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La « démocratie électronique », du discours à l’expérimentation : effectuation d’une utopie technologique.

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Academic year: 2021

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La “ démocratie électronique ”, du discours à

l’expérimentation : effectuation d’une utopie

technologique.

David Alcaud, Amar Lakel

To cite this version:

David Alcaud, Amar Lakel. La “ démocratie électronique ”, du discours à l’expérimentation : effectu-ation d’une utopie technologique. . XVIII e CONGRES INTERNATIONAL DES SOCIOLOGUES DE LANGUE FRANÇAISE, Jul 2008, Istanbul, Turquie. �hal-01757122�

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David Alcaud

davidalcaud@club-internet.fr Amar Lakel

alakel@u-paris10.fr

La « démocratie électronique »

Du discours à l’expérimentation : effectuation d’une utopie

technologique.

Le 20 janvier 2004, le ministre français de l’éducation, Luc Ferry, déclarait :

« Je [Luc Ferry] voudrais rappeler quelques éléments objectifs concernant le grand débat national sur l’école. […] Il ne s’agit pas d’un sondage mais de priorités dégagées au terme de débats qui, dans la majorité des cas, ont duré plusieurs heures. Cela est différent d’une consultation par un institut de sondage de Français qui n’auraient pu, au préalable, s’approprier un certain nombre d’éléments par l’intermédiaire de documents préparatoires et discuter entre eux pour définir des priorités dont, bien entendu, nous tiendrons compte. […] J’ai parlé de démocratie directe. Bien entendu, la formule était un peu excessive. L’essentiel pour nous, c’est d’abord et avant tout la représentation nationale. »

Les discours publics ont toujours associé l’usage des TIC, et en particulier de l’Internet, à une réflexion sur la conduite de l’action publique et sur le renouvellement de l’espace public démocratique. Notre article souhaite participer à la réflexion des évolutions majeures qui concernent les théories et les pratiques du pouvoir dans un environnement technologique qui est apparu aux yeux de nombreux acteurs comme radicalement nouveau. Par un double regard de politiste et de chercheur en sciences de l’information sur les principes et les modalités de la mise en œuvre de l’e–gouvernement et de l’e–administration en France, nous tenterons d’évaluer la réalité d’une nouvelle relation entre les citoyens et le pouvoir politique institué. En effet, les réformes administratives sont de plus en plus présentées comme un moyen d’accorder aux usagers et aux « ressortissants » de l’action publique, la reconnaissance sociale que le fonctionnement des services publics ne leur assurait pas. Le discours de la réforme engagée par les pouvoirs publics repose non seulement sur la volonté de répondre aux critiques fonctionnelles et structurelles visant l’Etat mais aussi de modifier en profondeur la nature de la relation entre les administrations et « leurs publics ». C’est dans cette optique que le concept de « e–gouvernement » est particulièrement emblématique : il s’agit simultanément de soigner les maux responsables de la crise de confiance en l’Etat et de repenser la relation entre les administrations publiques et leurs usagers. Les vertus attribuées aux nouvelles technologies de l’information et de la communication font ainsi figure de solutions permettant de résoudre les dysfonctionnements du modèle bureaucratique et de favoriser l’émergence d’un espace démocratique inédit.

Les approches théoriques qui ont pour objet l’espace public médiatisé ont depuis longtemps dessiné les contours d’un nouveau paradigme : la démocratie électronique. La première révolution dite cybernétique fut accompagnée de discours profondément technophiles qui annonçaient les bienfaits qui en découleraient pour la société. Parmi ces auteurs Norbert Wiener (Wiener, 1964), l’inventeur de la cybernétique, Marshall McLuhan (McLuhan, 1989) et son « village global », et Alvin Toffler (Toffler, 1980) furent les

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grandes figures des années 60 que l’on relut dans les années 90 avec l’arrivée de l’Internet. Les nouvelles technologies sont venues relancer le débat sur le potentiel « d’empowerment » de la citoyenneté par la construction d’un espace public démocratique médiatisé. A chaque nouvelle technique, une nouvelle génération se partage entre enthousiastes et critiques. Des auteurs comme Nicholas Negroponte et Pierre Levy annoncèrent très tôt la démocratisation de la production de sens (LEVY, 2002 ; NEGROPONTE, 1995). A l’inverse, des auteurs comme André Vitalis, Paul Virilio et Dominique Wolton multiplient les mises en garde contre les effets sociaux ou les mirages néfastes de l’Internet1

. La recherche en sciences sociales tenta par la suite d’adopter une vision plus empirique à partir d’enquêtes sur les acteurs engagés. Un premier groupe d’auteurs eut une approche d’analyse critique théorique à partir du milieu des années 90. Lucien Sfez, Armand Mattelart, Pierre Musso et Philippe Breton ont analysé l’idéologie communicationnelle qui découle des NTIC (BRETON, 2000 ; MATTELART, 2000 ; MUSSO, 2003 ; SFEZ, 2002). Depuis quelques années, des sociologues, des politistes et des chercheurs en sciences de l’information et de la communication développent une approche empirique à partir des premiers cas de mise en place des systèmes ouverts d’information, autour notamment du thème de la démocratie électronique2

. Inspirés notamment par des études américaines de « teledemocracy », telles qu’elles furent notamment menées par Arterton, Barber et Held. Gérard Loiseau, Anne Marie Gingras, Thierry Vedel, Erik Neveu, Isabelle Paillart et Bernard Miège développent notamment une approche empirique pour tester la réalité des changements en cours.

Il n’est donc pas surprenant que les conceptions de la démocratie électronique aient suscité une littérature importante, s’efforçant de mesurer les effets sur la démocratie classique. Pour autant, avons-nous le recul nécessaire pour modéliser tant les usages politiques que sociaux de l’Internet ? Ces derniers sont encore très évolutifs et leurs effets en cours d’analyse dans la recherche en science sociale. Si le processus d’innovation institutionnel peut être observé dans de nombreux exemples, peut-on réellement anticiper les résultats ? Dans le cadre de cette étude nous avons voulu souligner la situation de la démocratie électronique en France au regard de l’innovation organisationnelle produite par le renouveau d’une politique publique des NTIC. Le rapport entre technologie de l’information et de la communication et la construction d’un espace public démocratique n’est plus remis en cause depuis l’émergence des problématiques communicationnelles de l’œuvre d’Habermas. La médiation de la communication est entrée de plein droit dans les problématiques politiques. Du discours improvisé sur la place du marché au site Internet, l’espace public n’a cessé d’être réinterrogé par la matérialité des dispositifs communicationnels de médiation3. Enfin, l’explosion de l’électronique puis de l’informatique grand public au début des années 80, et de l’Internet au début des années 90, a généralisé la médiation technique du citoyen dans son rapport au monde, parachevant ainsi une révolution technique des moyens de communication, qui avait débuté avec l’imprimerie (MATTELART, 2001 ; FLICHY, 1991). Dans un second temps, tous les auteurs s’accordent à souligner l’évidence qui consiste à rappeler que la technologie (qu’elle soit de communication ou non) apporte une série de nouvelles potentialités d’actions qui peuvent bouleverser le rapport au monde et aux autres. Ces technologies viennent souvent agir sur le système de coûts et les contraintes qui pèsent sur la réalisation d’un objectif

1 Nous renvoyons aux ouvrage de Philippe Breton (BRETON, 1987, 1989, 2000) et celui de Denis Monière,

(2002) pour le schisme sur la question politique entre optimistes (Charles Firestone, Stefano Rodota et Ian Budge) et pessimistes (Richard Davis, Anthony Wilhelm).

