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ARTheque - STEF - ENS Cachan | Modéliser le flou du quotidien : les opérations de traduction comme instruments d'élaboration de modèles interdisciplinaires

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Academic year: 2021

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MODÉLISER LE FLOU DU QUODITIEN :

LES OPÉRATIONS DE TRADUCTION COMME INSTRUMENTS

D'ÉLABORATION DE MODÈLES INTERDISCIPLINAIRES

Chantal TILMANS-CABIAUX Facultés Universitaires de Namur, Belgique

MOTSCLÉS: LANGAGES HÉTÉROOÈNES ISOMORPHISME

-OPÉRATIONS DE TRADUCTION - MODÉLISATION INTERDISCIPLINAIRE

RÉSUMÉ: Les sciences apparaissent comme un lieu privilégié de traductions multiples. des différents niveaux de discours et des différents points de vue disciplinaires entre eux. En cela, elles participent pleinement à laf0T11?3tion d'une pensée rationnelle qui ne s'enferme pas dans un seul langage mais qui débouche sur J'action et la décision, elles aussi hétérogènes au pur théorique. Reconnaître l 'hétérogénéité des différents langages, donc aussi le travail avec les "boîtes noires". et

cependant accepter le risque de la traduction font partie de la formation

à

toute pensée rationnelle.

SUMMARY: Sciences appear as a privileged place for multiple translations of the various leve1s of speech and the various disciplinary points of view berween them. In that. they fully participate al the formation of a rational tbougbt which does not enclose in self in a single speech but which opens up towards action ans decisionbothalso being heterogeneous at pure theory.

To acknowledge the heterogeneity of the various languages, rherefore the work with the "black boxes" and still accepting the translation's risk are part of the fonnation[0an)' rational thought. A. GIORDAN, J.-L. MARTINAND el D. RAICHVARG, Actes JIES XIV, 1992

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Il existe plus d'une représentation de ce que devrait être une personne cultivée dans le domaine des sciences et des techniques.

Distinguer entre un niveau de culture et un niveau de spécialité ou de technicité n'est pas toujours simple. Cette difficulté pourrait provenir de ce que c'est au spécialiste - au physicien ou au biologiste - que l'on demande de définir ce qui, dans sa discipline, fait panie de la culture de l'honnête homme. Il lui est pénible de renoncer à enseigner une notion qu'il trouve, lui, très intéressante "en soi". Mais comme ce processus se répète à l'intérieur de chaque champ disciplinaire qui figure dans son curriculum, norre étudiant est entraîné dans un parcours chargé, complètement sectorialisé, où il y atantde concepts, principes et notionsà apprendre et à restituer que ni lui ni son professeur de sciences n'oru plus le temps de penser par eux-mêmes, d'approfondir le sens de ces apprentissages, d'en établir clairement le projet ou les fmalités, ou encore de rechercher quelle réalité concrète se cache denière toutes ces théories disciplinaires.

C'est peut-être là que la formation scientifique en Belgique - et probablement aussi dans d'autres pays - présente un problème que je voudrais essayer d'analyser ici: la formation scientifique s'enferme souvent dans un seul langage, celui de la discipline, et qui plus est, c'est en invoquam l'argument de la formation

à

la "rigueur" que la discipline justifie parfois ceUe fenneture sur elle-même.

