L'ENSEIGNEMENT DE LA GÉOLOGIE
À
L'ÉCOLE
ÉLÉMENTAIRE
Denise NURY
Institut Universitaire de Formation des Maîtres de l'Académie d'Aix-Marseille
MOTS-CLÉS: DIDACTIQUE - GÉOLOOIE - ÉCOLE ÉLÉMENTAIRE
RÉSUMÉ: Afin de pouvoir contribuer à définir des modèles didactiques pour une approche de la géologie à l'école élémentaire, l'équipe de recherche a réalisé un inventaire et une analyse des représentations des enfants en géologie, une étude de l'organisation conceptuelle de cette science, la mise au point de niveaux de formulation pour l'école élémentaire, l'inventaire et l'exploitation des situations pédagogiques d'entrée et l'élaboration de démarches pédagogiques.
SUMMARY : In order to be able to determinate sorne didactic patterns for an approach of geology at elementary school, the research team drew an inventory up and made an analysis about the geological children's conceiving, a study of the conceptual organization of geology, the inventory and me exploitation of the elaboration of pedagogical proceedings.
1. PRÉSENTATION GÉNÉRALE
Les nouvelles instructions officielles de 1985 ont introduit la géologieà l'école élémentaire. C'està l'initiative de Jeannine DEUNFF, inspectrice générale du groupe de la Formation des Maîtres et de notre regretté collègue Jean LAMEYRE, professeur de pétrologieàl'université de ParisVI, qu'a été lancée, dès 1986, une recherche sur la didactique de la géologieàl'école élémentaire. Il s'agissait de répondreàune demande des enseignants, peu familliers de cette science pour la plupart, une demande concernant les activitésà conduire dans les classes pour éveiller et maintenir l'intérêt des enfants, leur faire acquérir les connaissances de base sans dénaturer les contenus scientifiques.
Une équipe multicatégorielle a été constituée, comprenant des maîtres du primaire ayant en charge une classe pouvant servir de terrain, des professeurs d'Écoles Normales pour les aspects pédagogiques et didactiques, des universitaires garants du contenu scientifique.
Par sa composition cette équipe est exemplaire, véritable préfiguration de l'esprit qui devrait animer les futurs Instituts Universitaires de Formation des Maîtres.
Six groupes académiques ont participéàcette équipe (Aix-Marseille, Besançon, Grenoble, Limoge, Nantes, Nice), chacun travaillant sur un certain nombre de thèmes, en priorité en relation avec l'environnement géologique local. Des stages de regroupementàParis permettaient de conforter les résultats et de programmer de nouvelles activités.
Les travaux ont abouti en 1990à la publication d'un rapport de recherche par la Direction des Écoles.
2. CADRE THÉORIQUE DU TRAVAIL
En tenant compte des travaux de recherche en didactique,ilest certain que la connaissance ne peut se construire sans une participation effective de l'apprenant. D'autre part, celui-ci a des connaissances initiales largement construitesà partir d'informations véhiculées par son milieu de vie. Il s'agit de prendre en compte ces représentations ou conceptions pour amener l'élèveàles remodeler, les structurer, les compléter. Ainsi, on peut mettre en place aussi précocement que possible les notions de base indispensables pour que l'enfant puisse intégrer toutes les informations.
Il s'agit donc de passer d'une représentation souvent incohérente et mal structuréeàdes images mentales mieux organisées permettant l'intégration des données nouvelles.
Mais ce n'est pas si simple, car l'analyse des représentations permet de mettre en évidence des obstacles majeurs qui tiennentà la fois àla nature de la science considérée, aux difficultés particulières des démarches d'investigation, et au niveau de développement mental des enfants.
Le travail s'est effectué dans plusieurs directions: inventaire et analyse de représentations des enfants en géologie, étude de l'organisation conceptuelle de la géologie et mise au point de niveaux de formulation pour l'école élémentaire, inventaire et exploitation des situations pédagogiques d'entrée, élaboration de démarches pédagogiques.
