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ARTheque - STEF - ENS Cachan | Au-delà de l'image photographique : tout ce bombardement d'images que nous ne voyons jamais

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Academic year: 2021

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AU·DELÀ DE L'IMAGE PHOTOGRAPHIQUE

TOUT CE BOMBARDEMENT D'IMAGES QUE NOUS NE

VOYONS JAMAIS...

Jorge SIERRA

Photographe et animateur photo au Centre d'Animation des Tilleuls, Saint-Etienne

MOTS·CLÉS : IMAGE - REPRÉSENTATION - HOMOTHÉTIE - DÉCODEUR

RÉSUMÉ: Introduction à la photographie. Théorie de l'image racontée comme l'aventure fictive d'une invention qui n'a jamais eu lieu. On essaie d'élucider par l'analogie plutôt que par la défmition.

SUMMARY : Introduction to photography. The image theory related as the fictional adventure of an invention that has never occured. An elucidation is attenpted by using analogy rather than definition.

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1. UNE MÉTHODE EN EXPÉRIMENTATION

Les méthodes pédagogiques sont toujours un pari. Bien que les auteurs soient toujours persuadés d'atteindre clarté et élégance, c'est l'efficacité à dévoiler une nouvelle parcelle de la connaissance qui démontre la réussite de l'entreprise.

Mon pari a été de faire une introductionàla photographie qui dépasse la seule analyse de l'image photographique en constituant une réflexion sur l'image visuelle en général et, dans une moindre mesure, sur la perception visuelle.

D'abord, je choisis un public de jeunes, pour expérimenter cette pédagogie qui prétend s'éloigner du style conventionnel en vogue dans l'enseignement de la photographie. Mon idéologie personnelle à cet égard repose sur la conviction que ces méthodes, trop centrées sur l'appareil classique, sur ses mécanismes et sur les procédés de laboratoire ne constituent pas une introduction enrichissante. La prodigieuse simplicité du phénomène de la photographie reste cachée derrière une forêt de dispositifs et d'accessoires. Une nouvelle méthode avait besoin d'un public nouveau, plus enclinàl'étonnement, condition que j'ai jugée comme l'élément fondamental pour meneràbon terme la méthode.

Avec ce public jeune j'ai cherchéàdémystifier le phénomène de la photographie, trop déguisé par l'apparence prétentieuse des mécanismes. Donc, j'ai choisi de travailler avec la structure la plus élémentaire pour produire une image et, éventuellement, l'enregistrer sur une surface: le sténopé.

Les jeunes ont fait des prises de vue avec des sténopés mais, de plus, ils ont réalisé des photogrammes, sortes de dessins sur des surfaces sensiblesàl'aide des manipulations de la lumière. Les photogrammes ne constituent qu'un complément pour sensibiliser le public au rôle que la lumière joue dans l'enregistrement des images. Mais ma méthode concentre son intérêt sur la formation des images.Àcet effet, j'ai utilisé le sténopé non pas comme un point de départ mais comme point d'arrivée.

2. DÉDUCTION FICTIVE DU STÉNOPÉ

Ce que j'ai fait n'est pas une description du sténopé et de ses qualités, mais une sorte de mise en scène d'une déduction théorique complètement fictive mais logique du sténopé. La célèbre histoire de l'Arabe enfermé dans une chambre obscure qui découvre le sténopé, est la preuve que cet appareil n'est pas le produit d'une déduction mais du hasard. Mon exposition est une histoire racontée au temps présent de la démarche d'un hypothétique savant qui réussitàinventer le sténopé. J'ai construit cette histoire en rebroussant cheminàpartir du sténopé et en cherchant le phénomène optique le plus élémentaire qu'on pourrait prendre comme point de départ de la recherche de mon inventeur. La tâche suivante a été de déduire les étapes intermédiaires qui pourraient mener d'un bout à l'autre de ce parcours scientifique fictif.

