• Aucun résultat trouvé

222Christine MORIN, « Le testament, instrument de traduction », dans A. POPOVICI, L. D. SMITHet R.

TREMBLAY, dir., Les intraduisibles en droit civil, Montréal, Thémis, 2014, p. 103.

223Id., à la p. 108. Voir aussi Christine MORIN, « La capacité de tester : tenants et aboutissants »,

pas nécessairement judicieuse, équitable ou sage de son vivant et ne le sera

certainement pas davantage au moment de la rédaction de son testament224!

Dans son texte portant sur le testament à titre d’objet de traduction de l’intention du testateur, la professeure Morin rapporte avec précision de nombreux exemples jurisprudentiels qui démontrent que les juges auront généralement plus de facilité à accepter l’exhérédation d’une personne avec laquelle le testateur était en conflit et le legs en faveur d’une personne que le testateur appréciait225.

Par ailleurs, si le testament semble contraire à une explication « traditionnelle », les tribunaux seront plus enclins à examiner des questions de capacité ou de captation226 ou même à remettre en question l’interprétation littérale du texte. En

effet, « un testament qui force une interprétation par l’absurde ou qui conduit à un résultat déraisonnable [est généralement] écarté. »227

En somme, bien que le droit soit clair à l’effet que le testateur a la liberté d’être déraisonnable dans l’exercice de sa faculté de tester, les tribunaux sont parfois enclins à tenir compte de la « raisonnabilité » d’un testament pour évaluer la capacité du testateur ou pour interpréter une disposition douteuse. Ainsi, il semble y avoir consensus : les juges n’ont pas à s’assurer que le testament soit raisonnable, mais ils doivent se convaincre que l’interprétation correspond à la volonté du disposant228. C’est dans le processus mené dans cet objectif qu’on voit parfois

apparaître le « testateur raisonnable ». Or, le jugement des tribunaux à l’égard d’un testament ne devrait pas impliquer sa comparaison avec ce qu’une personne raisonnable aurait voulu écrire. Le testament devrait plutôt être évalué et interprété

224Christine MORIN, « La capacité de tester : tenants et aboutissants », (2011) 41 R.G.D. 1, 28,

citant Pierre CIOTOLA, « Successions – Des principes usuels d’interprétation des testaments et les décisions rendues en 2007 », (2008) 110 R. du N. 37, 42 et 43.

225Christine MORIN, « Le testament, instrument de traduction », dans A. POPOVICI, L. D. SMITHet R.

TREMBLAY, dir., Les intraduisibles en droit civil, Montréal, Thémis, 2014, p. 103, à la p. 110. Voir aussi Christine MORIN, « La capacité de tester : tenants et aboutissants», (2011) 41 R.G.D. 1, 32.

226Christine MORIN, « Le testament, instrument de traduction », dans A. POPOVICI, L. D. SMITHet R.

TREMBLAY, dir., Les intraduisibles en droit civil, Montréal, Thémis, 2014, p.103, à la p. 111. Voir aussi

Christine MORIN, « La capacité de tester : tenants et aboutissants», (2011) 41 R.G.D. 1, 33.

227 André J. BARETTE, « Règles de preuve et confidentialité en matière d'administration du bien

d'autrui », dans S.F.C.B.Q., Développements récents en successions et fiducies, vol. 305, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2009, p. 79, à la p. 83.

228Christine MORIN, « Le testament, instrument de traduction », dans A. POPOVICI, L. D. SMITHet R.

sur la base de ce qu’on connaissait du testateur lui-même, avec ses qualités, ses

défauts229, ses croyances, ses valeurs et ses autres caractéristiques

personnelles230. Ce faisant, les tribunaux protègent la liberté de tester, même de

façon déraisonnable, des justiciables québécois.

L’évaluation du caractère logique, cohérent ou raisonnable du testament dans une optique de s’assurer de la capacité du testateur ou d’éviter la captation est donc une autre manifestation de la possibilité pour l’interprète d’un testament de considérer l’intention ou les caractéristiques propres au testateur. Les fiduciaires devront toutefois être d’autant plus prudents dans l’exercice de leurs pouvoirs discrétionnaires s’ils doivent réaliser une affectation qui pourrait paraître déraisonnable compte tenu du réflexe que peuvent avoir certains juges de favoriser une interprétation de l’affectation qui mènerait à un résultat raisonnable à leurs yeux.

