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Vivre avec un syndrome de stress post-traumatique : l'expérience et l'impact du diagnostic pour des militaires français

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Academic year: 2021

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Texte intégral

(1)

Vivre avec un syndrome de stress post-traumatique :

l’expérience et l’impact du diagnostic pour des

militaires français

Mémoire

Servane ROUPNEL

Maîtrise en anthropologie

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

(2)

Vivre avec un syndrome de stress post-traumatique :

l’expérience et l’impact du diagnostic pour des

militaires français

Mémoire

Servane ROUPNEL

Sous la direction de :

(3)

iii

Résumé

Ce mémoire de maitrise porte sur deux axes principaux : la mise en diagnostic et les enjeux que cela représente pour l’individu ainsi que la question du syndrome de stress post-traumatique (SSPT) dans une population particulière, celle des militaires français. À travers une étude de différents concepts anthropologiques tels que la sous-culture militaire, l’anthropologie du corps, de la mémoire et du discours, le travail de terrain a permis de mettre de l’avant l’expérience et l’impact du diagnostic du syndrome de stress post-traumatique. Les différentes étapes de la mise en diagnostic sont présentées afin de découvrir comment est vécue l’officialisation de ce trouble. Il est alors expliqué le paradoxe propre à ce diagnostic qui est posé, peu importe le type de choc traumatique à l’origine du SSPT. Cela permet de comprendre pourquoi le diagnostic du syndrome de stress post-traumatique reste un véritable enjeu lorsqu’il est question de la population militaire.

Bien que de plus en plus de recherches existent sur le sujet au Canada ou aux États-Unis, la question en France reste encore en développement. C’est pourquoi cette recherche permet de découvrir la perception du trouble pour l’individu atteint et ses proches, la prévention et la prise en charge du stress post-traumatique à travers le diagnostic proposé actuellement.

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iv

Abstract

This master's thesis focuses on two main areas: the problem for the implementation of the diagnosis with the challenges that this represents for the individual; and the issue of post-traumatic stress disorder in a particular population, the French military. Through a study of different anthropological concepts such as military subculture, anthropology of the body, memory and discourse, field work has put forward the experience and impact of the diagnosis of post-traumatic stress disorder.

The various stages of diagnosis implementation will be presented in order to discover how the officialization of this disorder is lived. The paradox to this diagnosis will then be put forward, regardless of the type of traumatic shock. This will explain why the diagnosis of post-traumatic stress disorder remains a real problem when it comes to the military population.

Although research exists on the subject in Canada and the United States, the matter in France is still in development. This is why this research makes it possible to discover the perception of the disorder for the affected individual as well as his family, its prevention and management through the diagnosis currently proposed.

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v

Table des matières

Résumé ... iii

Abstract ... iv

Table des matières ... v

Liste des illustrations ... viii

Épigraphe ... ix

Remerciements ... x

Introduction ... 1

Chapitre 1. Le diagnostic du syndrome de stress post-traumatique chez les militaires français ... 3

1.1. L’apparition du syndrome de stress post-traumatique et symptomatologie ... 3

1.2. Prévalence du syndrome de stress post-traumatique dans la population militaire ... 6

1.3. Plans d’action de l’armée française ... 9

1.4. Problématique et questions de recherche ... 10

Chapitre 2. Perspective anthropologique de la maladie chez les militaires ... 12

2.1. La sous-culture militaire ... 12

2.2. Anthropologie du corps ... 14

2.2.1. Le concept du démobilisé et la question de la réintégration à la vie civile ... 15

2.2.2. Le corps et la maladie ... 17

2.3. Anthropologie de la mémoire ... 19

2.3.1. Mémoire collective ... 20

2.3.2. Mémoire sélective, traumatisme et secret pathogène ... 21

2.4. Anthropologie du discours ... 22

2.4.1. Le discours au sein du processus de soutien psychologique ... 24

2.4.2. Le discours médical et la construction diagnostique ... 25

2.4.3. La limite du discours : la question du tabou du SSPT ... 27

2.5. Le processus de victimisation propre au diagnostic du SSPT ... 28

Chapitre 3. Méthodologie et expérience de terrain ... 31

3.1. Le récit de l’engagement ... 31

3.2. Choix du terrain, recrutement et échantillonnage ... 33

(6)

vi

3.4. Traitement des données ... 40

Chapitre 4. L’expérience du syndrome de stress post-traumatique ... 42

4.1. Le retour de mission ... 42

4.1.1. Les sas de décompression ... 43

4.1.2. Parler de son expérience traumatique ... 43

4.2. Se faire diagnostiquer ... 44

4.2.1. Les étapes de la mise en diagnostic ... 45

4.2.2. La réaction des proches ... 47

4.2.3. Parler de son diagnostic ... 49

4.2.4. Les risques inhérents à la mise en diagnostic ... 51

4.3. L’après-diagnostic ... 52

4.3.1. Le suivi psychologique ... 52

4.3.2. Les démarches administratives ... 55

4.3.3. Lien avec l’armée suite au diagnostic ... 57

4.4. Le SSPT au sein du milieu militaire ... 58

4.4.1. La formation des militaires sur le stress post-traumatique ... 58

4.4.2. L’augmentation du nombre de diagnostiqués ... 60

4.4.3. La conception du SSPT pour les militaires atteints ... 61

Chapitre 5. L’impact du diagnostic du syndrome de stress post-traumatique chez les militaires français ... 63

5.1. Histoire et valeurs de la sous-culture militaire française ... 63

5.1.1. Poids historique et culpabilité ... 63

5.1.2. Valeurs militaires et problème du discours ... 64

5.2. Impact du diagnostic sur le soldat ... 66

5.2.1. Identité de soldat et tabou de la faiblesse ... 66

5.2.2. La transition au monde civil ... 69

5.2.3. La formation face à la surinformation ... 70

5.3. Les paradoxes du diagnostic ... 72

Conclusion – Un diagnostic et une prise en charge trop généralisés ... 77

Annexe 1. Schéma d’entrevues pour les militaires atteints de stress post-traumatique ... 83

Annexe 2. Schéma d’entrevues pour les militaires non atteints de stress post-traumatique ... 85

(7)

vii

Bibliographie ... 86 Filmographie ... 91

(8)

viii

Liste des illustrations

Figure 1. Liste des symptômes du syndrome de stress post-traumatique du DSM-V ………5 Tableau 1. Statistiques du nombre de suicides et de morts au combat chez les militaires

américains de 2002 à 2012 ……… 7

Tableau 2. Statistiques du nombre de suicides et de morts au combat dans les forces

canadiennes de 2002 à 2012 ………7

Tableau 3. Statistiques du nombre de suicides et de morts au combat chez les militaires

français de 2002 à 2012 …... 8

(9)

ix

« Si vous traversez l’Enfer, continuez d’avancer » (Winston Churchill)

(10)

x

Remerciements

Je tiens, tout d’abord, à remercier ma directrice de recherche, Michelle Daveluy. S’embarquer dans un sujet tel que celui-ci n’est pas des plus facile dans notre discipline, mais son dévouement et son intérêt pour mon projet m’ont porté à aller toujours plus loin dans mon questionnement. Son support et son encadrement m’ont permis de toujours me remettre en question afin de développer au mieux mon projet et de devenir une véritable chercheure. Sa capacité de me laisser libre de mes choix tout en m’encourageant et me dirigeant m’a permis de vivre entièrement tout ce parcours. Merci d’avoir été un tel mentor.

Je voudrais également mettre de l’avant l’inconditionnel support de mes parents Denis et Dany, qui m’ont permis de vivre mes rêves et sans qui je n’aurais jamais réussi à aller jusqu’au bout de ce processus. Merci pour tous vos sacrifices qui me permettent de devenir une personne dont vous serez fière. Ce mémoire n’aurait pas vu le jour sans le soutien de ma meilleure amie Sylvie (et de ses parents), de mes amis Johanna, Moira et Kintxo, ainsi que de mes deux meilleurs amis français Hugo et Pierre-Guillaume qui auront dû supporter tous mes questionnements, hésitations, et discours sur les militaires et le traumatisme.

