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DÉVELOPPEMENT DURABLE ET RECONFIGURATIONS DE L'ACTION COLLECTIVE: de la coopération public-privé au management territorial stratégique

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Academic year: 2021

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Submitted on 25 Sep 2017

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DÉVELOPPEMENT DURABLE ET

RECONFIGURATIONS DE L’ACTION

COLLECTIVE: de la coopération public-privé au

management territorial stratégique

Michel Casteigts

To cite this version:

Michel Casteigts. DÉVELOPPEMENT DURABLE ET RECONFIGURATIONS DE L’ACTION COLLECTIVE: de la coopération public-privé au management territorial stratégique . Administra-tion publique et entreprise privée : coopéraAdministra-tion, concurrence et régulaAdministra-tion (Institut InternaAdministra-tional des Sciences Administratives), Sep 2005, Berlin, Allemagne. �halshs-01593151�

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Conférence de l’Institut International de Sciences Administratives,

Berlin – 20 au 23 septembre 2005

Administration publique et entreprise privée : coopération, concurrence et régulation

Développement durable et reconfigurations de l'action collective:

de la coopération public-privé au management territorial stratégique

*

Michel Casteigts**

Résumé

La mondialisation des échanges économiques est un des événements majeurs de la période contemporaine. Une analyse plus fine conduit à constater que se confrontent deux modèles d'internationalisation:

 le premier fondé sur la libéralisation des mouvements de capitaux, de marchandises et

d'informations, échappant largement au pouvoir des autorités publiques;

 un second qui comporte la mise en place de règles du jeu internationales impliquant une coordination de l'action des États et l'émergence de règles et de procédures supra nationales. Pendant longtemps la domination du premier modèle a semblé sans partage. Mais on constate progressivement une inversion de tendance, qui s'appuie largement sur la référence au développement durable comme norme d'évolution et sur la réhabilitation du territoire comme cadre de régulation.

La logique du développement durable conduit à un déplacement du tracé et à un renforcement de la perméabilité de la frontière entre biens marchands et bien collectifs. La nature et la portée des relations des collectivités publiques et des entreprises s'en trouvent profondément modifiées. Cela conduit à une transformation des processus décisionnels, notamment autour de la notion de management territorial stratégique, recouvrant la concomitance de trois éléments : le territoire comme cadre de régulation ; la gouvernance comme processus décisionnel ; le projet stratégique comme instrument de cohérence.

Mots-clés

Développement durable ; Coopération public-privé ; Biens collectifs ; Activités marchandes ; Régulation ; Territoire ; Management territorial stratégique

* Cette communication reprend, en les développant, un certain nombre de questions abordées dans « Manager le

développement durable : un nouveau champ de coopération entre collectivités publiques et entreprises », in Sedjari A. (dir.), Partenariat public-privé et gouvernance future, Paris-Rabat, L’Harmattan GRET, 2005.

** Inspecteur général de l’administration. Haut fonctionnaire du développement durable du Ministère de l'Intérieur

et de l'Aménagement du Territoire (France). Professeur associé à l’Université de Pau et des pays de l’Adour. Tél. +33 (0)6 87 24 19 56 ; courriel : michel.casteigts@univ-pau.fr

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Introduction:

Tout le monde s'accorde à penser que la mondialisation des échanges économiques est l’événement majeur de la période contemporaine. Mais derrière ce constat simplificateur, une analyse plus fine conduit à noter que l'évolution des vingt dernières années est caractérisée par la concurrence entre deux modèles d'internationalisation:

 un modèle fondé sur la libéralisation des mouvements de capitaux, des échanges marchands et de la circulation d'informations, échappant de plus en plus au pouvoir des autorités publiques dont l'intervention se limite le plus souvent aux territoires nationaux;

 un modèle fondé sur la mise en place de règles du jeu internationales impliquant une

coordination de l'action des États et l'émergence de règles et de procédures supra nationales. Pendant longtemps la domination du premier modèle a semblé sans partage. Mais on constate progressivement une inversion de tendance, qui s'appuie largement sur la référence au développement durable comme norme d'évolution et sur la réhabilitation du territoire comme cadre de régulation. La présente communication a pour objet de rendre compte de cette nouvelle configuration d’action collective en montrant comment le concept de management territorial stratégique en constitue le paradigme.

1. La logique du développement durable transforme les relations entre

entreprises et collectivités publiques

Depuis des millénaires, les structures de la vie sociale ont été conditionnées par le type de coopération et de rapports de forces qui prévalait entre collectivités publiques et acteurs économiques. Du règne des pharaons aux monarchies absolues du XVIIème siècle, en passant par la cité grecque et l'empire chinois, le contenu des relations entre la puissance publique et les promoteurs des activités économiques a largement déterminé l'organisation de la vie collective. La logique du développement durable conduit à un déplacement du tracé et à un renforcement de la perméabilité de la frontière entre biens marchands et bien collectifs. La nature et la portée des relations des collectivités publiques et des entreprises s'en trouvent profondément modifiées

1.1 Les enjeux économiques de la coopération entre collectivités publiques et entreprises privées

Le critère le plus classique pour délimiter sur des bases économiques le champ d'action des administrations publiques est fondé sur la distinction entre activités marchandes et biens collectifs. Dès 1776, Adam Smith donna une des premières formulations de ce principe dans ses

Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations:

« Le troisième devoir du souverain consiste à ériger et maintenir des travaux publics qui, bien que du plus haut intérêt pour la société, sont d'une nature telle que le profit ne peut jamais couvrir la dépense d'un individu ou d'un petit nombre d'individus; on ne doit donc pas s'attendre en conséquence à ce qu'ils les entreprennent ou les maintiennent. »

1.1.1 Biens collectifs et biens publics

Avec la chute de l'empire soviétique et la faillite des modèles collectivistes, s'est développée une confiance absolue, et à bien des points de vue excessive, dans l’efficacité des mécanismes marchands. Ce sentiment s'est accompagné d'un déclin des réflexions sur l'intervention publique

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et les biens collectifs. Les inquiétudes sur le réchauffement climatique, sur la sécurité sanitaire et sur l'épuisement des ressources naturelles, et de façon plus générale la montée en puissance des préoccupations environnementales ont contribué à réhabiliter la notion de biens collectifs. L'introduction récente de la notion de bien public mondial en témoigne1.