Sous-section 2 –La preuve d’éléments externes pour interpréter l’intention du testateur

Il est pertinent de nous questionner sur la possibilité d’interpréter l’acte constitutif de la fiducie testamentaire (le testament) en ayant recours à des éléments extrinsèques au testament lui-même, qu’on pense aux biens que le testateur détenait au moment de la rédaction de son testament, à la personnalité du testateur ou à ses habitudes particulières, par exemple. Cette question est d’intérêt pour déterminer si l’affectation de la fiducie peut être interprétée en fonction d’éléments externes au testament lui-même ou si seule sa lettre peut être considérée dans l’analyse de l’affectation. Cette analyse paraît essentielle à la question de recherche puisque les interrogations relatives à l’exercice du pouvoir discrétionnaire surviennent spécifiquement lorsque le testament est ambigu ou silencieux à l’égard d’une décision particulière. Dans ces circonstances, les éléments externes suscitent un intérêt particulier.

229Christine MORIN, « Le testament, instrument de traduction », dans A. POPOVICI, L. D. SMITHet R.

TREMBLAY, dir., Les intraduisibles en droit civil, Montréal, Thémis, 2014, p. 103, à la p. 126.

À l’égard des règles de preuve de l’intention d’un testateur, la doctrine et la jurisprudence divergent. La doctrine distingue entre les déclarations antérieures ou contemporaines à la rédaction du testament et celles qui ont lieu postérieurement231.

Ainsi, les déclarations du testateur quant à ses intentions eu égard à la rédaction future de son testament ne constituent pas du ouï-dire, car elles ne sont pas la preuve de la connaissance d’un fait par le testateur. Ces déclarations relèvent plutôt d’un simple acte de volonté. L’acte de volonté est l’objet de la preuve lui-même alors que la connaissance d’un fait en est un moyen232. Ainsi, la déclaration du testateur

comme expression de sa volonté devrait être recevable en preuve233et pouvoir être

utilisée comme élément externe pour interpréter son testament. Dans son ouvrage sur la preuve, le professeur Ducharme souligne d’ailleurs que la jurisprudence subordonne à tort la recevabilité des déclarations d’intention antérieures ou contemporaines à la rédaction du testament aux conditions de l’article 2870 C.c.Q. qui requièrent qu’elles soient « spontanées et contemporaines de la survenance des faits »234. Ces déclarations devraient plutôt être recevables comme simples preuves

de l’expression de la volonté du disposant. On ne devrait donc aucunement leur appliquer les règles propres au ouï-dire et ce sont plutôt les règles de la pertinence de la preuve, de la force probante et de la crédibilité qui devraient préoccuper les tribunaux235.

Les déclarations du testateur postérieures à la rédaction du testament doivent quant à elles être traitées tout autrement. « Comme par cette déclaration le testateur exprime sa connaissance d’un fait, en vue de prouver l’existence de ce fait, cette déclaration participe de la nature d’un témoignage. C’est dire que cette déclaration, pour être recevable en preuve à ce titre, doit satisfaire aux conditions énoncées à

231Léo DUCHARME, Précis de la preuve, 6e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2005, par. 1291-1294. 232Id., par .1284.

233Id., par. 1291. 234Article 2870 C.c.Q.

235Léo DUCHARME, Précis de la preuve, 6e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2005, par. 1293, André

J. BARRETTE, «Règles de preuve et confidentialité en matière d'administration du bien d'autrui», dans

S.F.C.B.Q., Développements récents en successions et fiducies, vol. 305, Cowansville, Éditions

l’article 2870 C.c.Q. »236. Dans ce contexte, la déclaration devra présenter des

garanties de fiabilité237.

Tel qu’indiqué précédemment, la jurisprudence semble s’éloigner de l’analyse pourtant bien étayée présentée par le professeur Ducharme238 en ce que les

tribunaux exigent généralement que toutes les déclarations et les preuves extrinsèques satisfassent aux critères de fiabilité de l’article 2870 C.c.Q..

Des éléments tels que « la personnalité du défunt, son niveau d’instruction ou de sophistication, son modus operandi, ses habitudes »239 sont donc retenus par la

jurisprudence pour établir l’intention du testateur dans la mesure où l’article 2870 C.c.Q. est respecté. Les tribunaux permettent également au notaire instrumentant de témoigner sur l’intention du testateur240.

