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Le principe d'individualisation à l'épreuve des peines minimales d'emprisonnement : étude comparée des systèmes de justice pénale français et canadien

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Le principe d'individualisation à l'épreuve des

peines minimales d'emprisonnement - Étude

c

omparée des systèmes de justice pénale français et

canadien

Mémoire

Maîtrise en droit - avec mémoire

Yasmine Ben M'barek

Université Laval

Québec, Canada

Maître en droit (LL. M.)

et

Université Toulouse 1 Capitole

Toulouse,France

(2)

Le principe d’individualisation à l’épreuve des

peines minimales d’emprisonnement

Étude comparée des systèmes de justice pénale français et

canadien

Maîtrise en droit – avec mémoire

Yasmine BEN M’BAREK

Sous la direction de :

Julie DESROSIERS (Université Laval)

(3)

Résumé

Le terme d’individualisation désigne la faculté de modulation de la peine par le juge selon la nature de l’infraction et les caractéristiques propres au contrevenant. Cette faculté du juge fera l’objet d’une étude comparée sous le prisme des peines minimales d’emprisonnement : peines obligatoires imposées par le législateur pour certaines infractions et qui s’imposent aux juges. Ces dernières, très controversées en France comme au Canada, semblent constituer un obstacle à la personnalisation de la sanction entrainant déséquilibres et injustices dans la détermination de la peine.

(4)

Table des matières

Résumé ... ii

Table des matières ... iii

Remerciements ... v

Introduction ... 1

PARTIE 1 L’importance croissante de l’individualisation dans nos systèmes pénaux et l’évolution parallèle des peines minimales d’emprisonnement : des tendances paradoxales ? ... 8

Chapitre 1 L’individualisation : fil d’or de la détermination de la peine ... 9

Section 1 : L’individualisation de la peine : condition de son efficacité ? ... 10

Section 2 : La réforme du droit pénal : l’intégration progressive du principe d’individualisation en droit positif français et canadien ... 20

Chapitre 2 L’insertion des peines minimales dans l’arsenal répressif : une évolution contrastée ... 35

Section 1 Les peines minimales en France : le frein de l’individualisation ? .... 36

Section 2 L’inflation du mandatory sentencing au Canada : entre dissuasion, dénonciation et populisme ... 45

PARTIE 2 Peines obligatoires d’emprisonnement et personnalisation de la sanction : un mariage indésirable ? ... 52

Chapitre 1 : Les peines minimales obligatoires : atteinte injustifiée au principe d’individualisation ... 53

Section 1 : Dissuasion et lutte contre la récidive : des objectifs hors de portée ... 54

Section 2 : Les déséquilibres créés dans le système de justice pénale ... 62

Chapitre 2 Les peines obligatoires d’emprisonnement et la Constitution : une protection insatisfaisante du principe d’individualisation ... 70

Section 1 Entre individualisation et proportionnalité : l’enjeu des terminologies ... 71

Section 2 Une protection en demi-teinte du principe d’individualisation en droit français et canadien ... 77

(5)

Conclusion... 84

Bibliographie ... 88

Annexe A Peines et mesures principales prononcées dans les condamnations en 2017 selon le nombre d’infractions sanctionnées ... 94

Annexe B Chiffres des condamnations pour l’année 2010 ... 95

Annexe C Taux d’incarcération au Canada et autres pays de l’OCDE ... 96

(6)

Remerciements

À ma mère, pour son infini dévouement.

À mon père, pour ses lectures attentives et ses corrections mais surtout pour le soutien sans faille lorsque les difficultés paraissaient insurmontables.

À Madame Desrosiers, pour sa bienveillance et ses riches enseignements.

(7)

Introduction

« Telle la pierre sous les coups répétés du ciseau, la silhouette du crime et du criminel émerge progressivement. Sa composition se révèle dans cette posture qui permet aux tribunaux de saisir chaque forme, chaque relief

nécessaire à la configuration de la peine. »1 Cette métaphore éloquente des

professeurs Desrosiers et Parent révèle la minutie avec laquelle le juge doit déterminer la peine. Cette dernière, châtiment édicté par la loi à l’effet de

prévenir ou de réprimer une atteinte à l’ordre social qualifiée d’infraction2

obéit, selon les cas, à des logiques punitives différentes. De la rétribution, à la prévention en passant par la réhabilitation et l’amendement, la sanction pénale s’est vue attribuer des objectifs divers et variés au gré des mutations philosophiques, sociales et politico-juridiques. Ainsi les « anciennes fonctions » de la peine cohabitent désormais avec celles qui pourraient être qualifiées de « nouvelles » de sorte que le droit pénal est désormais semblable

à « un jardin en friche où la végétation aurait poussé de façon luxuriante »3.

Le mouvement d’individualisation du droit criminel participe sans conteste

à cette diversification de la réponse pénale.4

La personnalisation ou l’individualisation désigne l’action d’adapter une

solution à la personnalité de celui qu’elle concerne5. Appliquée à la sanction

prononcée par le juge pénal, cette définition correspond au mode d’appréciation de la peine consistant à prendre en compte les circonstances

de l’infraction et la personnalité de son auteur.6

1Hugues PARENT et Julie DESROSIERS, Traité de droit criminel, Tome III : "la peine", Montréal, 2e éd., Thémis, (2016)

par. 34.

2Jean-Baptiste THIERRY, L'individualisation du droit criminel, Revue de sciences criminelles et de droit comparé, Dalloz

actualité, (2008-05-06) pp.59-68.

3Virginie PELLETIER, Pour une refonte du droit des peines : Quels changements si les préconisations de la Commission

Cotte étaient suivis ?, Institut de sciences criminelles et de la justice, Paris, Lexisnexis, (2016) p. 57.

4L'individualisation du droit criminel – Jean-Baptiste Thierry – RSC 2008. 59

5Gérard CORNU, association Henri Capitant (dir.), Vocabulaire juridique, Paris, 11e éd., Quadrige, Presses Universitaires

de France (2016). La personnalisation et l’individualisation seront comprises comme synonymes tout au long de ce travail de recherche, le Conseil constitutionnel français et la Cour suprême du Canada n’établissant pas de distinction entre ces terminologies.

(8)

Ce principe d’individualisation reconnu comme principe à valeur constitutionnelle en France depuis 2005 revêt une importance fondamentale dans la réhabilitation du délinquant et la lutte contre la récidive. L’impératif d’individualisation a été intégré en droit français et canadien de sorte à créer une multiplication des sanctions pouvant être prononcées par le juge. La crise de la privation de liberté dans nos sociétés contemporaines se traduisant par une hausse des taux d’incarcération et l’implosion du système carcéral a conduit le législateur à multiplier les peines substitutives à l’emprisonnement. En France, surtout, cette diversification de la réponse pénale s’est traduite par un accroissement des modes alternatifs de règlement et par la création frénétique de nouvelles peines, jusqu’à

l’avènement de la sanction-réparation en 2007.7

Plus de cent ans après la première édition de L’individualisation de la peine de Raymond Saleilles parût en 1898, la question de la modulation de la peine par le juge en fonction des caractéristiques propres à chaque individu semble être centrale dans nos systèmes pénaux contemporains. L’auteur, en avance sur son temps, expliquait que « la peine doit être adaptée à la nature de celui qu’elle va frapper »8 et, qu’en ce sens, liberté doit être donnée

au juge dans son prononcé.

