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Ralentir le vieillissement : les origines antiques d’une théorie entre physiologie et éthique

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Academic year: 2021

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théorie entre physiologie et éthique

Jean-Christophe Courtil

To cite this version:

Jean-Christophe Courtil. Ralentir le vieillissement : les origines antiques d’une théorie entre physiolo-gie et éthique. Cahiers des Études Anciennes, University of Ottawa & Laval University, 2018, CEA LV„ p. 197-215. �hal-01979411�

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La Vieillesse dans l'Antiquité, entre déchéance et sagesse

Ralentir le vieillissement : les origines antiques

d’une théorie entre physiologie et éthique

Jean-Christophe Courtil

Electronic version

URL: http://journals.openedition.org/etudesanciennes/1094 ISSN: 1923-2713

Publisher:

Université d’Ottawa, Université Laval Printed version

Date of publication: 28 April 2018 Number of pages: 197-215 ISSN: 0317–5065

Electronic reference

Jean-Christophe Courtil, « Ralentir le vieillissement : les origines antiques d’une théorie entre

physiologie et éthique », Cahiers des études anciennes [En ligne], LV | 2018, mis en ligne le 06 mai 2018, consulté le 08 mai 2018. URL : http://journals.openedition.org/etudesanciennes/1094

Les contenus des Cahiers des études anciennes sont mis à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.

(3)

Ralentir le vieillissement :

les origines antiques d’une théorie entre physiologie et

éthique

J

EAN

-C

HRISTOPHE

C

OURTIL

Université Toulouse-Jean-Jaurès

Depuis le début des années 2010, plusieurs études1 ont

démontré qu’il est possible de ralentir le vieillissement des êtres

vivants par au moins deux processus identifiés : un ralentissement du métabolisme obtenu par une restriction calorique et un rallongement des télomères (extrémités des chromosomes dont la longueur détermine la vitesse de vieillissement cellulaire) par une activité physique régulière. L’idée de la possibilité de ce ralentissement, présentée comme une grande découverte du XXIe siècle, a en réalité été formulée dès l’Antiquité.

Très tôt, les Anciens se sont demandés si la durée de la vie était prédéterminée2, ou s’il était possible de l’allonger en modifiant

certaines pratiques. Il s’agit là d’une question capitale pour les

êtres humains, puisqu’elle touche aux sujets fondamentaux de la prédestination et du libre-arbitre, qui intéressent à la fois la philosophie et la médecine. Certains des comportements humains,

1 Sur le ralentissement du métabolisme par la restriction calorique, voir par exemple E. CAVA & L. FONTANA, « Will Calorie Restriction Work in Humans ? », Aging 5, 7 (2013), p. 507-514 ; sur le rallongement des télomères par la pratique physique, C. PAUMARD, « Les Bénéfices de l’activité physique dans les pathologies chroniques », Neurologie - Psychiatrie - Gériatrie 14, 82 (2014), p. 201-208.

2 Voir tout particulièrement Sénèque, Consolation à Marcia 21, 4-5 ; De la vie heureuse 21, 1 ; Lettres 30, 4 et 12 ; 58, 30-32 ; 93, 1.

(4)

qu’ils relèvent de choix éthiques ou diététiques, peuvent-ils ralentir le vieillissement et allonger ainsi la durée de l’existence ? L’idée selon laquelle le vieillissement d’un organisme est

susceptible d’accélération ou de ralentissement est bien présente dans la pensée antique, principalement dans la littérature médicale, mais aussi, surtout chez les Romains, dans la littérature

non technique. En grec, deux expressions permettent d’exprimer

cette idée : d’une part, α Ν α ήΝ α3, « vieillir rapidement », et Ν α / α4, « vieillir lentement », attestées dans le Corpus hippocratique et chez Galien ; d’autre part α / α Ν 5

« vieillir rapidement », / 6

, « vieillir plus rapidement », et α Ν 7, « vieillir lentement », chez les mêmes auteurs moins fréquemment, et surtout chez Aristote. En latin, l’expression est calquée sur cette dernière : on utilise le verbe senescere avec divers adverbes au comparatif ou au superlatif : celerrime senescere8, « vieillir très rapidement » ;

celerius senescere9 et citius senescere10, « vieillir plus

3 Hippocrate, Articulations 58 (IV, 255 Littré) ; Mochlique 24 (IV, 369 Littré) ; Galien, Art médical 8 (I, 328 Kühn) ; De la préservation de la santé 1, 3 (VI, 9 Kühn) ; De la méthode thérapeutique 7, 6 (X, 495 Kühn).

4 Hippocrate, Articulations 58 (IV, 255 Littré) ; Du régime I, 32 (VI, 509-510 Littré).

5 α

: Aristote, Parties des animaux 652a 5 ; Hippocrate, Du régime I, 32 (VI, 509-510 Littré) ; α : Aristote, De la longévité 466b 6 ; α Ν : Galien, De la préservation de la santé 5, 12 (VI, 374 Kühn).

6

Aristote, Génération des animaux 775a 21-22 ; Histoire des animaux 519a 16 ; 578a 3 ; 582a 12 ; Hippocrate, Du septième mois du foetus 9 (VII, 450 Littré).

7 Aristote, Problèmes 909b 1.

8 Celse, I, 1, 3 ; Pline, Histoire naturelle I, 51. 9

Columelle, VII, 9, 3 ; Pline, Histoire naturelle VII, 4, 37 ; XI, 85, 212 ; XVI, 56, 130 ; XXVIII, 14, 56.

