• Aucun résultat trouvé

L'exercice du pouvoir discrétionnaire dans les fiducies testamentaires au Québec : recourir à l'affectation pour concilier l'intention du testateur et la décision de la « personne raisonnable »

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "L'exercice du pouvoir discrétionnaire dans les fiducies testamentaires au Québec : recourir à l'affectation pour concilier l'intention du testateur et la décision de la « personne raisonnable »"

Copied!
121
0
0

Texte intégral

(1)

L’exercice du pouvoir discrétionnaire dans les fiducies

testamentaires au Québec : recourir à l’affectation

pour concilier l’intention du testateur et la décision de

la « personne raisonnable »

Mémoire

Marie-Pier Baril

Maîtrise en droit - avec mémoire

Maître en droit (LL. M.)

(2)

L’exercice du pouvoir discrétionnaire dans les fiducies testamentaires au Québec : recourir à l’affectation pour concilier l’intention du testateur et la

décision de la « personne raisonnable »

Mémoire

Marie-Pier Baril

Sous la direction de :

(3)

Résumé

L’exercice du pouvoir discrétionnaire par les fiduciaires de fiducies testamentaires est une notion qui suscite un nombre grandissant de litiges. Si quelques jugements ont tracé la route pour une réflexion plus riche, de nombreuses questions demeurent sans réponse. Le présent mémoire a pour objectif d’établir de quelle façon le droit québécois enjoint aux fiduciaires de fiducies testamentaires d’exercer leurs pouvoirs discrétionnaires. Plus particulièrement, il vise à déterminer si les fiduciaires doivent décider en fonction de leur perception de ce que le testateur aurait lui-même décidé ou s’ils doivent plutôt décider en fonction de la décision que prendrait une personne raisonnable. Pour répondre à ce questionnement dans le contexte où très peu d’auteurs ont travaillé à ce jour sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire par les fiduciaires, ce mémoire prend assise sur les théories fondamentales qui ont été développées en droit des fiducies. Il vise à concilier la vaste étendue de la liberté de tester du testateur (qui pourrait lui permettre d’être déraisonnable) et le devoir impératif des fiduciaires d’agir avec prudence, diligence, honnêteté et loyauté, comme le ferait une personne raisonnable.

Mots-clés

Fiducie; testament; pouvoirs discrétionnaires; patrimoine; intention du testateur; personne raisonnable.

Mise en garde

Les opinions exprimées dans ce mémoire sont celles de Me Marie-Pier Baril, et non celles de BCF s.e.n.c.r.l. La recherche est à jour en date du 7 janvier 2020.

(4)

Abstract

The exercise of discretionary powers by the trustees of a testamentary trust is an idea from which arise a growing number of litigations. If some judgments have forged the path for more thought, many questions stay unanswered. This thesis has for objective to establish how Quebec Law orders trustees to exercise their discretionary powers. More precisely, it aims to determine if trustees must decide considering their own perception of what the testator would have decided himself or if they must decide on the basis of how a reasonable person would decide. To answer the question in the context where very few authors have worked on the discretionary powers by trustees up to now, this thesis builds upon fundamental theories developed in trust law. It aims to conciliate the freedom to test of the testator (who even has the right to be unreasonable) and the duty of the trustees to act with prudence, diligence, honesty and loyalty, as would do a reasonable person.

Key words

Trust; will, discretionary powers, patrimony, intention of testator; reasonable person Disclaimer

The opinions expressed are those of Marie-Pier Baril and not those of BCF s.e.n.c.r.l. Research is up to date on January 7, 2020.

(5)

Table des matières

RÉSUMÉ...II ABSTRACT...III TABLE DES MATIÈRES...IV REMERCIEMENTS...VIII

INTRODUCTION ... 1

PARTIE 1 – LE RÔLE DE L’AFFECTATION DE LA FIDUCIE... 10

CHAPITRE 1 – LA THÉORIE MODERNE DU PATRIMOINE ... 10

SECTION 1 – LES DISTINCTIONS ENTRE LES DIFFÉRENTES THÉORIES PORTANT SUR LE PATRIMOINE... 12

Sous-section 1 – La théorie classique et la théorie moderne du patrimoine... 13

Sous-section 2 – L’imperfection de l’œuvre dans le Code civil du Québec... 16

SECTION 2 – LES POUVOIRS ET LES DROITS DES DIFFÉRENTS ACTEURS... 17

Sous-section 1 – Les pouvoirs des fiduciaires en l’absence de la titularité de droits ... 17

Sous-section 2 – Les droits restreints des bénéficiaires sur les biens de la fiducie... 19

CHAPITRE 2 – LA THÉORIE DU POUVOIR JURIDIQUE PRIVÉ ... 25

SECTION 1 – LE POUVOIR JURIDIQUE DES FIDUCIAIRES... 26

Sous-section 1 – La distinction entre le droit subjectif autonome et le pouvoir juridique hétéronome... 27

Sous-section 2 – L’inapplicabilité de la théorie de l’abus de droit ... 30

SECTION 2 - LA FINALITÉ DES POUVOIRS DES FIDUCIAIRES... 33

Sous-section 1 – La définition de l’affectation et sa rédaction ... 34

Sous-section 2 – L’inévitable incomplétude de l’acte constitutif de fiducie... 39

PARTIE 2 – L’INTERPRÉTATION DE L’AFFECTATION ET LE CONTRÔLE DE L’EXERCICE DES POUVOIRS DISCRÉTIONNAIRES DES FIDUCIAIRES ... 45

CHAPITRE 1 – L’INTERPRÉTATION DE L’AFFECTATION D’UNE FIDUCIE TESTAMENTAIRE ... 45

SECTION 1 – L’INTERPRÉTATION DE L’INTENTION DU TESTATEUR... 48

Sous-section 1 – Le droit du testateur d’être déraisonnable ... 49

Sous-section 2 –La preuve d’éléments externes pour interpréter l’intention du testateur... 53

SECTION 2 - LES CARACTÉRISTIQUES PROPRES À LA FIDUCIE TESTAMENTAIRE... 56

Sous-section 1 - Les limites à l’intention du testateur dans le contexte du droit des fiducies ... 56

Sous-section 2 - L’identité des fiduciaires en l’absence du défunt parmi eux ... 60

CHAPITRE 2 – LE CONTRÔLE DE L’EXERCICE DES POUVOIRS DISCRÉTIONNAIRES PAR LES TRIBUNAUX ... 66

SECTION 1 – L’INTERPRÉTATION DE L’INTENTION DU TESTATEUR DANS LA JURISPRUDENCE QUÉBÉCOISE... 68

Sous-section 1 - L’importance de l’intention du testateur ... 69

Sous-section 2 – La faible exposition du raisonnement juridique par les tribunaux ... 75

SECTION 2 – L’ÉVALUATION DU RESPECT DES DEVOIRS OBJECTIFS DES FIDUCIAIRES... 80

Sous-section 1 – Les devoirs objectifs du fiduciaire à titre d’administrateur du bien d’autrui... 80

Sous-section 2 – La fiction juridique de la « personne raisonnable » et la discrétion judiciaire ... 90

(6)

BIBLIOGRAPHIE... 103 ANNEXE A LA DISCRÉTION DANS L’EXERCICE DES POUVOIRS FIDUCIAIRES (UNE ADAPTATION DU

GRAPHIQUE PROPOSÉ PAR D. GORDON SMITH INTITULÉ « DISCRETION AS A DOCTRINE OF LAST RESORT ») ... 112

(7)

< À mes trois fils : que la raison et la folie vous inspirent, chacune à leur tour! >

(8)

« Ainsi l’affectation est fille de l’intention, mais une fille qui a pour l’éducation qu’elle tient de sa mère tout le respect compatible avec l’adaptation aux circonstances nouvelles que sa mère n’avait point connues. » (P. Lepaulle)

(9)

Remerciements

Je n’aurais pu réaliser ce mémoire sans la collaboration de ma directrice, la professeure Christine Morin, que je tiens à remercier pour son accompagnement et pour toute la confiance et la liberté intellectuelle avec laquelle elle m’a permis de mener ce projet à bien.

Mercis sincères à mes associés de BCF Avocats d’affaires qui ont eu l’audace de croire au potentiel de mes travaux. Je tiens plus particulièrement à remercier Me Pierre Lamontagne et Me Julie Loranger pour leur appui et leur amitié fidèle.

