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Les états de transformation dans une installation à partir de la matrice-tableau

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Academic year: 2021

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Les états de transformation dans une installation

à partir de la matrice-tableau

Mémoire

Sarah BOOTH

Maîtrise en arts visuels

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

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Résumé

Ce mémoire propose de retracer un parcours sur l’expérience du processus, mes essais en productions et en diffusion. Développé en trois parties, il décrit d’abord mes premières impressions perceptuelles des œuvres, ensuite les différentes étapes qui auront ponctué ma recherche-création. Attentive à ce qui se passe en dehors des ateliers et des centres de diffusion en arts visuels, mes écrits sont teintés de mes expériences de diffusion et de création dans les lieux urbains et même, dans le dernier mois, dans le paysage naturel. J’explore mes méthodes de recherche-création instinctive et les différentes facettes entre les thèmes de la tension et de l’abandon. Je m'intéresse à la perception de ces mondes, à leurs cohabitations, à ce qu’ils produisent dans l’œuvre finale et même, à l’expérience de mon propre corps. Je traiterai également du médium vidéo et de la valeur de l’image en comparaison aux autres médiums exploités, un ensemble d’œuvres qui matérialisent une certaine temporalité de l’image en mouvement, où l’expérience à vivre est celle de l’instant suspendu ou une vision renouvelée du temps qui passe.

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Table des matières

 

RÉSUMÉ ... III TABLE DES MATIÈRES ... V LISTE DES FIGURES ... VII REMERCIEMENTS ... IX AVANT-PROPOS ... XI

INTRODUCTION ... 1

CHAPITRE 1 * FACE À UN MONDE D’EMPREINTES ... 3

1.1 LES DÉRIVÉS DU DESSIN : DE LA GESTUELLE À LA REPRÉSENTATION DU CORPS ... 3

1.2 ENTRE LE BOIS ET SON EMPREINTE, PARTIR D’UNE MATIÈRE VIVANTE ... 9

CHAPITRE 2 *DÉRIVE ENTRE TENSION ET ABANDON ... 13

2.1.1 TRAVERSER MES MÉTHODES ET MON PROCESSUS : ENTRE UNE RÉSISTANCE ET UN LAISSER-ALLER ... 13

2.2.1L’ABANDON : LES INTERVENTIONS URBAINES ... 17

2.1.3 ANALOGIE DE LA PEAU ... 23

2.2.2 UNE NOUVELLE VISION DU DUR ET DU MOU : GIUSEPPE PENONE ... 25

CHAPITRE 3 *MOUVEMENT, CYCLE ET TRANSFORMATION : TEMPORALITÉ ... 27

3.1.2L’USURE ET L’USAGE : EXPÉRIMENTER L’ESPACE POUR UNE INSTALLATION EN TRANSFORMATION ... 30

3.2.0 LES CYCLES, UN ÉTAT DE TRANSFORMATION ... 33

3.2.1 LA TRACE DU TEMPS : COUCHES, SÉQUENCES ET DESSINS TEMPORELS ... 33

3.2.2 IMAGE VIBRANTE/IMAGE CHANGEANTE : DE GERHARD RICHTER À BILL VIOLA ... 38

3.3.0EXPLORER LE MONDE DE L’ÉPHÉMÈRE POUR MIEUX EXPLOITER LES ÉTATS DE TRANSFORMATIONS ... 41

CONCLUSION ... 43

BIBLIOGRAPHIE ... 49

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Liste des figures

Figure 1 - Sarah Booth, Matrice-tableau # 8, 2013 ... 6

Figure 2 - Giuseppe Penone, L’arbre continuera à croître sauf en ce point, 1968 à aujourd’hui ... 7

Figure 3 - Sarah Booth, Installation Entre deux peaux, sous-sol du complexe le Cercle, 2012 ... 11

Figure 4 - Sarah Booth, Exposition S.A.U.V.A.G.E, au futur Le Diamant, 2013 ... 11

Figure 5 - Sarah Booth, Exemple d’une intervention dans la ville ... 14

Figure 6 - Léonard Baskin, Hanged man, 1962 ... 15

Figure 7 - Sarah Booth, Intervention extérieure, illustration du vieillissement du papier en une année d’écart ... 20