10 Varron, De l’agriculture II, 8, 3 ; Pseudo-Quintilien, Petites déclamations 306, 20.

(5)

rapidement » ; tardissime senescere11, « vieillir très lentement ». On trouve également les expressions maturam senectutem reddere12, « hâter la vieillesse », et in senectam praecipitare13, « précipiter la vieillesse ».

Que signifient ces expressions ? S’agit-il simplement d’une autre manière de dire « allonger la durée de vie » ou avons-nous véritablement la formulation de cette idée qui nous semble si moderne de la variabilité de la vitesse du vieillissement de

l’organisme ? L’utilisation des adverbes que nous venons de

relever vient confirmer clairement la seconde hypothèse. Les adverbes utilisés, en grec ou en latin, ne renvoient pas à un axe spatial, mais temporel : il s’agit bien de l’expression d’une vitesse du vieillissement variable selon les individus. Au contraire, l’idée

d’allongement de l’espérance de vie, elle aussi présente chez les

Anciens, est formulée à travers des expressions qui relèvent de la spatialisation du temps, comme avec le verbe extendere, utilisé par Sénèque14. Il ne s’agit donc pas seulement de vivre plus

longtemps, mais de ralentir le vieillissement, c’est-à-dire de

prolonger la période de la vie en meilleure santé, de retarder autant que possible la dégénérescence sénile.

Afin de mieux comprendre cette théorie de la variabilité de la vitesse du vieillissement dans la pensée antique, nous avons analysé les passages traitant de ce sujet chez les auteurs médicaux grecs et latins (le Corpus hippocratique, le traité De la médecine

de Celse et l’œuvre de Galien), mais aussi chez les auteurs non

médicaux qui ont traité de matière médicale, tout particulièrement

Aristote, Sénèque et Pline l’Ancien. Nous tâcherons ici de

démontrer que cette théorie répond à des préoccupations tout autant médicales que philosophiques, à la croisée des mécanismes physiologiques et des préoccupations morales.

11 Pline, Histoire naturelle I, 51 ; XVI, 51, 118 et 119. 12

Celse, I, 1, 1.

13 Pline, Histoire naturelle XVII, 19, 94.

14 De la vie heureuse 21 : extendere aetatem, « prolonger la vie » ; Lettres 93, 1 : senectutem extendere, « prolonger la vieillesse ».

(6)

I

Comment ralentir le vieillissement ?

Physiologie du vieillissement

Pour comprendre le fonctionnement du ralentissement du

vieillissement, il faut d’abord identifier les facteurs physiologiques auxquels s’applique cette variabilité. Pour la

médecine antique, le vieillissement se caractérise par trois phénomènes : la perte de chaleur, la perte d’humidité15 et la perte des forces.

L’idée selon laquelle la vieillesse est un long processus de refroidissement et d’assèchement est abondamment développée,

principalement dans la littérature médicale, dans le Corpus hippocratique16 et chez Galien17, mais aussi chez Aristote18 et les Stoïciens19. La vieillesse est ainsi perçue comme une dyscrasie,

15 À noter toutefois que deux auteurs hippocratiques, ceux du Régime (I, 33 ; VI, 513 Littré) et De la nature de l’homme (17 = Du régime salutaire 2 ; VI, 75 Littré), soutiennent que le vieillard est humide. Voir C. MAGDELAINE, « Vieillesse et médecine chez les médecins grecs d’Hippocrate à Galien », in B. BAKHOUCHE (ed.), L’Ancienneté chez les anciens, Montpellier, Publications de l’université Paul-Valéry, 2003, tome I, p. 61-82, particulièrement p. 67.

16 Hippocrate, Épidémies I, 2, 6 (II, 638 Littré) ; Aphorismes 1, 14 (IV, 466 Littré) ; De la nature de l’homme 12, 6 (VI, 64 Littré).

17 Galien, De la préservation de la santé 5, 12 (VI, 374 Kühn). Sur ce sujet, cf. dans ce volume les articles de V. BOUDON-MILLOT, p. 107, et d’A.-F. MORAND, p. 130.

18

Aristote, De la longévité 466a 1 : Ν Ν α Ν Ν α Ν υ Ν (…)έΝ Ἀ Ν υ Ν αΝ α α , « la vieillesse est sèche et froide (…). Il est nécessaire que celui qui vieillit se dessèche ». Toutes les traductions sont nôtres. Sur la conception aritostélicienne de la vieillesse, cf. dans ce volume l’article d’A. WOODCOX (p. 65-78). 19

Pseudo-Plutarque, Sur les opinions des philosophes V, 30 : Ν

Ν υ φ Ν Ν α Ν α Ν Ν Ν Ν Ν

·Ν Ν Ν π Ν π Ν Ν Ν Ν π Ν π ῖ Ν

(7)

une mauvaise répartition des qualités internes avec une prédominance excessive du froid et du sec20. Celse parle du « froid de la vieillesse » (frigor senectutis, II, 1, 5), et Sénèque fait souvent mention de ce refroidissement au sujet de son propre corps vieillissant21. Le philosophe évoque en outre le dessèchement de la vieillesse à travers la cachexie sénile qui fait maigrir le vieillard22.

Enfin, un troisième processus accompagne le vieillissement,

celui de l’affaiblissement, de la perte des forces vitales. Le

vieillard est caractérisé par sa faiblesse générale ( α)23, faiblesse qui est en réalité une conséquence de la perte de chaleur. Pline remarque le même phénomène à propos des arbres qui

vieillissent plus promptement lorsqu’ils ont des racines courtes,

ou des branches émondées, car ils sont affaiblis24.