Il n'y a pas lieu de se livrer à un exposé de théorie économique qui serait hors de propos, mais il est utile de rappeler qu'un bien collectif est un bien dont l'usage est indivisible. Les biens et services collectifs ne font l'objet d'aucune rivalité entre consommateurs potentiels et ne donnent lieu à aucune appropriation privée. Par ailleurs, aucun consommateur ne peut en être exclu en raison du paiement d'un prix. Leur allocation ne relève donc pas de la mise en jeu des mécanismes du marché. Cependant, en raison de leur rareté ou de leur vulnérabilité, une régulation collective s'avère souvent nécessaire: elle est généralement confiée aux collectivités publiques et on parle alors de biens publics. Mais il arrive aussi que des dispositifs communautaires ou coopératifs de gestion des biens collectifs soient mis en oeuvre sans être juridiquement portés par des personnes publiques.

Enfin, certains biens ont un caractère mixte. Il peut s'agir de biens publics pour lesquels les consommateurs sont en rivalité et dont le mode de régulation implique la perception d'une redevance destinée à en restreindre l'usage: il en va ainsi de certains sites sensibles dont un droit d'accès limite la fréquentation. Dans d'autres cas, le consommateur a le choix entre une prestation gratuite pour laquelle il se trouve en forte compétition ou une prestation payante avec rivalité réduite: il en va ainsi lorsque l'automobiliste peut choisir pour un même trajet entre une route gratuite et fortement encombrée ou une autoroute à péage dégagée. Enfin, il arrive que des transactions marchandes soient le corollaire indispensable à l'usage effectif d'un bien collectif. Ainsi, l'accessibilité aérienne d'une agglomération est un bien collectif lié à la présence d'un aéroport, mais elle n'a de traduction effective qu'à travers des transactions marchandes portant sur des services de transport: le service public consiste ici à donner la capacité de recourir à des prestations payantes. Le domaine des biens collectifs mixtes va constituer évidemment un terrain de prédilection pour les partenariats public-privé.

D'un lieu à l'autre, ou d'une époque à une autre, un même bien peut changer de statut. Ainsi le climat ou l'air que l'on respire, qui n'étaient pas considérés comme des biens économiques il y a quelques décennies font de plus en plus l'objet de régulations publiques, voire d'échanges marchands2. Autre exemple de cette variabilité, l'enseignement supérieur, bien public en France,

est une activité largement marchande aux USA.

1.1.2 Arbitrages et articulations entre biens publics et activités marchandes

L'opposition réelle ou supposée entre intérêt général et intérêts particuliers a alimenté bien des polémiques depuis l'antiquité. Dans la tradition catholique, l'action publique est fortement identifiée à l'intérêt général3, les intérêts particuliers s'inscrivant naturellement dans les activités

marchandes. La théorie économique n'a pas été en reste, oscillant entre apologie de l'intervention publique et confiance exclusive au jeu du marché. Au delà des débats de principe, qui s'apparentent aujourd'hui encore à des querelles théologiques, se pose la question des règles d'arbitrage lorsqu'il y a contradiction d'intérêts et des modes de coopération lorsque les intérêts sont convergents.

La problématique du partenariat public - privé concerne la contribution des entreprises à la production des biens et services publics. Elle repose sur un présupposé idéologique d'autant plus fort qu'il reste implicite: les politiques publiques sont conçues comme des produits proposés par

1 Cf. notamment Kindleberger, 1986; Stiglitz J.E., 1999.

2 Comme le montre la création d'un marché des droits d'émission de gaz à effet de serre résultant du protocole de

Kyoto.

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les institutions publiques sur un marché des biens collectifs. Le partenariat public-privé a pour objet de restreindre l'intervention des collectivités publiques aux biens collectifs « purs », le secteur privé prenant en charge la part des biens mixtes qui est susceptible d'une régulation marchande classique.

Un autre présupposé, explicite celui là, est que le secteur marchand fait preuve d'une efficacité économique et technique supérieure à celle du secteur public. Ce dernier postulat peut-être démenti par les faits. A titre d'exemple, une étude de la fourniture en eau de trois communes de l’agglomération de Bayonne, dans le sud-ouest de la France, contredit cette idée reçue. A Bayonne, l’eau est gérée directement par les services communaux, sous forme de régie municipale ; l’eau y est moins chère et la régie est bénéficiaire. Dans la ville voisine de Biarritz, le service de l’eau est concédé à un opérateur privé depuis longtemps; pourtant le prix payé par les usagers est sensiblement plus élevé et le concessionnaire se plaint de ses déficits. A Anglet, voisine des deux villes précédentes, le service est géré de façon partenariale entre la ville et un opérateur privé , dans le cadre d'un contrat d'affermage, et le prix de l’eau est intermédiaire. Bien d'autres cas pourraient être avancés, dont certains à très grande échelle, comme celui des effets de la privatisation des services ferroviaires en Grande-Bretagne, comparés aux performances des services publics français ou belge. Il n’y a donc pas de fatalité à la supériorité économique ou technique des activités marchandes.

Mais plus importante encore que la contribution des entreprises à la production des biens et services publics, il y a la contribution des biens et services publics à la compétitivité des activités marchandes. En effet, leur capacité à disposer commodément de tel ou tel bien collectif est un facteur essentiel de la performance des entreprises. La production de biens et services marchands comporte souvent des coûts qui restent hors bilan lorsqu'ils relèvent de la consommation de biens collectifs. Il s’agit généralement de ressources externes disponibles gratuitement ou à moindre coût pour les entreprises dans leur environnement naturel ou humain, comme le niveau de qualification de la main d'oeuvre disponible, la qualité et l'accessibilité des espaces, l'agrément du cadre de vie ou de travail, le niveau de sécurité des biens et des personnes, la disponibilité de ressources technologiques ou scientifiques, la richesse de l'offre pédagogique et culturelle locale.

