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Pensée méditerranéenne et religions monothéistes selon René Habachi

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(2)
(3)

Pensée méditerranéenne

et religions monothéistes selon René Habachi

Chantal Hoss

(4)

14'1

NationalUbrary ofCanada AcQuisitionsand BibfiographieServices 385weIIngIDnStreet OIawaON K1AC)NlC. C8nIlda Bibliothèque nationale du

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(5)

ii

TABLE DES MATIÈRES

Résumé . . . .. üi

Remerciements iv

ABBRÉVIATIONS UTILlStES

v

UN11l0DUCTION Introduction 1/1

CHAPITRE 1

UNITINÉRAIRE DE PENSÉE Chapitre 1 11/7

1. 1 La Méditerranée, un espace Chapitre 1 12/8

1.2 Temps et longue durée Chapitre 1 17/13

1. 3 La formation philosophique Chapitre 1 1III17

1. 4 Les activités d'enseignement . . . Chapitre 1 114/20 CHAPITRE 2

LA PENSÉE MÉDITERANÉENNE: CONDITIONS ET PERSPECTIVES

. . . Chapitre 2 11/32 2. 1 La méthode en question . . . Chapitre 2 14/35

2. 2 L'actualité· Chapitre 2 16/37

2. 3 Un impératif: la liberté Chapitre 2 111142

2. 4 Natureetaventure Chapitre 2 114/45

2. 5 Perspectives . . . Chapitre 2 121/52 CHAPITRE 3

L'ALTÉRITÉ Chapitre 3 11/54

3. 1 Judaïsme et hospitalité . . . Chapitre 3 17/60

3. 2 Islam et tolérance Chapitre 3 111164

CHAPITRE4

LA GRATUITÉ Chapitre4 11/67

CHAPITRE 5

PENSÉE MÉDITERRANÉENNE ET MONOTHÉISMES Chapitre 5 11/75

5. 1 La recherche d'une harmonie Chapitre 5 12/76

5. 2 Le concept de révélation Chapitre 5 16/80

5. 3 Le rapport au Iudaïsme Chapitre 5 18/82

5. 4 La proximité de l'Islam Chapitre 5 116/90

5. 5 Une Méditerranée au présent Chapitre 5 121/95

CONCLUSION Conclusion /1/102

BIBLIOGRAPHIE _ ; Bibliographie /1/106

1. ~ources premières: Ecrits de René Habachi Bibliographie /1/106

2. Ecritssur René Habachi Bibliographie /9/114

(6)

iii

Résumé

Préoccupé par la survie du Christianisme en Méditerranée, René Habachi engage le dialogue de la pensée avec la vie.

n

propose, avec un demi siècle d'avance, ce que la diplomatie d'aujourd'hui essaie avec peine d'esquisser. Dans une Méditerranée où les traditions abondent, les origines varient, les cultures se chevauchent et les civilisations se succèdent, Habachi définit la philosophie comme une pensée ancrée dans l'actualité et il recourt aux traditions du passé pour mieux préparer l'avenir. Respectueux des trois monothéismes en Méditerranée aux prises avec la gestion difficile d'une coexistence pacifique, ilen appelle au dialogue en précisant une triple tâche: pour le Judaïsme, la tâche de l'hospitalité, pour l'Islam, la tâche de la tolérance, et pour le Christianisme la tâche de la gratuité. Il insiste sur le fait que seule une économie saine, mais surtout équitable, est àla base de toute solidarité.

Abstnct

Concemed with the survival of Christianity in the Middle-East, René Habachi engages a dialogue between thinking and life. Half a century ahead of his time, Habachi puts forward a proposai for peaceful coexistence - something which today's diplomacy is still stl11ggling to sketch out. In a Mediterranean where traditions abound, nationalities vary, cultures overlap and civilisations succeed one another, Habachi opts for a philosophy anchoredinthe present, baving recourse ta traditions of the past, so as to prepare a better future. Respectful of the three monotheistic religions in the Middle-East and cognizant of the practical difticulty in managing a peaceful coexistence, Habachi calls for dialogue between the three religions, while assigning to each a specific task : for Judaîsm, the task of bospitality; for Islam, the task of tolerance; and for Christianity, the task of gratuitousness. Habachi remains convinced that ooly healthy and equitable economy is the basis for solidarity.

(7)

iv

Remerciements

Le professeur René Habachi a suivi cette recherche avec intérêt et son encouragement fut constant. Mes plus sincères remerciements vont également au personnes suivantes: CécileMoussa1~Elie et Camille Gédéon ainsi que Marlice Heneen Sirdar, nièce de René Habachi; le Père Simpn Saliba, Bibliothécaire de l'Université Saint...Esprit de Kaslik (Liban), le Père Jean Maroun A Y. Meghames, Chargé des institutions de L'Ordre Maronite du Liban à Jaffa, Bethléem et Jérusalem; le Père René Baril, franciscain, le Professeur Sarnir Qusaym, s.j., de l'Université Saint...Joseph de Beyrouth; Antoine Kosseim, pour son intérêt et son soutien tout au long de cette recherche, ainsi que mes enfants pour leur estime; les membres du personnel du Service de prêts entre bibliothèques de la Bibliothèque de l'Université de Montréal, pour les écrits de Habachi obtenus auprès de la

Library

ofCongress

àWashington, D.C., de la Bibliothèque du Boston CollegeàBoston, de la Bibliothèque Nationale

à

Paris, de la Bibliothèque de L'université LavalàQuébec et de la Bibliothèque de l'Université McMaster

à

Hamilton (Ontario); les Professeurs Michael f. Davie, de l'Université Francois-Rabelais de Tours (France) et B"rre Ludvigsen, de lUniversité d'0stfold (Norvège), également professeur invitéàl'Université Américaine de Beyrouth, pour leurs précieuses références sur Internet; le Professeur Eric Ormsby, de l'Institut des Études Islamiques; le Professeur Maurice Boutin, directeur de cette recherche, pour ses conseils judicieux.

(8)

ABBRÉVIATIONS UTILISÉES • v

• Les autres abréviations utilisées sont tirées de Siegfried M. Schwenner, Index international des abréviations pour la théologie et domaines apparentés. Berlin & New York, Walter de Gruyter, 21992, xli

+

488p. - Voir la bibliographie pour la référence complète des ouvrages mentionnés.

AHD

AuH

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Expo H HiM HIP-FM HIP-Ia

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o

PMI PMU PMm PM IV PPT QAZ REP-TF RPM T

TAH

TdG

UC

UPE

y

J. Berque,Les arabes d 'hier à demain, 1960

A. Casanova (dir.),Aujourd'hui. l'histoire, 1974 F. Braude~ Écrits sur l'histoire. 1969

F.Braude~ La Méditerrané ... Philippe II. vol. 1et 2, 1979

R. Habac~ Lacolonne brisée de Baalbeck, 1963

R. Habachi, Commencementsdela créature, 1965

R. Habachi, "ConférencessurSimone de Beauvoir", 1956

M. Bou~"Dieu et la projection non-objectivée" :

LTP

44/2 Ouin 1988) G. Bourdé et H. Martin, Les écoles historiques, 1983

R. Habachi, Exposé critique de "les Arabes...• deJ. Berque". 1964 L'Histoire (oct. 1995 -

nO

192)

C. Samaran (dir.), L 'histoire et ses méthodes, 1961 F. Majid, AHistory oflslamic philosophy, 1983

S.N.Hossein& O.Leaman,History oflslamic Phi/osophy. 1996

R. Habac~ Hamlet ou le Prince de / 'absurde, 1964

H. Corbin, Histoire de la philosophie islamique, 1986 J.- R. Milot, L'Islam elles musulmans, 1975

J. Boulos,Le patrimoine libanais el

sa

réactivation, 1965 B. Lewis, "Mosle~ Christians and Jews...", 1992

R. Habachi, Liban

l

1970 -Lihan Il. 1971

R. Habachi, "Lettre aux intellectuels d'Occident", 1967 Magazine Littéraire

R. Habachi, Le Moment de l'Homme. 1984

R. Habâchi, Notre civilisation au tournant 1-2-3, 1959 R. Habachi, Orient quel est ton Occident? 1969

R. Habachi, Vers une pensée médite"anéenne 1. 1956

R. Habachi, Vers une pensée médite"anéenne 2, 1957

R. Habachi, Vers une pensée médite"anéenne3. 1959 R. Habachi, Vers une pensée médite"anéenne 4, 1960 R. Habachi, Une philosophie pour notre temps, 1960 R. Habachi, Qualres aspects de Maurice Zundel, 1993 Th. Fabre, Revue d'ÉlUdes Palestiniennes. 1995

R. Habachi, Recherche de la personne ... de Maine de Biran, 1957

R. Habachi, Le transgresseur, 1984

G. Barraclough, Tendances actuelles de / 'histoire. 1980 R. Habachi, Théophanie de la gratuité. 1986

J.- P. Peroncel-Hugoz, Une croix sur le Liban. 1984

R. Habachi, Une philosophie ensoleillée. 1998

(9)

INTRODUcnON

Une maingantée~ celle des gouvernements arabes, a silencieusement rempli de sable la bouche des poètes. C'estàl'écrivain marocain Taher Ben Jalloun, récipiendaire du Prix Méditerranéen de la Communauté des Universités Méditerranéennes en 1990~ que nous devons cette affirmation (cité dans UC 201). Le philosophe René Habachi réfléchit, travaille, et vit dans cette atmosphère complexe et troublée.

