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Une étude de l'arrière-scène de la fraude contemporaine et de l'expertise antifraude : jeux de coulisses, silences et esquives

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Academic year: 2021

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Une étude de l’arrière-scène de la fraude contemporaine

et de l’expertise antifraude

Jeux de coulisses, silences et esquives

Thèse

Cynthia Courtois

Doctorat en sciences de l’administration - comptabilité

Philosophiæ doctor (Ph. D.)

Québec, Canada

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iii

RÉSUMÉ

La fraude est aujourd’hui décrite comme étant le crime moderne par excellence. La médiatisation et la popularisation du phénomène ont entraîné le déferlement de plusieurs vagues d’études significatives portant sur le sujet. Or, bien que ces études aient permis de mettre en exergue certains résultats qui sont aujourd’hui à l’origine de théories parfois très popularisées telles que le triangle de la fraude, il en demeure néanmoins que celles-ci ont souvent abordé la question de la fraude en se limitant généralement à un seul angle d’analyse — que ce soit le fraudeur, le contexte organisationnel ou encore les méthodes d’intervention préconisées. En outre, peu d’études ont tenté d’analyser des constructions sociales sous-jacentes à la fraude en mettant en relief simultanément divers angles d’analyse (individu/contexte par exemple), alors que le recours à un tel « bricolage analytique » aurait pu permettre la mise en évidence d’un portrait, non seulement plus complet du phénomène à l’étude, mais aussi souvent fort différent de ce qui était initialement attendu. Tentant de pallier cette faiblesse, dans chacun des articles de cette thèse, certains éléments associés à la fraude seront étudiés selon divers angles d’analyse qui seront ensuite opposés suivant ainsi une approche par analyse des dichotomies. Le recours à cette méthode d’analyse conduit parfois à des résultats forts différents de ce qui a été écrit préalablement dans la littérature.

Le premier article de cette thèse tente de mieux comprendre le processus qui conduit un individu à adhérer à une culture déviante. Par une analyse du témoignage de deux acteurs impliqués dans un immense scandale de collusion mis au jour par la Commission d’enquête publique Charbonneau, cet article, qui propose une analyse simultanée de l’individu et du contexte, souhaite mettre en évidence l’idée que les mécanismes qui sont actuellement déployés par l’État pour contrer la fraude furtive sont limités parce qu’ils ne tiennent pas compte du caractère sociétal et culturel de la fraude. Le second article de cette thèse tente de mettre en perspective la quête de légitimation d’une association professionnelle antifraude. Par une étude concomitante de la représentation fournie par les dirigeants de cette association à l’avant-scène pour promouvoir leur légitimité et de la réception de cette représentation par les membres de cette organisation qui assistent au spectacle, cet article souhaite mettre en

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iv exergue l’idée que la légitimation des expertises professionnelles repose parfois sur le maintien du secret par les membres de l’audience qui, malgré un désenchantement évident face au processus de professionnalisation, tendent à taire les écarts ressentis afin de préserver la valeur allouée à leur titre professionnel sur le marché de l’emploi. Enfin, le dernier article de cette thèse tente de mieux comprendre comment sont socialisés les experts antifraude par une analyse simultanée du discours qui leur est livré dans le cadre de leur formation, mais aussi de la représentation cognitive qu’ils se font dudit discours qui doit nécessairement s’adapter à la « réalité » organisationnelle de ces experts. En outre, si le risque réputationnel est un enjeu majeur auquel les experts antifraude semblent être confrontés, leur réponse professionnelle face à cette problématique suscite, quant à elle, une réflexion significative relativement à leur éthique professionnelle.

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vi

ABSTRACT

Fraud is often perceived as the “modern crime par excellence”. Media coverage and growing interest in the public sphere regarding the phenomenon have generated a plethora of studies on the matter. Although these studies helped to produce general theories such as the fraud triangle theory, these studies nonetheless tend to view the question of fraud through a single angle of analysis – focusing either on the fraudster, the organizational context, or the advocated method of intervention. In addition, few studies have sought to analyze the social constructions underlying fraud by relying simultaneously on concepts excerpted from different analytical angles (e.g., individual / context) – whereas the use of such “analytical bricolage” could have produced a more complete picture of the phenomenon under study (and often a very different one from what was initially expected). Seeking to address this weakness, each article of this thesis relies on concepts associated with distinct analytical angles – which will be juxtaposed along a dichotomy analysis approach. The use of this method of analysis sometimes leads to results quite different from those already documented in the literature.

The first article of this thesis aims to better understand the process leading to the adoption of deviant behavior. Through an analysis of the testimony of two key actors involved in an immense collusion scandal brought to light by the Charbonneau Commission, this article, which proposes a simultaneous analysis of the individual and the context, wishes to highlight the idea that the mechanisms currently deployed by the state to counter fraud are limited because they do not take into account the societal and cultural nature of the fraud. The aim of the second article of this thesis is to study how the Association of Certified Fraud Examiners (ACFE) sought to gain legitimacy as a group holding professional expertise in prevention and detection of economic fraud. Through a concomitant study of the frontstage representations provided by the leaders of this association to promote its legitimacy, and the reception of these representations by ACFE members who attend the “show”, this article wishes to argue that legitimization partly depends on the audience remaining silent about the discrepancies between the show put on by the Association and the audience’s perceptions of fraud-fighting’s backstage realities. This appears to be particularly true when the spectators enjoy recognition and other benefits as a result of their own involvement. Finally, the last

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vii article of this thesis examines how antifraud experts are socialized through discourse conveyed to them as part of their training, and through the cognitive representation they develop of the discourse, relying on their sense of organizational “reality”. Ultimately, my analysis indicates that while reputational risk is a major issue in the eyes of anti-fraud experts, their professional response in addressing this risk is questionable in light of professional ethics.

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ix

TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ ... iii

ABSTRACT ... vi

TABLE DES MATIÈRES ... ix

REMERCIEMENTS ... xv

AVANT-PROPOS ... xxiii

INTRODUCTION ... 1

ARTICLE 1 ... 20

The “Normalization” of Deviance: A Case Study on the Process Underlying the Adoption of Deviant Behavior ... 20

RÉSUMÉ ... 20

SUMMARY ... 20

INTRODUCTION ... 22

THE LITERATURE’S EXCESSIVE INDIVIDUALIZATION OF FRAUD ... 26

THEORETICAL UNDERPINNINGS: THE ROAD TO DEVIANCE ... 28

First Stop on the Road: What is Deviance? ... 29

Road Monitoring to Ensure Obedience of the Rules ... 30

Crossing the Road ... 30

At the Crossroads: Social Control and Morality ... 31

Trials of the Road ... 32

Winding Road or Highway? ... 32

METHODS ... 33

Research Strategy ... 33

Data Sources ... 34

Selection of Actors ... 36

Analysis and Data Interpretation ... 38

A LOOK AT THE MONTRÉAL COLLUSION SCHEME ... 39

The Case ... 39

The Lowest Bidder Policy ... 41

EMPIRICAL ANALYSIS: DEVELOPING A DEVIANT IDENTITY ... 42

The Initial Profile ... 42

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x Critical Moment ... 46 Experimentation ... 48 Sense-making ... 57 Context ... 60 DISCUSSION ... 64

Between the Actor and the Process of Socialization: Context ... 64

Protecting a Corrupt System: The Ultimate Goal? ... 67

The Solution: Adding More Regulatory and Organizational Controls…... 69

CONCLUSION ... 71

REFERENCES ... 75

Table 1: Witnesses appointed to Charbonneau Commission regarding the awarding of construction contracts (sewers) in the City of Montréal... 78

Table 2: Factiva data collection ... 80

Figure 1: Pictures of Lino Zambito and Gilles Surprenant ... 82

Figure 2: Collusion and corruption in Québec – Timeline regarding scandals, regulations and inquiry commissions ... 83