En somme, bien qu’une ambiguïté demeure à l’égard de l’application de l’article 2870 C.c.Q., on peut conclure que les défis posés par la preuve en matière testamentaire ne font pas obstacle à la considération de l’intention du testateur par les fiduciaires lors de l’exercice de leurs pouvoirs discrétionnaires241. Le droit permet

l’inclusion en preuve d’éléments externes propres à établir l’intention du testateur qui peuvent donc être considérés par les fiduciaires dans l’exercice de leurs fonctions.

À titre d’exemple, dans son texte portant sur les problèmes courants en matière d’administration des fiducies testamentaires, l’auteur André J. Barette semble prétendre qu’on puisse vouloir démontrer que « le constituant a toujours avantagé de son vivant le bénéficiaire, qu’il l’a fait vivre, soutenu, etc. et que l’on peut inférer

236Léo DUCHARME, Précis de la preuve, 6e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2005, par. 1294. 237Id.

238 André J. BARETTE, « Règles de preuve et confidentialité en matière d'administration du bien

d'autrui », dans S.F.C.B.Q., Développements récents en successions et fiducies, vol. 305, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2009, p. 79, à la p. 83-84, Stéphane REYNOLDS, et Monique DUPUIS, «Les qualités et les moyens preuve » dans École du Barreau du Québec, Preuve et procédure, Collection de droit 2018-2019, vol. 2, Montréal, Éditions Yvon Blais, 2018, p. 213, à la p.278.

239 André J. BARRETTE, « Règles de preuve et confidentialité en matière d'administration du bien

d'autrui », dans S.F.C.B.Q., Développements récents en successions et fiducies, vol. 305, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2009, p. 79, à la p. 83.

240Pichette c. Pichette, [2003] R.L. 365 (C.S.).

241Dans Pichette c. Pichette, [2003] R.L. 365 (C.S.), par exemple, le notaire instrumentant, le frère

et l’ami de la défunte ont témoigné de son intention, le juge soulignant que l’article 2870 C.c.Q. était respecté.

de ses intentions, qu’il entendait perpétuer cette assistance »242. L’auteure Julie

Loranger abonde dans le même sens soulignant que le mémorandum fiscal pourrait être utile pour prouver l’affectation de la fiducie243.

La démarche interprétative à l’égard de l’affectation doit donc non seulement considérer le droit du testateur d’être déraisonnable, mais elle peut également être enrichie d’éléments externes existants au moment de la signature du testament. L’importance de l’intention du testateur s’en trouve à nouveau soulignée.

Section 2 - Les caractéristiques propres à la fiducie

testamentaire

Nous avons constaté dans la section précédente qu’en droit général des successions, l’importance accordée à l’intention du testateur est indéniable. Il faut toutefois faire preuve d’un certain réalisme et d’un souci de cohérence des dispositions législatives entre elles : dans une perspective de droit des fiducies, l’intention du testateur n’est pas une panacée puisque (1) la fiducie doit jouir d’une certaine autonomie par rapport à son constituant et que (2) l’identité des fiduciaires peut rendre l’exécution de l’intention du testateur plus ou moins difficile. Le testament qui entraîne la constitution d’une fiducie est en quelque sorte un acte « gigogne ». Il doit répondre des exigences propres au domaine testamentaire tout en respectant les règles fondamentales nécessaires à la constitution d’une fiducie.

Sous-section 1 - Les limites à l’intention du testateur dans le contexte du droit des fiducies

D’abord, l’affectation de toute fiducie se doit d’être fixée et d’acquérir une certaine indépendance et une autonomie qui ne permettront plus à l’auteur de se dédire244.

L’intention du constituant, à titre d’outil d’interprétation de l’affectation de la fiducie,

242André J. BARETTE, « Problèmes courants en matière d’administration fiduciaire : le cas des fiducies

testamentaires » dans S.F.C.B.Q., Fiducies personnelles et successions, vol. 186, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2003, p. 74.

243LORANGER, J., « Les limites aux pouvoirs discrétionnaires des fiduciaires dans les fiducies entre

vifs » dans Congrès 2011, Montréal, Association de planification fiscale et financière, 2011, p. 22- 1 :42, à la p.22.

244Marcel FARIBAULT, Traité théorique et pratique de la fiducie ou trust du droit civil dans la province de Québec, Montréal, Wilson & Lafleur, 1936, p. 140.

ne peut donc pas varier dans le temps. Autrement, certains auteurs avancent qu’on pourrait remettre en question l’intention même de créer une fiducie245. En effet, si la

fiducie prend naissance par le fait que des biens soient affectés à une fin particulière246et que cette fin n’est pas déterminée, on peut craindre qu’il n’y ait pas

création d’un réel patrimoine distinct de celui du constituant. Heureusement, il faut dire que le caractère testamentaire confère à l’affectation une certaine stabilité, le constituant étant décédé !