D’un point de vue physiologique, la vieillesse est donc un

refroidissement, un assèchement et un affaiblissement. Par conséquent, conformément au principe, cher à la médecine antique, d’équilibre des contraires (contraria contrariis), selon

du fait du manque de chaleur. En effet, les hommes qui ont davantage de chaleur vivent plus longtemps ».

20 Voir C. MAGDELAINE, op. cit., p. 77.

21 Lettres 34, 1 : discussa senectute recalesco, « ma vieillesse mise à l’écart, je me réchauffe » ; 67, 1 : iam aetas mea contenta est suo frigore, « mon âge est désormais bien assez froid de lui-même ». 22 De la clémence II, 6, 3 : crus alicuius aridum aut pannosam maciem, « une jambe desséchée ou la maigreur ridée (scil. du vieillard) ». 23

Voir par exemple Hippocrate, Sur la nature de la femme 2, 119 (VIII, 260 Littré).

24 Pline, Histoire naturelle XVI, 56, 130 : quidam breuitate radicum celerius senescere arbores putant, « certains pensent que les arbres vieillissent plus rapidement quand leurs racines sont courtes » ; XVII, 19, 94 : illam inscientiam pudendam esse conueniet adultas interlucare iusto plus et in senectam praecipitare, « on conviendra que c’est une ignorance honteuse que de tailler les (scil. arbres) adultes plus qu’il ne faut, et d’en précipiter la vieillesse ».

(8)

lequel il faut corriger tout dérèglement par l’excès opposé25

, tous les facteurs qui refroidissent, assèchent et affaiblissent, accélèrent le vieillissement ; tous ceux qui au contraire réchauffent, humidifient et fortifient le ralentissent26.

Parmi ces facteurs physiologiques qui influent sur la vitesse du vieillissement, deux types distincts apparaissent : d’un côté les facteurs qui relèvent de la prédestination, sur lesquels nous

n’avons aucun pouvoir, et de l’autre, les moyens diététiques qui au contraire permettent de l’infléchir.

Les facteurs de prédestination

Parmi les facteurs qui relèvent de la prédestination, le premier concerne le genre. L’idée selon laquelle les femmes vieillissent plus rapidement que les hommes est uninanimement développée aussi bien dans les textes médicaux que dans la littérature non technique27. Il faut dire que de fait, dans l’Antiquité, la longévité des hommes est plus importante que celle des femmes, mais cela

n’a en réalité rien à voir avec la vitesse de vieillissement28

. Pour les Anciens, la raison de ce vieillissement plus rapide est

double. D’une part, les femmes sont d’une constitution moins

25 Sur ce principe appliqué à la vieillesse, voir Galien, De la préservation de la santé 5, 2 (VI, 314 Kühn).

26 On retrouve ce triple facteur dans l’imaginaire légendaire du Moyen Âge à travers les mythes de la fontaine de jouvence ou de l’absorption du sang de jeunes gens dans le but de rajeunir. Voir N. BENOIT-LAPIERRE, « Guérir de vieillesse », Communications 37 (1983), p. 149-165, particulièrement p. 151.

27 Pseudo-Quintilien, Petites déclamations 306, 20 : inter pares quoque annos citius femina senescit, « dans un même intervalle d’années, une femme vieillit plus rapidement ».

28 La véritable cause est le taux élevé de mortalité en couches. Voir M. GRMEK, « La Réalité nosologique au temps hippocratique », in J. JOUANNA & L. BOURGEY (eds), La Collection hippocratique et son rôle dans l’histoire de la médecine, Leyde, Brill, 1975, p. 237-255, particulièrement p. 243 ; S. BYL, « La Vieillesse dans le Corpus hippocratique », in F. LASSERRE & P. MUDRY, Formes de pensée dans la collection hippocratique, Genève, Droz, 1983, p. 85-95, particulièrement p. 92. Cf. l’article de J.-N. CORVISIER, supra p. 17-36.

(9)

chaude que les hommes29, et sont donc plus sujettes au refroidissement ; d’autre part, elles se développent plus vite, et portent les enfants, facteur supplémentaire de fatigue, et donc de perte de chaleur30. Pline remarque la même chose à propos des arbres : les variétés qui poussent rapidement sont celles qui vieillissent le plus vite31, car elles s’épuisent aussi plus vite.

Un deuxième facteur relevant de la prédestination est la constitution, ou tempérament32. C’est en effet en se fondant sur les qualités élémentaires que les auteurs hippocratiques puis

Galien ont tenté d’expliquer pourquoi certaines personnes vieillissent plus vite que d’autres.

Le Corpus hippocratique présente l’idée selon laquelle

certaines constitutions connaissent un vieillissement rapide, alors

que d’autres vieillissent plus lentement :

α Ν Ν Ν Ν α Νπυ Ν Ν

υ υΝ α Ν α Ν Ν πυ υΝ (…)Ν α Ν

υ Ν α Ν φ Ν α α έΝ (…)Ν Ὕ α Ν Ν Ν

29

Aristote, Génération des animaux 775a 11-22 ; Galien, De l’utilité des parties du corps humain 11, 14 (III, 901 Kühn) ; 14, 6 (IV, 161 Kühn). À noter que pour Parménide, au contraire, les femmes sont plus chaudes que les hommes (Aristote, Parties des animaux 648b). 30

Aristote, Histoire des anima ux 583b 26-28 ; Génération des animaux 775a 11-22 ; Hippocrate, Du septième mois du foetus 9 (VII, 450

Littré) : Ν Ν Ν Ν α Ν φ υ Ν α Ν

υ Ν Ν Ν Ν Ν Ν Ν α Ν Ν α α ,

« elles (scil. les femmes) deviennent pubères, intelligentes et vieilles plus vite que les hommes à cause de la faiblesse de leur corps et de leur régime » ; Galien, Deuxième commentaire sur les Épidémies

d’Hippocrate 31 (XVIIA, 445 Kühn) ; Pline, Histoire naturelle VII, 4,

37 : feminas celerius gigni quam mares, sicuti celerius senescere, « les femmes se forment plus rapidement que les hommes, et vieillissent aussi plus vite ».

