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ARTheque - STEF - ENS Cachan | Du risque ordinaire à la théorisation

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Academic year: 2021

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DU RISQUE ORDINAIRE À LA THÉORISATION

Alain VERGNIOUX Université de Caen

MOTS-CLÉS : RATIONALITÉ - DÉCISION - INCERTITUDE

RÉSUMÉ : La notion de risque renvoie à des analyses rationnelles mais aussi à des usages empiriques plus diffus, dont la confrontation conduit à des conclusions paradoxales. En fait, c’est la notion de temps qui se trouve mise en question.

SUMMARY : The notion of risk refers to rational analysis and empirical practice, which, when confronted, direct to paradoxical conclusions. In fact, the notion of time is thus to be questioned.

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“ La volonté d’une maîtrise absolue, d’une programmation sans faille risque de n’être que le prolongement de pseudo-rationalités qu’elle veut corriger. Maîtriser la science, cela ne doit pas vouloir dire ajouter un dernier étage comme les autres à la fusée techno-scientifique. Cela devrait signifier : poser le problème des limites ”.

D. JANICAUD, Pouvons-nous raison garder ?, in Science et philosophie : pour quoi faire ? Actes du Forum Le Monde / Le Mans, 1990, p.35.

1. LE RISQUE ORDINAIRE

Notre enquête a porté sur sept quotidiens, nationaux ou provinciaux : Le Monde, L’Humanité, La

Croix, Libération, Ouest-France, La Montagne, dans lesquels nous avons prélevé systématiquement

les occurrences du lexème “ risqu* ” (risque, risquer, risqué) pour les mois d’octobre 1999 et février 2000. Les résultats de l’analyse sont les suivants : 287 occurrences de risqu* ; dont 21,6% de formes verbales.

L’analyse des co-occurrences (termes les plus fréquemment associés) du lexème montre que la notion de risque trouve son application dans les domaines suivants :

- monde de l’entreprise : 7% - politique intérieure : 12% - politique internationale : 16 %

- santé (principalement, la listériose) : 13% - maladie de la vache folle : 7%

- économie, commerce international : 8% - banque, bourse : 7%

- société, culture : 10%

- catastrophes diverses (technologiques, nucléaire, météorologique, sismique, marée noire/Erika) : 12%

- sport : 9%.

Les secteurs importants sont dans l’ordre : le champ politique (28%), celui de la santé (20%), celui de l’économie (15%) et celui des catastrophes, technologiques ou “naturelles” (12%). L’analyse détaillée de ces différents domaines déborde les limites d’une communication. Notons toutefois que l’opinion, telle qu’elle s’exprime à travers la presse, voit juste quand elle place la politique en tête des domaines et des facteurs du risque.

Nous avons en revanche poussé l’analyse des modalités temporelles des formes verbales pour aboutir à la classification suivante. L’usage du terme “ risq* ” renvoie à une incertitude totale (1%),

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une très forte incertitude (7%), un “peut-être” (18%), une forte probabilité (20%), une quasi certitude (12%), une certitude (5%). Ces résultats peuvent surprendre : on ne peut manquer de remarquer que 58% des usages de la notion sont compris entre la certitude et la forte probabilité, pourcentage qui monte à 87% si on ajoute la catégorie “peut-être”. À propos de la notion de risque, l’opinion penche très fortement du côté de la certitude ou de la forte probabilité. C’est le point de vue de l’énonciateur : cela veut dire que, entre les deux pôles, les gens tranchent du côté de la certitude. Ce qui va à l’encontre de la signification propre de la notion qui, en principe, laisse l’avenir ouvert ou indéterminé. Pourquoi se référer alors à la notion de risque ? Pour atténuer la certitude ? Pour renforcer la menace ? Paradoxalement, les deux semblent liés. Dans de nombreux contextes, les énoncés s’inscrivent dans la structure suivante : “ les choses étant ce qu’elles sont, cela risque de mal se passer ”. À l’inverse, plus on va vers l’incertitude, plus la dimension de la menace s’atténue. Tout se passe comme si, lorsque l’on aborde la notion de risque, les gens savaient à quoi s’en tenir. Leur opinion est faite.

2. LA THÉORISATION

La notion de risque comporte deux dimensions : la probabilité d’un événement (diminuer la probabilité) et ses conséquences (réduire les conséquences). Dans cette perspective, les recherches portent sur le principe de “ sûreté ” d’un système, i.e. qu’il puisse réaliser ses objectifs entre deux types de bornage : a) sans que sa rentabilité diminue de façon excessive, b) sans que survienne d’incident majeur (le problème devient : évaluer le seuil de gravité des conséquences et le degré de probabilité des conséquences fâcheuses). Dès lors la “prévention” des risques appelle “une analyse rationnelle du système concerné” :

- analyse fonctionnelle du système : repérage des zones de dysfonctionnement potentiels,

- identifications des risques : a) modéliser la fiabilité séquentielle des éléments du système ; b) construction d’“arbres de défaillance”,

- la prévention consiste à calculer le ratio sécurité / rentabilité à partir de l’analyse des données statistiques, du calcul de probabilité des possibilités envisageables, etc.,

- élaboration d’outils d’“aide à la décision”,

- mise en place de “recours” (solutions de rechange) soit par analyse descendante : on imagine des procédures parallèles permettant de parvenir à l’objectif, soit par analyse régressive, à partir des effets indésirables vers les causes (que l’on aura pu identifier).