Plus qu'une étude critique du contenu de la pensée méditerranéenne, l'objectif de cette recherche concerne les moyens empruntés par Habachi pour articuler une pensée dont les conditionsetles perspectives philosophiques se fondent sur l'altérité et la gratuité. Ces deux thèmes qui se conditionnent mutuellement permettent aux rapports entre eux des trois monothéismes qui cohabitent en Méditerranée de se perpétuer. fi s'agit de comprendre comment Habachi décèle, entre différents courants de pensée, une connivence qui rend possible le dialogue entre les traditions philosophiques et religieuses, qu'elles soient indigènes ou importées en Méditerranée. fi s'agit également de discerner les moyens proposés par Habachi pour permettre au Christianisme de paniciper à l'évolution économique et culturene deI~Orientméditerranéen dans le présent quelque peu orageux de la région.

Ceux qui eurent au Caïre le privilège de compter parmi les étudiants de ce maître méditerranéen

à

la fois humaniste et personnaliste connaissent son ouverture d'esprit et sa créativité, deux conditions essentielles pour la compréhension du multiculturalisme

(10)

Introduction 112 croissant de nos

sociétés.

Habacbi

est préoccupé depuis des décennies par la rencontre des cultures. De par son caractère méditerranéen,

il

accorde une grande importance àla notion de continuité historique. Fondée sur des traditions millénaires, sa pensée entend favoriser une implication nouvelle en économie et originale en ce qui concerne la politique et la religion.

La manière avec laquelle la pensée de Habachi est habitée par l'actualité des rapports entre les nations et les peuples ne laisse pas indifférent. Plus que de s'intéresser à l' histoire passagère des événements de la philosophie, Habachi questionne plutôt la permanence philosophique des événements de l'histoire. Sa pensée est une réflexion philosophique active "engagée dans le temps et dans l'espace" (pM 1Il). Elle chercheà promouvoir l'auto-détermination de certains pays de Méditerranée qui s'effondrent, alors que d'autres se créent. C'est le personnalisme qui, pour Habachi, "tient tête à l'existentialisme en nous donnant le sens de la liberté", il nous "disposeàentrer en société au lieu de nous coaguler en masse"; loin de susciter "une union par inditrérenciationn

, il

engendre "une coopération par croissance de différenciation" (pPT 135). Il favorise l'élaboration d'une penséeà la fois philosophique et culturelle empreinte d'un engagement socio-politique qui reconnaît aux chrétiens du Liban le droit

à

l'existence et les incite au devoir de mieux s'affirmer. L'enjeu est imponant : il s'agit de promouvoir "la présence active de toutes les énergies d'une société aux problèmes de son développement humain" (Lb 1179). Pour Habachi, le sens de "toute la problématique arabe serait incompréhensible sans le dialogue de la pensée musulmane avec le Christianisme oriental et le Judaïsme" (pPT (32). L'historieh libanais Jawad Boulos, qui propose également d'examiner à la lumière de l'histoire les possibilités et les limites de nos initiatives) soutient que Ucertains héritages) tels que les grandes découvertes, les pensées et les oeuvres des hommes de génie) etc., quoique familiaux ou nationaux, sont le patrimoine commun de toutes les nations." (IB

14)

Loin de s'attarderàune critique de l'histoire de la philosophie selon une structure spécifiquet Habachi s'adonne plutôtàune réflexion philosophiqueàpartir de conjonctures

ponctuelles et localisées. fi préfère un discours évocatifà un discours argumentali( et on peut se demander si sa pensée est une philosophie d'unification, ou au contraire une sorte d'amalgame de visions théologÏco-religÏeuses de différentes traditions philosophiques du

(11)

Introduction 313 passé adaptéesàun présent en proie au marasme économique, socio-politique, culturel et religieux. Le respect de la diversité permettrait-il au Christianisme de s'affirmer dans une identité méditerranéenne, au lieu de s'épuiser et de disparaître?

'4Je ne prétends à aucun universalisme", dit Habachi qui favorise un humanisme indispensable à la cohabitation.

un

me suffit de m'identifier à cette rive orientale de la Méditerranée", dansle prolongement d'une histoire longtemps partagée"àlaquelle je tiens par toutes les fibres de moi-même, et sans lesquelles [... nous] serions poussière dans le vent, absurdes, incompréhensibles à nous-mêmes et à autrui, et par surcroit inutiles au monde et définitivement stériles" (pPT 112-113). Pour HabacbL "il n'y a pas de culture arabe, telle que l'histoire nous

la

donne, sans Méditerranée" (pPT 138). Mais les nombreux éclatements des structures socio-politiques dans plusieurs pays de l'Orient méditerranéen ont entraîné la disparition des supports philosophiques et des traditions religieuses qui avaient servi d'infrastructureàleur paisible cohabitation. Dans ce sens, Habachi demande en 1960 : "l'arabisme qu'on nous propose aujourd'hui en Proche-Orient, est-il la réponse

à

nos besoins, peut-il faire fonction de personnalisme, ou bien nous en écarte-t-il dangereusement?" (pPT' 112).

Lui

qui ne s'est pas penché sur la question de l'arabisme de façon particulière, aborde la question en 1964 dans sonExposé critique sur «Les Arabes d'hier à demain» de

J.

Berque.

n

considère cet ouvrage comme un "capital de connaissance et de sympathie", il exprime "une inquiétude cependantàl'égard de la structure de pensée sur laquelle ce monument, dangereusement, repose" (Expo 94). Ses réservesàl'égard de la sociologie de Berque concernent la difficulté de celui-ci "à entrer dans une durée proprement orientale", de sone que, selon Habachi, il finit par "nous proposer une philosophie de notre devenir qui va nous paraître [...] beaucoup plus construite de l'extérieur que vécue et pressentie du dedans." (Expo lOS)

Chez Habachi, le concept de durée prime sur le concept de temps chronologique et estlefilcondudeur de sa pensée. Tout au long de son itinéraire philosophique, il demeure préoccupé par l'évolution culturelle de l'Orient méditerranéen dans ses relations avec un Occident peu conciliant, ctest le moins qu'on puisse dire. Les rapports de rivalité sont au coeur delapenséeméditerranéenne, et la revendication, au nom de promesses révélées par le Judaïsme, le Christianisme et l'Islam, des mêmes lieux sacrés sur une seule terre devenue sainte, constitue pour Habachi un défi politique incontournable dont Jérusalemestl'enjeu

(12)

Introduction

4/4

par excellence.

L'itinéraire philosopbico-religieux de Habachi traduitàquel poin~commeilledit, "le besoin profond [de philosopher] naît du désarroi de nos intelligences orientales àla recherche d'une vision du monde où elles puissent enfin trouver une place. (...] L'unité arabe s'est otfene àbeaucoup comme le substitut d'une philosophie absente" (pPT 7). Pour développer une pensée susceptible de tenir compte de la complexe réalité méditerranéenne, "il ne s'agit pas" pour lui "de déprécier les valeurs arabes, mais de les délivrer des cadres trop étroits de l'arabismeetdes moyens maladroits qui risquent de les desservir" (pPT 133). En invitant les trois monothéismes

à

tenir compte d'une diversité en constante interaction, Habachi se propose de poursuivre simultanément quatre buts qui sont tous d'une extrême urgence:

Politiquement : un réveil hostileàtoute objectivation, afin de retrouver une position de transcendance. Religieusement : un dégagement hors du traditionalisme théologique, qui risque de nous retenir en arrière. Économiquement : une exploitation de nos possibilités économiques pour aboutir

à

une démocratie. Et enfin, cultureUement : une réactivation de la culture et de la langue. Ces quatre buts, comment les refuser? Us dessinent vraiment les lignes maîtresses d'un réveil historique, et d'une revitalisation de notre vocation originale. (pT 133-4)

Habachi souligne que'4~etteconnexion du langage et des techniques dans une civilisation est si solide que là où une nation n'est plus féconde en oeuvres, il est

à

prévoir que sa langue s'est déjà figée en un vocabulaire sans ressources, et que cette crise d'expression est elle-même motivée par une conscience entrée en léthargie. [...]