31 Pline, Histoire naturelle XVII, 35, 155 : hoc pro senescendi celeritate adtributum huic arbori ut citissime proueniat, « en compensation de la rapidité avec laquelle il vieillit, cet arbre a reçu le privilège de pousser très vite ».

32

(10)

πα υ υΝ α Νπυ Ν Ν π υΝ υ Ν Ν

Ν α Ν(…)Να Ν α α Νφ Ν α Ν α Ν Ν

α

les constitutions avec le feu le plus léger et l’eau la plus épaisse (…) sont celles qui vieillissent vite. (…) Celles avec l’eau la plus tenue et le feu le plus fort (…) ont une longue vie

et vieillissent lentement (Du régime I, 32 ; VI, 509-510 Littré). La vieillesse étant un refroidissement, il est en effet logique que les tempéraments les plus chauds vieillissent moins vite que ceux qui sont plus froids. On retrouve cette même idée chez Galien, qui affirme que les tempéraments froids et secs vieillissent plus rapidement : Ν Ν Ν Ν υ Ν α Ν Ν Ν Ν Ν

α·Ν Ν α Ν α Ν Ν Ν α αΝ α α, « celui (scil. le tempérament) froid et sec est semblable à celui des vieillards.

C’est pourquoi de tels corps vieillissent rapidement » (De la préservation de la santé 5, 12 ; VI, 374 Kühn). Là encore, rien de surprenant : il est moins long d’épuiser la chaleur et l’humidité qui se trouvent déjà en faible quantité dans le corps33.

Un dernier élément relevant de la prédestination réside dans les

facteurs environnementaux. La vieillesse n’est pas un état

uniforme et constant, mais peut varier suivant les interactions que

l’individu entretient avec la réalité extérieure. Il s’agit

principalement des conditions climatiques qui semblent aux Anciens pouvoir jouer un rôle dans la vitesse de vieillissement34.

L’auteur des Opinions des philosophes, que nous appelons par commodité le Pseudo-Plutarque, affirme que les climats excessivement chauds font vieillir plus rapidement, alors que ceux qui sont excessivement froids le font moins rapidement :

Ν Ν π Ν π Ν Ν Ν Ν π Ν π ῖ Ν έΝἈ π Ν π Νφ Ν α Ν Ν Ν αΝ Ν Ν π α α Ν Ν α αΝ π Ν Ν υΝ αφ α ·Ν Ν α ᾳΝ α Ν Ν Ν Ν Ν Ν α α Ν Ν Ν π υ

33 Cf. de même Galien, Art médical 8 (I, 328 Kühn) ; De la préservation de la santé 6, 3 (VI, 397 Kühn).

34

(11)

les hommes qui ont davantage de chaleur vivent plus longtemps. Asclépiade affirme que les Éthiopiens vieillissent rapidement, et que leurs corps, à trente ans, sont déjà brûlés

par le soleil à cause de l’excès de chaleur35

. En Bretagne, on vit cent vingt ans, du fait de la froideur des lieux (5, 30). Cette idée est étonnante dans la mesure où elle semble contredire ce que nous disions jusqu’à présent sur l’équilibre des contraires,

théorie qui est d’ailleurs rappelée par l’auteur dans la première

phrase du passage. En réalité, si les individus qui vivent dans des

régions très chaudes vieillissent très vite, ce n’est pas à cause du réchauffement de leur corps, mais de l’excès de chaleur souligné

par le terme π α α . Car un excès de chaleur provoque un dessèchement, et accélère ainsi la vitesse du vieillissement. Au contraire, un froid excessif humidifie, et ralentit ainsi le vieillissement36.

Par ailleurs, dans les Problèmes aristotéliciens, les individus qui vivent dans des lieux bien aérés vieillissent lentement, alors que ceux qui habitent des lieux encaissés et marécageux connaissent un vieillissement rapide : Ν Ν Ν Ν Ν ῖ Ν π Ν π Ν α Ν υ ,Ν Ν Ν Ν ῖ Ν Ν α Ν Ν α νΝ Ν Ν α Ν π Ν Ν ,Ν π α Ν Ν Ν ·Ν Ν Ν Ν Ν Ν Ν Ν απ Ν Ν Ν Νπ ,Ν Ν Ν

pour quelle raison ceux qui sont dans des lieux bien aérés vieillissent lentement, alors que ceux qui sont dans des lieux encaissés et marécageux vieillissent rapidement ? Parce que la

vieillesse est une sorte de décomposition, et le fait d’être

inactif décompose, alors que ce qui est en mouvement est soit

35Il semble s’agir ici d’un peuple appartenant au groupe ethnique des Éthiopiens (voir Pline, Histoire naturelle VI, 35, 195), distinct des Macrobes à la longévité remarquable dont il est souvent question dans la littérature (voir par exemple Homère, Iliade I, 420-425 ; Aristote, Politique 1290b 3-7 ; Pline, Histoire naturelle VII, 7, 27).

36

(12)

totalement imputrescible, soit y est moins sujet, comme l’eau

(909b 1).