Figure 3: Development of a Deviant Identity.. ... 81

ARTICLE 2 ... 84

The Show Must Go On! Legitimization of Fraud-Fighters’ Professional Expertise - The Case of the ACFE ... 84

RÉSUMÉ ... 84

SUMMARY ... 84

INTRODUCTION ... 86

THE SEARCH FOR LEGITIMACY AS SEEN IN THE LITERATURE ... 90

THE STAGING OF EXPERTISE ... 92

A team performance ... 92

The ingredients of a successful performance ... 93

METHOD ... 95

An ethnographic experiment ... 95

A qualitative survey by interviews ... 98

Document analysis ... 99

Data analysis and interpretation ... 100

ACTORS AND SPECTATORS ... 101

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xi

Pre-show publicity ... 104

A glance at the setting… ... 108

Act I: the dramatic realization ... 110

Act II: idealization ... 111

Act III: maintenance of expressive control... 112

The interval: a time for secret discussion of the show ... 113

The grand finale: mystification... 125

Between reality and pretence ... 128

DISCUSSION ... 129

When legitimacy is founded on secrecy ... 129

Commercialization of the professional ... 131

A rising volume of professional credentials ... 133

CONCLUSION ... 135

BIBLIOGRAPHIE ... 137

Appendix I: Model letter supplied by the ACFE to be used in requesting leave from employer to attend one of the Association’s conferences ... 142

Figure 1: Research timeline ... 143

Table 1: Interview details ... 144

Table 2: Summary of the differences between the representations put forward by the ACFE and members’ perceptions of those representations ... 146

ARTICLE 3 ... 148

DÉMYSTIFICATION DE L’EXPERTISE ANTI-FRAUDE : ENTRE RISQUE RÉPUTATIONNEL ET ÉTHIQUE PROFESSIONNELLE ... 148

RÉSUMÉ ... 148

INTRODUCTION ... 149

LE CONCEPT DE LA FRAUDE ET SON TRIANGLE: DES CONCEPTS SUREXPLOITÉS ... 152

De Sutherland à Cressey… ... 152

Le triangle de la fraude : un peu, beaucoup, énormément… ... 153

Des concepts tenus pour acquis ... 156

Des acteurs pas toujours assimilés ... 157

UN MODÈLE THÉORIQUE AXÉ SUR LA DISTANCIATION CRITIQUE ... 158

MÉTHODE ... 162

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xii LA FRAUDE : LE DISCOURS OFFICIEL ET LA COMPRÉHENSION OFFICIEUSE

DES EXPERTS ... 170

Un discours incriminant pour les organisations ... 170

Un discours aux conséquences inattendues ... 174

LE FRAUDEUR : LE DISCOURS OFFICIEL ET LA COMPRÉHENSION OFFICIEUSE DES EXPERTS ... 178

Un portrait « scientifique » du fraudeur type ... 178

Chasser le « méchant » ... 181

Un discours intériorisé, mais peu évoqué… ... 184

L’INTERVENTION EFFICACE: LE DISCOURS OFFICIEL ET LA COMPRÉHENSION OFFICIEUSE DES EXPERTS ... 186

Évaluer le risque, oui, mais lequel? ... 186

Gérer le risque de fraude selon l’ACFE… ... 188

Gérer le risque de fraude selon le protecteur d’une organisation privée ... 190

Gérer le risque de fraude selon les experts antifraude chargés de protéger la population… ... 195

DISCUSSION ... 198

Le sens caché de la représentation discursive ... 198

Des professionnels à l’éthique potentiellement discutable… ... 200

Des organisations responsables de leur propre malheur… ... 202

Et que dire des experts antifraude chargés de protéger la population… ... 203

Un système à revoir ... 204

CONCLUSION ... 205

BIBLIOGRAPHIE ... 207

Tableau 1 : Liste des entretiens ... 212

Tableau 2 : Profil des participants interrogés ... 214

Tableau 3 : Synthèse des représentations discursives et cognitives discutées pour chacun des concepts étudiés... 215

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xiii Quand vous voulez quelque chose, tout l’univers conspire pour vous aider à y parvenir… (Paulo Coelho)

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REMERCIEMENTS

Le doctorat est un parcours sinueux, mais combien impressionnant. Quand j’ai entrepris de me lancer dans l’aventure doctorale, je n’avais aucune idée de ce que cela signifiait vraiment. J’étais loin de me douter que ce processus ferait appel à tout ce que je suis, à tout ce que j’ai fait dans le passé et même à tout ce dont j’ignorais alors être capable de faire. Pour ceux qui m’ont connu lors de mon entrée dans le monde académique alors que j’étais une jeune étudiante qui débutait l’université, j’ai peut-être marqué votre mémoire en étant cette jeune fille, certes talentueuse, mais terriblement mêlée et qui se cherchait désespérément… D’abord inscrite en psychoéducation, j’ai ensuite bifurqué vers l’enseignement primaire et secondaire. Ouf… Trois années passées et j’étais toujours aussi mêlée. J’aimais tout, mais je ne me voyais nulle part. Puis, je ne sais trop pourquoi, j’ai bifurqué dans l’univers de la comptabilité. Je ne suis pas certaine de la véritable raison derrière mon acharnement dans ce programme : amour de la profession ou besoin intense de compléter quelque chose. Néanmoins, en 2007, j’ai réussi l’examen professionnel qui allait me permettre de porter les lettres CA, complétant du même coup mon programme de MBA. Sans aucun doute, mon parcours académique était terminé. Tout le monde était fier de moi. J’avais enfin réussi!

Pourtant, il me manquait quelque chose. J’ai commencé à travailler en cabinet et rapidement, j’ai réalisé que de donner les formations était beaucoup plus intéressant que de faire des dossiers! Trois ans à peine après être entrée officiellement en cabinet, je donnais de la formation aux associés et à mes collègues des autres bureaux affiliés. L’appel de l’enseignement me revenait soudain. Puis un jour, le téléphone a sonné. C’était une ancienne collègue de travail devenue professeure qui m’appelait pour m’annoncer que l’on ouvrait un poste à l’UQTR en certification. Le moment était venu pour moi d’aller vers autre chose. J’ai signé un contrat avec une clause doctorale sans avoir aucune idée de ce que je venais de faire, mais j’étais insouciante et heureuse! L’enseignement était revenu au cœur de ma vie et c’était un bonheur pour moi de jumeler cette passion à celle de la comptabilité.

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xvi En septembre 2013, j’ai débuté mon doctorat non pas sans une certaine crainte et beaucoup d’appréhensions. J’avais vu mes amis et collègues débuter avant moi ce processus, je savais un peu ce qui m’attendait. Ce que je ne savais pas cependant, c’est que ce nouveau défi me ramènerait à ma passion initiale qu’est la psychologie via l’étude du fraudeur et de l’expert antifraude. Étrangement, je réalise aujourd’hui que mon doctorat m’aura permis de jumeler mes passions : comptabilité, enseignement et psychologie, un peu comme si tout avait été tracé d’avance. Pour reprendre les propos de Paulo Coelho, un auteur qui a définitivement marqué mon adolescence : « rien dans ce monde n’arrive par hasard ». À tous ceux qui croyaient que j’étais mêlée, sachez que je le suis encore, mais que maintenant, je l’apprécie et que j’y vois désormais une force indéniable! Ce parcours a changé la femme que je suis à tout jamais et je sais que ce n’est pas fini, mais rien ne serait arrivé sans l’appui de plusieurs personnes.

La métaphore du spectacle a joué un rôle important dans chacun des articles de ma thèse. Or, si ce que l’on voit souvent est le spectacle donné sur la scène principale, permettez-moi maintenant de vous présenter ceux qui, en arrière-scène, ont joué un rôle si important que sans eux, aucune représentation n’aurait été possible.