Figure 9 - Image arrêtée d’un des nombreux courts métrages Yak Films, chorégraphie en lien avec les lieux urbains ... 29

Figure 10 - Sarah Booth, Détail d’une matrice-tableau en production ... 32

Figure 11 - William Kentridge, Images arrêtées de la série 'Ubu Tells the. Truth' series, 1996-97 ... 35

Figure 12- Devora Neumark, Présence, Montréal, 1997 ... 36

Figure 13 – Sarah Booth avec Myriam Lambert et Ariane Plante, Installation La fileuse, Carleton, 2014 ... 37

Figure 14 - Sarah Booth avec Myriam Lambert et Ariane Plante, Point de vue de l’installation La fileuse, Carleton, 2014 ... 37

Figure 15 - Sarah Booth avec Myriam Lambert et Ariane Plante, Installation transformée après la tempête par l’eau et le vent ... 38

Figure 16 - Gerhard Richter, Confrontation 1,2 et 3, 1987-1988 ... 40

Figure 17 - L’espace d’exposition en 2016 ... 44

Figure 18 - Sarah Booth, Sculpture ligne du temps, papier et fibre de verre ... 46

Figure 19 - Sarah Booth, Vu d’ensemble du fond de la salle ... 47

Figure 20 - Sarah Booth, matrices-tableaux # 11 ... 47

Figure 21 - Cours de danse contemporaine dans l’exposition PUNCH. DARA PUNCH avec Mario Veillette, 2014 ... 48

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Remerciements

Je souhaite d’abord remercier mes parents, qui m’ont donné assez confiance en mes intérêts pour poursuivre cette aventure jusqu’ici. Je remercie aussi ma grand-mère, Dara Punch, qui m’a grandement inspiré et à qui cette exposition finale de maîtrise rend hommage. J’ai nommé, en son nom, l’exposition finale de maîtrise.

Je remercie Bernard Paquet, directeur de recherche, pour son suivi et sa patience.

Je souhaite remercier tous mes collègues de cette maîtrise pour l’ensemble des projets produits, ceux passés et ceux qui restent à venir. Entre autres, merci à Phelipe Soldevila, François Raymond, Guillaume Tardif et au précieux collectif du Groupe des 5.

Je remercie Dominic Simard pour son support et son accompagnement à travers les projets/ aventures.

Je remercie aussi mon amie Sarah Champeau-Tessier pour son encouragement et ses corrections à l’écriture.

Je souhaite remercier mes professeurs pour les réflexions qu’ils ont su susciter au cours des deux dernières années. Enfin, une femme avec qui j’ai la chance de partager en dehors des murs universitaires, Caroline Simonis. Je te remercie pour ton ouverture, et d’offrir un lieu de diffusion et d’échange que nous appelons « bâtard », mais qui est surtout hybride.

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Avant-propos

Cet essai accompagne le projet d’exposition PUNCH. DARA PUNCH, une installation présentée dans la ville de Québec dans un espace pignon sur rue, sans nom et sans mandat. L’exposition se tiendra au 222 Saint-Joseph Est, du 24 octobre au 1er novembre 2014.