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3. THÉORIE DE LA FORMATION DE L'IMAGE

Vous connaissez bien les images photographiques. Voilà une photo faite il Ya quelques jours. On y voit une danseuse, bras tendus vers le haut, le regard perdu essayant de maintenir son équilibre sur la pointe du pied gauche. Ce geste n'a duré qu'un instant et, après, elle a pris une autre pose. Plus jamais la lumière des projecteurs ne dessinera sur son corps les mêmes ombres que celles qu'on voit sur l'image. J'ai vécu derrière le viseur de l'appareil cet instant unique que je ne revivrai plus jamais. Mais quand je regarde cette photo, j'ai l'illusion que ce moment unique a été sauvé de la marche impitoyable du temps. Il est là, comme pétrifié sur la surface de cette feuille.

Regardez maintenant cette photo derrière vous, accrochée au mur. Elle a été prise, il me semble, dans l'après-guerre, par un grand photographe français, Doisneau. Vous voyez ici deux garçons qui marchent sur les mains, devant deux autres qui les regardent surletrottoir, à gauche, une femme qui s'éloigne, ignorant le spectacle. Cette photo est l'image d'un tout petit instant du passé. Tout cela a disparu. Les garçons sont aujourd'hui, peut-être, des grands-pères, ou ils sont morts, de même que la femme qui s'éloigne par la gauche. Et ces maisons, peut-être, ne sont plus là ; elles ont été démolies et, à leur place il y a maintenant un grand bâtiment. Mais l'image photographique veut nous faire croire que tout cela est devant nous, vivant. J'ai dit, tout-à-l'heure : ... deux garçons qui marchent sur les mains". Pardon, j'ai dit quelque chose d'erroné. Ce ne sont pas des garçons. C'est l'image de deux garçons, ces petites taches sur la feuille. Les garçons réels, je peux les toucher et ils peuvent réagir en souriant. Je touche ces taches noires sur la feuille et rien ne se passe. Ils sont, comme j'ai dit, des images, quelque chose qui ressemble à la réalité.

Qu'est-ce qu'une image?Y-a-t-il un autre type d'image, comme les photos?

4. REPRÉSENTATION • UNE PISTE À SUIVRE

Lapeinture nous offre un autre type d'images; la peinture figurative, bien sûr. Sur une grande toile exposée au Louvre, il y a des taches de couleur qui nous donnent l'illusion d'être devant le sacre de Napoléon selon David et dans une autre, nous croyons assister au naufrage de la Méduse selon Géricault. Le dessin nous donne aussi cette illusion au moyen de simples lignes. Dans la sculpture, nous nous trouvons devant une image, cette fois en trois dimensions, qui ressemble soit à une tête, soit à un corps. Toutes ces images sont des représentations, un mot qui peut nous donner une bonne piste pour notre recherche, si nous examinons son étymologie. Le préfixe re- signifie de nouveau, et présentation signale la qualité de quelque chose qui nous donne à nouveau la présence de ce que nous avons perçu dans le passé. Représenter c'est mettre au présent quelque chose d'absent. C'est cette illusion de présence que nous donne une peinture, un dessin et une photo. On parle aussi, et à juste titre, de représentation théâtrale, parce que l'acteur s'anéantit en tant qu'individu pour prendre la peau de son personnage; en se dédoublantilfait vivre un roi, un ouvrier ou un avare.

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expérimentons le mieux l'illusion de la présence de la chose absente. Si Pierre a fait un dessin ou une peinture de moi, je dis: "C'est un dessin de moi, c'est une peinture de moi que Pierre a faite". Mais si j'ai été pris en photo par Pierre, je dis, simplement, en mettant mon doigt sur la petite tache de la feuille: "C'est moi". Sur la photo, sujet réel et image semblent liés de manière intime. Cette particularité de l'image photographique réside dans ses origines.

Pour faire le portrait peint de quelqu'un,ilfaut de la maîtrise pour guider la main et réussir sur la surface la ressemblance cherchée. Parce que c'est de la ressemblance qu'on cherche toujours dans une représentation. Et c'est la photographie qui réussit la ressemblance de la manière la plus radicale.

