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L’ensemble des justifications et des critiques que l’on peut apporter à l’utilisation du mandatory sentencing sont celles que l’on adresse traditionnellement à la peine de prison qu’elle soit obligatoire ou décidée par le juge. En effet, c’est l’institution même de la prison qui est ici en cause, sa légitimité étant contestée tant du point de vue de ses effets à l’égard de l’individu condamné que de ceux qu’elle produit à l’égard de la société toute entière. Ces critiques de la prison telles qu’elles ont pu être formulées par Michel Foucault dans Surveiller et punir sont plus que jamais pertinentes dans un contexte où les gouvernements sont tentés de plus en plus d’agir contre le crime par l’adoption de peines minimales obligatoires.

Les évolutions historiques de l’emprisonnement. L’histoire des prisons

accompagne celle des hommes178. Mais si l’enfermement existe depuis la

nuit des temps179 sous différentes formes et pour diverses raisons, la prison

en tant qu’institution permettant de lutter contre le crime n’est, elle, qu’une idée très récente.

« Parmi les peines, et dans la manière de les appliquer en proportion des délits, il faut choisir les moyens qui feront sur l’esprit du peuple l’impression la plus efficace et la plus durable, et, en même temps, la moins

cruelle sur le corps du coupable »180.

La primauté de la souffrance corporelle dans les sociétés anciennes laisse peu à peu place à l’enfermement comme reine des peines. La rationalité punitive du siècle des Lumières légitimant une souffrance physique dès lors que celle-ci était nécessaire a laissé longtemps subsister des châtiments corporels parfois violents : ainsi coupait-on le poing du parricide sous

178Christine DAURE-SERFATY, Observatoire international des prisons, rapport, vol.1, Lyon, (1993), p.9. En ligne :

<https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k33252945.texteImage>

179Jacques LEAUTE, Les prisons, coll. Que sais-je ?, Paris, 2e éd., Presses universitaires de France, p.13. 180BECCARIA, préc., note 36, p.51.

l’empire du Code pénal de 1810 ou encore marquait-on les récidivistes au

fer rouge181. Beccaria défendra l’abolition des châtiments corporels, qui, à

son sens, loin de les amender, endurcissait les criminels182. Il estime que

« le but des peines ne saurait être de tourmenter et affliger un être sensible

ni de faire qu'un crime déjà commis ne l'ait pas été »183. Cette dernière partie

s'oppose à la punition rétributive qui viserait à compenser le mal commis par l'infraction. Selon lui, la peine intervenant après la commission de l'infraction, elle ne pourra jamais réparer le mal causé. Il n'y a pas de compensation parfaite entre la peine et le préjudice.

Sous la Révolution et le premier Empire, l’enfermement n’était qu’une neutralisation temporaire : les prisons n’étaient pas conçues comme des

établissements spécifiques réservés aux condamnés purgeant leur peine184.

Au XIXe siècle, on use de mécanismes tels que la déportation, la relégation et la transportation consistant à éloigner l'individu géographiquement de la métropole : on se souvient ainsi de la Guyane avec l'île du Diable (Dreyfus en fut le pensionnaire le plus célèbre), de l’Algérie française ou encore de la

Nouvelle-Calédonie comme principales destinations d’exil185. Les conditions

de voyage étaient telles que la mortalité était très élevée de telle sorte que le mécanisme était en réalité définitif. L'Angleterre a, elle, utilisé l'Australie. Ces mesures disparaissent pour la plupart au XXe siècle avec les phénomènes de décolonisation. Il y a eu d'autres mécanismes de mise à l'écart et notamment l'ordonnance de 1670 qui prévoyait un mécanisme de bannissement mais surtout des peines de galère. On plaçait les individus sur les navires militaires du Royaume. Les techniques de combat de l'époque faisant appel à des navires à rames, on avait une main d'œuvre gratuite au sein de la marine. Quand le recours aux navires à rames a cessé, on a aussi

181LEAUTE, préc., note 178, p.4. 182BECCARIA, préc., note 36. 183Id., p.51

184Id., p.14.

