais plutôt les justifications de cet éloge, et l’articulation avec les données historiographiques à sa disposition sur les faits et dires de ces philosophes. Quelles caractéristiques, quelles qualités sont-elles louées ? Maxime établit-il une hiérarchie entre ces grands hommes, et si oui, sur quels critères ? Ou bien cherche-t-il à présenter à travers différents modèles antiques un modèle idéal et unique du sage ? Quelle(s) figure(s) du philosophe se dégagent-elle(s) donc de ces portraits de Homère, Socrate et Diogène ? Il s’agira d’interroger les éléments divers qui fondent un ethos du philosophe, non pas uniquement les ressemblances et les divergences entre ces quatre portraits, mais aussi le rôle des figures employées comme comparants – modèles, archétypes et contre- modèles – ainsi que celles de l’orateur et de son public, complexes et omniprésentes, qui leur sont superposées. C’est en raison de cette diversité, de cette mosaïque de figures, que nous laissons ouverte, à ce stade de la réflexio n, la question de savoir si ces représentations philosophiques sont irréconciliables ou si, au contraire, elles se rejoignent à un certain degré, formant l’image unifiée du philosophe idéal.

Intérêt du sujet

Le premier intérêt de ce travail, et le plus évident, est la nécessité d’une traduction en français contemporain, fondée sur une édition scientifique du texte grec. Nous l’avons dit, il faut remonter à 1802 pour trouver la dernière traduction des Dialexeis en français67. Celle-ci

est bien antérieure à l’édition scientifique de H. Hobein, tandis que l’immense travail de révision effectué par G. L. Korianis et M. B. Trapp appellerait à lui seul une nouvelle traduction française. Par ailleurs, le style de cette traduction, bien qu’agréable à la lecture, a vieilli, et prend des libertés avec le texte en de nombreux endroits. Les notes témoigne nt, certes, d’une recherche philologique sérieuse et rigoureuse, mais les remarques documentaires sont historiquement datées et parfois peu pertinentes. Il semble nécessaire de

66 Toutefois, l’usage de la rhétorique épidictique n’est pas évident pour Maxime, qui lui consacre plusieurs passages théoriques dans lesquels il se montre réservé face à elle, comme nous y reviendrons dans la première partie du commentaire (p. 73-82).

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travailler sur une traduction annotée et commentée, qui prend en compte les avancées de la recherche, à l’exemple de la traduction proposée récemment par B. Pérez-Jean et F. Fauquier tout en la rendant accessible aux non-hellénistes68.

Pour le commentaire, nous avons choisi de nous concentrer sur l’analyse interne du corpus, à l’échelle de chaque texte, qui constitue un ensemble clos, tout en tissant des liens entre les quatre textes du corpus, et avec l’ensemble des Dialexeis. Si cette étude s’inscrit dans un mouvement général de regain d’intérêt pour les auteurs de la période impériale, et plus particulièrement de la Seconde Sophistique, c’est seulement dans la mesure où la comparaison avec les contemporains permet de mieux saisir les stratégies internes à chaque texte que nous en avons fait part, sans prétendre d’ailleurs avoir toujours choisi les parallèles les plus évidents, ni les plus pertinents69. L’intérêt du témoignage de Maxime peut enfin

résider dans son caractère de moindre importance en comparaison avec les grands penseurs et orateurs de son siècle70. On peut penser qu’il se fait l’écho d’une certaine culture générale

philosophique des milieux lettrés de l’Empire au IIe siècle ap. J.-C., C’est pourquoi une

analyse détaillée des procédés et stratégies mises en œuvre par l’orateur pour construire l’ethos philosophique d’un personnage connu par la tradition permettra de jeter un éclairage

68 Maxime, Choix de conférences, texte traduit et commenté par B. Pérez-Jean et F. Fauquier. Cet ouvrage présente la traduction commentée de neuf Dialexeis (1 ; 2 ; 4 ; 5 ; 8 ; 9 ; 11 ; 38 et 41) que rassemble le thème des liens entre philosophie et spiritualité. La plus grande accessibilité à un texte est d’ailleurs l’enjeu principal d’une traduction. Dans ce cas précis, les Dialexeis sont à même d’apporter un éclairage nouveau dans différents domaines, comme l’histoire de la philosophie ou de l’enseignement, outre l’apport en philologie et en sciences de l’antiquité.