Pour J. Ladrière(1)le langage d'une discipline conune la physique utilise deux sous-langages: un langage théorique et un langage empirique. La physique actuelle présente un système théorique hautement formalisé utilisant le langage fonnel des mathématiques et de la logique mis en relation, au moyen de règles de correspondance strictement établies, avec un langage qui permet de "décrire des aspects empiriquement observables" de la réalité. Les règles de correspondance font partie de la théorie. Ce som elles qui assurent la possibilité de traduction de propositions concernant des entités théoriques en propositions se rapportant à des phénomènes observables. Ce n'est pas la même chose de parler de mon poids marqué par le curseur "60" sur la bascule et du vecteur force qui y correspond et pourtant on peut les traduire l'un dans l'autre... Le propre d'une discipline comme la physique et peut-être son problème comme discipline enseignée est que les règles de correspondance sont tellement bien établies et éprouvées qu'elles paraissent nécessaires. On peut oublier qu'elles ont été construites. La physique parait alors homogène: un seul et même système formel presqu'entièrement mathématique à l'intérieur duquel fonctionne à merveille le raisonnement déductif. Et c'est implicitement ce rncxlèle de rigueur du raisonnement déductif lagico-mathématique qui séduit tant dans la physique. Cependant en retenant surtout cette rigueur-là, on se prive sans doute de la rigueur la plus riche el la plus intéressante d'une discipline comme la physique. En effet, on peUl rapprocher ce problème de la traduction entre deux niveaux de savoir de ce que montre Douglas Hofstadter dans son ouvrage (associant à un degré rare le génie et l'humour) : "La perception d'un isomorphisme entre deux structures connues marque un progrès important des connaissances, et j'affinne que ce sont de telles perceptÎons qui incitent les gens à créer des significations" (2). A la

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suite de son analyse, basée au dépan sur les structures mathématiques, l'auteur montre que l'intérêt d'un système fonnel n'est pas tant ce qu'il permet de faireà l'intérieur du système mais plutôt les isomorphismes qu'il permet de créer avec d'autres systèmes (d'où le plus grand "intérêt" de certaines parties des mathématiques). Cette idée appliquée au système théorique de la physique devrait faire penser que son intérêt le plus grand -sunout dans un enseignement général- n'est pas le jeu interne que la discipline permet mais les isomorphismes et les traductions qu'elle pennet de créer avec cenaines parties de la réalité. L'apprentissageà ce type de rigueur et de création est peut-être plus complexe mais cenainement non moins exigent que l'apprentissage du raisonnement déductif.

Une tentative souvent proposée pour sonir de ce problème de l'enfennement disciplinaire dans un seul langage est la voie de l'interdisciplinarité. Par exemple, une classe d'élèves est amenée à se créer un modèle interdiscipJinaire de la "notion de contagion" ou d'une nonne telle que "on ne peut pas regeler un produit surgelé qui a été dégelé". Dans ces projets, les premières phases qui exigent un niveau de traduction assez intuitif sont stimulantes pour l'élève et relativement faciles à établir. Un questionnement foisonnant fait percevoir les différentes dimensions du problème (contagion des maladies, contagion des idées, des sentiments, elc... ). A partir de là, des questions peuvent être posées à différents spécialistes donnant des développements disciplinaires (médecin, sociologue, politologue, théologien, psychologue, etc.,). Mais la difficulté et l'intérêt de l'expérience tient dans la dernière étape, qu'on nomme communément "synthèse" sans savoir exactement ce qu'on en attend, En fait, l'expérience est réussie si la c1as.o;;e crée des "isomorphismes" entre la perception intuitive de dépan de la notion de contagion et les différents systèmes théoriques auxquels elle a eu accès et qu'elle effectue des interprétations significatives d'un système vers l'autre, ce qui enrichit sa connaissance de la notion et des différentes théories, Nous sommes d'embléeSUTleterrain de la traduction avec toute la rigueur que le concept d'isomorphisme peut lui apporter et avec toute la créativitéquis'y attache

dans

la meswe où il y a production de sens.

Michel Callon (1975, 1982) donne une défmition de l'opération de traduction (3 et 4) intéressante pour ce que je voudrais en faire: "une opération paniculière qui transfonne un énoncé problématique particulier dans le langage d'un autre énoncé particulier",Dans la traduction, ilya à la fois unerelation d'identité ponant sur un certain contenu (quel contenu ou quel "noyau dur"?)mais ilya nécessairement aussi unerelation de transformation (traduire c'est aussi trahir) qui modifie l'énoncé dans chaque champ ou chaque contexte pour lui donner son sens dans ce contexte-là (5).