En regardant vers l’avenir, Saleilles explique que la peine, au-delà de son aspect rétributif, tourné vers le passé, doit permettre à l’individu d’être réhabilité afin d’éviter qu’il ne persiste encore davantage dans la criminalité. Il fonde ainsi la peine sur la liberté de l’individu et affirme que la dignité de ce dernier doit être préservée en tout état de cause (il s’oppose en ce sens aux peines afflictives et infâmantes). Dans cette logique, et en redonnant au droit une dimension profondément humaine et humaniste, Saleilles constate le rôle du jury dans l’individualisation de la peine ainsi que celui

7Jean-Baptiste THIERRY, L'individualisation du droit criminel, Revue de sciences criminelles et de droit comparé, Dalloz

actualité, (2008-05-06) pp.59-68.

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des circonstances atténuantes (introduites dans le Code pénal français en 1824) comme premier levier d’individualisation de la peine. Cependant, il prône une démarche scientifique et met le juge au cœur du système qui

serait en ce sens « un système d’individualisation judiciaire »9 par opposition

à un « système d’interprétation légale »10. Il préconise alors une discrétion

importante donnée au juge quant à l’appréciation des capacités du délinquant à se réinsérer dans la société et s’éloigner du crime. Il doit ainsi tailler sur mesure la sanction pénale en fonction de la personne condamnée, de sa personnalité, de sa situation et de sa vie passée afin qu’elle soit la plus juste possible et pour la société (prévention de la récidive) et pour l’individu lui-même (réhabilitation).

Dans cette optique, si le juge peut s’accommoder des peines d’emprisonnement maximales en ce sens qu’il peut toujours prononcer une peine inférieure, il est plus difficile d’admettre l’existence de peines minimales d’emprisonnement obligatoire (PMO) à la lumière des enseignements de Saleilles. Il s’agit d’un minimum d’emprisonnement fixé par le législateur pour une infraction donnée et qui lie le juge quant au prononcé de la peine. A l’inverse de ce que préconisait l’auteur de L’individualisation de la peine, ce dernier se retrouve bridé par les minimums fixés par le Parlement et ne peut éviter de prononcer une peine d’emprisonnement à l’encontre d’un délinquant pour lequel cette dernière serait manifestement inadaptée.

Au Canada, si la nature individualisée du processus de détermination de la

peine a été maintes fois reconnue par la Cour suprême11, le principe semble

trouver moins d’écho au Parlement. En effet, ce dernier multiplie les législations comportant un nombre important de peines d’emprisonnement

9Id., 10Id.,

(10)

obligatoires12 créant ainsi d’importants déséquilibres dans la détermination de la peine. Le vecteur de l’adoption de ces peines minimales d’emprisonnement est, entre autres, l’objectif de dissuasion.

En France, c’est la lutte contre la récidive qui a fait figure de justification lors de l’adoption de la loi 2007-1198 du 10 août 2007 intégrant dans le Code pénal un système de peines dites « plancher ».

Cependant, on voit les limites d’un tel système dans l’un et l’autre des deux pays. D’abord, loin de limiter la récidive, les peines d’emprisonnement sont associées à une hausse du risque de réitération des infractions chez les

individus sortants13. En outre, l’objectif de dissuasion tant mis en avant

n’est ni mesurable ni quantifiable. Faisant le constat de leur inefficacité et de leur inapplicabilité par les juges, le législateur français finira par abroger les peines minimales de prison par la loi n°2014-896 du 15 août 2014 justement intitulée loi relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales. Outre-Atlantique, en revanche, elles sont en plein essor.

Il n’y a de principe auquel il est plus difficile de donner corps et tout l’enjeu de la personnalisation est celui de sa mise en œuvre effective. Aussi il convient de se demander si l’intégration de peines minimales d’emprisonnement au sein de l’arsenal répressif est conciliable avec une application effective du principe d’individualisation ?

Nous nous pencherons plus particulièrement sur deux questions spécifiques de recherche qui nous permettrons de répondre à notre

12 La loi sur les armes à feu, adoptée en 1995 (L.C. 1995, ch. 39), la loi règlementant certaines drogues et autres substances

adoptée en 1996 (L.C. 1996, ch. 19), la loi sur la sécurité des rues et des communautés, adoptée en 2012, (L.C. 2012, ch. 1) introduisent toutes de nouvelles peines minimales obligatoires dans le système de justice pénale canadien.

13 En France, 62% des individus sortants de prison sont à nouveau appréhender dans les cinq ans suivant leur libération

tandis qu’entre 2001 et 2011, le taux de condamnation en état de récidive légale est passé de 4,9% à 12,1%. Ces chiffres sont sans appel et remettent en question le choix de l’emprisonnement comme outil de lutte contre la récidive. Prévention de la récidive et individualisation des peines : chiffres clés (2014), <http://www.justice.gouv.fr/include_htm/reforme_penale_chiffres_cles_plaquette.pdf>.

(11)

problématique générale. D’une part, il convient de poser la question de savoir en quoi l’individualisation représente un critère essentiel de la détermination de la peine. D’autre part, les atteintes au principe d’individualisation causées par un système de peines minimales peuvent-elles être justifiées par des objectifs pénologiques tels que la dissuasion et la lutte contre la récidive ? Quelle est la légitimité de tels objectifs ? Doivent-ils primer sur d’autres objectifs de détermination de la peine tels que la réhabilitation et la réinsertion du contrevenant ?

Autant de questions que nous allons tenter d’étudier plus en profondeur dans le cadre de ce travail de recherche. Il m’a semblé, en effet, que les enjeux posés par l’individualisation et les peines minimales d’emprisonnement se prêtaient parfaitement à une approche comparée de deux démocraties possédant deux traditions juridiques différentes mais faisant face aux mêmes défis quant à la nécessité d’établir des peines justes et efficaces.

Nous estimons que, dans un système démocratique, l’individualisation de la peine doit être le principal critère de sa détermination et le juge ne doit pas être bridé par des minimas imposés par le législateur, du moins, pas de manière rigide. La justification des peines minimales d’emprisonnement semble pouvoir être remise en question sur le plan pratique comme juridique.

L’analyse comparée doit nous permettre d’affirmer que le principe d’individualisation de la peine reçoit une application effective au Canada pour ce qui est des infractions qui ne prévoient pas de peines minimales d’emprisonnement. Dans le cas contraire, lorsqu’une peine minimale est prévue, tout espoir d’individualisation est anéanti, le juge n’ayant pas la possibilité de déroger de quelque façon aux dispositions édictées par le Parlement. En France, si le principe est au centre des récentes réformes de

(12)

la justice pénale, un examen approfondi permet toutefois d’affirmer que de nombreux tempéraments lui sont apportés.

Si les minimas fixés par le législateur ne peuvent être supprimés du système répressif, le juge doit, au moins, avoir des outils assurant une application effective du principe d’individualisation. Autrement dit, les termes de la loi doivent permettre d’aller en deçà des minimums fixés par le législateur lorsque la personnalité du délinquant et les circonstances de l’infraction s’y prêtent.

L’approche méthodologique adoptée sera une approche de droit comparé. Il s’agira d’essayer de saisir, à la lumière du droit canadien et du droit français, toutes les dimensions du principe d’individualisation et les contraintes causées, à cet égard, par les peines minimales d’emprisonnement. Il s’agira d’identifier les difficultés communes auxquelles font face les deux pays s’agissant des peines minimales mais surtout les solutions qui y sont apportées, le cas échéant. En effet, « on est en général d’accord pour reconnaître que le droit comparé est appelé à renseigner le législateur sur les solutions adoptées et les expériences faites dans les

systèmes juridiques des pays étrangers »14.