2 Réseau DEL 3

Voire à ce titre l’important travail critique du philosophe Paul Mathias (MATHIAS, 1997) et

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(comme par exemple échanger des informations). Les nouvelles technologies de l’information et de la communication semblent à ce titre opérer une modification radicale des déterminations qui pesaient sur les procédures qui visaient à échanger du sens (sans pour autant réduire ces déterminations à un discours marketing de la facilitation). S’appuyant sur l’analyse des discours et sur les entretiens de recherche menés auprès d’acteurs de la modernisation, il s’agit de montrer dans cette communication en quoi les NTIC concourent à la réflexion sur l’évolution du pouvoir démocratique4. La démarche comprend deux étapes : décomposer d’une part les discours des acteurs publics institutionnels autour du potentiel de l'Internet pour la régénération de l’espace public démocratique ; souligner, d’autre part, les apports de l’expérimentation en matière de délibération assistée par ordinateur. Nous tenterons finalement de dégager, les tendances actuelles d’une problématisation de la question de la « démocratie électronique ».

I – Les discours des politiques publiques de la « société de

l’information » : assurer la diffusion des infrastructures

Le véritable engouement des acteurs sociaux pour ce nouveau mode de communication semble venir confirmer la réelle innovation permise par les NTIC. On a pu observer l’émergence de nouveaux modes de sociabilité en réseau basés sur une communication par contagion. Les NTIC ont clairement montré leur capacité à non seulement faciliter les relations sociales mais aussi à permettre la création de nouvelles modalités d’échange. Dans le rapport gouvernant/gouverné, c’est l’émergence du citoyen producteur d’informations et non plus simple consommateur qui est apparue comme la plus grande nouveauté dans la tradition de l’espace public médiatisé. Pourtant, les interrogations n’en restent pas moins des questions ouvertes. L’enjeu de l’espace démocratique médiatisé doit rester, par le potentiel même des NTIC, une question politique reposant sur l’étude des stratégies d’acteurs au regard de leurs discours prospectifs.

La vision des acteurs politiques : Favoriser l’économie

informationnelle

Dans quelle mesure les NTIC ont-elles été intégrées au discours de modernisation et à l’effort de démocratisation des pouvoirs publics ? Si, à première vue en effet, les acteurs politiques valorisent le potentiel technologique des NTIC pour faire aboutir un projet ambitieux de la démocratie contemporaine, il convient d’analyser les discours et les dispositifs de plus près pour mesurer la forme et la place dévolues aux aspects démocratiques. Les Etats-Unis sont apparus en tête sur la scène internationale. Le 11 janvier 1994, Al Gore, vice-président des Etats-Unis, vient défendre au Super Highway Summit, à Los Angeles, la National Information Infrastructure (NII), lancée en septembre 1993, devant une assemblée d’entrepreneurs des nouvelles technologies. Il expose les dispositifs législatifs qu’il souhaite mettre en place pour lancer le programme. « in a manner which will connect and empower the citizens of this country through broadband, interactive communication » (GORE, 1994a). Pour réagir au programme américain, le Conseil de l’Europe commande un rapport à un groupe d’experts. Cette étude sur une « infrastructure in the sphere of information » devait servir de base au programme pour une « European Information Infrastructure » (EII), qui

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Cette étude est le troisième volet d’une réflexion sur les politiques actives de transformation des relations Etat-Société par l’introduction des NTIC.

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soutiendrait la comparaison avec la NII. Le 26 mai 1994, le commissaire européen Martin Bangemann présente un rapport que l’on citera dans le milieu comme le « rapport Bangemann ». Il est le fruit d’acteurs très divers, qui au niveau européen, se sont engagés pour penser l’économie de l’information en Europe. La première caractéristique de ces rapports est la redéfinition des rapports privé/public. Pour Al Gore, la convergence Multimédia annonce l’émergence d’un nouveau secteur de l’économie très particulier, en ce qu’il touche la communication humaine. Le marché réussirait à accomplir par lui-même les objectifs publics qui visent à réduire la fracture numérique. La première réforme viserait à effacer les frontières entre politique publique et investissement privé. Dans un champ commun de préoccupations, les acteurs doivent partager les buts et les méthodes. Le rapport souhaite voir une fusion des rationalités économiques et publiques. Ainsi, les nouvelles technologies sont associées à une productivité des services qui apporterait le bien-être au plus grand nombre. La compétitivité équivaut ici à l’égalité sociale par la chute des coûts de production et le renforcement de l’économie. Ce discours est assez largement repris au niveau européen5.

La France engagera, trois ans plus tard, son Programme d’Action Gouvernemental pour la Société de l’Information, qui reprendra ces différents programmes, en y ajoutant néanmoins une modalité particulière : l’Etat dans son rapport à la société. Le discours de Lionel Jospin à Hourtin, qui lance le PAGSI, souhaite défendre une vision plus politique que technique : « Au-delà de sa dimension technique, l'émergence d'une société de l'information représente en effet un défi politique et constitue, à ce titre, une préoccupation essentielle pour mon gouvernement. » (JOSPIN, 1997) La question des NTIC sera abordée directement sous l’angle politique des usages. C’est à ce titre que Lionel Jospin justifiera l’intervention de l’Etat par le lancement de son grand programme. Le thème des défis à relever par la France légitimera un engagement massif et volontariste de la part du gouvernement. Contre les critiques de nature « libérale », Lionel Jospin veut présenter sa position comme plus interventionniste, plus keynésienne. Mais ce qui est nouveau, c’est la prise en compte d’un discours critique envers le développement de l’Internet. Il est en ce sens l’héritier d’un « contre rapport » Bangemann qui, de 1996 à 1997, avait suscité un engouement intellectuel certain (SOETE, 1997). L’Etat se donne le devoir de s’accaparer l’invention pour lui donner le sens d’un usage sociétal. L’Etat est donc cet espace d’innovation politique où les autoroutes de l’information laissent place à un projet de société de l’information. « La société de l'information sera ce que nous déciderons d'en faire. Voilà pourquoi il nous faut proposer aux Français un projet et une vision politique dans ce domaine. Cette vision politique, c'est celle d'une société de l'information solidaire. » (JOSPIN, 1997).

Mais cette vision d’une politique de soutien de l’offre et de la demande, insistant sur la formation des futurs citoyens/consommateurs de service n’aborde que très allusivement la question de la démocratie. L’Ecole, la culture et les services publics apparaissent ainsi comme trois champs d’investissement privilégiés pour l’Etat car ils permettent d’user légitimement des subsides publics avec pour objectif une retombée qui favorise directement le développement d’un marché de l’Internet tout en assurant des services légitimes sur le point politique. Jean-Pierre Raffarin reprendra les domaines d’intervention du PAGSI pour réaffirmer la politique des grands travaux où une liste de projets phares jouera à la fois le rôle

5 « The widespread availability of new information tools and services will present fresh opportunities to build a

more equal and balanced society and to foster individual accomplishment. The information society has the potential to improve the quality of life of Europe's citizens, the efficiency of our social and economic organisation and to reinforce cohesion. » (BANGEMANN, 1994)

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de principe de balise, d’incitation de l’offre et de la demande et enfin de modernisation des modes d’action de l’Etat (ALCAUD, LAKEL, 2003).