Je souhaite également remercier le professeur Lionel Smith pour son accueil et pour les riches échanges qui m’ont permis de bonifier mon projet et d’ouvrir mes horizons, de même que le professeur Mehran Ebrahimi qui a été le premier à me permettre de croire à la possibilité de réaliser ce rêve que je chérissais.

Enfin, merci à Antoine, Clément, Philémon et Lévi de m’inspirer chaque jour l’envie de devenir la meilleure version de moi-même.

Ces remerciements ne pourraient être complets sans que j’exprime ma gratitude envers le Conseil de recherche en sciences humaines (CRSH), le Fonds québécois pour la recherche sur la société et la culture (FQRSC), la Faculté de droit de l’Université Laval (bourse du Fonds Jacques-Deslauriers et bourse du Fonds Thérèse-Rousseau-Houle) et la Chaire de recherche Antoine-Turmel sur la protection juridique des aînés pour les bourses qu’ils m’ont si généreusement accordées.

(10)

Introduction

« Il est de la fiducie comme de l’électricité, un instrument merveilleux dont on ne saurait trop vanter l’utilité et la souplesse, mais dont la nature est obscure si les effets en sont apparents, et qui nécessite donc un maniement prudent et délicat.»1

La fiducie québécoise est-elle si merveilleuse que le disait Faribault ? Certes, mais elle le sera davantage le jour où en seront mieux comprises les subtilités et où il pourra être affirmé sans scrupules que le droit est suffisamment clair pour qu’elle puisse être maniée en tout temps avec soin et délicatesse.

La fiducie est utilisée de plus en plus fréquemment à titre d’outil testamentaire. Bien que les fins testamentaires aient été les premières fins autorisées pour la fiducie au Québec2, on peut aisément dire que les pourtours de la fiducie testamentaire

comportent autant de zones d’ombres que ceux de la fiducie entre vifs. Le caractère obscur qu’attribuait Faribault à la fiducie est loin d’être éclairci aujourd’hui. Dans les fiducies testamentaires, le décès du constituant ne fait que contribuer au mystère! Malgré cela, un grand nombre de fiducies testamentaires sont constituées au Québec par des gens qui souhaitent affecter, à leur décès, des biens à une fin particulière ou au bénéfice de personnes qui leur sont chères.

En créant une fiducie testamentaire, les testateurs désignent un ou plusieurs fiduciaires qui administreront le patrimoine constitué pour un ou des bénéficiaires qui peuvent être en situation de vulnérabilité. On peut penser au parent d’un enfant souffrant d’un handicap qui voudrait veiller à sa protection même après le décès du parent. Un conseiller juridique averti lui recommandera alors probablement de constituer une fiducie à même son testament et de choisir judicieusement le ou les fiduciaires qui seront responsables d’administrer ce patrimoine d’affectation.

1Marcel FARIBAULT, Traité théorique et pratique de la fiducie ou trust du droit civil dans la province de Québec, Montréal, Wilson & Lafleur, 1936, p. 9.

2Le Code civil du Bas Canada (soit les articles 869 et 964 du Code civil du Bas Canada) traitait des

(11)

Ce type de fiducie testamentaire confère généralement des pouvoirs discrétionnaires aux fiduciaires. Le testateur pourra, par exemple, permettre aux fiduciaires d’empiéter sur le capital de la fiducie « à leur entière discrétion ». Certains testateurs conféreront même aux fiduciaires une faculté d’élire qui leur permettra d’identifier les bénéficiaires à même une liste ou une catégorie restreinte de bénéficiaires. D’autres choisiront d’autoriser les fiduciaires à retarder des distributions dans les situations où les fiduciaires jugent « à leur entière discrétion » qu’il n’est pas à l’avantage du bénéficiaire de les recevoir. Le vaste éventail de pouvoirs conférés par la pleine administration du bien d’autrui contribue également à l’essor du pouvoir discrétionnaire.

Ainsi, les pouvoirs conférés aux fiduciaires sont de plus en plus larges et le désir de prévoir dans un testament des pouvoirs complètement discrétionnaires est en plein essor. Peut-on y déceler un indice de la confiance des testateurs envers leurs fiduciaires ou est-ce plutôt le symptôme d’un manque de réflexion induit ou non par une absence ou une insuffisance de conseils de la part des professionnels ?

Bien que les testaments prévoient généralement la façon de gérer certaines situations précises telles que la dépendance aux drogues d’un bénéficiaire ou son trop jeune âge pour recevoir des sommes importantes, les testateurs sont souvent silencieux à l’égard du processus décisionnel qui devrait être mené de façon générale par les fiduciaires dans l’exercice de leurs pouvoirs. Dans ce contexte, les fiduciaires font parfois face à des dilemmes difficiles à trancher, notamment parce que leurs pouvoirs sont insuffisamment balisés.

La pratique professionnelle nous permet d’ailleurs de voir émerger de plus en plus de litiges à cet égard. En effet, la codification de la fiducie contemporaine ne s’étant produite qu’en 1994, ce véhicule juridique a grandi en popularité de façon importante dans les années qui ont suivi. Le nombre de fiducies testamentaires rédigées depuis 1994 et pour lesquelles le testateur est maintenant décédé a incidemment augmenté

(12)

de façon significative dans les dernières années. S’en suit l’augmentation des litiges reliés à l’administration de ces patrimoines fiduciaires3.

La problématique que ce mémoire s’affaire à résoudre s’articule autour de l’augmentation de ces litiges et de l’incertitude à laquelle sont confrontés les fiduciaires de fiducies testamentaires. Les pouvoirs discrétionnaires qui leur sont conférés étant souvent très larges, ils en viennent à faire face à des situations dans lesquelles ils doivent se demander s’ils doivent décider en fonction de leur perception de ce que le testateur aurait lui-même décidé ou s’ils doivent plutôt décider en fonction de ce qu’ils feraient si la décision les concernait personnellement, en fonction de leur propre schème de pensée et de leurs propres valeurs. On peut même se questionner quant à savoir s’ils doivent décider en fonction de ce qu’une personne raisonnable choisirait de faire.

Les fiduciaires qui ont le droit d’empiéter sur le capital « à leur entière discrétion » doivent-ils permettre à l’enfant qui souhaite faire un voyage dans le pays dont ses parents étaient originaires de recevoir des sommes importantes avant les périodes de remise établies par le défunt ? Un fiduciaire pourrait vouloir fonder sa décision sur l’intention du testateur qui lui apparaîtrait claire parce que le défunt avait lui-même fait un tel voyage au lui-même âge et y avait trouvé une inspiration révélatrice et source de projets dont le succès est indéniable. Un autre qui serait lui-même issu d’une famille modeste pourrait plutôt considérer qu’il est préférable que l’enfant apprenne à générer des ressources pour mener ses projets à terme et encourager l’enfant à travailler et à économiser davantage. Finalement, on pourrait se questionner sur la décision que prendrait une personne raisonnable dans ce type de situation. On ferait alors évidemment face à une panoplie de questionnements. Qui est cette personne raisonnable ? Doit-on évaluer la décision qu’elle prendrait in

3L’augmentation des litiges peut aussi résulter du fait que sous le Code civil du Bas Canada, le

fiduciaire était considéré comme détenteur d’une propriété sui generis. Ainsi, seules la fraude et la mauvaise foi pouvaient donner lieu à l’intervention du tribunal. (Voir Madeleine CANTIN CUMYN et

Michelle CUMYN, L’administration du bien d’autrui, Cowansville, Québec, Éditions Yvon Blais, 2014, à la p. 84.) Le présent mémoire soulignera les distinctions apportées par le nouveau droit.

(13)

abstracto même si les tribunaux ont tendance à favoriser l’évaluation in concreto en matière de successions ?

La législation est elle aussi imprécise sur ces questions. D’une part, l’article 1309 du Code civil du Québec4prévoit que l’administrateur du bien d’autrui doit agir « dans

le meilleur intérêt du bénéficiaire ou de la fin poursuivie ». D’autre part, les règles relatives aux devoirs objectifs des administrateurs du bien d’autrui enjoignent aux fiduciaires d’agir de la même façon que le ferait une personne raisonnable5.

Finalement, les règles d’interprétation des testaments leur commandent d’accorder une importance singulière à l’intention du testateur6.