cessé d'utiliser la peine des galères. On a donc commencé à transférer les individus dans des villes d'arsenal avec des chantiers navals, notamment dans les villes portuaires : ce seront les premiers bagnes. L'emprisonnement est utilisé très récemment à titre de peine, on l'utilisait auparavant à titre conservatoire pour empêcher l'individu de fuir avant son procès. Ainsi, le condamné à mort devait être enfermé avant son exécution et on devait veiller à ce qu’il ne se suicide pas dans sa cellule, échappant ainsi aux supplices

qui lui étaient réservés186. Au XVIIIème siècle, le droit pénal évolue

considérablement et, en même temps que l’adoucissement des peines, la réflexion sur la prison devient centrale. Les châtiments corporels disparaissent peu à peu. La peine de mort est abolie pour la plupart des pays européens au XIXe siècle. La France est retardataire de ce point de vue : elle ne fut abolie qu’en 1981. On a essayé de conserver la peine de mort en éliminant la souffrance qui lui est associée, c'est ainsi qu'on a retenu la guillotine comme moyen d’exécution. Au Canada, la peine de mort sera supprimée en 1976. La prison à perpétuité devient alors la peine encourue la plus sévère de l’arsenal répressif. C’est avec ces mutations du système pénal que le rôle de la prison va se transformer pour devenir une peine de référence dans nos sociétés contemporaines. Les fonctions qui lui sont attribuées ont évolué en même temps que l’institution.

Les fonctions attribuées à la peine d’emprisonnement. Le maintien de

l’ordre public par la neutralisation du criminel est la première justification à la peine d’emprisonnement, le but étant « la cessation du trouble et sa

sanction immédiate »187. La peine n’a qu’une vocation pratique visant à

écarter le délinquant du reste de la société pendant un temps. Ensuite, la prison, dans une perspective utilitariste, doit avoir un effet dissuasif au même titre que la peine de mort en ce qu’elle remplace cette dernière au

186Id., p.13.

187Faugeron CLAUDE et Jean-Michel LE BOULAIRE, « Prisons, peines de prison et ordre public », vol. 33, n°3, Revue

sommet de l’échelle des sanctions que ce soit en France ou au Canada188.

Prison : entre neutralisation, dissuasion et harmonisation. La prison

devient, aux XIX et XXème siècles, le cœur de la pénalité189. Pour Rossi, elle

incarne la « peine par excellence des sociétés civilisées »190. Elle permet non

seulement de neutraliser le délinquant mais elle joue également un rôle d’intimidation du condamné et des autres membres du corps social. Ainsi, « la prison est avant tout un dispositif de sûreté et la peine est la légitimation sociale nécessaire, dans les sociétés démocratiques, à l’existence d’un tel

dispositif ».191 Les peines minimales d’emprisonnement, par leur certitude

et leur sévérité (le juge n’étant pas censé pouvoir y déroger quels que soient les faits d’espèce ou la personnalité du délinquant) auraient un potentiel dissuasif important et garantirait la protection de la société par la neutralisation assurée du délinquant.

Certes, la peine de prison neutralise mais cette neutralisation n’est que temporaire si on exclut les peines de prison perpétuelles. Celles-ci, rares au Canada, n’existent qu’en théorie en France puisqu’un aménagement de peine est toujours possible, en vertu des dispositions du Code de procédure

pénale192 prévoyant un réexamen du juge d’application des peines lorsque

le condamné présente « des gages sérieux de réadaptation sociale ». On notera au passage que ces dispositions sont une émanation du principe d’individualisation trouvant donc à s’appliquer même dans le cas de crimes les plus graves punis par la peine la plus sévère. Quoi qu’il arrive, donc, et dans la grande majorité des cas, l’effet neutralisant de l’emprisonnement est

circonscrit dans le temps193. L’isolement à l’écart de la société ne bénéficie

188DESROSIERS et PARENT, préc., note 1, par. 341.

189Edouart TILLET, « Histoire des doctrines pénales : Doctrines pénales depuis les codes Napoléon », Répertoire de droit

pénal et de procédure pénale, Dalloz, (juin 2002).

190Id., cité par Edouart TILLET.

191FAUGERON et LE BOULAIRE, préc., note 186, p.7. 192Code de procédure pénale - Article 720-4.