Mon directeur de thèse : Yves Gendron. Au moment de m’inscrire au doctorat, je ne savais pas véritablement ce que je voulais faire. Je lisais des articles que certains collègues me proposaient, mais je ne m’y retrouvais jamais vraiment. J’allais m’inscrire aux HEC lorsqu’une collègue de l’UQTR m’a envoyé un article d’Yves Gendron en me disant que j’aimerais certainement. Non seulement j’ai aimé, mais j’ai même pleuré en lisant cet article portant sur le choc identitaire subit par les ex-employés d’Arthur Andersen. Je me reconnaissais dans tout ce qui émanait de cet article. J’aurais tellement voulu l’avoir écrit! Toute ma conception de la recherche venait soudainement de changer. Je voulais travailler avec Yves Gendron, mais je me sentais bien petite au moment de communiquer avec lui. Je lui ai néanmoins envoyé un courriel, quelques idées probablement très éparpillées, et fidèle à lui-même, il m’a répondu dans la minute que le « timing » était bon. C’était le début d’une grande aventure. On s’est ensuite rencontré dans son bureau, il m’a expliqué plein de choses que je ne comprenais pas vraiment à ce moment, mais j’ai dit oui à tout, car j’étais convaincue

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xvii de faire le bon choix et je n’ai jamais regretté ma décision. Yves est un directeur incroyable qui a la recette magique pour faire des miracles avec ce que l’on produit. Il écrit d’une manière extraordinaire, mais surtout il croit en ses doctorants. Merci Yves pour ton support et pour tes commentaires, mais aussi pour avoir toujours respecté qui j’étais et ce que j’avais comme potentiel sans jamais tenter de me restreindre à être une pâle copie de l’étoile que tu es. Tu m’as toujours laissé beaucoup de lassitude, ce qui m’a permis de gagner en confiance, mais cette confiance coulait de plus en plus dans mes veines parce que je savais que tu me rattraperais avant que je ne tombe en cas de problème. Ce que j’ai appris en travaillant à tes côtés, c’est d’écouter et de respecter les idées des autres pour maximiser notre potentiel collectif. Merci aussi pour ta patience… ce n’est pas toujours facile de travailler avec quelqu’un qui a une piètre maîtrise de l’anglais. Merci pour le généreux financement sans lequel le projet aurait été impossible. J’ai toujours eu l’impression de travailler avec un ange gardien au-dessus de mon épaule et c’était rassurant. Je mentirais si je ne disais pas à quel point j’ai peur de la suite, à quel point j’ai peur que tout cela ne soit fini. Je me sens aujourd’hui comme une jeune adulte que l’on chasse du nid familial et qui doit maintenant prendre son envol. Je sais que tu m’as appris ce qu’il faut faire, j’espère maintenant que je parviendrai à accomplir certains bons coups. Je te serai toujours extrêmement reconnaissante pour tout ce que tu as fait pour moi.

Je tiens aussi à remercier chaleureusement les deux membres de mon comité de thèse qui m’ont suivi depuis mon examen de doctorat : Marion Brivot et Mélanie Roussy. Vos encouragements et vos commentaires toujours pertinents m’ont permis d’améliorer considérablement mes travaux. Merci Marion pour les belles discussions et pour tes encouragements dans les colloques doctoraux quand j’étais frustrée de ne pas être capable de défendre mes travaux à la hauteur de ce que j’aurais souhaité. Merci Mélanie pour tes encouragements à chacune des conférences où j’ai présenté. Tes hochements de tête en signe d’approbation étaient tellement rassurants pour moi, ils me donnaient l’énergie pour poursuivre. J’espère sincèrement avoir la chance de travailler avec vous dans le futur!

Un gros merci aussi à l’Université Laval qui m’a accueilli avec beaucoup de générosité dans son programme. J’ai croisé dans cette institution des professeurs

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xviii extraordinaires qui ont contribué à modeler la personne que je suis aujourd’hui. Chacun à votre manière, vous m’avez apporté beaucoup. Merci à Jean-François Henri, Carl Brousseau, Olivier Boiral et Christophe Roux-Dufort. Un merci spécial à une professeure des HEC qui m’a généreusement accueilli dans son cours de méthodes qualitatives à l’été 2012, Mme Ann Langley. Je tiens aussi à remercier tous les organisateurs des journées internes de la recherche tenues par l’École de comptabilité. Ces moments extraordinaires auxquels vous m’avez convié m’ont permis, comme doctorante, de voir tout le prestige de votre institution, mais aussi de mieux comprendre comment émergent les plus grandes idées!

Merci à tous ceux qui ont cru en moi en m’octroyant des bourses tout au long de mon processus : Fondation de l’ordre des CPA du Québec, Autorité des marchés financiers, Fondation de l’Université Laval ainsi que Rachel et Jean-Marie Gagnon. Merci aussi à tous ceux qui ont généreusement accepté de participer à mon étude. Par vos témoignages, vous m’avez permis de mieux comprendre la société qui m’entoure. Je vous en suis très reconnaissante.

J’aimerais aussi remercier mes collègues « doctorants » avec qui j’ai partagé beaucoup de bons moments et j’espère sincèrement ne pas en oublier. Merci à Steeve et Jérôme numéro 1 (Jérôme Deschênes) avec qui j’ai fait un long bout de ma scolarité. Nos échanges hebdomadaires où l’on partageait sur le contenu tout en s’échangeant nos doléances m’ont permis de briser la solitude des premières sessions. Merci aussi à Janie et Maryse pour les belles et longues discussions sur le doctorat et la famille! J’espère sincèrement travailler avec vous plus tard! Merci à Jérôme numéro 2 (Jérôme Bouchard), je sais que l’on partage des idées communes sur pleins de sujets et c’est toujours tellement agréable de discuter avec toi. Au plaisir de se revoir et de démarrer des projets futurs! Enfin, un merci spécial à ma « fausse » collègue doctorante qui est devenue un acolyte pour un article que j’affectionne particulièrement : Maude. Malgré la distance entre l’Australie et le Canada et malgré tes obligations, tu as toujours pris le temps de discuter avec moi et de partager et je l’apprécie énormément!

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xix Si mes collègues « doctorants » de l’Université Laval ont certes joué un rôle significatif dans mon parcours, je tiens aussi à remercier mes collègues de l’UQTR sans qui le projet aurait été irréaliste. Merci d’abord à la direction de l’UQTR d’avoir généreusement financé mon doctorat. Un immense merci aux membres de mon département pour la compréhension, pour tous les ajustements octroyés, pour avoir toujours tenté de faire en sorte que mon cheminement se passe dans les meilleures conditions possibles. Un merci spécial à Angélique, Émilie, Pier-Luc et Marie pour les heures incroyables passées à partager sur la recherche. Merci pour l’écoute, pour le soutien, pour les échanges… Enfin, un merci particulier à ma collègue et grande amie Daphné pour avoir partagé avec moi chacune des étapes de ce long processus, pour m’avoir aidé dans les moments plus difficiles, pour m’avoir écouté sans cesse me plaindre de certains petits bobos, mais aussi pour les encouragements, pour l’empathie… Merci d’avoir été là pour moi! Tu es une amie extraordinaire!

Enfin, comme le doctorat est une aventure qui nous bouscule autant professionnellement que personnellement, je ne pourrais passer sous silence l’apport des membres de ma famille sans qui le succès de ce projet aurait été impossible.

Jeff… Je ne sais pas comment te remercier pour m’avoir accompagné et être resté à mes côtés tout au long de cette aventure malgré les sautes d’humeur, les montées d’angoisse, les sueurs nocturnes, l’absence parfois de corps, mais souvent d’esprit. Lorsque j’ai signé mon contrat à l’UQTR, je l’ai fait pour moi, mais j’étais loin de me douter à quel point j’allais impliquer toute ma famille dans cette aventure. Tu as affronté avec moi chacune des étapes en m’encourageant continuellement à persévérer. Tu as pris en charge de nombreuses responsabilités face aux enfants sans rechigner, ou du moins très peu! Tu dis souvent que je t’ai fait grandir, mais dans l’aventure doctorale, c’est toi qui m’as fait grandir en me forçant à toujours voir le bon côté des choses et à me réjouir des petites victoires au quotidien. Tu as assuré une stabilité dans notre foyer même quand j’étais déstabilisée et je t’en serai toujours très reconnaissante parce que sans toi, ce projet n’aurait jamais pu se terminer. Merci d’être la deuxième moitié de ce que je suis! Je t’adore!

