MODELES ET SIMULATION : EN GUISE D'INTRODUCTION
Jean-Louis MARTINAND
LlRESPT
MODKLKS KT SIMULATION
Le thème modèles et simulation peut être pris au premier abord comme un
effet de mode, permettant à chacun d'employer les deux termes, à tout propos et
sans doute hors de propos, en les substituant à des mots plus adéquats pour une
pensée plus précise. c'est un risque; mais le risque le plus grand serait de
passer à côté des innombrables modèles que la biologie (fig. l et fig. 2), la
chimie, la physique ou les sciences de l'univers nous proposent, de ne pas
comprendre les démarches de la construction de l1IOdèles et de la simulation,
pour en venir à prendre leurs produits comme la réalité elle-même. Le premier
but de ces Journées est d'étendre et d'affiner notre connaissance.
co.
4~1
H.C 2,~III H.O 0,1 I/j
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choteur1travail
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matière
H,O 1,51/j
Sçhêma J'un organl!>me mellant en \'ah:ur !'ocs enlréc:s Cl sesmrlicsd'eau ctle rôledu CùIIlP;.lIl1lDCOI rënal (unité; Iiuc/jour).
Figure 1
François ClIl'VALLlER - SYSTEMES ,;'r MODELES
Ulk introduction
à
la méthode des indicateurs - 1984Figure 2 Le moaele de meme/ana en mosalCue fluide
La technique da
cryofrscrur8 clivela
blCouche MpI(1lque en
son milieu.
LesprotéInesmembrsnalfes sonlmllmement associéesâlabicouchB. Certaines d'BOlfS éJles sont Situees tangentiellement
a
la surlaes externe delabcouche (A), d'eutre. sont des protémes
(ransmembranSJrBS qui traversentlabicouche en
par/Je (B)ou en10taMIl(C). rouI comme les lipides,
les protéines membrana;res possèdent des légions
hydrophiles qui s'onenlent en surface el des réglOfIs hydrophobes, qui restent enfouiesIll'intérieur dela membrane
Denombteuses protémes membranalrBS sont associées. des polysacchandes formant alors des
glycoprotéme•. Les parties poiysaccha!ldlQues decas
protéinesSBsituent â lasurlace externedela
membrane plasmique.enregard dumlueu
8)(uaceJJulaire.
Chaque molécule de phospholipide membtan",re esl o"enlés : sa ,tille poIa"e hydrophile esf en surlacede lamembraneet$8S2QUBUBSnon polaires.
hydrophobes vers l'mlllneur delebicouclle.
~
~
La plolelne majofltaite delamembfane plasmique du
globule rouge compone enVlfon130ecides emmés ;
20 d'enlre eux ne portent pas de cherges et sonl SituésIll'inléfleur delamembrene;lesdeu~ e~lrémiMsdelechaine poIypeplld'Que .onl par conlre chergées et hydrophiles: eNe. émergent en
surfacedechaque ccllé delamembrane. ceNe prolélne est appelée glycophoune.
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p
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CB·ll;Q DO" 005
ICI·JJI ICI·34.
Diodel de redressemenl au.ilidum.
QlIcl411Cl aspli:cls de dioJcs.
Mais notre préoccupat ion première est celle de l'enseignement et de la
diffusion, de la réception et de l'apprentissage de la pensée scientifique. Or
les modèles et la simulation font une entrée massive dans les contenus
d'enseignement. dans la vulgarisation.
1.1 Prenons cOII..e exemple un objet maintenant présent en France de
l'école primaire à l'Université : la diode à semiconducteur (fig. 3). Elle y
apparaît d'abord comne un objet à manipuler. Son utilisation pratique en
développe une expérience familière, qui, dans le cadre scolaire. débouche sur
une connaissance que nous qualifierons de phénoménologique.
L'étude expérimentale de cet objet s'appuie et développe un concept
essentiel: celui de caractéristique, qui résume ce qu'on sait du comportement
du "dipôle" en termes de grsndeurs physiques, intensité de courant et
différence de potentiel et qu'on représente habituellement graphiquement (fig.
4). Le constructeur fournit certains éléments sur les caractéristiques des
objets qu'il fabrique et qu'il garantit (valeurs précises, conditions d'emploi
voir fig. et 6). L'ensemble de ces connaissances sur l'objet et son
fonc t ion,lelDent double donc la phénoménologie d'une sorte de phénoménotechnique.
L'important ici est de bien voir qu'il y a déjà une connaissance très
importante, efficace. descriptive et prévisionnelle, liée à des moyens de
symbolisation. et co.nportant des concepts. une "loi" (la caractéristique>' Mais i l n' y a pas à propre,nent parler de modèle.
• • • • •• •• •• - l, V,
I.w
Diodes silicium planar
Plan" silicon diod,s'*
1N 914, A, B
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1N 916, A, B
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f -I 1 ; " ' -Figure 61.2 - Deux exigences indépendantes conduisent à modéliser à propos de cet ob jet.