Qui

ne pose rien en dehors de

lu~

c'est qu'il est démuni d'énergieàexpliciter".1

n

ajoute qu'une "absence de création prouve souvent une anémie de conscience", que "l'avarice diJne culture en oeuvres manifestes, et la paralysie diJne langue attestent plus souvent un vide qu'une plénitude", et qu' "ainsi meurt une nation, avec de grands gestes et des discours: on ne s'en rendra compte que longtemps après."1

1 CaB (1963) 105; csa (1968) 94; caB (1984) 217. 2 caB (1963) 105-6; CBS (1968) 94-5; CSB (1984) 217-8.

(13)

••

Introduction 5/5 Arraché à son terreau culturel à deux reprises, Habachi écrira au sujet de la pensée méditerranéenne, dans une lettre

en

date du 7 novembre 1995 : "[Ce] thème me paraît aujourd'hui lointain [...) bien que ma conviction soitlamême".

Lapenséede Habachi

.

componequatre moments chaque fois centrés sur une optique qui ne se sépare jamais dUne we d'ensemble. Dans une première étape, elle passe -manifestement dans sa thèse doctorale sur Maine de Biran en 1939 - d'un existentialisme

intuitif

àune vision plus académique de type personnaliste. En 1960, Habachi affirme que le personnalisme gratifie l'humain du "sens de la liberté qui fait de l' homme un sujet, un absolu." Il insiste sur "le sens du travail qui met en communication l'homme et le monde, l' homme et les autres. Du même coup, l'homme libre humanise le monde en même temps qu'il s'ouvre

à

la société" (pPT 110). Son intérêt le conduit

à

une évaluation des systèmes philosophiques occidentaux au moment où ceux-ci rencontrent les grandes traditions orientales, chrétiennes et musulmanes. Les oeuvres marquantes de cette époque sont les quatre cahiers Vers une pensée médite"anéenne (1956 à 1960), Notre civilisation au tournant(1959), et Une philosophie pour notre temps(1960). Dans un deuxième temps,

il insiste sur le fait que "le sens du travail met en communication l'homme et le monde, l'homme et les autres" (pPT 110). La réédition, vingtans plus tard, de La colonne brisée de Baalbec (1963)et de Commencements de la créature(1965), en une seule publication sous le titre

Le

Moment de [·homme (1984) confirme la pertinence de cette préoccupation. Dans une troisième étape Habachi, qui n'est pas historien, réfléchit sur le "sens de l'Occident pour l'Orient". Sa pensée témoigne alors d'une volonté d'engagement qui s'exprime dans une analyse critique des retombées économiques et socio-politiques des rivalités entre l'Orient et ('Occident au Moyen Orient. Cette réflexionest présentée surtout dans Orient, quel est ton Occident? (1969), qui souligne la nécessité d'une identité méditerranéenne qui s'aBirme au sein de l'Islam arabe. Ses textes de philosophie engagée sont publiés dans les deux volumes Liban1en 1970, et LibanIlen 1971. L'engagement politique estàson avis le facteur clé de la survivance du Christianisme au Moyen Orient, surtout au Liban. En

fin

de parcours, Habachi centre son attention sur des thèmes qui, sous l'influence de Maurice Zundel(1897-1975)~component une dimension nouvelle et donnent lieuàdes conférences centrées sur la spiritualité. Inspiré par son intérêt pour lathéologie~

(14)

Introduction

6/6 transgresseur(1985), Théophanie de la gratuité(1986), etUne philosophie ensoleillée (1998).

Ces

ouvrages aussi démontrent que Habacbi reste fidèleàune ligne de pensée qu'il s'était toujours promis de respecter: maintenir l'actualité au coeur du débat.

Après avoir rappelé les principaux moments de l'itinéraire philosophique de

Habachi

(chapitre 1), la présente étude dégage les conditionsetperspectives de la pensée méditerranéenne (chapitre 2) et examine ensuite les impératifs de tolérance et d'hospitalité eu égard

à

l'Islametau Judaïsme (chapitre 3), etl'exigence de gratuité reliée essentiellement au Christianisme (chapitre 4). Le chapitre S résume et prolonge les chapitres précédents, et la conclusion souligne l'importance du rapport entre philosophie et théophanie dans l'oeuvre de Habachi.

Si selon

Habacbi,

"la vraie mélodie commence quand le dernier accord s'est éteint" (CC 149), la pensée méditerranéenne aura-t-elle été l'idéologie d'un rêve incompatible avec la dure réalité, ou bien demeure-elle encore un projet porteur d'avenir dontil faut se préoccuper?

(15)

CHAPITRE 1

LTN ITINÉRAIRE DE PENSÉE

Contemporain de bien des itinéraires actuels,

celui-ci[mon itinéraire] leur doit beaucoup sans pouvoir mesurer, même quandilles nomme, toute l'étendue de sa dette. D'une cenaine façon il leur doit tout, sauf de les réfracter à sa manière qui est celle de l'orient méditerranéen où mon destin s'est inscrit. (CC 24)

C'est par ces mots que René Habachi termine son Introductionà Commencements de

la créature,

en date du 6 août 1965,à Hazmieh au Liban. Né au Caire en 1915, Habachi réside actuellementà Paris. En arabe, le mot Habachi veut dire abyssin, en d'autres termes, celui qui vient d'Abyssinie. Cette contrée avoisine les plateaux de Nubie en Haute Égypte et représente, avec l'Étythrée, l'Éthiopie d'aujourd'hui. Le haut plateau abyssin, dont le centre atteint 2440m. d'altitude, est

à

la frontière du Soudan, de l'Ouganda et du Kénya, et ses rivières se jettent dans leN'ù. Pratiquement inondée par le lac Nasser créé par le Haut Barrage d'Assouan (AlSadal AlI) construit entre 1960 et 1968, la Nubie, à cheval sur la frontière soudano-égyptienne, comprenait une population indigène d'origines tribales multiples_ Mi-sédentaire mi-nomade, cette population est aujourd'hui non seulement irrévocablement déplacée, mais écologiquement dépourvue de ce qui avait permis sa survie d'éleveurs-cultivateurs pendant des millénaires. Ces vieilles cultures aux confins des

(16)

Chapitre 1

12/1 mouvements religieux originaires du Christianisme nubien sont aujourd'hui politiquement fragmentées entre l'Égypte, le Soudanet l'Éthiopie, tandis que les trois monothéismes sont présents et que l'animisme subsiste.

Citoyen libanais, Habachi est d'origine égyptienne, de confession chrétienne, et de rite copte, terme qui est la transcription du motgrecqui veut dire -égyptien».. Habachi est donc égyptien non seulement d'origine, de naissanceet de citoyenneté, mais également de religion.

À

la conquête de l'Égypte par les Arabes en 642, la majeure partie de la population indigène, pour éviter de payer la ..jizab.,taxe supplémentaire imposée aux non

musulmans,

se convertit

à

l'Islam. Devenus minoritaires dès ce moment, les coptes se subdivisent en deux sous-groupes: les coptes onhodoxes, qui relèvent du Patriarche copte, et les coptes catholiques, qui constituent une infime minorité rattachée à Rome. Dtallégeance copte catholique, Habachi appartient au sous-groupe minoritaire de la minorité chrétienne d'Égypte.