Si elle tire profit d'externalités positives, l'activité des entreprises génère également des externalités négatives, dont la charge n'est pas directement imputée à leurs résultats. L'usage de biens non-reproductibles implique des coûts d'irréversibilité qui ne sont généralement pas intégrés dans les prix du marché: le cours du poisson dans les ventes à la criée ne prend pas en compte le coût global de l'épuisement des ressources halieutiques. De même les bénéfices des compagnies pétrolières ne sont pas affectés par le coût des nuisances et pollutions liées à la consommation de pétrole, notamment celui du réchauffement climatique. Afin de maîtriser ces processus et d'assurer un partage équitable des charges qui leur sont liées, les pouvoirs publics sont amenés à contrôler réglementairement et/ou à internaliser par voie de taxation les effets externes négatifs de l'activité économique.

La gestion des biens collectifs et des externalités, positives ou négatives, conduit donc à des interférences multiples entre régulation publique et coordination des activités économiques par le marché. Il en résulte de très nombreuses occasions d'interaction entre collectivités publiques et entreprises, qu'il s'agisse de nouer des coopérations ou de gérer des confrontations. Les enjeux de ces interactions débordent très largement le cadre purement instrumental du partenariat public-privé.

1.2 Les mutations induites par la référence au développement durable

C'est dans ce contexte déjà foisonnant qu'apparaît le développement durable comme modèle d'évolution des sociétés et comme référence pour la régulation des actions collectives. Les

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limites de la régulation marchande s'en trouvent accentuées. La répartition et l'articulation des tâches entre collectivités publiques et entreprises en sont profondément modifiées.

1.2.1 Bref historique de la notion de développement durable

Sur la scène internationale, la carrière du concept de développement durable a été foudroyante. La notion, sinon la formule, apparaît dans le prolongement de la Conférence des Nations Unies sur l'Environnement, réunie en juin 1972 à Stockholm, comme compromis entre préservation de l'environnement et développement économique, notamment au profit du tiers-monde. L'époque était marquée par les débats suscités par le rapport commandé au MIT par le Club de Rome sur

les limites de la croissance, précisément pour nourrir les réflexions de la conférence de

Stockholm4. Le concept d'éco-développement, première version du développement durable, a été

avancé comme support d'un armistice idéologique entre écologistes et développeurs. L'expression développement durable figure en 1980 dans un rapport de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature et de ses Ressources consacré à la conservation des espèces, sans qu'on sache si cette première mention dans un texte de référence constitue réellement son acte de naissance.

L'idée de développement durable est parvenue au grand public à partir de 1987, quand la Commission mondiale sur l’environnement et le développement, réunie à l’initiative de l’ONU et présidée par Mme Brundtland, Premier ministre de Norvège l'a défini comme un modèle de développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à satisfaire les leurs. C'est en 1992 que la Conférence de Rio consacre le développement durable comme norme d’action collective en le définissant autour de 27 principes, que l'on a pris l'habitude de synthétiser en parlant de concilier les exigences de la croissance économique, de la cohésion sociale et de la préservation de l’environnement. A compter de ce moment les choses s'accélèrent. Le concept migre en quelques années du champ idéologique au domaine juridique. En Europe notamment, avec le traité d’Amsterdam5, le projet

de constitution européenne et de nombreux textes nationaux, le développement durable devient un principe normatif à part entière.

En France, l'ampleur de cette ambition est traduite dans la définition qu'en donne la Charte de l'environnement, intégrée dans le « bloc de constitutionalité » depuis mars 2005:

Afin d'assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins... Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. A cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social.

Parallèlement à cette acquisition rapide d'un statut institutionnel, les implications opérationnelles du développement durable n'ont cessé de s'enrichir. Loin d'être, comme on s'est plu longtemps à le penser, un effet de mode ou un gadget pour gauchistes mal repentis, le développement durable s'est imposé comme référence obligée aussi bien pour l'action des pouvoirs publics que pour celle des acteurs économiques ou de la société civile, au moins dans les pays les plus développés. Or cette référence partagée transforme les enjeux des coopérations entre collectivités publiques, entreprises et acteurs sociaux, car les exigences d'un management en commun du développement durable remodèlent en profondeur les processus de décision collective.

4 Diffusé de façon restreinte fin 1971, il fut rendu public en 1972 ( Meadows D., Meadows D., Randers J. et

Behrens III W., 1972).

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1.2.2 Développement durable et remise en cause des modes de régulation

Cette évolution est amplifiée par l'importance accrue de la problématique des externalités dans un contexte de mutation des démarches environnementales traditionnelle vers des logiques de développement durable. La décision économique ne procède plus seulement d'arbitrages internes au champ des activités marchandes, dont les règles sont depuis longtemps théorisées et formalisées et qui n'intègrent les paramètres environnementaux que comme contraintes externes. Le processus décisionnel doit maintenant inclure critères sociaux et environnementaux dans le système d'objectifs et pas seulement comme contrainte ou variable d'ajustement. Le mythe d'une coordination optimale de l'activité économique par le seul marché s'en trouve d'autant plus affecté que l'échange marchand est incapable de servir de support aux arbitrages intergénérationnels: les générations futures seraient bien en peine de faire valoir quelque droit de propriété que ce soit, sur quelque marché que ce soit.

Les principes de développement durable accroissent donc considérablement la complexité des dispositifs de régulation, puisqu'il s’agit de mettre en jeu de multiples interactions systémiques entre activités privées et actions publiques, alors que l'on s'est efforcé jusqu'à présent de les rendre de plus en plus indépendantes. La problématique des relations des collectivités publiques et des acteurs économiques prend dans cette perspective une tout autre dimension que la simple sous-traitance de mission d'intérêt général par des entreprises privées, à laquelle elle est trop souvent réduite dans la notion de partenariat public-privé.