5. HOMOTHÉTIE. UNE AUTRE PISTE

Dans la photographie, l'image et son modèle sont, visuellement, semblables. Le mot grec qui correspondàsemblable est homos. La photographie participe, justement, de cette propriété que les géomètres appellent homothétie. L'image photographique est née d'une projection géométrique de la lumière, comme on le comprendra plus tard. L'image photographique et son modèle sont homothétiques et cela veut dire que toutes les proportions des traits du visage du modèle, par exemple, sont les mêmes que les traits analogues qu'on voit sur l'image.

Il existe un instrument qui obéit aux lois de 1'homothétie et qui, selon le dictionnaire, "permet de reproduire mécaniquement un dessin en agrandissant ou en réduisant les dimensions du modèle". Cet instument s'appelle pantographe. Précisément un pantographe muni d'un viseur et qui s'appelle physionotrace est signalé par Gisèle Freund comme prédécesseur idéologique de la photographie. Curieuse coïncidence, car la photographie ne s'est pas inspirée du physionotrace.

L'homothétie est une bonne piste pour trouver un moyen de reproduire (= produire à nouveau) sur une surface quelconque l'image de quelque chose de réel. Quand je marche dans la neige, je laisse les traces de mes chaussures grandeur nature. Sur ma carte d'identité, il y a mes empreintes digitales. Je les ai faites en plongeant au préalable mon doigt dans l'encre et en appuyant après sur la feuille. Plonger ma tête dans l'encre et après m'essuyer avec une feuille de papier, c'est une idée un peu folle mais quelques traces de mon visage seront visibles sur le papier. Il existe dans une cathédrale de Milan ce qu'on appelle le Suaire du Christ où on voit précisément les traces d'un visage. On considère qu'il s'agit de la toile avec laquelle Madeleine essuya le visage sanglant du Christ moribond. Dans le cas de la neige, c'est la seule pression de mes pas qui a laissé les traces en forme de bas-relief. Dans mes empreintes digitales, c'est l'encre. Dans les deux cas, le sujet réel a été en contact avec la surface où est produite son image.

Mais il y a un type d'image qu'un objet quelconque peut produire sur une surface sans la toucher,àdistance. Si j'interpose ma main devant une lampe, je peux apercevoir l'ombre de ma main sur le mur clair. L'ombre n'est que l'absence de lumière que je perçois entourée de la surface claire du mur. C'est bien sûr une image, une reproduction de ma main, bien que ce soit seulement son contour, sans aucun détail de texture ou de couleur à l'intérieur. Mais c'est une image faiteà distance; mamain

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n'a pas besoin de toucher le mur pour y produire son image. Par contre, cette image n'est pas imprimée sur le mur ; elle est seulement, pourrions-nous dire, projetée sur le mur. Elle bouge quand je bouge ma main, elle grandit quand je l'approche de la lampe, elle diminue quand je l'éloigne, et disparaît quand je la mets dans ma poche. Et il s'agitànouveau de l'homothétie.

6. LA LUMIÈRE - PISTE INATTENDUE

Un important élément a fait son entrée pour éclairer nos réflexions: la lumière. Elle est génératrice de toutes les homothéties et, comme on verra bientôt, la substance même dont s'est nourrie l'image visuelle. En bref, sans lumière il n'y a pas d'images. J'en ai besoin pour voir mes traces sur la neige, mes empreintes digitales sur la feuille, l'ombre de ma main sur le mur. Si j'éteins la lumière de cette salle, je ne vois plus rien. Je ne vous vois plus, vous ne me voyez plus. Parce que, si nous donnons crédit aux physiologistes, je vous vois parce que des images se sont forméesà l'intérieur de mon oeil. Les choses se passent comme cela. L'ampoule électrique sur le plafond renvoie de la lumière à tous les objets dans cette pièce, cette lumière rebondit sur la surface de ces objets et repart dans tou tes les directions. Quelques rayons arriventàmon oeil et projettent sur ma rétine les images de ces objets comme on voit les images projetées sur l'écran de cinéma.