193Laurence L. MOTIUK, « Contribuer à la réinsertion sociale sans risque : mesure des résultats » dans L-MOTIUK et

à cette dernière que durant l’incarcération194. Sur le long terme, l’emprisonnement a des effets loin d’être bénéfiques pour le corps social car

les chances de récidive sont fortes195. La commission canadienne sur la

détermination de la peine exprimait bien la difficulté qu’il y avait à considérer l’emprisonnement comme la meilleure des peines :

Le fait que l’emprisonnement soit perçu comme la sanction préférée pour la plupart des infractions pose cependant un certain nombre de difficultés. La plus importante est sans doute qu'en dépit du fait que nous infligeons régulièrement cette sanction particulièrement lourde et coûteuse, elle n'a produit que très peu d'effet, si ce n'est de mettre des contrevenants à l'écart

de la société pendant un certain temps196.

Quant à la dissuasion, elle s’observe sous les deux aspects qu’on lui attribue traditionnellement. D’abord concernant la dissuasion générale censée être dirigée vers la société dans son ensemble, rien n’indique qu’une sévérité accrue des peines renforce son pouvoir dissuasif. Ce postulat a en effet été réfuté par de nombreux travaux doctrinaux. Les recommandations du rapport du Comité Ouimet en 1969 et de la commission canadienne sur la détermination de la peine en 1987 relayées par la Cour suprême dans l’arrêt Nur, relativise largement l’effet dissuasif des peines minimales d’emprisonnement :

L'un des arguments les plus fréquemment avancés pour justifier les peines minimales est leur valeur dissuasive. A première vue, cela parait convaincant. Cependant, cet argument repose sur deux prémisses qui sont fausses. La première est qu'il suppose que l'existence de peines minimales est connue de ceux qui sont susceptibles de commettre une infraction, ce que démentent les sondages d'opinion et la seconde, que ces personnes sont à peu près certaines de se faire prendre, ce qui ne semble pas non

plus être le cas.197

En effet plus que le coût réel que le crime pourrait avoir (la peine minimale), c’est le risque de sa réalisation qu’évalue le délinquant avant le passage à

194Id.,

195CUSSON, préc., note 46, p.141.

196COMMISSION CANADIENNE SUR LA DÉTERMINATION DE LA PEINE, préc., note 29, p.11. 197Id., p.71.

l’acte. Par conséquent, la peine ne dissuade pas de passer à l’acte mais convainc au contraire à tout mettre en œuvre pour éviter d’être confondu. Cette rationalité du risque remet complètement en cause non seulement la dissuasion individuelle mais aussi la dissuasion collective :

La peine qui est pensée comme une probabilité plutôt que comme un coût stimule non pas tant le renoncement que l’élaboration de stratégies mises en œuvre pour éviter la peine. Il n’y a alors ni dissuasion générale ni

dissuasion spécifique.198

A défaut de dissuader, les minimas obligatoires ne peuvent plus faire figure d’instrument de lutte contre la récidive. L'emprisonnement étant un facteur essentiel de maintien dans la délinquance car il se traduit par une exclusion de l'individu des deux aspects de sa vie qui sont les plus socialisant : le travail et la famille. Les individus seront exclus des groupes socialement valorisés et ils se tournent alors vers leurs semblables. La prison est depuis longtemps considérée comme inapte à endiguer la récidive. Elle crée des criminels plus qu’elle n’en amende et les peines obligatoires contribue à aggraver ce cercle vicieux en plus d’exercer une pression à la hausse sur les taux d’incarcération. Une telle sévérité dans la détermination de la peine est contre-productive :

Lorsque le juge condamne le délinquant à l’emprisonnement en vue de protéger la collectivité, que veut-il dire exactement ? Veut-il dire que l’emprisonnement du prévenu traduit le risque de récidive, ou qu'il neutralise le prévenu, ou encore qu'il a un effet de dissuasion sur les délinquants éventuels ? De ces trois possibilités, seule la deuxième mérite d'être retenue. La première des trois interprétations précitées est définitivement non fondée ; on dit même que l’emprisonnement contribue

davantage 8 accroitre la récidive qu'à la réduire » 199 formulait la

Commission de réforme du droit en 1974. Et le rapport Archambault rendu en 1986 d’ajouter que « si on estime que l’incarcération est au mieux un