69 Etudier quelques pages d’un auteur en particulier pour mieux comprendre ses choix stylistiques et thématiques, ainsi que les enjeux sociaux, philosophiques, éducatifs qui se jouent dans son oeuvre, est une démarche qui trouve bien sûr un intérêt plus vaste lorsque plusieurs auteurs peuvent être comparés systématiquement. Cependant, il s’est avéré, au fil de la rédaction de ce mémoire, qu’une telle analyse avait déjà été entreprise par le dernier ouvrage de J. Lauwers (Philosophy, Rhetoric, and

Sophistry, paru en 2015), à l’échelle des Dialexeis entière ; nous avons alors décidé de nous

concentrer en priorité sur notre corpus, laissant à une étude ultérieure le soin de le comparer systématiquement à partir de micro-analyses avec les textes similaires des contemporains de Maxime. 70 Cf. la conclusion de J. Lauwers, Philosophy, Rhetoric, and Sophistry, p. 291 : « Cases such as Maximus’ which hint at a functional use of philosophical knowledge and a parvenu social appropriation of philosophical capital, suggest that such intellectuals adversaries as figure in the works of Plutarch, Lucian, and many others, are no fictive “others” merely designed for these authors’ philosophical self-display […]. Conversely [si Favorinus s’est vu refuser certains privileges de la part de Marc Aurèle sous prétexte de ne pas être un véritable philosophe], could this partly have to do with the fact that this era was scattered with “Maximi” who were not deterred by the limits of their philosophical knowledge to make an equally eloquent claim to philosophical distinction ? »

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sur l’image que ses contemporains se forgeaient de la philosophie et du philosophe – et non uniquement ceux qui pouvaient légitimement prétendre à ce titre eux-mêmes, du moins à nos yeux de modernes.

Approche théorique et méthodologique

L’approche retenue pour ce travail est une démarche philologique classique. Nous avons tenté de proposer une traduction au plus près du texte original, afin d’en faire ressortir toutes les particularités, en cherchant à rendre le style de Maxime dans un français adéquat et agréable à lire. L’édition scientifique de base pour ce texte est l’édition Teubner de 1994, réalisée et présentée par M. B. Trapp71. Elle se fonde principalement sur le Parisinus Graecus

1962, codex dont M. B. Trapp prend le texte comme base de travail en raison de son ancienneté – il date du IXe siècle – tout en présentant une discussion exhaustive de l’histo ire

de la transmission des Dialexeis. Cependant, l’édition quasi contemporaine de G. L. Koniaris apporte un contrepoint intéressant72, car cet auteur n’adopte pas exactement le même point

de vue sur le texte, n’ayant pas fait les mêmes choix d’édition que M. B. Trapp. Leur comparaison s’est révélée utile dans les passages difficiles, bien que le corpus retenu ne présente pas de passage trop corrompu ou de lacune majeure.

Nous proposons ensuite un commentaire conjoint des quatre textes, suivant quelques pistes de recherche qui font l’unité du corpus. Nous avons essayé, dans la mesure du possible, de mettre en lumière les rapports de ces textes avec le reste de l’œuvre de Maxime et, dans une moindre mesure, avec celles de ses prédécesseurs – sources littéraires et philosophiq ues, influences diverses – et de ses contemporains – collègues, rivaux et plus généralement le contexte intellectuel et sociologique – tout en gardant à l’esprit que chaque texte constitue un ensemble fermé et qu’il serait illusoire de chercher à tout prix à faire des Dialexeis un système philosophique complet et absolument cohérent. Il s’agit vraiment en premier lieu d’appliquer à chaque texte une lecture analytique détaillée, s’attachant à l’analyse détaillée de passages précis, afin de fonder sur des arguments philologiques solides les réflexions plus larges sur le corpus.

71 Maxime, Dissertationes, texte édité et commenté par M. B Trapp.

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