Puisque le développement durable impose d’organiser en permanence des arbitrages, des transactions entre marchand et non marchand, entre biens individuels et biens collectifs, entre économique, social et environnemental, il exige qu'on repense l'action collective, en sortant de logiques institutionnelles marquées par la seule rationalité juridique. Nous sommes en effet, pour la plupart d'entre nous, des héritiers de Descartes et de Kant. Notre représentation mentale du monde est déterminée selon un principe de spécialité qui imprègne nos classifications scientifiques, sociales et juridiques. Elle distingue soigneusement les différents domaines d'activité sociale, elle en théorise les spécificités, elle en modélise les pratiques en les subdivisant sans fin. Dans chaque micro-territoire ainsi délimité, elle enferme les pratiques sociales à l'intérieur de frontières juridiques défendues par d'inexpugnables remparts conceptuels. Cet émiettement participe d'une vision morcelée de la réalité sociale et des pratiques collectives, à l'image des catégories juridiques dans lesquelles elles sont pensées. Le développement durable nous oblige aujourd’hui à remettre en cause de principe de spécialité. Agir pour un développement durable, c'est au contraire penser le réel et ses transformations dans leur complexité, c'est accepter que toute action s'inscrive dans un jeu foisonnant d'interactions. Dès lors, une régulation de l'action collective fondée sur le droit devient inopérante, précisément parce que tout l'édifice de nos catégories juridiques, fragmentant et classifiant nos pratiques en entités homogènes, vole en éclat face à la nécessité d’interactions permanentes entre différents champs de la vie sociale.

1.2.3 Les stratégies collectives, entre transactions sociales et médiations politiques

Cette situation implique, à l'évidence, une remise en cause des postures qu'adoptent habituellement les acteurs de la scène sociale. Elle brouille les repères usuels et semble vouée aux turbulences les plus imprévisibles. Elle n'est pourtant pas condamnée au chaos mais appelle d'autres types de règles : dès lors que la cohérence des actions collectives ne repose plus sur le droit et les procédures, elle doit se fonder sur des démarches stratégiques et managériales communes.

L'instauration d’un dispositif où il s'agit de mettre en oeuvre des projets partagés au service d'intérêts collectifs n'a rien de naturel, quand on vient d'une situation où les acteurs sociaux s'arc-boutent à leurs prérogatives juridiques pour faire prévaloir leurs intérêts spécifiques. Il faut

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pour cela que s'engagent des processus de médiation, débouchant sur des transactions entre groupes sociaux6, l'ensemble nécessitant en outre une évolution des mentalités et des

représentations. Cela implique qu'un des partenaires potentiels, doté d'une certaine autorité morale, souvent une collectivité territoriale ou un représentant de l'Etat, renonce à défendre ses propres positions pour adopter une posture de médiation face aux inéluctables divergences d'appréciation entre groupes d'intérêts. Le sacrifice ainsi consenti est souvent de courte durée, car les bénéfices collatéraux du leadership récompensent rapidement les efforts engagés.

L'objet de ce type de médiation est de permettre que se concluent entre catégories d'acteurs sociaux les transactions indispensables, de nature diverse et généralement composite, où les concessions économiques ou financières peuvent avoir pour contrepartie une reconnaissance symbolique ou une influence politique. Ces transactions constituent la traduction sociale de la logique d'interaction sur laquelle se fonde le développement durable. En effet, lorsque l'on dit que le développement durable implique un équilibre entre l’économique, le social et l’environnemental, il ne s'agit pas simplement d'un équilibre statique, d'une juxtaposition d'éléments séparés, mais bien d'un équilibre dynamique qui suppose des interactions systémiques permanentes entre champ économique, champ social et champ environnemental. Cette dynamique transactionnelle se concrétise dans l'adoption de projets stratégiques communs dont la mise en oeuvre implique une mutualisation des moyens et des compromis managériaux, d'autant mieux acceptés qu'ils traduisent le caractère négocié de la démarche.

Il y a bien là un renouvellement des processus de régulation, entendus comme l'ensemble des mécanismes sociaux, économiques, politiques, juridiques, cognitifs ou idéologiques, incorporés de façon variable au dispositif institutionnel, qui permettent de concilier stabilité et dynamique du système social. Ce mode de régulation s'inscrit dans une nouvelle configuration d'action collective, le management territorial stratégique (MTS).

2. Une nouvelle configuration d'action collective:

le management territorial stratégique

Le terme générique de management territorial stratégique recouvre la concomitance de trois éléments : le territoire comme cadre de régulation ; la gouvernance comme processus décisionnel ; le projet stratégique comme instrument de cohérence. Le recours au terme de management peut surprendre car, dans une telle configuration, aucun deus ex machina ne vient s’inscrire dans la figure canonique du manager telle que les livres de gestion l’ont véhiculée pendant des décennies. La référence est pourtant adéquate, dès lors que le management, concept central des sciences de gestion, est resitué dans le contexte épistémologique actuel de cette discipline:

« Les sciences de gestion aboutissent à ce qu’elles ne pouvaient clairement imaginer à leurs débuts : une science dont l’objet ne serait ni un type d’organisation, ni un type de phénomènes, ni un ensemble de faits, mais plutôt une classe de problématiques constitutives de toute action collective : la décision, la rationalisation, la représentation, la légitimité, la coopération, la prescription… »7.

2.1 Le territoire comme cadre de régulation

L’incapacité des logiques juridico-institutionnelles à prendre en compte la complexité du développement durable en fait une entité essentiellement territoriale. En effet, pour qu’il y ait interaction systémique, il faut que quelque chose « fasse système ». Nous avons vu plus haut

6 Pour plus de détails sur la notion de transactions sociales se reporter à Blanc M., 1992. 7 Cf. David A., Hatchuel A. et Laufer R., 2002.

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que les dispositifs institutionnels y sont peu propices, puisque fondés sur des logiques de segmentation et de spécialisation. C'est donc à l’organisation territoriale - ou plutôt au territoire considéré comme organisation - qu'il appartient de « faire système », c’est à dire de donner au dispositif d’interaction une stabilité et une cohérence que ni l’agencement sectoriel des activités économiques, ni la structuration des relations sociales, ni l’architecture institutionnelle ne peuvent séparément garantir. Il revient précisément aux territoires, dans leur infinie diversité et dans leur nécessaire articulation, de servir de cadre et de support aux mécanismes de régulation croisée inhérents aux stratégies de développement durable.

