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Un empereur dans sa ville : nouveaux points de vue sur la cathédrale Notre-Dame de Strasbourg

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(1)

Un empereur dans sa ville:

nouveaux points de vue sur la cathédrale Notre-Dame de Strasbourg

Mémoire de maîtrise en

histoire de l'art

par

Jean-Sébastien Sauvé

Département d'histoire de l'art et d'études en communication Université McGill, Montréal

Juin 2005

Mémoire présenté à l'Université Mc Gill en vue de l'obtention du grade de Maître ès Arts

en histoire de l'art

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(3)

Résumé

Ville d'Empire, Strasbourg édifia de nombreux monuments qui affirmèrent son statut particulier au sein du Saint Empire romain. Notre-Dame de Strasbourg ne fait pas exception: les historiens interprètent la construction de la cathédrale et de sa façade occidentale comme la matérialisation d'une « fierté civique ». De nombreux documents relatent toutefois les visites impériales et soulignent l'importance de la ville dans la vie politique de l'Empire. Ce mémoire vise à démontrer que la puissance impériale dans la

Reichsstadt -présence négligée par les historiens- est illustrée tant dans le programme iconographique qu'architectural de la cathédrale. En effet, le choix des scènes et des protagonistes bibliques, les figures historiques ainsi que les emprunts de détails architecturaux d'édifices explicitement royaux et impériaux en font un monument en hommage à l'empereur. Des portails à la flèche, Notre-Dame de Strasbourg se présente comme le témoignage de la fidélité des Strasbourgeois envers la couronne impériale, fidélité maintenue sous les Bourbons qui prirent la ville en 1682.

Abstract

As an imperial city, Strasbourg has edified manY monuments to promote its particular status in the Roly Roman Empire. Notre-Dame at Strasbourg is not an exception: historians read the construction of the cathedral and its façade as the materialisation of a "civic pride". Many documents, anyhow, testify to the emperors many visits and underline the city's political role in the Empire. This thesis demonstrates that the imperial presence in the Reichsstadt --events usually avoided by historians- is clearly illustrated in the iconographical and architectural programs of the cathedral. The selection of biblical scenes and protagonists, historical figures, and the borrowing of architectural details from royal and imperial buildings, make it a monument erected to the glory of the emperor. From its portal to its spire, Notre-Dame at Strasbourg is a testimony of the Strasbourgeois' loyalty to the imperial crown, loyalty transferred to the Bourbons who took the city in 1682.

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Table des matières

Remerciements IV

Liste des illustrations V

Introduction 1

Première partie - La cathédrale de Strasbourg: l'histoire liée à l'architecture 5

1-L'époque de la basilique de l'évêque Wernher 5

2-Le règne des Hohenstaufen 7

3-Les Habsbourg et la bataille de Hausbergen 9

4-La ville d'Empire et sa nouvelle constitution 13

5-L'époque de la construction du massif occidental et de la chapelle

Sainte-Catherine 16

6-La fin du chantier de la cathédrale 24

Deuxième partie - La cathédrale de Strasbourg: l'architecture liée à l'histoire 28

1-Le bras sud du transept et sa façade 28

2-La nouvelle nef 32

3-Maître Erwin et les niveaux inférieurs de la façade 44

-Le cas d'Erwin « de Steinbach» 48

4-Maître Gerlach: la chapelle Sainte-Catherine et les deux tours occidentales 55

5-Le beffroi et la tour octogonale de Michel Parler de Fribourg 58

6-La tour octogonale et la flèche 61

7-Discussion sur le massif occidental et la particularité du « narthex» 64

8-La cathédrale française 68

Conclusion 72

Illustrations 74

(5)

Remerciements

La rédaction de ce mémoire m'aurait été impossible sans l'aide ni le soutien de ma famille et de mes amis.

J'aimerais tout d'abord remercie mon superviseur, M. Hans-Joseph Baker, pour sa disponibilité, ses explications claires et son sens de l'humour. Ses positions virulentes face aux théories préétablies m'ont fortement inspiré, et m'inspireront tout au long de mes études.

J'aimerais souligner, par le fait même, la participation de mes collègues, Mmes Carol C. Evans et Joan Janko, avec qui j'ai longuement débattu du véritable bien-fondé des théories architecturales. De plus, j'aimerais remercier Mme Karine Tsoumis qui chemina avec moi ces dernières années à l'Université Mc Gill ainsi que Mme Bronwen Wilson, pour ses nombreux conseils.

J'aimerais remercier Mme Charlotte A. Stanford de m'avoir foumi une copie de sa thèse de doctorat ainsi que de nombreuses photographies de la cathédrale. Par le fait même, j'aimerais remercier Mme Cécile Dupeux, conservatrice du Musée de l'Œuvre Notre-Dame de Strasbourg, qui me donna accès à la fameuse collection de dessins ainsi qu'à de nombreuses sources documentaires.

J'aimerais remercier Mmes Myriam Webb, Marie-Christine Stafford et Julie Kurtness pour leurs connaissances grammaticales et leurs corrections pointilleuses.

Je désire remercier mes amis de longue date, Fabrice Pinard-Saint-Pierre, Chantal Charbonneau et Ilya Krouglikov dont le réalisme -et le relativisme- me permit de garder les deux pieds sur terre. De plus, j'aimerais remercier mes amis universitaires: Dominique H., Marie-Ève F., Mario L., Francis H., Félize F., Maude L.-M., Geneviève M., Bich-Han N., Gabrielle M., Vickie G., Sonia deI R., Éric D., Guylaine T., Michelle T., Julie L. et le Théâtre de la Grenouille. Finalement, j'aimerais remercier mes parents, Lise et Rémy Sauvé, pour leur soutien et, évidemment, ma sœur, Any-Claude.

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Liste des illustrations Figure 1. Figure 2. Figure 3. Figure 4. Figure 5. Figure 6. Figure 7. Figure 8. Figure 9. Figure 10. Figure Il.

Vue d'ensemble de la cathédrale Notre-Dame de Strasbourg. Roland Recht. Strassburg und sein Münster. Strasbourg, Éditions DNA, 1994, p.33.

Reconstitution du plan de la basilique de Wernher. Hans Reinhardt. « La cathédrale de Wernher », Bulletin de la Société des amis de la cathédrale de Strasbourg, volume 2, 1932, p.46.

Dessin de la reconstruction de la cathédrale romane de Strasbourg. Roland Recht. Strassburg und sein Münster. Strasbourg, Éditions DNA, 1994, p.22.

San Apollinare Nuovo, Ravenne. James Snyder. Medieval Art: painting,

sculpture, architecture, 4th_14th century. New York, Harry N. Abrams,

1989, p.l16.

Cathédrale Notre-Dame, Strasbourg. Chapelle Saint-Jean. Photographie de Jean-Sébastien Sauvé.

Cathédrale Notre-Dame, Strasbourg. Chapelle Saint-André. Michel Zehnacker. La cathédrale de Strasbourg: comme un manteau de pierre

sur les épaules de Notre-Dame. Paris, Robert Laffont, 1993, p.390.

Cathédrale Notre-Dame, Strasbourg. Façade occidentale. Relevé photogrammétrique de l'Institut Géographique National. Roland Recht.

Strassburg und sein Münster. Strasbourg, Éditions DNA, 1994, p.54.

Cathédrale Notre-Dame, Strasbourg. Chapelle Sainte-Catherine. Roland Recht. Strassburg und sein Münster. Strasbourg, Éditions DNA, 1994, p.46.

Cathédrale Notre-Dame, Strasbourg. Tour octogonale d'Ulrich von Ensingen. Lothar Schreyer. Das StrajJburger Münster. Kassel, Barenreiter Verlag, figure 28.

Cathédrale Notre-Dame, Strasbourg. Flèche pyramidale de Jean Huelz. Lothar Schreyer. Das StrajJburger Münster. Kassel, Barenreiter Verlag, figure 29.

Cathédrale Notre-Dame, Strasbourg. Portail roman de la façade sud. Benoît van der Bossche. Strasbourg: la cathédrale. Zodiaque, « Le ciel et la pierre », 1997, p.l91.

(7)

Figure 12. Figure 13. Figure 14. Figure 15. Figure 16. Figure 17. Figure 18. Figure 19. Figure 20. Figure 21.

Cathédrale Notre-Dame, Strasbourg. Gravure d'Isaac Brunn (1630) Michel Zehnacker. La cathédrale de Strasbourg.' comme un manteau de pierre sur les épaules de Notre-Dame. Paris, Robert Laffont, 1993, p.301.