Une perspective sociale réduite au thème de la « fracture

numérique »

C’est dans le cadre référentiel de l’économie numérique que se développera une préoccupation « assurancielle » sur la question des exclus de la société de l’information. La National Information Infrastructure s’appuyait en grande partie sur une politique de la demande derrière le thème de la « Society of Information « Haves » and « Have Nots » » (GORE, 1994a). Cette politique fut reprise en France quelques années plus tard sous le thème de la « fracture numérique ». Les acteurs publics en France n’hésitent pas à faire un constat : laissées aux libres forces du marché, les NTIC aggravent les inégalités. Les analyses des rapporteurs soulignent partout les inégalités qui se font jour. De ce fait, la politique compensatrice est justifiée, qui plus est si les NTIC sont parallèlement la source du renouveau du pacte social.

« L’éviction d'une partie de la population des NTIC et de leurs usages est une nouvelle forme d'exclusion sociale possible dans les cités urbaines. [De plus] l’ouverture de la concurrence au secteur des Télécom impose le critère de rentabilité d’où le danger de la désertification et de l'abandon d'une partie de la population. Le risque est grand dans les NTIC pour la politique de cohésion sociale dont l’Etat est le garant et pour la solidarité nationale au regard de l’équité des territoires et de l'égalité des citoyens. » (D’ATTILIO, 1998)

Sur la focalisation d’une redéfinition des services universels d’accès à la culture, les NTIC sont sommées de rendre possible l’accès de tous au savoir, à la culture et à l’ensemble des prestations de l’Etat. C’est donc par une logique de l’accès aux ressources informationnelles que la politique publique des NTIC souhaite assurer la cohésion sociale dans l’égalité de consommation.

En somme, d’un « Accès de tous à tout », deux grands combats seront associés à l’intégration des NTIC en France : la cohésion territoriale et l’exclusion sociale. Ce thème de la fracture numérique se combine avec celui de l’aménagement du territoire qui vise à assurer une égalité d’accès à tous les citoyens, quel que soit leur lieu d’habitation sur le territoire national. A partir du lancement du programme du PAGSI, le thème de la « Fracture numérique » deviendra un leitmotiv de la justification de l’Etat dans le financement des autoroutes de l’information. « Exigences de garantir le développement démocratique de la société de l'information : éviter la société de l’information à deux vitesses. Les NTIC sont fondamentalement des technologies culturelles. » (D’ATTILIO, 1998) Bruno Lasserre cherche à légitimer l’engagement dans la réforme par les NTIC dans la spécificité de l’Etat (qu’il distingue du modèle réducteur de prestataire de services). La solidarité et l’égalité sont invoquées ici comme socle de la culture du service public à la Française.

« L’administration, peut-être particulièrement en France, n’est pas dans la société un intermédiaire comme les autres, que les réseaux pourraient rendre obsolète, comme ils le feront peut-être pour certains intermédiaires commerciaux ou financiers. Le service public est aussi une exigence qui trouve dans la société de l’information des formes renouvelées, par exemple dans la nécessité d’éviter l’apparition d’une nouvelle « fracture numérique » entre ceux qui sont connectés et les autres. » (LASSERRE, 1998) La fracture numérique sera un passeport d’entrée des investissements publics dans l’économie numérique.

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Le village global : du partage citoyen à la démocratie

Des fragments lyriques de l’idéologie communicationnelle sont pourtant présents dans tous les discours publics. Le développement de la communication médiatisée devient la solution à tous les problèmes sociaux, économiques, politiques et environnementaux. On pourrait citer de nombreux discours d’Al Gore qui s’en est fait le chantre6

. On retrouve dans le discours de Lionel Jospin des références explicites à la démocratie :

« Les bouleversements introduits par les technologies de l'information dépassent largement le seul enjeu économique : l'essor des nouveaux réseaux d'information et de communication offre des promesses sociales, culturelles et, en définitive, politiques. La transformation du rapport à l'espace et au temps qu'induisent les réseaux d'information permet des espoirs démocratiques multiples, qu'il s'agisse de l'accès au savoir et à la culture, de l'aménagement du territoire ou de la participation des citoyens à la vie locale. » (JOSPIN, 1997).

L’argumentation de Jean-Pierre Raffarin s’inscrit dans la même veine : « Sur le plan politique, elles [les NTIC] sont un moyen formidable de faire tomber les murs trop nombreux que comporte encore la société française, de s'affranchir des vieilles hiérarchies, de donner la parole à ceux qui ne l'ont pas. Elles contribuent également à instaurer de nouvelles relations entre le citoyen et l'administration ou les élus. »

La revitalisation de la démocratie serait donc la conséquence logique du bon usage des NTIC : « The development of GII must be a cooperative effort among governments and peoples. It cannot be dedicated or built by a single country. It must be a democratic effort. And the distributed intelligence of the GII will spread participatory democracy. » (GORE, 1994b) De nombreux auteurs, parmi lesquels Lucien Sfez et Philippe Breton ont montré le glissement progressif vers un usage métaphorique et politique de la technique informatique. L’Internet devient ainsi très naturellement le moyen ultime de la revitalisation de la démocratie représentative en crise dans le cadre de la société de l’information. Le thème d’un nouveau « Pacte social » (RONDEAU, 1997) se retrouve dans les mots de l’un des pères de la société de l’information en France, Jean-Paul Baquiast : « Refonder un contrat social entre l'Etat, ses citoyens et ses administrations en repensant les valeurs démocratiques fondamentales à travers une approche par la négociation, le volontariat, la préservation du temps d’adaptation. » Cela étant dit, l’étude précise des usages des NTIC par l’Etat français montre que la part laissée à la démocratie électronique est associée à la volonté prescriptive et assurancielle plus propice à une figure de l’Etat providence. Les rapporteurs en charge d’élaborer le PAGSI développeront progressivement un programme ambitieux de restauration démocratique. Mais ce dernier sera avant tout axé sur la qualité des services publics rendus à l’usager comme indicateur d’une bonne démocratie.

II. La démocratie électronique participative cantonnée à

une démarche expérimentale.

Un engagement par contournement : apporter la parole publique à

tous les citoyens

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« As Thomas Jefferson said, “He who receives an idea from me, receives instruction himself without lessening

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On le voit de l’intérieur, la place accordée à la démocratie électronique apparaît relativement secondaire dans le processus de réforme. Les gouvernants utilisent assez peu les nouvelles technologies de l'information de la communication dans une perspective de démocratisation de l'Etat. Si le processus de gouvernance démocratique, axé sur un dispositif de délibération, peut se décomposer en 4 « axes » (information, discussion, décision et évaluation), force est de constater que le PAGSI n’a assigné aucun des six projets prioritaires au développement de la démocratie électronique (LOISEAU, 2000). Les nombreuses études consacrées aux acteurs publics dans le cadre du démarrage de la politique publique des NTIC ont souligné les réticences de ces derniers à s’engager dans une réforme qui s’apparenterait à une remise en cause de la démocratie représentative.