Face à cette imprécision, le présent mémoire vise à déterminer de quelle façon le droit enjoint-il aux fiduciaires de fiducies testamentaires régies par le droit québécois d’exercer leurs pouvoirs discrétionnaires. De façon secondaire, il cherchera également à répondre aux questions suivantes : les règles juridiques entourant les fiducies testamentaires diffèrent-elles de celles applicables aux fiducies entre vifs? Peut-on concilier le droit de tester de façon déraisonnable et les obligations fondamentales de l’administrateur du bien d’autrui qui sont évaluées en fonction de la fiction juridique de la personne raisonnable ? La discrétion judiciaire peut-elle opérer une « révision » de la discrétion fiduciaire ?

Il importe de souligner que ce qui intéresse le droit dans la question de recherche, c’est le fait que le pouvoir discrétionnaire entraîne l’exercice d’un pouvoir décisionnel par une personne au bénéfice d’une ou de plusieurs autres personnes

qu’elle-4Article 1309 C.c.Q.

5 Madeleine CANTIN CUMYN et Michelle CUMYN, L’administration du bien d’autrui, Cowansville,

Québec, Éditions Yvon Blais, 2014, à la p. 250; Jacques BEAULNE, « Les acteurs de la fiducie », dans

Droit des fiducies, 3eéd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2015, en ligne :

https://unik.caij.qc.ca/recherche#q=beaulne%20les%20acteurs%20de%20la%20fiducie&t=unik&sor t=relevancy&f:caij-unik-checkboxes=[Doctrine]&m=detailed&bp=results) (consulté le 31 mai 2020) à la p. 280.

6André J. BARETTE, « “Dead Hand”, l’administration fiduciaire et les intentions du défunt : toujours

compatibles? », dans S.F.C.B.Q., Développements récents en successions et fiducies, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2012, vol. 181, à la p. 187.

(14)

même7. En effet, le droit ne régit pas les conflits psychiques qui font qu’une personne

peut avoir à concilier, en son for intérieur, plusieurs de ses propres intérêts qui sont contradictoires8. On peut penser, par exemple, à l’ambivalence que pourrait

ressentir un individu à savoir s’il devrait partir en voyage pour ouvrir ses horizons ou économiser pour assurer sa sécurité. Ces questions relèvent davantage des études portant sur la prise de décisions. Bien qu’une étude subséquente alliant le droit et les théories propres à la prise de décision pourrait susciter un intérêt, ce n’est pas ce dont il sera question en l’espèce. La prise de décision par les fiduciaires sera plutôt analysée sous un angle de coordination des règles juridiques applicables. Peu d’auteurs ont travaillé spécifiquement sur les fiducies testamentaires jusqu’à maintenant. Dans sa thèse de doctorat soutenue à l’Université de Paris II, l’autrice Sara Patrice-Godechot traitait des liens entre les successions françaises et le trust anglais comme suit :

« Pour un même rapport juridique, plusieurs lois peuvent donc être appliquées en concours. Extraites de leur milieu d’origine, les dispositions d’ordres juridiques différents vont ainsi être appelées à composer ensemble. Leur seule mise en contact, leur seule juxtaposition se révèle dès lors insuffisante. On ne saurait en effet « regarder les systèmes comme des entités entièrement séparées les unes des autres ». Il convient par conséquent d’organiser leur coexistence : c’est là le propre de la coordination ; là réside, en d’autres termes, l’essence de l’articulation des systèmes. Or, cette articulation ne saurait se faire sans heurts, car comme le soulignait le Doyen Battifol, « si une situation relève de plusieurs systèmes distincts, leur jeu simultané va poser des problèmes d’adaptation mutuelle » […] Cette rapide ébauche du raisonnement conflictuel et de son étendue permet ainsi de mettre en lumière l’objet de cette étude : articuler le trust et le droit des successions, c’est donc assurer la coordination des lois applicables pour l’une au trust pour l’autre au droit des successions.»9[Références omises]

Bien que notre question de recherche n’implique pas l’interaction de plusieurs systèmes juridiques, elle s’intéresse aux relations entre différents livres du Code civil du Québec, soit le livre troisième portant sur les successions et le livre deuxième

7Il pourrait également s’agir d’un pouvoir décisionnel exercé au bénéfice d’une fin sans qu’aucune

autre personne n’en soit bénéficiaire, le Code civil du Québec n’exigeant pas que la fiducie ait un bénéficiaire.

8Julien VALIERGUE, Les conflits d’intérêts en droit privé. Contribution à la théorique juridique du pouvoir, Issy-les-Moulineaux, Lextenso Editions, 2019, à la p. 3.

9Sara PATRIS-GODECHOT, L’articulation du trust et du droit des successions, Paris, Éditions Panthéon

Assas, 2004, à la p. 18-19, citant H. BATTIFOL, « Réflexions sur la coordination des systèmes », dans

(15)

portant sur les biens, plus particulièrement à ses titres sixième (De certains patrimoines d’affectation) et septième (De l’administration du bien d’autrui). Le présent mémoire sera donc en quelque sorte animé par un esprit de coordination, d’articulation et d’adaptation des livres du Code civil du Québec les uns par rapport aux autres.

La démarche d’interprétation consistera en une « opération mentale de construction ou reconstruction »10 qui visera « à intégrer du mieux possible chaque élément de

la pratique discursive qui peut contribuer à éclairer le but, la finalité ou les biens qui donnent un sens à la pratique conformément à un critère de cohérence »11. Ainsi,

dans l’esprit du « cercle herméneutique » que proposait Schleiermacher, le présent mémoire visera, par le biais d’un amalgame réfléchi et structuré de perspectives juridiques, à aider les justiciables québécois et leurs conseillers juridiques à « comprendre [le législateur] mieux qu’il ne s’est lui-même compris»12. [Nos

modifications]

Le juriste universitaire contemporain peut difficilement omettre d’aborder la question des critiques portées envers la recherche en droit (par opposition à la recherche sur le droit) et éviter de traiter de la structure et de la légitimité de ses travaux13. On

reproche fréquemment à la recherche fondée sur le paradigme de la modernité juridique classique d’être « livresque »14, « détachée […] des réalités sociales

touchées par la pratique du droit »15 et fondée uniquement sur des « sources

autorisées émanant du pouvoir politique16». Or, le tournant interprétatif a amené les

juristes universitaires dédiés à la recherche dite « classique » à considérer davantage « l’interprétation et l’application du droit […] comme des activités

10Paul AMSELEK, « La teneur indécise du droit », (1992) 26 no. 2 R.J.T. 72, à la p. 76.

11Luc TREMBLAY, « Le positivisme juridique versus l’herméneutique juridique », (2012) 46 R.J.T. 249,

à la 270.

12 Michelle CUMYN et Mélanie SAMSON, « La méthodologie juridique en quête d’identité », R.I.E.J

2013.71, p. 13, citant F. Schleiermacher, Herméneutique, trad. Par Ch. Berner, Paris, Cerf, 1989, p.34.

13Id., p. 95. 14Id., p. 96. 15Id. 16Id.

(16)

rationnelles et imaginatives qui contribuent, par une interaction particulière entre le texte et le contexte auquel l’interprète […] est partie prenante, à l’élaboration d’une solution juste dans des situations humaines concrètes »17. Le présent mémoire a

donc pour objectif d’élaborer une solution à la question de recherche qui sera non seulement cohérente avec les règles de droit en vigueur, mais également propre à donner lieu à des solutions justes dans les situations humaines qui font émerger les litiges.