Fùs de médecin, Habachi est éduqué au Collège de la Sainte-Famille du Caire tenu par des Jésuites majoritairement venus de France. Cette institution vouée

à

l'éducation des garçons de la bourgeoisie égyptienne Boutros Boutros Ghali, par exemple l'a fréquentée -dispense une éducation

à

la fois orientale et occidentale, ce

qui

classe Habachi dans une nouvelle minorité. L'éducation de ses parents, probablement dans les mêmes conditions, peut expliquer le fait français

à

la maison. Dans ce pays arabophone, avoir pour langue maternelle le français ne peut qu'ajouter à la ségrégation. De famille chrétienne francophone et bien nantie, Habachi, de culture occidentale, vit en Orient au sein d'une majorité musulmane arabophone et pauvre. La complexité socio-politique, culturelle et religieuse de ce statut de minoritaire aurait pu l'ameneràrester dans (' ombre. Elle suscite au contraire chez lui la volonté de comprendre et de faire comprendre que '~siles choses sont différentes

par

leur matière, par leur forme elles peuvent être semblables : voici par où l'unification est possible". (pM 1 47)

1. 1 La Méditerranée, un espace

UL'une des principales applications de notreanalyse de l'existentialisme dans ses rapports avec

la

penséeméditerranéenne porte sur la Méditerranée elle-même" (pM IV Il), dit Habachi. Cette Méditerranée, que les Arabes ont toujours appelée le bassin du centre,

(17)

Chapitre 1 1319 reçoit les eaux du Nd

chargées

de limon fertile etalourdies par les traditions. Elle accueille également des tleuves européens, dont l'Èbre, le Rhône, etle PÔ. Elle abrite des peuples et des cultures millénaires, etl'Occidentlaconsidère comme le berceau de sa civilisation. Souvent placée au coeur des conflits mondiaux, la Méditerranée est pour Habachi un symbole de liaison.

n

affirme que s'il y avait "une unification possible, c'est bien par le biais de la Méditerranée qu'elle se ferait; [car] la culture voit plus loin que la politique." (pM Il29)

Lourde d'un passé culturel et religieux considérable, la situation méditerranéenne compone actuellement des exigences politiques, économiques et culturelles dont l'importance ne saurait être minimisée. Cette Méditerranée qui a fait parler d'elle à travers les millénairesetquia passionné tous ceux qui s'en sont approchés, s'engage dans l'actualité meurtrie par les rivalités politiques et religjeuses. Également aftligée d'une endémique pauvreté, elle accueille le troisième millénaire avec appréhension. Habachi n'est pas le premier penseur arabo-oriental, mais probablement le premier philosophe méditerranéen contemporain francophone et chrétien, à raviver le patrimoine philosophique de ce carrefour de civilisations. Il situe sa pensée dans le même espace que celui choisi par l'historien Fernand Braudel pour sa monumentale étude La Médite"anée et le monde médite"anéenàl'époque de PhilippeIl. publiée en 1949. Parlant de son projet, Braudel estime que "l'inconvénient des trop grandes entreprises est que l'on s'y perd souvent avec délicesu (BrM 1 15). Conscient des nombreuses constituantes d'une pensée méditerranéenne dépositaire d'une histoire dont la richesse culturelle et religieuse millénaire est pleinement reconnue, Habachi déclare pour sa part : UPourquoi se hâter de passer du multiple à l'un? La ligne droite n'est pas le plus court chemin, si elle nous fait manquer la richesse du monde" (pM 146). Objet commun de leur attention, la Méditerranée représente toutefois quelque chose de différent pour Braudel et pour Habachi.

"En digne représentant de IIÉcoie des Annales, [Braudel] relègue Il-événementiel..

à l'arrière-plan" (E 189), car selon lui~ "l'histoire événementielle" est "davantage produit de l'histoire que productrice d'histoire"(H81). Son ouvrage sur la Méditerranée,àl'origine de l'imponant tournant de ce qu'on a

fini

par appeler à la tindes années '70 la -nouvelle histoire-, a établi la réputation de Braudel en tant qu'historien. Pendant plus devingtans, de 1946

à

1968, c'est d'abord avec Lucien Fèbvre, puis seul aux commandes, que Braudel

(18)

Chapitre 1 14/10

dirige la rewe

LesAnna/es.

En 1984, Georges Duby parle de lui en ces termes:

Braudel le patron: c'est

vrai

Qui

d'entre nous, et je pense

à

ceux-là mêmes

que dérangèrent naguère les coups de boutoir qu'il assénait sans

ménagements contre les citadelles de l'histoire traditionnelle, n'a jamais eu

le sentiment de prolonger des pistes

qu'il

avait lui-même frayées, et de

travailler comme sous sa conduite? Il me semble que nous sommes assez

nombreux qui, sans

lu~

ne serions pas devenus ce que nous sommes.'

Si nombre de commentaires élogieux accueillent l'oeuvre de Braudel, plusieurs

controverses entourent sa personnalité.

À

trop célébrer le -miracle français» en matière

d'histoire,

on ne pouvait que s'attirer les remarques peu amènes, mais ô combien

pertinentes, d'un historien néerlandais, W. Den Boer, pour lequel

les Annales

et «l'Histoire nouvelle» ont bénéficié d'un mécanisme bien connu

dans l'histoire des sciences, (...) qu'il appelle le phénomène de concentration

épique ou

principede Saint Mathieu :

-Ce dernier consiste à attribuer dans

l'histoire des sciences les inventions de nombreux savants à un petit nombre

seulement d'entre

eux.

Comme le dit l'Évangile :

~

car on donnera

à

celui qui

a déjà et

il

aura davantage; mais pour celui qui nta pas, on lui ôtera même

ce qu'il a"t.%

François Dufay appelle Braudel "le pape de la nouvelle histoire", "le mandarin",

c~

immense historien" dont les ouvrages "ont considérablement vieilli",

'~n

autocrate

impérieux, un prince de la Renaissance"

(H

78-79). Ces critiques

à

l'égard de Braudel et

de l'École des Annales ne sont pas sans rappeler le commentaire de Pierre Legendre au

cours d'un entretien publié en 1995 sous le titre

"Qui

dit légiste, dit loi et pouvoir' : "Je me

souviens dUne visite que je

fis à

Braude~

magnat des sciences sociales d'après- guerre, pour

faire valoir auprès de lui l'importance de la dogmatique médiévale et d'une histoire des

montagnes étatiques.

D

écarta mon discours d'un revers de la main. J'étais jeune alors, je

sortais de mes expériences dans le milieu

internation~

mais je n'ai jamais oublié la

l

"Braudel le patron de la nouvelle histoire" :

Maglit

(juin 1984) 17.

2 L'histoire el ses méthodes,

Presses Universitaires de Lille, 1983, pp. 90-91;

cité dans E 202.

(19)

Chapitre 1 15/11 suffisance de cet intellectuel typiquement français, devenu l'idole de l'École des Annales. Voyez-vous, la différence entre Braudel et Kantorowiczest là : l'arrogance chez l'un, la modestie chez l'autre, quant au questionnement".J Habachi, quant à~ se passe de reconnaissance.

n

narguelarenomméeet n'a suscité que des critiques élogieuses de la pan de ses confrères (nous y reviendrons).

Pour le philosophe comme pour l'historien, la Méditerranée représenteà la fois un objet et un sujet d'étude. L'espace géopolitique et le temps historique de longue durée qu'elle représente sont toutefois différemment perçus par le philosophe etpar l'historien. Braudel savamment la personnalise, faisant d'elle un sujet constitutif d'histoire, tandis que Habachi crée un sujet historique qui se trouve au coeur de sa pensée philosophique. Mais en quoi se distinguent. les deux approches et où se croisent leur vision respective des choses?

Dans sa grande étude de 1949 sur la Méditerranée, Braudel, qui hésite

à

faire de l'histoire un simple reportage journalistique qui annule l'implication personnelle, "tourne le dosàla tradition de ccl'histoire historisante-·. Le personnage central de son livre n'est pas Philippe

IL

un homme d'État, mais la Méditerranée, un espace maritime"(E 186). Habachi, pour sap~ refuse de ne faire de la Méditerranée qu'un objet d'histoire dont on détaine la chronique et décompte les événements. Son intérêt pour la Méditerranée en tant qu'entité géographique est inversement proportionnel àson intérêt pour ce que représentent ses cultures et leurs rapports en tant qu'objets d'analyse. II s'interdit de la réduireàun objet géographique dont on mesure les dimensions et choisit de dégager l'essence de la diversité culturelle inhérente à la permanence philosophique de son histoire, en vue d'une cohabitation qui resteàcréer. Si les deux approches se rejoignent dans leur refus de faire de la Méditerranée un simple objet cartographique, elles témoignent pourtant de la différence entre le philosophe et l'historien. Dans une entrevue accordée à François Ewald et Jean-Jacques Brochier, Braudel précise son rapponàla Méditerranée en ces termes:

Je n'étais pas, ou pas seulement, à la recherche de la Méditerranée de l'histoire. J'étais aussi à la recherche de moi-même. Je n'ai pas eu d'illumination. Je suis resté indécis des années et des années face à la

3 Reproduit dans P. Legendre, Sur la question dogmatique en Occident, Paris, Fayard, 1999, pp. 153-191;p. {56.

(20)

Cbapitre 1 16/12 Méditerranée. Je ne l'ai comprise qu'en 1941, dix-huit ans donc après le début de mon

travail.

le jour où je me suis aperçu que la géographie était le moyen par excellence de ralentir l'histoire, un moyen d'arriver au plan zéro. C'est seulement alors que j'ai découvert les avantages de la Méditerranée comme sujet d'histoire. Je me suis compris alors grâceàelle.·

Habachi, qui s'y trouve déjà, effectue le cheminement inverse: il invite l'humain qui habite la personne à retrouver la Méditerranée. "Nous pensons légitime, pour ceux qui refusent d'être des nouveaux-nés du 20ème siècle, qu'ils se souviennent qu'en se réclamant d'une pensée méditerranéenne ils se réclament d'eux-mêmes, et que loin de se trahir ils reprennent pied dans ce qui fut la splendeur de leur passé et la noblesse de leur tradition". (pM IV 11-12)

Dans ses publications parues entre 1956 et 1960, Habachi parle de la Méditerranée marquée par deux cultures: rune indigène, l'autre importée. II s'agit d'un double regard : l'un intérieur à sa propre histoire, l'autre, extérieur, qui emprunte l'oeil critique de l'étranger. N'étant pas historien de carrière, Habachi n'entend pas proposer unehistoire de la philosophie, qu'il considère déjà faite, et il refuse de faire unephilosophie de l'histoire.