Pourtant à la lecture attentive du PAGSI, on peut relever des allusions clairsemées à une ouverture aux processus de la démocratie électronique. Il y a eu une véritable démarche d’information du public (ALCAUD, LAKEL ; 2004). L’appui à la Fête de l’Internet, d’origine associative, la volonté d’engager le maillage territorial des bibliothèques et des établissements scolaires pour développer une politique de sensibilisation, le développement des publications en ligne des documentations d’orientation politique, très largement accepté par les acteurs publics tant il renforce cette légitimité pédagogique, presque paternaliste de l’Etat. Mais parallèlement, une véritable ouverture vers plus de transparence amène le PAGSI à proposer la publication des documents et des délibérations avant même la prise de décision afin de permettre l’engagement dans les débats en cours. Cette invitation à la délibération est renforcée par l’idée « d’engager le débat public sur l’entrée de la France dans la Société de l’Information » et de « soumettre les propositions de l’Etat aux autres acteurs. » Ces politiques d’ouverture sont passées, de 1997 à 2004, du stade de gadget du marketing politique à un véritable outil de délibération publique. Pour autant, dès le début, les plus engagés dans le projet de la Société de l’Information se prenaient à rêver : « imaginez comment vous pourriez collaborer dans des objectifs communs. Imaginez une administration plus participative et plus démocratique. » (BAQUIAST, 1998). La dimension à proprement collaborative et co-décisionnelle était agitée comme un espoir futur, capable de refonder le lien d’une communauté sur le mythe Habermassien. « Les NTIC répondent à cette demande et permettent aux citoyens une participation active à la société. » (D’ATTILIO, 1998)

Intégrées au processus de débat public, les NTIC peuvent être des instruments aux facettes multiples qui s’appuient sur des dispositifs procéduraux d’une extrême diversité. Elles ne sont pas, par nature, le medium d’une discussion démocratique dans un espace public où acteurs de l’Etat et citoyens peuvent converser. Pourtant, on a pu constater depuis deux ou trois ans un net développement de ces lieux de débat sur la scène nationale, rattrapant ainsi progressivement le retard que le niveau national avait pris sur la participation électronique locale. La mise en place d’un portail de la vie publique (vie-publique.fr), est à relever. Ce portail, outre l’accès très complet à l’instruction civique et à l’ensemble des sources d’informations les plus exhaustives (Bibliothèque complète et gratuite des rapports publics, accès aux discours publics, chronologie récapitulative des grands moments de l’action gouvernementale, etc.) est un fait aujourd’hui largement salué et offre deux annuaires qui en font la clé d’entrée dans l’espace public électronique institué par le gouvernement national. L’annuaire des « sites de référence de la vie publique » permet d’accéder à presque toutes les institutions officielles de l’Etat français, à l’ensemble des partis politiques, aux associations professionnelles et syndicales et aux sites d’information publique (Légifrance, Journal officiel, Eur-Lex, etc.). Une autre entrée permet d’offrir un répertoire des forums publics afin d’accéder directement, par des liens profonds, aux débats classés par grandes catégories (Administration, Aménagement, Culture, etc.). Ce répertoire est non seulement exhaustif sur

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les forums institutionnels, mais il met au même niveau des forums de discussion institutionnels et associatifs, voire semi-privés (liés à des clubs ou des associations professionnelles).

La démarche de mise à disposition de l’information publique a largement profité de la révolution Internet. La quantité et la qualité de l’information, accessible à un coût marginal, ont apporté non pas un surplus de transparence mais une plus grande égalité d’accès à l’information officielle. A ce titre, la rationalité de diffusion de l’information a été menée avec efficacité et célérité. Dans le cadre d’une démocratie « représentative », la communication asymétrique qui dispose un émetteur face à un récepteur ne semble pas avoir posé problème aux différentes stratégies d’acteurs.

Les forums : symbole de la démocratie retrouvée ?

Un second niveau d’analyse apparaît si l’on cherche l’accès à la délibération sur les sites du gouvernement (ex. premier-ministre.gouv.fr). Ce dernier ne donne pas accès à des forums de discussion mais renvoie directement au site forum.gouv.fr, qui rassemble l’ensemble des débats proposés par le gouvernement sous la houlette du Premier ministre et du service d’information du gouvernement. Le site du gouvernement renvoie, par des liens publicitaires, à certains des forums événementiels (débat-spectacle.org sur le statut des intermittents, le civs.gouv.fr sur l’indemnisation des victimes de la spoliation, smsi.internet.gouv.fr sur le sommet mondial de la société de l’information, le débat sur l’avenir de l’école, etc.). Les sites de l’Assemblée nationale, du Sénat et des ministères complètent ce niveau d’accès en offrant leurs propres forums. Vient ensuite un maquis de sites événementiels très difficiles à trouver, visant à porter le débat public sur des thèmes très divers. A cela, il faut ajouter les sites ayant une approche plutôt transversale de « politique publique » comme Internet.gouv.fr pour le programme sur la société de l’information ou allo119. gouv.fr sur l’enfance maltraitée. Enfin, les sites ouverts ou hébergés traitant des grands rapports publics, et ayant connu assez de publicité, entrent dans cette catégorie de la « démocratie événementielle ». Pourtant, de nouvelles institutions, plus fortement ancrées dans la théorie communicationnelle de la démocratie électronique, sont sans aucun doute des objets privilégiés de la tentative de construire un espace public démocratique et électronique : le site du Forum des droits sur l’Internet ou encore debat-public.fr de la Commission Nationale du Débat Public, qui couvre les questions d’aménagement du territoire. Le premier est certes une structure associative de droit privé, soigneusement mise à l’écart des institutions officielles, mais il se veut l’incarnation des théories Habermassiennes de la discussion rationnelle tendant au consensus (LAKEL, 2005). Le second est le produit de la l o i d u 2 7 f é v r i e r 2 0 0 2 , relative à la démocratie de proximité qui fait du CNDP une autorité administrative indépendante, au service de la politique d’environnement et d’aménagement du territoire.

C’est pour autant une analyse critique des formes procédurales qui permettrait de qualifier ces nombreux espaces électroniques de publics et démocratiques. D'une part, force est de constater que le degré de généralisation des débats en est au stade d’expérimentation. Loin de constituer un recours systématique, la constitution d’un espace public électronique est très ponctuelle et s’intègre encore à une logique marketing, qui vise à associer la technologie à la figure de modernité et d’ouverture dans les débats largement médiatisés. Ainsi, la présence hasardeuse de tel ou tel débat ne favorise pas l’engagement citoyen. Ce dernier n’a plus de rapport avec des institutions auxquelles il se réfère comme membre d’un Etat

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démocratique, mais à des événements qui émergent comme des occasions sporadiques de discussion. Bien souvent, on découvre les débats une fois clos et on ne peut accéder à ces archives (à ce titre, les forums du site du Minefi sont très symptomatiques). Ainsi, seule une veille permanente pour des raisons de lobbying vous met au fait de la délibération. Ces espaces sont confinés à des lieux virtuels très flous, sans statut réel. Peu de forums expliquent leur mode réel d’existence, autre que technique ainsi que leur rapport aux institutions qu’ils représentent. Il n’est pas rare de voir des citoyens discuter entre eux, sans interlocuteur autre que le webmestre, intervenant pour répondre à des questions souvent de nature technique. Îlots virtuels en déshérence, la plupart ne sont amarrés à aucune loi, ni à aucun règlement institutionnel. Les acteurs publics y sont totalement absents, rendant totalement illégitimes ces lieux de débat. Ainsi, le taux de participation ne dépasse que rarement le seuil de la centaine d’intervenants. Ce sont la plupart du temps des espaces peu investis, qui ne mobilisent pas le « quorum » acceptable. Cet isolement est renforcé par un détachement très fort de la discussion par rapport au processus complet de la délibération publique. Bien souvent pensés comme un « livre d’or » où l’on viendrait apporter un commentaire ponctuel, ces forums ne sont pas intégrés à un véritable processus de consultation.

Des forums comme ceux du droit sur l’Internet, mais surtout ceux du CNDP sont pourtant là pour servir de point de référence du produit d’une volonté politique réelle. Un espace d’information complet avec possibilité d’interpellation des acteurs publics engagés, une délibération clairement intégrée au processus global de délibération, une légitimité réglementaire et légale, une forte présence des acteurs publics dans le débat, la possibilité de faire des liens vers des documents et des lieux de discussion citoyens et une co-gouvernance de la conduite du débat sont autant de règles procédurales qui se rapprochent des normes démocratiques construites depuis plus de deux cents ans. Le terme électronique ne saurait faire oublier que l’engagement des citoyens ne peut que très rarement se baser sur une démarche spectaculaire. Les études ont nettement montré que les lieux de débat qui répondaient aux minima imposés par notre culture démocratique avaient plus de chance d’emporter l’adhésion. Aucun forum électronique ne semble échapper à cette règle. 7

Questionner les prototypes de démocratie participative.