Merci également à tous ces hommes et femmes qui ont accepté de participer à ma recherche. Sans eux tout ce travail n’aurait pas abouti. Merci d’avoir partagé avec moi vos souvenirs, votre force et votre générosité. Je vous souhaite le meilleur dans ce combat que vous menez chaque jour.

Enfin, je souhaite dédier cet écrit à trois membres de ma famille. Nadine, ma tante, qui tout au long de mon processus d’écriture aura toujours été là malgré son combat contre la maladie. Mon grand-père Denis qui n’aura jamais eu la chance d’étudier, mais qui aura dédié sa vie pour que sa famille puisse découvrir le plaisir d’apprendre. Mon grand-père Louis, ancien militaire lors de la Seconde Guerre mondiale, qui aura sans aucun doute contribué à mon choix de recherche, aujourd’hui devenu une réelle passion.

Pleins d’autres encore doivent être remerciés : mes cousines et leurs conjoints, mes oncles et tantes, ma sœur, etc. Sans un support moral, le processus de recherche serait très difficile à vivre. Merci à toutes et à tous, vous êtes les porteurs de ce mémoire.

(11)

1

Introduction

Le stress post-traumatique est un trouble psychologique qui peut être ressenti par toute la population soumise à un événement violent. Le déclencheur de cet état provient d’un « choc traumatique », autrement dit d’un moment où l’individu sent sa vie menacée ou est témoin d’une violence extrême ou d’une mort violente. Tout être humain peut donc, après avoir été confronté à un événement traumatique, développer un stress post-traumatique.

Aujourd’hui, de nombreuses personnes connaissent l’existence du diagnostic du syndrome de stress post-traumatique. Il est plus fréquent d’en entendre parler par des spécialistes notamment lors de la mise en place des cellules de crise en milieu civil suite à des catastrophes naturelles ou des attentats. Le milieu médical propose une explication sur les symptômes qui apparaissent et plusieurs solutions afin de lutter contre ce trouble. Mais pour cela, toute une démarche personnelle doit avoir lieu. En effet, maintenant que le stress post-traumatique est officiellement défini par le milieu médical, il est possible d’aller se faire diagnostiquer et d’obtenir un traitement.

Toutefois, se faire diagnostiquer comme étant atteint d’une maladie quelconque ne va pas de soi et n’est pas aussi simple que ça. Le diagnostic implique de nombreux changements dans la vie d’un individu que ce soit d’un point de vue public ou privé. Par exemple, une personne qui jusqu’à présent était considérée comme un homme, un père de famille ou encore un travailleur devient un patient, un malade, une personne incapable de travailler. Le diagnostic médical a donc un impact sur l’individu et son entourage.

De plus en plus de films tels que « Brothers » de Jim Sheridan (2010) ou « Of Men and War » de Laurent Bécue-Renard (2014) montrent l’impact du syndrome de stress post-traumatique (SSPT) dans la vie des soldats. Nous observons la souffrance de ces hommes et de ces femmes, soumis à des souvenirs traumatiques d’une telle violence que, lorsqu’ils rentrent chez eux, ils ne sont plus eux-mêmes. Ce que l’on découvre dans ces fictions n’est malheureusement pas purement fictif. Le SSPT est une réalité de plus en plus prégnante chez les militaires de retour d’opération. Lorsqu’ils quittent leurs terrains de combat, c’est un autre ennemi qui s’avance vers eux.

(12)

2

Les statistiques françaises sont probantes : en 2012, le nombre de militaires morts par suicide est trois fois plus élevé que celui de morts au combat. Même si les chiffres diffèrent, pour la même année dans l’armée américaine comme dans les Forces armées canadiennes, on recense aussi plus de soldats mettant fin à leur propre vie que de morts sur le théâtre des opérations (Ministère de la Défense, 2013a). En bref, il y a, encore aujourd’hui, une forte importance du nombre de suicides au sein de l’armée en comparaison du nombre de victimes au combat. Les différentes mesures de prévention du suicide ou de traitement des détresses psychologiques mises en place au cours des années grâce, notamment, au diagnostic du SSPT, n’ont donc pas l’effet souhaité sur le taux de suicide.

C’est pourquoi je me suis penchée sur la mise en diagnostic du syndrome de stress post-traumatique au sein d’une population particulière : les militaires français. En effet, de par leur métier, ces hommes et femmes sont confrontés à de nombreux chocs traumatiques et représentent donc une population pouvant développer fréquemment ce genre de trouble. Ce mémoire a pour but de comprendre comment est vécue cette mise en diagnostic par les militaires et l’impact que cette dernière a sur leur vie et leur réintégration à la vie civile. Dans le premier chapitre, je reviens sur le contexte dans lequel s’inscrit cette recherche en parcourant l’historique du syndrome de stress post-traumatique, en revenant sur des données statistiques ainsi que sur les principaux symptômes associés. Cette contextualisation m’amène par la suite aux différents concepts qui permettent de comprendre comment le questionnement s’inscrit dans la discipline anthropologique à travers la notion de sous-culture militaire et l’anthropologie du corps, de la mémoire et du discours. Suite au travail bibliographique, la recherche s’est concrétisée par le travail de terrain dont la méthodologie est expliquée au chapitre 3. Y sont discutées la manière dont j’ai organisé ma recherche et l’expérience même de terrain auprès de douze militaires et anciens militaires français. Le chapitre 4, présente alors les résultats de la recherche, obtenus lors de mes entrevues. Divisé en trois parties, je reviens sur le retour des missions extérieures, sur le fait de vivre avec un syndrome de stress post-traumatique et enfin, sur le diagnostic en lui-même. Enfin, le chapitre 5 analyse l’impact du diagnostic sur les militaires français ainsi que le paradoxe de ce diagnostic qui est posé, sans différenciation, pour tous types de chocs traumatiques.

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3

Chapitre 1. Le diagnostic du syndrome de stress

post-traumatique chez les militaires français

Le « stress post-traumatique » a été présent dans la plupart des guerres dans le monde, dans le sens où des militaires souffraient d’un mal psychique suite aux opérations sur le terrain. Toutefois, le terme officiel de « syndrome de stress post-traumatique » ne fût pas tout de suite utilisé. En effet, bien qu’aujourd’hui il soit un trouble connu et reconnu dans le domaine médical et dans la société française, le syndrome de stress post-traumatique a un diagnostic assez récent. Afin de comprendre le contexte dans lequel s’inscrit la problématique de recherche, revenons sur l’aspect historique de l’apparition du diagnostic. Cela permet, par la suite, de discuter de sa présence au sein des armées à travers un retour quantitatif sur le nombre de soldats mettant fin à leur vie. Puis, je me concentre sur la société française en définissant les différents plans d’action mis en place pour prévenir et traiter le SSPT. Enfin, cette contextualisation définit plus précisément les questions de recherche sur lesquelles se base ce mémoire.

1.1. L’apparition du syndrome de stress post-traumatique et

symptomatologie

Les armées notèrent de nombreux troubles psychologiques ressentis par leurs soldats, au fur et à mesure des conflits et de l’augmentation du nombre de personnes atteintes. Ainsi, Gabriel (1991 : 10) nous explique qu’ « au cours de la Seconde Guerre mondiale, les troupes américaines perdirent 504 000 hommes du fait de traumatismes mentaux, soit l’effectif total de 50 divisions ». De plus, « […] dans tous les conflits engagés depuis la Première Guerre mondiale, les Américains ont déploré un nombre de pertes pour causes psychiatriques supérieures à celui de leurs morts par balle ou obus » (1991 : 28).