Par ailleurs, « l’intensification constante des rapports internationaux amène aujourd’hui le législateur national à suivre et à étudier attentivement le

fonctionnement des institutions juridiques dans les autres pays ».15 En ce

sens, l’étude du droit canadien et de son application nous confortera dans l’idée que le système français doit rester hostile aux peines minimales, et, de manière complémentaire, l’étude du droit français, permettra d’affirmer que le principe d’individualisation doit recevoir plus d’écho en droit canadien. S’il ne s’agit pas d’aboutir à une suppression complète des peines

14Imre ZAJTAY, « Problèmes méthodologiques du droit comparé » dans Aspects nouveaux de la pensée juridique : recueil

d’études en hommage à Marc Ancel, René CASSIN et Maurice ROLLAND, vol.1, Paris, A Pedone, (1975), pp.69‑79, p. 72.

15Groupe consultatif sur la recherche et les études en droit, Le droit et le savoir : rapport au Conseil de recherches en

(13)

minimales, le système répressif doit permettre au juge de se délier des minimas imposés par le législateur afin d’imposer une peine juste et efficace. La recherche comparée nous permettra d’affirmer que ce n’est qu’à cette condition qu’on peut garantir une application effective du principe d’individualisation.

La recherche a pour objet d’analyser l’évolution contrastée des peines minimales d’emprisonnement parallèlement à l’importance croissante du principe d’individualisation. Ce dernier s’imposant comme le fil d’or de la

détermination de la peine (Partie 1ère). Les effets de ces peines obligatoires

(14)

PARTIE 1 L’importance croissante de l’individualisation dans

nos systèmes pénaux et l’évolution parallèle des peines

minimales d’emprisonnement : des tendances paradoxales ?

« Il faut que l’on croie à la responsabilité pour qu’une mesure prise contre un malfaiteur soit une peine, mais l’application de la peine n’est plus affaire de responsabilité, mais d’individualisation. C’est le crime que l’on punit, mais c’est la

considération de l’individu qui détermine le genre de mesure qui lui convient »16.

L’individualisation de la peine est le critère de son application. Ce doit être

selon l’illustre Raymond Saleilles, la formule du droit pénal moderne17. En

avance sur son temps, le juriste français expliquait déjà en 1898 la nature fondamentale du principe et en formulait la théorie. Dès le XVIII siècle, la répression évolue progressivement pour devenir un processus

essentiellement individualisé en Europe18 comme en Amérique du Nord,

notamment au Canada.

L’évolution du droit pénal dans le sens d’une plus grande considération de

l’individu criminel19 et de ses intérêts a permis au principe de

personnalisation de s’imposer comme le fil d’or de la détermination de la peine (Chapitre 1er).

Cette tendance générale vers l’individualisation de la peine20 semblait

naturellement marquer l’obsolescence des peines fixes, figure du code pénal napoléonien, mais aussi des peines minimales obligatoires dites aussi peines plancher. La réalité n’est pas aussi tranchée et l’évolution des peines minimales d’emprisonnement en France et au Canada a été sujette à

de nombreux remous législatifs. (Chapitre 2ème)

16Raymond SALEILLES, L’individualisation de la peine : étude de criminalité sociale,1ère éd., Paris, F. Alcan, 1898. p.164. 17Id.,

18Sylvie BOISSONADE, « Les prémices de l’individualisation au cours du XIXe siècle en Europe en matière de procédure

et de pénologie » (2013) 91:4 Revue historique de droit français et étranger (1922-) 725-739.

19Michel DANTI-JUAN, « Droit pénal, changement social et économie psychique : difficultés du questionnement et

plausibilité des rapprochements » (2011) n° 83:1 Cliniques méditerranéennes 7-23.

20Henri VERDUN, Des pratiques judiciaires de correctionnalisation, Étude synthétique et critique, thèse pour le doctorat,

(15)

Chapitre 1 L’individualisation : fil d’or de la détermination de la

peine

Il paraît nécessaire de définir au préalable la notion d’individualisation au sens pénal et d’identifier ses principaux caractères afin d’en comprendre les enjeux (Section 1). De la genèse du principe à l’état actuel du droit positif en France et au Canada, sera mise en lumière la place croissante de la personnalisation de la peine dans nos systèmes répressifs modernes (Section 2).

(16)

Section 1 : L’individualisation de la peine : condition de son

efficacité ?

Sens commun, sens juridique. L’individualisation dans son sens le plus

commun désigne l’action de rendre individuel quelque chose, de l'adapter à un individu. C’est une différenciation établie sur la base de caractères

individuels21. Appliquée au droit pénal, l’individualisation consisterait donc

à adapter la peine au délinquant appréhendé en fonction de traits qui lui sont personnels. C’est ainsi qu’on parle plus justement de personnalisation de la peine. La définition juridique de ce dernier terme pouvant être donnée comme suit : « Action d’adapter une solution (mesure, sanction) à la personnalité de celui qu’elle concerne, plus généralement, à l’ensemble des

circonstances d’une espèce »22.

Buts et fonctions de la peine : le rétributivisme. La peine, strictement

définie, est le châtiment qui réprime une atteinte à l’ordre social, qualifiée

d’infraction23. A priori, elle réprime donc un acte passé dans une optique

purement rétributive : il s’agit de punir le mal par le mal. La peine était, à cet égard, envisagée par les premiers groupes humains comme une vengeance : celui qui avait causé une souffrance devait souffrir à son tour. Cette vengeance privée sera plus tard encadrée par la loi du Talion que l’on

retrouve dans le Code d’Hammourabi (~1750 av. J.-C.)24 et instituée par les

trois religions monothéistes que sont le christianisme, l’islam et le

judaïsme25. Ont beaucoup été utilisés, également, des mécanismes de

compensation pécuniaire qui consistaient à faire payer le prix de l'offense à l'individu qui causait le préjudice avec l’idée que ce « tribut » ramènerait la

situation à un équilibre antérieur altéré par le délit.26

21Centre national de ressources textuelles et lexicales, en ligne : < https://www.cnrtl.fr/> 22CORNU, préc., note 5.

23Id.,

24« TALION - Encyclopædia Universalis », en ligne : <https://www.universalis.fr/encyclopedie/talion/> (consulté le 25 juin 2019). 25 Exode, XXI, 24. Coran, sourate 2, versets 178 et 179.

26Jean-Marie CARBASSE avec la collaboration de Pascal VIELFAURE, Histoire du droit pénal et de la justice criminelle,

(17)

Théoricien de la justice absolue27, Emmanuel Kant (1724-1804) fonde quant à lui le jus puniendi sur la rémunération du coupable qui a, par son acte, atteint arbitrairement l’ordre moral. L’expiation du crime est alors indispensable au rétablissement de la morale collective, fondement du droit. Le prussien prête à l’idée de justice un caractère absolu poussant à son paroxysme l’approche rétributive puisqu’il considère que la répression est indifférente à toute notion d’utilité sociale. Le criminel par son acte, empiète arbitrairement sur la liberté de l’autre, et la punition doit en tout état de cause lui être infligée quand bien même cette dernière s’avèrerait inutile non

seulement pour lui mais aussi pour le corps social28. Tout cela participe

d’une approche rétributive de la peine dont on retrouve l’influence aujourd’hui tant en droit canadien qu’en droit français.

En droit canadien d’abord, on retrouve l’influence des courants rétributivistes au sein de l’article 718 qui dispose que « le prononcé des peines a pour objectif essentiel de protéger la société et de contribuer, parallèlement à d’autres initiatives de prévention du crime, au respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre par l’infliction de sanctions justes ». L’infliction de sanctions justes renvoie bien à la volonté d’attribuer à la répression pénale une fonction punitive tournée essentiellement vers la gravité du crime commis, donc, vers le passé. La peine est alors la simple conséquence méritée de l’acte répréhensible

commis par le délinquant : le juste prix de sa faute.29

A l’instar du législateur, la Cour suprême a reconnu cet aspect de la sanction pénale qui, entre autres objectifs, doit aussi être infligée en vue de

« sanctionner la culpabilité morale du contrevenant »30. Dans son rapport

27Emmanuel KANT, Fondements de la métaphysique des mœurs, traduit par Vincent DELBOS, Paris, éd., La question

morale, Presses Universitaires de France, (2013), pp. 36-45.