Les NTIC ont toutefois encouragé la mise en place d’expériences des procédures de consultation. De l’évaluation d’Arterton sur les expériences locales de « teledemocracy » (1987) à celle de Monnoyer-Smith sur la consultation autour du 3ème aéroport parisien (2004) en passant par l’évaluation de Gérard Loiseau sur les sites municipaux, on peut tout d’abord souligner trois conséquences de ces techniques sur le processus de décision publique.

1. La dynamique proactive a fait que le public a été globalement mieux informé. L’engagement des acteurs publics à s’expliquer, élus et administrations compris, a rompu dans bien des cas ce réflexe de l’ombre. La mise en place d’un circuit de questions des usagers a été grandement facilitée ; la capacité d’expression de tous les lieux de compétences et de savoirs dans un espace ouvert et non hiérarchique a permis aussi d’assurer une connaissance très complète du processus.

2. L’interpellation des citoyens et leur participation ont parallèlement généré de nouvelles modalités de socialisation et des engagements réels au sein de la communauté, dans une frange de la population qui s’exprime rarement. La

7 A ce titre, si le Forum des Droits sur Internet a pu être un exemple de discussion des politiques publiques en

ligne, le passage de la discussion à la décision a profondément discrédité ses dispositifs. Le débat sur la Carte Nationale d’Identité Electronique en est un exemple caricatural. La qualité de la délibération a été aussi grande que le dédain du Ministère de l’intérieur à considérer le fruit de cette délibération.

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construction en commun du sens d’une politique publique, les batailles et les prises de position ont permis de restaurer le lien des individus engagés avec le destin de leur collectivité. Alliance et adversité ont amené les citoyens à s’identifier, à s’allier ou à négocier non seulement avec la figure tutélaire, mais avec leurs « voisins ». Le nombre d’acteurs ayant participé à l’élaboration d’un sens commun a fortement augmenté. Que la délibération soit institutionnellement liée ou non à la décision, le jeu politique s’est largement ouvert permettant d’échapper au système lobbyiste restreint (LAKEL, 2005).

3. La mobilisation a su développer des stratégies à tous les niveaux et a obligé à prendre en compte le point de vue de tous les acteurs qui se sentaient concernés par les mesures. Mais cette invitation à la parole et à l’engagement citoyen a très tôt connu une dynamique sociale propre, un accaparement lui donnant un sens nouveau au fur et à mesure de l’usage de ces institutions. Suivant une dynamique propre à l’innovation (qui se différencie de l’invention), l’organisation du débat est restée une œuvre ouverte qui a généré une lecture particulière de la part des citoyens.

L’ouverture continue des débats par les NTIC a permis de diminuer le principe de rareté dans la prise de parole. Ainsi, on a pu voir émerger un spectre plus large de régime discursif laissant place aux paroles individuelles, personnelles, voire intimes. Les intérêts particuliers se sont autorisés à exister dans le champ public. Ainsi, le système délibératif en ligne a permis aux intervenants qui le souhaitaient de se penser un droit à la revendication dans la collectivité. On a pu observer un phénomène d’apprentissage et d’acquisition des compétences, indispensable à la parole publique argumentative. Parallèlement à l’apprentissage des règles du discours public argumentatif, l’acceptation de l’autre, la compréhension systémique de l’interrelation de chaque position a permis une compréhension plus étendue des contraintes politiques. À tel point que l’analyse des forums souligne bien souvent un accaparement, voire une autonomisation des usagers qui en viennent très fréquemment à mener les ordres du jour vers des directions imprévues. La dynamique des argumentations peut faire dévier de la question de départ quand celle-ci se révèle moins pertinente aux yeux des usagers qu’une autre qui aurait émergé au fil de la discussion. Cette dynamique de décadrage, voire de renversement de la question posée, révèle une liberté clairement assumée par les citoyens dans l’expression de leur statut. Il n’est donc pas rare de voir les usagers « prendre le pouvoir » dans ces systèmes argumentatifs, en usant de la relation de pouvoir mise en place. Loin d’accepter les règles du jeu une fois pour toutes, les usagers finissent par faire pression sur les organisateurs pour introduire des modifications aux règles instituées, pour s’octroyer de nouveaux pouvoirs, pour renégocier la gouvernance du système. Ainsi la présence de tel ou tel institutionnel sommé de répondre, l’accès à des informations traditionnellement réservées aux experts, sont autant de modifications de l’ordre discursif institué.

L’usager comprend très vite le système de pouvoir dans lequel il est engagé. Il possède une ressource clé qui provoque la dépendance des organisateurs politiques : l’adhésion. L’adhésion, comme source de légitimité du processus de délibération, est toujours utilisée comme moyen de pression pour changer le système. Le jeu de l’accusation d’illégitimité, de mascarade, de faux discours, de manipulation permet de maintenir à l’esprit la possibilité d’une remise en cause, voire d’un arrêt des négociations. Cette entrée des usagers dans le système des relations de pouvoir est suffisamment nouvelle pour bouleverser les habitudes des acteurs et les amener à se remettre en cause. Chacun est amené à partager ses ressources, à argumenter et à justifier la légitimité de son pouvoir, à discuter ses prises de position. Certains de ces acteurs institutionnels ont vécu ce changement comme une reconnaissance de leur

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travail, d’autres comme une remise en cause difficile, et d’autres enfin ont refusé de jouer le jeu considérant qu’ils y perdraient trop. Les usagers ont vu en leur sein l’émergence d’une nouvelle classe de médiateurs que Thierry Vedel a pu qualifier de « nouvelle petite bourgeoisie du numérique ». Une classe sociale ayant du temps, des compétences cognitives permettant la constitution de dossiers argumentaires, une certaine expertise de la chose publique ou de l’objet discuté, un moyen d’accès de qualité à l’Internet, voire la capacité de produire des interfaces de médiation (forums, sites alternatifs) et qui ont su s’imposer dans les discussions et fédérer les usagers autour de positions dont ils ont été les leaders.8

III – La critique procédurale de la démocratie électronique

La démocratie électronique relève de l'idée selon laquelle la légitimité résulte moins de la rationalité de la décision que de la procédure qui la fait émerger. L'action politique est perçue comme le résultat d'une négociation collective dans le cadre de rapports de forces et non plus comme totalement imputable à une autorité souveraine et rationnelle. Dès lors, ces nouvelles formes de débat ouvrent l'espace public politique à des acteurs et à des formes d'expression plus émotionnelles, narratives et débordent le cadre de la délibération, défini par Habermas. Ceci n'est pas sans conséquence sur la conception de la citoyenneté ni sur la construction des idéaux types de la démocratie électronique, qui retrouvent aussi les tensions traditionnelles de la démocratie. Le statut de la délibération, favorisé par les NTIC, reste néanmoins controversé. Pour Chambat et Fourniau par exemple, l’attention accordée aux débats publics répond d’abord à « un déficit de légitimité du politique, au débordement par des pratiques démocratiques réactives des temps et des lieux de la démocratie instituée ou gouvernante » (CHAMBAT, FOURNIAU, 2001). Incontestablement, la loi Barnier, qui a institué la Commission Nationale du Débat Public en 1995 et la Loi sur la Démocratie de Proximité en 2002, qui en étend les attributions, manifeste la reconnaissance d’un droit à la participation plus large et au débat public en amont de la décision. Pour Fourniau et Chambat, le débat public introduit une « nouvelle représentation des rapports entre participation et décision » pour notre culture politique extrêmement réticente à ces égards. Il reste à prouver que ces procédures aboutissent à un véritable partage du pouvoir décisionnaire et que les