Cathédrale Notre-Dame, Strasbourg. Vue intérieure du bras sud du transept. Roland Recht. Strassburg und sein Münster. Strasbourg, Éditions DNA, 1994, p.40.

Cathédrale Saint-Étienne, Sens. Vue intérieure de la nef donnant sur le chœur. Rolf Toman (dir.). L'art gothique.' architecture, sculpture, peinture. Photographie de Achim Bednorz. Cologne, K5nemann, 1998,

p.40.

Cathédrale Notre-Dame, Chartres. Portail central du bras sud du transept (vers 1210). Rolf Toman (dir.). L'art gothique: architecture, sculpture, peinture. Photographie de Achim Bednorz. Cologne, K5nemann, 1998, p.31O.

Cathédrale Saint-Pierre, Worms. Vue du chevet oriental. Dethard von Winterfield. Palatinat roman. Zodiaque, « La nuit des temps », 1993, planche 45.

Cathédrale Saint-Pierre, Worms. Vue intérieure de la nef. Dethard von Winterfield. Palatinat roman. Zodiaque, « La nuit des temps », 1993, planche 52.

Cathédrale Notre-Dame, Strasbourg. Vue intérieure de la tour néo-romane de la croisée du transept. Roland Recht. Strassburg und sein Münster. Strasbourg, Éditions DNA, 1994, p.36.

Cathédrale Saint-Pierre, Worms. Vue intérieure de la tour de la croisée du transept. Dethard von Winterfield. Palatinat roman. Zodiaque, « La nuit des temps », 1993, Planche 54.

Cathédrale Notre-Dame, Strasbourg. Vue intérieure de la nef donnant sur le chœur. Rolf Toman (dir.). L'art gothique: architecture, sculpture, peinture. Photographie de Achim Bednorz. Cologne, K5nemann, 1998,

p.lI3.

Cathédrale Notre-Dame, Strasbourg. Élévation intérieure de la nef. (changement de travées) Hans Reinhardt. La cathédrale de Strasbourg. Arthaud, 1972, figure 27.

(8)

Figure 22. Figure 23. Figure 24. Figure 25. Figure 26. Figure 27. Figure 28. Figure 29. Figure 30. Figure 31.

Cathédrale Notre-Dame, Strasbourg. Élévation extérieure de la nef. Rolf roman (dir.). L'art gothique.' architecture, sculpture, peinture. Photographie de Achim Bednorz. Cologne, Konemann, 1998, p.112. Cathédrale Notre-Dame, Strasbourg. Arcs-boutants. Photographie de Jean-Sébastien Sauvé.

Cathédrale Notre-Dame, Strasbourg. Reconstitution d'une travée du jubé par Johann Knauth (1912). Michel Zehnacker. La cathédrale de Strasbourg: comme un manteau de pierre sur les épaules de Notre-Dame. Paris, Robert Laffont, 1993, p.370.

Cathédrale, Cologne. Vue du chœur occidental. Rolf Toman (dir.). L'art gothique: architecture, sculpture, peinture. Photographie de Achim Bednorz. Cologne, Konemann, 1998, p.114.

Abbatiale royale, Saint-Denis. Élévation intérieure de la nef et arc-boutant d'après un dessin de Viollet-le-Duc. Elizabeth Brown. Saint-Denis: la basilique. Traduction de Divina Cabo. Zodiaque, « Le ciel et la pierre »,

2001, p.342.

Cathédrale Notre-Dame, Strasbourg. Vitraux ornant le bas-côté nord. Empereurs Frédéric Barberousse et Henri de Bamberg. Victor Beyer. La cathédrale de Strasbourg. Paris, La bibliothèque des arts, « Chefs d'œuvre du Vitrail européen », 1970, Planche VI.

Cathédrale Notre-Dame, Strasbourg. Vitraux ornant le bas-côté sud. L'entrée à Jérusalem. Victor Beyer. La cathédrale de Strasbourg. Paris, La bibliothèque des arts, «Chefs d'œuvre du Vitrail européen », 1970, Planche XIV.

Cathédrale Notre-Dame, Strasbourg. Vitraux ornant le mur nord du transept. Jugement Dernier. Michel Zehnacker. La cathédrale de Strasbourg: comme un manteau de pierre sur les épaules de Notre-Dame. Paris, Robert Laffont, 1993, p.9.

Cathédrale Notre-Dame, Strasbourg. Façade occidentale, portail central, détail du gable. Michel Zehnacker. La cathédrale de Strasbourg: comme un manteau de pierre sur les épaules de Notre-Dame. Paris, Robert Laffont, 1993, p.6.

Cathédrale Notre-Dame, Strasbourg. Statues équestres de la façade occidentale. Gravure du XVIIIe siècle. Michel Zehnacker. La cathédrale de Strasbourg: comme un manteau de pierre sur les épaules de Notre-Dame. Paris, Robert Laffont, 1993, p.251.

(9)

Figure 32. Figure 33. Figure 34. Figure 35. Figure 36. Figure 37. Figure 38. Figure 39. Figure 40. Figure 41. Figure 42.

Cathédrale Notre-Dame, Strasbourg. Façade occidentale, 'cordes de harpe'. Photographie de Jean-Sébastien Sauvé.

Cathédrale Notre-Dame, Strasbourg. Façade occidentale, grande rose. Lothar Schreyer. Das StraJ3burger Münster. Kassel, Barenreiter Verlag, figure 30.

Cathédrale Notre-Dame, Paris. Façade Sud. Christopher Wilson. The Gothic Cathedral: the Architecture of the Great Church 1130-1530. Londres, Thames and Hudson, 1990, p.l35.

Dessin B de la cathédrale de Strasbourg. Recht, Roland. Le dessin d'architecture: origine etfonction. Paris, Adam Biro, 1995, p.40.

Dessin D de la cathédrale de Strasbourg. Roland Recht (dir). Les bâtisseurs des cathédrales gothiques. Strasbourg, Éditions des musées de la ville de Strasbourg, 1989, p.391.

Cathédrale Notre-Dame, Strasbourg. Chapelle Sainte-Catherine. Ancienne voûte reconstruite par Roland Recht. L'Alsace gothique de 1300 à 1365 : étude d'architecture religieuse. Colmar, Alsatia, 1974, p.59.

Cathédrale Saint-Guy, Prague. Vieille Sacristie. Christopher Wilson. The Gothic Cathedral: the Architecture of the Great Church 1130-1530. Londres, Thames and Hudson, 1990, p.227.

Cathédrale Notre-Dame, Strasbourg. Façade occidentale, étage supérieur de la tour nord. Photographie de Jean-Sébastien Sauvé.

Cathédrale Notre-Dame, Strasbourg. Façade occidentale, galerie des apôtres. Michel Zehnacker. La cathédrale de Strasbourg: comme un manteau de pierre sur les épaules de Notre-Dame. Paris, Robert Laffont,

1993, p.255.

Cathédrale Notre-Dame, Strasbourg. Façade occidentale, beffroi. Benoît van der Bossche. Strasbourg: la cathédrale. Zodiaque,

«

Le ciel et la pierre », 1997, p.l06.

Dessin du beffroi de la cathédrale de Strasbourg. Détail de la section supérieure. Roland Recht (dir). Les bâtisseurs des cathédrales gothiques. Strasbourg, Éditions des musées de la ville de Strasbourg, 1989, p.395.

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Figure 43. Cathédrale Notre-Dame, Strasbourg. Gravure de Arhardt (1660). Roland

Recht. Strassburg und sein Münster. Strasbourg, Éditions DNA, 1994,

p.26.

Figure 44. Chapelle palatine de Charlemagne, Aix-la-Chapelle. Vue intérieure du

dôme octogonal. James Snyder. Medieval Art: painting, sculpture,

architecture,

lh_

1

lh

century. New York, Harry N. Abrams, 1989, p.195.

Figure 45. Cathédrale Notre-Dame, Strasbourg. Tour néo-romane de la croisée.

Benoît van der Bossche. Strasbourg: la cathédrale. Zodiaque, « Le ciel et

la pierre »,1997, p.160.

Figure 46. Cathédrale Saint-Guy, Prague. Façade sud. Double arcs et escaliers

impériaux. Christopher Wilson. The Gothie Cathedral: the Architecture

of the Great Church 1130-1530. Londres, Thames and Hudson, 1990,

p.226.