Par ailleurs, il est difficile d’imaginer en l’espèce comment ce mémoire pourrait être qualifié de « livresque » ou de « détaché des réalités sociales » alors même que c’est la pratique professionnelle qui permet de constater la problématique et de s’interroger sur la question de l’exercice du pouvoir discrétionnaire par les fiduciaires de fiducies testamentaires. D’ailleurs, cette question est de nature à soulever de plus en plus de litiges avec l’augmentation de la valeur du patrimoine des Québécois fortunés et la variété des problématiques sociales auxquelles les familles québécoises sont confrontées (la dépendance à la drogue ou à l’alcool, l’influence de groupes religieux, l’absence de modèle familial unique, etc.). En conséquence, de meilleures connaissances au sujet de l’exercice du pouvoir discrétionnaire par les fiduciaires de fiducies testamentaires permettront aux testateurs québécois d’anticiper avec plus de précision les décisions qui seront prises au bénéfice de ceux qu’ils souhaitent protéger à la suite de leur décès. Elles leur permettront également de s’investir plus activement dans les réflexions relatives à la façon dont les pouvoirs des fiduciaires doivent être exercés. De plus, une meilleure compréhension de la mise en œuvre du droit incitera probablement les testateurs à mieux identifier leurs fiduciaires et contribuera de ce fait à une protection optimale des personnes en situation de vulnérabilité dans notre société. Finalement, permettre que les règles soient mieux comprises par les praticiens, les testateurs, les bénéficiaires de fiducies testamentaires et leurs fiduciaires est sans doute utile dans un esprit de déjudiciarisation des successions et de sécurité juridique. Plus les normes seront

17 Michelle CUMYN et Mélanie SAMSON, « La méthodologie juridique en quête d’identité », R.I.E.J

(17)

claires, mieux seront rédigés les testaments et plus les fiduciaires sauront de quelle façon se comporter. Les litiges auront par conséquent moins tendance à émerger. Afin d’être en mesure d’émettre une hypothèse dans le contexte où très peu d’auteurs ont travaillé à ce jour sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire par les fiduciaires18, nous avons jugé opportun de recourir aux théories fondamentales qui

ont jusqu’à maintenant été développées en droit des fiducies. Ainsi, l’hypothèse prend naissance de la convergence de la théorie moderne du patrimoine et de la théorie juridique du pouvoir privé qui ont toutes deux démontré le caractère central de l’affectation dans la définition, l’interprétation et le contrôle des fiducies québécoises. La convergence de ces théories constitue en quelque sorte le cadre de référence à l’intérieur duquel s’inscrit l’hypothèse, laquelle ne peut être élaborée que dans un esprit de coordination dudit cadre et des règles propres au droit successoral.

Sous cette perspective, l’hypothèse suppose que les fiduciaires doivent exercer leurs pouvoirs discrétionnaires en fonction de l’intention du testateur, traduite en tout ou en partie dans l’affectation, tout en respectant leurs devoirs objectifs qui doivent être évalués en fonction de la fiction juridique de la personne raisonnable.

Notre mémoire se divise en deux volets. Le premier se fonde sur la théorie du patrimoine et la théorie du pouvoir juridique privé pour définir et délimiter la portée de l’affectation de la fiducie testamentaire. Le second volet porte sur l’interprétation de l’affectation et le contrôle de l’exercice des pouvoirs discrétionnaires par les tribunaux.

Ainsi, la première partie du mémoire permettra de rappeler le caractère incontournable de l’affectation pour répondre à la question de recherche et d’établir de quelle façon l’affectation peut se réaliser par l’intermédiaire des pouvoirs

18Jacques BEAULNE, « Les acteurs de la fiducie », dans Droit des fiducies, 3eéd., Montréal, Wilson &

Lafleur, 2015, en ligne :

https://unik.caij.qc.ca/recherche#q=beaulne%20les%20acteurs%20de%20la%20fiducie&t=unik&sor t=relevancy&f:caij-unik-checkboxes=[Doctrine]&m=detailed&bp=results) (consulté le 31 mai 2020) à la p. 225; John B. CLAXTON, Studies on the Quebec Law of Trust, Toronto, Thomson Carswell Canada Limited, 2005, par. 14.112.

(18)

discrétionnaires des fiduciaires. La seconde partie aura quant à elle pour objet, d’une part, de déterminer comment les règles propres à l’interprétation d’une affectation en matière testamentaire ont un impact sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire et, d’autre part, de conceptualiser le contrôle par les tribunaux de l’exercice des pouvoirs discrétionnaires conférés par le testateur.

Le présent mémoire étant un des premiers jalons dans les écrits scientifiques francophones portant sur ce sujet encore trop peu défriché à la frontière du droit des biens, du droit des successions, du droit de la famille et du droit fiscal, nous espérons qu’il contribuera à inciter les rédacteurs à être plus explicites dans l’élaboration de l’affectation des fiducies testamentaires qu’ils constituent. Ce faisant, ils permettront aux fiduciaires et aux tribunaux d’exercer leurs pouvoirs décisionnels dans le plus grand respect des intentions altruistes des testateurs québécois.

(19)

Partie 1 – Le rôle de l’affectation de la fiducie

Le cadre juridique applicable à l’exercice de pouvoirs par les fiduciaires de fiducies testamentaires peut difficilement être abordé sans que l’auteur situe le lecteur dans le cadre plus général mis de l’avant par les théories du patrimoine et les théories applicables à l’exercice de pouvoirs privés. Ainsi, la première partie du mémoire mettra en lumière la convergence entre (1) la théorie moderne du patrimoine mise de l’avant par le législateur dans l’élaboration des règles applicables aux fiducies dans le Code civil du Québec et (2) la théorie du pouvoir juridique privé qui conceptualise l’exercice de pouvoirs par les justiciables québécois. Ces théories démontrent, chacune à leur façon, le caractère central de l’affectation dans la définition même d’une fiducie, d’une part, et dans l’exercice des pouvoirs par les fiduciaires d’autre part.

Ainsi, la première partie mettra en exergue le caractère fondamental de l’affectation pour répondre à la question de recherche, en plus d’appliquer à l’exercice des pouvoirs discrétionnaires par les fiduciaires de fiducies testamentaires les concepts propres à l’exercice de pouvoirs privés en droit civil.

Chapitre 1 – La théorie moderne du patrimoine

La fiducie testamentaire québécoise date d’une autre époque. On en trouvait déjà des traces dans les testaments de la première moitié du XIXesiècle. Les rédacteurs

s’inspiraient alors d’une institution populaire en Angleterre19. En effet, bien que le

droit coutumier français ait été rétabli au Québec depuis 1774, l’Acte de Québec avait consacré le principe de la liberté testamentaire qui a fait en sorte que les testateurs n’avaient plus à respecter la réserve des quatre quints et la légitime prévue par la Coutume de Paris20. Les principes qu’on attribue généralement au

19Sylvio NORMAND, « L’acculturation de la fiducie en droit civil québécois », 2014 66 RIDC 7, p. 10,

citant Madeleine CANTIN CUMYN, « L’origine de la fiducie québécoise », dans Mélanges offerts par

ses collègues à Paul-André Crépeau, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1997, p.199, 204.

20 Madeleine CANTIN CUMYN, « Réflexions autour de la diversité des modes de réception ou

(20)

trust de common law pouvaient donc plus librement (bien que lentement!) s’installer dans les réflexes testamentaires des Canadiens français.

En 1866, le Code civil du Bas Canada prévoyait deux dispositions relatives à la fiducie testamentaire21. Trop peu si l’on en juge par les nombreuses discussions qui

ont eu lieu entre les juristes à leur sujet dans les décennies qui ont suivi22. Les

assises semblaient d’ailleurs insuffisantes, car la fiducie testamentaire aura pris un essor beaucoup moins important que le trust anglais23 dans les provinces de

common law. Les Québécois francophones semblaient alors davantage confortables avec la substitution ou l’usufruit qui étaient des concepts beaucoup plus naturels en droit civil24.

Les discussions entourant la réforme du Code civil ont permis une importante réflexion sur les concepts juridiques au fondement de la fiducie québécoise. La proposition se devait d’être compatible avec le droit civil tout en s’apparentant au trust de common law qui intéressait tant les praticiens et les justiciables québécois25.

Malgré cet intérêt pour le trust, il fallait trouver une solution au fait que la répartition de la propriété entre le trustee et le cestui que trust était incompatible avec le droit civil26. C’est dans cet esprit que s’est développée l’idée du patrimoine d’affectation

qui paraissait alors être la « solution idéale pour civiliser l’institution »27. Par son

inscription dans le Code civil du Québec en 1994, la fiducie québécoise ouvrait donc

21 Madeleine CANTIN CUMYN, « Réflexions autour de la diversité des modes de réception ou

d’adaptation du trust dans les pays de droit civil », (2013) 58 : 4 RD McGill 811, 11. (soit les articles 869 et 964 du Code civil du Bas Canada)

22Alexandra POPOVICI, Le patrimoine d’affectation : nature, culture, rupture, mémoire de maîtrise,

Mémoire (LL.M.), Québec, Faculté des études supérieures, Université Laval, 2012, à la p. 10.

23Sylvio NORMAND, « L’acculturation de la fiducie en droit civil québécois », 2014 66 RIDC 7, 13. 24Id., 11.