Les termes utilisés pour désigner cette « défaillance » psychique passèrent alors de trouble affectif du soldat, au terme de « soldier’s heart » (Anciens combattants, 2006) ou encore de « névrose de guerre », et ce n’est que dans les années 1980 qu’apparaît le terme de « syndrome de stress post-traumatique » dans un contexte social bien particulier : l’après-guerre du Vietnam.

(14)

4

Comme nous l’explique Baeriswyl (2011 : 1), « Un chiffre à lui seul résume l’ampleur du problème : 25 ans après la guerre du Vietnam, en 1997, l’armée américaine a recensé 102 000 cas de suicides de vétérans, soit deux fois plus que l’ensemble de ses pertes au combat … ». C’est donc dans ce contexte que l’association américaine des psychiatres recense le SSPT dans son ouvrage de classification, le « Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux », le DSM-III (Andru-Dutailly, 2009 : 48). Dès lors est défini le possible déclencheur du trouble (un stress intense, notamment par contact avec la mort) ainsi que les catégories de symptômes qui peuvent apparaître des mois voire des années après le retour de combat et être persistant.

Depuis que le syndrome de stress post-traumatique est défini médicalement, dans un ouvrage de référence, il est possible de préciser les catégories de symptômes que peuvent développer les personnes atteintes de ce trouble (voir figure 1). On catégorise ces symptômes en trois grands types : l’intrusion, l’évitement et l’hyperéveil. L’intrusion consiste en des images, des pensées, etc. qui remémorent l’événement traumatique. L’évitement représente les différents moyens mis en place par le malade pour éviter tous les stimuli ressemblant au traumatisme tels que l’évitement phobique, le retrait ou encore la dissociation. Enfin, l’hyperéveil amène la victime à un état de constante vigilance pouvant se manifester par de l’irritabilité, de la colère, etc. (Bras et al., 2011 : 681).

Ces symptômes sont à l’origine d’une détresse intense chez les victimes qui ressentent alors des émotions comme la culpabilité, la peur ou la colère. Une des principales caractéristiques de cette maladie psychologique est une forte anxiété qui « […] s’accompagne souvent d’une série de symptômes physiques qui sont en soi très effrayants. Dans certains cas, les personnes qui éprouvent ces symptômes craignent de mourir d’une crise cardiaque ou de perdre la raison » (Anciens combattants, 2006 : 12).

Pour être officiellement diagnostiqué comme étant atteint de ce trouble, le patient doit développer suffisamment de symptômes afin que tous les critères du diagnostic se manifestent (Paré, 2011). De plus, comme le montre le critère F dans la liste à la figure 1, les symptômes doivent avoir occurrence depuis au minimum un mois. Les militaires atteints de syndrome de stress post-traumatique sont donc soumis à plusieurs épisodes douloureux tant psychologiquement que physiquement rendant leur vie personnelle très difficile.

(15)

5

Figure 1. Liste des symptômes du syndrome de stress post-traumatique du DSM-V A. Exposition à la mort, à une menace de mort, à une blessure grave ou à de la violence

sexuelle, soit en tant que victime, soit comme témoin immédiat, soit en apprenant qu’un tel événement traumatisant s’est produit envers une personne chère, soit en étant exposé de manière répétée ou extrême à des détails horrifiants d’un événement. B. Présence récurrente et involontaire de souvenirs envahissants, de rêves troublants, ou de réminiscences (flashbacks) liés à l’événement traumatique, ou encore détresse psychologique intense et prolongée ou réactions physiologiques marquées à des déclencheurs qui rappellent l’événement.

C. Comportements d’évitement face aux souvenirs, pensées, sentiments et situations qui peuvent rappeler l’événement traumatique.

D. Altération des pensées et de l’humeur comprenant au moins deux des sept symptômes suivants :

a. perte de mémoire face à certains éléments importants de l’événement;

b. persistance de croyances négatives ou d’attentes exagérées face à soi-même, aux autres, ou au monde en général;

c. pensées déformées sur la cause et les conséquences de l’événement amenant la personne à se blâmer ou à blâmer les autres;

d. persistance d’un état émotionnel négatif;

e. diminution marquée de l’intérêt ou de la participation à des activités significatives; f. sentiment de détachement et d’aliénation des autres;

g. incapacité persistante à éprouver des émotions positives.

E. Changements marqués dans l’excitation et la réactivité comprenant au moins deux des six symptômes suivants :

a. comportement irritable et accès de colère non provoqués s’exprimant par des agressions verbales ou physiques envers d’autres;

b. comportement imprudent ou autodestructeur; c. hyper vigilance;

d. réactions de surprise exagérées; e. problèmes de concentration; f. perturbation du sommeil.

F. « La durée des perturbations liées aux critères B, C, D et E est de plus d’un mois ». G. « La perturbation entraîne, sur le plan clinique, une détresse ou une incapacité

importante dans les dimensions sociale, professionnelle, ou toute autre dimension importante du fonctionnement. »

H. « La perturbation n’est pas attribuable aux effets physiologiques d’une substance […] ou d’un autre état pathologique. »

(Tableau diagnostic tiré du DSM-V dans Paré J.R., 2011 (révisé le 3 septembre 2013), « Trouble de stress post-traumatique et santé mentale du personnel militaire et des vétérans », Bibliothèque du Parlement, Ottawa, Canada)

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6

1.2. Prévalence du syndrome de stress post-traumatique dans la

population militaire

Après avoir présenté le diagnostic dans sa généralité, voyons sa prévalence au sein de la population militaire à travers différentes statistiques. Pour cela, j’ai comparé le taux de suicide dans l’armée américaine, les Forces armées canadiennes et les armées françaises1

entre les années 2002 et 2012. Par la suite, j’ai confronté ces données au nombre de décès au combat, de ces mêmes militaires. Cela permet de mettre en contexte l’évolution de ces statistiques et de considérer la place du suicide au sein de ces armées2.

Les effectifs de ces trois armées ne sont pas équivalents. En effet, en 2011, on compte 1 434 312 militaires pour l’Armée américaine, et en 2012, on recense 58 135 militaires pour la Force régulière canadienne (Défense nationale et les Forces armées canadiennes, 2014) alors que les armées françaises dénombrent 217 114 militaires (Ministère de la Défense, 2013a), soit 3.7 fois plus que les Forces canadiennes. Tout de même, les tableaux ci-dessous montrent que le taux de suicide n’a pas grandement évolué en 10 ans. Toutefois, nous observons que l’armée américaine est la seule armée (dans notre comparaison) où le nombre de suicides est moindre que celui de morts au combat. Cependant, de récentes études (Lefèvre, 2014) démontrent qu’à partir de 2013, l’armée américaine dénombre elle aussi plus de suicides que de morts au combat, rejoignant ainsi les statistiques canadienne et française.

1L’institution militaire française regroupe plusieurs armées : armée de terre, armée de l’air, la marine, etc. N’ayant pas de

terme précis pour les nommer dans une seule et même expression, j’utilise « les armées françaises » au pluriel afin de ne pas sous-entendre une sélection parmi ces différentes catégories militaires.