8 L’étude de Monnoyer-Smith relative au 3ème aéroport est très révélatrice : elle analyse le processus de

concertation mis en oeuvre pour le choix du plan d’implantation de la troisième plate-forme aéroportuaire de la région parisienne. Cette mission a été confiée au président de la commission nationale du débat public (CNDP) avant que n'entre en vigueur la nouvelle loi de démocratie de proximité qui encadrera par la suite ce type de débat. Elle analyse les usages qui en sont faits et montre le retour du particulier dans les débats publics en ligne. Elle relève la forte expression par les individus de préoccupations personnelles, des jugements affectifs faisant valoir des intérêts particuliers, plus difficiles à tenir en situation de confrontation directe où le point de vue de l'individu tendant à s'effacer devant la prise de position revendiquée comme collective. Les règles de participation apparaissent en constante renégociation : en ramenant sur le devant de la scène la question de l'opportunité du troisième aéroport, les participants au forum redéfinissaient rapports de forces en présence d'une façon défavorable aux initiateurs de la mission. Le système mis en place échappe largement à ses initiateurs, dans la mesure où les utilisateurs seuls se l’approprient. L'exemple frappant de ce que l'on peut considérer comme un détournement du dispositif est l'utilisation du forum pour lancer des mots d'ordre de manifestations et d'opposition au projet du troisième aéroport. Les utilisateurs d'un forum s'approprient le dispositif prévu au départ dans une démarche de concertation au service du gouvernement. À travers un travail de définition des questions rhétoriques, les utilisateurs du forum font remonter les positions des uns et des autres pour faire finalement valoir leur propre stratégie d'action et de pression sur les instances décisionnelles. On assiste à une dynamique d’apprentissage de la citoyenneté qui a fait évoluer les intervenants d'un statut d’expression de passions individuelles à une véritable mobilisation puis à une expertise. Il y a apparition de plusieurs médiateurs qui viennent bouleverser les légitimités préétablies, des personnes qui s'investissent à partir d'un certain niveau d'expertise et qui finissent par constituer un véritable réseau de connaissance. Le dispositif délibératif ouvert a obligé les administrations à se rencontrer et à échanger des informations, même si certains experts de la DATAR, notamment, ont été très marqués par le fait d'être remis en cause par les citoyens.

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différentes administrations ne l’interprètent pas dans son acception la plus restrictive. Le fait est qu’il est souvent difficile de distinguer consultation et délibération. Aujourd’hui, certaines procédures peuvent être complétées par un travail « off-line » (tenue de réunions publiques, de réunions d’experts plus ou moins représentatifs, etc.), comme dans le cadre de la DUCSAI ou du débat national sur l’école. La plupart des expériences qui ont fait l’objet d’analyses soulignent la nécessité d’encadrer les débats par une organisation thématique, de proposer des résumés réguliers des débats etc, et, au fur et à mesure que les retours d’expériences sont diffusés, on relève une procéduralisation accrue des délibérations. Nous rejoignons Laurence Monnoyer-Smith qui affirme : « si ces formes de débat sur Internet relèvent bien d’une conception habermassienne de la démocratie9[1], elles permettent néanmoins empiriquement des formes d’expression et d’intervention qui ne relèvent pas du « débat rationnel » tel que le conceptualise Habermas. » (Monnoyer-Smith, 2004) Trois barrières semblent nécessaires dans la prise en compte de ces formes de délibération : le degré de partage du pouvoir décisionnaire, la qualité des participants, le degré d'implication des acteurs publics dans une procédure participative. Peu à peu émerge un système de conditions a priori pour une réelle effectivité de la citoyenneté délibérative.

Le pouvoir au citoyen délibérant ?

D'une part, la société civile serait constituée d’individus qui doivent pouvoir exprimer leurs intérêts particuliers et défendre leurs droits. Ces citoyens seraient les mieux à même de savoir ce qui est bon. Ainsi, on peut leur reconnaître un certain niveau d’expertise sur les choses qui les touchent et favoriser l’organisation de leur défense. D'autre part, la société civile est constituée d’individus chargés de défendre le bien commun et l’intérêt de la collectivité. Cet intérêt général doit s’appuyer sur des vérités acceptées par tous. Cette dualité, aux origines de la théorie démocratique des pères fondateurs, (notamment Locke vs Rousseau) se problématise autour de la question de l’éducation civique. Chaque individu, en tant qu’entité usant de la raison doit être capable de nourrir cette vérité et de la reconnaître. Il doit donc recevoir une formation à la citoyenneté, qu’il doit expérimenter par des procédures, où la recherche du consensus (ou du moins de l’accord majoritaire) doit être l’aboutissement du sens commun. Les deux conceptions s’accordent à reconnaître que l’ouverture universelle à l’espace public est une condition essentielle de validité des processus démocratiques. Or, le système délibératif sur Internet peut favoriser cette volonté d'ouverture et d'hybridation très forte (Callon et al, 2000) : elle passe par la reconnaissance d'un savoir d'experts dans la population permettant aux personnes entrées en cours de débat de s'identifier et non plus d'être identifiées.

Comme l’a relevé Stéphanie Wojcik (2003) les spécificités du forum électronique (anonymat et présence virtuelle des participants, discussion sous la forme d'échanges écrits asynchrones) peuvent amener à reconsidérer les conditions selon lesquelles cette forme de débat peut contribuer à ouvrir démocratiquement la décision publique locale et modifient les formes et les caractéristiques de la discussion démocratique. Par la suite, les interrogations sur les formes de délibération s’ouvrent aussi aux travaux de Loïc Blondiaux, notamment relatifs au fonctionnement des conseils de quartiers (BLONDIAUX, 1999) : selon quelles modalités les citoyens peuvent-ils réellement prendre part à l'élaboration de l’action politique locale ? L'accès de la population à la délibération soulève également l’enjeu de la représentativité du public au sein des réunions des conseils de quartier, comme paramètre à prendre en

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considération pour qualifier de démocratique un tel espace de débats et de rencontres entre habitants et élus. Enfin, le troisième enjeu concerne le rapport du débat à la décision. Comment ces débats électroniques, suscités par l'autorité municipale, peuvent-ils s’intégrer au processus « ordinaire » de prise de décision des élus ? Stéphanie Wojcik a travaillé sur l'ensemble des forums présents en 2002 sur les sites Internet des municipalités du grand Sud-Ouest (GSO) - Aquitaine, Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées. Elle en conclut que l’usage des forums par les internautes est lesté par un mode de gestion des messages, affectant l'authenticité des échanges qui s'y déroulent. En effet, les éditeurs municipaux définissent unilatéralement diverses limites à l'expression des internautes et édictent certains critères relatifs au contenu des messages, dont le non-respect est sanctionné par l'absence de publicisation sur le site municipal. Il existe deux types d'encadrement de la parole des internautes par les responsables éditoriaux sur l'ensemble des forums de discussion municipaux : le premier concerne la définition des thèmes de discussion par la municipalité, les internautes devant se conformer à des thèmes préalablement définis sous peine de voir leur contribution supprimée ou non diffusée ; le second concerne la limite éditoriale appliquée sur l'ensemble des forums de discussion, thématiques et « libres ». Dès lors que le modérateur peut supprimer les messages en cas de non-respect des règles relatives à l'ordre public ou à la bienséance des propos, rien ne garantit cependant qu'il n'existe pas d'autres limites qui ne recevraient pas l’agrément de certaines municipalités. On retrouve les mêmes limites que celles qui entourent la loi sur la « démocratie de proximité » : les responsables politiques se réservent le droit de choisir l'ordre du jour, les lieux et dates de la discussion ainsi que leurs interlocuteurs (BLONDIAUX, 2001). 10

La communication comme fondement de l’action publique ?