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Introduction

Dans ce texte d’accompagnement, je débute par l’analyse de mon corpus d’oeuvre et c’est de cette façon que j’aurai ensuite l’opportunité de relier les points importants soulevés. À l’égard d’une production assez éclatée, il s’avère primordial de créer des liens entre plusieurs facettes de ma pratique. Après huit expositions en deux ans, en plus des diffusions expérimentales dans les lieux urbains, d’une résidence, de la production en collectif et en atelier, rien n’a été produit pour simplifier les données. L’être humain est un animal sémiotique et donc, j’espère que tout ce travail saura faire sens à travers ce mémoire. « You can’t connect the dots looking forward, you can only connect them looking backwards. »1 La ville devient certainement l’une de mes grandes inspirations. En ce sens, au cours de cette recherche de maîtrise, j’ai espéré développer de manière générale dans mon processus et dans l’ensemble de mon corpus d’œuvres la possibilité d’illustrer une certaine expérience de la temporalité en tant qu’être vivant. C’était mon hypothèse, ma question initiale. Pour la valider et pour la préciser, j’ai donc commencé à explorer par le dessin et l’installation, extérieure et intérieure, l’articulation entre la représentation du corps et l’espace urbain. En m’inspirant de la façon dont les citadins se meuvent dans la ville, avec leur rythme, leur posture, l’expression que chacun dégage, je propose, en alliant dessin et installation dans mon exposition finale, une expérience du mouvement (changement) et de la fluidité dans un environnement qui est à prime à bord, solide, statique comme le béton et la brique (architecture). En réponse à ma question initiale, j’espère avoir fait aboutir mon processus grâce à un médium dérivé du dessin, par une vision de plusieurs mondes temporels, où je peux exploiter la trace, le mouvement, des états de changement des cycles à travers une dynamique entre la tension et l’abandon. J’exploite ainsi l’image de l’être humain comme prétexte pour créer une présence dans le but d’offrir un miroir de cette réalité précaire et fragile de notre propre temps d’existence. Il sera donc question, au travers des trois chapitres qui composent le texte, de traiter successivement des points qui sont au cœur du processus qui m’a menée à réaliser une installation. Le premier chapitre traite de mon corpus en s’attardant sur le dessin et son évolution au regard de la représentation du corps. Le deuxième traite du processus qui doit composer avec les notions de résistance, de laisser-aller, d’interventions urbaines et

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d’analogies avec la peau : le dur et le mou. Enfin, dans le troisième chapitre, j’entame les questions de cycle, de mouvement et de transformation qui me permettent de m’attarder sur les états de l’image et de l’éphémère.

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Chapitre 1 * Face à un monde d’empreintes

Installée au milieu de la salle de critique des ateliers, avec ma production des deux dernières années, je confronte enfin ce corpus, prête à rassembler tous les points. Je décrirai au premier chapitre, face à l’ensemble, mes observations visuelles, une mise en contexte, avant la question de la mise en espace. C’est un élément important dans l’équation du travail. C’est pourquoi mon processus et un cadre théorique seront développés dans les prochains chapitres pour enfin assurer la cohérence de mon propos.

1.1 Les dérivés du dessin : de la gestuelle à la représentation du corps

Au moment d’entrer dans la pièce remplie de ma production, un état de satisfaction ressort de cette première impression. Bien sûr, le créateur ne peut qu’être critique face à sa production. Au-delà d’une critique que je formule à l’égard de mon travail, je me retrouve étonnée devant un travail qui est pourtant le mien. Une énergie émane du corpus avant même qu’un sujet se manifeste. En premier lieu, je vois une force gestuelle. La couleur bois des contre-plaqués, simplement accotés contre le mur, dégage une chaleur et une richesse dans la pièce. D'autre part, le grand nombre de lignes gestuelles produit une impression de force. En regardant toutes les pièces de ma production échouée un peu partout, je réalise l'importance, lors de mon installation finale, de créer un dialogue entre les matrices gravées, les volumes en papier autoportants, les impressions sur papier et les projections. Bien qu’un ensemble de quatre différents médiums puisse sembler beaucoup, ces liens plastiques se tissent pourtant de manière évidente par le trait dessiné, gravé et reproduit en impression.

Je constate devant l’ensemble que le tout est un dérivé du dessin, donc obtenu par la transformation du médium préconisé avant la maîtrise. Face à cette production, je reconnais le bagage du médium du dessin, qui m’a permis d’en arriver à ce point. Le dessin s’est transformé de façon favorable. La totalité est certainement plus forte, plus efficace, plus présente que dans mes anciens dessins, et ce, grâce à la matrice.

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L’évolution de mon travail est grandement redevable à la découverte de cet univers dans lequel je dois penser et observer dans un monde en négatif pour ensuite voir apparaître une forme en positif sur la matrice-tableau et sur l’impression. J’use le bois pour créer, par des traits, des volumes qui deviendront la représentation de corps humains. Les traits gravés dans le bois paraissent agressifs compte tenu de l’ampleur des lignes qui surgissent à travers le noir de l’encre et le bois lacéré. La quantité de lignes, de matrices, et d’impressions dans la production aide certainement à transmettre cette force et cette énergie déjà décrite. Le trait gravé dans les contre-plaqués suggère déjà une difficulté d’exécution, une agressivité, une usure certaine de la matière.