Figure 47. Cathédrale Notre-Dame, Strasbourg. Double arcs de la tour octogonale.

Photographie de Jean-Sébastien Sauvé.

Figure 48. Cathédrale Notre-Dame, Strasbourg. Flèche pyramidale et la Vierge.

Michel Zehnacker. La cathédrale de Strasbourg: comme un manteau de

pierre sur les épaules de Notre-Dame. Paris, Robert Laffont, 1993, p.272.

Figure 49. Cathédrale Notre-Dame, Strasbourg. Remplages du mur occidental du

« narthex ». Hans Haug et collaborateurs. La cathédrale de Strasbourg.

Strasbourg, Éditions DNA, 1957, figure 37.

Figure 50. Cathédrale Sainte-Élisabeth, Marbourg. Nicola Coldstream. Medieval

Architecture. Oxford et New York, Oxford University Press, 2002, p.189.

Figure 51. Abbatiale royale, Saint-Denis. Façade occidentale. Elizabeth Brown.

Saint-Denis: la basilique. Traduction de Divina Cabo. Zodiaque, « Le ciel et la pierre », 2001, p. 9.

Figure 52. Abbatiale royale, Saint-Denis. Façade occidentale, portail central,

Jugement Dernier. Elizabeth Brown. Saint-Denis: la basilique. Traduction

de Divina Cabo. Zodiaque,« Le ciel et la pierre », 2001, p. 119.

Figure 53. Abbatiale royale, Saint-Denis. Vue intérieure du vestibule. Christopher

Wilson. The Gothic Cathedral: the Architecture of the Great Church

1130-1530. Londres, Thames and Hudson, 1990, p.35.

Figure 54. Abbatiale, Corvey. Westwerk. Rolf Toman (dir.). L'art roman:

architecture, sculpture, peinture. Photographie de Achim Bednorz.

(11)

Introduction

Strasbourg, ville libre; Strasbourg, ville bourgeoise. L'autonomie de la capitale alsacienne face à l'Empire et aux différents évêques est profondément ancrée dans l'imaginaire historique. Son plus important monument, la cathédrale Notre-Dame, n'a jamais été un site important de pèlerinages, ne détenant aucune relique renommée. Elle a été maintes fois décrite, et plus particulièrement sa façade occidentale, comme un monument érigé à la gloire des guildes et de ses artisans qui exprimèrent le pouvoir grandissant du conseil municipal. [Figure 1] La cathédrale agit comme un important symbole de l'épanouissement de la classe bourgeoise, qui se développait dans les villes : certaines parties ont été financées par les riches bourgeois qui s'imposaient de plus en plus dans la sphère politique municipale. La cathédrale fut même ornée d'une des plus hautes flèches du monde gothique qui était clairement perçue comme le symbole de la prospérité de la ville et témoignait de la liberté dont elle jouissait en raison de son statut

particulier de Reichsstadt, de ville d'Empire.

Au XVIIIe siècle, dans Von deutscher Baukunst, Johann Wolfgang von Goethe fit

déjà l'apologie de la cathédrale et de sa façade occidentale en y reconnaissant la claire

manifestation du « génie allemand », incarné dans le mythique personnage d'Erwin de

Steinbach. En effet, Goethe désigna maître Erwin comme le principal architecte, bien qu'il soit maintenant fermement établi qu'il n'ait pas créé seul le majestueux massif occidental. Néanmoins, la popularité de cette figure idéalisée par les Romantiques eut d'importantes répercussions dans la littérature portant sur la cathédrale de Strasbourg. La popularité persistante d'Erwin témoigne du penchant nationaliste des historiens au sujet de la cathédrale et de leur surévaluation du rôle des artisans dans l'élaboration et la construction de la cathédrale.

Considérer la façade occidentale de Notre-Dame de Strasbourg comme monument promouvant les artisans est une interprétation que nous rencontrons

fréquemment dans la littérature portant sur la cathédrale. Dans Gold was the Mortar : the

Economies of the Cathedral Building, Henry Kraus dé construit l'édifice en plusieurs parties distinctes en lien avec leurs commanditaires et des raisons de leur édification. Selon cet auteur, la section orientale qui porte des éléments architecturaux romans témoigne de la suprématie de l'évêque. La nef symbolise la montée des nobles jusqu'à

(12)

leur chute vers 1330, lorsque les guildes prirent contrôle du conseil municipal. Le massif occidental quant à lui est un monument à l'indépendance de la ville. La tour et la flèche sont elles aussi d'importants symboles érigés par « aIl the people of the city», par le peuple. 1 Kraus intitule même le chapitre de son ouvrage «Strasbourg: the burgher-builder », soulignant particulièrement le rôle primordial des citoyens de la ville qui, dans l'élaboration des formes architecturales de la cathédrale, promeuvent les idéaux du conseil municipal.

Ce point de vue est fréquent chez les historiens, donnant naissance à moult analyses portant sur la cathédrale strasbourgeoise. Encore aujourd'hui, toute la littérature porte le sceau des incontournables écrits de Roland Recht, professeur au Collège de France, devenu la principale référence du discours académique à ce sujet. Ses écrits ont fait passer à la tradition la lecture de la cathédrale comme un monument témoignant de la fierté de la ville. La chronologie du Münster que Recht élabora dès les années 1970 à partir des nombreux ouvrages le précédane, bien qu'imprécise, a influencé toutes les théories élaborées par la suite. Récemment encore, une thèse doctorale a été rédigée soulignant l'importance de la façade occidentale comme l'expression du pouvoir des bourgeois. En effet, dans son ouvrage Building Civic Pride : Strasbourg Cathedral !rom

1300 ta 134fY, Charlotte A. Stanford offre une vision convaincante de la cathédrale, qui

s'inscrit dans la tradition des travaux de ses prédécesseurs.

Après avoir offert un fidèle aperçu des multiples ouvrages qui ont été rédigés sur la cathédrale de Strasbourg, Stanford insiste sur le rôle fondamental, tant technique que symbolique, des Strasbourgeois dans l'élaboration de la façade occidentale. Insistant sur le fait que cette dernière fut un moyen de représentation et de mise en spectacle du conseil municipal, elle indique l'importance qu'eurent les citoyens de la ville dans la décision d'ériger ledit monument. Par l'analyse des éléments architecturaux, des influences et de l'iconographie des différentes sculptures, elle soutient que l'imposant massif occidental affirma l'indépendance de la constitution municipale face aux pouvoirs 1 Henry Kraus. « Strasbourg: The burger-builders », in Gold was the Mortar : the Economies of Cathedral

Building, Londres, Henley et Boston, Routledge & Kegan Paul, 1979, p.129.

2 L'ouvrage de Roland Recht L'Alsace gothique de J 300 à J 365: étude d'architecture religieuse est

incontournable dans l'étude de l'architecture médiévale alsacienne, tout comme les nombreuses monographies qu'il rédigea précisément sur la cathédrale de Strasbourg.

3 Cette thèse qui n'est pas publiée fut soumise en août 2003 au College of Arts and Architecture de la Pennsylvania State University.

(13)

tant épiscopal qu'impérial. Par la construction de la façade de la cathédrale, Strasbourg, ville libre d'Empire, fit preuve ainsi d'autonomie politique face aux pouvoirs s'opposant à la primauté du conseil municipal dans la politique de la cité pendant le XIVe siècle.

Ce mémoire de maîtrise n'entend pas s'inscrire dans la continuité de la littérature académiquement reconnue au sujet de la cathédrale de Strasbourg. En effet, nous

entendons nous éloigner des valeurs nationalistes et romantiques4 qui alimentent depuis

trop longtemps les discussions sur l'histoire architecturale de l'édifice et qui en sont venus jusqu'à éclipser toute analyse possible de Notre-Dame de Strasbourg hors des concepts établis par la littérature actuelle. Ainsi, nous proposerons un nouveau regard sur les relations de Strasbourg avec le pouvoir impérial en analysant ce que le statut de

Reichsstadt impliquait véritablement et comment s'inscrivent les différentes étapes de construction de la cathédrale dans l'histoire de la ville.