Certes, depuis Hippocrate, il est communément admis qu’un air ou une eau qui stagnent sont mauvais pour la santé37, théorie due en grande partie au fait que les eaux stagnantes étaient liées au paludisme. Mais ici, c’est plus précisément l’absence de

mouvement de l’eau et de l’air38

qui provoque leur corruption,

corruption environnementale qui se traduit chez l’individu qui

habite ce milieu par une accélération du processus de vieillissement, lui-même décrit par analogie comme une « décomposition » ( π ).

Les facteurs comportementaux

D’autres facteurs, au contraire, concernent des choix humains,

un mode de vie qui entraîne lui-même une accélération du vieillissement ou son ralentissement. Ces facteurs relèvent de la

diététique, des habitudes que l’homme doit adopter pour rester en bonne santé, et, pour reprendre l’expression de Galien à propos

du régime, « pour que l’être vivant ne vieillisse pas vite », π Ν

Ν Ν α Ν α Ν Ν 39

.

Cela concerne en premier lieu l’alimentation, et tout

particulièrement la quantité de nourriture ingérée : les êtres suralimentés et trop gras vieillissent plus rapidement que les autres. Aristote explique ce phénomène par le fait que

l’engraissement refroidit, car il nécessite l’utilisation de beaucoup

37 Aristote, Problèmes 862a 7-8 ; Hippocrate, Des airs, des eaux et des lieux 7 (II, 26 Littré) ; Vitruve, I, 4, 1 ; Celse, II, 18, 12 ; Sénèque, Lettres 105, 1 ; Questions naturelles VI, 27, 2-3 ; Pline, Histoire naturelle XXXI, 19.

38 Sur la signification de cette absence de mouvement, cf. infra p. 214. 39 De la préservation de la santé 1, 3 (VI, 9 Kühn). Cf. de même Pline, Histoire naturelle XXIX, 8, 15 : (…) qua medicina se et coniugem usque ad longam senectam perduxerit, Caton retrace « les moyens médicaux par lesquels il a procuré à lui et à sa femme une longue vieillesse ». Cf. la discussion des recommandations de Galien dans l’article de V. BOUDON-MILLOT (supra p. 122-123) et d’A.-F. MORAND (supra p. 135-136).

(13)

de sang et entraîne donc une diminution de la chaleur que

l’humeur fournit au corps : Ν α Ν Ν α Ν Ν α Ν

π α·Ν α αΝ Ν Ν Ν Νπ αΝ α υΝ Ν

α α ,Ν Ν ’Ν α αΝ Ν π π α Ν π Ν Ν

φ , « de là vient que les êtres trop gras vieillissent vite. Ils

ont en effet peu de sang, parce que leur sang s’est dépensé en

engraissement, et que cette diminution est déjà un chemin vers la destruction » (Parties des animaux 652a 5). On retrouve cette idée chez Celse et Pline40, sans explication physiologique. Pline

développe d’ailleurs l’exemple de Pollion Romilius qui connut

une longue vieillesse en réduisant son alimentation au strict nécessaire : multi senectam longam mulsi tantum intrita tolerauere, neque alio ullo cibo, celebri Pollionis Romili exemplo. Centensimum annum excedentem, « beaucoup sont parvenus à une longue vieillesse en ne prenant pour toute

nourriture que du pain dans du vin miellé, à l’exemple fameux de

Pollion Romilius. Il dépassait les cent ans » (Histoire naturelle

XXII, 53, 114). Outre l’apport calorique réduit à son minimum, on pourrait ajouter que dans ce cas le vin, souvent prescrit par les médecins antiques, donne force et chaleur41, et par ces deux

facteurs ralentit d’autant plus le vieillissement.

Cependant aucun excès n’est jamais bon. La réduction

excessive de l’alimentation, le jeûne, fait elle aussi vieillir le

corps plus rapidement, selon Hippocrate42, certainement parce

que la chaleur apportée par l’aliment n’est plus suffisante, et que

la diète dessèche et fatigue. En revanche, comme l’affirment par

40 Celse, I, 1, 3 : ea corpora, quae more eorum repleta sunt, celerrime et senescent, « ces corps, qui ont été remplis (scil. de nourriture) à la manière des athlètes vieillissent aussi très rapidement » ; Pline, Histoire naturelle XI, 85, 212 : senescunt quoque celerius praepinguia , « les animaux très gras vieillissent aussi plus vite ».

41 Cf. Hippocrate, Du régime dans les maladies aiguës 14 (II, 333 Littré) ; Des vents 14 (VI, 112 Littré) ; Sénèque, De la colère II, 19, 5 ; Lettres 78, 5 ; 95, 22 ; Celse, III, 19, 5.

42 Pline, Histoire naturelle XXVIII, 14, 56 : Hippocrates tradit non prandentium celerius senescere exta, « Hippocrate affirme que les entrailles des personnes qui ne déjeunent pas vieillissent plus vite ».

(14)

ailleurs Aristote et le Corpus hippocratique43, si consommer des aliments fournit sa chaleur au corps, il faut toutefois se garder de

trop s’alimenter afin de lui laisser des moments de

refroidissement. Car, paradoxalement, trop d’aliment éteint le feu vital par un excès de chaleur.