Comme nous l’avons vu, l’utopie communicationnelle se déploie sur une crise : celle de la démocratie représentative. La réponse du projet communicationnel est fortement liée à la centralité de l’idée de communication dans les rapports sociaux et dans la construction du collectif. Notre société souffre d’un manque de communication : favoriser cette dernière permettrait donc à la société de résoudre ses problèmes. Cette idée se déploie dans l’explosion des TIC en promettant qu’une diffusion de ces technologies libèrera la libre expression individuelle et accélèrera la participation de chacun à la construction de l’espace commun. Le premier pilier de cette organisation réside dans le principe de la transparence. L’information, assimilée à la connaissance, est directement associée à l’idée de pouvoir. Le sujet serait libre de connaître tout sur tout et pourrait acquérir les moyens de faire valoir ses droits et de faire jouer le pouvoir qui lui est imparti. Le second pilier repose sur la communication ou plutôt sur la possibilité de la délibération permanente. Sur la base de la théorie habermassienne, toute discussion rationnelle ne peut mener qu’au consensus. Ainsi, le nouvel espace de communication générerait un espace de concorde entre les individus. Ce modèle de

10 Pour avoir sollicité, dans le cadre de cette recherche, les responsables du forum du débat national sur l’école,

la réponse négative, à la question de mettre en ligne notre questionnaire sur leur site, a été très instructive pour notre appréhension de la « situation » du citoyen dans la délibération. La réponse nous semble édifiante pour notre réflexion : « Je regrette, mais je crois que ce n'est pas une bonne idée. Les questions sont telles qu'il est trop tôt pour y répondre : les réponses fournies le seraient sur la base de préjugés, pour la plupart négatifs, à l'égard des intentions du pouvoir, alors qu'on ne dispose aujourd'hui d'aucune indication sur l'usage qu'il fera du débat. (En dehors, bien sûr, de ces déclarations d'intention, que personne ne prend au sérieux). De plus il me semble que ce n'est pas le moment pour nos forums de mettre la e-démocratie sur le tapis : ce serait amener les participants à se poser des questions sur leur participation, et éventuellement à la reconsidérer. Nous ne sommes pas encore assez solides pour nous le permettre. En revanche, vous pourriez poser les questions aux membres de notre équipe. »

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démocratie directe apparaît au final comme une réduction de la pratique politique à la discussion des choix rationnels, oubliant toutes les autres dimensions du politique. Ni la diplomatie, ni la sociabilité, ni la gestion des ressources, ni la conduite de l’administration, ni l’arbitrage, ni la dimension normative ne semblent, de manière permanente, concerner les citoyens dans la construction de l’espace commun. Une seconde réduction consiste à faire disparaître la fonction de médiation, qui ne fait pas l’affaire des responsables politiques, mais qui ne semble pas non plus faire celle des internautes.

A ce titre le forum fut le symbole de la « nouvelle agora qui rendrait possible la participation entière, immédiate, permanente, des citoyens aux décisions publiques » (Massit-Folléa, 1997). S’ils sont présentés comme l'une des applications favorites des internautes, les considérant comme un élément essentiel des échanges démocratiques ayant des répercussions dans l'espace public, les échanges électroniques ne s'apparentent que partiellement à la discussion délibérative théorisée par Habermas (Schneider, 1997). Pour Michaël Dumoulin, les échanges électroniques ressemblent à des « monologues interactifs » où chaque participant réitère son propre point de vue et rejette ou critique systématiquement les propos des autres intervenants (Dumoulin, 2002). La majeure partie de la littérature relative aux forums de discussion est consacrée à l'étude des formes de sociabilité et d'identité de ces « communautés virtuelles », pour comprendre comment les acteurs organisent leurs interactions - souvent conflictuelles (Mondada, 1999) - dans l'espace des forums (Beaudoin, Velkovska, 1999). Ces recherches d'inspiration Goffmanienne analysent la régulation rituelle et normative des relations se nouant au sein de ces espaces de discussion (Dutton, 1996 ; Serfaty, 2002)

Modèle de démocratie électronique ou démocratie électronique

modèle ?

Le processus de délibération repose à la fois sur l’information, la concertation et la participation.

 Un système d’information simple répond souvent à une conception paternaliste de la politique selon laquelle il suffit d'expliquer aux habitants le choix des pouvoirs publics pour que ceux-ci y adhèrent (information).

 La concertation apparaît dans les années 90, suite à différents conflits d’aménagement du territoire, comme le TGV Méditerranée, le canal Rhin-Rhône etc. Il ne s'agit pas seulement de recueillir les doléances des habitants mais de reconnaître un réel pouvoir de négociation aux acteurs touchés par une décision d'aménagement du territoire. Dans le cadre de la concertation, le maître d'ouvrages reste libre du choix et n'est pas légalement lié par les résultats de la procédure de négociation.

 La délibération vise à faire entendre toutes les positions et tous les points de vue, du décideur public au simple citoyen. Cette délibération peut être pensée en amont de la décision pour l’informer, en parallèle pour ouvrir le débat et consulter une base plus large que les experts habituels ou plus rarement en aval, dans un souci d’explication et de réponse aux interrogations et aux interprétations. Elle vise d’une part à prendre en compte les intérêts particuliers, d’autre part à dégager une dynamique de négociation pour aboutir à un compromis, voire à un consensus.

La décision, lorsqu’elle est engagée dans une procédure de démocratie participative, peut être influencée directement par la délibération ou par d’autres moyens comme le vote électronique. Il s’agit ici, soit, dans la tradition représentative, de mettre en place une

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procédure de mise en forme de la volonté générale par l’agrégation des décisions élémentaires (le processus arithmétique du vote référendaire). Ce dernier vient, comme ultime étape, de valider une décision conçue au préalable dans une démocratie qui tend vers la démocratie directe, de mettre en place une délibération conçue comme élaboration d’une décision commune, résultant d’un compromis indispensable à son effectuation.

On peut donc distinguer plusieurs modèles de démocratie participative électronique -étant entendu que, comme Gérard Loiseau l’a indiqué (LOISEAU, 2000), les modèles purement informatifs sortent du cadre de la revitalisation de la démocratie par l’usage des NTIC - et ces modèles peuvent être définis comme des idéaux-types croisant valeurs démocratiques et types de procédures.

 En premier lieu, le modèle référendaire très proche de la tradition représentative distingue très nettement le processus de décision publique, concentré dans les mains des instances légales, de l’information nécessaire à ce processus qui doit intégrer les échanges les plus ouverts possibles. En amont, une politique d’information intensive et de transparence peut être le préalable d’un forum ouvert aux citoyens (sans engagement spécifique), de sondage en ligne, voire d’un référendum consultatif final. Si une parole plus démocratique voit le jour, la délégation est maintenue comme principe absolu garantissant au représentant du peuple une indépendance absolue de décision. Même si le pouvoir constitué est redevable de sa décision, qu’il se doit d’expliquer a posteriori, il doit échapper à toute influence ou sanction réelle autre que l’élection.