D’autre part, en droit des fiducies, des auteurs ont été appelés à se prononcer sur la portée de l’intention du testateur dans le cadre de la modification d’une fiducie. La question différait toutefois quelque peu de celle qui nous occupe puisque l’article 1294 C.c.Q. fait directement référence à la « volonté première du constituant »247

comme l’une des circonstances permettant au tribunal de mettre fin à la fiducie ou de modifier l’acte constitutif. Le lecteur constatera que la présente sous-section traite abondamment de la position adoptée par l’auteur André J. Barrette qui sous-tend qu’une scission doit s’opérer entre l’administration successorale et l’administration fiduciaire. Comme l’auteur est un praticien reconnu, il nous paraît essentiel d’expliquer comment la question de l’exercice des pouvoirs discrétionnaires des fiduciaires qui nous intéresse se distingue de celle qui l’occupe dans ses écrits. Ce dernier, dans le contexte de la modification d’un acte constitutif, soutient que l’intention du testateur n’est pas aussi pertinente qu’on pourrait le croire248. Il avance

même que cette intention pourrait être évacuée, soutenant que dans la majorité des cas où une modification de l’acte constitutif est requise, elle l’est en raison de l’incomplétude de l’acte constitutif de la fiducie249. Il souligne par ailleurs que les

tribunaux font fréquemment erreur en ce qu’ils ne distinguent pas selon qu’ils soient

245Lionel SMITH, “Massively Discretionary Trusts” (2019) 25 Trusts & Trustees 397, 161 et Banque de Nouvelle-Écosse c. Thibault, 2004 CSC 29.

246Article 1260 C.c.Q. 247Article 1294 C.c.Q.

248 André J. BARETTE, « “« Dead Hand »”, l’administration fiduciaire et les intentions du défunt :

toujours compatibles? », dans S.F.C.B.Q., Développements récents en successions et fiducies, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2012, p. 181, à la p. 187.

appelés à se prononcer sur une question de succession ou de fiducie250. On ferait

donc face à un problème de qualification juridique251 puisque les tribunaux

appliqueraient à l’administration fiduciaire des principes propres aux successions et à l’administration successorale252. Son argumentaire se fonde253 notamment sur

l’affaire Poulin c. Poulin254qui portait sur la modification d’une fiducie et dans laquelle

la Cour supérieure avait déclaré, en obiter et erronément en l’espèce selon Me

Barette que « [l]a notion de liberté de tester ainsi que celle du respect des volontés du testateur sont des concepts fondamentaux du droit successoral québécois et ce n’est que dans des circonstances très spéciales qu’il est permis par le législateur d’intervenir pour modifier ou annuler les volontés clairement exprimées par le testateur.»255

Or, selon MeBarette, ce sont plutôt les principes propres à l’administration fiduciaire

qui auraient dû s’appliquer, l’administration fiduciaire étant distincte de l’administration successorale256. Il ne balaye toutefois pas complètement l’intention

du testateur du revers de la main :

« Nous estimons que la volonté du constituant testateur est importante sans être primordiale ni même le critère unique. À cet égard, les volontés du testateur énoncées à l’article 1294 C.c.Q. ont peu à voir avec les volontés du testateur adoptées comme règle d’interprétation d’un testament ambigu. Dans notre cas, il ne s’agit aucunement d’interpréter un écrit dont la portée est douteuse ou les effets incertains. (…) Plus la modification proposée viendra simplifier l’administration pour ainsi avantager ses bénéficiaires, plus, il nous semble, la notion de la volonté du constituant cédera devant l’intérêt général clairement démontré. (…) L’analyse porte sur l’intérêt suprême de l’administration et de ses bénéficiaires et non sur d’hypothétiques visées d’un constituant décédé. »257

250 André J. BARETTE, « “« Dead Hand »”, l’administration fiduciaire et les intentions du défunt :

toujours compatibles? », dans S.F.C.B.Q., Développements récents en successions et fiducies, Cowansville, Yvon Blais, 2012, 181, à la p. 188.

251Id., à la p. 188. 252Id., à la p. 193. 253 Id., à la p. 188.

254Poulin c. Poulin, 2010 QCCS 2928. 255Poulin c. Poulin, 2010 QCCS 2928.