2 N’étant pas une spécialiste des données quantitatives et reconnaissant la complexité d’une réelle analyse quantitative,

(17)

7

Tableau 1. Statistiques du nombre de suicides et de morts au combat chez les militaires américains de 2002 à 2012 (Ministère de la Défense, 2013a)

Année Nombre de suicides (pour 1000) chez les militaires américains

Nombres de militaires américains tués au combat (-taux pour 1000)

2002 Nd Nd 2003 Nd 312 (0.220/00) 2004 197 (0.140/00) 735 (0.510/00) 2005 182 (0.130/00) 739 (0.510/00) 2006 213 (0.150/00) 769 (0.540/00) 2007 211 (0.150/00) 847 (0.590/00) 2008 259 (0.180/00) 352 (0.240/00) 2009 302 (0.210/00) 346 (0.240/00) 2010 289 (0.200/00) 456 (0.320/00) 2011 186 (0.130/00) 394 (0.270/00) 2012 Nd 275 (0.190/00)

Tableau 2. Statistiques du nombre de suicides et de morts au combat dans les Forces canadiennes de 2002 à 2012 (Défense nationale et les Forces armées canadiennes, 2014)

Année Nombre de suicides chez les hommes

des F.C. (- taux pour 1000) Nombres de militaires canadiens tués au combat (-taux pour 1000)

2002 9 (0.150/00) 4 (0.070/00) 2003 9 (0.150/00) 2 (0.030/00) 2004 10 (0.170/00) 1 (0.020/00) 2005 10 (0.170/00) 0 2006 7 (0.120/00) 32 (0.550/00) 2007 9 (0.150/00) 27 (0.460/00) 2008 13 (0.220/00) 27 (0.460/00) 2009 12 (0.210/00) 29 (0.500/00) 2010 12 (0.210/00) 14 (0.240/00) 2011 21 (0.360/00) 2 (0.030/00) 2012 10 (0.170/00) 0

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8

Tableau 3. Statistiques du nombre de suicides et de morts au combat chez les militaires français de 2002 à 2012 (Ministère de la Défense, 2013a)

Année Nombre de suicides chez les militaires

français (- taux pour 1000) Nombre de décès de militaires français imputables au service, hors maladie et hors accidents de trajet (- taux pour

1000) 2002 66 (0.300/00) 37 (0.170/00) 2003 76 (0.350/00) 56 (0.260/00) 2004 64 (0.290/00) 34 (0.160/00) 2005 86 (0.390/00) 26 (0.120/00) 2006 67 (0.310/00) 34 (0.160/00) 2007 69 (0.320/00) 34 (0.160/00) 2008 57 (0.260/00) 23 (0.100/00) 2009 69 (0.320/00) 27 (0.120/00) 2010 66 (0.300/00) 37 (0.170/00) 2011 77 (0.350/00) 29 (0.130/00) 2012 71 (0.330/00) 23 (0.100/00)

Pour les armées canadiennes et françaises, notons qu’il y a eu un pic de suicides durant l’année 2011, mais aussi en 2005 pour les armées françaises. Quant aux taux de morts au combat, il y a eu peu de changements dans les chiffres pour le cas des armées françaises. Par contre, les Forces armées canadiennes montrent un fort tôt de décès au combat entre les années 2006 et 2010. Ces chiffres correspondent au moment où les Forces armées canadiennes ont quitté leur mission de seul maintien de la paix pour s’engager dans des conflits armés. Si on compare maintenant les statistiques du suicide à celles des morts au combat, notons que les suicides représentent presque chaque année le double de décès par rapport à ceux comptabilisés sur le théâtre des opérations pour les armées françaises. Toutefois, lorsque l’on compare les recherches menées au Canada à celles menées en France nous observons le retard de ce dernier pays. Ayant participé au 6ème Forum annuel pour la recherche sur la santé des militaires et des vétérans à Québec, en novembre 2015, j’ai pu constater le développement des connaissances et des projets menés sur le continent nord-américain. Durant ce colloque, de nombreux projets de recherche ont été présentés tant dans le soin et la prévention du personnel militaire que dans la prise en compte et l’impact du trouble dans l’entourage du soldat. Ces conférences ont montré l’importance des études d’un point de vue psychologique et médical, mais également sociologique et anthropologique. Voyons maintenant ce qu’il en est précisément pour les années françaises.

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9

1.3. Plans d’action de l’armée française

En France, les recherches sont assez récentes et des actions se mettent en place depuis seulement quelques années avec trois composantes principales :

- La prévention primaire, qui porte sur la modification des comportements visant à réduire le risque d’apparition de cas nouveaux.

- La prévention secondaire, qui vise à réduire de manière significative la durée et l’intensité d’évolutions des troubles engendrés.

- La prévention tertiaire, s’attachant à réparer la souffrance mentale et à réinsérer le personnel en difficulté. (Ministère de la Défense, 2013c)

Un premier plan d’action a été formé par le Ministère de la Défense le 10 mars 2011 avec pour principaux objectifs une politique de prévention en santé des militaires. Ce plan s’est déroulé sur trois années (2011-2013) avec pour titre « Troubles psychiques post-traumatiques dans les armées » (Ministère de la Défense, 2013c). Ce premier plan d’action comprenait neuf axes et 33 actions, dont 23 ont été réalisées tandis que neuf se poursuivent. Ce plan a permis, entre autres, la mise en place de formations pour les médecins et les infirmiers concernant le stress post-traumatique, la création d’un corps de psychologues cliniciens pour servir directement dans les forces, une vaste campagne médiatique pour informer les militaires et leurs proches, etc.

Ce plan se poursuit par un second d’une durée de trois ans également (2013-2015) qui se décline en six objectifs principaux :

1. Mieux informer, prévenir, repérer et diagnostiquer les troubles liés au stress opérationnel et aux traumatismes psychiques.

2. Mieux répondre aux besoins psychosociaux spécifiques du militaire et de sa famille, avant, pendant et après les missions, mais aussi tout au long de sa carrière et au-delà, après son retour à la vie civile.

3. Mieux prendre en charge les conséquences immédiates, à court et à long terme, d’une rencontre avec un événement traumatique au plan psychique.

4. Garantir une juste réparation des états de stress post-traumatiques.

5. Mieux appréhender l’ampleur et l’impact des troubles psychiques résultant du stress opérationnel et du stress post-traumatique liés aux missions des armées. 6. Mieux informer les militaires et leurs familles sur le stress opérationnel, les troubles psychiques post-traumatiques et le dispositif de soutien. (Ministère de la Défense, 2013c).

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Il concourt à mieux sensibiliser les militaires sur la gestion du stress opérationnel et à en prévenir les effets potentiellement délétères, ainsi qu’à sensibiliser l’entourage du blessé psychique, à coordonner les actions de soutien aux familles et aux proches, à s’intégrer davantage dans les réseaux de soins du service public de santé, et enfin à développer le soutien psychologique des forces spéciales. Il cherchera en outre à profiter de l’expérience de nos partenaires et alliés étrangers confrontés également à la prise en charge de ces troubles. (Ministère de la Défense, 2013c).

Ainsi, la France prend de nombreuses mesures afin de prévenir et d’assurer le soutien nécessaire pour ses soldats atteints de troubles psychiques tels que le stress post-traumatique. Toutefois, toutes les actions évoquées par le Ministère de la Défense discutent de prévention et de soutien pour encourager la mise en diagnostic, mais aucune ne se penche sur l’expérience comme telle et l’impact que peut avoir ce même diagnostic sur les soldats. De plus, ces mesures sont très récentes, les résultats de ce deuxième plan d’action devant être évalués en 2016. Les militaires français peuvent donc être témoins de l’évolution de la recherche sur le SSPT sans pour autant en sentir tous les bénéfices désirés.

1.4. Problématique et questions de recherche

Le questionnement de la recherche s’est donc inscrit dans ce contexte particulier afin de comprendre les enjeux de la mise en diagnostic dans le milieu militaire français. En effet, il a été montré que le diagnostic du syndrome de stress post-traumatique est aujourd’hui bien établi tant dans le milieu médical qu’au sein de la société. Toutefois, j’ai remarqué que le nombre de suicides au sein des armées reste important. Voilà pourquoi ma problématique de recherche s’inscrit dans l’après-diagnostic afin de voir concrètement les aspects positifs et négatifs de la mise en diagnostic sur le militaire atteint.

Pour cela, une question de recherche préliminaire était : « Quelle est l’expérience du diagnostic du syndrome de stress post-traumatique chez les militaires français et quel impact a-t-il sur leur réintégration à la vie civile ? ». Cependant, afin de ne pas limiter l’impact du diagnostic uniquement à la réintégration à la vie civile et le considérer dans un sens plus large, la question de recherche est devenue : « Quels sont l’expérience et l’impact du diagnostic du syndrome de stress post-traumatique chez les militaires français ? ».