Dans la création attendue d'un modèle interdisciplinaire, je distinguerais deux rypes d'opérations de traduction différents: les opérations qui lient entre eux lesdifférents nh'eaux du discours dans un seul cadre disciplinaire, plus ou moins concret et intuitif (le niveau de langage empirique pour 1. Ladrière) à plus ou moins théorique et formel, et les opérations de traduction qui mettent en relation desénoncés venant de différents points de vue ou de différentes disciplines. A l'intérieur de cette seconde catégorie, on peut encore dislinguer des traductions qui expriment une même propriété ou un même phénomène à l'oeuvre dans descontextes concrets

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l, Les opérations de traduction qui lient entre eux différents niveaux du discours,

ct

'un discours plus ou moins concret et intuitif à un discours plus ou moins théorique et formel, maisà l'intérieur d'un même point de vue ou d'une même discipline.

Par exemple, je peux: expliciter la norme générale "On ne peut pas recongeler un aliment qui a été dégelé" dans le langage de la biologie et la faire correspondreà des propositions successivement plus précises et plus disciplinaires (pour ne pas dire plus théoriques) comme:

- les produits surgelés une fois dégelés sont plus fragiles que les produits frais

- l'altération de la saveur et de la couleur ainsi que l'apparition de toxines sont plus rapides dans les produits surgelés qui ont été dégelés que dans les produits frais parce que le développement bactérienyest plus important

- la surgélation entraîne un éclatement des membranes cellulaires et celui-ci, en provCXJ.uanr la mort des cellules, diminue d'une manière significative la résistance des cellules et des tissus à un développement bactérien, On peut noter que le schéma d'explication est celui de la biologie moderne; la référence au niveau physico-chimique et que la précision de cette dernière proposition passe par la référenceà une autre discipline: la statistique des populations,

Ce qui nous semble le plus important ici justement, c'est peut-être de comprendre l'aniculation entre les différentes propositions et d'identifier, dans leur traduction réciproque, où se situe l'isomorphisme, sur quel contenu porte l'identité et sur quel contenu porte la tranformation et, plus encore, pourquoi il est intéressant, dans un contexte donné, de mettre en avant un concept donné, qu'il soit flou comme "fragilité d'un produit" ou plus précis comme "développement bactérien" ou "activité enzymatique". En bref, ce serait l'opération de traduction comme telle qui serait intéressante pour la formation de la pensée de l'élève, parce qu'elle fonne à rigueur et à la créativité et surtout parce qu'elle est une opération d'utilité générale dans tous les secteurs de J'activité humaine.Encela, les sciences paniciperaient pleinement et avec rigueur à la formation générale de la pensée.

2. Les opérations de traduction qui mettent en relation des énoncés venant de différents points de vue ou de différentes disciplines pour parler d'un même objet ou d'une même question.

Pour reprendre la proposition particulière envisagée ci-dessus, sa traduction dans le langage de la physique pourrait donner ceci; "lors de la congélation, et ce d'amant plus que le processus de congélation est lent (températures faiblement négatives), des cristaux plus ou moins grands se Cannent dans les cellules qui font éclater les membranes cellulaires, Ceci permet de rendre compte de la plus grande fragilité des produits surgelés qui ont été dégelés",

Dans un langage juridique, cela pourrait aboutirà ceci: "les produits surgelés, une fois dégelés, sont imerdits de vente" ou "les produits surgelés porteront la note"an ne peut pas regeler un produit surgelé qui a été dégelé",

Pour des raisons épistémologiques et pédagogiques, le sens de la traduction n'est pas neutre. Un développement prolongé du langage disciplinaire (passer cinq ans à construire des "bases", comme disait J.-L. Martinand, avant de voir à quoi cela peut servir) conduit à une démotivation des