Un autre facteur de ralentissement du vieillissement qui relève de la diététique est l’exercice physique44. L’auteur hippocratique du traité des Articulations affirme que les parties du corps qui sont faites pour que l’on s’en serve vieillissent moins rapidement

quand on les exerce que lorsqu’on les laisse au repos :

π αΝ Ν Ν Ν α Ν αΝ π Ν Ν ,Ν

Ν Ν αΝ α Ν υ α Ν Ν Ν

α α π ,Ν Ν Ν α αΝ α , Ν Ν Ν

α Ν α αΝ α Ν αΝ α ·Ν Ν Ν ,Ν ’

υ Ν αΝ α Ν α Ν αυ αΝ α Ν α α

toutes les parties du corps qui sont faites pour que l’on s’en serve, employées avec mesure et exercées à l’effort à laquelle

chacune a été habituée, sont saines, développées et vieillissent lentement ; si l’on ne les utilise pas, et qu’elles sont inactives, elles sont plus maladives, mal développées et vieillissent rapidement (58 ; IV, 255 Littré)45.

En effet, l’inaction affaiblit le corps, l’exercice le fortifie, et ralentit ainsi l’affaiblissement sénile46

. Celse affirme encore plus

clairement que les hommes doivent faire de l’exercice

43 Aristote, De la jeunesse et de la vieillesse 470a 4 : Ν υ Ν Ν

π Ν ῖΝ α Ν Ν Ν(…),Ν ῖΝ α Ν αΝ Ν Ν

Ν Ν Ν Ν α υ , « il est donc évident que s’il faut que la chaleur se conserve (…), il faut aussi qu’il y ait un certain refroidissement de la chaleur qui en est le principe » ; Hippocrate, Aphorismes 1, 14 (IV, 466 Littré) : υ Ν Ν Ν Ν ,Ν Ν

Ν αΝ Ν π αυ Ν α ·Ν π Ν π Ν Ν

π υ α , « les vieillards ont peu de chaleur et pour cela n’ont besoin que de peu d’aliment ; car trop de nourriture éteindrait la chaleur ».

44 Voir S. BYL, op. cit. n. 28, p. 92.

45 Cf. de même Hippocrate, Mochlique 24 (IV, 369 Littré). 46

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fréquemment, car l’inaction hâte la vieillesse, alors que l’effort

prolonge la jeunesse : nauigare, uenari, quiescere interdum, sed frequentius se exercere : siquidem ignauia corpus hebetat, labor firmat; illa maturam senectutem, hic longam adolescentiam reddit, « (il faut que l’homme en bonne santé) navigue, chasse, prenne parfois du repos, mais plus souvent s’exerce : car

l’inaction affaiblit le corps, l’effort le renforce, la première hâte la vieillesse, l’autre prolonge la jeunesse » (I, 1, 1). Ce

ralentissement du vieillissement est ici clairement formulé : c’est

parce que l’exercice fortifie (firmat) qu’il maintient jeune et en

forme. L’inaction, au contraire, affaiblit (hebetat) et cet

affaiblissement ne vient que renforcer l’affaiblissement sénile. Cette idée apparaît en outre dans l’exemple relaté par Pline et

déjà évoqué de Pollion Romilius :

centensimum annum excedentem eum diuus Augustus hospes interrogauit, quanam maxime ratione uigorem illum animi corporisque custodisset. At ille respondit : « intus mulso, foris oleo » ;

il dépassait les cent ans lorsque le divin Auguste, son hôte, lui demanda par quel moyen principalement il avait conservé une

telle vigueur de l’esprit et du corps. Et celui-ci répondit :

« Avec du vin miellé au-dedans, de l’huile au-dehors » (Histoire naturelle XXII, 53, 114)47.

La formule intus mulso, foris oleo souligne la coexistence de deux facteurs pour expliquer la longévité de Pollion : une restriction calorique et la pratique du sport, désignée ici de manière métonymique par le terme oleum, qui renvoie à l’huile

dont s’enduit l’athlète.

Mais là encore, aucun excès ne peut être bénéfique. De même

qu’une inaction excessive est néfaste, de même un exercice excessif ne saurait être salutaire, car il fatigue, et, nous l’avons

47 Cf. aussi Pline, Histoire naturelle XIV, 29, 150 ; 22, 53 ; Athénée 46a.

(16)

vu, la fatigue assèche et refroidit, provoquant une accélération du vieillissement48.

Un dernier facteur diététique à prendre en compte dans

l’évolution du vieillissement est la reproduction. Aristote met très clairement en lien la fréquence de l’accouplement et la vitesse de

vieillissement. Il remarque ainsi que les espèces animales qui se reproduisent le plus vieillissent également le plus vite49 : le mulet,

stérile, vieillit plus lentement que l’âne et le cheval qui l’ont conçu. Car l’usage fréquent du coït, bien qu’il réchauffe50

, fatigue, et la fatigue dessèche. Aristote précise en outre que

l’émission de sperme, perte de l’humide, dessèche d’autant plus l’animal.

Varron observe quant à lui que faire saillir un âne avant l’âge le

fait vieillir plus vite51, Columelle, que plus la truie est féconde

48 Aristote, De la longévité 466b 7 : Ν Ν α Ν αΝ π Ν Ν

Ν α Ν Ν Ν π Ν Ν ·Ν α Ν Ν Ν

π ,Ν Ν Ν α Ν Ν , « ceux qui se fatiguent parmi les mâles vieillissent davantage à cause de la fatigue. Car la fatigue dessèche, et la vieillesse est sèche ».