3. ORGANISATION CONCEPTUELLE DE LA GÉOLOGIE 3.1 Classement des notions et des concepts
La première étape de l'analyse de la discipline Géologie a consistéàclasser les notionset les concepts, avec le souci de considérer la Terre et les phénomènes dont elle est le siège comme un ensemble d'éléments en inter-actions.
Le résultat de cene réflexion fait apparaître trois classes d'éléments appartenant au domaine de la Géologie : des objets, des phénomènes, des transformations, dont les relations s'organisent dans l'espace et dans le temps.
Il est donc possible de les représenter dans un plan en fonction de ces deux variables: espace et temps selon le modèle défini dans le schéma nOl
dimensions croissantes
t
1objet géologique incluant l'objet élUdié
1
i
plUSieurs phénomènes physiques el chimiques dons un phénomène géologique, plusieurs phénomènes géologiques
_ _ _---+)temps conauisant à des objet géologique _ élUdié s'exerçant aux dépens de l'objet cransformations géologIques à tongine de l'objet 1 objets géologiques faisant partie de l'objet élUdié
1
point de dépare de nouvelles transformations
Pour organiser les principaux éléments de la géologie, nous avons abouti à un diagramme triangulaire qui met en évidence de simples relations d'ordre, le diagramme ne revêtant donc pas de signification quantitative (schéma n02) :
- les objets sont rangés selon leur dimension croissante le long d'un axe vertical, - les phénomènes géologiques et les transformations auxquelles ils conduisent, processus
tributaires du temps et concernent des objets de dimensions variées, sont donc représentés obliquement par rapport aux axes.
11 faut bien garder à l'esprit que les objets géologiques peuvent être le résultat d'une ou plusieurs transformations ou bien le point de départ de nouvelles transformations.
schéma n0:2
Planète manteau, noyau aslhénosphère, lithosphère
plaque, limite de plaque rift. orogène plan de Bénioff océan, continent croûte Province
arcinsulaire, montagne bassin sédimentaire appareil magmatique plateau, talus continental
S[l1JCturespliSSées. cassantes série sédimentaire
pluton, volcan glacis, vallée,canyon
terrasse, moraine cluse, combe, crét filon, coulée, pillow-lava
facies,Strate
gîte métallifère schistosité Echantillon roche, fossile, minerai
Iexrure, paragenèse élémenLSfigur~/ciment minéraux, cnstaux, mésostase ""
élément chimique ~ ~ !.f\.-~. 9); '2;> ~...2 e I?p ~ ~<;.
~ temps qui se déroule
Il n'existe pas non plus de relation simple de type bijective entre un phénomène géologique cause et une transformation géologique conséquence. Un phénomène conduit à plusieurs transformations et une transformation résulte de l'action simultanée ou successive de plusieurs phénomènes.
Prenons un exemple:
Àla surface de la Terre, des phénomènes physiques et chimiques tels que usure et dissolution qui agissent à l'échelle du minéral, contribuent à l'érosion des reliefs. Si, dans le même lieu, des phénomènes géologiques autres que l'érosion se manifestent: apparition d'un volcan, tremblement de terre cassant les roches .., le paysage est modifié par l'action commune de ces phénomènes géologiques (érosion, volcanisme, déformation),ilsubit une transformation géologique.
3.2 Élaboration de trames conceptuelles
Parmi ces éléments nous avons identifié, lors d'une seconde étape, des pôles organisateurs de la géologie comme roche, fossile, plaque, magmatisme... et pour chacun de ces pôles nous avons défini une ttame conceptuelle partielle reprenant le modèle du schéma n°l. Les notions qui sont présentées et qui nous sont apparues fondamentales pour permettre aux pédagogues de comprendre ce qu'est la géologie, ne constituent en aucun cas un programme d'enseignement, mais un cadre notionnel de référence relatifàl'étude poursuivie.