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xx Merci aussi à mes enfants qui, sans le savoir, ont joué un rôle fondamental dans la réussite de mon doctorat. En me forçant à prendre des pauses pour faire le souper, jaser de leur journée ou pour donner des bains, mes trésors ont provoqué des moments magiques où, de mon cerveau alors plus calme, émergeaient soudainement les meilleures idées. Merci à ma grande pour ton aide avec l’anglais et pour ton écoute précieuse et merci à mes deux petits chéris pour votre naïveté qui me force si souvent à rire des petites choses de la vie! Vous êtes tous les trois une pièce immense de mon bonheur.

Merci à ma chère tante Denise qui est devenue pour moi une deuxième maman. Merci pour ton écoute et ton support et pour toutes ces fois où tu vantais mes mérites à tous. Ça m’a toujours fait très chaud au cœur! Sans ton aide avec les enfants, je n’aurais jamais pu y arriver. Je savais que je pouvais compter sur toi quand j’étais débordée ou quand je devais quitter pour une conférence. Tu as toujours été là pour moi. Tu as donné à ma famille sans compter et je t’en serai toujours très reconnaissante. Je t’aime beaucoup!

Mon cher papa, très jeune tu m’as appris le sens du travail. Je me souviens encore d’avoir passé des après-midis à couper de longs brins d’herbe dans la cour du chalet avec des ciseaux géants juste pour travailler comme toi. Tu me disais qu’il fallait toujours travailler assez fort pour ne jamais rougir devant son chèque de paie. J’ai toujours retenu ces propos puisqu’ils ont forgé mon éthique de travail, un élément fondamental dans la réussite d’un doctorat. Avec Lulu et Jessica, vous avez toujours été là pour moi quand j’en avais besoin et même si je n’ai pas réclamé souvent votre aide au cours des dernières années, je savais que je pouvais compter sur vous et c’était suffisant pour me donner la force de continuer. Je vous aime beaucoup!

À ma grande amie Valérie qui est pratiquement comme une sœur pour moi, merci pour ton écoute, ton soutien, ta présence. Merci pour nos longues discussions sur tout et sur rien. Ces moments passés à échanger avec toi m’ont toujours permis de décrocher de mon horaire parfois trop chargé… Merci d’être dans ma vie depuis aussi longtemps. Tu es extrêmement précieuse à mes yeux! Merci aussi à ta petite famille, Nicolas et Hubert, c’est toujours un plaisir de partager de bons moments ensemble!

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xxi À Linda et Renald, mes beaux-parents, merci pour les encouragements continus, mais aussi pour toute la nourriture! Grâce à ma belle-maman qui remplit continuellement mes armoires et mon réfrigérateur de pâtés, de sauce à spaghetti, de ragoût de poulet et de plein d’autres repas extraordinaires, je me sens toujours beaucoup moins coupable de travailler autant parce que j’ai toujours quand même un bon repas à servir à ma tribu! Sans vous en rendre compte, vous avez énormément facilité mon parcours…

Enfin, un dernier merci bien spécial à ma maman… Lorsque tu es partie maman, je venais tout juste d’entreprendre mon baccalauréat en sciences comptables. Tu n’auras jamais vu de ton vivant mes réussites académiques. Toi qui craignais tellement pour sa grande fille toute mêlée, je tiens à te rassurer, j’ai trouvé ma voie. Même du haut des cieux, je sais que tu es tout près de moi. Comme lorsque j’étais toute petite, je persiste à demander ton aide régulièrement et je sens encore ton appui comme avant. J’aurais aimé que tu puisses voir la fin de ce long processus. J’aurais tellement souhaité que tu sois là à mes côtés pour célébrer ce grand moment, mais le destin en a voulu autrement. Je tiens quand même à te remercier parce que c’est toi qui m’as enseigné à me rendre au bout de mes rêves et à croire en moi. Tu m’as montré à être une femme forte et courageuse et je te dois beaucoup pour cette belle réussite. Merci ma belle maman d’amour… Tu me manques énormément.

Ce n’est pas tant l’intervention de nos amis qui nous aide, mais le fait de savoir que nous pourrons toujours compter sur eux.

(Épicure)

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xxiii

AVANT-PROPOS

Cette thèse est composée de trois articles initialement rédigés en français, mais deux ont été traduits en anglais dans le cours de mon processus doctoral afin d’être soumis à des revues académiques. Comme les révisions qui ont suivi les soumissions des deux premiers articles de ma thèse ont été rédigées en anglais, ces deux articles seront donc présentés dans la langue de Shakespeare afin d’intégrer à cette thèse les versions les plus récentes de ces manuscrits. Ces articles représentent le fruit de quatre années de dur labeur en tant qu’étudiante au doctorat.

Le premier article de ma thèse sera prochainement publié dans la revue Auditing : A Journal of Practice & Theory (2017) et est intitulé : The “Normalization” of Deviance: A Case Study on the Process Underlying the Adoption of Deviant Behavior. Ayant personnellement réalisé la collecte de données, l’analyse des résultats et la rédaction initiale de cet article, j’en suis l’auteure principale. Toutefois, comme j’ai profité grandement des commentaires de révision de mon directeur de thèse, M. Yves Gendron, ainsi que de son soutien, il est donc mon coauteur dans ce processus.

Le second article de ma thèse a été soumis à la revue European Accounting Review en mai 2017 sous le titre : The show must go on! Legitimization of fraud-fighters’ professional expertise - the case of the ACFE. Pour cet article, j’ai aussi réalisé personnellement la collecte de données, l’analyse des résultats ainsi que la rédaction initiale, ce qui justifie que j’en sois l’auteure principale. Néanmoins, comme j’ai une fois de plus fortement bénéficié des commentaires enrichissants de mon directeur de thèse, M. Yves Gendron, je souhaitais qu’il agisse à titre de coauteur dans ce processus.

Enfin, le dernier article de ma thèse sera traduit en anglais prochainement pour être ensuite soumis à une revue académique qui demeure à déterminer. Je serai l’auteure principale de cet article puisque j’ai également réalisé la collecte de données, l’analyse des résultats et la rédaction initiale. Mon directeur de thèse, M. Yves Gendron, agira à titre de coauteur considérant l’aide octroyée tout au long du processus allant de la collecte de données jusqu’à la publication de l’article.

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1

INTRODUCTION

De tous les temps, de nombreux auteurs ont reconnu que le monde était parsemé de dichotomies : raison versus passion, ordre versus mouvement ou encore autorité versus liberté. En mettant en parallèle ces angles opposés, il devient parfois possible de mieux comprendre les constructions sociales qui nous entourent (Bonny, 2004), dans la mesure où l’analyse de telles constructions ne se limite pas à une traduction binaire et qu’elle permet l’élaboration de distinctions plus fines, laissant ainsi un espace fécond pour l’émergence d’interprétations diverses et d’enjeux distincts. Pourtant, la recherche académique en comptabilité portant sur la fraude a souvent négligé de telles analyses chargées d’opposer des dichotomies, se contentant plutôt d’analyser certaines constructions sociales en ne mettant en exergue qu’un seul angle à la fois — que ce soit le fraudeur, le contexte organisationnel ou encore les méthodes d’intervention préconisées (Cooper et al., 2013).