Déterminé à faire unephilosophiedansl'histoire, il fonnule des questions dont la réponse appartient au présent de l'actualité plutôt qu'au présent de la temporalité historique. L'actualité représente pour Habachi un présent qui recompose ses propres lieux, solidifie son unité temporelle, et apaise le tumulte que peuvent provoquer les diverses composantes ethniques, linguistiques et culturelles. L'imponance qu'il accorde au présent de l'actualité tempère le rôle centralisateur du présent chronologique d'une culture ou d'une religion majoritaire qui utilise en outre une langue à connotation sacrée (nous y reviendrons). Même si pour Habachi, la Méditerranée est faite d'espace et de temps, de géographie et d'histoire, de projection et de tradition, de passé et de futur, elle demeure l'agent de liaison dontlapennanence rend possible la cohabitation et la paisible coexistence dans la diversité. Unique en son genre, cette réalité méditerranéenne constitue pour Habachi un défi à relever. Il propose un projet de société qui invite les diverses ethnies à prendre unepan active et constructive dans l'édification d'un avenir collectif:

"n

s'agit pour nous de découvrir les

(21)

Chapitre 1

n

113 éléments communs

à

tous ces

courants

de pensée qui se croisent en Méditerranée, entre lesquels notre Proche-Orient doit se frayer un chemin". (pM

n

5)

La Méditerranée n'est pas une entité géopolitique, culturelle et religieuse non différenciée. Ethnies, peuples, langues, traditions, religions, cultures et courants de pensée y sont toutefois la somme de situations, de difficultés et de conflits qui mettent à mal la solidarité. Braudel a bien saisi l'enjeu du rapport des pays de la Méditerranée entre eux quand il écrivit que "les pays de Méditerranée sont des collections de régions isolées [...] et les contacts qu'ils établissent sont comme des décharges électriques, violents et sans continuité." (SrM 1 147)

1. 2 Temps et longue durée

Sans contredire le projet de Habachi, celui de Braudel est différent. Cette différence est manifeste entre autres dans la manière de comprendre le rapport au temps. L'imponant pour Habachi est, comme il le dit en 1957t de "mûrir le futur en sauvant tout ce qui est

récupérable du passé" (PM Il 5). Dans son article ~~La méthode Braudel" publié dans la revue

L'Histoire

en 1995, Olivier Dumoulin parle de ce dernier comme d'un 'jOinventeur" qui a "profondément renouvelé la manière d'écrire et de penser l'histoire, en utilisant des notions - pluralité des durées, géohistoire, économie-monde - jusqu'alors inédites. [...] la grande nouveauté de sa thèse (publiée en 1949) (...] fut de transformer le récit historique en une pluralité deceduréesM" (H 81). Comme le dit Braudel dans l'entrewe qu'il accordait

à

François Ewald et Jean-Jacques Brochier, "je suis arrivé ainsi

à

la décomposition du temps. Car le temps de l'bistoire n'est pas d'une seule coulée; il est comme feuilleté".5 Dans la préface de son chef-d'oeuvre, Braudel parle d'une notion qualitative du temps qui permet de distinguer trois aspects de ce qu'on a pris l'habitude d'appeler l'histoire.

fiy a une histoire quasi immobile, celle de l'homme dans ses rappons avec le milieu qui l'entoure [...] Au dessus de cette histoire immobile, se distingue une histoire lentement rythmée, (...] une histoire sociale, celle des groupesetdes groupements (...]e~ l'histoire traditionnelle, si l'onveu~

l'histoire à la dimension non de l'homme, mais de l'individu, (...] une

(22)

Cbapitre 1 11/14 agitation de surface (...] Une histoire à oscillations brèves~ rapides, nerveuses. Ultra-sensible pardéfinitio~le moindre pas met en alerte tous ses instruments de mesure. Mais telle queUe, de toutes c'est la plus

passionnante~

la

plus riche enhumanité~la plus dangereuse aussi. Méfions-nous de cette histoire brûlante encore~ teUe que les contemporains l'ont

sentie~ décrite~ véale~au rythme de leur vie, brève comme la nôtre. Elle a la dimension de leurs colères~ de leurs rêves et de leurs illusions. (BrM 1

13)

Comme le souligne Geoffrey Barraclough, "il appartenait à Braudel d'élaborer le concept de la cclongue durée»" (TAH 72 n. 48) et de mettre l'accent sur la dialectique essentielle de

l'bistoire~c'est-à-dire

l'interaction entre cette continuité à long terme [...] et les enchaînements

rapides~les mouvements de houle qui viennent s'y briser comme les vagues de

la

mer contre un rocher, mais qui parfois font éclater leroc~ ouvrant .ce passage d'un monde à l'autre- qui est .le très grand drame humain sur lequel nous voudrions des lumières-. (TAH 72)

Le concept de temps pour l'histoire classique implique une pluralité quantitative "sur lequel viennent se ranger, chronologiquement, des faits minutieusement étiquetés" (HiM52). Pour Lucien Febvre, cette conception est périmée, car cela véritable histoire n'est pas la science des faits historiques, c'est la science de l'homme dans le temps, le temps ce continu mais aussi ce perpétuel changement». Et Fernand Braudel de renchérir: «L'histoire traditionnelle attentive au temps bref: àl'individu, àl'événemen~ nous a depuis longtemps habitués à son récit précipité, dramatique~ de souftle court. La nouvelle histoire économique et sociale metaupremier plan de sa recherche l'oscillation cyclique et elle mise sur sa duréen • (HiMSi)

Habachi ne réfère pas explicitement à la -longue durée-- de Braudel; mais il maintient qu' "ilnous faut mûrir le futur en sauvant tout ce

qui

est récupérable du passé" (pMfi 5).

n

transfonneàsa manière une histoire événementielle, sous-produit del'histoire~

en une histoire existentielle productrice d'histoire. Il recourt pour ce faire àune notion de temps qui met llaccent sur un devenir culturel mettant en rapport liberté sociale et liberté personnelle. Uen appelle simultanément au respect de l'individu età la tolérance au sein

(23)

Chapitre 1 19/15

de la société muiticultureUe et religieuse de la Méditerranée; mais il évoque aussi l'indispensable préoccupation soclo-économique, compagne obligée de toute philosophie digne de ce nom.

Bien que localisé dans l'espace méditerranéen, le temps historique échappe à la temporalité immobile. La complexité de la notion de permanence du temps en Méditerranée fait que loin d'être figée dans le passé, la permanence culturelle méditerranéenne s'actualise dans la pérennité des civilisations. C'est Jacques Berque qui a le mieux saisi l'impact de cette pérennité. Pour l'illustrer,ilréfère à l'Égypte qui

constittte une identité coUective d'assise au moins cinq fois millénaire. L'historiographie la moins imaginative doit constater cette extraordinaire permanence, cette personnalité qui revêt, colore, détermine tout ce qu'elle agit et tout ce par quoi elle est agie,

à

commencer par les phénomènes physiques, tel que le Nil. II n'y a pas de Nil sauvage, il y a depuis cinq mille ans un Nil éduqué. Le Nil sauvage serait un fait naturel. Le Nil endigué, prolongé de canaux, est un projet humain, un projet historique. Toute l'histoire du pays se fonde sur ce genre de projets, depuis l'origine jusqu'à la construction du haut barrage, par quoi l'on débouche sur la planification présente [...] Il va sans dire que cette identité collective n'a pour moi rien de métaphysique. En définitive elle se résout dans les rapports que les égyptiens entretiennent avec la Nature. Ce sont leurs rapports avec le fleuve qui en constituent la première dimension, remarquablement claire, et la solidité de ces rapports est la permanence caractéristique de ce peuple. (AuH 109-110)

La présence de ce -Nil éduqué» change ledésenen ceinture nilotique de terre fertile: dès sonarrivée en Égypte et jusqu'à ce qu'il se jette dans la Méditerranée, villes et villages s'alimententàses eaux chargées de limon. Recueillant les eaux de l'Afrique centrale, ce fleuve, le plus long du monde, a assuré l'existence aux égyptiens et la survivance aux peuples qui vinrent s'y alimenter, ycompris le peuple de Yahweh. Mesuré àpanic de la Ruvyironza, branche de la rivière Kagera en Tanzanie considérée comme sa source originaire, le

Nd

a 6,671 kms de longueur.