25 Les débats parlementaires préalables à l’adoption du Code civil du Québec soulignent à l’égard

de la fiducie que « son champ d’application est restreint et l’usage limité qu’on peut en faire paraît nettement insuffisant à satisfaire les besoins des justiciables », puis que « la fiducie est toutefois peu règlementée par le Code civil, dont les dispositions non seulement laissent en suspens bon nombre de questions relatives à la constitution, au fonctionnement ou à l’extinction de la fiducie, mais ne reflètent pas l’évolution de cette institution en droit statutaire, ni les besoins des

justiciables »( Assemblée nationale du Québec, Journal des débats, 34elégislature, 1èresession, Sous-commission des institutions, fasc. no9 (12 septembre 1991), p. 335 -398.

26Frédéric ZENATI-CASTAING, « L’Affectation québécoise, un malentendu porteur d’avenir : Réflexions

de synthèse » (2014) 48 R.J.T. 623, 625.

(21)

la porte à une nouvelle façon de détenir des biens et la théorie moderne constituait, d’une certaine façon, le passeport de la fiducie dans le droit civil québécois.

Le présent chapitre visera à distinguer cette théorie moderne de la théorie classique du patrimoine qui soutient l’idée que le patrimoine ne peut être dissocié de la personne, physique ou morale, à qui il appartient28.

Dans un deuxième temps, le chapitre 1 soulignera le fait que la théorie moderne du patrimoine entraîne l’absence de droits subjectifs en faveur des fiduciaires et des bénéficiaires de fiducies québécoises. L’absence de tels droits laissera toute la place, au chapitre 2, à l’analyse des pouvoirs des fiduciaires, seule prérogative juridique attachée à une personne29 dans la conceptualisation de la fiducie

québécoise.

Section 1 – Les distinctions entre les différentes théories

portant sur le patrimoine

La reconnaissance de la fiducie à titre de patrimoine d’affectation dans le droit civil québécois a bouleversé les réflexes existants en droit privé et les constructions dominantes. Le patrimoine d’affectation permettait désormais que les droits puissent « être » sans qu’ils soient associés à une personne qui puisse en jouir. L’affectation permettait alors aux droits d’être réunis par une mission commune plutôt que par la personnalité juridique.

L’idée rompait avec le caractère presque impérial des droits subjectifs que nous avait laissé en héritage le Code Napoléon. La professeure Alexandra Popovici, dans sa thèse portant sur les droits sans sujet, souligne que Léon Duguit décriait déjà en 1924 le subjectivisme du Code Napoléon en raison de l’importance qui y était accordée à « la personnalité et à l’autonomie de la volonté en droit privé »30. Il tentait

28Alexandra POPOVICI, Êtres et avoirs esquisse sur les droits sans sujet en droit privé, Thèse (LL.

D.), Québec, Faculté des études supérieures, Université Laval, 2016, p. 108.

29 À l’exception des droits de surveillance des bénéficiaires, du constituant et de toute personne

intéressée (1287, 1290 C.c.Q.)

30Alexandra POPOVICI, Êtres et avoirs esquisse sur les droits sans sujet en droit privé, Thèse (LL.

(22)

alors de démontrer que le droit subjectif n’était qu’une « technique juridique » qui n’était pas essentielle au plan juridique et qui devrait plutôt être remplacée par le « Droit objectif qui permettrait de protéger tout intérêt et situation légitimes, qu’il y ait un titulaire qui puisse en jouir ou non »31.

Partant de cette idée, on peut également se tourner vers la common law qui ne voit aucune nécessité de lier les droits et les obligations à une personne pour justifier plus aisément que les droits subjectifs ne soient pas absolument requis pour assurer la cohérence d’un système juridique32. Ce serait davantage l’histoire (et la culture

peut-être)33 qui nous y aurait contraints pendant tant d’années. La fiducie

québécoise nous en libère en quelque sorte en permettant qu’on puisse « détenir des biens de façon désintéressée »34.

La théorie classique sera plus amplement distinguée de la théorie moderne ci-dessous, mais on peut d’ores et déjà constater que l’histoire de la fiducie testamentaire au Québec en fait une notion susceptible de soulever les débats. Qu’on soit particulièrement attaché aux caractéristiques propres au droit civil ou qu’on ait un intérêt pour la liberté testamentaire conférée par la common law influencera sans doute l’œil avec lequel on évaluera la solution « civiliste » adoptée pour intégrer le trust au Québec.

Sous-section 1 – La théorie classique et la théorie moderne du patrimoine

La théorie classique du patrimoine développée par les auteurs Aubry et Rau défend l’idée d’un patrimoine indissociable de la personnalité juridique35. C’est la

personnalité juridique qui jouerait le rôle d’« agent liant » entre les droits et les

31Alexandra POPOVICI, Êtres et avoirs esquisse sur les droits sans sujet en droit privé, Thèse (LL.

D.), Québec, Faculté des études supérieures, Université Laval, 2016 p. 3

32 Id., p. 19. « La recherche de la cohérence s’impose en partie à l’interprète, de par la nature

argumentative du droit puisque l’interprétation cohérente tend à susciter l’adhésion. » (M. CUMYNet M. SAMSON, « La méthodologie juridique en quête d’identité », R.I.E.J 2013.71.

33Alexandra POPOVICI, Êtres et avoirs esquisse sur les droits sans sujet en droit privé, Thèse (LL.

D.), Québec, Faculté des études supérieures, Université Laval, 2016, p. 19

34Id., p.11. 35Id., p. 108.

(23)

obligations du titulaire des biens. Cette théorie sous-tendrait trois principes : « 1) toute personne a un patrimoine; 2) toute personne n’a qu’un patrimoine, indivisible; et 3) le patrimoine ne peut exister sans qu’une personne en soit titulaire. »36 L’article 2 C.c.Q. semble être attaché à cette vision en édictant que

« toute personne est titulaire d’un patrimoine ». Bien que le Code mentionne subséquemment que le patrimoine puisse faire l’objet d’une affectation dans la mesure prévue par la loi, l’article 2 C.c.Q. est sans équivoque eu égard au lien entre la personnalité juridique et le patrimoine37.

Une école divergente est née de la pensée de deux juristes allemands : Von Brinz et Bekker38. Leur théorie, qu’on dit « moderne » ou « objectiviste » soutient l’idée

qu’un patrimoine puisse exister sans sujet de droit.

À ce jour, les écrits des auteurs convergent quant au fait que la théorie moderne aurait été introduite, bien que maladroitement, dans le Code civil du Québec39. En

effet, l’article 915 C.c.Q. est cohérent avec cette vision théorique du patrimoine : « Les biens appartiennent aux personnes ou à l’État, ou font, en certains cas, l’objet d’une affectation. »40[Nos soulignements]. Détachée de la personne, la fiducie

testamentaire est donc autonome grâce à son affectation. Elle constitue le passage d’une dimension de la propriété vers une autre41.

36Alexandra POPOVICI, Le patrimoine d’affectation : nature, culture, rupture, mémoire de maîtrise,

Mémoire (LL.M.), Québec, Faculté des études supérieures, Université Laval, 2012, à la p. 15, citant Pierre CHARBONNEAU, « Les patrimoines d’affectation : vers un nouveau paradigme en droit

québécois du patrimoine » (1982-1983) 85 R. du N. 491, 498 et ss.

37François FRENETTE, « Les patrimoines sans titulaire ayant droit de cité au Code civil du Québec»,

dans Mélanges en l’honneur du professeur Jacques Beaulne, Montréal, Wilson & Lafleur, 2018, p.107, à la p. 108.

38Les ouvrages de ces auteurs ne sont malheureusement disponibles qu’en Allemand.

39Alexandra POPOVICI, Êtres et avoirs esquisse sur les droits sans sujet en droit privé, Thèse (LL.

D.), Québec, Faculté des études supérieures, Université Laval, 2016, p.110 et Alexandra POPOVICI,

« La fiducie québécoise, re-belle infidèle », dans Alexandra Popovici, Lionel D. Smith et Régine Tremblay, dir., Les intraduisibles en droit civil, Montréal, Thémis, 2014, 129, à la p. 138.

40Article 915 C.c.Q.

41Jacques BEAULNE, « Les acteurs de la fiducie », dans Droit des fiducies, 3e éd., Montréal, Wilson

& Lafleur, 2015, en ligne :

https://unik.caij.qc.ca/recherche#q=beaulne%20les%20acteurs%20de%20la%20fiducie&t=unik&sor t=relevancy&f:caij-unik-checkboxes=[Doctrine]&m=detailed&bp=results) (consulté le 31 mai 2020) à la p. 182.