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Les théories de la décision qui sont mobilisées dans ce domaine de réflexion distinguent des modèles à “rationalité forte” et des modèles à “rationalité limitée”. On part en général d’une modélisation en arbre visant à une optimisation de la décision à chaque segment, à partir de la prise en considération de trois types de facteurs : acteurs, contexte, opportunités. Mais, il convient de distinguer les niveaux de décision : certains sont programmables et la décision peut être confiée à des automates, d’autres ne sont pas programmables. Il faut alors envisager des systèmes de possibles, conçus de façon partielle et devant être réexaminés à chaque étape. Faut-il faire l’hypothèse d’une “rationalité cachée” qui restera non explicitée parce que l’analyse exhaustive des contextes est trop coûteuse et n’est pas nécessaire eu égard à la probabilité des risques envisageables ? Mais on peut aussi considérer qu’il y demeure dans tout contexte et dans toute action une part de contingence et d’irrationalité.

Les modèles dits “multi-critères” admettent alors qu’une certaine proportion des données ne sont ni stables ni dépourvues d’ambiguïté, que leur évaluation doit être sans cesse révisée au cours du processus et qu’on ne peut aller au delà de solutions de compromis acceptables. On distinguera alors entre situation “risquée” (les probabilités des événements futurs susceptibles d’avoir un impact sont données) et situation “incertaine” (ces probabilités ne sont pas connues).

La question de la maîtrise du risque postule la possibilité de la connaissance anticipée et du contrôle de processus complexes. Un tel postulat est paradoxalement irrationnel, de même que ses conséquences les plus immédiates : le “dommage-zéro” est une norme irrationnelle, la construction des “arbres de conséquences” conduit à une focalisation sur le scénario du pire, ce qui est également irrationnel, car il n’est pas plus probable que les autres.

Les difficultés proviennent ici de ce que le temps réel et contingent ne se laisse pas facilement réduire aux modèles de la rationalité technique, fussent-ils aléatoires.

3. TEMPORALITÉS

Les résultats de l’enquête semblaient indiquer que, à l’égard des risques, les gens s’inscrivent dans des temporalités courtes, concernant l’avenir proche, et sur le mode de la forte probabilité ou de la quasi-certitude : “ on sait à quoi s’en tenir ”.

Les modèles de rationalité qui président à la réflexion sur la prévention (ou la gestion) des risques induisent une représentation analytique et segmentaire de la temporalité : “ on sait ce qui va (peut) se passer entre T1 et T2, entre T2 et T3, ou T3 bis, etc ”. Cela peut concerner des durées très courtes, de quelques dizaines de secondes ou moins, dans le cas de l’enchaînement des décisions que

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doit prendre un pilote de chasse, ou des phases de durée plus longue, de trois, cinq jours comme dans la conduite de la guerre au Kosovo (mars-avril 1999) : les états-majors et les responsables politiques évaluent à chaque étape les déterminations du contexte, les rapports de forces, ce qu’il est possible et raisonnable de faire, etc., engagent l’étape suivante, limitée dans le temps, et ainsi de suite. Dans tous ces exemples, le temps est considéré comme un facteur parmi les autres au sein d’un processus analysé de façon aussi précise que possible et dont on souhaite maîtriser les effets. Il faut admettre que, dans les systèmes complexes, où plusieurs types de temporalités, soumises à des vitesses différentes et à des échéances de nature différente, s’entrecroisent, le problème de leur articulation dynamique se pose : elle n’est pas évidente.

Mais il semble nécessaire de distinguer entre :

- les temporalités de la conduite des systèmes à risques et de leur gestion dont on peut se donner en

amont une représentation rationnelle – qui correspondrait grosso modo aux objectifs de la

prévention des risques,

- les temporalités qui s’ouvrent après – la catastrophe a eu lieu (Tchernobyl) et on ne sait quand ses effets s’éteindront, la pandémie a commencé (le sida) et on ne sait quand elle s’arrêtera.

Aux temporalités de la prévention, il faut ainsi opposer les temporalités de la réparation, qui sont des temporalités lentes, incertaines. Le temps apparaît alors dans son caractère d’irréversibilité, le risque bascule du côté de l’irréparable, la responsabilité (la dette) est infinie, la temporalité se dilate jusqu’à être celle de l’humanité tout entière.

4. CONCLUSION

La tradition philosophique a abordé cette difficulté dès Aristote avec la théorie des futurs contingents sur le plan de la logique, et celle de la prudence dans le domaine de l’éthique ; l’avenir reste (partiellement) imprévisible. L’idée que le monde n’est pas déterminé de façon absolue est reprise par Leibniz de la façon suivante : à chaque instant, en un sens, plusieurs mondes sont possibles ; il faut renoncer à l’idée d’un monde parfait, parfaitement rationnel, transparent à lui-même – image d’un dieu parfait ; le monde, alors, est-il imparfait ? Il est seulement le meilleur possible. Il faut donc admettre la possibilité du mal. Le mal est le signe de la contingence du monde, estime Merleau-Ponty. Nos sociétés sont-elles disposées à affronter cette réalité ? Elles voudraient s’en protéger. Ce n’est pas le “ zéro-risque ” qu’elles désirent, ce serait le “ zéro-mal ”.

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BIBLIOGRAPHIE

AMALBERTI R., La conduite des systèmes à risques, Paris : P.U.F., 1996.

EWALD F., Le retour du malin génie. Esquisse d’une philosophie de la précaution, in Le principe de

précaution dans la conduite des affaires humaines, coll., Paris : Ed. M.S.H., 1997.

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