La

surface globale de son bassin atteint plus de 3,349,000 kms carrés.

n

poursuit son cours en suivant la frontière de l'Ouganda avant de

(24)

Chapitre 1 110/16

se jeter dans le lac Victoria. À sa sortie de ce lac considéré comme sa source principale, il prend le nom de~d Victoriaet a une longueur de 5,584lems.

n

descend jusqu'au lac Albert par un étroitp~sagede

falaises

rocheuses10Dgde 483

kms,

à l'issue duquel il est dénommé le Nil Albert.

n

traverse l'Ouganda jusqu'à la frontière soudanaise, où il est désigné du nom de Bahr el Jabal, littéralement, Mer de la Montagne. À partir de sa jonction avec son aftluent second en importance, le

Bahr

el Ghazalou Mer des Antilopes, il prend le nom de

Bahr

elAbyadou Nil Blanc. U arrive àKhartoum, littéralement la Trompe d'Éléphant, où il reçoit son principal affluent originaire d'Abyssinie, le

Bahr

el

Azraq

ou Nil Bleu. Ce gigantesque drain des hauts plateaux de l'Érythrée, long de 1,529 kms, arrive chargé de limon fertile qu'il déverse dans le Nil Blancà

Om Doorman.

Tous les deux quittent Khartoum sous le nom deEl Nil el Kébir, ou Grand Nil. Plus au Nord, le Grand Nil reçoit la rivière 'Atharah chargée de sédiments noirs qu'il déposait périodiquement, lors de sa crue annuelle, tout au long de son parcours sur des rives désertiques et sur la plaine de son delta, saline et marécageuse. Avec la construction du Haut Barrage d'Assouan qui débuta en 1960, le ralentissement du débit d'eau favorisa le dépôt de ces

sédiments

au fond du Lac Nasser. Continuellement dragués, ils sont déposés, inutilisés, dans les environs. Cette opération réduit de façon importante les sédiments limoneux qui avaient de tout temps permis la fertilisation de la ceinture nilotique, y compris celle de son Delta. Le peuple égyptien en désarroi accuse l'Occident de ce désastre écologique, ce qui n'est pas sans ajouter à la rivalité entre l'Orient et l'Occident (nous y reviendrons). Arrivé au Caire, le Nil se divise en deux branches, celle de Damiette et celle de Rosette, du nom de deux viDes côtières de la Méditerranée. C'est

à

Rosette qu'en 1799t

un soldat de la campagne napoléonienne trouva la fameuse pierre du même nom comportant un texte gravé en trois versions qui devait servir de clé d'interprétation au physicien anglais Thomas Young et permettre

à

l'égyptologue français Jean-François Champollion de déchiffrer les versions hiéroglyphique et démotique par voie de comparaison avec la version grecque.'

D'une portée mythologique considérable, ce Nil vénéré qui nourrit les corps

6 Le hiéroglyphe est l'écriture idéographique de l'Égypte antique. Le démotique, calligraphie cursive dérivée du hiératique, est l'écriture cursive dérivée des hiéroglyphes monumentaux.

(25)

Chapitre 1 111/17 jusqu'à leur mort en achemiœnt les âmes vers l'éternité se trouve régulièrement inscrit aux panthéons des cosmologies du Proche-Orient Ancien. Cette divinisation du NiL à la fois horloge et boussole de l'Égypte, instaure une indubitable permanence vécue au rythme de ses crues. Cette complexe symbolique permet de mieux saisir la préoccupation centrale de Habachi qui a grandi au Caire, c'est-à-dire à la jonction de la ceinture nilotique et de son fertile delta. Cette métropolepennetaujourd'hui de distinguer la Haute et la Basse Égypte, et séparait déjà dans l'Antiquité le Royaume du Nord de celui du Sud. Habachi s'attache en effet à relier les questions existentielles d'aujourd'hui à la longue histoire culturelle et religieuse de la Méditerranée.

1. 3 La formation philosophique

Habachi qui se dit "très attentif aux courants existentialiste et personnaliste, tels qu'ils s'expriment depuis les années 1933-36"(RPM 9), poursuit ses études en France et plus particulièrement à Grenoble, haut-lieu du mouvement personnaliste, où il s'ouvre à l'influence des grands maîtres du personnalisme français. Entre 1937 et 1939, il rédigeà Grenoble une thèse de doctorat sous la direction de Jacques Chevalier. Ce dernier est fortement marqué par le groupe d'intellectuels catholiques de gauche de la rewe Esprit, source initiale du mouyement personnaliste conjointement avec "L'Ordre Nouveau»'· et Alexandre Marc. Le premier numéro de la rewe Esprit fondée par Emmanuel Mounier paraît en octobre 1932.'"

Intitulée

Larecherchede lapersonneà travers l'expérience philosophique de Maine de Biran, la thèse doctorale de Habachi propose une analyse de type existentialiste du philosophe français Maine de Biran (1766-1824) et témoigne également de son cheminement personnel.

J'avais choisi le Journal Intime précisément pour montrer combien la philosophie biranienne est en situation par rapport à sa vie (...]. Biran m'apparaissait avoir traversé trois étapes : l'homme sensible, l'homme de

7. Christian Roy, Alexandre Marc et lajeune Europe (1904-1934) : L'O,dre Nouveau aux origines

du

personnalisme. Nice, Presses d'Europe, 1999, 587 p.

7 b Voir John

Hellm~

Emmanuel Mounier and the CatholieLeft 1930-1950. Toronto,

(26)

Chapitre 1 /12/18

l'effo~l'homme de la grâce,

à

travers lesquelles se développait par cercles concentriques une même notion: celle de personne humaine, - et non point d'un mouvement systématique, mais par déséquilibre etrévolution de tout l'acquis des étapes antérieures. La vision qui en ressonait alors renversait toutes les perspectives. L'axe de la vie humaine n'est plus ni le corps ni l'esprit, mais Dieu lui-même. Et nous sommes plus ou moins "personne" selon notre présence ou notre absence

à

Dieu. Le centre du monde c'est Dieu lui-même, autour de quoi tourne l'homme comme un principe actif et libre, un transformateur d'énergie. (pM 1 26)

Les titres de chapitre de la thèse sont aussi significatifs que ceux de la plupart des pubücations de Habachi. Parallèlement au contenu de l'ouvrage, ils esquissent un profil qui rappelle sa propre démarche. L'introduction suggère un itinéraire qui pan à la rencontre de l'homme sensible (chapitre 1). Cette rencontre s'achemine vers l'approche de l'unité personnelle vue

à

traverslaperspective de l'homme de l'effort (chapitre 2) et passe ensuite àla confrontation de la personne humaine concernée par l'homme de la grâce (chapitre 3), pour aborder enfin le dynamisme de la personne (conclusion). Les questions que Habachi pose à ('absurdité existentielle ne sont qu'un début. En 1984, il demande encore dans

Le

trallsgresseur :

le sens de l'être, extrême fleur de la métaphysique, peut-il éclore dans une intelügence en sécession d'avec l'homme total, pensant et souffrant? N'est pas métaphysicien qui veut. L'expérience savoureuse de l'être flue et reflue selon les niveaux de la vie et selon l'ouverture de la conscience au ruissellement de l'exister. Et lorsqu'eUe se risque aux approches de sa

source -

au coeur des substances, des formesetdes essences emponées dans leur devenir - cen'est pas un objet qu'elle saisit : elle se trouve saisie par cet Acte Pur, équivalent rationnel de Dieu, Sujet par excellence, dont le débordement créationnel suscite l'hommeàdevenir sujet." (T 127)

La thèse est publiée en 1957, quelques 20 ans plus tard, aux Presses de l'Université Libanaise de Beyrouth. Habachi la dédie alors àson directeur en ces termes: "ÀJacques Chevalier mon professeur

à

Grenoble, de 1937

à

1939, qui faisait de son enseignement une recherche vivante et un témoignage" (RPM 10). Cette dédicace compone une affirmation

(27)

Chapitre 1 /13/19 imponante dont la teneur est précisée dans le premier cahier

Vers une pensée

méditerranéenne(1956):