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étudiants parce qu'il occulte non seulement les finalités de cet apprentissage pOUT l'élève mais encore les finalités de l'élaboration du savoir lui-même: à quelles questions est-il sensé répondre et à quelle action peut-il aboutir? Au prix de quelles transformations la discipline s'autorise-t-elle à dire quelque chose du monde réel? On peut défendre aussi que la démarche de traduction du concret au disciplinaire correspond plus que la démarche inverse du disciplinaire au concret à la manière spontanée et naturelle d'aborder les questions

que

l'on se pose dans la vie quotidienne. Ces questions ont été travaillées de manière récurrente au cours des séminaires de recherche organisés à Namur depuis trois ans parGérardFourez et son équipe(1990, 1991) (6et7).

CONCLUSION

Enpartant de la perception que les démarches de modélisation interdisciplinaires rencontrent souvent des difficultés à dépasser précisément le cloisonnement des approches disciplinaires de chacun des acteurs, j'ai voulu rechercher dans les concepts de création d'isomorphisme et

ct

'opération de traduction des outils pour comprendre le fonctionnement ou le disfonctionnemenr de la disciplinarité comme de l'interdisciplinarité.

Les sciences apparaissent comme un lieu privilégié de traductions multiples, des différents niveaux: de discours et des différents points de vue disciplinaires entre eux. En cela, elles panicipent pleinement à la formation d'une pensée rationnelle qui ne s'enferme pas dans un seul discours mais qui débouche sur l'action et la décision, elles aussi hétérogènesau pur théorique. Reconnaître l'hétérogénéité des différents langages, donc le travail avec les "boîtes noires", et cependant accepter le risque de la traduction font partie de la formationà toute pensée rationnelle.

Dans cette perspective, donner des "bases" à quelqu'un en matière de sciences et de technologies, ne serait-ce pas aussi lui apprendre les spécificités des opérations de traduction que l'on effectue dans ces domaines, lui apprendreà créer des isomorphismes, à identifier le lieu de l'identité et le lieu de la transfonnation,à comprendre pourquoi une transfonnation est nécessaire pOllr donner à la propositionunsens qui soit adaptéaucontexte paniculier de l'action ou de la décisionà prendre.

NOTES

(1)LADRIERE(J.),1970. -L'Articulation du sens, Paris: Aubier-Momaigne,p.31.

(2)HOFSTADTER (D.), 1985. -Godel,Escher, Bach Les brinsd'Wle guirlandeéternelle,Paris: InterEditions, p.57.

(3) CALLüN (M.), 1974-1975. - L'opération de traduction comme relation symbolique in "Incidence des rapports sociaux sur le développement scientifique et technique", compte-rendu du séminaire de recherche tenu à la Maison des Sciences de l'Homme, Paris, pp.105-141. Dans cel

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ouvrage, le propos de Michel Callon est plutôt d'envisager la pertinence des traductions qui s'effectuent entre le langage des scientifiques et le langage des sociologues qui prétendent décrire l'activité des scientifiques. L'idée de traduction a été reprise et élargieà d'autres contextes par Michel Callon dans un article tel que:

(4)CALLûN CM.), 1982. - Boîtes noires et opérations de traduction in

"Économie et Humanisme".

(5) Les difficultés de lavulgarisation scientifique pourraient être interprétées de la même manière dans la mesure où celle-ci ne joue pas le jeu de latransformation inévitable des énoncés lors de leur traduction pour que soit adapté au public et au contexte où il est pertinent, le sens du message. Mais c'est une autre question qui sort de mon propos actuel.

(6) FOUREZ (G.), TILMANS-CABIAUX(c.)et al., 1990. - Les sciences doivent-elles s'enseigner par disciplines ? inCourrier du Cethes, Namur, nO spécial, août, 39 p.

(7) FOUREZ (G.), TILMANS-CAB[AUX (C.)etal" [991. - Programmes des sciences: quantité ou qualité?, inCourrier du Ce/hes, nO spécial, novembre, 28 p.

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