28Wilfried JEANDIDIER, Droit pénal général, 2e éd., vol. 1, coll. Domat droit privé, Paris, Montchrestien, 1991. para.46. 29PARENT et DESROSIERS, préc., note 1, para.21.

(18)

rendu en 1986, la Commission canadienne sur la détermination de la peine envisage le rétributivisme comme une potentielle justification de la peine

mais non comme un but à atteindre par cette dernière31. En effet, la question

de savoir pourquoi punir ne se confond pas avec la question de savoir dans quels buts punir. La première s’attachant aux justifications de la peine alors que la seconde vise les effets que l’on cherche à faire produire à cette dernière. C’est une distinction qui n’est pas toujours évidente. Les objectifs, les raisons, les justifications : lorsqu’il s’agit de la sanction pénale les concepts se brouillent, s’entremêlent et renvoient en réalité à une multitude de questionnements : Pourquoi punir, comment punir, combien punir ? Autant de problématiques que théoriciens utilitaristes et rétributivistes ont tenté de résoudre à travers le temps sans jamais trouver de réponse absolue et indiscutable. Ces confusions naissent de la définition même de la peine, comme le souligne à bon droit la Commission canadienne en mettant en lumière le caractère tautologique de cette dernière :

À la question : pourquoi punir quelqu'un?, il est facile de répondre : parce qu'il a fait quelque chose de mal. Cette réponse en soulève cependant une autre : doit-on effectivement imposer une sanction pénale à quiconque fait n'importe quoi de mal (est impoli, se tient mal à table, triche aux cartes) ? Non, évidemment. Seuls ceux qui commettent les fautes les plus répréhensibles devraient être punis. Quelles sont exactement ces fautes ? C'est ce qu'on appelle les infractions criminelles. Et qu'est-ce donc qu'une infraction criminelle ? C'est un geste légalement défini comme passible d'une peine. Ajoutons que cette définition légale peut varier d'un pays à l'autre ou d'une époque à l'autre (par exemple, on ne brûle plus les sorcières). Finalement, notre question de départ - pourquoi punir quelqu’un ? - reçoit une réponse très peu instructive : parce que cette personne a posé un geste que nous jugeons actuellement nécessaire de punir. 32

La peine se définit par l’infraction et l’infraction par la peine. Le rétributivisme, mis à part donner une justification partielle à la sanction pénale, ne parvient pas à éclaircir toutes les zones d’ombre de sa définition

31COMMISSION CANADIENNE SUR LA DÉTERMINATION DE LA PEINE, Réformer la sentence: une approche

canadienne, Rapport, Ottawa, ministère des Approvisionnements et Services Canada, 1987, p. 155.

(19)

ni à cibler ses objectifs. Interviennent alors, nous allons le voir, d’autres courants de pensée.

En France, la formulation de l’article 130-1, premier article du titre III du

Code pénal, consacré aux peines, issue de la loi du 15 août 201433, attribue

à ces dernières deux fonctions principales. La première étant d’assurer la punition du coupable :

Afin d'assurer la protection de la société, de prévenir la commission de nouvelles infractions et de restaurer l'équilibre social, dans le respect des intérêts de la victime, la peine a pour fonctions :

1° De sanctionner l'auteur de l'infraction ;

2° De favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion. 34

Cet article tente de poser une définition du sens de la peine, celle-ci étant jusqu’à lors absente du code pénal. L’objectif étant d’intégrer de façon claire et cohérente les fonctions et finalités de la sanction pénale au sein même du code. L’étude d’impact annexée au projet de loi précise en ce sens :

La peine a pour principale finalité de restaurer durablement l’équilibre social mis à mal par la commission de l’infraction, c’est-à-dire non seulement de réparer le préjudice causé à la société, mais d’éviter que la réponse pénale ne l’aggrave. De cette finalité de cohésion sociale découle les deux fonctions de la peine : - la fonction rétributive de sanction, liée essentiellement à la gravité de l’infraction commise ; - la fonction

réhabilitante, qui vise à réduire le risque de récidive. 35

La première fonction attribuée à la peine est donc issue des philosophies rétributivistes et est tournée vers le passé puisqu’elle s’attache à la gravité du crime commis. L’étude d’impact poursuit cependant en affirmant que le prononcé de la peine emprunte non seulement aux conceptions rétributives

mais aussi aux conceptions utilitaristes36. En effet, au-delà de la punition

33Loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales, n°2014-896,

JORF n°0189 du 17 août 2014, p. 13647, Texte n°1.

34Code pénal - Article 130-1.

35Etude d’impact de la loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions

pénales, n°2014-896, JORF n°0189 du 17 août 2014, p. 13647. Texte n°1. p. 69. para. 6.

(20)

du coupable, la sanction doit être orientée vers sa réhabilitation. A l’inverse des premières, les secondes se tournent donc vers ce qu’on peut faire produire d’effets à la peine dans l’avenir.

Buts et fonctions de la peine, l’utilitarisme. L’infraction n’est pas

simplement un tort qui doit être réparé par la peine car ce qui a été fait, souvent, ne peut être défait : il s’agit davantage de garantir la protection de la société à l’avenir par la réformation du coupable. Ainsi, le curseur est déplacé du fait criminel sanctionné par la peine et appartenant au passé, au résultat de cette dernière, appartenant quant à lui à l’avenir.

Au XVIIIème siècle naît l’école classique et avec elle se développent les

courants utilitaristes. Cette école est représentée par deux figures centrales : l’italien Cesare Beccaria (1738-1794) et l’anglais Jérémy Bentham (1748-1832).

Cesare Beccaria, dans son Traité des délits et des peines37 sera parmi les

premiers à s’insurger contre l’arbitraire des lois criminelles et la sévérité excessive des peines alors en vigueur. Pour lui, les lois doivent avant tout servir la société et leur seul but est « tout le bien-être possible pour le plus

grand nombre »38. Le fondement du droit de punir réside dans la somme des

portions de liberté cédées par chacun : dépôt nécessaire au maintien d’une

société sûre39. Ainsi, toute peine est excessive et donc inutile si elle n’est

plus « nécessaire à la conservation du dépôt de la liberté publique »40. C’est

ainsi qu’il marque son opposition à la peine de mort. De ce constat, il dégage les principes de légalité et d’égalité. Nul crime ni peine qui ne soient prévus par la loi, nul loi qui ne soit strictement interprétée. La figure de ce système est donc le législateur, le juge n’a aucun pouvoir discrétionnaire et il ne peut en aucun cas moduler la peine prévue à l’avance par ce dernier, dépositaire

37Cesare BECCARIA, Dei delliti e delle pene, 1e éd. originale, (1764), Livourne.

38Cesare BECCARIA, des délits et des peines, traduit par Collin de Plancy, Paris, éd. du Boucher, (2002), p.8. 39Id., p.12.