- La première exigence est d'ordre pratique. Pour mieux maîtriser l'action, il
s'agit de mieux dégager la fonction technique d'un tel objet, les conditions de
son utilisation. On va alors procéder à une réduction opératoire, dont la trace
graphique est visible sur la figure 7. Prenons le cas de la diode "passante".
Chacun des quatre encadrés contient de gauche à droite un symbole de
l'objet-diode, un schéma et une représentation graphique de "caractérist ique". Les opérations de "modélisation" se lisent particulièrement bien sur les
représentations graphiques puisque celui du bas à droite, anologue à celui de
la figure 6 peut être considéré comme d'origine expérimentale et fait donc
part ie de la "phénoménologie". Lorsqu'on parcourt ces représentat ions
graphiques de bas en haut, on voit une succession de transformations qui sont
des "abstract ions" de certaines part icularités de la courbe (linéarisation "par
morceaux", redressement de la 2ème part ie de la courbe, effacement de la
valeur Vd). Les schémas au centre des encadrés représentent l'interprétation du
comportement de la diode en termes d'éléments idéaux équivalents ce sont
précisélnent les schémas de modèles de la diode, à différents niveaux
d'apprOltimation. On peut donc lire sur cette figure le mouvement de
modélisation lui-même avec ses caractéristiques de pluralité et de pragmatisme.
Mais on peut être incité à modéliser pour de toutes autres raisons
expliquer par des théories la forme ,nême de la caractéristique de l'objet
(fig. 4), ou en tout cas une partie. C'est ce que fait la loi de Shockley
(fig. 8), à partie de la théorie électronique des semiconducteurs elle-même
application de la théorie quantique. 'lais pour y arriver une langue série
d'hypothèses ont dû être posées elles correspondent en fait à des
modélisations du matériau semiconducteur et de l'objet "jonction entre deuK
semiconducteurs"
Il suffit d'étudier les électrons dans un cristal parfait.
n
suffit de faire comme si on avait un seul électron.On corrige la théorie des bandes d'énergie ainsi obtenue par la prise
en compte des "impuretés" (tout-à-fait volontaires et contrôlées : ce sont les "donneurs" et les "accepteurs" de la fig.
8L
On considère que la loi de répartition de Boltzmann peut s'appliquer
(pour représenter les effets de la température). La loi obtenue alors reproduit
DIODE PASSANTE
A
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~I K
.
A• '1 K1.-0
O<;'lfN
La diodeStcomporle comme un Û11t,rupltu,fermi.
A A A ~I K K 0< 1 .. l,y
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IONlsl_ - -3
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!>
' - - - 'Figure
8
Bien sûr la distinction
technique est provisoire il
ultérieures s'entrelacent.
opérée entre visée scientifique et visée
n'y a pas opposition, et les recherches
1.3 - L'exemple que nous avons présenté vise uniquement à poser plus
concrètement q1lelques problèmes didactiques. Avant tout il importe d' ins ister
dès maintenant sur l'existence de deux niveaux dont nous devons mieux concevoir la nature et les rapports.
Le niveau du "référellt empirique", c'est-à-dire celui des objets, des
phénomènes, et de leur connaissance phénoménologique. Il y a bien une
responsabilité de la didactique dans le choix, la définition du référent
empirique: quels objets, quels phénomènes, quelles manipulations introduire en
classe, et regrouper ensemble en un champ de familiarisation empirique pour les
élèves? Quelles règles pour réussir les manipulations ? Quelles notions pour
décrire les phénomènes, quelles lois empiriques?
- Le niveau des modèles construits sur ces référents, selon des exigences qui
n'ont pas de solutions sur le premier niveau. Alors, quelles sont justement ces
exigences, les problèmes, les visées? Quels sont les théories éventuelles, les
outils symboliques utilisés? Quelles sont les significations construites, les
conditions d'utilisation, le champ de validité du modèle ou des modèles
S'intéresser à toutes ces questions, de manière approfondie, c'est ce que
certains ont appelé par analogie sémantique, syntaxe et pragmatique de ces
modè les.