49 Aristote, De la longévité 466b 6 : Ν α Ν Ν υ Ν α Ν

π π αΝ Ν α ·Ν Ν Ν π αΝ π α,Ν α Ν

α Ν π έΝΚα Ν Ν Ν Ν α Ν α Ν ππ υΝ

α Ν υΝ Ν Ν ,Ν α Ν Ν αΝ Ν ,Ν Ν υ Ν

Ν Ν α, « voilà pourquoi les animaux ardents à saillir et qui ont beaucoup de sperme vieillissent rapidement : en effet, le sperme est une sécrétion, et son émission dessèche. C’est pour cela que le mulet vit plus longtemps que le cheval et l’âne dont il naît, et que les femelles vivent plus que les mâles, si les mâles sont ardents à saillir » ; Histoire des

animaux 582a 12 : Ν ,Ν Ν ᾽ φ α Ν

Ν α Ν Ν υ α Ν Ν ῖ Ν Ν Ν π ,

« il (scil. le corps) vieillit plus vite chez les hommes qui abusent des plaisirs de l’amour et chez les femmes qui ont fait de nombreux enfants ».

50 Hippocrate, Du régime II, 58, 2 (VI, 527 Littré).

51 De l’agriculture II, 8, 3 : hunc minorem si admiseris, et ipse citius senescit, et quae ex eo concipiuntur fiunt deteriora, « si tu l’as fait s’accoupler (scil. l’âne) plus jeune, celui-ci vieillit plus vite, et les petits qu’il conçoit sont de plus mauvaise qualité ».

(17)

plus elle vieillit rapidement52, et Pline que la fertilité des arbres accélère leur vieillissement53.

II

Signification éthique de la vitesse du vieillissement

Si l’on examine tous ces éléments considérés par les Anciens comme facteurs d’accélération du vieillissement, on remarque rapidement qu’ils concernent pour la plupart la diététique :

alimentation, activité physique, sexualité. Dans chacun de ces

cas, c’est un comportement contraire à la nature de l’homme et à

ses besoins naturels qui est implicitement condamné, puisque

conduisant à une vieillesse dont l’accélération constitue une

perturbation de la physiologie normale. La vieillesse devient ainsi

une sorte de punition d’un mode de vie déviant. L’idée, qui

apparaît pour la première fois chez Pline — qui assimile la vieillesse à une poena, à un châtiment(Histoire naturelle VII, 50, 167) —, a connu une immense postérité jusqu’à nos jours, en

passant par Isidore de Séville qui affirme sans ambages qu’une vie de luxure affaiblit l’organisme et « accélère le vieillissement »

(celeriter ducit ad senectutem, Sentences II, 40, 5).

Il existe donc à ce sujet un lien très étroit entre médecine et

philosophie, puisque la théorie médicale de l’accélération du vieillissement se révèle être le reflet d’une vision éthique de l’existence humaine : il est possible de ralentir le vieillissement, si toutefois l’on obéit à l’ordre des choses, qu’on le nomme

Nature, Providence ou Dieu.

Ralentir le vieillissement par l’exercice de la vertu

Nous l’avons vu, tous les excès, quels qu’ils soient, accélèrent le vieillissement, même l’excès de chaleur à propos duquel on

52 VII, 9, 3 : femina sus habetur ad partus edendos idonea fere usque in annos septem, quae quanto fecundior est celerius senescit, « on considère que la truie est apte à engendrer jusqu’à sept ans environ, mais plus elle est féconde, plus elle vieillit rapidement ».

53

(18)

pourrait croire pourtant qu’il pût le ralentir. Il s’agit d’abord de l’excès de nourriture, avec les corps des athlètes suralimentés54

;

de l’excès d’inaction55, mais aussi de l’excès d’exercice56

, qui tous deux fatiguent ; de l’excès de sexualité, que cela concerne

l’âge des premiers rapports, leur fréquence, et même la quantité

des petits qui en résultent57. Au contraire, la modération permet de ralentir le vieillissement, comme le montre l’exemple de Platon évoqué par Sénèque :

Plato ipse ad senectutem se diligentia protulit. (…) parsimonia tamen et eorum quae auiditatem euocant modus et diligens sui tutela perduxit illum ad senectutem multis prohibentibus causis. Nam hoc scis, puto, Platoni diligentiae suae beneficio contigisse, quod natali suo decessit et annum unum atque octogensimum impleuit sine ulla deductione.(…) Potest frugalitas producere senectutem ;

Platon lui-même s’est prolongé jusqu’à la vieillesse par ses

soins (…) cependant la sobriété, la mesure dans ce qui excite l’appétit, et une tutelle attentive de lui-même, l’ont fait arriver jusqu’à la vieillesse, malgré de nombreux obstacles. Car tu sais, je pense, ce qu’a valu à Platon ses soins : il mourut le

jour de son anniversaire, et vécut sa quatre-vingt-unième

année entièrement révolue. (…) La frugalité peut conduire à la

vieillesse (Lettres 58, 30-32).

Ici le substantif diligentia pourrait être compris comme désignant le simple soin dans le régime, mais la présence à ses côtés des termes frugalitas et parsimonia, qui viennent s’opposer à auiditas, conduisent à interpréter ces trois termes comme des vertus, opposées au vice de la gourmandise, l’auiditas. Ainsi, la vertu permet de ralentir le vieillissement, alors que les excès du

vice l’accélèrent.

54 Aristote, Parties des animaux 652a 5 ; Celse, I, 1, 3 ; Pline, Histoire naturelle XI, 85, 212.

55

Hippocrate, Articulations 58 (IV, 255 Littré) ; Mochlique 24 (IV, 369 Littré) ; Celse, I, 1, 1.

56 Aristote, De la longévité 466b 7. 57

(19)

On observe la même vie vertueuse chez Pollion Romilius (Pline, Histoire naturelle XXII, 53, 114), autre exemple de longévité record, devenue paradigmatique, et obtenue elle aussi par la frugalité. Pline affirme d’ailleurs plus précisément que

c’est la temperantia qui permet de ralentir le vieillissement58. En réalité, la temperantia est l’une des vertus cardinales stoïciennes

dont les vertus citées auparavant ne sont que des manifestations59.