198Richard DUBE et Sébastien LABONTE, « La dénonciation, la rétribution et la dissuasion : repenser trois obstacles à

l’évolution du droit criminel moderne », vol.57, n°4, Les Cahiers de droit, pp.695-713, https://doi.org/10.7202/1038262ar

199COMMISSION DE REFORME DU DROIT DU CANADA, Les principes directeurs de la détermination de la peine et du

échec partiel, la logique impose d’en recommander l’usage le plus pondéré possible.200

La Cour suprême affirmait dans le même sens dans sa décision R. c. Wust que :

Même s’il est possible de soutenir que des peines sévères et inappropriées peuvent avoir un effet dissuasif considérable et que, en conséquence, de telles peines servent toujours un objectif valable, il me semble que l’infliction de peines injustement sévères risque davantage d’inspirer le mépris et le ressentiment que d’inciter au respect de la loi. Selon un principe bien établi du système de justice criminelle (on comprend ici la référence au principe d’individualisation), le juge doit s’efforcer d’infliger

une peine appropriée eu égard à l’affaire dont il est saisi201.

Ceci étant dit, s’il est allégué que les PMO sont circonscrites aux infractions les plus graves certaines infractions n’en sont pas assorties malgré un degré objectivement élevé de gravité comme les voies de fait graves définies par

l’article 268(3)202 du Code criminel et incluant, notamment, l’excision.

Les PMO contribueraient fortement à harmoniser les peines, autre principe de détermination de la peine codifié à l’article 718.2b) du Code criminel. En vertu de ce principe, des peines semblables devraient être prononcées pour deux individus ayant commis des crimes semblables et dont les situations personnelles sont identiques. Ici, encore, cette justification ne semble pas convaincre. D’abord, parce qu’on harmonise les peines, certes, mais au détriment du principe de proportionnalité. Des cas peuvent donc se rencontrer où, prenant l’exemple de la loi réglementant certaines drogues et autres substances , un trafiquant de drogues endurci se verrait infligé la peine de sept ans d’emprisonnement pour importation de substances illicites, au même titre qu’un jeune étudiant confondu pour avoir été pris en possession d’une infime quantité de cannabis destinée à sa consommation

personnelle203. On constate ici l’extrême disproportion de la peine compte

200COMMISSION SUR LA DETERMINATION DE LA PEINE, préc., note 29. 201R. c. Wust [2000] 1 RCS 455 par. 21.

202Code criminel - Article 268(3) : « Commet des voies de fait graves quiconque blesse, mutile ou défigure le plaignant ou

met sa vie en danger. » La peine maximale encourue est de 14 ans.

tenu et des circonstances de l’acte incriminé et du degré de blameworthiness de son auteur.

On perçoit ainsi les limites de l’harmonisation des peines comme fondement des minimas obligatoires imposés par le législateur. Il n’est pas cohérent de faire primer ce principe sur celui, cardinal, de la proportionnalité. Comme nous avons pu l’affirmer précédemment, aucun crime n’est identique de sorte que la similarité entre deux situations demeure une question de

degré204. L’harmonisation devrait toujours être subordonnée à la

proportionnalité de la peine, celle-ci devant être individualisée par le juge pour pouvoir épouser toutes les facettes du crime tant dans sa gravité objective que subjective. C’est précisément en raison de la plausibilité du cas d’espèce présenté plus haut que la discrétion judiciaire ne doit pas être bridée par les peines obligatoires. Il n’apparait pas judicieux de donner plus de poids au principe d’harmonisation qu’à celui de proportionnalité, ceux-ci devant être opportunément articulés de manière à rechercher une peine

appropriée et donc individualisée205. En tout état de cause, et même si les

sentences sont en définitive très disparates, dès lors que le juge ayant décidé d’imposer une peine en particulier est en mesure de justifier son choix, le principe d’harmonisation est satisfait sans qu’il soit nécessaire d’adopter des PMO. Loin de remplir les objectifs qui lui sont assignés par le législateur, la peine obligatoire d’emprisonnement génère des déséquilibres injustifiés dans la détermination de la peine, tous liés à l’impossibilité d’individualiser la peine.

204R.c. Ipeelee [2012] 1 R.C.S 433, par. 79. 205Morasse c. R., 2015 QCCA 74, par. 141.

Section 2 : Les déséquilibres créés dans le système de justice