C'est aussi contre cette neutralisation du singulier que se dresse d'abord BergsonpuisJacques Chevalier, en marge de l'existentialisme. (Il faut s'en souvenir puisque précisément, cette indifférence au singulier sera le cri d'alarme pour la philosophie nouvelle.) Cet appel ne pouvait éveiller [...] la disponibilité d'Aristote, beaucoup trop pris par la structure générale du monde pour se prêter

à

l'urgence de l'individue1.·

Qu'il s'agisse de philosophie nouvelle ou de nouvelle histoire, il importe de constater que Braudel panage l'urgence de l'intuition fondamentale de Habachi quand il dit : "l'homme est autrement complexe" et "l'individu est trop souvent, dans l'histoire, une abstraction." (BrH 21)

Les tendances existentialistes de la pensée de Habachi alors confrontéeàdifférents courants philosophiques se changent en un persoMalisme qui l'accompagne plusieurs années durant, voire tout au long de sa vie. "Si j'adopte le personnalisme comme philosophie centrale, c'est parce qu'avec lui je m'avance

à

la fois à la rencontre de mon passé et de mon présent", écrit Habachi en 1960. (pPT 95)

Sans donner tort

à

Denise Barrat qui, dans son liminaireà

Commencements de la

créature.

affirme que Habachil~ne parle jamais de lui-même et qu'il dit rarement je" (CC 14), il faut bien constater que l'oeuvre de Habachi est parsemée de textes hautement personnels, ce qui laisse croire qu'il réserve

à

l'écriture des confidences qui sont loin d'être négligeables, par exemple la réflexion suivante : "Dieu n'est pas à chercher à l'extérieur commeU-'1Être étranger, mais au-dedans comme en attente de dévoilement. Le Tout-Autre de mon

intimité,

le Tout-Autre en moi" (TdG 95). D'ailleurs, poursuit Barrat, "pour qui le connaît bien, ne serait-ce en quelque sorte être infidèle à son amitié que vouloir évoquer son existence quotidienne pourtant si limpide?" (CC 14) Cette question de Barrat s'adressait probablement

à

l'hol1Qe ou

à

l'ami plutôt qu'au philosophe ou

à

son oeuvre. Dans une lettre datée du Il février 1996, Habachi confie : ULes philosophies qui m'ont influencé sont : pour la veinepersonnaliste,Emmanuel

MOUIÛer,

Jacques

Maritain

et Jean Lacroix; et pour

(28)

Chapitre 1 114120

la veine existentielle : Maine de Biran, Gabriel Marcel, Maurice Zundel

.

et Teilhard de Chardin."

n

réserveà "la générosité d'une mère comme les eaux d'un océan sans bords, et [à] la fierté d'un père heureux de steff'acer dans la croissance de ses enfants", une place de choix.

On parlemaldu plus proche. Mais à l'invitation

à

la vie que me firent mes parentsje réponds oui, dans la gravité de l'âge mûr. Malgré les revers de la famille, ils ont débordé mon attente et comblé mon droit à l'existence. La

main qu'i1~ tendirent vers moi en décidant

ma

naissance, je la recouvre

aujourd'hui demapropremain. Et nous voici contemporains d'une même tendresse. (T 132-3)

1. 4

Les activités

d'enseignement

À

son retour de Grenoble en 1940, année de la déclaration de principe de l'indépendance du Liban,t Habachi occupe un poste de professeur de philosophie à

l' Université du Caire et dans divers lycées. Ses tendances personnalistes ajoutées à ses intérêts philosophiques lui valent ses premiers succès de conférencier auprès d'une intelligentsia qu'il souhaite initier au nouveau tournant de sa pensée. Parallèlementàson enseignement, Habacbi donne des séries de conférences jusqu'au moment où eurent lieu en Égypte les événements qu'on connait : legrand incendie du Caire (janvier 1952); la prise du pouvoir par les militaireset l'abdication de Farouk

1,

dernier roi d'Égypte (juillet 1952); la Guerre des trois jours, appelée aussi "la triple et lâche aggression" de la France, de la Grande Bretagne et d'Israël, qui "faisait suite

à

la nationalisation du Canal [de Suez] et celle-ci au refus des crédits demandés pour le Haut-Barrage, c'est-à-dire en we d'une promotion dans l'économique" (AHD 42). L1exode massif des ressortissants français et britanniques ainsi que celui de plusieurs juifs apatrides jouissant jusque-là du statut de résidents en Égypte creuse une faille culturelle profonde au coeur de l'intelligentsia et provoque un déficit important dans l'économie. Le vide socio-culturel, politique et financier permet alorsà une politique de caractère plus régionaliste de se développer. Un nationalisme arabisant de tendance islamiste et plus radicalisé ne tarde pas à s'affirmeret

9 ceDe principe-, parce que la fin du statut de Protectorat Français ne prend effet qu'en 1943.

(29)

Chapitre 1 115121 às'étendre aux pays environnants.

Suiteà ces événements, Habachi émigre au Liban. Même si le Liban se proclamait terre d' accueü pour les victimes de cet exode, ces départs précipités provoquaient chez certains de ceux qui eurent àles subir, un sentiment de lâche abandon. Par ailleurs, ils représentaient pour tous un véritable déchirement avec la mère-patrie. Habachi l'exprime en ces termes:

S'il appartient au Liban de nous rappeler la synthèse dont nous avons besoin, quegrâces

lui

soit rendues! - Ah! Quand pourrais-je dire tout ce que je dois au Deltadu~detàcetautre delta de cultures qu'est le Liban? Je les joins tous deux dans mon coeuret dans une même supplication, jusqu'au jour où les événements nous permettront de les joindre dans nos

intelligences enfin réconciliées avec elles-mêmes. (pPT 10)

Dans ce contexte, Habachi se préocccupe essentiellement des relations Orient/Occident en Méditerranée dans le but de sauvegarder une identité chrétienne au Liban, dernier espace du fragile destin qu'avaient appris

à

partager le Christianisme et l'Islam au Moyen-Orieat. Sans avoir jamais été formellement militantes, les interventions de Habachi à l'Université d'Al Kahirah au Caire et

à

l'Université LibanaiseàBeyrouth ne se sont jamais voulues conflictuelles. Dans l'espoir de maintenir un Christianisme fortement menacé au Moyen-Orient, Habachi prend part activement aux débats socio-culturels et politiques de l'heure et poursuit le projet d'une pensée philosophique devenue à ses yeux indispensable à la survie d'un Christianisme minoritaire au Liban. "Plus je réfléchis, plus il me semble que dans notre Proche-Orient, seul le Liban pourrait devenir le Liban de la pensée méditerranéenne" (pM

n

29). Habachi est certain que "en notre condition d'homme, s'arracher à l'histoire c'est se défendre d'entrer dans la communauté internationale qui s'ébauche. Sans compter qu'on ne rejoint l'éternité, la superhistoire -qu'à travers le temps" (2M15). fi précise sa position en ces termes: "Certains m'accusent de pessimisme quand

il

me semble voir pour bientôt la fin du christianisme en Proche-Orient, saufau Liban, peut-être.

La

seule chance qui demeure au christianisme libanais, me semble-t-il, c'est de prendre l'initiative du problème social et de l'esprit civique" (pMfi 13). Bien que la pensée de Habachi témoigne philosophiquement d'une Méditerranée menacée, c'est sans pessimisme aucun qu'il incite la minorité chrétienne de ('intelligentsia

(30)

Chapitre 1 116111 libanaise, privilégiée par sa double culture et favorisée par ses moyens financiers,

à

développer une identité méditerranéenne qui assurera la survie du Christianisme en milieu arabisant. Habachi n'est pas seul àsouligner le rôle unique que pourrait jouer le Liban. Michel Hayek abonde également dans ce sens lorsqu'il écrira en 1972, à propos du Liban~

"Les responsabilités qui sont les siennes ne relèvent pas des droits classiques des États, mais des exigences spirituelles de l'histoire".Il

Jusqu'au début de 1969,Habachi enseigneàl'Université Libanaise de Beyrouth.

n

chercheàpromouvoir une solide formation philosophique chez ses étudiants et dans les milieux intéressés par la question socio-culturelle au Moyen-Orient. Comme au Caire, Habachi s'adresse à un auditoire composé d'une minorité cultivée et principalement chrétienne, sans exclure les adeptes d'autres religions. Il prend la relève d'un "cours public commencéàl'hiver 195Sàl'Institut de Lettres Orientales dirigé par le Père Le Génissel" (pM 15). En 1956,l'Institut de Lettres Orientales publie le premier des quatre cahiers Vers une pensée méditerranéenne.