La première partie de ce mémoire présente une revue des différents protagonistes et événements qui marquèrent l'histoire de Strasbourg. Tout en suivant la chronologie de la construction de la cathédrale, nous observerons les événements politiques qui marquèrent la vie politique et sociale de la cité. Nous analyserons les relations que la ville entretint avec le Saint Empire romain et ses représentants, relations importantes pour comprendre les visées politiques du conseil municipal strasbourgeois. Pour ce faire,

nous accorderons une attention toute particulière aux Chroniques de Friedrich Closener

et de Jacob Zwinger de Koenigshofen, rédigées respectivement en 1362 et 14005•

Souvent cités par les historiens de la ville -dont Philippe Dollinger dont les ouvrages sont incontournables- ces documents donnent un compte-rendu précis des faits historiques qui marquèrent Strasbourg depuis sa fondation. Leur témoignage est l'une des principales sources d'infonnation sur Strasbourg et sa cathédrale.

4 Les monographies portant sur la ville de Strasbourg et sa cathédrale sont souvent biaisées par les opinions

nationalistes de leur auteur. En effet, située à la frontière de deux puissances européennes, Strasbourg porte à la fois les statuts français, allemand -alsacien même- qui influencèrent les historiens issus de ces différentes cultures. De plus, la littérature est le fruit des efforts de nombreux écrivains et historiens du XIX· siècle qui analysèrent dans leur propre optique -romantique- l'histoire strasbourgeoise, influençant leur analyse du Münster. Ils amplifièrent donc le rôle de certains protagonistes, tel qu'Erwin de Steinbach, faussant la compréhension scientifique des événements. Nous porterons une attention toute particulière à ce mythe dans la deuxième partie de cet ouvrage.

S Les Chroniques Closener et de Koenigshofen furent publiées en deux tomes dans Die Chroniken der

(14)

La deuxième partie de notre ouvrage sera consacrée à Notre-Dame de Strasbourg en tant qu'œuvre architecturale. Nous décrirons ses différentes sections et tenterons d'en offrir une analyse nouvelle en tenant compte des événements historiques décrits en première partie. Nous serons ainsi en mesure de comprendre les étapes de construction du Münster et le message que les citoyens voulurent exprimer par son édification.

(15)

Première partie - La cathédrale de Strasbourg: l'histoire liée à l'architecture

L 'histoire de la cathédrale de Strasbourg est intimement liée à l 'histoire politique de la capitale alsacienne. La construction d'une cathédrale à l'époque témoignait d'une forte prise de position des différents groupes sociaux impliqués dans l'édification de ce monument. Elle devenait dès lors comme un symbole de leurs convictions et de leurs politiques. Différents historiens soulignent l'évolution graduelle de la représentation des bourgeois et des artisans au sein du conseil municipal. Ils notent conséquemment leur

rôle grandissant dans la prise de décision: aux XIe et XIIe siècles, le pouvoir épiscopal

régnait sur la ville; au XIIIe siècle, la noblesse s'affirmait de plus en plus, et, finalement, aux XIVe et XVe siècles, les bourgeois et les artisans prirent la tête du conseil municipal. Cette catégorisation facile des pouvoirs politiques influença clairement la lecture et l'interprétation des étapes de construction de la cathédrale.

l-L'époque de la basilique de l'évêque Wernher

Dès le début du XIe siècle, Strasbourg est remarquable pour la basilique

monumentale dite « de Wernher », du nom de l'évêque qui entama les démarches afin de

financer sa construction. En effet, Wernher de Habsbourg (1015-1027) entreprit l'édification d'une cathédrale romane dont les vestiges furent découverts au début du

XXe siècle par Johannes Knauth, architecte responsable des travaux de renforcement de

la tour nord.6 La présence d'un Habsbourg à la tête de l'évêché annonce déjà l'ascension

de cette famille comme pouvoir régional en Alsace et marque la naissance des liens qui uniront cette puissante dynastie à la ville de Strasbourg. Comme nous le verrons plus loin, la ville sera par la suite impliquée dans diverses ententes avec les membres de cette famille qui, en échange de privilèges et de sa protection, recevront l'appui des citoyens de la ville.7

Aloys Schultz rapporte que l'évêque Wernher connaissait depuis l'enfance l'empereur Henri II (1014-1024) de la maison de Saxe. Les deux hommes entretenaient

6 Consulter l'article de Hans Reinhardt « La cathédrale de l'évêque Wernher» dans le Bulletin de la

Société des amis de la Cathédrale de Strasbourg, 1932, p.39-64.

7 L'importance de ces relations se confIrme au XIUC siècle, lorsque s'éteignirent les Hohenstaufen: la

Haute-Alsace tomba facilement sous la tutelle des Habsbourg. Ces derniers nouèrent quelques liens avec les Strasbourgeois qui, en échange, appuyèrent certains rois et antirois, comme Philippe de Souabe, qui comptèrent sur l'appui de l'Alsace et de Strasbourg afIn d'accéder au trône de l'Empire.

(16)

des relations particulières qui influencèrent clairement la politique de la ville. Cet

empereur fut le premier à prendre place dans la croisée -le chœur était trop petit- de la

basilique afin d'assister aux services liturgiques.8 Il demanda aussi qu'un représentant

soit nommé afin de le représenter en cas d'absence. Schultz rapporte que « seit daB er

nicht selber bei den Domherren bleiben mochte, daB einer, der die Pfründe hatte, an des

Konigs Statt auf dem Chor fiir ihn singen and lesen mochte »9. Ce représentant devait

être un membre du chapitre et « (e)r war unter allen, die im StraBburger Gestühle Platz

fanden, der einzige, der nicht dem hohen Ade! entstammte »10. Un non-noble devait

prendre place dans la croisée afin de personnifier le souverain impérial pendant le service. Ainsi, l'empereur avait toujours un simple citoyen comme substitut. Ce choix étonnant indique clairement que l'empereur entretenait de bonnes relations avec les citoyens non-nobles de la ville et affichait une certaine méfiance face aux nobles de la ville.

Hans Reinhardt proposa dans son article de 1932 un plan précis de la cathédrale

romane ainsi que son apparence générale à partir de déductions faites grâce aux clichés

pris lors des fouilles archéologiques -méthode quelque peu discutable quant à sa rigueur.

[Figure 2] Il imagina même un modèle hypothétique de façade occidentale de la

basilique. l l [Figure 3] Cette façade massive aurait été percée en son centre par une triple

ouverture, un accès unique donnant sur la nef de la basilique, ce qui reprend le motif

d'arc de triomphe que l'on retrouvait à l'entrée des basiliques romaines. En fait,

Reinhardt poursuit en associant la composition générale de cette basilique à celles

utilisées par les premiers chrétiens, comme Saint-Paul-Hors-les-Murs. Leurs structures, presque identiques, sont composées d'une nef centrale et de deux collatéraux, ponctués

d'une arcade menant à une abside semi-circulaire.12 On peut affirmer que le bâtiment

strasbourgeois rappellerait les éléments architecturaux de la Rome impériale, montrant la loyauté de l'évêque et de la cité envers l'empereur, en citant clairement des éléments

8 Aloys Schulte. Deutsche Konige, Kaiser, Piipste ais Kanoniker an deutschen und romischen Kirchen.

Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1960, p.22. Cette relation amicale est aussi notée par Lothar Schreyer. Das StraJ3burger Münster. Kassel, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, p.S.

9 Aloys Schulte. Deutsche Konige, p.23. Schulte cite, en fait les Chroniques de Koenigshofen, pA27.

10 Aloys Schulte. Deutsche Konige, p.23.

11 Le fait que la façade occidentale fut surmontée par une ou deux tours est encore objet de débats.

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bien connus de l'architecture impériale romaine. L'évêque Wernher voulut témoigner de sa fidélité envers son ami et empereur Henri II grâce à la construction d'une basilique romane dans la ville de Strasbourg. Ces emprunts ont été fréquents depuis la chute de l'Empire romain à cause du langage symbolique qui leur était associé. Le roi ostrogoth Théodoric, par exemple, fit construire San Apollinare Nuovo à Ravenne pour affirmer la légitimité de son règne, en se présentant comme héritier de l'Empire romain. [Figure 4]

2-Le règne des Hohenstaufen

De taille monumentale, la basilique de Wernher échappa au saccage de la ville et des environs, perpétré en 1199 par le duc Philippe de Souabe (antiroi de 1198 à 1208), dernier fils de Frédéric Barberousse de Hohenstaufen. Par cet acte, l' antiroi voulut montrer sa suprématie sur son adversaire Otton de Brunswick qui avait reçu l'appui de l'évêque de Strasbourg, Conrad de Hünebourg (1190-1202). Cette mesure s'avéra efficace, car l'évêque et son successeur, Henri de Veringen (1202-1223), soutinrent dès lors la candidature de l'héritier Hohenstaufen qui ne fut toutefois pas élu empereur. 13

La fin de l'épiscopat de Conrad de Hünebourg fut marquée, en 120 1, par la naissance d'une assemblée bourgeoise dans la ville qui allait devenir au siècle suivant « l'instance suprême de la cité », mais qui restait à ce moment sous la tutelle de l'évêque.14 Strasbourg ne différait d'avec les terres qui l'environnaient que par son conseil municipal; pour le reste, les autres terres alsaciennes du Haut-Rhin dépendaient, elles aussi, du pouvoir épiscopal.