Ainsi, de nombreux chercheurs ont tenté de mieux comprendre qui était le fraudeur en tant qu’individu déviant en se concentrant notamment sur les pressions, les motivations ou encore le processus de rationalisation du fraudeur (Bartlett & Preston, 2000; Coleman, 2001; Cressey, 1950; Davidson et al., 2015; Kieffer & Sloane, 2009; Murphy & Dacin, 2011; Palmer, 2009; Shover & Bryant, 1993). Certains ont même entrepris d’analyser les traits de personnalité des fraudeurs corporatifs (Cohen et al., 2010). Pourtant, si ces études ont permis de mettre en évidence la présence de carences morales chez les fraudeurs, idées qui ont souvent conduit à des modes d’intervention promouvant un phénomène de bouc-émissairisation du fraudeur (Guénin-Paracini & Gendron, 2010), il n’en demeure pas moins que certaines questions persistent, notamment lorsque nous sommes confrontés à des scandales de collusion et de corruption lors desquels de multiples individus adoptent un comportement déviant au même moment et au même endroit. Dans un tel contexte, comment prétendre qu’il soit légitime de considérer le fraudeur comme étant exclusivement (ou principalement) le résultat d’un échec à la moralité individuelle? Il apparaît évident, face à un tel scénario, qu’un angle d’analyse ait potentiellement été omis.

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2 À l’opposé des études ayant abordé la question de l’individualité du fraudeur, les études sur la fraude ayant porté principalement sur le contexte social dans lequel l’événement survient sont plutôt rares (Cooper et al., 2013). Dans une certaine mesure, le « contexte » étudié en matière de fraude est très souvent limité à une analyse du contexte organisationnel. En ce sens, plusieurs études se sont concentrées sur l’analyse des systèmes de contrôle interne dans les organisations (Fich & Shivdasani, 2007; Hogan et al., 2008). Cette limitation de la définition du « contexte » dans les études portant sur la fraude semble toutefois peu surprenante puisque même l’expertise associée à l’audit en matière de prévention et de détection de la fraude repose également sur deux éléments fondamentaux qui limitent la définition du contexte à celle de l’organisation, soit l’approche préconisée par le Committee of Sponsoring Organizations of the Treadway Commission (COSO) ainsi que la désormais célèbre théorie du triangle de la fraude. Si le COSO limite l’analyse de l’auditeur en matière de fraude à cinq composantes forgées au cœur de l’organisation (environnement de contrôle, évaluation des risques, activités de contrôle, informations et communications et activités de surveillance), la théorie du triangle de la fraude tend, pour sa part, à mettre en évidence l’opportunité comme étant une faiblesse dans le système de contrôle interne d’une organisation. Dans les deux cas, le « contexte » d’étude de la fraude est donc restreint à une portée organisationnelle. Pourtant, déjà en 1940, Sutherland avait mis en évidence l’idée qu’il faille considérer le contexte social dans lequel une fraude survient pour mieux comprendre qui sont les fraudeurs. Face aux limites de ces études qui se sont concentrées sur un angle d’analyse précis en rejetant soit le caractère individuel ou social de la fraude, il semble désormais important de considérer à la fois l’individu et le contexte social pour mieux comprendre la fraude furtive.

Toutefois, les dichotomies quant aux études en matière de fraude ne se limitent pas à la question individu/contexte, mais cette mise en évidence — voulant que la fraude soit le résultat d’un individu déviant à qui l’on a laissé un espace suffisant au sein d’une organisation pour contrer les systèmes de contrôle en place – a néanmoins conduit de nombreux chercheurs à percevoir le fléau comme une responsabilité organisationnelle (Armstrong et al., 2014; Bell & Carcello, 2000; Caskey & Hanlon, 2013; Dechow et al., 1996; Donelson et al., forthcoming; Farber, 2005; Schuchter & Levi, 2016). Un slogan accrocheur est d’ailleurs

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3 aujourd’hui très populaire à cet égard : the tone at the top (Patelli & Pedrini, 2015; Schwartz et al., 2005; Weber, 2010). Pour contrer la fraude, il faut encourager l’établissement d’une culture éthique à partir du sommet des organisations. De nombreuses études ont ainsi abordé l’importance de mettre en place un environnement de contrôle rigoureux au sein des entités (Lail et al., 2015; Patelli & Pedrini, 2015; Schmidt, 2014; Schwartz et al., 2005; Weber, 2010). L’imposition de cette nouvelle responsabilité aux organisations ne fut cependant pas un jeu à conséquences nulles. Afin de répondre à cette pression, de nombreuses entreprises ont instauré des mesures de contrôle interne fortes, notamment un environnement de contrôle rigoureux, par la mise en place d’unités internes visant à prévenir et détecter la fraude, ce qui s’est rapidement transformé en un besoin pour une expertise distincte en matière de fraude (Zikmund, 2014), et les prétendants, à ce titre, sont nombreux.

Depuis plusieurs années, de multiples organisations tentent de promouvoir leur expertise antifraude en proposant des titres professionnels distincts tels que le Certified Financial Forensic (CFF), le Certified Fraud Examiner (CFE), le Certified Financial Crime Investigator (CFCI) ou encore l’Advanced Financial Crimes Investigations Certified (CAMS-FCI). Plusieurs de ces associations ont d’ailleurs connu une croissance importante de leurs membres comme tel est le cas pour l’Association of Certified Fraud Examiners (ACFE) qui compte aujourd’hui plus de 75 000 membres présents dans 60 pays (ACFE.com, 2017). Ce regroupement professionnel propose d’ailleurs aux experts souhaitant acquérir une expertise antifraude un titre jouissant d’une valeur indéniable sur le marché, notamment, grâce à la qualité de la représentation fournie par l’ACFE dans le cadre des conférences internationales qu’elle dispense, mais aussi en raison de son programme de formation vanté par de nombreuses organisations.

Toutefois, la quête de légitimité de cette organisation, probablement comme celle de n’importe quelle autre association, tend aussi à présenter certains écarts si l’on analyse simultanément la représentation à l’avant-scène fournie par l’ACFE et la réaction des membres à l’arrière-scène, ce qui semble d’ailleurs conforme à la pensée de Goffman (1979) qui précise que toute analyse d’une représentation ne peut que conduire à la mise en évidence de certains écarts. Ainsi, une fois de plus, une analyse des dichotomies entre la représentation

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4 sur la scène principale et la réaction des membres en arrière-scène conduit à percevoir la quête de légitimité de cette organisation revendiquant une expertise antifraude comme étant une construction sociale complexe qui ne peut être analysée exclusivement sous l’angle de ceux qui mettent en scène le spectacle et qui promeuvent sa légitimité comme cela a souvent été le cas dans la littérature (Lawrence et al., 2009; Lindblom, 1993; Malsch and Gendron, 2013; Power, 2013; Spence et al., 2010).

Qui sont donc les experts antifraude? Comment sont-ils socialisés en tant que porteur d’une expertise en prévention et en détection de la fraude? Si l’on reconnaît la socialisation comme étant une intériorisation normative du discours véhiculé aux experts antifraude ayant pour objectif la reproduction de cette classe sociale d’experts (Bourdieu, 1980; Dubet et Martuccelli, 1996), il appert alors qu’une analyse portant seulement sur le discours tenu dans le cadre de la formation initiale et ultérieure des CFE (ceux-ci étant dans l’obligation de maintenir un minimum de 20 heures minimalement en formation continue une fois qu’ils sont certifiés) apparaît comme étant suffisante. Pourtant, selon Thompson (1990) et Ferguson (2007), une telle vision suppose que l’individu à qui le discours est destiné n’est pas vraiment maître de sa propre représentation du discours. Schutz (1967) ajoute aussi à la critique en affirmant que les individus, par le processus de fabrication de sens leur permettant d’éviter qu’il existe des écarts entre ce qu’ils sont et ce qu’ils font, peuvent interpréter les discours dominants à leur façon, ce qui tend à laisser croire que ces derniers ne sont pas uniquement le résultat d’un modelage social. En ce sens, une analyse exclusive de la représentation discursive mise en scène par l’ACFE ne représenterait, une fois de plus, qu’un seul côté de la médaille. S’il est juste de croire que les experts antifraude sont probablement influencés par le discours mobilisé dans le cadre de leur formation, il est aussi potentiellement juste d’affirmer que d’autres facteurs puissent impacter leur représentation du discours tels que leur compréhension du contexte social dans lequel ils évoluent.