(24)

Le souci de rendre aux Québécois une solution s’apparentant au trust de common law a certainement influencé l’essor de la théorie moderne du patrimoine au Québec. On dit d’ailleurs que la fiducie québécoise aurait été influencée de façon substantielle par les ouvrages de Pierre Lepaulle42 qui, par ses travaux, a porté un

regard sur le trust de common law à l’aide d’une loupe civiliste. Ses ouvrages témoignent d’un réel souci d’acculturation43 du trust pour le faire atterrir dans une

juridiction civiliste. Certains auteurs disent d’ailleurs que le patrimoine sans maître de Von Brinz et Bekker, repris par Lepaulle, est « la grille civiliste d’analyse du trust »44. Il nous paraît donc utile d’analyser sommairement la vision de Lepaulle

pour mieux comprendre le modèle adopté par le législateur québécois et ainsi pouvoir l’appliquer aux fiducies testamentaires.

Aux yeux de Lepaulle, le sujet de droit ne serait qu’une « technique juridique » qui pourrait facilement être conciliée avec d’autres techniques, telles que l’affectation45.

La fiducie serait donc formée de droits déconnectés d’une personne, de droits qui auraient cessé d’appartenir au constituant46. La professeure Alexandra Popovici,

dans ses travaux portant sur le patrimoine d’affectation, résume bien la vision de Lepaulle qui définissait « le patrimoine “comme un ensemble de droits et de charges appréciables en argent et formant une universalité de droit” et non comme “l'ensemble des droits et des obligations d'une personne”»47. En somme, le

législateur québécois a réformé (ou reformulé48) dans le Code civil du Québec la

42Pierre LEPAULLE, “Les fonctions du « trust » et les institutions équivalents en droit français »,

(1928-29) 58 Bulletin de la Société de Législation Comparée 313, Sylvio NORMAND, « L’affectation en droit

des biens au Québec », (2014) R.J.T. 48 599, 611.

43Id., p. 627.

44Frédéric ZENATI-CASTAING, « L’Affectation québécoise, un malentendu porteur d’avenir : Réflexions

de synthèse » (2014) 48 R.J.T. 623, 631.

45Alexandra POPOVICI, « La fiducie québécoise, re-belle infidèle », dans Alexandra Popovici, Lionel

D. Smith et Régine Tremblay, dir., Les intraduisibles en droit civil, Montréal, Thémis, 2014, 129, à la p. 152.

46Pierre LEPAULLE, « Trusts and the Civil Law » (1933) 15 Journal of Comparative Legislation 18, à

la p. 20.

47Alexandra POPOVICI, Le patrimoine d’affectation : nature, culture, rupture, mémoire de maîtrise,

Québec, Faculté des études supérieures, Université Laval, 2012, à la p. 16, p. 13, citant Pierre LEPAULLE, Traité théorique et pratique des trusts en droit interne, en droit fiscal et en droit international

privé, Paris, Rousseau et cie, 1932, à la p. 33 et la p. 40.

48Pour faire écho au texte de Alexandre Popovici dans Alexandra POPOVICI, « La fiducie québécoise,

re-belle infidèle », dans Alexandra Popovici, Lionel D Smith et Régine Tremblay, dir., Les

(25)

conception de la théorie du patrimoine qui se déclinait en une « trinité personnes-biens-obligations »49pour permettre la création d’une universalité de droit autonome

au sein de laquelle l’affectation est incontournable.

On constate aisément que la question de recherche qui nous occupe ne peut trouver réponse en évitant d’analyser l’inéluctable affectation, sans laquelle le patrimoine ne pourrait exister. La réponse ne peut donc se trouver qu’à l’intérieur d’un cadre de référence qui reconnaît l’affectation comme le fondement de la fiducie.

Sous-section 2 – L’imperfection de l’œuvre dans le Code civil du Québec

L’exercice de reconnaissance de la théorie moderne du patrimoine dans le Code civil du Québec (et, en conséquence, de la reconnaissance de l’affectation comme élément rassembleur de l’universalité de droits) est imparfait. En effet, l’œuvre aurait été heureuse si le législateur avait eu le courage d’y croire d’un livre à l’autre du Code, mais tel ne fut malheureusement pas le cas50. Tel qu’indiqué précédemment,

l’article 2 C.c.Q. relie directement le patrimoine à la personne. La théorie moderne du patrimoine, si habile à conceptualiser le patrimoine d’affectation qu’est la fiducie, s’en trouve traitée comme une exception à la vision essentiellement classique de la théorie du patrimoine51. Cette théorie classique se trouve quant à elle non seulement

à l’article 2 C.c.Q.52, mais également dans l’esprit de bien des juristes et même dans

des passages épars du Code. On peut penser, par exemple, à l’article 1371 C.c.Q. qui précise qu’« il est de l’essence de l’obligation qu’il y ait des personnes entre qui elles existent »53.

Bien que le résultat soit imparfait, on peut dire que le législateur québécois a « fait de l’utopie de Brinz une réalité en offrant à la propriété une alternative, l’affectation.

49Alexandra POPOVICI, « La fiducie québécoise, re-belle infidèle », dans Alexandra Popovici, Lionel

D Smith et Régine Tremblay, dir., Les intraduisibles en droit civil, Montréal, Thémis, 2014, p.129, à la p. 145.

50Id.

51Id., à la p. 155. 52 Article 2 C.c.Q.

53Alexandra POPOVICI, « La fiducie québécoise, re-belle infidèle », dans Alexandra Popovici, Lionel

D Smith et Régine Tremblay, dir., Les intraduisibles en droit civil, Montréal, Thémis, 2014, p. 129, à la p. 153.

(26)

Ce faisant, [il a] rendu hommage au post-subjectivisme allemand de la fin du XIXe

siècle, avant-garde en même temps que décadence de la pensée juridique romaniste. »54

Certains diront que le législateur québécois a également libéré les biens de l’impérialisme de la personnalité juridique pour se concentrer désormais sur leur fonction, leur objet, leur fin :

« Au lieu que les choses soient soumises à l’homme conquérant, c’est l’homme désormais revenu à l’humilité, qui se soumet aux choses, qui accepte leur rationalité et respecte leur vocation. C’est en cela que l’alternative affectation/propriété que contient le code québécois est prophétique et dépasse très largement l’ordre de la technique juridique pour investir celui de la philosophie.»55

Section 2 – Les pouvoirs et les droits des différents acteurs

Dans l’esprit de la théorie moderne du patrimoine, les obligations peuvent incomber aux biens de la fiducie sans être attachées à une personnalité juridique. Quel peut alors être le rôle des différents acteurs impliqués ? Les droits et les obligations des fiduciaires et des bénéficiaires méritent une attention particulière, car on peut présumer que l’existence ou l’absence de tels droits ou obligations aura un impact sur l’exercice des pouvoirs discrétionnaires par les fiduciaires de fiducies testamentaires.

Sous-section 1 – Les pouvoirs des fiduciaires en l’absence de la titularité de droits

Conformément à la vision de Lepaulle et à la théorie objectiviste, le Code civil ne concède aux fiduciaires aucun droit de propriété56 ni aucune obligation directe

envers les bénéficiaires ou le testateur puisque les biens de la fiducie sont les seuls à répondre de ses obligations57.

54Frédéric ZENATI-CASTAING, « L’Affectation québécoise, un malentendu porteur d’avenir : Réflexions

de synthèse » (2014) 48 R.J.T. 623, 655.

55Id.

561261 C.c.Q.

57François FRENETTE, « Les patrimoines sans titulaire ayant droit de cité au Code civil du Québec »,

dans Mélanges en l’honneur du professeur Jacques Beaulne, Montréal, Wilson & Lafleur, 2018, p. 107, à la p. 115.

(27)

Les obligations des fiduciaires n’existent qu’à l’égard du patrimoine de la fiducie lui-même58et les droits du bénéficiaire59ne consistent qu’en des droits60personnels (et

non réels61) à l’encontre de ce même patrimoine62.