Le cycle de création et d’empreinte commence définitivement par une matrice où sa trace sera transmise dans les autres pièces produites. De ce fait, ces plaques de bois ne sont pas exploitées seulement pour être utilisées comme matrices, ni dans le but d’être seulement nommées en tant que tableaux. En début du processus, elles n’étaient pas envisagées en tant qu’œuvre objet. Alors que sont-elles? Que représentent-elles finalement ? J'ai les nommerai des matrices-tableaux vivants. Le bois est une matrice pour ses impressions. La matrice-tableau peut se vendre comme un tableau, et être utilisée dans de nouvelles compositions ou peut même rester présente dans les installations en tant qu'objet. Sa trace se transfère sur papier par des impressions, et prend d’autres formes grâce au collage et aux sculptures en papier. L’impression des matrice-tableaux vivant ère même dans la ville avec des interventions que j'y avais faites au début de ma recherche. La matrice-tableau possède donc plusieurs possibilités de transformations, aucune n’étant vue comme une finalité.

Le trait gravé dans la matrice-tableau représente le mouvement à travers l’action du corps humain, celle du créateur, donc le mien. Même si le travail est loin d’être de la peinture d’action, il renvoie certainement à l’idée que le geste domine. Le concept du mouvement à travers le mémoire commence tout simplement par la ligne dessinée, et s’étalera et se développera à travers la description du processus de recherche-création.

« En peinture, le véhicule du mouvement physique (qui se distingue de la représentation illusoire du mouvement comme il le fait chez les futuristes) est la ligne, non point considérée comme la surface la plus mince, ni comme une limite, ni un contour ni une

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coordination, mais comme un enchaînement ou une figure (au sens d’une « figure de patinage »). En passant sur la toile, chaque ligne de ce genre peut faire du mouvement réel du corps de l’artiste une affirmation esthétique ».2

Bien qu’il existe d’autres moyens que la ligne pour traduire la force sur la toile, le papier ou autre surface, je crois qu’ici, la ligne prime. À travers le rassemblement du corpus, je reconnais un deuxième niveau de lecture qui est le corps humain. Le corps est représenté selon plusieurs états et postures (image 1). Il est parfois déformé, souvent inspiré de mouvements ou poses de danse. De plus, grâce aux remarques des visiteurs ayant assisté aux expositions précédentes ou celles des passants devant des interventions extérieures qui ont pris place au cours des deux dernières années, j'ai réalisé que ces corps révélaient une ambiguïté dans la représentation de leur sexe. Ils n'ont pas de visage ni d'identité. Ce qui importe avant tout, c'est de mettre en évidence ces corps, ces lignes, et le fort sentiment de présence. Si je joue entre la tension et l’abandon du corps représenté, c’est dans le but d’aller dans une direction précise : sinuer entre la tension et l’abandon en tant que concept, expérience et représentation. Autant dans le travail sur le bois ainsi que sa représentation qu’à travers mon propre corps, ces termes m’ont suivi tout au long de cette dernière année.

2 H.Rosenberg, 1962 «Les peintres d’action américains », La tradition du Nouveau, Paris, Éditions de Minuit,

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Figure 1- Sarah Booth, Matrice-tableau # 8, 2013

La gravure expressionniste allemande apparaît comme une référence évidente. Par contre, cette référence ne se rattache pas à la référence historique et le mal de vivre de l’époque, qui deviendrait à mon avis, caricatural puisqu’il porte avec lui plusieurs références figées et fortement connotées qui ne s’appliquent pas à mon travail. Mon trait de gravure est expressif et linéaire, mais il n’exprime absolument pas la névrose individuelle et la révolte du malaise social général représenté à cette époque. C’est autour de l’idée de l’intensité plastique du corpus que cette référence s’applique, et qui est inévitable. Une référence exacte au corps humain, ou plus précisément, une grande iconicité du corps humain n’est pas recherchée ici. C’est pourquoi sa représentation se transforme souvent en corps déformé, irréel dans sa posture, ou même frôlant la monstruosité à certains moments. Pourtant, je ne peux passer à côté des liens plastiques des caractéristiques classiques du dessin tel un croquis inachevé de de Vinci (par ses traits de dessin de l’étude du corps) ou une sculpture inachevée si célèbre de Michael