L'évêque Henri de Veringen fut nommé à la tête du diocèse en 1202 et fut confronté à certains problèmes bien qu'il appuyât les démarches de l'antiroi. Après le retard et le report de sa consécration par l'archevêque de Mayence, il alla à Rome demander au pape Innocent III de légitimer son titre. Ce dernier refusa, arguant qu'il en était du devoir de l'archevêque de Mayence. Henri de Veringen ne fut finalement consacré qu'en 1207 par l'archevêque de Sens. Philippe Dollinger affirme que cette

13 Pour plus de détails sur la succession d'événements qui bouleversèrent la ville pendant le Moyen Âge, consulter le second tome de Histoire de Strasbourg des origines à nos jours sous la direction de Georges

Livet et Francis Rapp.

14 Philippe Dollinger. « L'émancipation bourgeoise et la domination du patriciat (1200-1349»), in Histoire

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visite en Île-de-France fut primordiale pour l'introduction de l'art gothique en Alsace.ls Certes, l'archevêché de Sens était le berceau de l'architecture gothique, remarquable par l'édification de la cathédrale Saint-Étienne, consacrée en 1163. Nous devons toutefois préciser, comme nous le verrons en seconde partie, que les travaux effectués peu de temps après à Strasbourg n'indiquent aucunement un quelconque emprunt au style de Sens, dont la cathédrale avait été construite près d'un demi-siècle auparavant. Ainsi, il serait plus plausible de supposer que l'introduction de l'architecture gothique en sol alsacien se soit faite autrement, quelques années plus tard.

Philippe de Souabe assura une certaine protection à la ville après l'avoir dévastée et recueillit l'appui du nouvel évêque. Il accorda même aux bourgeois certains privilèges, dont l'exemption de taxes. Philippe Dollinger remarque que cette mesure calculée permit à l'antiroi de garder l'appui de la ville pour sa nomination à la tête de l'Empire. Jouissant de sa protection, la ville acquit un statut s'apparentant à une ville d'Empire. 16 Philippe de Souabe fut assassiné en 1208 et Otton IV de Brunswick accéda au trône impérial.

La première preuve de la volonté de construction 17 de la cathédrale de Strasbourg dans sa forme actuelle remonte à la fin du XIIe siècle. À la suite d'une série de feux qui avait grandement endommagé la basilique romane construite par l'évêque Wernher, l'évêque Conrad de Hünebourg entreprit des démarches afin de récolter les sommes nécessaires pour reconstruire la cathédrale.18 Ces incendies tombaient à point dans la mesure où, comme le remarque Robert Will, l'évêque voulut probablement édifier un nouveau temple. Strasbourg désirait se mesurer aux villes de Spire et de Worms, importants centres urbains de la vallée du Rhin qui étaient considérablement liés au pouvoir impérial et qui avaient déjà entrepris depuis quelques années la construction de leurs cathédrales.19 Ainsi, devant ces chantiers monumentaux, Conrad de Hünebourg et son successeur Henri de Veringen ne purent rester impassibles et voulurent que

15 Philippe Dollinger. Histoire de Strasbourg des origines à nos jours, p.43.

16 Philippe Dollinger. Histoire de Strasbourg des origines à nos jours, p.43.

17 La construction de la cathédrale gothique de Strasbourg suit la démolition ou la rénovation de certaines parties de la basilique romane.

18 Roland Recht. Strassburg und sein Münster. Strasbourg, Éditions DNA, 1994, p.23.

19 Robert Will. « II. La cathédrale romane », in La cathédrale de Strasbourg. Strasbourg, Éditions DNA, 1957, p.41. Notons que Worms et Spire devinrent officiellement villes d'Empire au XIVe siècle.

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Strasbourg demeure honorable au sein de l'Empire grâce à un temple architecturalement plus moderne.

La littérature ne souligne pas l'importance de l'Empire à l'origine de la reconstruction de la cathédrale. Nous affirmons toutefois que cette concurrence entre les

différentes villes d'Empire du Rheinland témoigne de la volonté de Strasbourg de faire

partie de ce groupe. Les travaux débutèrent vers 1190 par le réaménagement du chœur, la construction de la croisée, de la chapelle Saint-Jean et de la chapelle Saint-André, ainsi que des bras du transept et de leurs portails respectifs (vers 1220). [Figures 5 et 6] Ils témoignèrent d'un lien évident qui existait déjà entre Strasbourg et le pouvoir impérial.

3-Les Habsbourg et la bataille de Hausbergen

Lorsque les sections orientales furent complétées, l'évêque Berthold de Teck (1223-1244) ordonna la construction d'une nouvelle nef. Il est entendu que l'architecte chargé de la croisée et du transept sud, après les avoir remodelés dans des formes gothiques, en commença l'édification vers 1235-1240. Cette datation, proposée par Hans Reinhardt, quoiqu'elle soit vague, fait habituellement l'unanimité chez les différents auteurs consultés tels Théodore Rieger, Roland Recht, Hans Haug et, plus récemment, Robert Bork, dont les théories reposent sur le travail de ses prédécesseurs?O

Le début de la construction de la nef de la cathédrale s'inscrit dans une période trouble de l'histoire de la ville. En effet, depuis le décès de Frédéric II de Hohenstaufen (1220-1250) sans héritier, Strasbourg est devenue politiquement vulnérable. Sa mort mit fin à une puissante dynastie impériale qui était favorable au développement urbain de Strasbourg. En effet, l'empereur avait accordé sa protection à la ville dès 1219, comme Philippe de Souabe l'avait fait auparavant, et lui avait même offert un hôpital. Après 1230, la ville accueillit également le fils de Frédéric II, Henri de Hohenstaufen, qui lui offrit, lui aussi, sa protection?l

20 Hans Reinhardt. La cathédrale de Strasbourg. Parie, Arthaud, 1972, p.14-p.15., Théodore Rieger. « III.

La cathédrale gothique », in La cathédrale de Strasbourg. Strasbourg, Éditions DNA, p.54, Roland Recht,

L'Alsace gothique, p.28, Hans Haug. « 1. La cathédrale dans la cité », in La cathédrale de Strasbourg.

Strasbourg, Éditions DNA, 1957, p.17 et Robert Bork. Great Spires: Skyscrapers of the New Jerusalem. Cologne, Kôlner Architekturstudien, p.118.

21 Philippe Dollinger souligne qu'aucune preuve n'existe en faveur du fait que Henri aurait demandé

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Philippe Dollinger rapporte que l'évêque Henri de Veringen s'était plaint à Frédéric II en 1214, car il considérait que les bourgeois occupaient une place trop importante dans la politique municipale. L'évêque eut gain de cause et le clergé parvint à rester à la tête des différents conseils municipaux. Dollinger affirme que la mort du dernier Hohenstaufen annonça la possibilité d'un changement dans la politique municipale, car l'évêque avait perdu son principal allié, Frédéric II.22 Cependant, comme nous l'avons vu plus haut, Strasbourg entretenait déjà une relation privilégiée avec l'empereur. Nous pensons que le conseil municipal était plutôt intimement lié au pouvoir impérial, comme en témoignait la visite du fils de l'empereur -événement impensable si les relations avaient été aussi tendues que Dollinger le prétend. Ainsi, les relations qu'entretenaient les citoyens, l'empereur et l'évêque de Strasbourg ne sont pas aussi inamicales que la littérature habituelle le laisse entendre.