(21)

de la volonté générale41. Les peines doivent, par ailleurs, être proportionnées à la gravité de l’acte perpétré. Il considère qu’une peine modérée mais

certaine a un meilleur effet dissuasif qu’une peine lourde mais aléatoire.42

A l’instar de Beccaria, Bentham considère que l’homme, envisagé d’un point de vue rationnel, effectue un calcul hédoniste afin de préserver au mieux ses intérêts. Le criminel n’est guère différent. Ainsi, la peine doit engendrer une souffrance plus grande que le profit tiré de l’infraction afin que l’individu

trouve plus d’intérêt à s’abstenir qu’à passer à l’acte43. La sanction ne doit,

quant à elle, engendrer que le mal strictement nécessaire pour remplir son but.

S’inscrivant dans le même courant de pensée, John Stuart Mill affirme : Les hommes ne sont autorisés, individuellement ou collectivement, à entraver la liberté d'action de quiconque que pour assurer leur propre protection […]. La seule raison légitime que puisse avoir une communauté pour user de la force contre un de ses membres, est de l'empêcher de nuire

aux autres.44

Les législations pénales occidentales ont été profondément imprégnées par ces courants. L’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen consacrant le principe de nécessité des peines selon lequel la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires est tout droit inspiré des écrits de Beccaria, au même titre que le principe de légalité. Le code criminel canadien dispose quant à lui que « le prononcé des peines a pour objectif essentiel de protéger la société » et de « contribuer au

maintien d’une société paisible et sûre »45. Rétributivisme et utilitarisme ont

donc tous deux marqué le droit pénal moderne de leur sceau.

41Id., p.16.

42JEANDIDIER, préc., note 26. para.47. 43JEANDIDIER, préc., note 26. para.48.

44John Stuart Mill, De la liberté, traduit par Laurence Lenglet, coll. Folio essais, n°142, Paris, éd. Gallimard, (1990). p.74. 45Article 718 du Code criminel canadien - LRC (1985).

(22)

Le code pénal napoléonien. S’il n’établit pas de peines fixes, comme ce que

préconisait Beccaria, ce code prévoit un minimum et un maximum : l’individualisation par le juge était donc possible dans une fourchette bien définie. Chaque infraction est délimitée et assortie des peines correspondantes : c’est la naissance de la classification tripartite des infractions. Si on perçoit des efforts dans le sens d’une plus grande individualisation des peines, le code est cependant marqué par une extrême

sévérité46 et prévoit de nombreuses circonstances aggravantes mais très peu

de circonstances atténuantes.

L’école néo-classique : défense sociale et individualisation. Le code

pénal de 1810 se situe encore très loin de ce que défend Saleilles et, de ce que préconisaient, en général, les tenants de l’école néo-classique, tels que Pellegrino Rossi, Joseph Ortolan, Filippo Grammatica et Marc Ancel. Dont la formule célèbre « punir pas plus qu’il n’est juste, pas plus qu’il n’est utile » établie une synthèse entre conception morale de la justice et utilitarisme. Cette formule, que l’on doit à Rossi et Ortolan marque une adhésion aux

idées de rétribution proportionnée de Beccaria en allant plus loin encore47.

« L’utile et le juste vont de pair car l’utile doit être juste pour être efficace » résumera le criminologue québécois Maurice Cusson dans Criminologie actuelle paru en 199848, exprimant la synthèse qui doit être faite entre rétributivisme et utilitarisme.

Le but général du droit pénal « est de concilier le maximum possible de

sécurité sociale avec le minimum possible de souffrance individuelle. »49

C’est ainsi que « le droit nouveau envisage des êtres sociaux qui ont des devoirs envers la communauté. Il voit surtout dans le criminel l’individu qui

46Châtiments corporels, peine particulière réservée au parricide (section du poing ayant porté le coup mortel)…

47Jean PRADEL, Histoire des doctrines pénales, coll. Que sais-je?, Paris, 2e éd., Presse universitaire de France, (1991),

p.52.

48Maurice CUSSON, Criminologie actuelle, Coll. Sociologies, Paris, 1e éd., Presse universitaire de France, (1998) p.157. 49Adolphe PRINS, La défense sociale et les transformations du droit pénal, vol.1, coll. Actualités sociales, Bruxelles, 1eéd.,

(23)

porte atteinte à l’ordre social »50. Il ressort de ces nouveaux courants humanistes que la peine ne poursuit par un seul but qui serait, selon l’approche adoptée, la protection de la société ou le rétablissement d’un ordre moral, mais bien de multiples buts allant de la rétribution, à la préservation de la paix sociale en passant par la réhabilitation et l’amendement du coupable.

L’individualisation selon Saleilles. Raymond Saleilles, concepteur de

l’individualisation dans son acception pénale, explique ainsi qu’il faut tailler la peine, la moduler, en fonction des circonstances de commission de

l’infraction et de la personnalité de son auteur51. Constatant les lacunes des

conceptions classiques de la peine n’envisageant que l’aspect objectif du crime, il redonne à la sanction pénale toute sa dimension en affirmant qu’au-delà de la matérialité du fait criminel, correspondant au mal produit, il faut impérativement considérer l’individu criminel. Saleilles affirme en ce sens qu’avec une telle conception, « le droit pénal est une construction toute abstraite qui ne connaît que le crime et ignore les

criminels »52. Négligeant ainsi la personne du délinquant pour ne traiter que

l’acte réprimé, le droit pénal est réduit à un mécanisme de rétribution automatique dans lequel chaque infraction est assortie d’une peine correspondante applicable systématiquement qu’importe l’auteur. Rejetant

cette approche mathématique de la répression pénale53, il adopte une

position bien plus humaniste et pragmatique en remettant le curseur sur l’Homme criminel sans toutefois écarter l’aspect objectif de la criminalité.

Formulation du principe. La peine doit être adaptée à la nature de celui

qu’elle va frapper54. La sanction pénale ainsi envisagée comporte donc une

part de subjectivité découlant de la dimension fondamentalement sociale du

50Id., p.2.

51SALEILLES, préc., note 1. 52SALEILLES, préc., note 1. p.9. 53SALEILLES, préc., note 1. p.10. 54SALEILLES, préc., note 1. p.5

(24)

droit criminel, judicieusement défini, d’ailleurs, comme « la sociologie

criminelle adaptée à l’idée de justice »55. C’est cette prise en compte du

criminel d’un point de vue tant criminologique que sociologique et psychologique, qui rompt avec l’école classique et offre, sans aucun doute, une lecture nouvelle, bien plus réaliste, des fonctions attribuées à la peine.

Les caractères de l’individualisation. Le premier postulat est le suivant :

aucun crime n’est identique comme aucun homme n’est identique. La réponse pénale ne peut donc s’appliquer mécaniquement de sorte qu’à chaque infraction s’applique une peine déterminée et inmodulable. Il existe autant de faits criminels qu’il y a de criminels et chaque circonstance matérielle gravitant autour de l’acte contribue à le rendre unique : « Il s'ensuit que la responsabilité, pour chaque crime spécial, varie pour chaque délinquant, non pas à raison des diversités de natures et de tempéraments psychologiques, mais à raison des variétés d’exécution de chaque crime en

particulier. »56 C’est là le degré primaire d’individualisation. Il comprend la

prise en compte du crime matériellement commis ainsi que le degré de liberté de l’agent au moment de sa commission. Ce dernier élément faisant référence à l’état pathologique (trouble psychique, neuropsychique, abolition du discernement) de l’individu au moment du passage à l’acte.

Le second degré d’individualisation réside dans la prise en compte du criminel en tant qu’être social. On envisage la responsabilisation et la réadaptation de ce dernier comme les principaux objectifs attachés à la peine. Les conceptions déterministes telles que la théorie du criminel né établies par Cesare Lombroso, sont balayées au profit d’un homme capable de se réformer et d’être réintégré à la société. La lutte contre la récidive est la toile de fond du système pénal et elle passe par l’individualisation de la peine. Joseph Ortolan affirmait ainsi : « que l’un des buts essentiels de la

55SALEILLES, préc., note 14. p.7. 56SALEILLES, préc., note 14, p.42.