À cet égard, sans rejeter l’idée que les discours puissent jouer un rôle significatif dans la représentation que se forge un individu comme cela a été démontré à maintes reprises dans la littérature (Abeysekera and Guthrie, 2005; Buhr and Freedman, 2001; Ferguson et al., 2005; Freedman and Stagliano, 2002, Freedman and Jaggi, 2005; Laine, 2010; Livesey and

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5 Kearins, 2002; Jorgensen and Phillips, 2002; Tregidga and Milne, 2006), une approche reposant exclusivement sur une analyse du discours pourrait conduire le chercheur à négliger la représentation cognitive que se fait l’expert antifraude du soi-disant discours, tombant ainsi dans ce que Thompson a, pour sa part, qualifié de « fallacy of internalism » (Thompson, 1990, p.105). Par conséquent, une étude élargie des angles d’analyse semble de nouveau nécessaire pour assurer une meilleure compréhension de l’expertise antifraude.

En somme, cette entrée en matière souligne l’importance d’analyser les constructions sociales sous divers angles, même si ceux-ci s’inscrivent parfois en porte à faux dans la littérature. J’estime que le recours à un tel « bricolage analytique » est porteur d’un portrait, non seulement plus complet du phénomène à l’étude, mais aussi souvent fort différent de ce qui était initialement attendu. À cet égard, dans chacun des articles de cette thèse, le concept à l’étude sera étudié selon divers angles qui seront ensuite opposés suivant une approche par analyse des dichotomies. Toutefois, cette approche, aucunement liée à l’analyse dichotomique classique décrite et critiquée par Keynes (1975), ne se veut point limitative comme le serait une analyse binaire. Au contraire, les articles faisant l’objet de cette thèse tendent plutôt à mettre en évidence divers angles sous-jacents à une construction sociale et à suggérer, en ce sens, un portrait parfois distinct de ce qu’il serait possible d’entrevoir sans une telle analyse – évitant ainsi de tenir pour acquis des concepts parfois aussi simples que celui de la fraude.

La présente thèse propose donc une analyse du processus conduisant à la fraude autant sous l’angle de l’individu qui adhère au comportement déviant et qui a une certaine marge de liberté – que sous l’angle du contexte dans lequel il évolue et qui cherche à lui imposer des pressions significatives pouvant parfois limiter sa portée d’agir. Dans le même ordre d’idées, la quête de légitimité de l’ACFE, une association antifraude ayant connu une croissance fulgurante au cours des dernières années, sera étudiée, tant sous l’angle du spectacle déployé à l’avant-scène par les dirigeants que sous l’angle des membres de l’organisation à qui est destinée la représentation. Enfin, les experts antifraude seront aussi un objet de cette étude. Alors que ceux-ci sont certes influencés par les discours qui les entourent, il y a fort à parier que la représentation cognitive qu’ils se font de ces mêmes

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6 discours puisse s’en écarter, d’où l’importance d’opposer le discours véhiculé à l’expert antifraude à la conception qu’il se fait dudit discours.

La « normalisation » de la déviance

De manière plus précise, le premier article de cette thèse tente d’expliquer le parcours suivi par l’individu qui adhère à un système de collusion et de corruption, processus ayant peu été étudié à ce jour (Neu et al., 2013). En mettant en évidence autant le rôle de l’individu que le contexte dans lequel il chemine, cet article nous permet de mettre en valeur l’adoption d’une lentille sociologique axée autant sur l’individu que sur le contexte environnant, pour penser et agir, face à la fraude collective et aux stratagèmes de collusion. En outre, ce premier article vise à mieux comprendre comment la déviance est devenue la norme au niveau de l’octroi des contrats municipaux de construction dans la ville de Montréal alors qu’en 2009, un stratagème fortement organisé de collusion entre des entrepreneurs, des employés de la ville et des élus était mis au jour par les médias du Québec pour ensuite être fortement médiatisé dans le cadre de la Commission d’enquête publique Charbonneau. Considérant que de multiples acteurs sociaux impliqués dans le scandale en sont venus, consciemment ou non, à privilégier l’adhésion à une identité déviante plutôt que le respect des règles sociales généralement acceptées, il importe de se questionner sur le processus conduisant à l’adhésion à une culture de la déviance.

Cet article repose sur un « bricolage » théorique s’appuyant simultanément sur certaines idées traitant de la déviance présentées par Howard Becker dans le cadre de sa thèse intitulée Outsiders (1963), les réflexions de Michel Foucault sur les mécanismes disciplinaires présentées dans Discipline and punish (1977) et, enfin, l’ouvrage d’Anthony Giddens portant sur le processus identitaire dans un contexte de modernité tardive, intitulé Modernity and self-identity (1991). Le recours à ce bricolage théorique a permis non seulement de refléter une histoire davantage conforme aux témoignages des acteurs entendus, mais également de pouvoir « penser autrement », en considérant les modèles conceptuels développés par les auteurs sollicités comme une boîte à outils plutôt que comme une fin en soi (Haggerty et Ericson, 2000). En recourant simultanément aux idées de Becker et Giddens qui se campent davantage dans une approche sociologique axée sur l’individu et aux idées

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7 de Foucault qui reconnaissent la primauté des processus de socialisation et du contexte social dans le comportement humain, ce bricolage théorique nous a aussi permis de considérer simultanément l’acteur et le contexte social, nous permettant ainsi de passer outre la traditionnelle dichotomie entre l’acteur et le contexte, et ce, afin de présenter une construction sociale beaucoup plus riche et nuancée que ne l’aurait été le résultat sans ce bricolage analytique.

Cette étude s’appuie donc sur les témoignages de deux témoins clés ayant joué un rôle considérable dans le cadre du scandale québécois, soit Lino Zambito, un ancien entrepreneur en construction ayant été à la tête d’une des principales entreprises impliquées dans le cartel, de même que Gilles Surprenant, un ingénieur de la ville de Montréal retraité depuis 2009 qui a considérablement influencé le gonflement artificiel du coût des contrats de construction. Les données utilisées pour cet article découlent principalement des transcriptions de différents interrogatoires réalisés dans le cadre de la Commission Charbonneau, mise en place en octobre 2011 par le gouvernement du Québec. Si, initialement, le codage des données a reposé sur l’idée des mécanismes disciplinaires tels qu’abordés par Foucault, il devint toutefois évident, en cours de processus, que le chemin conduisant à la déviance supposait aussi une certaine expérimentation du comportement déviant. C’est à ce moment que le processus d’apprentissage du comportement déviant proposé par Howard Becker a été intégré à l’article et que les données ont été recodées en conséquence. Néanmoins, même avec l’intégration de Foucault et Becker, il semblait encore manquer quelque chose en lien avec l’idée d’un processus d’ajustement identitaire des individus impliqués. Certaines idées d’Anthony Giddens ont alors été ajoutées, créant ainsi un assemblage théorique plus nuancé et davantage conforme aux propos tenus par les témoins. Globalement, le processus d’analyse de cet article peut être vu comme étant un va-et-vient continu entre les données et la théorie (Ahrens et Chapman 2006).