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En élargissant le questionnement à tous les impacts possibles du diagnostic et à son expérience directe, il est alors possible de se pencher sur des questions identitaires ou encore sur les relations entre le militaire et son entourage sans être limité par la question de la réintégration à la vie civile qui n’est pas inhérente à la mise en diagnostic.

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Chapitre 2. Perspective anthropologique de la maladie

chez les militaires

L’inscription de ce projet de recherche au sein de la discipline anthropologique se fait autour de 5 grands thèmes. Tout d’abord, je discute de la sous-culture militaire, notion développée par de nombreux anthropologues afin de mettre de l’avant comment, au sein d’une culture, l’armée se constitue en une sous-culture particulière. Par la suite, je présente le domaine de l’anthropologie du corps en passant de la question de la maladie, à la notion de la démobilisation du militaire. La troisième partie traite de la mémoire traumatique et du secret pathogène, débouchant sur un nouvel aspect particulier : celui de la mémoire sélective et son lien avec la question du discours. De ce fait, la dernière partie du cadre conceptuel s’appuie sur l’anthropologie du discours vu comme traitement médical, mais aussi comme construction dégageant un aspect du diagnostic du SSPT, celui de la victimisation.

2.1. La sous-culture militaire

De nombreux anthropologues comme Hockey (1986), Hawkins (2001), Frese et al. (2003), English (2004), Thieblemont (1999) et Gresle (2003) souhaitant étudier le milieu militaire ont travaillé sur la notion de sous-culture militaire. Ils ont ainsi étudié les différentes facettes que représente ce milieu pour mettre de l’avant certaines particularités propres à une culture. Comme l’explique English (2004 : 6), « To date, many discussions of military culture have relied on James Burk’s definition of the term, which includes his assertion that military culture is composed of four elements : discipline ; professional ethos ; ceremonial displays and etiquette ; and cohesion and esprit de corps ». Ainsi, lorsque l’on se penche sur l’institution qu’est l’armée nous découvrons qu’elle a une histoire propre. Elle a ses propres codes dont des normes et valeurs incluant le respect, le service du pays, la camaraderie, etc. L’armée a également sa propre organisation et hiérarchie ainsi que ses propres interdictions comme l’explique Hockey (1986). Enfin, l’institution a sa propre culture artistique que ce soit au niveau des chants, des musiques ou encore des cérémonies et des marches.

Définir le contexte militaire comme étant une culture propre a un impact direct sur les membres de l’armée. Comme le précise English (2004 : 16) :

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First, it provides in organization’s members a sense of identity and increases their commitment to the organization. […] Next, culture helps members make sense of or interpret the meaning of organizational events. Third, culture reinforces values held in the organization. Finally, culture serves as a control mechanism, with norms that guide behaviour and shape behaviour.

De plus, comme l’expliquent Hockey (1986) et English (2004), l’organisation structurelle de l’armée permet d’assurer un certain contrôle en situation de combat, car elle apporte de l’ordre dans la confusion et l’ambiguïté propres à la guerre ou aux opérations militaires en général.

Il est donc important ici de comprendre que, l’individu qui décide de s’engager dans l’armée, va passer d’une culture à une autre. Sans pour autant quitter sa culture d’origine, le soldat va, de par sa formation, se conformer aux règles et normes propres au milieu militaire. Hockey (1986) explique que c’est une sorte de désocialisation de la culture d’origine qui permet une resocialisation au sein de la sous-culture militaire et l’acquisition de connaissances spécifiques. Le soldat acquiert de nouvelles valeurs et une nouvelle perception de lui-même tout en lui permettant de nouveaux accomplissements et engagements.

Ce processus va se produire au niveau du milieu de vie (au sein des unités), dans les relations interpersonnelles entre soldats (relations hiérarchiques), dans son code vestimentaire et ses habitudes de vie, mais également dans sa propre perception identitaire. Les militaires, de par leur entrainement, vont se créer une identité commune et sont alors amenés à se reconnaitre comme soldats faisant partie d’une même organisation, d’une même sous-culture.

Définie par Herman et Yareood (2014 : 42) l’identité peut alors être vue comme : […] an inter-subjective concept that is forged in the relations between self/others in a co-constitutive relationship with space. […] On the other hand, we recognize that certain self-understandings can “harden, congeal and crystallise” (Brubaker and Cooper, 2000: 1) and so multiple potential selfhoods can become stabilised into a particular formation within certain contexts; for example, an important facet of basic military training focuses on recruits identifying themselves primarily as soldiers rather than civilians.

En bref, la sous-culture militaire, tout en apportant un nouveau cadre dans lequel s’inscrit l’engagé, définit une nouvelle identité pour ce dernier. Cette identité, bien que vécue

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individuellement, en est une partagée au sein même de la troupe. Cette resocialisation au sein de la sous-culture militaire crée alors un soldat à partir du civil qui décide de s’engager, processus qui prend place notamment au niveau du corps.

2.2. Anthropologie du corps

Afin de définir la place du corps dans la problématique de recherche, j’explique, dans une première partie, la notion de discipline des corps pour comprendre l’enjeu qu’il met en place lorsqu’il est question de la démobilisation des militaires. Puis, dans une seconde partie, je présente le lien entre le corps et la maladie ce qui permet de voir la place du SSPT dans la conception même du corps du militaire atteint de stress post-traumatique.

L’intérêt pour le corps dans la discipline anthropologique est apparu récemment, dans les années 1980-1990 selon Héritier (2003). De là de nombreuses études ont pris place démontrant le corps comme « point d’ancrage de la pensée et de l’ordre social » (Héritier, 2003 : 9). De nombreux auteurs se sont démarqués dans cette discipline comme Le Breton ou encore Scheper-Hugues. Pour tous ces auteurs, le corps est considéré comme quelque chose n’allant pas de soi et étant le produit d’une construction sociale et culturelle : « We will begin from an assumption of the body as simultaneously a physical and symbolic artifact, as both naturally and culturally produced, and securely anchored in a particular historical moment » (Scheper-Hugues & Lock, 1987 : 7). Mais plus que cette construction, l’anthropologie du corps a montré comment le corps est la condition de l’humain, le signe de l’individu, le lieu de sa différence (Le Breton, 1990).

L’œuvre de Le Breton (1990) explique également que ce sont les représentations sociales qui assignent au corps une position spécifique au sein de la société et que la définition du corps est toujours donnée par celle de la personne. En effet, le corps n’est pas une réalité évidente, n’est pas un fait, mais un « construit » culturel, « […] c’est un regard porté sur la personne par les sociétés humaines qui en balisent les contours sans le distinguer la plupart du temps de l’homme qu’il incarne. » (Le Breton, 1990 : 34).

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L’auteur explique comment la place du corps a évolué en fonction des siècles et montre que le corps moderne est aujourd’hui un facteur « d’individuation », c’est-à-dire que « la notion moderne du corps est un effet de la structure individualiste du champ social, une conséquence de la rupture de solidarité qui mêle la personne à un collectif et au cosmos à travers un tissu de correspondances où tout se tient » (Le Breton, 1990 : 23-24). Aujourd’hui le corps est quelque chose autre que soi, qui nous appartient en quelque sorte, tel un objet.

Scheper-Hugues et Lock (1987) vont encore plus loin et distinguent trois types de compréhension du corps au sein de la société : le corps individuel, le corps social et le corps politique. Bien que cette conception puisse être remise en question, il est important d’en faire part pour montrer les différents exercices du pouvoir qui peuvent impacter le corps. En effet, les politiques agissent directement sur le corps, les disciplines, pour permettre la régulation de la population. En plus de contrôler les corps, la société en reproduit le type dont elle a besoin : « Cultures are disciplines that provide codes and social scripts for the domestication of the individual body in conformity to the needs of the social and political order » (Scheper-Hugues et Lock, 1987 : 25-26).