 A l’inverse, le modèle co-décisionnaire ouvre à l’ensemble de la société le processus de décision. L’information sera ouverte à toutes les sources, usant d’une gamme étendue de modes informatifs et mettant à la disposition de tous les citoyens, des organes d’information et de diffusion réellement polyphoniques. La délibération sera une étape instituée comme élaboration commune de la décision sur le modèle caméraliste où chaque point devra aboutir à un accord majoritaire, voire consensuel. Enfin, le vote final du projet interviendra sur l’ensemble de la décision coproduite et fera office de décision publique.

On retrouve donc ici les questions qui ont été soulevées au niveau local11. En effet, les projets de consultation et de revitalisation de la démocratie se sont principalement faits à l’échelon local. Le PEN de Santa Monica, le National Public Telecomputing Network, le Minnesota Electronic Network ou la ville virtuelle d’Amsterdam en sont de bons exemples Manquent ainsi, tout du moins en France, des études sur les forums mis en place par des institutions politiques nationales et surtout locales. En France, les cas très médiatisés d’Issy-les-Moulineaux et de Parthenay, et aujourd’hui la consultation pour le troisième aéroport montrent que la question de la démocratie électronique en est encore au stade de l’expérimentation ponctuelle. Quinze ans après les expériences de forums en Californie, sept ans après le lancement en France du PAGSI, la démocratie électronique n’est toujours pas une réalité aboutie.

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Rares sont encore en France – mais c’est aussi le cas à l’étranger - les études sur les forums mis en place par des institutions politiques nationales et surtout locales. L'étude d'Agneta Ranerup sur les forums des districts de Göteborg et de Sölvesborg en Suède, qui cherche à définir les facteurs influençant la vivacité des débats (Ranerup, 2000) et celle portant sur le célèbre Public Electronic Network de Santa Monica (Docter, Dutton, 1998) font figure d'exception.

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Conclusion :

Les théoriciens de la démocratie électronique nous rappellent que tout espace public se constitue comme un mode de gestion de l’espace discursif selon une problématique procédurale. La question de l’espace, du temps et des règles de procédures nécessitent des frontières, des limites qui rendent effectives les normes démocratiques en exclusion de toute autre forme de régime. Si les NTIC favorisent la délibération, la traduction en termes de revitalisation de la démocratie par la démocratie électronique reste en suspens. Cela ne signifie toutefois pas que les pratiques en cours ne modifient pas les formes de l’expression démocratique. Il a par exemple été bien montré que l’Internet favorisait bien l’engagement politique militant (cf. notamment Granjon, 2001) ; Granjon et Cardon, 2002 ; 2003) et (Trautmann, 2001). En revanche, les acteurs politiques, au niveau local ou au niveau national, ont le plus souvent manifesté leur résistance au partage de l’élaboration de la décision politique. Ils défendent une vision restrictive de la communication et l’ouverture est toujours confinée à des places purement symboliques. Il semble, peut-être paradoxalement, que la logique du marché s’avère déterminante dans la mise en place même des projets de démocratie électronique. En effet, les acteurs économiques font valoir les ressources qu’ils apportent à la collectivité en tant que principaux moteurs pour déterminer les priorités d’investissement public, conformément d’ailleurs aux vœux exprimés dans les discours publics que nous avons analysés. Enfin, la démocratie électronique part sur le postulat d’une conception idéale type de la citoyenneté et de la démocratie. Elle repose sur le postulat implicite qu'une partie, suffisante pour être représentative, des citoyens est désireuse de s'impliquer intensément dans la vie politique et que cette implication passe par leur meilleure information.12

La démocratie électronique reste donc un projet inabouti dont l’étude sert la compréhension des nouveaux modes de médiatisation de l’espace public et les reconfigurations actuelles des rapports de pouvoir. Loin de la dichotomie entre discours apologétique et critique systématique, les NTIC nous offrent l’occasion de problématiser les dispositifs de pouvoir médiatisé par la communication sociale. L’analyse des socio-usages des processus de communication électronique, subsumée à l’approche procédurale d’une éthique de la démocratie nous permet de réinterroger « l’impensé de la technique » (Pascal Robert) : la relation de pouvoir. Ces dix dernières années, l'entrée des NTIC n'a suscité chez les acteurs publics que des approches en terme de politique de « consommation de l'information » (vers un accès pour tous). Quittant la mythologie de l'agora démocratique renouvelée par les TIC, les politiques publiques se sont appuyées sur un référentiel métaphorique de la fracture numérique comme enjeu de l'accessibilité aux réseaux. Ainsi les acteurs publics se sont attachés avant tout à développer les accès à la connexion tout en insistant sur la nécessité de développer les formations et les compétences des futurs citoyens numériques. La démocratie électronique se résumait à transformer des citoyens en consommateurs aptes à se connecter et à recevoir les services électroniques. Cette démocratie électronique, réduite à une fonction de représentation/information, et présentant une problématique pédagogique et paternaliste d’une meilleure explication des actions des délégués de la souveraineté nationale, est totalement

12 Même si les analyses sociologiques montrent que les citoyens préfèrent des formes d'engagement plus

flexibles, plus épisodiques, plus contractuelles, peut-être plus consuméristes, de fait, aujourd’hui les potentialités techniques auraient largement dépassées les projets politiques de télé-démocratie.

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conforme au canon d'une démocratie purement représentative. Les premières tentatives de forum public électronique (au sens large), aux niveaux national et gouvernemental, furent bien souvent des objets marketing indigents et spectacularisés. Parallèlement, des acteurs influents issus de la haute administration s'engagent en faveur de l'innovation institutionnelle, en développant des lieux très fortement cloisonnés. Le forum, quand il s'engage dans une véritable délibération, est pensé comme un espace hétérogène, tout juste adjoint, aux institutions. De plus, il se limite à la simple consultation. Pourtant, dans le cadre de ces expériences, les plus abouties ont su montrer toute la richesse d'un processus d'innovation organisationnel qui pose de véritables problèmes politiques au sein de lieux de pouvoir encore non advenus : une modification des rapports représentants/citoyens avec un phénomène dynamique d'intégration de ces derniers a révélé une véritable capacité à l'apprentissage démocratique du débat rationnel et public (fin du mythe du peuple enfant). Les jeux stratégiques de rapport de force sont bouleversés par la présence réelle de citoyens engagés dans la délibération (capacité d'accaparement de la parole par la base). De véritables questions restent ouvertes sur l'effectivité d'une démocratie participative, sur la représentativité des citoyens actifs, sur les normes discursives partagées dans un modèle commun de démocratie, sur le rapport entre les institutions discursives et le rapport aux relations de pouvoir (ressources et forces publiques). Aujourd’hui, le champ d’action de la démocratie électronique semble se diviser en un groupe d’acteurs publics quasi-unanime pour éviter soigneusement d’aborder la question, une recherche théorique abondante sur les enjeux d’un nouvel espace public médiatisé, et entre les deux un archipel d’expériences plus ou moins abouties ou la recherche action côtoie l’entrepreneur politique. Cette situation propre au processus d’innovation organisationnelle peut-elle véritablement entamer la seconde boucle de développement (ALTER, 2001) sans l’engagement « intéressé » des acteurs politiques. La démocratie électronique manque cruellement de « réussites » dans un environnement concurrentiel qui donnerait le signal favorable à un engagement massif.

L’année 2004-2005 aura été sans aucun doute celle de l’ouverture de la gouvernance de l’Internet sur le chantier de la recomposition de l’espace public démocratique (MOUCHON, 2005), aux prises avec l’explosion effective de la communication électronique au niveau mondial. Gageons qu’un rapprochement entre chercheurs des sciences politiques et chercheurs des sciences de l’information offrira la base d’une réflexion renouvelée sur la société de l’information

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