En somme, cet article a permis de mieux comprendre le processus suivi par un individu jusqu’à l’adhésion à une culture de la déviance. À cet égard, si nous sommes tous quotidiennement confrontés à diverses pressions auxquelles nous tentons de faire face par le recours aux facteurs de protection dont nous disposons, il arrive parfois, chez certains individus, que les pressions deviennent si fortes que les facteurs de protection dont ils

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8 jouissent ne sont alors plus suffisants pour leur permettre de contrer celles-ci. Ces individus sous pression peuvent alors se retrouver au cœur d’un « moment critique » pouvant être décrit comme le moment où les positions préalablement tenues par l’acteur (acceptation des règles généralement adoptées par la société) peuvent devenir non tenables. Au cœur du moment critique, l’acteur se verra alors obligé de prendre une décision quant à son avenir (déroger ou non aux règles socialement acceptées), sachant pertinemment qu’une fois cette décision prise, il lui serait difficile de revenir en arrière. En outre, l’individu qui chemine dans un processus conduisant à la déviance se retrouvera ainsi au cœur d’une période d’expérimentation de la déviance où il devra jongler entre l’ambiguïté (contradictions entre ce qu’il est, ce qu’il fait et ce qu’il doit faire) et l’apprentissage du comportement déviant tout en tentant de préserver le secret sur son nouveau comportement. Enfin, l’adhésion à une culture de la déviance suppose également une certaine fabrication de sens, soit une période pendant laquelle l’individu devra reconstruire son narratif de vie en modifiant autant ses référents internes, ses référents externes que ses habitudes de vie, et ce, afin de regagner une certaine cohérence interne nécessaire à son épanouissement.

Or, si ce processus semble très individuel, il appert que les résultats de cette étude tendent à démontrer que l’adhésion à une culture de la déviance ne serait guère possible sans un contexte social qui tend, jusqu’à un certain point, à favoriser certaines formes de déviance. En outre, sans l’implication de multiples collaborateurs, le groupe d’entrepreneurs déviants décrits dans la cadre de la Commission Charbonneau n’aurait jamais été en mesure de produire en arrière-scène un spectacle aussi différent de celui auquel la population avait accès à l’avant-scène. Certains contrôles mis en place tels que la politique du plus bas soumissionnaire semblent aussi avoir joué un rôle clé en agissant littéralement comme un écran de fumée, empêchant ainsi la population de voir ce qui se passait en arrière-scène, soit derrière une apparence de respect des mécanismes de contrôle mis en place.

Ainsi, ce premier article permet de mettre en évidence un scandale où la population du Québec semble avoir été trahie par ses propres contrôles. Paradoxalement, malgré l’échec majeur des contrôles mis en place par le gouvernement, tant organisationnels que régulatoires (lois et règlements), avec pour objectif de démontrer que la situation est sous contrôle, il appert que la solution préconisée à ce jour ne semble guère avoir été modifiée puisque même

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9 le rapport final de la Commission Charbonneau publié en novembre 2015 (Commission Charbonneau, 2015) persiste encore à miser sur l’instauration et l’enchevêtrement de systèmes toujours plus complexes de contrôles organisationnels et régulatoires. Pourtant, une telle solution est caractérisée par une limite importante, en ce que le contexte social et moral dans lequel survient la fraude n’est jamais systématiquement problématisé. Rarement les politiciens et les analystes font-ils l’effort d’investiguer pour déterminer les causes profondes de la collusion et de la corruption. Ils tendent plutôt à mettre en œuvre un processus de problématisation qui consiste à faire comme si le cas était isolé et sous la responsabilité d’un individu à la moralité douteuse. Or, ce genre de réductionnisme, bien qu’il puisse être particulièrement intéressant pour les politiciens parce qu’il suppose la mise en place de solutions simples (améliorer les systèmes de contrôles et chasser l’individu coupable), ne semble guère apte à prévenir qu’une pareille situation survienne à nouveau. À cet égard, ce premier article met donc ultimement en évidence l’idée que la solution, si elle existe, devrait peut-être reposer davantage sur l’ajout de contrôles sociaux destinés à limiter la prévalence d’une culture de la déviance plutôt que de jouer sans cesse au jeu du chat et de la souris. La légitimation d’une expertise antifraude : un spectacle qui cache de nombreux secrets…

Le deuxième article de cette thèse a pour objectif de comprendre comment se légitime l’expertise professionnelle antifraude en contexte contemporain. Si plusieurs études ont permis de comprendre la façon dont les professions ont su établir (ou non) la légitimité de leur expertise, que ce soit auprès de l’état, de leurs clients, de tierces parties ou du public (Lawrence et al., 2009; Lindblom, 1993; Malsch et Gendron, 2013; Power, 2013; Spence et al., 2010), il en demeure néanmoins que relativement peu de choses sont connues sur les actions posées par une profession pour se légitimer auprès de ses propres membres (Shafer et Gendron, 2005). Pourtant, cet auditoire ne peut s’avérer qu’important puisque selon Larson (1977), la puissance d’un groupement de professionnels varie selon le degré d’unité cognitive entre les membres.

En ce sens, la présente étude s’intéresse donc à la quête de légitimation poursuivie par l’ACFE auprès de ses propres membres. Si aucune profession ne détient actuellement l’exclusivité de l’expertise légale antifraude, le spectacle livré par l’ACFE à ses membres

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10 pour revendiquer cette compétence est considérable et il semble, à ce jour, lui avoir permis de faire de ses membres de fiers porteurs du message contribuant ainsi à la quête de légitimité de l’ACFE dans la sphère sociale. Pour mieux comprendre le processus ayant permis à l’ACFE de se légitimer en tant qu’entité porteuse d’une expertise professionnelle, ce deuxième article s’appuie sur le modèle théorique proposé par Erving Goffman dans son volume intitulé Mise en scène de la vie quotidienne (1973) où celui-ci s’intéresse particulièrement aux interactions et aux représentations fournies par les acteurs pour présenter l’image qu’ils se donnent d’eux-mêmes. Recourant à la métaphore du spectacle, Goffman (1973) avance ainsi l’idée qu’il existe une scène principale où l’équipe des acteurs peut jouer un rôle et une arrière-scène où ladite équipe peut relâcher son rôle et ses membres se détendre. Ce faisant, on peut penser que toute équipe formant une organisation et qui cherche à se légitimer doit, intentionnellement ou non, se soumettre à une telle mise en scène pour démontrer son expertise.

Selon Goffman (1973), toute représentation suppose divers ingrédients nécessaires au déploiement réussi du spectacle : la conviction de l’acteur (une mission), la façade (un décor), la réalisation dramatique (une mise en scène), l’idéalisation (ce qui crée l’admiration) et la cohérence de l’expression (l’absence de fausses notes). Néanmoins, malgré la présence de tous ces éléments, c’est au public chargé d’entendre la pièce de juger de celle-ci. Ainsi, selon Goffman (1973), même si l’audience regarde un spectacle livré par la meilleure équipe avec la meilleure mise en scène, elle peut néanmoins y percevoir une « représentation frauduleuse » — soit un écart entre le spectacle livré à l’avant-scène et la « réalité » telle que vécue sur le terrain. Toutefois, tant que les « représentations frauduleuses » demeurent secrètes et que le mystère autour de la représentation est entretenu par ceux à qui le spectacle est destiné, la quête de légitimité ne s’en trouve généralement pas affectée.

Ainsi, pour mieux comprendre comment se légitime l’ACFE, il m’apparaissait donc pertinent d’étudier autant les actions posées par l’équipe des dirigeants de l’ACFE à l’avant-scène que la réaction des membres de l’ACFE qui ont assisté au spectacle et qui, en arrière-scène, ne se gênent pas pour discuter abondamment de la représentation qui leur est offerte. Pour atteindre cet objectif, ce deuxième article repose sur un devis de recherche mixte

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11 incluant une expérience ethnographique, (dans laquelle la chercheuse est elle-même devenue une membre certifiée de l’ACFE), une enquête qualitative par entrevues auprès de 27 membres certifiés CFE ou en voie de l’être ainsi qu’une analyse de documents (publicité, site web, courriels et brochures créées par l’ACFE). Toutes les données recueillies ont été codées à l’aide du logiciel Atlas TI. Les concepts clés du modèle théorique de Goffman (1973) ont d’abord été utilisés pour faciliter le codage initial, mais un espace a été laissé pour permettre l’émergence d’autres codes significatifs.