2.2.1. Le concept du démobilisé et la question de la réintégration à la vie civile L’étude de l’anthropologie du corps m’a amenée à la question de la discipline des corps, sujet principalement abordé par Mauss (1936 : 10) qui nous parle du corps comme le premier et le plus naturel instrument de l’homme. Il nous montre ainsi comment, à travers différentes techniques telles que l’éducation, le corps s’inscrit dans une manière particulière de faire, illustrée par la marche militaire spécifique à chaque pays.

Pour Le Breton (1990 : 17-18 ; 105), « le corps est la souche identitaire de l’homme, le lieu et le temps où le monde prend chair à travers un visage singulier (…) Le corps est la condition de l’homme, le lieu de son identité, ce qu’on lui retranche ou ce qu’on lui ajoute modifie son rapport au monde de façon plus ou moins prévisible ». On comprend donc plus particulièrement la discipline que l’on peut imposer sur ce dernier amenant le civil à devenir soldat (Hollingshead (1946) ; Wool (2013a-b) ; Irwin (2002)). Certains auteurs vont même comparer le changement d’identité de la vie militaire à la vie civile (et vice versa), à un rite

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de passage tel que décrit par Van Gennep. Dans son étude de 1909, Les rites de passage, Van Gennep définit trois étapes propres à ce genre de rituel au travers desquelles passe le jeune initié : la séparation (moment où l’initié est séparé de son groupe), la liminarité (étape où s’effectue le rituel proprement dit) et la phase de réintégration (moment où l’initié retourne dans son groupe).

Toutefois, après cette discipline imposée au corps qui socialise l’individu comme militaire, tous les soldats, qu’ils soient atteints ou non de stress post-traumatique, sont amenés à la démobilisation. Tous doivent donc se réintégrer à la société civile. Le concept de démobilisé est un concept très important quant à la question de cette réintégration, car il s’accompagne d’un changement drastique, le passage d’une forme de socialisation à une autre.

Laliberté (2006 :32) définit la démobilisation, comme force de socialisation qui passe par le corps, comme « un acte d’intervention selon lequel un être humain incorpore les modes de vie d’une société en temps de paix, après avoir évolué en temps de guerre ». Autrement dit, le corps du guerrier a été discipliné par l’armée et la guerre, pour se conduire d’une façon bien particulière, le combattant a incorporé les techniques de l’organisation militaire, il est devenu une unité d’un corps de combat.

Lors de son retour de mission, le soldat doit donc se réhabituer aux techniques propres à la société civile qu’il a quittée pendant des mois voire des années. Une rééducation doit prendre place pour mettre de côté la discipline de l’armée pour devenir « invisible, mais unique » (Laliberté, 2006 : 32) dans une société civile : « Le corps du démobilisé incarne cette dynamique, parce qu’avec l’abandon de la discipline corporelle, de l’habit et de l’arme qui symbolisaient le collectivisme, l’engagement et un mode de vie collectif, il devient un corps unique. » (Laliberté, 2006 : 43).

Ce réapprentissage est donc un premier défi pour le militaire de retour de mission. Il doit oublier ce qui a fait son identité de soldat (Routhier, 2004) pour retourner à un statut de « citoyen ». Mais en plus de cet aspect individuel de la démobilisation, des rapports de pouvoir prennent place. En effet, selon Foucault (1975 : 1624), « il faut étudier de quel corps une société a besoin pour en arriver à remettre en question les formes de pouvoir qui la caractérisent. En ce sens, l’étude du corps démobilisé comme corps qui répond à un besoin

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de paix peut être révélatrice des formes de pouvoir liées à l’établissement de la paix. » (Laliberté, 2006 : 32).

En résumé, le corps a une forte importance quant à la réintégration à la société civile. Sur le plan individuel, il amène une reconversion du militaire. Sur un plan plus large, il révèle que le corps du démobilisé est un instrument des instances de pouvoir. Dans cette recherche, le diagnostic du syndrome de stress post-traumatique permet de se demander si le corps dont la société a besoin serait celui du malade pour dépasser le statut de mort au combat et prévenir le suicide au retour du terrain.

Nous comprenons donc bien la place de la discipline des corps dans la sous-culture militaire dans le sens où c’est elle qui construit une facette du soldat transformant le civil en un membre du corps armé. Ainsi, lors de la démobilisation, toute cette construction doit s’effacer afin que le militaire retourne à son statut de civil. Toutefois, la démobilisation ne prend pas nécessairement en compte la présence du SSPT. Il est alors important de voir comment est considérée la maladie lorsqu’il est question du corps, permettant ainsi de comprendre comment le SSPT impacte le retour à la vie civile.

2.2.2. Le corps et la maladie

La médecine et la maladie ont un lien très fort avec le corps. Comme l’explique Le Breton (1990 : 14), « la médecine repose sur une anthropologie résiduelle, elle a fait le pari du corps, estimant possible de soigner la maladie (perçue comme étrangère) et non un malade en tant que tel ». Le médecin dépersonnalise ainsi la maladie, elle n’est plus le produit de l’individu lui-même, mais la preuve d’une défaillance d’un organe quelconque. À travers cette vision, les médecins se permettent de différencier le corps de l’individu, rendant probablement leurs pratiques moins pénibles sur le plan émotionnel, mais dépossédant alors le patient de toute capacité de guérison personnelle. Il devient passif entre les mains du médecin, sa maladie étant presque « extérieure » à lui. « La maladie est autre chose que lui et son effort pour guérir, sa collaboration active, ne sont pas considérées comme essentiels […] On lui demande justement d’être patient, de suivre les recommandations du médecin, la médication et d’attendre les effets. » (Le Breton 1990 : 112).

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Cette idée correspond à un des modèles de la médecine, le modèle biomédical qui privilégie la démarche proprement scientifique, « être malade […] se réduit à avoir une maladie, une « entité morbide » à l’intérieur de l’organisme » (Vannotti, 2016). Toutefois, cette vision de la médecine est déjà remise en cause face aux limites qu’elle définit en ne se concentrant que sur la compréhension et le traitement de la maladie et en omettant le patient et le soin du patient. Engel (1977) a alors présenté un nouveau modèle, le biopsychosocial, considérant la maladie en intégrant les aspects psychologiques et sociaux de celle-ci (Vannotti, 2016). Le patient a donc une place dans la compréhension et l’expérience de sa maladie. Toutefois, ce modèle reste « mal compris et mal utilisé » (Berquin, 2010) rendant la maladie toujours hors de la portée du patient. Le trouble doit donc toujours être traité par les spécialistes du corps, tel que compris scientifiquement, que sont les médecins.

Le rapport entre maladie et corps a donc de nombreux impacts tant sur l’individu comme je viens de le montrer que sur l’aspect social et politique. Scheper-Hugues et Lock (1987 : 10) expliquent que le fait de définir la maladie en tant que telle a eu pour effets secondaires que les médecins s’approprient la maladie tant dans son aspect physique que social pour l’individualiser et la médicaliser plutôt que de la collectiviser et la politiser dans une perspective de recherche en sciences sociales.

Il en est de même alors, pour la définition de la santé qui, comme le précise Fassin (2000 : 96), peut être définie comme le rapport de l’être physique et psychique d’une part et du monde social et politique de l’autre. En plus de ce rapport au médecin se pose la question de la maladie et de la souffrance perçue au sein de la société. Nous l’avons présenté précédemment : « penser le corps est une autre manière de penser le monde et le lien social » selon Le Breton (1990 : 206). Dans cette perspective, la maladie représentant un trouble dans la configuration du corps, elle devient source d’un trouble dans la compréhension du monde (Le Breton, 1990 : 206). Il est alors nécessaire pour le malade de comprendre son trouble, de mettre un mot sur sa maladie pour lui permettre de se réinsérer dans le monde (Le Breton, 1990 : 116). D’où l’enjeu de la mise en diagnostic qui permet de concrétiser le trouble.