Prenons l'exemple de la trame conceptuelle de l'objet "fossile" (schéma n03) :
trame: FOSSILE facies E V o L U T 1
o
NFOSSll.E
continalt.al-,<oJdèv_
--érosion ....marin üfle=ent-+ '---_-..J.
lu
.
I~ion
tempsvo/f:::':'t'o=/
+ -rogr:rw~ matière matière m.in6-a.l. organiquc dimension des objetsf
paJéogéognIfillc~
1 u.soc:iatiOll defossiles schéma n'3 ..,. sMimoruuion(Pl) vtVmt -animaJ-mon ----<fossilisalion. _ _---<
00 vegéal4.
REPRÉSENTATIONSParallèlement, un inventaire très large des représentations des enfants relativesàces pôles organisateurs a été fait au niveau de toutes les équipes (questionnaire oral, écrit, dessins, entretiens, enregistrements...). Nous avons pu recencer et classer les différents types de représentations. Voici un exemple de représentations relativesàl'objet "fossile" :
QUESTIONNAIRE PRESENTE AVANT LA VISITE D'EXPOSITION DE FOSSILES AU MUSEE ET EN RELATION AVCE UNE RECOLTE D'ECHANTILLONS:
- COMMENT SE FORME UN FOSSILE ?
- POUR TOI, QU'EST - CE - QU'UN FOSSILE ?
NIV.
CMt
CM2
FORMULATIONS (par ordre de fréquence décroissante)
• Idée d'empreinte : - "d'animaux ou de plantes";
- "un animal qui est mort et qui s'est Incrusté dans la pierre";
- "pierre avec un oursin dessus";
- "c'est une pierre gravée". • Idée de transformation :
- "des coquillages qui se sont enfoncés dans la boue, du sable, qui sont devenus ensuite des matières solides";
- "objet ou bête transformés en pierre"; - "c'est quelque chose qui est resté longtemps à côté d'une pierre, alors ça prend la forme"; - "il faut que la roche soit molle pour que les empreintes puissent se faire";
- "la roche doit rentrer dans le fossile; maisça doit être mou, et la pierre c'est trop dur". • Pierre lalllée qu'on trouve àla campagne.
• "le calcaire, c'est lui qui fait les fossiles" • "il Y a du calcaire partout. même dans la machineàlaver"
INTERPRETATION DES FORMULATIONS
L'idée d'empreinte domine, conçue comme un dessin, une gravure naturelle ou pas, quelque chose de collé. La nécessité d'une
transformation (recherche des causes) est liéeà la durée, àl'état de la matière (roche molle permettant l'empreinte ou la pénétrationdan~ la coquille).
Evocation du problème de l'évolution associée à la fossilisation elle - même liée au temps. Lafossilisation reste mystérieuse, la. mort est-elle nécessaire ou pas? Mort liéeà la notion de sommeil, d'opération, de vieillesse, de maladie (anthropomorphisme).
Le calcaire est considéré comme cause de fossilisation.
5, LES NIVEAUX DE FORMULATION
Le classement des fonnulations d'enfants a pennis de définir 3 niveaux de fannulation de complexité croissante.
- Niveau 1 - La notion est appréhendée dans son apparence la plus superficielle:
>1<pour les phénomènes, un seul facteur est envisagé, l'eau le plus souvent; >1<les facteurs temps et énergie ne sont jamais évoqués.
ex : " c'est une pierre avec un dessin dessus"
- Niveau 2 - Plusieurs facteurs et éléments intervenant sur un phénomène ou entrant dans la composition d'un objet sont pris en compte, On voit apparaître les notions intuitives de temps et d'énergie.
ex : "Ce sont des bêtes mortes qui se sont transformées en pierre en gardant la fanne naturelleàcause des intempéries".
- Niveau 3 - L'ensemble des facteurs ou éléments est envisagé et "nommé",Letemps est exprimé en durée. Les phénomènes chimiques commencentàêtre évoqués. ex : "II faut plusieurs siècles pour qu'un animal se fossilise",
Les niveaux de fonnulation peuvent correspondre soit à un niveau de classe (Cours préparatoire, cours moyen), soit à un niveau d'approche du problème. Par exemple, un élève de cours moyen peut énoncer une fonnulation de niveau 1 dans ses représentations d'une notion et une fonnulation de niveau 3 après un travail relatif à cene notion.