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peine pour conjurer le danger des récidives, c’est la correction morale »57. La peine sert la société mais aussi le criminel en l’éloignant du crime. « La seule utilité que l’on puisse demander à la peine, c’est de faire du criminel un honnête homme, si la chose est possible, ou sinon de le mettre hors d’état

de nuire », résume Saleilles.58

L’individualisation, critère d’application de la peine. « C’est le crime que

l’on punit, mais c’est la considération de l’individu qui détermine le genre de mesure qui lui convient. La responsabilité, fondement de la peine, et l’individualisation, critérium de son application : telle est la formule du droit

pénal moderne »,59 exposait Saleilles. La réadaptation du délinquant passe

par une diversification du traitement pénal qui, pour être juste, doit prendre

en compte les différences entre les individus. 60 L’individualisation se révèle

être la voie royale vers un système de peine efficace fondé sur la responsabilité, et seule capable de lui conférer l’étoffe et l’élasticité essentielles à la réalisation de toutes les finalités qui lui sont assignées. Il n’est donc pas surprenant que les mouvements de réforme depuis le XXème siècle aient pour toile de fond ce principe désormais directeur dans la

détermination de la peine61 et incorporé peu à peu par le législateur et la

jurisprudence en droit positif.

57Joseph-Louis-Elzéar ORTOLAN, Éléments de droit pénal : pénalité, juridiction, procédure, Paris, 3e éd., vol.2. Tome 1,

H.Plon, (1863), p.88.

58SALEILLES, préc., note 14, p.23. 59SALEILLES, préc., note 14, p.164.

60Jean-Hervé SYR, « Les avatars de l'individualisation dans la réforme pénale », (1994), n°2, Revue de science criminelle

et de droit pénal comparé, éd. Dalloz, (avril-juin 1994), p. 217-235.

(26)

Section 2 : La réforme du droit pénal : l’intégration progressive

du principe d’individualisation en droit positif français et

canadien

Un phénomène progressif. Si l’individualisation de la peine paraît

aujourd’hui être aussi évidente qu’indispensable, elle n’a été introduite dans le système pénal qu’à la faveur de réformes successives. Ces dernières n’avaient pas nécessairement pour objet l’individualisation en elle-même, mais faisaient le constat de phénomènes criminels, auxquels devaient être apportées des solutions pérennes et plus efficaces, telles que la récidive. Elles injectaient inéluctablement dans le système de l’individualisation par piqûres successives. Le législateur donne une première forme à la peine en la façonnant de telle sorte qu’elle s’adapte, à priori, à la nature du comportement incriminé et à la personne du délinquant. Assortie de circonstances aggravantes ou atténuantes, accompagnée ou non de peines complémentaires, elle constitue une première individualisation d’origine légale. Le juge prend ensuite le relais. Tel un orfèvre, il examine minutieusement les circonstances de commission (aggravantes et atténuantes) de l’infraction et les caractéristiques propres à son auteur et sculpte la peine, la ciselle minutieusement afin qu’elle épouse parfaitement la silhouette du crime et du criminel.

Une codification tardive. Le principe n’a été intégré dans le code pénal

français que très récemment à l’article 131-2 inséré par la loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales. Cette codification été jugée nécessaire, « eu égard à l’importance centrale de ce principe dans le fonctionnement de la justice pénale et dans la perspective d’une réponse adaptée à la personnalité et à la situation de chaque condamné, condition sine qua non de la prévention de

(27)

la récidive »62. Cet article ne fait cela-dit que codifier expressément l’individualisation de la peine, celle-ci ayant été déjà consacrée comme principe à valeur constitutionnelle par le Conseil des sages dans une

décision du 22 juillet 200563.

Le principe d’individualisation et la Constitution. Le principe

d’individualisation n'a aucune assise textuelle dans la Constitution. Le conseil des Sages, en 1981, s’est d’abord montré réticent à le considérer comme un principe fondamental devant prévaloir sur les autres fondements

de la répression pénale64. Dans sa décision du 20 janvier 1994, il déclare :

L'exécution des peines privatives de liberté en matière correctionnelle et criminelle a été conçue, non seulement pour protéger la société et assurer la punition du condamné, mais aussi pour favoriser l'amendement de

celui-ci et préparer son éventuelle réinsertion.65

Les finalités de la peine que sont l’amendement et la réinsertion sont donc reconnues par le Conseil avant le moyen permettant de les réaliser à savoir la personnalisation de la sanction. En 1992, sera intégrée dans le nouveau code pénal une section complète consacrée aux modes de personnalisation des peines regroupant une panoplie de mesures permettant d’individualiser la sanction. Il faudra attendre la décision du 22 juillet 2005 précitée pour voir l’individualisation érigé en principe à valeur constitutionnelle. Le Conseil des Sages déduit le principe d’individualisation de celui de nécessité des peines, lui-même consacré par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme intégrée au bloc de constitutionnalité par la décision du 16 juillet 197166.

62COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE

DE LA RÉPUBLIQUE SUR LE PROJET DE LOI n°1413 relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines – Rapport n°1974 par Dominique RAIMBOURG, PARIS, Assemblée nationale, (28 mai 2014).

63Décision n° 2005-520 DC du 22 juillet 2005.

64Décision n° 80-127 DC du 20 janvier 1981, par. 16 : « Considérant, d'autre part, que, si la législation française a fait une

place importante à l'individualisation des peines, elle ne lui a jamais conféré le caractère d'un principe unique et absolu prévalant de façon nécessaire et dans tous les cas sur les autres fondements de la répression pénale ».

65Décision n° 93-334 DC du 20 janvier 1994, par.12. 66Décision n° 71-44 DC du 16 juillet 1971. par.2.

(28)

Outre-Atlantique : un principe prétorien. A l’origine, le système de justice

pénale canadien ne contenait pas de règles codifiées régissant la détermination de la peine, celles-ci étant principalement dégagées par la jurisprudence. Par la loi du 3 septembre 1996, le législateur va engager une

refonte historique du Code criminel67 en y introduisant, notamment, les

articles 718 et suivants qui énoncent les principes applicables à la détermination de la peine. Cependant, les règles jurisprudentielles antérieurement consacrées n’ont pas perdu de leur valeur : elles serviront

de support à l’interprétation des nouvelles dispositions législatives68. C’est

le cas du principe d’individualisation, corollaire du principe de proportionnalité considéré comme « un précepte central de la détermination

de la peine »69. Ce dernier est d’ailleurs consacré par l’article 718.1 du Code

criminel en ces termes : « La peine est proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant ».

Le principe d’individualisation ne fait donc l’objet d’aucune loi au pays de l’érable. Cependant, s’il n’est pas considéré comme un principe de justice

fondamental comme pourrait l’être, dans une certaine mesure70, le principe

de proportionnalité71, son importance ne cesse d’être soulignée par la Cour

suprême. La détermination de la peine est présentée comme « un processus fortement individualisé » dans lequel le juge dispose d’une latitude suffisante pour adapter la peine aux circonstances de l’infraction et à la

situation du condamné72. En 1996, dans l’arrêt R. c. M. (C.A.), le juge en

chef Lamer rappelait que :

67Code criminel L.R.C. (1985), ch. C-46.

68Jean-Paul PERRON, « la détermination de la peine », Collection de droit 2019-2020, École du Barreau du Québec, vol.

13, Droit pénal : Infractions, moyens de défense et peine, (2019).