2.1.1- Le territoire comme organisation et comme système

Le territoire est façonné par les activités des individus et des groupes sociaux qui l’occupent ou l’ont occupé. Ce qui le distingue d’un simple espace physique, c’est le phénomène de socialisation qui en a progressivement, au fil de l’histoire, déterminé l’organisation :

« Le territoire est généré à partir de l’espace, il est le résultat d’une action conduite par

un acteur syntagmatique (acteur réalisant un programme) à quelque niveau que ce soit. En s’appropriant concrètement ou abstraitement (par exemple par la représentation) un espace, l’acteur territorialise l’espace. »8

En façonnant l’espace pour l’adapter à ses besoins, l’homme lui confère une organisation relativement stable qui résulte des usages qu’il en a fait dans le passé et qui conditionne largement ceux qu’il pourra en faire dans le futur. Le territoire comme organisation est donc une des composantes essentielles de l’identité des sociétés humaines, dans la mesure où il est le produit d’une histoire qu’il contribue à reproduire. Mais cette histoire n’a rien d’un long fleuve tranquille : elle est marquée de luttes incessantes entre individus ou groupes sociaux et le processus de territorialisation de l’espace porte la marque de ces combats et de ces armistices. Pendant longtemps tensions et conflits étaient régulés par la présence d’une institution dominante, qui s’identifiait au territoire ou qui en avait la responsabilité : seigneur, monastère, représentant de l’Etat central, communauté autonome ou collectivité locale. La divergence croissante entre logiques institutionnelles et logiques territoriales rend ce type de régulation de moins en moins efficace. C’est dans ce contexte qu’émergent les dispositifs d’auto-organisation et les processus décisionnels qui permettent au territoire de se constituer comme acteur collectif. Ainsi conçu, le territoire a toutes les caractéristiques d’un système, au sens de l’analyse systémique : c’est un ensemble cohérent et relativement stable de structures, de fonctions et de comportement, dont la dynamique résulte à la fois de l’adaptation aux évolutions de son environnement et des interactions entre ses composantes. Ce sont ces caractéristiques systémiques qui vont permettre au territoire d’être un cadre pertinent pour la conception et le management des stratégies de développement durable. Les dispositifs traditionnels de règlements des conflits d'usage, les logiques d’arbitrage et de médiation, sur lesquelles se fondent depuis des siècles la cohérence et la solidarité des territoires, vont se trouver naturellement mobilisés dans les processus de transactions territoriales et de régulation négociée nécessaire à la mise en œuvre des démarches de développement durable.

2.1.2 Échelles territoriales, logiques entrepreneuriales et médiations publiques

Le principal écueil en la matière réside dans la multiplicité des échelles territoriales qu’un même processus met en jeu dans les différents champs d’action où il se trouve engagé. La science économique a abandonné pendant très longtemps la réflexion spatiale et donc la notion d’échelle

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territoriale des processus. Les économistes se sont progressivement habitués à raisonner de façon de moins en moins spatialisée, voire plus spatialisée du tout comme dans certaines versions du modèle standard cher aux théoriciens néo-classiques.

Cela ne résiste évidemment pas à l'épreuve des faits. Une décision économique parfaitement localisée - savoir si l’on ferme une usine ou si on ne la ferme pas, si on licencie ou non – est liée à des facteurs qui se jouent sur une multitude d'échelles, du fonctionnement du marché local du travail à l’évolution mondiale des cours des monnaies: ce sont tous ces éléments disparates qui déterminent la compétitivité d’une usine installée à Berlin par rapport à une usine installée à Shanghai pour fabriquer les mêmes composants électroniques.

L'échelle territoriale à laquelle se pense l'activité des entreprises, et qui est de plus en plus celle de la planète, n'a donc rien à voir avec les échelles où se manifestent les conséquences sociales ou environnementales des décisions économiques. La médiation des pouvoirs publics a un rôle irremplaçable à jouer dans l'articulation de ces échelles et dans la mise en cohérence globale des processus, précisément parce que la puissance publique est présente à tous les niveaux de l'organisation territoriale. Les débats sur la lutte contre le réchauffement climatique illustrent l’ampleur des contradictions à court terme entre intérêts territoriaux à différentes échelles, contradictions qui ne peuvent se régler que dans une logique de transactions territoriales sur le long terme et à l’échelle mondiale.

2.2 La diversification des domaines de coopération et de décision collective

L’apparition de nouveaux sujets de préoccupation collective, qui deviennent autant d'objets de décisions et d'actions communes, est le corollaire de cette interdépendance croissante.

2.2.1 De la compétitivité économique à la performance globale

Comme il a été dit plus haut, les atouts tirés de leur environnement territorial, notamment les opportunités d'économies externes, jouent un rôle essentiel dans la capacité des entreprises à répondre aux pressions concurrentielles. Sur ce plan, la qualité des ressources humaines, les facilités d’accès à la technologie et au savoir et l’efficacité des communications jouent un rôle essentiel dans les performances des entreprises et leurs choix de localisation: la compétitivité de la firme et celle de son territoire d'implantation sont ici indissociables. Ce phénomène est illustré par l’extraordinaire fortune, à l’échelle planétaire, des technopoles, comme territoires concentrant dans un domaine technologique déterminé l’ensemble des facteurs d’excellence et de compétitivité.

Les territoires précurseurs sont trop connus pour avoir besoin d’être présentés : Silicon Valey dans la mouvance de l’Université de Stanford près de San Francisco ; route 128 dans la région de Boston, avec Harvard et le MIT. Le modèle a fait rapidement école. En Europe, on peut citer de nombreux exemples dans chaque pays, du pôle numérique de Malmö en Suède à Sophia Antipolis ou au Plateau de Saclay en France. Mais le principe est également transposable dans les pays en développement. L’agglomération de Bangalore en Inde en est une illustration remarquable, avec des réalisations qui la situent à l’extrême pointe du progrès. Ainsi le gouvernement du Karnataka a mis en place dans le cadre d’un partenariat public privé un « Institute of Bioinformatics and applied biotechnology » (IBAB) qui explore les technologies les plus innovantes9.