L'Institut de Lettres Orientales de l'Université Saint-Joseph fut une institution très prestigieuse, mais qui a plus ou moins fermé ses portes lors de la guerre du Liban. Il fait aujourd'hui partie de la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de l'Université Saint-Joseph de Beyrouth. La bibliothèque qui fut ceDe de l'Institut fait aujourd'hui partie de la Bibliothèque Orientale, qui appartient également aux Jésuites.11

Les conférences de

Habachi

au Cénacle Libanais entre les années 1955et 1969sont déterminantes pour l'élaboration de sapensée. Sa préoccupation pour la culture au Moyen-Orient témoigne d'un vif intérêt, déjà présent dans ses interventions en Égypte, pour

L'unité de la société humaine., titre d'une conférence donnée par Habachi à la Société

10

ue

13 noteJ ... Michel Hayek est prêtre maronite et auteur notamment deArabes ou le baptême des larmes, Paris, Gallimard, 1972;voir le quotidien le Monde (9 juin 1976).

11 "TheInstitut des Lettres Orientales al Université St-Josephwas once a very prestigious institution, but which more or less closed down because of the war in Lebanon. It isDOW pan ortheFaculté des Lettres et des Sciences Humainesof St-Joseph University; the library it once had isDOWpart ortheBibliothèque Orientale, also the propeny ofthe Jesuits" (renseignemeni fournis par le Professeur Michael Davie, de l'Université

(31)

Chapitre 1 117123

Égyptienne de Droit International à Alexandrie le 3 novembre 1948, et qui révèle un humanisme soucieux de mettre

à

profitlacoexistenœdes religions en Méditerranée, surtout en ce qui concerne le Christianisme et l'Islam. Mais cet humanisme ne sera pas tout

à

fait le même au Liban que celui préconisé par Habachi en Égypte, même s'il s'agit d'une ..idée féconde». Habachi en ést bien conscient lorsqu'il dit en 1954 :

Une idée est féconde, me semble-t-il, lorsqu'à l'usage, elle s'avère riche en développements et en explications. Il ne faut d'ailleurs pas se hâter de chanter victoire; il y a des coïncidences fortuites. Et s'il s'agit, non plus d'Égypte mais du Liban, je ne prétends plus du tout avoir la même assurance, et c'est pourquoi je vous demande par avance pardon des maladresses qui pourraient se psser dans les réflexions de ce soir. Je crois en effet qu'il n'y a qu'un Libanais de longue date pour bien comprendre le Liban.

À

tout autre, même éclairé par une ardente sympathie,

à

tout autre, ily a quelque chose qui résistera. (Lb U 4)

Une seule approche qui a toujours inspiré Habachi est demise : ilfaut pratiquer un type de philosophie où"iln'y a plus de discussion entre l'Immanence et la Transcendance, mais dialogue et altruisme" (NCT

m

55). Mais tout comme l'Égypte de Nasser ne parlait plus de son appartenance à l'Occident, le Liban d'après-guerre taira la sienne, sans plus. Habachi est fermement convaincu que pour exister en tant que personne, l'individu doit d'abord trouver la dignité.

Pour détenniner quelques indices de la condition de la personne en Proche-Orient, il suffit de la saisir en situation dans notre climat culturel. La culture est

à

la fois le reflet des conditions économiques et sociales, et la cause decelles-ci. Dépendant du monde et cependant le surplombant, ilest normal'lU'elle nous renseigne véridiquement. (pPT 113)

Peu après avoir émigré au Liban, Habachi investit ses espoirs dans ce territoire restreint, ce qui nécessite toutefois un témoignage d'authenticité difficile

à

exprimer :

Si le Christianisme doit mourir en nos pays, et

à

supposer qu'aucune reprise d'énergie ne vienne soudainement le ressusciter

à

lui-même, que ce soit au moins dans un geste de générosité. Qu'il ne disparaisse pas par avarice et

(32)

Chapitre 1 111114 sauver et de sa présenceà('histoire qui est sa seule raison d'être. (pM II 14-15)

.

Quandils'agit de répondre à desargumentsqui s'opposentàcette opinion, Habachi devient radical :

Je crois qu'il faut répondre implacablement que dans la mesure où le Liban répondra à ces appels, il deviendra nécessaireaumonde. Autrement il perd le

sens

de

sa

vocation historique[...]. Etsi

l'un

de vous me dit que c'est trop exiger du

Liban

puisqu'il n'est qu'un petit pays,

un

simple coquillage jeté au bord de la Méditerranée, je

.

lui

répondrai : Oubliez-vous que dans ce coquillage vous pouvez entendre la grande voix de l'Océan? (Lb

n

44) Jean-Pierre Péronœl-Hugozl l estégalement persuadé du rôle spécifique réservé à un Liban chrétien. Ilsouligne que le

prodige libanais, naturellement, s'explique. Iltient à mille cinq cents ans d'endurance, de privations, de qui-vive, de drames, de sacrifices, notamment en vies humaines. Ilne s'est pas passé un demi-siècle sans que quelque barbe-bleue politique ne tente d'effacer le non-conformisme libanais, depuis l'an 517 où les Byzantins massacrèrent sur l'Oronte 350 moines de la règle de saint Maron - les premiers maronites. Chez eux fermentait déjà cette passion pour l'indépendance d'esprit et de corps qui devait être ensuite, face à tous les empires, l'apanage de la nation décidément peu commune que sont, en Orient proche, les chrétiens du Liban. (UC 12)

Pour Habachi,

la seule chance qui demeure au christianisme libanais, [...] c'est de prendre l'initiative du problème social et de l'esprit civique: promouvoir un nouvel ordre social appuyé sur une justice distributive plus équitable d'unep~et d'autre part animer de qualités de conscience chrétiennes les rouages administratifs et les institutions. Je ne dis pas que ceDes-ci sont l'apanage des chrétiens, mais au contraire, qu'on ne peut appanenir au christianisme

11 Journaliste auMonde. auteur d'un essai sur l'intégrisme islamiqueenOrient arabe9Le

(33)

Chapitre 1 119125

sans les cultiver. (pM

n

13)

En plus de

son

enseignement àl'Université deBeyrou~Habachi participe avec assiduité

aux activités

du

Cénacle

Libanais. Ce centre culturel

a

joué

un

rôle très imponant

dansle développement delapensée méditerranéenne et du dialogue islamo-chrétien. Une liste des conférences données

au

Cénacle Libanais en 1964-65 témoigne de la diversité de

la

mise

en commun des cultures et des idées. Cette liste

a

été publiée dans un fascicule du Cénacle Libanais qui comprend les conférences de Jawad Boulos (I8 Jan. 1965) et de Habachi(15 fév. 1965).IJ

CONFÉRENCES DU CYCLE 1964- 65 ~en français IIlIen anglais..

CONFÉRENcIERS ÉTRANGERS

BARRATyDenise. Témoignagesurlcs témoins: François Mauriac.JeanAnnouche.Louis

Massigno~ Pierre Emmanuel~

BERQUE.Jacqucsy Problèmesde la culturearabecontemporaineIII

BLANCHET. Émile, Problèmesde la jeunesse dyaujourdYhui~

DUCHAUA,~ Vipgtans au servicedela diplomatieIII

FOURASTIÉ.Je~ La civilisationen devenir~

LAHBABlyMohamedAm, L'èrede la détraumatisation~

METTRA.Jacques, Deuxécrivainsdevantl'événement: Charles PéguyetRomain Rollandfi'

SUJETSDIVERS

ALM.1EDDINaNagib. Les fondements d'une industrie touristique libanaise ASMAR. Michel, Commémoration du Souvenir de Badr Chaker As-Sayyab

AS-SAYYAB.Mustapha, Commémoration du Souvenir deBadrChaker As-Sayyab DEMESHKŒ, Nadim, Inquiétudes du Tiers-Monde à la Conférence deGenève sur

le Conunerce et le Développement

EL HASSAN. Hassan, Prestigede l'infonnationetsesmoyens techniqucs EL OMARI, Nather, Commémoration du Souvenir deBadrChaker As-Sayyab FADLI OAJAN!, Nahida, Commémoration du Souvenir de Badr Chaker As.Sayyab

LAHAM,Edouard, Lerôle des glandes endocrines dans le développement del'individu. Incidences psycho-socialesIII

MORIN, Lucy Commémoration du SouvenirdeBadrChaker As·SayyabIII

SAlO,Khalida, Conunémoration du Souvenir de Badr Chaker As-Sayyab

.

COORDoNNÉEsLIBANAISES64--65

M-fMOUN. Fouad, LeLiban dans la fraternité arabe ARIDlyBéchir. Lapolitique

ASMAR, MicheL La vie culturelle

BOULOS, Jawad, Lepatrimoine libanais et sa réactivation~

GHORRA, Edouard, La collaboration desémigrésau devenir national HABACHI. René, Générations nouvelles: engagement 1965~

HAFEZ,~ La vie économique

Références

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