6. LES OB8T ACLES À LA CONSTRUCTION DE LA CONNAISSANCE
Certaines catégories d'obstacles sont liées à la structure de la pensée enfantine: - l'animisme: - "Une graine de montagne qui pousse" (CP)
- "L'eau fait grandir la montagne" (CP)
- L'artificialisme : - les galets de la rivière "ont été apportés en camion"
- les couches calcaires d'un anticlinal ont été plissées par un gros animal, "un mammouth" (CM)
- le finalisme: "une roche c'est quelque chose d'assez dur servantàconstruire une maison".
Ces trois premiers types d'obstacles tendent à disparaître relativement vite quand les enfants grandissent et qu'ils réalisent des études géologiques.
Par contre d'autres obstacles sont plus tenaces: - Obstacles liés à l'espace et au temps, par ex. :
*
difficulté d'appréhender les trois dimensions;*
difficulté d'appréhender les temps géologiques;*
difficulté à concevoir les échelles espace et temps qui caractérisent la plupart des phénomènes de dynamique interne;*
prégnance de l'état actuel, difficultéàconcevoir l'antériorité, la superposition d'évènements géologiques;*
difficultéàconcevoir la puissance des agents d'érosion anciens et actuels en relation avec la durée, ...etc.- obstacles liésàdes notions physico-chimiques non encore construites.
- difficutés spécifiquesàla compréhension des phénomènes géologiques, par ex. :
*
difficultéàconcevoir les caractéristiques d'un sédiment qui a donné naissanceà une roche ;
*
difficultéàconcevoir la fonnation d'une roche en profondeur ;*
difficultéàconcevoir qu'un fossile s'est fonné en même temps que la roche et ne s'est pas "collé" dessus;*
difficultéàconcevoir qu'une roche rigide actuellement a pu se comporter comme un matériau plastique si l'on prend en compte des pressions très importantes et des durées très longues, ... etc.7. CONCLUSION
Outre les points que nous avons abordés, les situations d'entrée et les démarches pdagogiques ont fait l'objet d'études approfondies qu'il nous est impossible de présenter dans le cadre de cet article.
Si cette recherche est actuellement terminée, l'équipe a continuéà travailler. Les groupes académiques ont constitué un réseau inter-I.U.F.M. de recherche pour l'enseignement de la géologie dont le thème fédérateur actuel est:
"Les obstaclesà l'enseignement de la géologieàl'école élémentaire : - analyse,
- stratégies de dépassement"
Malgrè les difficutés rencontrées, l'équipe de recherche a démontré qu'il était tout àfait possible d'aborderàl'école élémentaire certaines notions géologiques d'une manière cohérente, en rendant les enfants capables de construire un savoir précis, validé par les scientifiques, exprimé en termes clairsà un niveau de difficulté compatible avec leur stade de développement et les possibilités de la classe, en mettant en œuvre des démarches scientifiques authentiquesàpartir de leurs intérêts.
Si on veux redonneràla géologie la place qui devrait être la sienne dans notre pays, c'est par l'enseignement qu'il faut agir, et très tôt. L'intérêt très grand manifesté par les élèves pour cette discipline ne peut que nous en convaincre.
BIBLIOGRAPHIE
Contributionà la définition de modèles didactiques pour une approch€ de la géologieàl'école élémentaire et dans le formation des maîtres, Ministère de l'Éducation Nationale de la Jeunesse et des
Sports - Direction des Écoles, 1990.
Liste des personnes qui ont participé à la recherche etàl'élaboration du rapport et/ou qui prennent actuellement une part active dans les travaux réalisés par le réseau:
AMûDRIC DU CHAFFAUT M.-C., ASTOLFI J.-P., BORNANCIN B., BRAVI N., BRILLAUD P., CAMPA