Nous avons fait rentrer la lumière dans nos réflexions, mais un autre élément qui a toujours été implicite vient de sortir de la pénombre: l'oeil, la vision animale. Cet élément, l'oeil, joue un rôle clé dans notre recherche mais ce n'est pas le moment de dévoiler les particularités de sa nature. Pour l'instant, nous pouvons nous contenter de mettre l'organe de la vision au même plan que la lumière comme deux éléments nécessairesàla formation des images. Pour le démontrer, il suffit de comprendre que toutes ces images que nous voyons maintenant, moi devant vous et vous devant moi, nous les voyons parce qu'il y a de la lumière dans cette salle et parce que nous avons les yeux ouverts.

7. PREMIÈRES CONCLUSIONS

De toutes ces réflexions, je peux tirer quelques conclusions. Quand mes doigts laissent des traces d'encre sur la feuille de papier, il y a trois éléments qui interviennent: la chose réelle: mon doigt; la chose imaginaire: son image, une forme structurée d'encre nommée "empreinte"; et la chose intermédiaire, la matière dont est surgie cette forme: l'encre.

Si dans l'exemple des empreintes, c'est l'encre la matière qui porte l'image, dans les cas de l'ombre de ma main et des images que je vois avec mes yeux, c'est la lumière, la matière porteuse. Nous déduisons donc que pour la formation des images interviennent trois éléments:réalité, lumière, image.

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8. ABSTRACTION POUR MIEUX COMPRENDRE

Pour continuer il faudra avoir recours à une opération mentale qui s'appelle abstraction. Abstraire signifie enlever et aussi isoler. L'abstraction va nous permettre de simplifier la réalité pour comprendre le phénomène des images et appliquer celte vision simplifiée à la réalité concrète.

En géométrie on appelle point une surface si petite qu'elle n'occupe pas d'espace. En conséquence, un corps réel peut être considéré comme formé par une infinité de points. Notre abstraction va consister à imaginer deux corps ponctuels, l'un d'eux formé par un point rouge R, et l'autre, par un point bleu B. TI Ya, en plus, une source de lumière quelconque L, qui éclaire les deux points colorés, et un écran où nous attendons de recevoir l'image.

Toute cette abstraction, je peux la dessiner sur le tableau. Mais, pour qu'elle soit plus réaliste, je veux représenter ces deux points par les deux bouchons des crayons feutre que j'utilise pour faire mes schémas sur le tableau. Je place sur la table les bouchons rouge et bleu. Je vois le bouchon rouge depuis tous les endroits de celte pièce où je me place, parce que la lumière du plafond rebondit sur le bouchon et arrive dans mon oeil sous forme de rayons de lumière rouge. Pareillement, pour le bouchon bleu. Et ainsi, j'ai l'image de deux bouchons-points, rouge et bleu, dans mon oeil. Tout ceci, je vais le dessiner sur le tableau : les rayons de lumière blanche renvoyés par l'ampoule et les rayons de lumière rouge et bleu qui repartent depuis les deux bouchons, en sillonnant toute la pièce.ilest facile de s'apercevoir que la lumière blanche de l'ampoule a touché les bouchons, parce que je les vois, ces deux bouchons. Mais que les rayons rouge et bleu sillonnent toute la pièce, cela, on ne le perçoit pas: les murs ne montrent aucune trace de ces colorations. Je vais mettre en évidence ces irradiations rouge et bleue par une expérience.

D'abord, j'éteins la lumière. Ensuite, j'allume un projecteur très puissant dont je dirige la lumière sur ce carton rouge placé à une toute petite distance du faisceau. Voyez maintenant comment le rayonnement rouge colore les murs de la salle. La coloration tourne au bleu quand je mets un carton bleu. D'après cette simple démonstration, nous devons accepter que dans le cas théorique d'un écran placé à une certaine distance des deux "bouchons-points" éclairés par la lumière, celui-ci recevra, dans chaque point de sa surface, des rayons de lumière rouge et bleu. Dans chaque point de l'écran il y aura, donc, un mélange des rayons rouge et bleu. Je ne pourrai apercevoir qu'une coloration violette sur l'écran. Mais, quand je mets mon oeil à la place de n'importe quel point de l'écran, je vois les deux bouchons l'un à côté de l'autre, c'est-à-dire séparés.Laconclusion que j'en tire, c'est que mon oeil a un pouvoir spécial qui lui permet de séparer ce qui est mélangé.