De plus, puisqu’on ne réfléchit plus aux biens uniquement en fonction de ceux à qui ils appartiennent, « [l]a fiducie n’est plus fondée sur la titularité de droits, mais plutôt sur l’exercice de pouvoirs, le fiduciaire étant l’administrateur des biens dont il a la

maîtrise. »63 On doit désormais raisonner « en termes de pouvoirs

d’administration »64, plutôt qu’en termes de droit subjectif ou de propriété.65

Le Code édicte à son article 911 qu’« [o]n peut, à l’égard d’un bien, être titulaire, seul ou avec d’autres, d’un droit de propriété ou d’un autre droit réel, ou encore être possesseur du bien. On peut aussi être détenteur ou administrateur du bien d’autrui, ou être fiduciaire d’un bien affecté à une fin particulière. »66 [Nous soulignons.] La

professeure Popovici suppose que « pour faire l’objet d’un droit, un bien peut avoir un titulaire, un possesseur, un détenteur, un administrateur ou un fiduciaire »67. Pour

l’exprimer autrement, on peut dire qu’une personne peut être simplement fiduciaire à l’égard d’un bien et n’avoir aucun droit à son endroit. L’article 911 C.c.Q. milite ainsi pour la théorie selon laquelle le fiduciaire aurait un pouvoir plutôt qu’un droit sur les biens.

Les auteurs de la théorie moderne du patrimoine s’entendent pour dire que le Code civil ne confère aux fiduciaires qu’une mission à l’égard des biens, « mission qui est toujours la même : apporter toute la diligence nécessaire pour réaliser l’affectation

58Alexandra POPOVICI, Le patrimoine d’affectation : nature, culture, rupture, mémoire de maîtrise,

Mémoire (LL.M.), Québec, Faculté des études supérieures, Université Laval, 2012, à la p. 22.

59S’il existe un bénéficiaire puisqu’une fiducie peut exister sans qu’il n’y ait de bénéficiaire. 60 Il sera noté subséquemment que l’utilisation du terme « droit » n’est peut-être pas optimal. 61 Valérie BOUCHER, « Fiducie », dans JurisClasseur Québec – Collection de droit Civil – Biens et

publicité des droits, fasc. 20, Montréal, Lexis Nexis Canada, à jour au 1erjuillet 2012.

62Alexandra POPOVICI, Le patrimoine d’affectation : nature, culture, rupture, mémoire de maîtrise,

Mémoire (LL.M.), Québec, Faculté des études supérieures, Université Laval, 2012, à la p. 22.

63 Sylvio NORMAND, « L’acculturation de la fiducie en droit civil québécois », (2014) RIDC 66 7, 26 64Yael EMERICH, « Trust et fiducie » dans Droit commun des biens : perspectives transsystémique,

Montréal, Éditions Yvon Blais, 2017, à la p.350

65Id.

66Article 911 C.c.Q.

67Alexandra POPOVICI, Le patrimoine d’affectation : nature, culture, rupture, mémoire de maîtrise,

(28)

prévue »68. Le rôle du fiduciaire découle d’un « mode mission et fonction et non

[d’un] mode obligation et prestation »69.

L’obligation des fiduciaires envers le patrimoine de la fiducie consiste donc à exercer leurs fonctions pour réaliser la mission. Lepaulle disait d’ailleurs que « dans le « trust » l’affectation est maîtresse et celui qui est chargé de la réaliser ne doit être qu’un serviteur qu’on remplace quand il n’est pas à la hauteur de sa tâche. »70

La théorie moderne du patrimoine apporte un éclairage intéressant à la question de recherche. Elle confirme d’abord que les droits appartiennent à la fiducie elle-même et que les fiduciaires ne bénéficient d’aucun droit71. En l’absence de droits, les

fiduciaires sont attributaires de pouvoirs qu’ils doivent exercer pour réaliser l’affectation. Dans ce contexte, on peut difficilement soutenir qu’ils puissent exercer leurs pouvoirs discrétionnaires uniquement en fonction de leurs propres valeurs et selon la décision qu’ils prendraient si la décision les concernait, sans que l’affectation ne soit considérée de quelque façon que ce soit. Il importera donc de s’attarder davantage à l’hypothèse selon laquelle l’intention du testateur joue un rôle considérable dans l’exercice des pouvoirs discrétionnaires tout en étant balisée par les devoirs objectifs évalués selon le critère de la personne raisonnable.

Sous-section 2 – Les droits restreints des bénéficiaires sur les biens de la fiducie

On ne peut traiter de la question de l’exercice des pouvoirs discrétionnaires sans aborder spécifiquement la question des droits des bénéficiaires. Le Code civil, dans

68 Pierre LEPAULLE, « Les fonctions du « trust » et les institutions équivalents en droit français »,

(1928-29) 58 Bulletin de la Société de Législation Comparée 313, 313.

69Alexandra POPOVICI, Le patrimoine d’affectation : nature, culture, rupture, mémoire de maîtrise,

Mémoire (LL.M.), Québec, Faculté des études supérieures, Université Laval, 2012, à la p. 47.

70Pierre LEPAULLE, “Les fonctions du « trust » et les institutions équivalents en droit français »,

(1928-29) 58 Bulletin de la Société de Législation Comparée 313, 315.

71Sauf le droit d’être rémunérés pour l’exercice de leurs fonctions si l’acte constitutif n’exclut pas la

règle de droit commun (voir Article 1300 C.c.Q et Madeleine CANTIN CUMYN et Michelle CUMYN,

(29)

son titre septième portant sur l’administration du bien d’autrui de façon générale, aborde d’ailleurs spécifiquement l’intérêt des bénéficiaires à quelques endroits :

«1306. Celui qui est chargé de la pleine administration doit conserver et faire fructifier

le bien, accroître le patrimoine ou en réaliser l’affectation, lorsque l’intérêt du bénéficiaire ou la poursuite du but de la fiducie l’exigent.

[…]

1309. L’administrateur doit agir avec prudence et diligence.

Il doit aussi agir avec honnêteté et loyauté, dans le meilleur intérêt du bénéficiaire ou de la fin poursuivie.

[…]

1315. À moins qu’il ne soit de la nature de son administration de pouvoir le faire,

l’administrateur ne peut disposer à titre gratuit des biens qui lui sont confiés; il le peut, néanmoins, s’il s’agit de biens de peu de valeur et que la disposition est faite dans l’intérêt du bénéficiaire ou de la fin poursuivie. […]»72

L’inventaire nous permet de constater que la poursuite du but de la fiducie ou de la fin poursuivie est constamment considérée comme une alternative à l’intérêt du bénéficiaire73. La professeure Cantin Cumyn prétend d’ailleurs que dans le cadre de

l’administration du bien d’autrui requise aux fins de l’exercice des droits d’une fiducie, c’est l’affectation elle-même qui doit être considérée comme le bénéficiaire74.

Cette prétention est cohérente avec le fait que le Code civil prévoit maintenant75qu’il

n’est pas nécessaire, pour que la fiducie existe, qu’il y ait un bénéficiaire76. Une

72Articles 1306, 1309 et 1315 C.c.Q.

73Jacques BEAULNE, « Les acteurs de la fiducie », dans Droit des fiducies, 3eéd., Montréal, Wilson &

Lafleur, 2015, en ligne :

https://unik.caij.qc.ca/recherche#q=beaulne%20les%20acteurs%20de%20la%20fiducie&t=unik&sor t=relevancy&f:caij-unik-checkboxes=[Doctrine]&m=detailed&bp=results) (consulté le 31 mai 2020) à la p. 211, M. FARIBAULT, Traité théorique et pratique de la fiducie ou trust du droit civil dans la

province de Québec, Montréal, Wilson & Lafleur, 1936, à la p. 211.

74Madeleine CANTIN CUMYN, « Le pouvoir juridique » (2007) 52 R.D. McGill 215, 232.

75Le Code civil du Bas Canada prévoyait quant à lui que le bénéficiaire était essentiel à l’existence

de la fiducie. Jacques BEAULNE, « Les acteurs de la fiducie », dans Droit des fiducies, 3eéd., Montréal,

Wilson & Lafleur, 2015, en ligne :

https://unik.caij.qc.ca/recherche#q=beaulne%20les%20acteurs%20de%20la%20fiducie&t=unik&sor t=relevancy&f:caij-unik-checkboxes=[Doctrine]&m=detailed&bp=results) (consulté le 31 mai 2020) à la p. 210.

76Jacques BEAULNE, « Les acteurs de la fiducie », dans Droit des fiducies, 3e éd., Montréal, Wilson

(30)

fiducie pourrait être constituée, par exemple, pour entretenir une forêt à la suite du décès de son propriétaire. L’essentiel est que la fiducie ait une affectation ou, pour reprendre les termes du professeur Beaulne, une finalité77. Cette vision adoptée par

le Code civil du Québec est conforme au passage de la théorie classique du patrimoine vers la théorie moderne78.