Dans une logique de développement durable, ces synergies s'élargissent à tous les aspects de la vie sociale et à de nombreuses aménités non-économiques, qui déterminent les conditions de vie et de travail et l’image de marque du territoire et de ses acteurs. Depuis 1989, la ville de Québec

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a mis en œuvre un modèle de développement économique et urbain fondé sur la qualité des relations sociales et sur la richesse de la vie culturelle10

Beaucoup de ces facteurs relèvent de l'action des collectivités publiques et notamment locales. Il est donc naturel qu'elles soient de plus en plus conscientes des enjeux, qu’il s’agisse d’attirer de nouveaux investisseurs ou de renforcer l’efficacité des entreprises déjà implantées : autant d'occasions de partenariat entre entreprises en quête d’économies externes et pouvoirs publics susceptibles de les leur apporter. En France, les stratégies territoriales d’adaptation des industries agro-alimentaires à la crise de l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB, plus connue sous le nom de maladie de la vache folle) en sont une parfaite illustration. Pour surmonter la méfiance des consommateurs à l’égard de la viande de boeuf, les régions d’élevage ont accompagné les obligations légales de traçabilité11 des produits mis sur le marché en créant

des labels régionaux, images de marque valorisant les origines du bétail. La participation des collectivités publiques à la mise en place et à la promotion de ces labels régionaux représente une aide majeure à la compétitivité des entreprises concernées, tout en constituant une opération valorisante pour le territoire lui-même. L’évolution du comportement des consommateurs, qui acceptent de payer plus cher pour une origine géographique identifiée, confirme la pertinence de cette démarche.

2.2.2 L'enrichissement des champs de coopération

Les domaines de coopération se déduisent directement des impératifs d'une gestion rationnelle des externalités qui permette de renforcer à la fois la performance d'ensemble du réseau local de partenaires et la performance individuelle de chacun dans son propre champ d'action. Sont donc prioritairement concernés le développement des économies externes par utilisation optimale des ressources communes et la réduction des externalités négatives par gestion collective des contraintes.

Contribuent manifestement au renforcement des économies externes:

- la mutualisation des connaissances et des informations, dont le succès du modèle finlandais de spécialisation régionale autour des centres d’expertise illustre l’efficacité ; cette spécialisation peut concerner les activités tertiaires autant que les activités industrielles, et présenter une forte connotation de développement durable, comme le centre d’expertise Neopoli Oy Lahti, consacré au design, à la qualité et à l’écologie 12;

- la création d'infrastructures de transports ou de services à forte valeur ajoutée améliorant l'accessibilité et la desserte du territoire ; ainsi la ville de Boston, au cœur d’une des premières régions technopolitaines du monde, a mis en place en 2000 un plan ambitieux de développement des transports, Access Boston 2000-2010, mettant en évidence la complémentarité entre les nouveaux moyens de communication et les anciens 13;

- les démarches de marketing territorial, particulièrement développées en Italie et en Allemagne, non seulement dans les grandes villes comme à l’occasion de la réunification de Berlin, mais également dans les villes moyennes comme Tübingen14 ;

- et, de façon plus générale, tout développement coordonné de biens et services collectifs, comme le montre l’effet d’entraînement d’évènements exceptionnels dans le développement des territoires; ainsi, en Espagne, avec le recul du temps on mesure le

10 Cf. notamment les actes du colloque international « Villes de culture, villes d’avenir : les responsabilités

culturelles des grandes agglomérations », dans le cadre des 17èmes entretiens du Centre Jacques Cartier, 7-8 octobre 2004, Montréal.

11 Les dispositifs de traçabilité permettent d’identifier l’origine de chaque viande mise sur le marché et d’en

suivre de façon détaillée le parcours.

12 Cf. http://www.finnfacts.com/french/main/actualities/teknolkesk.html, site consulté en mai 2005. 13 Cf. http://www.cityofboston.gov/accessboston/ , site consulté en juin 2005.

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rôle capital des jeux olympiques de Barcelone ou de l'exposition universelle de Séville sur le dynamisme des régions concernées, bien au-delà des effets immédiats de notoriété. Relèvent d'une maîtrise collective des effets externes négatifs:

- la gestion collective du temps pour résoudre les problèmes d'encombrement et de mobilité, domaine dans lequel les grandes villes italiennes, comme Milan, Naples et Rome ont eu un rôle précurseur et où leur expérience est exemplaire15 ; depuis 2000, un

cadre législatif très volontariste (la loi 382 dite loi Turco) rend obligatoire en Italie la mise en place d’une politique du temps pour toutes les villes de plus de 30000 habitants ; - la création de filières intégrées de traitement des eaux et des déchets ; contrairement à des idées trop souvent reçues, il ne s’agit pas là d’un luxe pour pays riches, mais d’une condition essentielle de développement pour tous les pays ; les acteurs du développement l’ont compris et les initiatives se multiplient partout dans le monde ; on peut citer comme un exemple parmi bien d’autres l’expérience pilote de traitement des déchets hospitaliers au Centre Hospitalier Universitaire de Fès au Maroc, dans le cadre d’un partenariat entre collectivités publiques et professionnels privés16;

- une politique foncière économe de l'espace, dont l'urbanisme « compact » des villes hollandaises est une référence emblématique17.

Certaines politiques peuvent contribuer à la fois au développement d'externalités positives et à la réduction d'externalités négatives comme les actions en faveur de la cohésion sociale et territoriale mises en œuvre dans le cadre de ce que l’on appelle, d’un terme excessivement simplificateur, « la politique de la ville »18. Le management environnemental global, à l’échelle

d’une agglomération, participe également à la production d’économies externes pour les entreprises et à la diminution des coûts externes pour la collectivité. Le programme des Nations Unis pour l’environnement a publié en 2003 un guide qui prend l’agglomération de Tokyo comme exemple et qui met en lumière la cohérence systémique des interventions à mettre en oeuvre19.