Revenons, maintenant, à nos expériences avec les cartons rouge et bleu. Quand je dirigeais le faisceau de lumière du projecteur sur le carton rouge, la salle était noyée dans le rouge; ou dans le bleu, avec l'autre carton. Ce que je vais faire maintenant, c'est diriger le faisceau sur cette affiche-là. Comme vous constatez, il ne s'agit pas d'une surface homogène comme auparavant, mais d'une surface hétérogène, c'est-à-dire composée: formée de plages de différentes couleurs. En effet, il y a du bleu, du rouge, du violet, et même il y a des personnages dessinés et des caractères écrits en haut et en bas. Maintenant, je vous pose une question très importante. Ne puis-je pas m'attendre à voir l'affiche apparaître sur les murs et sur l'écran ?

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Cependant, je ne constate qu'un léger éclairement sur le mur, mais je ne vois aucune image de l'affiche nulle part. Mais, si je me place près de ce mur-là, ou de l'écran, je perçois l'affiche avec tous ses détails; les couleurs, les personnages, les mots.Or,si je vois tous les détails de l'affiche, c'est parce que chaque endroit de celle-ci a renvoyé de la lumière jusqu'à mon oeil. Tous ces rayons différemment colorés ont pénétré jusqu'à la rétine par l'unique partie transparente de mon oeil : la pupille et le cristallin. Ma pupille est certainement plus petite que l'affiche. Donc, les rayons provenant de celle-ci ont dû converger pour y pénétrer. Et s'ils convergent, ils se mélangent Mais si j'arrive à voir, séparés, les couleurs, les personnages et les mots, cela signifie que mon oeil est capable de séparer toute cette information lumineuse qui arrive mélangée, et à la remplacer par ses composants. Sur les murs ou sur l'écran, on ne voit pas l'image de l'affiche, parce que chaque point reçoit de la lumière colorée selon la partie de l'affiche qui l'envoie, et tout ce mélange ne peutproduire aucune image.

Autrement dit, l'affiche envoie son image partout, mais une image pulvérisée, réduite en petits morceaux et dans un désordre complet que seul mon oeil est capable de déchiffrer en mettant chaque morceau d'image à sa place.

9. LE DÉCODEUR

Si mon oeil met de l'ordre dans tout ce tumulte delumière qui arrive, c'est qu'il joue le rôle d'un décodeur. L'oeil est le décodeur. Il déchiffre le message lumineux en fournissant à ma rétine une image claire et nette de l'affiche. Ce qui manque, pour que nous puissions voir l'image de l'affiche sur les murs ou sur l'écran, c'est un décodeur, comme mon oeil.

Pour déterminer quel décodeur il faut mettre devant l'écran, je dois revenir en arrière une fois de plus en ayant à nouveau recours à l'abstraction, avec les schémas de deux corps ponctuels R et B sur le tableau.

Le problème est que chaque point de l'écran reçoit simultanément des rayons de lumière depuis le point rouge R et le point bleu B. Dans ces conditions-là, je ne peux qu'espérer obtenir l'écran éclairé de manière homogène d'une lumière violette, qui est le produit du mélange de rouge et de bleu. Mais, à quelle image dois-je m'attendre?Àquoi doit ressembler cette image des deux points rouge et bleu séparés par une petite distance? De toute évidence, cette image doit consister en deux taches ponctuelles de lumière, l'une rouge, l'autre bleue. Et comment obtenir cela ? Il faut à tout prix qu'à l'endroit où il arrive un rayon de lumière rouge,iln'arrive pas de rayon de lumière bleu, et réciproquement. Ainsi, j'obtiendrai un point rouge séparé d'un autre point bleu, sur mon écran. Donc, je dois bloquer, d'une manière ou d'une autre, les rayons de lumière rouge, dans un cas, et de lumière bleue, dans l'autre cas.