Il est souvent raconté que de nombreux conflits éclatèrent après la mort de Frédéric II de Hohenstaufen pour élire le prochain empereur à la tête du Saint Empire romain. L'Empire fut plongé dans le Grand Interrègne entre 1250 et 1273, pendant lequel le conseil impérial nomma divers dirigeants. Souvent étrangers, ces souverains n'assurèrent pas de véritable stabilité politique dans l'Empire et laissèrent une trop grande latitude au conseil dans sa gestion. Considéré comme une période « de guerre généralisée» et « d'anarchie »23, le Grand Interrègne est plutôt, à notre avis, un exemple parfait du fonctionnement de l'Empire tel que l'entendait la constitution impériale. En effet, cette dernière stipulait que le roi romain élu ne veillait qu'à chapeauter le conseil formé d'archevêques et de princes: le titre de roi, et conséquemment d'empereur, était détaché de l'Empire en soi, du point de vue du territoire, et ne jouissait pas d'un pouvoir unilatéral.24 Ainsi, le Grand Interrègne, malgré son appellation erronée, ne signifie pas que l'Empire était laissé à lui-même, mais fut plutôt une époque caractérisée par un large éventail de dirigeants, entre les « règnes absolutistes» marqués par l'élection répétitive des Hohenstaufen et, ultérieurement, des Habsbourg à la tête du

22 Philippe Dollinger. Histoire de Strasbourg des origines à nos jours, p.46. Notons que Dollinger aborde avec difficulté ces événements, ne donnant que peu d'explications, par exemple, sur les véritables raisons de l'entretien entre l'évêque et l'empereur en 1214.

23 Termes employés par Philippe Dollinger. Histoire de Strasbourg des origines à nos jours, p.46.

24 Notons que la séparation entre l'Empire et l'individu siégeant à la tête du conseil impérial est explicitement indiquée dans l'élection du « roi romain », indiquant le détachement entre la figure dirigeante et l'Empire.

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conseil. En effet, lorsque Rodolphe de Habsbourg accéda au trône en 1273, il mit fin aux fréquents changements et prit le contrôle absolu du conseil impérial qui perdit tout aspect « démocratique ». Le poste d'empereur retrouva un pouvoir absolu dans sa prise de décision, retrouva son aspect« monarchique ».

Henry Kraus affirme que la mort de Frédéric II de Hohenstaufen offrit la possibilité à l'évêque de Strasbourg, Heinrich de Stahleck (1244-1260), d'imposer son hégémonie sur la ville qui était plongée dans une « période d'incertitude ». Dans la même veine, son successeur, Walther de Geroldseck (1260-1263), aurait désiré mettre la ville sous sa tutelle, trouvant que les bourgeois occupaient une place trop importante au conseil municipal.25 En fait, la mort de l'empereur marquait la perte de l'allié du conseil municipal et signifiait qu'il serait plus aisément victime du contrôle grandissant de l'évêque. Les citoyens s'opposèrent à l'évêque et reçurent même l'appui de la famille Habsbourg qui avait déjà une importante influence en Alsace?6

Dans ses Chroniques, Closener relate une rencontre importante qui eut lieu à Strasbourg entre Rodolphe de Habsbourg qui devint roi des Romains en 1273, son cousin Godefroi de Habsbourg, Conrad de Fribourg et Henri de Nuremberg:

« da die vorgenanten herren in die stat koment, da lüte man ein glocke und besamete alles volke daz in der stat was, uf den fronhof: da swürent die herren offenliche vor allem volke zu der stat, dass zu der stat woltent beholfen sin wider aller menigelich und sünderlich wider den bischof und sin helfere. »27

Ce passage témoigne de la prise de position de Rodolphe de Habsbourg devant le pouvoir grandissant de l'évêque de la ville. La rencontre entre le roi romain, les notables et les autres princes -dont certains devinrent rois eux-mêmes- est révélatrice du poids de Strasbourg dans l'Empire et l'importance stratégique que lui accordaient les souverains.

Devant l'opposition flagrante des citoyens et de la famille Habsbourg, l'évêque transféra son siège à Duchstein. Afin d'assurer sa protection, il demanda à son oncle, l'abbé de Saint-Gall, d'envoyer des chevaliers pour assurer son hégémonie militaire et

25 Henry Kraus. Goldwas the Mortar, p.l13. 26 Philippe Dollinger. Histoire d'Alsace. p.90.

27 Chroniques de Friedrich Closener (J 362) in Die Chroniken der oberrheinischen Stadte: StraJ3burg,

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politique sur la région,zs Se sentant menacés, les citoyens, alliés à Rodolphe de Habsbourg, détruisirent la citadelle épiscopale de Haldenbourg. Cet affrontement mena subséquemment le 8 mars 1262 à la célèbre «bataille de Hausbergen» opposant les troupes épiscopales aux citoyens de la ville. L'évêque, accompagné de trois cents cavaliers et cinq mille fantassins, fut battu par l'alliance des différentes classes de la ville.29 Cette victoire conféra une place prépondérante aux Strasbourgeois dans la gestion de leur cité.

Dans Gold was the Mortar: the Economics of the Cathedral Building, Henry Kraus lit l'histoire de Strasbourg en suggérant que le pouvoir épiscopal s'unissait habituellement avec les citoyens de la ville contre le pouvoir grandissant de l'empereur en Alsace. Selon lui, désireux de garder leur indépendance, les Strasbourgeois ne voulurent pas se soumettre au pouvoir impérial tandis que l'évêque, sujet du pape, voyait d'un mauvais œil l'expansion de la sphère d'influence impériale.3o Toutefois, comme nous l'avons souligné, les citoyens de la ville jouirent de l'appui de Rodolphe de Habsbourg, avant même la bataille de Hausbergen. Ceci démontre, contrairement à ce que propose Kraus, l'existence d'une alliance entre les Strasbourgeois et le futur roi romain. Ainsi, les citoyens de la ville ne furent pas hostiles envers le pouvoir impérial comme le laisse entendre Kraus, mais s'allièrent plutôt avec les Habsbourg -union confirmée par la bataille de Hausbergen. Cette association fut pour eux le seul moyen d'accéder à une certaine forme d'autogestion municipale, comme le firent les habitants de Fribourg-en-Brisgau au XIVe siècle.31

En s'alliant avec les Strasbourgeois, Rodolphe de Habsbourg vit l'occasion de mettre la main sur un pôle stratégique, en plein cœur des territoires épiscopaux qu'il pouvait ainsi mieux influencer. Politiquement, les Habsbourg purent s'afficher avec plus d'importance en Alsace, territoire qui avait été autrefois important pour les

28 Henry Kraus. Go/d was the Mortar, p.l13. 29 Henry Kraus. Go/d was the Mortar, p.114.

30 Henry Kraus. Go/d was the Mortar, p.lll.

31 Bien que les situations des deux villes soient totalement différentes, il est intéressant de noter que Fribourg-en-Brisgau devint une ville libre d'Empire au XIVe siècle.

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Hohenstaufen.32 Le statut particulier de la ville fut dès lors officiellement reconnu:

Strasbourg devint officiellement unefreie Reichsstadt, une ville libre d'Empire.33

Les citoyens se soumirent à la constitution de la ville qui devint le pouvoir

« suprême », bien qu'elle fût fortement liée à Rodolphe de Habsbourg. Philippe

Dollinger indique que les villes d'Empire possédaient certains privilèges tels que l'exemption des impôts réguliers, la prestation de serment à l'empereur, la tenue d'un tribunal municipal pour les affaires criminelles ainsi que le droit d'envoyer des délégués particuliers aux diètes de l'Empire. Toutefois, ces villes avaient certaines obligations

comme la participation militaire aux guerres menées par l'Empire.34 L'indépendance

totale de Strasbourg apparaît ainsi discutable. Les causes civiles étaient prises en charge par l'empereur ou son représentant -habituellement l'évêque. La ville devait aussi

équiper des milices mises à la disposition de l'empereur en temps de guerre, mesure qui

était en fait une forme de taxation. Notons qu'encore au XIVe siècle, le grand baillé de Haguenau, le «représentant du souverain» impérial, répondait toujours de la ville?5 Ainsi, malgré les apparences et son appellation, le statut de « ville libre d'Empire» ne

conférait pas à Strasbourg une liberté totale: la ville dépendait toujours politiquement de

l'empereur. Conséquemment, la cathédrale ne peut apparaître comme l'expression d'un pouvoir bourgeois totalement indépendant de l'empereur.