Le Code civil du Québec prévoit également la possibilité pour le constituant d’une fiducie de « conférer au fiduciaire ou à un tiers la faculté d’élire les bénéficiaires ou de déterminer leur part »79. L’existence de cette faculté d’élire apporte un éclairage

intéressant à la question de recherche sous deux angles. D’abord, le droit du bénéficiaire, s’il en est, peut n’être en certaines circonstances qu’un droit de bénéficiaire potentiel assujetti à la faculté d’élire des fiduciaires. En pratique, on constate que certains testateurs confèrent des pouvoirs discrétionnaires à leur enfant pour choisir, par exemple, ceux de leurs petits-enfants qui bénéficieront effectivement des avantages de la fiducie. Dans ce type de situation, le petit-enfant n’est qu’un bénéficiaire potentiel, ou un postulant pour reprendre les termes du professeur Beaulne80. Ce faisant, il n’a aucun « droit » (à l’exception d’un droit de

surveillance conféré à tout intéressé par l’article 1290 C.c.Q.81), pas même le droit

https://unik.caij.qc.ca/recherche#q=beaulne%20les%20acteurs%20de%20la%20fiducie&t=unik&sor t=relevancy&f:caij-unik-checkboxes=[Doctrine]&m=detailed&bp=results) (consulté le 31 mai 2020) à la p. 211, FARIBAULT, M., Traité théorique et pratique de la fiducie ou trust du droit civil dans la province

de Québec, Montréal, Wilson & Lafleur, 1936, à la p. 144.

77Jacques BEAULNE, « Les acteurs de la fiducie », dans Droit des fiducies, 3e éd., Montréal, Wilson

& Lafleur, 2015, en ligne :

https://unik.caij.qc.ca/recherche#q=beaulne%20les%20acteurs%20de%20la%20fiducie&t=unik&sor t=relevancy&f:caij-unik-checkboxes=[Doctrine]&m=detailed&bp=results) (consulté le 31 mai 2020) à la p. 212.

78Id., p. 211.

79Article 1282 C.c.Q.

80Jacques BEAULNE, « Les acteurs de la fiducie », dans Droit des fiducies, 3e éd., Montréal, Wilson

& Lafleur, 2015, en ligne :

https://unik.caij.qc.ca/recherche#q=beaulne%20les%20acteurs%20de%20la%20fiducie&t=unik&sor t=relevancy&f:caij-unik-checkboxes=[Doctrine]&m=detailed&bp=results) (consulté le 31 mai 2020) à la p. 235. Le professeur Lionel Smith utilise quant à lui l’expression « objet de pouvoirs » (voir Lionel SMITH, “Massively Discretionary Trusts” (2019) 25 Trusts & Trustees 397.).

81Certains prétendent même que ce droit conféré à tout intéressé n’existe que s’il n’y a aucun

bénéficiaire ni constituant qui puisse assurer la surveillance. (voir l’opinion du professeur Jeffrey Talpis dans l’affaire Webster-Tweel c. Royal Trust Corporation of Canada in the Court of Queen’s Bench of Alberta (Action No. 0601 10061). Voir aussi les commentaires du ministre de la Justice portant sur 1290 C.c.Q.

(31)

à la prestation d’avantages reconnu aux bénéficiaires à l’article 1284 C.c.Q. Faribault disait d’ailleurs que le droit des bénéficiaires devrait plutôt être qualifié d’intérêt82.

La faculté d’élire prévue à l’article 1282 C.c.Q., qui confère un pouvoir discrétionnaire très important aux fiduciaires, apporte un éclairage considérable à la question de savoir de quelle façon les pouvoirs discrétionnaires doivent être exercés en limitant de façon importante les « droits » qui peuvent échoir aux bénéficiaires. La faculté d’élire est d’ailleurs le pouvoir discrétionnaire auquel les auteurs se sont davantage attardés jusqu’à maintenant et qui a fait l’objet de la plus grande analyse par la doctrine83.

Dans un autre esprit, les auteurs s’entendent pour écrire que le droit du bénéficiaire, s’il en est, n’est pas un droit réel sur les biens84. Il n’est pas non plus un droit

personnel85 à l’égard de ces biens. Ce serait dichotomique de parler d’un droit

82Marcel FARIBAULT, Traité théorique et pratique de la fiducie ou trust du droit civil dans la province de Québec, Montréal, Wilson & Lafleur, 1936, p. 358.

83Puisque la loi prévoit que la faculté d’élire peut être conférée à un tiers (qui ne serait donc pas

fiduciaire), les auteurs se sont questionnés à savoir si ce dernier engagerait sa responsabilité envers la fiducie s’il faillait dans l’exercice de son pouvoir. Dans cet esprit, les auteurs confirment que si le pouvoir est accordé aux fiduciaires, « il ne fait aucun doute que le fiduciaire doit l’exercer dans le cadre de ses autres obligations d’administrateur du bien d’autrui ». (Voir Jacques BEAULNE, « Les

acteurs de la fiducie », dans Droit des fiducies, 3eéd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2015, en ligne :

https://unik.caij.qc.ca/recherche#q=beaulne%20les%20acteurs%20de%20la%20fiducie&t=unik&sor t=relevancy&f:caij-unik-checkboxes=[Doctrine]&m=detailed&bp=results) (consulté le 31 mai 2020) à la p. 227; MarilynPICCINI ROY, « Fiducie discrétionnaire et droit civil », (2003) 51 Canadian Tax

Journal 1690, 1705-1706, qui écrit que l’attribution de pouvoirs discrétionnaires au fiduciaire demeure assujettie à l’article 1309 C.c.Q. et à ses obligations de prudence et de diligence, notamment.

84Jacques BEAULNE, « Les acteurs de la fiducie », dans Droit des fiducies, 3e éd., Montréal, Wilson

& Lafleur, 2015, en ligne :

https://unik.caij.qc.ca/recherche#q=beaulne%20les%20acteurs%20de%20la%20fiducie&t=unik&sor t=relevancy&f:caij-unik-checkboxes=[Doctrine]&m=detailed&bp=results) (consulté le 31 mai 2020) à la p. 210; Valérie BOUCHER, « Fiducie », dans JurisClasseur Québec – Collection de droit Civil – Biens

et publicité des droits, fasc. 20, Montréal, Lexis Nexis Canada, à jour au 1erjuillet 2012.

85 Le professeur Jacques Beaulne écrivait, par contre, que le droit des bénéficiaires pouvait être

qualifié de droit personnel en se fondant notamment sur les articles 1261 et 1284 C.c.Q. Voir Jacques BEAULNE, « Les acteurs de la fiducie », dans Droit des fiducies, 3e éd., Montréal, Wilson & Lafleur,

2015, en ligne :

https://unik.caij.qc.ca/recherche#q=beaulne%20les%20acteurs%20de%20la%20fiducie&t=unik&sor t=relevancy&f:caij-unik-checkboxes=[Doctrine]&m=detailed&bp=results) (consulté le 31 mai 2020) à la p. 233.

Références

Documents relatifs

Respect des contraintes horaires de production Mise en œuvre des techniques professionnelles Production dans le respect des consignes Réalisation de productions

→ Des outils innovants avec les Campus connectés pour fournir des solutions d’accès aux études supérieures dans tous les territoires, les classes préparatoires “Talents

Si l'application d'une loi provinciale à une entreprise fédérale a pour effet de l'entraver ou de la paralyser, c'est, , le signe quasi infaillible que cette sujétion

Partager des informations et confronter des expériences qui ont déjà démontré leur pertinence, tels sont les objectifs de la ren- contre régionale «Coopération internationale dans

Afin d'optimiser la réponse mondiale, il faut que tous agissent et que tous soient en mesure d'agir : l'UICN, par l'intermédiaire de ses Membres et de ses partenaires, s'engage

Cette intervention, consacrée à la revivification de la langue arabe par une approche plurilingue, sera étayée par le biais de deux cas d’étude, l’un se rapportant

Les connaissances phonologiques et plus particulièrement la conscience phonémique associées à l’acquisition des premières connaissances alphabétiques (connaissance des

Protection de l’acquéreur immobilier – droit de rétractation – nullité du compromis de vente – remise d’un chèque par l’acquéreur antérieurement à la signature