69 R. c. Ipeelee, [2012] 1 RSC 433. para.36.

70Safarzadeh Markhali, 2016 CSC 14 par.21. et R. c. Anderson [2014] 2 R.C.S. 167 par.21. dans lesquels la Cour suprême

affirme que le principe de proportionnalité n’est pas un principe de justice fondamentale au sens de l’article 7 de la Charte.

71R. c. Ipeelee, préc., note 67, par. 37. : « Le principe fondamental de la détermination de la peine — la proportionnalité —

est intimement lié à son objectif essentiel — le maintien d’une société juste, paisible et sûre par l’imposition de sanctions justes. »

(29)

Le législateur fédéral a conféré expressément aux juges chargés de prononcer les peines le pouvoir discrétionnaire de déterminer le genre de peine qui doit être infligée en vertu du Code criminel et l’importance de celle-ci73.

L’individualisation du processus de détermination de la peine étant indissociable du principe de proportionnalité, l’examen de la situation personnelle du délinquant est essentiel au prononcé d’une peine correspondant au crime. C’est ce qui a été rappelé dans l’arrêt R. c. Proulx de la Cour suprême en ces termes :

La justification de cette approche réside dans le principe de proportionnalité, principe fondamental de détermination de la peine suivant lequel la peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant. Afin que la peine corresponde au crime, le principe de proportionnalité commande l’examen de la situation particulière du délinquant et des circonstances particulières de l’infraction74.

Récemment, le principe a encore été affirmé dans l’arrêt R. c. Pham dans lequel la Cour suprême considère, qu’à l’instar des circonstances aggravantes et atténuantes se rattachant à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant, les conséquences indirectes sur la situation de ce dernier doivent également être prise en compte au titre de l’individualisation :

À la lumière de ces principes, les conséquences indirectes découlant d’une peine s’entendent de tout effet qu’a celle-ci sur le délinquant concerné. Elles peuvent être prises en compte dans la détermination de la peine en tant que facteurs liés à la situation personnelle du délinquant. Cependant, ces conséquences ne constituent pas, à proprement parler, des facteurs atténuants ou aggravants, puisque, par définition, de tels facteurs se rattachent uniquement à la gravité de

l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant

(al. 718.2a) du Code criminel). Leur pertinence découle de l’application des principes d’individualisation et de parité. Les conséquences indirectes pourraient également être pertinentes à l’égard de l’objectif de la détermination de la peine qui consiste à favoriser la réinsertion sociale des

73R. c. M. (C.A.), [1996] 1 R.C.S. 500, par. 90, R v Ipeelee, 1 SCR 433 (SCC). 74R. c. Proulx [2000] 1 RCS 433. par.82.

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délinquants (al. 718d) du Code criminel). En conséquence, lorsque deux peines sont appropriées eu égard à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant, la peine qui convient le mieux pourrait être

celle qui favorise le plus la réinsertion sociale de ce dernier.75

L’importance du principe d’individualisation est ainsi maintes fois

réaffirmée par la Cour suprême et les tribunaux canadiens76 et nous permet

d’affirmer qu’il représente aujourd’hui un principe directeur de la détermination de la peine. En effet, l’individualisation se révèle être, entre autres principes, la toile de fond du processus judiciaire de sorte qu’il est établit que « chaque cas est un cas d’espèce : le juge appelé à configurer la peine doit en conséquence s’attarder avec minutie à tamiser chacune des circonstances pertinentes à la lumière des objectifs, principes et facteurs applicables »77.

Le juge dispose par conséquent d’une entière discrétion dans le choix de la peine lorsque, pour une infraction donnée, la loi prévoit des peines différentes en nature ou en degré. C’est ce qui résulte de l’article 718.3(1) du Code criminel formulé en ces termes :

Lorsqu’une disposition prescrit différents degrés ou genres de peine à l’égard d’une infraction, la punition à infliger est, sous réserve des restrictions contenues dans la disposition, à la discrétion du tribunal qui condamne l’auteur de l’infraction.

Ce pouvoir discrétionnaire du juge régulièrement réaffirmé par la Cour

suprême78 est le vecteur de l’individualisation :

Notre Cour a statué à maintes reprises que la détermination de la peine est un processus individualisé, dans le cadre duquel le juge du procès dispose d’un pouvoir discrétionnaire considérable pour déterminer la peine

appropriée.79

75R. c. Pham, [2013] 1 RCS 739. par 11. 76 R. c. Nasogaluak [2010] 1 RCS 206. 77R. c. Paquette, [2007] R.J.Q. 2074, par. 78.

78R. c. L.M. [2008] 2 RCS 163. par. 17 et R. c. Johnson [2003] 2 SCR 357, par. 22.

(31)

La peine encourue. Que ce soit en France ou au Canada, le pouvoir

discrétionnaire du juge s’effectue dans le cadre du principe de légalité, héritage infrangible de l’école classique. Ensemble, la Charte canadienne des droits et des libertés80 et la déclaration des droits de l’Homme et du

citoyen81 donne à ce principe une valeur supra-législative. Il y a ainsi dans

la définition de l’infraction par le législateur une première esquisse de la silhouette du crime matériellement commis. Ainsi, les modes opératoires, la qualité de l’auteur ou de la victime, l’âge, l’habitude, le moment de l’acte, la densité de la faute (dol spécial, dol général) sont autant d’éléments qui permettent de donner à l’espèce sa configuration propre. La peine encourue désignée par le doyen Claude Lombois comme étant « la peine au repos » assortie chaque infraction de sorte à donner au juge la possibilité de prononcer une peine adaptée toujours dans le cadre du principe de légalité. En France, la force de ce dernier est telle qu’aucune peine principale, alternative ou complémentaire ne peut être appliquée si elle n’est pas expressément prévue par le législateur pour l’infraction en cause. En outre, toutes les circonstances aggravantes applicables au crime sont également prévues préalablement et listées exhaustivement dans le Code pénal pour chaque comportement incriminé. La situation est différente au Canada où la portée du principe est moindre de sorte que le juge peut, à l’instar de la

loi, ériger un fait en cause d’aggravation82.

Les circonstances de commission de l’infraction. La prise en compte des

circonstances gravitant autour du fait principal permet de façonner encore

80Charte canadienne des droits et libertés (1982), article 11g) :

« 11. Tout inculpé a le droit :

g) de ne pas être déclaré coupable en raison d'une action ou d'une omission qui, au moment où elle est survenue, ne constituait pas une infraction d'après le droit interne du Canada ou le droit international et n'avait pas de caractère criminel d'après les principes généraux de droit reconnus par l'ensemble des nations; »

81 Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789), article 7 :

« Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la Loi, et selon les formes qu'elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires, doivent être punis ; mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la Loi doit obéir à l'instant : il se rend coupable par la résistance. »

(32)

davantage la sanction pénale afin qu’elle corresponde au mieux au contexte de commission de l’infraction. Les circonstances aggravantes ont l'effet d'augmenter la peine d'emprisonnement ou d'amende. L’idée est qu’une même infraction peut se décliner à l’infini de sorte qu’aucun meurtre, aucun vol, aucune agression n’est parfaitement identique.