256André J. BARETTE, « “Dead Hand”, l’administration fiduciaire et les intentions du défunt : toujours

compatibles? », dans S.F.C.B.Q., Développements récents en successions et fiducies, Cowansville, Yvon Blais, 2012, 181, à la p. 193.

Se distinguant de la vision proposée, certains décideurs ont déjà avancé que le caractère testamentaire doit être conservé pour la durée de la fiducie :

« Le Tribunal estime que le fait de recevoir un bien par l’intermédiaire d’une fiducie testamentaire ne change pas sa provenance. Une fiducie conserve son caractère tout au long de son existence à moins de modifications ordonnées par le tribunal. Dans notre cas, il n’y a eu aucune modification à la fiducie. La fiducie a commencé à exister au décès du père de la partie requérante et continue à exister par suite de son décès. Elle demeure une fiducie testamentaire et les montants reçus demeurent transmis par succession. »258

Cette vision milite en faveur de l’importance de l’intention du testateur qui continuerait de « teinter », voire de dicter l’exercice des pouvoirs des fiduciaires tout au long de l’existence de la fiducie.

Il n’est pas nécessaire de conclure sur la question du poids de l’intention du testateur dans les procédures de modification d’une fiducie pour déterminer comment les fiduciaires peuvent exercer leurs pouvoirs discrétionnaires puisqu’on peut distinguer la question de la modification d’une fiducie dont il est question dans les écrits de Me

Barrette de celle de l’exercice du pouvoir discrétionnaire par les fiduciaires. En effet, comme les pouvoirs des fiduciaires doivent s’exercer conformément à l’affectation de la fiducie, la réelle question consiste généralement à interpréter cette affectation dont le texte est trop souvent douteux. On cherchera donc à en comprendre le but ou la portée pour réduire l’ambiguïté. Il s’agit d’une question d’interprétation.

Il va sans dire que l’interprétation des dispositions portant sur l’affectation, qu’elles se retrouvent dans un testament ou dans un acte constitutif de fiducie entre vifs, fait référence à l’intention de son disposant. Les règles d’interprétation propres aux testaments ne font qu’accentuer l’importance d’une intention qu’on voudrait de toute façon connaître, qu’on soit en matière d’administration successorale ou d’administration fiduciaire.

L’intention du testateur trouve toutefois une autre limite. Tel qu’indiqué précédemment, « [d]ans son rôle, le fiduciaire a la particularité de ne représenter

personne »259. La Cour d’appel, dans Hand c. Auclair260, disait plutôt que les

fiduciaires sont les mandataires des bénéficiaires261. Cette affirmation nous semble

devoir être nuancée puisque sur la base de la théorie des pouvoirs juridiques privés, les fiduciaires sont plutôt les « mandataires »262de la fin particulière pour laquelle la

fiducie a été constituée et ils ne représentent donc ni les bénéficiaires, ni le testateur (sauf quant à son intention initiale).

En somme, bien que l’affectation doive être interprétée en fonction de l’intention du testateur, elle est vouée à une certaine stabilité et elle ne peut pas varier au gré des simples perceptions qu’ont les vivants de l’intention du disposant. L’affectation se doit donc d’être interprétée en fonction de l’intention initiale du testateur. Nous nous permettons de rappeler la vision de Faribault qui nous semble parfaitement cohérente avec une interprétation qui allie le respect de l’intention du testateur et la stabilité requise par le droit des fiducies : les fiduciaires décident en fonction de « ce qu’[ils] pense[nt] que ferait le testateur s’il rédigeait aujourd’hui ses dernières volontés, et si, dans l’intervalle, il n’avait pas changé de dispositions »263. Par

ailleurs, même si l’interprète se doit d’être prudent et de distinguer habilement les questions d’administration successorale de celles relevant davantage de l’administration fiduciaire, l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire constitue davantage une question d’interprétation de l’affectation qu’une question d’administration en soi, qu’elle soit successorale ou fiduciaire.

Sous-section 2 - L’identité des fiduciaires en l’absence du défunt parmi eux

Si la liberté de tester si chère aux Québécois apporte une couleur particulière aux fiducies constituées par testament, on peut aussi dire que l’identité des fiduciaires

259Julien BUSQUE, La portée de l’article 1275 du Code civil du Québec, (2016) R. du N. 457, à la p. 7

et Alexandra POPOVICI, Le patrimoine d’affectation : nature, culture, rupture, mémoire de maîtrise,

Mémoire (LL.M.), Québec, Faculté des études supérieures, Université Laval, 2012, à la p. 46.

Documents relatifs