En bref, l’anthropologie du corps montre quelle place prend la maladie au sein du corps et son impact dans la conception du monde pour l’individu malade ainsi que la manière dont la

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discipline de ce corps construit l’identité de soldat pour qu’il s’intègre dans la sous-culture militaire. Toutefois, cette identité ne prend pas place uniquement au sein du corps, mais se lie également avec la mémoire qui a un impact dans la définition identitaire de l’individu. Candau (1998 : 6) explique alors que « la mémoire nous façonne et nous la modelons à notre tour. Ceci résume parfaitement la dialectique de la mémoire et de l’identité qui s’épousent l’une l’autre, se fécondent mutuellement, se fondent et se refondent pour produire une trajectoire de vie, une histoire, un mythe, un récit ». C’est pourquoi cette recherche s’inscrit également dans le domaine de l’anthropologie de la mémoire.

2.3. Anthropologie de la mémoire

Le travail sur la mémoire a intéressé l’anthropologie qui s’est interrogée sur la transmission de cette mémoire, son lien avec la notion d’identité, etc. En ce qui concerne le SSPT chez les militaires, je vais m’intéresser plus particulièrement à la mémoire d’un point de vue anthropologique et psychologique à partir notamment des travaux de Candau (1998) et de Young (1995). Plus précisément, il s’agit d’une part, de la mémoire collective comme support de partage mémoriel et de création d’une appartenance à un groupe telle que l’armée et, d’autre part, de la mémoire sélective en lien avec le traumatisme et le secret pathogène. Fentress et Wickham (1992 : 5) expliquent que la mémoire imprègne tous les aspects de notre vie mentale, des plus abstraits et cognitifs au plus physique et inconscients. Ces derniers ajoutent que : « Our memories express the connectedness of our minds to our bodies, and our bodies to the social and natural world around us » (Fentress et Wickham, 1992 : 39). Ainsi, la mémoire est prégnante dans l’individu autant que dans la société ; elle peut donc être décrite comme un « fait social » (Fentress et Wickham, 1992 : 7).

D’un point de vue biologique, il est prouvé qu’il existe plusieurs types de mémoires. Ces différents types de mémoires ont évolué avec le temps, accompagnant ainsi les changements dans différentes disciplines comme la médecine, la psychologie et même l’anthropologie. Pour entrer dans le vif du sujet qu’est le SSPT, il est important de rapporter les propos de Young (1995) qui nous explique :

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A century ago, a new kind of memory was born, at the intersection of two streams of scientific inquiry: somatic and psychological. The somatic stream dates from the 1860s and the discovery of a previously unidentified kind of assault, called “nervous shock”. The psychological stream begins earlier, in the 1790s, and leads to the discovery of a previously unidentified kind of forgetting, called “repression” and “dissociation”. By the 1890s, nervous shock and repression/dissociation have been conjoined to produce the traumatic memory […]. By the end of the nineteenth century, the word « memory » is being used in at least four different ways in the medical literature: it denotes a cognitive skill, such as remembering how to calculate sums; a faculty for storing and retrieving remembrances; a remembrance of a specific past event; and a pathogenic secret. (Young, 1995 : 13 et 28)

Ainsi, la question de la mémoire est importante dans la compréhension du traumatisme. Elle a, dans son aspect individuel, une place primordiale dans la définition du soldat traumatisé et dans l’expérience vécue au combat. En effet, « la symbolisation psychique des divers fragments d’expériences mobilisées dans une situation vécue engage à chaque fois trois formes complémentaires de représentations : sur un mode corporel […], sur un mode imagé et sur un mode verbal » (Tisseron, 2001 : 44).

2.3.1. Mémoire collective

C’est surtout le travail de Halbwachs, en développant la vision de Durkheim, qui amène la notion de mémoire collective :

As Maurice Halbwachs proposed, it can be the images, ideas, and feelings that are shared by people who belong to some group: « [I]t is individuals as group members who remember. While these remembrances are mutually supportive of each other and common to all, individual members still vary in the intensity with which they experience them » (Halbwachs, 1980: 48; also Connerton, 1989). The collective memory can reside not only in individual minds but in practices, standards, apparatuses, and social relations, and in the calculations and documents that these things produce. […] The other kind of collective memory is also a product of history but it is intentional and the work of a particular discipline: psychiatric epidemiology. (Young, 1995: 129)

D’autres auteurs font mention de la mémoire collective en la définissant à partir des mémoires individuelles. Les recherches de Candau (1998 : 52) montrent qu’il y a

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construction d’une mémoire collective lorsque les mémoires individuelles s’ouvrent les unes aux autres tout en visant un objet commun, en ayant un même « horizon d’action ». Il est donc nécessaire de partir de notre mémoire individuelle, qui est influencée par le contexte social, afin d’amener un partage mémoriel. C’est pourquoi Boyer et Wertsch (2009 : 118) expliquent que : « social organization gives a persistent framework into which all detailed recall must fit, and it very powerfully influences both the manner and the matter of recall ». À travers la mémoire collective se crée une appartenance grâce aux souvenirs partagés. C’est ce qui se passe avec les militaires qui partagent souvent leurs expériences et leurs souvenirs (Irwin, 2002). Lors des entrainements, des moments d’attente ou de repos, ils évoquent tous leur savoir, leur vécu aux nouveaux arrivants afin de les préparer : « Les situations d’attente, lorsqu’elles sont inscrites dans des contextes visant à la reproduction de l’expérience opérationnelle, réactivent donc la mémoire collective portée par les membres de la compagnie de combat » (Thura, 2014 :14).

2.3.2. Mémoire sélective, traumatisme et secret pathogène

Discutée par Young (1995 : 28), la question du traumatisme en lien avec la mémoire est une sorte de secret pathogène, car elle est la cause de plusieurs désordres psychologiques tels que le SSPT. Cette notion a émergé à la fin du 19ème siècle, à l’intersection de deux évolutions du champ médical : la connaissance sur la manière dont le traumatisme affecte le système nerveux et, à travers ce dernier, le reste du corps, et la découverte sur la façon dont les secrets pathogènes ont un impact sur la vie mentale des sujets atteints (Young, 1995 : 39). L’auteur précise que la plupart des souvenirs traumatiques ne sont pas vraiment connus et sont cachés par le patient qui les préserve dans son esprit sans même s’en rendre compte (Young, 1995 : 34) : « Facts lost at this moment are lost not simply as the result of the quick fading of the factual content of memory, but also because facts that are not in harmony with our predispositions tend to be filtered out in transmission » (Fentress et Wickham, 1992: 74). De nombreux auteurs nous montrent alors qu’un blocage apparaît : l’oubli. « Les individus envoyés au front, soumis à des conditions éprouvantes d’occupation ou ayant survécu difficilement dans des conditions de pénuries généralisées, s’empressent d’oublier, sitôt la

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guerre finie, la difficulté de ce qu’ils ont vécu » (Tisseron, 2001 : 43). Candau (1998 : 123), explique que l’oubli n’est pas toujours une défaillance de la mémoire, mais qu’il peut être, au contraire, « […] la réussite d’une censure indispensable à la stabilité et à la cohérence de la représentation qu’un individu ou que les membres d’un groupe se font d’eux-mêmes ». C’est à travers ce secret pathogène et l’oubli que l’on peut mettre en évidence la mémoire sélective dont fait preuve le militaire qui sélectionne ce qui peut être raconté et ce qui est « indicible ». Le traumatisme prend une place particulière au sein de l’esprit du sujet et le secret se transforme en une idée fixe exprimée inlassablement, au contraire d’un souvenir ordinaire, car le patient est incapable d’assimiler le sens de ce souvenir traumatique et se retrouve dans une position trop compliquée et difficile (Young, 1995 : 35). Les militaires ayant de tels souvenirs sont sujets à un possible développement du stress post-traumatique et donc à des symptômes particuliers. Cependant, comme l’explique Young (1995 : 83), dans la plupart des cas, ce n’est pas le souvenir du traumatisme qui produit les symptômes physiques et psychiques du stress post-traumatique de guerre, mais plutôt l’inverse : les symptômes représentent la mémoire. Autrement dit, le souvenir n’est pas la cause du syndrome, mais plutôt la façon dont le patient explique son trouble.