Ce deuxième article a ainsi permis de mettre au jour plusieurs écarts entre la réalité perçue par les participants et le spectacle fourni par l’ACFE. Néanmoins, il semble que tant que ces distorsions demeurent dans l’ombre et que les dirigeants de l’ACFE et les membres de l’organisation persistent à entretenir le secret quant à la présence des écarts, la légitimité de l’organisation est moins susceptible d’être remise en question aux yeux du public. Ainsi, l’analyse des résultats indique que les CFE tendent à maintenir le silence en ce qui concerne la promotion du titre afin d’acquérir du pouvoir, une légitimité personnelle ou encore, simplement pour préserver un emploi s’ils œuvrent au sein d’une organisation, et ce, même si cela suppose de camoufler un certain désenchantement face au processus d’adhésion au titre. Ces résultats exposent ainsi un phénomène inquiétant de « commercialisation » du professionnel mettant ainsi en évidence l’idée que la « professionnalisation » ne semble plus reposer, comme préalablement, sur l’acquisition d’un bagage technique de connaissances qui requière une formation à long terme, mais plutôt sur la détention d’un titre selon la reconnaissance qui y est associée, et ce, peu importe la qualité de la formation sous-jacente à celui-ci.

En outre, s’il est d’usage de croire que toute profession jouit d’un engagement épistémique de ses membres au corpus de connaissances et de pratiques véhiculés par la profession (Larson, 1977), le cas de l’ACFE remet en doute cette présomption puisque l’engagement des CFE envers leur association tend plutôt à prendre la forme d’un engagement à maintenir la crédibilité de l’organisation, et ce, principalement pour préserver la valeur du titre CFE sur le marché de l’emploi. Or, si la reconnaissance sociale d’une expertise repose sur la détention d’un titre et les représentations y étant associées plutôt que

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12 sur le niveau d’expertise de terrain en lien avec le titre, il me semble alors qu’en tant que société, nous devrions nous inquiéter de la confiance octroyée à de tels « experts » pour nous protéger contre la fraude.

L’expertise antifraude démystifiée : priorité au risque réputationnel

Ce dernier article de ma thèse tente de mieux comprendre la façon dont les CFE sont socialisés, en tant que porteurs d’une expertise distincte en prévention et en détection de la fraude, par l’étude des discours dominants véhiculés dans le cadre de leur formation initiale (via une analyse du matériel de formation et des examens conduisant au titre CFE), mais aussi dans le cadre de leur formation ultérieure (par une analyse des conférences auxquelles les CFE doivent se soumettre annuellement pour respecter leurs obligations de formation continue et du matériel mis continuellement à leur disposition par l’ACFE tel que la revue Fraud Magazine, les brochures publiées par l’ACFE sur son site web ou encore les courriels envoyés régulièrement aux membres). Ces représentations discursives ont ensuite été comparées aux représentations cognitives de ces experts, soit au sens construit par ces derniers, des concepts au cœur de leur épistémologie professionnelle — lesquels ont nécessairement des conséquences sur leurs pratiques quotidiennes — tels que la fraude, le fraudeur ou encore une intervention efficace.

Si plusieurs recherches ont porté sur divers processus de socialisation au cours des dernières années par l’étude de discours tenus par des élites (Abeysekera and Guthrie, 2005; Buhr and Freedman, 2001; Ferguson et al., 2005; Freedman and Jaggi, 2005; Freedman and Stagliano, 2002; Laine, 2010; Livesey and Kearins, 2002; Jorgensen and Phillips, 2002; Tregidga and Milne, 2006), il appert que dans plusieurs de ces recherches, les discours jouent un rôle à ce point significatif que les auteurs semblent parfois présumer que les acteurs absorbent les discours auxquels ils sont exposés, et ce, sans aucun acte de réflexivité de leur part. Or, cet article tend plutôt à démontrer que les acteurs, sous l’emprise de ces discours, ne réagissent pas tous de la même manière lorsque confrontés aux mêmes éléments et qu’en ce sens, il apparaît nécessaire, pour comprendre la construction sociale de l’expertise antifraude, d’étudier simultanément la représentation discursive livrée aux professionnels

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13 antifraude et la représentation cognitive qui en découle, soit l’idée qu’ils se font dudit discours.

Pour atteindre cet objectif, ce troisième article repose sur la même collecte de données que l’article 2 présenté dans le cadre de cette thèse, mais l’objectif poursuivi s’avère néanmoins très différent. Ainsi, dans le cadre de ce troisième article, les données collectées ont d’abord été séparées selon qu’elles permettaient de définir ce qu’est une fraude, ce qu’est un fraudeur ou ce qu’est une intervention efficace. Ensuite, ces mêmes données ont été de nouveau triées selon le type de représentation auquel elles appartiennent : représentations discursives ou représentations cognitives. Cette classification a ainsi permis de mettre en exergue, pour chacun des trois concepts analysés, comment celui-ci est abordé dans le cadre des discours dominants, mais aussi comment il est interprété et mis en œuvre par les membres CFE au fil de leur travail.

Une analyse plus approfondie du discours entourant la fraude soumis aux experts antifraude a permis de mettre en lumière le « sens caché » de la fraude dans la représentation discursive promulguée par l’ACFE – selon laquelle les organisations sont responsables de prévenir et détecter la fraude. Face à un tel discours promouvant la responsabilité organisationnelle, la fraude tend ainsi à devenir la conséquence d’un revers organisationnel à bloquer sa matérialisation. La solution au fléau pour les experts antifraude travaillant pour le compte d’organisations privées consiste alors à taire l’événement de manière à éviter que la réputation de l’organisation pour laquelle ils travaillent ne se retrouve publiquement entachée, ce qui suppose inévitablement d’éviter de dénoncer les fraudeurs internes aux autorités compétentes. Les conséquences de tels choix ne sont cependant pas négligeables sur le plan sociétal. À cet égard, mon troisième article souhaite ainsi mettre en lumière les dangers découlant d’une trop grande importance accordée par les organisations à la gestion du risque réputationnel et les conséquences de cette attention démesurée, accordée par les experts antifraude à leur réputation, sur l’éthique de ces mêmes professionnels pourtant fortement en demande dans notre société moderne.

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14 En somme, les trois articles de ma thèse, en plus d’avoir pour objectif de présenter un portrait beaucoup plus complet et nuancé de la fraude contemporaine – en mettant en exergue autant le processus qui conduit à l’adoption d’un comportement déviant que le chemin poursuivi par les associations qui revendiquent une expertise antifraude et les professionnels qui les représentent – tendent aussi à démontrer la pertinence d’analyser simultanément des éléments qui sont souvent considérés socialement comme des dichotomies. En augmentant les angles d’analyse pour inclure non seulement l’individu à titre de fraudeur, mais aussi le contexte dans lequel les évènements surviennent; en s’intéressant non seulement à la représentation livrée par l’ACFE en quête de légitimité à l’avant-scène, mais aussi à la perception par les membres CFE en arrière-scène à qui le spectacle est destiné; en examinant non seulement le discours promu par l’ACFE à ses membres, mais aussi le sens construit de ce discours par ceux à qui il est proclamé, il devient alors possible de percevoir une « réalité » sociale parfois fort différente de ce qui aurait été attendu d’une étude ayant focalisé exclusivement sur un seul de ces angles d’analyse. En somme, si certains retiendront peut-être davantage les résultats spécifiques des trois articles, je souhaite personnellement que la méthode d’analyse consistant à opposer simultanément des angles d’analyse, mettant ainsi en scène un « bricolage analytique », demeure une option dans l’esprit de certains chercheurs puisque celle-ci fût, sans le moindre doute, mon ingrédient secret, parfois inconsciemment j’en conviens, mais sans lequel rien de tout cela n’aurait été possible.

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15 Bibliographie

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Références

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