En droit pénal français, les circonstances aggravantes sont, rappelons-le, soumises au principe de légalité des délits et des peines. Ainsi, le code pénal prévoit deux catégories de faits pouvant aggraver la répression. Les causes générales d’aggravation d’abord, il n’en existe que deux : la récidive (132-8) et l’utilisation d’un moyen de cryptologie (article 132-79). Les causes

spéciales d’aggravation83, ensuite, qui ne cessent de se diversifier et de se

multiplier, permettant, sans doute, une meilleure individualisation, mais causant également une confusion certaine entre éléments constitutifs et circonstances aggravantes, les deux se confondant parfois (la faute délibérée

à la fois élément constitutif du délit de risque causé à autrui84 et

circonstance aggravante de l’homicide involontaire).85 Ces causes spéciales,

répondant aux fonctions classiques du droit pénal, ont pour but de punir plus sévèrement les fautes les plus graves en graduant la répression mais également de prévenir la commission d’infractions aggravées en augmentant le quantum des peines. Elles peuvent ainsi faire basculer l'infraction d'une

catégorie à l'autre : contravention à délit ou délit à crime. Un vol simple86

est un délit mais il tombe sous la qualification de crime lorsqu’il est accompagné par des violences ayant entrainé une mutilation ou une

infirmité permanente87.

Les circonstances atténuantes, quant à elle, n’étaient à l’origine prévues que pour certains délits dans le code pénal napoléonien. Leur champ fut ensuite

83L’âge de la victime, sa qualité ou celle de l’auteur, leur lien de parenté, l’autorité de droit ou de fait qu’exerce l’auteur sur la victime, les

circonstances liées au modus operandi (usage d’une arme, effraction, violences, réunion…)

84Code pénal - Article 223-1. 85Code pénal - Article 221-6. 86Code pénal - Article 311-3. 87Code pénal - Article 311-7.

(33)

élargi à quelques crimes par la loi du 25 juin 182488. Il faudra attendre la

loi du 28 avril 183289 pour que le législateur se décide enfin à les étendre à

tous les crimes, tirant leçon d’acquittements massifs par des jurés préférant acquitter plutôt qu’infliger au coupable une peine bien trop sévère. Les circonstances atténuantes sont laissées à la libre appréciation du juge qui, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, peut abaisser le quantum de la peine encourue s’il trouve des causes qui affaiblissent soit la matérialité de l’action, soit la culpabilité de l’agent90.

En droit pénal canadien, le principe de proportionnalité comprend deux aspects essentiels : la gravité objective, liée à la nature même de l’acte, et la gravité subjective du crime, liée aux circonstances factuelles gravitant autour de l’acte. C’est lors de l’évaluation de ces circonstances aggravantes et atténuantes que le juge commence son travail d’individualisation. Le législateur canadien établit une liste de circonstances aggravantes qui n’est pas exhaustive et dans laquelle on retrouve des causes d’aggravation communes au droit français : le motif discriminatoire, le lien conjugal, l’âge

de la victime, l’abus d’autorité91... D’autres circonstances sont quant à elles

d’origine prétorienne. Elles sont d’autant plus nombreuses qu’elles permettent aux juges, au cas par cas, de dégager toute la spécificité d’une espèce donnée afin d’ajuster la sanction en conséquence. L’usage de la

violence92 et l’existence d’antécédents judiciaires93 sont ainsi des causes

d’aggravation majeures dégagées par la jurisprudence. Les remords

exprimés par le contrevenant94 ou le pardon accordé par la victime95 jouent

en faveur du condamné au même titre que les conséquences négatives de la

88Loi du 25 juin 1824 contenant diverses modifications au Code pénal, JORF du 20 août 1944 p. 515.

89Loi du 28 avril 1832 contenant des modifications au code pénal et au code d'instruction criminelle, JORF du 20 août 1944

p.121.

90René GARRAUD, Précis de droit criminel, coll. Sciences sociales, Paris,11e éd., Hachette, (1912), par. 200. 91Code criminel - Article 718.2 a).

92R. c. Riendeau, 2007 QCCQ 921 93R. c. Viens, 2007 QCCQ 3159 94R. c. Coffin [2006] R.J.Q. 976 95R. c. Mauricette, 2011 QCCA 632

(34)

peine sur sa situation personnelle96, celle de sa famille97, sa santé98, son

emploi99… Une multitude de circonstances sont ainsi définies par les

tribunaux, contribuant ainsi à moduler la sentence en fonction du degré de

gravité du crime commis et du degré de culpabilité morale du délinquant100.

L’infraction ainsi évaluée à la lumière de toutes ces circonstances de commission et des caractéristiques propres à l’auteur, donne lieu au prononcé d’une peine individualisée.

La peine prononcée : la discrétion du juge en droit français. La faculté

de modulation de la peine conférée au juge est également une condition centrale de la personnalisation de la peine en droit français. Elle revêt un double aspect : d’abord l’initiative du juge dans le prononcé de la peine et ensuite la faculté de modulation de cette dernière. D’une part une peine ne peut être appliquée que si le juge la prononce expressément dans la décision de condamnation. D’autre part, la discrétion conférée au juge doit être telle qu’il est maître de la nature de la peine, de son quantum ainsi que de son régime dans le cadre des dispositions du Code pénal et du Code criminel. Il peut ainsi décider de prononcer une peine d’emprisonnement assorti d’un sursis au lieu d’une peine ferme. Il peut également faire en sorte que ce sursis soit assorti d’obligations particulières auxquelles le condamné devra se soumettre au risque de voir le sursis révoqué. C’est d’ailleurs à travers la peine de prison que l’individualisation a d’abord trouvé matière à s’appliquer. 96R. c. Proulx, [2000] 1 R.C.S. 61 97R. c. Pham [2013] 1 R.C.S. 739 98Thibault c. R., [2016] J.Q. No. 1324 99R. c. Martin, 2012 QCCA 2223 100R. c. Nasogaluak, [2010] 1 R.C.S. 206 par.43 :

« Il découle de ce pouvoir discrétionnaire du juge d’arrêter la combinaison particulière d’objectifs de détermination de la peine et de circonstances aggravantes ou atténuantes devant être pris en compte que chaque affaire est tranchée en fonction des faits qui lui sont propres, sous réserve des lignes directrices et des principes fondamentaux énoncés au Code et dans la jurisprudence ».

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L’individualisation de la peine de prison. En France, les lois Bérenger du

14 août 1885101 et du 26 mars 1891102 introduisant la libération

conditionnelle et le sursis à l’exécution de la peine, constituent, deux étapes considérables vers une meilleure prise en compte de la personnalité du contrevenant. Elles sont le fruit d’un constat reposant sur une distinction entre délinquant d’habitude et délinquant primaire. Les effets néfastes de l’emprisonnement favoriseraient la récidive et pousseraient les primo-délinquants, en contact avec les délinquants « endurcis », à s’engager dans une carrière criminelle. On considère qu’il n’existe pas chez eux de tendance criminelle et la peine ne doit pas venir les pervertir davantage. La libération conditionnelle permet aux condamnés à une peine de prison présentant des garanties de réinsertion importantes d’en sortir avant le terme. D’une part, elle joue comme récompense car elle ne s’applique qu’aux individus ayant adopté un comportement irréprochable durant la période d’incarcération. D’autre part, elle agit comme une menace censée encourager la personne concernée à conserver sa ligne de conduite au risque de se voir réincarcérer pour la portion de peine qu’elle n’a pas effectuée. Le sursis simple fait, lui aussi, peser sur le condamné la menace d’une incarcération qui doit, à l’instar de la libération conditionnelle, avoir pour effet de le dissuader de réitérer son crime ou d’en commettre un autre. Il s’est décliné en différentes formes en même temps que le mouvement de diversification générale de la sanction pénale ayant donné naissance à de nombreuses peines complémentaires et alternatives dont le sursis mise à l’épreuve (SME) et le sursis assorti d’une obligation d’accomplir un travail d’intérêt général (sursis TIG). Prononcé pour plus de la moitié des peines d’emprisonnement pour crime ou délit, le sursis est une mesure phare du code pénal français.

101Loi du 14 août 1885 CCR, JORF du 15 août 1885 page 4562

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