En sciences expérimentales, une erreur fatale, mais courante dans
l'enseignement ou l'histoire est de confondre ces deux nlveaux alors 'lu' ils
doivent être explorés chacun pour soi et dans leur rapport. Il y a donc ici une
exigence pour la recherche didactique que nous voulons exprimer avec toute la
vigueur possible: que ce soit pour les décisions sur les contenus, l'étude des
conduites des élèves, l'évaluation de l'enseignement, les choses sont moins
simples qu'il ne nous parait à la suite d'une longue formation (et déformation)
à notre discipline. Ilne seule remarque en passant la phénoménologie attachée
au référent empirique est évidemment affectée par l'emploi d'un modèle connu i
il risque donc cie se produire, et on l'observe souvent en chimie par exemple,
des clifférences importantes entre la "phénoménologie des élèves" (leurs
représentat ions initiales des objets et phénomènes) et celle des professeurs,
[[.1 - Naus arrivons donc à ces IXèmes Journ~es avec des pr~occupations
didactiques pr~cises. Il ne peut s'agir de déterminer à la hâte quel est le
meilleur modèle à enseigner, compte tenu de l'évolution des sciences et des
techniques, ou Jes r~sultats de l'expérimentation didactique. Cela n'aurait
Sllcun sens en Jehors J'une clarification des buts, des lIlOyens, des contraintes
de l'enseignement et de l'apprentissage. Par contre, quelques lignes
directrices ressortent
- Comment se présente le référent empirique dans un domaine ?
- Quelle peut É!tre la phénom~nologie init iale ? Quels sont ses rapports
avec les repr~sentations premières des élèves ?
- Quels problèmes conduisent à mod~liser ?
- Comment fonctionne le modèle proposé? Que permet-il d'expliquer, de
prévoir ? Quel est son domaine de validité ?
- En quoi cons is tent son exploration, son app lication, sa manipu lat ion
expérimentale, que nous appelons simulation?
Quelles modifications entraine-t-il pour les représentations des
phénomènes (la phénoménolagie attachée à un réf~rent empirique) ?
- Q"elle part les élèves peuvent-ils prendre à la construction ou au
développement du modèle? Quelles sont les voies de l'appropriation?
Il. 2 - Il faut reconnaître que toutes ces questions sont fort peu posées
dans l'enseignement. On se borne souvent à présenter les modèles comlDe s'ils
étaient la vérité on discute parfois de la dernière vérité; on ne cherche
pas à di Efuser les d~marches de mod~lisation.
Ces Journées de Chamonix s'inscrivent dans un long chemin pour redonner
a"" modèles scientifiques dans l'~ducation et la culture toute leur force
Ileuristique, mais aussi leur fragilité d'hypothèse. A l'étape o~ nous en
sommes, nous ne savons d'ailleurs même pas si les attitudes, stratégies,
méthodes à mettre en oeuvre, ont un caractère général, ou au contraire très
spéc i fique à chaque domaine de la nature et de la technique.
Du moins quelques thèmes semblent se dégager, autour desquels ont ét~
construites les séances pleinières :
- Le thème des "~odèles spontanés", éventue llement i'Dpl ici tes dans la
pensée commune et enfantine. 11 s'agit pour nous d'actualiser et llUrtout de
réinterpréter les riches travaux sur les représentations, les explications, les
conceptions, dans la perspective de l'enseignement-apprentissage de la
modélisation; en se focalisant donc n>:)ins sur les produits - les modèles
- Le thème de la simulation dan .. la science et la technique. Nous n'avon..
pas voulu poser au départ, comme un préalable, la question fatidique
qu'est-ce qu'un modèle, qu'est-ce que modéliser 1 Ajouter un colloque de plus à
de très nombreux autres ne ferait pas beaucoup avancer, et à coup sûr
différerait l'examen de nos problèmes, ceux de la didactique des I1'Ddèles. Par
contre, en mettant en avant un aspect plus restreint, de l'ordre des démarches,
nous aVons voulu poser encore une fois, comme constitutive de la didactique de
nos disciplines, la question de la référence scientifique et technique. Voulant
développer des act ivités de simulation à l'école, il est nécessaire de mieux
connaître les fonctions, les méthodes, de la simulation dans les pratiques de
la recherche ou de l'industrie c'est une condition des transpositions
didactiques.
- Enfin, le thème des activités de modélisation et de simulat ion dans
l'éducation et la communication scientifique. Quelles sont les tendances, les
difficultés, les réussites aussi Déjà des recherches ont abouti à de premiers
résultats. Nous pensons que les exposés qui en seront faits inciteront à
s'engager plus vigoureusement dans le patient travail d'élaboration, d'essai,
d'expérimentation, d'évaluation qui seul nous permettra de dépasser la
situation où chacun peut encore croire qu'il a trouvé la clé définitive.
REFERENCES
CHEVALLIER, F., Systèmes et modèles, une introduction à la méthode des
indicateurs, Paris, Ed. du CNRS, 1984.
DATTEE, F., Electronique - Concepts de base, Paris, Eyrolles, 1983.
MARTINAND, J.L., Ensei'ianza y aprendizaje de la modelizacion, Ensenanza de las
ciencias, 4, N' l, 1986, p. 45-50.
QUEAU, Ph., Eloge de la simulation - de la vie des langages à la synthèse des
images, Seyssel, Ed.Champ Vallon, 1986.
WALLISER, B., Systèmes et modèles
systèmes, Pou", Ed. du Seuil, 1977.