Laconsigne estclaire :il faut bloquer la lumière que renvoient les points rouge et bleu. Mais je ne peux bloquer complètement ce rayonnement, parce que si je mets un écran opaque devant mon écran récepteur, aucun rayon de lumière n'arrivera ni du point rouge ni du point bleu.

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Je suis coincé dans mon raisonnement et l'unique façon de sortir de l'impasse est d'avoir recours à monintuition. Il me semble qu'il faut contourner cette consigne de bloquer la lumière. Et cela ne peut consister qu'à bloquer la lumière,mais pas complètement. Il ne peut s'agir, dans la matérialisation de cette consigne, que d'interposer un écran opaque troué. Un écran comme celui-là, bloque la lumière, bien sûr, mais pas complètement; il laisse passer quelques rayons de lumière renvoyés par les points rouge et bleu. Dessinons, maintenant, ce qui se passe sur l'écran récepteur. De tous les rayons que renvoie le point rouge, la plupart sont arrêtés par l'écran opaque, mais il y a tout un ensemble de rayons qui réussissent à traverser le trou et produiront une tache de lumière rouge sur un endroit de l'écran. Pareillement, quelques rayons renvoyés par le point bleu réussissent à traverser par le trou en produisant une autre tache, cette fois bleue, sur un autre endroit de l'écran récepteur. J'ai obtenu quelque chose qui ressemble à l'image attendue des deux points. L'image de deux points rouge et bleu doit consister, on l'a déjà imaginé, en deux taches ponctuelles de lumière, et non pas deuxtaches de lumière étendues. Que puis-je faire pour améliorer mon image des deux points? Comment puis-je rétrécir l'extension de ces deux taches jusqu'à les transfonner en deux taches ponctuelles? Il est clair que l'extension des taches est due au cône que forment les faisceaux de lumière rouge et bleu qui réussissent à passer par le trou, et cela, à cause de la grandeur du trou. Il semble évident, donc, que la solution consiste à rétrécir le trou.

En effet, si je rétrécis suffisamment le trou, jusqu'à le transfonner en un trou ponctuel, théoriquement un seul rayon de lumière, parmi tous ceux que renvoie le point rouge, pourra traverser et arriver sur l'écran en produisant, cette fois, une tache rouge ponctuelle. Et pareillement, nous obtiendrons aussi une tache bleue ponctuelle, dans un endroit voisin.

Voilà en quoi consiste le décodeur dont nous avions besoin pour produire l'image des deux points rouge et bleu. Il nous reste seulement à sortir de cette abstraction théorique et à examiner le cas d'un objet réel qui occupe un volume dans l'espace. La solution est simple, parce qu'un corps étendu peut être considéré comme formé d'une infinité de points, et avec l'écran opaque muni d'un trou minuscule, chaque point de la surface de l'objet réel va engendrer un point-image de l'autre côté de l'écran percé, et nous obtiendrons, recomposée par une multitude de points de lumière différemment coloriés, l'image de l'objet, avec tous ces détails, texture et couleurs.

Nous pouvons conclure, après tout ce parcours théorique, que tous les objets éclairés par la lumière bombardent effectivement leur entourage avec des images réduites en morceaux et c'est à cause de ce morcellement qu'on ne voit pas ces images sur les surfaces voisines. Pour recomposer ces images, un décodeur d'images suffit: un simple écran opaque percé d'un tout petit trou. Il est capable de décrypter cette poussière d'images que renvoient les objets éclairés par la lumière.

Or, ces images décryptées par cette structure qu'on appelle sténopé peuvent être capturées sous la forme de traces indélébiles sur la surface où elles arrivent. Pour cela,ilfaudra trouver un moyen pour que la lumière, toute cette lumière que porte l'image, provoque elle-même des changements semblablesàceux que la lumière provoque sur nos vêtements en les décolorant, sur nos livres, en les jaunissant, et sur notre peau bronzée par le soleil de l'été. Mais la capture définitive de l'image, la pétrification de ce simulacre fuyant de lumière qu'émettent les objets, c'est, déjà, l'histoire de la photographie(=dugrec,pMs :lumière;graphein:écrire).

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