4-La ville d'Empire et sa nouvelle constitution

Suite à l'écrasante victoire de Hausbergen, une nouvelle constitution municipale

fut rédigée en 1263 . Tous les habitants de la ville, peu importe leur classe ou leur emploi, y prêtèrent serment, incluant le nouvel évêque, Heinrich de Geroldseck, qui entretint de meilleures relations avec la ville que ses prédécesseurs. Les Strasbourgeois prirent ainsi

32 L'Alsace apparaît comme un territoire important pour les différents empereurs du Saint Empire. Comme

le rapporte Hans Haug dans La cathédrale de Strasbourg, Frédéric II aurait désigné l'Alsace comme

« parmi les autres [possessions] les plus chères», p.15. Dans l'Alsace gothique, Roland Recht affirme plutôt que Frédéric II aurait qualifié l'Alsace de « la plus chère de nos possessions familiales. », p.15. Les

propos de Roland Recht sont teintés d'un nationalisme alsacien que le lecteur doit absolument prendre en considération.

33 Strasbourg avait déjà été reconnue ville d'Empire par Philippe de Souabe qui avait déjà attribué le statut

particulier de la ville en 1205. Après la bataille de Hausbergen, la ville devint une instance autonome au sein de l'Empire. Elle était liée par un contrat avec Rodolphe de Habsbourg qui avait participé au conflit en appuyant les Strasbourgeois contre l'évêque Walther de Geroldseck.

3 Philippe Dollinger. Histoire de Strasbourg des origines à nos jours, p.1 08.

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le contrôle de la ville, et conséquemment, de la fabrique responsable de la construction de la cathédrale: l'Œuvre Notre-Dame.36

Le conseil municipal fut ainsi responsable de la fabrique qui était originellement contrôlée par le chapitre de la cathédrale. Cette organisation veillait, et veille encore, au financement de la « loge » qui est responsable de la construction de l'édifice, ainsi que de son entretien. Elle est chapeautée par deux dirigeants: le procurator et le gubernator. Dans son livre Le dessin d'architecture: origine etfonctions, Roland Recht souligne que le titre procurator était réservé à un membre de l'Église tandis que le gubernator était un laïc choisi par le conseil municipal. Tous deux veillaient conjointement au bon fonctionnement de l'organisation et s'assuraient de prendre les décisions importantes au sujet du chantier.3? Bien qu'un des deux dirigeants fût ecclésiastique, l'Œuvre

Notre-Dame était une institution laïque. La ville de Strasbourg servait en quelque sorte l'évêque en entretenant son église. La cathédrale devint autant le symbole du pouvoir politique du Conseil que du rayonnement de la foi.

Les différents ordres religieux présents dans la ville durent aussi se soumettre au conseil municipal qui voulut ainsi limiter leurs forces de persuasion auprès des citoyens. Ces compagnies jouissaient d'un succès trop important aux yeux du Conseil. En effet, le nombre croissant d'ordinations et de constructions de nouvelles abbatiales durant cette période témoigne de l'effervescence de la vie monastique. Strasbourg reçut même la visite d'Albert le Grand en 1244 et 1268 en tant que lecteur invité dans la ville.38 Ce célèbre dominicain aurait même contribué, selon certains, à l'élaboration du programme iconographique des portails de la cathédrale.

Malgré leurs vœux de pauvreté, les différents ordres devinrent de plus en plus prospères, acquérant de nombreux terrains dans la ville. Afin de limiter les possessions et le recrutement des différents ordres, le Conseil instaura des règles plus rigoureuses. Les compagnies récalcitrantes durent fermer leurs portes.39 Les dominicains, par exemple, furent expulsés de 1287 à 1290 à cause du manque de collaboration à propos de leur état

36 Hans Haug, La cathédrale de Strasbourg, p.l7. Notons que la date précise de la fondation de l'Œuvre

Notre-Dame demeure un mystère.

37 Roland Recht. Le dessin d'architecture: origine etfonction. Paris, Adam Biro, 1995, p.74. 38 Francis Rapp. Histoire de Strasbourg, p.1 06.

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financier avec le conseil municipal.4o Le pape considéra ces mesures comme anti-ecclésiastiques. Désirant mettre Strasbourg au ban de l'empire, il excommunia tous les citoyens de la ville. Ce geste n'eut pas l'effet escompté: la ville étant sous la protection de Rodolphe de Habsbourg, elle ne fut pas sujette à un quelconque blocus.41 Ainsi, Strasbourg garda son statut éminent dans le Rheinland et les Strasbourgeois purent à nouveau célébrer l'Eucharistie. Les pouvoirs ecclésiastiques de la ville ne gardèrent la mainmise que sur l'École de théologie.

Malgré les changements politiques en faveur de l'autonomie de la ville, les luttes de pouvoir continuèrent. Les bourgeois récemment enrichis gagnèrent en importance, faisant concurrence à la vieille noblesse de la ville. Cette nouvelle classe qui fit fortune grâce aux échanges commerciaux s'imposa rapidement au conseil de la ville. En effet, contrairement aux artisans qui devaient travailler du matin au soir afin de subvenir à leurs besoins, ces petits marchands purent prendre le temps de discuter et de se mêler de politique. Tandis qu'auparavant une rivalité importante s'exerçait uniquement entre les ecclésiastiques et les nobles, ces bourgeois de fortune atteignirent rapidement une masse critique importante et formèrent un troisième groupe d'influence dans l'arène politique municipale.

Parallèlement, les bourgeois devinrent de plus en plus actifs dans le financement de la cathédrale. Résultant du pouvoir grandissant des citoyens de la ville sur la cathédrale, l'Autel de la Fabrique fut installé dans la cathédrale en 1264, s'ajoutant à celui du Matin. Financés par les citoyens, ces deux autels devaient protéger l'indépendance de Strasbourg face aux menaces politiques42, tant locales qu'étrangères. Symboles de la liberté civique, ces autels sont souvent perçus par certains auteurs comme la claire démonstration du désir grandissant des citoyens d'occuper une place active dans la politique municipale, bien que la cathédrale demeure l'église de l'évêque.43 Les citoyens devinrent très impliqués dans le financement du chantier, comme le témoigne la construction du monumental massif occidental. [Figure 7]

40 Roland Recht. L'Alsace gothique, p.99 et Philippe Dollinger. Histoire de l'Alsace, p.l 03. 41 Henry Kraus. Gold was the Mortar, p.121

42 Henry Kraus. Gold was the Mortar, p.ll?

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L'influence des bourgeois mena aussi à la participation de Strasbourg à la Ligue du Rhin, dès 1254. Elle se lia aux autres villes marchandes d'Alsace et de la vallée du Rhin. Cette ligue, comme celle de Souabe, favorisait divers échanges commerciaux entre les différentes villes. Philippe Dollinger souligne aussi qu'elle assurait une certaine sécurité dans la région qui était devenue alors instable, plongée dans le Grand

Interrègne.44 On remarque toutefois que la ville n'aurait pas eu besoin d'une aide

militaire supplémentaire, car l'Empire n'était pas plongé dans l'anarchie. À cause de son

statut particulier au sein de l'Empire et de son pacte avec la famille Habsbourg, il est plus vraisemblable qu'elle désirait simplement maintenir par ces alliances sa prospérité marchande.

5-L'époque de la construction du massif occidental et de la chapelle Sainte-Catherine

Pendant la seconde moitié du XIue siècle, les Strasbourgeois occupèrent une place essentielle dans la politique de leur ville. Les classes populaires acquirent un pouvoir de plus en plus important dans la ville : la population urbaine croissait à cause de

l'exode des campagnes. À cause de leur nombre plus important, elles occupèrent une

représentativité plus importante au sein du Consei1.45 Il veilla à être présent dans toutes

les sphères décisionnelles tant économique -l'économie se diversifiait et se développait alors d'une façon remarquable- sociale et militaire que religieuse. Cependant, les citoyens n'agissaient pas seuls. Comme nous l'avons vu plus tôt, le conseil municipal de Strasbourg s'alliait avec l'empereur afin de réduire l'influence des ordres religieux, de l'évêque et de son chapitre. La ratification de la constitution de 1263 confirma le rôle prépondérant du Conseil dans les affaires de la ville.

Étant donnée l'influence du pouvoir épiscopal dans la cité, le conseil municipal s'appropria certaines de ses plus importantes institutions. L'Œuvre Notre-Dame, la fabrique de la cathédrale, auparavant sous la juridiction du chapitre de l'évêque, passa

graduellement aux mains du conseil de la ville à partir de 1282.46 Les Chroniques de

Koenigshofen affirment qu'une nouvelle façade occidentale fut entreprise le 25 mai 1277

44 Philippe Dollinger. Histoire de l'Alsace, p.119. 4S Philippe Dollinger. Histoire de l'Alsace, p.l 05. 46 Théodore Rieger. La cathédrale de Strasbourg, p.59.