On comprend ici toute la difficulté d’amener le discours psychologique pour soigner les soldats atteints de stress post-traumatique. Pourtant il est démontré par de nombreux auteurs que le patient qui se libère de ses surcharges traumatiques se réapproprie son histoire personnelle, « […] condition indispensable pour s’inscrire dans un devenir … » (Candau, 1998 : 56-57). À travers l’expression de ses souvenirs traumatiques le sujet permettra le « relâchement des mécanismes réactionnels de protection du Moi » (Candau, 2005 : 20) et ainsi provoquera la disparition des symptômes pathologiques. D’où l’importance de traiter de la question du discours.

2.4. Anthropologie du discours

L’anthropologie actuelle définit trois orientations distinctes de recherche concernant le discours (Masquelier, 2005). Pour la première, ce sont les travaux de l’ethnographie de la parole et de la communication qui sont spécifiquement centrés sur « la description et

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l’analyse des activités communicationnelles verbales et non verbales, l’action et les stratégies discursives » (Masquelier, 2005 : 76). La seconde est celle de l’anthropologie dialogique qui s’intéresse particulièrement à « la pluralité des voix qui se loge au sein des énoncés comme aux modalités de leur intertextualité » (Masquelier, 2005 : 76). Enfin, la troisième est issue du questionnement des anthropologues quant à la qualité du savoir qu’eux-mêmes produisent.

L’étude du discours tourne donc autant autour de la structure des unités discursives que de la question du rapport social dans les échanges verbaux. Les chercheurs se questionnent sur des aspects particuliers tels que le contexte, la situation et le genre de discours, l’intertextualité, la structure de participation, etc. (Masquelier, 2005 : 78). L’analyse du discours est une voie par laquelle les chercheurs peuvent faire sens d’un environnement social dans lequel les membres viennent à s’exprimer tant verbalement que non verbalement. « It appears that conversation is a strategic research site for studying the ways in which members of a society organize their social interactions » (Labov et Fanschel, 1977: 24). Ainsi, le discours prend plusieurs formes en fonction de ce qui intéresse le chercheur en sciences sociales.

La question du discours et plus spécifiquement celle du témoignage est importante dans cette recherche. En effet, les militaires atteints de SSPT sont amenés à s’exprimer sur leurs blessures, leurs sensations, etc. tant auprès de leur famille qui essaie de les comprendre qu’auprès des médecins. Mais le discours prend également place dans un sens plus large, celui utilisé par les professionnels de la santé dans la définition même du SSPT : un discours bien particulier est porté sur cette maladie en passant de sa cause à ses symptômes. Dans un premier temps, j’analyse la place du discours au sein de la relation psychologique des militaires atteints de syndrome de stress post-traumatique avec le personnel soignant. Cela permet de mettre de l’avant la façon dont s’organisent les discussions thérapeutiques. Puis, je travaille plus précisément sur le discours médical et comment celui-ci conduit à une certaine construction de la réalité, notamment via la construction du diagnostic du syndrome de stress post-traumatique.

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2.4.1. Le discours au sein du processus de soutien psychologique

Bien qu’aujourd’hui de nouvelles techniques soient développées pour traiter le SSPT (telle que la thérapie avec les animaux, etc.), celle utilisée principalement est celle du discours avec le traitement psychothérapeutique. Les militaires traumatisés sont donc amenés, dans un cadre particulier, avec un acteur particulier, à s’exprimer sur leur ressenti, leur passé, etc. En effet, on considère encore présentement que : « Le sujet traumatisé ne s’exprime pas spontanément et attend qu’on l’y invite : si le contexte social ne permet pas cette expression, ses souffrances peuvent rester logées dans quelques lieux corporels ou se manifester par des conduites pathologiques » (Auxemery, 2013b : 335).

Il est donc nécessaire de revenir sur ces discours thérapeutiques qui ont été un objet d’étude pour Labov et Fanschel (1977). Ces auteurs nous expliquent que l’on peut considérer ces discours sous deux perspectives principales : « […] first, as an element in the case history of a patient, illustrating the etiology and dynamics of a disorder as well as its treatment ; second, as a communicative event, a conversation in which therapist and patient interact under general rules, constraints, and patterns of face-to-face interaction » (Labov et Fanschel, 1977 : 12). Ils décrivent le discours thérapeutique comme une discussion dans laquelle une personne extrait des informations à partir d’une autre personne, informations qui étaient contenues dans la biographie de cette même personne (1977 : 30). Leur ouvrage met de l’avant l’importance d’étudier tant le discours verbal exprimé par le patient que le non verbal (les gestes, les hésitations, etc.) car les deux apportent des informations sur sa situation (Labov et Fanschel, 1977: 71).

En bref, ce discours thérapeutique qui est la prescription principale du traitement des militaires atteints de SSPT est construit d’une manière particulière et traité par de nombreux professionnels de cette discipline qu’est la psychologie. Mon but n’est pas de rentrer dans les méandres de la compréhension de ces discours, mais plutôt de montrer comment celui-ci se construit et comment sont appréhendés les militaires traumatisés au sein de l’institution médicale.

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2.4.2. Le discours médical et la construction diagnostique

À chaque discipline son discours. Je peux résumer par cette simple phrase le fait que les chercheurs, en fonction de chaque discipline, doivent considérer le discours d’une manière particulière, mais également construire des discours spécifiques. Prenons l’exemple du travail de Michel Foucault (1973) qui invite les anthropologues à voir que les discours évoquant la folie ne reflètent pas simplement une condition préexistante, mais qu’ils constituent également la compréhension même de ce que sont la folie et son expérience (Wilce, 2004 : 422).

Ainsi, la médecine (pour mon exemple) a construit tout au long des années ses propres discours. La notion de risque prenant une grande place dans leurs constructions, leurs discours ont un impact certain sur la population et sa compréhension de la maladie. Les ouvrages médicaux de référence sont un condensé de ces discours par lesquels ils définissent les différentes maladies. L’ouvrage de référence le plus pertinent dans ma recherche serait le DSM, publié par l’Association américaine des Psychiatres, qui classifie les maladies psychologiques connues jusqu’à ce jour. À travers cette mise en discours de certains états psychiatriques, nous sommes témoins, comme l’explique Wilce (2004 : 423), de la manière dont on construit la perception de la société civile.

Le SSPT, tel qu’exprimé actuellement ne va donc pas de soi. Il résulte d’un discours médical particulier, de la construction d’un diagnostic (Valiaho (2012) ; Young (1995) ; Breslau (2005)) qui nous apprend la cause de cet état, ses symptômes, et les possibles traitements à mettre en place pour retourner à un état « normal », « sain ». Comme l’explique Doidy (2012) les sciences médicales ont eu besoin de caractériser l’état des militaires de retour du combat ayant un comportement déviant par rapport à la norme (alcoolisme, violence, agressivité, etc.).

Ainsi, comme l’introduit l’idée de Young (1995 : 121), le diagnostic du SSPT est un produit culturel et moral et ne doit pas être considéré comme une découverte psychologique, mais plus comme le produit et la réalisation du discours psychologique. Cependant, ce discours médical a un impact certain sur les personnes directement impliquées par cette définition du syndrome de stress post-traumatique. Comme l’écrit Doidy (2012 : 33) : « La construction

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Tableau  1.  Statistiques  du  nombre  de  suicides  et  de  morts  au  combat  chez  les  militaires  américains de 2002 à 2012 (Ministère de la Défense, 2013a)
Tableau  3.  Statistiques  du  nombre  de  suicides  et  de  morts  au  combat  chez  les  militaires  français de 2002 à 2012 (Ministère de la Défense, 2013a)

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