Au contraire, une vie d’excès, dirigée par la luxuria, accélère le vieillissement, comme on le trouve très clairement exprimé chez Isidore de Séville60.

C’est donc la temperantia des premiers Romains, la simplicité incarnée par le mosmaiorum, qu’il faut rechercher afin de ralentir

son vieillissement. Sénèque évoque Fabricius, senextriumphalis, qui parvient à retarder la faiblesse sénile en pratiquant les activités physiques traditionnelles des anciens Romains comme le travail des champs et la chasse61. C’est également la description

que nous donne Celse de l’homme en bonne santé qui chasse et fait de l’exercice pour prolonger sa jeunesse (I, 1, 1).

Un vieillissement rapide, châtiment d’une vie contre-nature

58

Pline, Histoire naturelle XXVIII, 14, 56 : multo utilissima est temperantia in cibis, « la tempérance dans l’alimentation est de loin ce qu’il y a de plus utile ».

59

Voir SVF I, 374 ; III, 256 (Galien, Sur les théories d’Hippocrate et de Platon VII, 2 Kühn) ; 262 (Stobée, Éclogues II, 59, 4 Wachsmuth). 60 Sentences II, 40, 5 : luxuriosa namque uita carnem cito debilitat, fractamque celeriter ducit a d senectutem, « car une vie pleine de débauche fatigue vite la chair, et conduit rapidement à une vieillesse épuisée ».

61 De la providence 3, 6 : infelix est Fabricius, quod rus suum, quantum a re publica uacauit, fodit ? (…) Quod ad focum cenat illas ipsas radices et herbas quas in repurgando agro triumphalis senex uulsit ?, « Fabricius est-il malheureux parce qu’il travaille sa terre tout le temps qu’il ne donne pas à la République ? (…) Parce qu’il mange à son foyer les racines et les herbes que, vieillard triomphant, il a arrachées dans son champ ? ».

(20)

Outre les excès, ce sont également toutes les pratiques contre-nature qui peuvent accélérer le vieillissement. Cela concerne par

exemple l’inaction des parties faites pour l’action. Nous l’avons

vu62, les articulations ont été créées pour être en mouvement, non

pour être immobiles. L’inaction va donc à l’encontre de leur

nature, elle désobéit à la Providence, et pour cela, provoque une accélération du vieillissement de la partie utilisée à

contre-emploi. On retrouve cette même idée dans l’affirmation

aristotélicienne selon laquelle l’eau et l’air privés de leur

mouvement naturel favorisent la corruption à l’origine de l’accélération du vieillissement63

. De même, une pratique

contre-nature de la sexualité, avant l’âge fixé par la Providence64

, ou dans une plus grande mesure que celle qu’elle a préétabli65, a

pour conséquence un vieillissement accéléré. L’accélération du

vieillissement physiologique devient ainsi en quelque sorte la

conséquence, et même le châtiment d’un mode de vie non

conforme aux règles morales dictées par la nature.

La théorie de la variabilité de la vitesse du vieillissement de

l’organisme, qui semble pourtant si contemporaine, est donc présente dès l’Antiquité. On peut relever l’extrême modernité de

cette idée : non seulement les Anciens avaient conscience de la

possibilité de modifier l’espérance de vie, mais ils avaient en

outre la compréhension que cela devait passer par la vitesse de

vieillissement de l’organisme, ce que nous nommons aujourd’hui

sénescence cellulaire. Par ailleurs, cette théorie met l’accent sur

le fait que vivre plus longtemps n’est souhaitable que si le

vieillissement ralentit : il s’agit de vivre plus longtemps en meilleure santé, idée qui préfigure les exigences de la gériatrie moderne.

Comme dans la médecine actuelle, les Anciens ont séparé les

facteurs de prédétermination, que l’on appellerait aujourd’hui

62

Hippocrate, Articulations 58 (IV, 255 Littré). 63 Aristote, Problèmes 909b 1.

64 Varron, De l’agriculture II, 8, 3. 65

(21)

facteurs génétiques ou environnementaux, des facteurs qui relèvent du libre-arbitre, autrement dit des facteurs comportementaux. La médecine contemporaine est venue confirmer ces facteurs que les médecins antiques avaient déjà identifiés : en particulier, les deux principaux facteurs de la

restriction calorique et de l’activité sportive ; par conséquent, la suralimentation et l’inaction sont largement condamnées.

À l’instar de la philosophie hellénistique, la médecine antique

laisse donc la possibilité à l’homme de faire les bons choix. S’il

consent à fuir les excès et à vivre conformément à la Nature, il obtiendra comme récompense la santé de son corps, le prolongement de son existence, qui sont en ce sens un reflet de la

bonne santé de son âme. Conformément à l’analogie traditionnelle dans l’Antiquité entre âme et corps, l’accélération du vieillissement est alors perçue comme le châtiment d’une vie

déréglée, alors que son ralentissement est la récompense qu’offre une vie vertueuse.

Aujourd’hui encore, fleurissent les études qui se concentrent sur

les facteurs comportementaux du vieillissement, beaucoup plus

que sur les facteurs génétiques, car l’homme a toujours cette

volonté de maîtriser son vieillissement en adaptant son mode de vie, faute de pouvoir agir sur le facteur génétique — du moins pour le moment — et de se hisser ainsi à la place du Dieu providentiel.

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