2.3 De nouveaux processus décisionnels

C'est dans le domaine décisionnel que la logique institutionnelle et sa rationalité juridique montrent le plus fortement leurs limites. Les décisions prises individuellement par chaque partenaire, même juridiquement irréprochables, sont privées de toute légitimité si elles ne s'inscrivent pas dans la démarche collective. Moins que jamais il est possible d'avoir raison tout seul, ce qui explique l'importance croissante des nouveaux processus décisionnels désignés sous le terme générique de gouvernance.

2.3.1 Le développement de nouveaux modes de gouvernance

L’histoire du concept de gouvernance permet de mieux en situer les implications et les enjeux20.

Au XIIIème siècle le terme de gouvernance désignait les bailliages, avant d’être employé à la Renaissance comme synonyme de gouvernement puis de disparaître pour quelques siècles. A

15 Cf. Boulin J.Y. et Mückenberger U., 1999.

16 Cf. http://www.leconomiste.com/article.html?a=62429, consulté en juin 2005. 17 Cf. Waals J.F.M. van der, 2000.

18 Cf. Donzelot J., Mével C. et Wyvekens A., 2003. 19 Cf. UNEP-IETC, 2003 .

20 Pour un examen plus systématique de l’histoire et de la portée du concept de gouvernance se reporter à

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partir de 1975, O.E.Williamson développe la théorie des coûts de transaction pour expliquer qu’une firme intégrée ou des relations contractuelles structurées puisse être plus efficace que des transactions ponctuelles sur le marché21. Il définit la gouvernance comme l’ensemble des

mécanismes de coordination réglant d’une part l’organisation hiérarchique interne à l’entreprise, d’autre part les relations entre l’entreprise et ses partenaires, notamment dans le cadre de rapports contractuels stables destinés à réduire les coûts de transaction22. A la fin des années

1980, le terme de gouvernance apparaît dans le vocabulaire des institutions financières internationales, qui désignent par l’expression « good governance » les règles d’administration publique préconisées aux pays emprunteurs. Au même moment, des politologues anglais opposent « urban governance » à « local government », pour décrire les effets des réformes thatchériennes sur les pouvoirs locaux. Cette notion de gouvernance urbaine (ou territoriale) s’est aujourd’hui imposée dans l’analyse des évolutions du pouvoir local.

Ce passage de la notion de gouvernance du champ économique au champ politique n’est pas l’effet du hasard. Dans les deux cas, il s’agit de désigner des mécanismes partenariaux de coordination, dans un contexte d’organisation structurée mais souple, à mi-chemin entre intégration hiérarchique forte (firme ou institution politique) et atomisation des décisions (fonctionnement du marché ou comportements individuel). La gouvernance est donc un processus de décision intermédiaire entre les procédures hiérarchiques et formalisées, qui prévalent dans les entreprises intégrées ou les institutions politiques, et les modalités atomisées de décision des échanges marchands et des initiatives individuelles.

Même dans le champ politique, la gouvernance conserve cependant une dimension économique importante, les mêmes processus étant transposés du domaine des activités marchandes à celui des biens collectifs et des externalités. Comme en matière de biens collectifs l’allocation des ressources et l’imputation des charges relèvent de processus de caractère politique, l’optimum économique est indissociable de l’optimum décisionnel. Cela conduit de façon naturelle à élargir la théorie des coûts de transaction telle qu’elle a été initialement formulée par Coase23 et

Williamson dans le domaine des échanges marchands. En effet, l’élargissement et la transparence des procédures de décision collective réduisent les coûts des transactions sociales bien au-delà des échanges marchands. Ils permettent aussi d’alléger les coûts de contrainte, en renforçant le consensus autour des choix effectués.

Les dispositifs de gouvernance marquent donc un changement fondamental dans la nature des relations entre collectivités publiques et partenaires privés, en les rapprochant des modes de coordination entre entreprises. Ils créent un continuum décisionnel, dans l’espace et dans le temps, là où les procédures traditionnelles de décision institutionnelle instauraient segmentation et discontinuité.

2.3.2 Gouvernance territoriale et théorie des conventions

Il ressort de ce qui précède que, loin de se limiter aux « formes de régulation qui ne sont ni

marchandes ni étatiques »24, la gouvernance territoriale se justifie particulièrement dans les

démarches de coopération entre collectivités publiques et entreprises, qui sont à la fois « marchandes et étatiques ». Dans son article de 1979, Williamson met particulièrement l’accent sur l’importance que prennent les procédures de gouvernance pour la gestion, dans la durée, des relations contractuelles complexes. Cette observation est encore plus pertinente appliquée aux relations contractuelles entre collectivités publiques et entreprises privées dans une démarche de développement durable, que le contrat soit juridiquement formalisé ou qu’il reste « moral ».

21 Williamson O.E., 1975.

22 Williamson O.E., 1979.

23 Coase R. H., The nature of the firm, Economica, Vol/n° NS4, pp. 386-405, 1937. 24 Benko G. et Liepietz A., 1992.

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Dans ce contexte, les instances de décision doivent en effet arbitrer en permanence entre paramètres hétérogènes et dégager des compromis entre développement des activités marchandes et gestion des biens collectifs. C’est sur ce terrain que l’efficacité de la gouvernance s’impose, parce qu'elle s’inscrit justement à l’intersection de la coordination marchande et de la régulation institutionnelle, tous marchés et toutes institutions confondus.

Tout ce qui précède implique que les principaux acteurs d’un même territoire considèrent qu’il est de leur intérêt commun d’établir durablement des relations stables, fondées sur la confiance. Les collectivités publiques, qui sont normalement en charge de fonctions de régulation unilatérale, doivent notamment accepter de remplir leur mission sur le mode de la coordination et de l’ajustement mutuel. Parallèlement les entreprises et les associations, qui ont l’habitude de se positionner à l’égard des pouvoirs publics sur un registre conflictuel (généralement défensif pour les premières et offensif pour les secondes), doivent accepter de baisser la garde et de s’engager dans un partenariat. Le même chemin est à parcourir pour les forces qui ont une tendance naturelle à s’affronter à l’intérieur de ce que l’on appelle de façon trop sommaire la société civile25, comme les chefs d’entreprise et les syndicats salariés. Cela n’est possible parce

que de nouvelles règles s’imposent à chacun, de façon souvent implicite. Le management territorial stratégique est donc fondamentalement un processus cognitif.