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pendant le mandat de l'évêque Conrad de Lichtenberg (1273-1299). En 1284, le fameux maître Erwin « de Steinbach}) fut nommé gubernator fabrice (laïc), à la tête de l'Œuvre Notre-Dame, en compagnie de Ellenhard le Grand, à titre de procurator (religieux).47 La fabrique acquit une certaine indépendance face au pouvoir épiscopal en 1286.48 Elle adopta en 1290 sa constitution définitive qui stipulait qu'elle devait rendre des comptes annuellement au chapitre de la cathédrale.49

Notons, au passage, que le monument funéraire de Conrad de Lichtenberg, souvent identifié comme l'œuvre de maître Erwin, est situé dans la chapelle Saint-Jean. À en croire différents auteurs, l'ère suivant la bataille de Hausbergen signifia la perte d'influence de l'évêque sur la ville. La présence de la tombe de cet évêque dans le

Münster démontre qu'il gardait un certain droit de regard sur les affaires de la cathédrale;

il en était autrement pour les affaires municipales.

L'administration de l'argent destiné au Münster devint exclusivement l'affaire de l'Œuvre Notre-Dame: l'argent ne vint plus des lettres d'indulgence et du trésor épiscopal, mais plutôt des dons des citoyens de la ville. Soulignant le rôle important du financement du projet par les bourgeois de la ville, Charlotte A. Stanford interprète le massif occidental de la cathédrale comme la démonstration de l'autonomie des Strasbourgeois, d'où le sous-titre de sa thèse «Building Civic Pride ». Elle souligne l'importance du Liber Donationum qui est un registre dans lequel figurent les noms de tous les donateurs ainsi que les sommes qu'ils octroyèrent à la fabrique dès 1320. Présenté dans la Chapelle de la Vierge, d'une manière ostentatoire, le Liber Donationum rappelait les efforts monétaires collectifs qu'exercèrent les citoyens afin de construire le massif.50 Ainsi, pour Stanford, l'érection d'un tel monument montre une fierté civique qui se refléta dans le symbolisme de l'ensemble du Münster et de sa façade occidentale. Cependant, s'inscrivant dans la tradition de Henry Kraus, Stanford ne reconnaît pas les

47 Henry Kraus. La cathédrale de Strasbourg, p.1l9. Nous n'avons aucune information à propos

d'Ellenhard le Grand. Seul Kraus en fait mention. Le titre de maître Erwin est sujet à quelques débats. Nous y reviendrons plus loin lorsque nous discuterons du mystère entourant l'existence de Erwin de Steinbach.

48 Henry Kraus. Gold was the Mortar, p.117 et Barbara Schock-Werner. « L'Œuvre Notre-Dame, histoire

et organisation de la fabrique de Notre-Dame de Strasbourg », in Les bâtisseurs des cathédrales gothiques. Strasbourg, Éditions des musées de la ville de Strasbourg, p.133.

49 Hans Haug. La cathédrale de Strasbourg, p.l9. Rendant des comptes au chapitre de la cathédrale,

l'Œuvre Notre-Dame n'était pas une institution municipale totalement indépendante.

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relations implicites entre les citoyens, le conseil municipal et l'empereur. Les dons faits par les Strasbourgeois étaient, certes, des plus importants dans l'édification d'une telle construction. Cependant, prendre en considération ces liens guiderait tout autrement l'interprétation du rôle de la façade comme symbole municipal. L'examen attentif des éléments architecturaux et iconographiques de la façade en seconde partie nous permettra de constater ce qu'il en est.

La mort de Rodolphe 1er de Habsbourg en 1291 marqua grandement le destin des citoyens de la ville qui perdirent un allié précieux. Ils appuyèrent la candidature de son fils, Albert (1298-1308), antiroi, contre le roi de Rome, Adolphe de Nassau (1292-1298). En effet, Albert vint à Strasbourg en 1298 afin de mater les partisans de son rival. Closener relate dans ses Chroniques que « danach fiir er gen StroBeburg und bleib da etwie mangen tag, da empfingent auch vil herren ir lehen von ime. »51. Accompagné de

nombreux hommes, Albert de Habsbourg s'assura d'avoir l'appui de la ville afin de détrôner le roi des Romains. Toutefois, lorsque ses troupes quittèrent la ville, « un des valets de sa suite avait laissé brûler une lumière dans une écurie voisine du palais épiscopal. »52 Cet incendie démolit plus de trois cents maisons et se propagea à

l'échafaudage de la cathédrale et ainsi qu'au toit. La construction de la cathédrale fut ralentie, les artisans durent réparer les dommages causés par le feu. Néanmoins, après avoir assassiné son rival en 1298, Albert de Habsbourg fut nommé à la tête de l'Empire et renouvela le pacte envers Strasbourg qui conserva ses privilèges comme ville d'Empire. Cette protection s'inscrit dans une tradition de protectorat qui se poursuivit au

XIVe siècle.

Certains auteurs rapportent que le chantier de la cathédrale était aussi au ralenti en raison du manque de fonds, des discordes intérieures et des troubles politiques. 53 Toutefois, à l'occasion de la signature d'une quatrième constitution pendant la deuxième décennie du XIVe siècle, l'on vit la construction de nouveaux édifices municipaux dont le palais municipal, le Pfalz, la tour aux Pfennigs et l 'hôtel de ville qui donnait sur l'actuelle Place Gutenberg.54 Ces projets, aussi financés par les citoyens de la ville,

51 Chroniques de Closener, p.63.

S2 Hans Haug. La cathédrale de Strasbourg, p.iS. 53 Hans Haug. La cathédrale de Strasbourg, p.20.

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expliquent le ralentissement du chantier de la cathédrale, ralentissement qui n'était pas tant lié aux querelles politiques qu'au changement d'intérêts des donateurs et au besoin de la ville de se doter d'édifices neufs.

Tandis que la Haute-Alsace vit s'instaurer l'hégémonie de la famille Habsbourg sur son territoire dès le XIye siècle comme puissance locale, la Basse-Alsace resta sous le pouvoir des seigneuries épiscopales. Tout comme au siècle précédent, l'évêque tenta de se réapproprier la direction du conseil municipal de Strasbourg qui manifestait trop d'autonomie. Mais les visées épiscopales ne tenaient pas compte de la réalité politique de la ville qui, depuis 1314, jouissait de la protection du roi Louis de Wittelsbach, duc de Bavière (roi des Romains dès 1314, puis empereur 1328-1346) qui reconnut officiellement -une fois de plus-le statut de ville d'Empire à Strasbourg en 1328.55

L'accession au pouvoir de Louis de Bavière ne se fit pas sans heurts. En effet, après le décès de Henri YII, il fut confronté à Frédéric de Habsbourg, duc d'Autriche, l'antiroi. Les prétendants se rencontrèrent à Strasbourg, comme Closener le relate dans ses Chroniques :

« Danach da man zalt von gots geburte 1320 jar, an dem mendag von unser frowen tag der jungern, da /coment die selben zwen erweleten kunige [Louis de Bavière et Frédéric d'Autriche) gen StrofJeburg, und logent ufJewendig der stat zu Schaftolzheim und uf des Brusce da zu lantwere gegen enander. »56

Bien que de nombreux auteurs affirment que Strasbourg jouissait d'une indépendance notable face à l'Empire, il est intéressant de noter qu'elle était le siège d'importantes rencontres à caractère impérial. En accueillant ces têtes dirigeantes, la ville entretenait des liens constants avec l'Empire.

L'entente entre les deux rois élus se termina lorsque Frédéric d'Autriche fut emprisonné et que Louis de Bavière fut sacré empereur. Après avoir payé une forte rançon pour sa libération, le duc d'Autriche se lia d'amitié avec son compatriote. Puis, les deux conclurent une entente: tandis que l 'héritier Habsbourg concéda le titre d'empereur à Louis de Bavière, ce dernier, en retour, abandonna tout droit de regard

55 Hans Haug. La cathédrale de Strasbourg, p.I8. 56 Chroniques de Closener, p.68

Figure

Figure 1.  Vue d'ensemble de la cathédrale Notre-Dame de Strasbourg.
Figure 3. Dessin de la reconstruction de la cathédrale romane de Strasbourg.
Figure 6.  Cathédrale Notre-Dame,  Strasbourg. Chapelle Saint-André.
Figure 7.  Cathédrale Notre-Dame, Strasbourg. Façade occidentale. Relevé  photogrammétrique de l'Institut Géographique National
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