La théorie des conventions permet de rendre compte de ces mécanismes permettant l’évolution des représentations de chacun, l’établissement corrélatif de nouvelles règles du jeu et les recom-positions organisationnelles qui en résultent. Un des fondateurs de la théorie des conventions, O. Favereau les définit comme un ensemble de règles de formulation vague, d’origine obscure, de caractère arbitraire et dépourvues de sanctions juridiques, ce qui les distingue des contrats26.

Elles ont été initialement introduites dans le champ microéconomique pour rendre compte de l’efficacité de la coordination par le marché : les agents économiques ont des informations très incomplètes sur les transactions dans lesquelles ils s’engagent, surtout quand elles sont appelées à se dénouer au bout d’un certain temps ; si cela ne les paralyse pas, c’est que les échanges sont réglés par des conventions non écrites qui complètent les dispositions formelles et garantissent que les comportements de chacun seront conformes à certains usages. Ces conventions com-plètent les mécanismes de coordination liés au jeu du marché par un dispositif de régulation qui en garantit la stabilité et la fiabilité. Elles ne sont pas établies une fois pour toutes car elles sont le produit des échanges sociaux en même temps qu’une condition de leur réalisation.

Au delà de son domaine d’origine, la notion de convention a prouvé sa pertinence dans des domaines de plus en plus larges de la vie sociale, chaque fois qu’il s’agissait de rendre compte d’ un « ensemble d’anticipations et de comportements se renforçant mutuellement, émergeant

d’une série d’interactions décentralisées »27. La théorie des conventions définit les conditions de

réalisation d’une opération collective en mettant en avant un certain nombre de principes, parmi lesquels la nécessité de structurer la démarche autour de ce qu’elle appelle un point focal. C’est cette focalisation qui permet de réorganiser de façon cohérente l’ensemble du dispositif, en dotant les partenaires d’un repère fort, collectivement produit et reconnu, autour duquel se réorganisent représentations et stratégies individuelles28. Pour être efficace ce point focal doit

pouvoir être pris en compte à la fois par les procédures de coordination et par les mécanismes de régulation en vigueur dans le champ concerné.

2.3.3 Les projets territoriaux stratégiques de développement durable

Dans le champ territorial, c’est au projet que revient cette position focale. C’est au cours de son

25 Cette expression met implicitement l’accent sur l’opposition latente entre institutions publiques et acteurs

sociaux et gomme artificiellement tout ce que la société recèle de conflictualité interne.

26 Favereau O., 1999. 27 Boyer R., 2002. 28 Orléan A., 1994.

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élaboration que chacun apprend à se situer par rapport aux règles communes et que le dispositif conventionnel atteste de son efficacité. C’est là que sont à l’oeuvre les mécanismes cognitifs permettant la mutualisation des savoirs, le partage des expériences et des diagnostics, le rapprochement des cultures et des représentations du monde. C’est encore là qu’est mise à l’épreuve l’acceptation par tous de conventions territoriales, qui sont communes aux entreprises et aux collectivités, aux associations et aux simples citoyens et qui permettent de transcender les différences de statut, de fonction ou de culture.

A la lumière de cette fonction centrale du projet stratégique dans les dynamiques de territoire, on comprend mieux l’importance des démarches d’Agenda 21, instaurées par la conférence de Rio comme dispositif central d’élaboration et de mise en œuvre des stratégies de développement durable. Les agendas 21 locaux combinent toutes les composantes du management territorial stratégique : ils prennent les territoires comme cadre de régulation ; ils instaurent des processus de concertation et de partenariat entre les acteurs du territoire ; ils visent à dégager un équilibre entre croissance économique, cohésion sociale et mise en valeur de l’environnement à travers un projet stratégique de territoire.

Dans cette perspective, les dispositions de la convention d’Aarhus prennent toute leur importance. Signée le 25 juin 1998 au Danemark, la convention reconnaît aux citoyens européens le droit de savoir, le droit de participer et le droit d’accès à la justice sur tous les projets et programmes ayant des répercutions sur l’environnement. Les procédures de concertation publique qu’elle instaure ne s’inscrivent pas seulement dans une logique de communication politique: elles deviennent aussi le lieu d’arbitrages économiques entre intérêts contradictoires, le théâtre de transactions sociales entre acteurs de la vie collective. En exigeant que la concertation s’engage en amont de la formulation du projet29 et se poursuive dans les

phases de mise en œuvre et d’évaluation, elle offre un cadre juridique stable et légitime au développement des processus de gouvernance territoriale.

Conclusion

Les développements qui précèdent donnent une clé de lecture de la crise de légitimité du politique, comme résultat d'un enfermement dans des logiques institutionnelles où la société ne se reconnaît plus et dont elle conteste la légitimité. Il y a là une interprétation possible des échecs récents des référendums sur la Constitution européenne en France et aux Pays-Bas : c’est moins l’Europe en tant que telle qui était en cause qu’un mode de régulation fondé sur le droit (quel objet plus fondamentalement juridique qu’une Constitution ?) et paraissant, à tort ou à raison, déconnecté des réalités territoriales. Ce n'est pas un hasard si les pouvoirs locaux sont généralement moins concernés que les autres par cette crise de légitimité, dans la mesure ils bénéficient d’une plus grande proximité non seulement des électeurs et des élus, mais surtout des dispositifs institutionnels et des problématiques territoriales.

Cela permet d’esquisser la piste d'une refondation du politique, qui n'opposerait plus gouvernement institutionnel et gouvernance territoriale, mais qui les réarticulerait, en organisant une fertilisation croisée entre démocratie représentative et démocratie participative, dont les sorts semblent désormais de plus en plus liés.

29 …« c'est-à-dire lorsque toutes les options et solutions sont encore possibles et que le public peut exercer une

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