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Angelo, placé dans ce plein qui pourrait aussi être perçu comme un flottement dans un vide, ou d’une masse enveloppant le corps tel que l’œuvre de Penone l’arbre continuera à

croitre sauf en ce point (Image 2). L’iconicité des corps dans ma production prend moins

d’importance, à mon avis, que l’impression générale et la représentation de sa position et sa posture. Le trait dessiné, gravé ou imprimé est utilisé de façon à ce que le crayon ne lève pas. La ligne est donc continue. C’est de cette façon que l’intensité prend forme, mais aussi de cette façon que les volumes de corps prennent forme. Les volumes se créent alors grâce à la ligne, et donc aussi grâce au vide et à l’espace. À la fois autour et dans l’espace bidimensionnel ou tridimensionnel de l’objet, ainsi qu’à travers les projections et les volumes, l’espace, qu’il soit vide ou plein, demeure primordial.

Figure 2 - Giuseppe Penone, L’arbre continuera à croître sauf en ce point, 1968 à aujourd’hui

Le noir, surtout, et le blanc sont les couleurs préconisées grâce à l’encre d’impression sur papier. Cependant, le blanc du papier est plutôt blanc cassé, voire même un blanc jauni à

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cause des qualités photosensibles du papier journal exploité. Les tonalités de noir sur les matrices et sur les impressions résultaient d’un choix inconscient depuis plusieurs années, et qui est devenu conscient durant la maîtrise. L’utilisation de cette couleur en gravure réfère encore une fois aux gravures expressionnistes allemandes. Cette couleur a également un bagage extrêmement riche quant à son histoire, même si je me limite ici à l’Occident. En passant par la période noire du XIIe siècle, à l’abolition du noir dans le cercle chromatique des couleurs à la suite des découvertes d’Issac Newton, jusqu’au retour d’une reconnaissance en tant que couleur, le recouvrement d’une surface en noir « reste le prolongement du dessin au sens où c’est le prolongement du marquage »3. Le simple geste de marquer pour laisser sa trace est donc relié à la mécanisation des procédés graphiques ou d’impression depuis l’époque de Gutenberg. Je porte un intérêt particulier à la symbolique ambivalente et paradoxale du noir : couleur connotée positivement en ce qu’elle porte l’idée de fertilité, d’humilité, de dignité, de moralité, de sobriété, de raffinement, d’élégance, mais aussi chargée d’une symbolique plus sombre reliée à l’idée de tristesse, de deuil, de péché, d’enfer, de mort ou encore de mystère. « Et comme il n’est guère possible de parler d’une couleur isolément, cette histoire culturelle du noir est aussi, partiellement, celle du blanc (avec lequel le noir n’a pas toujours fait couple), mais qui se lit a la couleur noire étant la plus utilisée par l’homme pour l’écriture, l'imprimerie, les photocopieuses, les imprimantes, la peinture. C'est probablement aussi la couleur pour laquelle il existe le plus grand nombre de procédés de production. »

Le duo du blanc et du noir fournit, dans mon cas, un champ de création infini entre le négatif et le positif, entre l’espace, le vide et le plein. « Le noir comme symbole a cependant cette caractéristique paradoxale d’être une entité dialectique, sans cesse mouvante entre une dimension positive et une dimension négative. »4 Comme si toute négation était aussi une puissante affirmation. Riche dans ses tonalités et porteuse d’une histoire importante, le noir est aussi exploité, dans ma production, pour son effet contraire qui serait celui de la neutralité. Donc la richesse de la couleur noire, autant que la neutralité et sa valeur célèbre sont apparues grâce au geste iconique de Kasimir Malevitch avec sa toile peinte en 1913 intitulé Carré noir sur fond blanc lors d’un manifeste du

3 Françoise Foulon, « Manière Noire », Liège, Les impressions nouvelles, p.21.

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suprématisme. « À tous points de vue révolutionnaires, cette œuvre figure parmi les jalons incontestés de l’histoire de l’art dans sa tentative de rupture, de tabula rasa, de remise à zéro des valeurs de l’art et de la culture. En outre, elle ouvrait une voie royale à la couleur noire … »5

1.2 Entre le bois et son empreinte, partir d’une matière vivante

Le choix des matériaux ne tient pas du hasard. Le bois provient d’un arbre vivant et unique. Ce bois possède donc des imperfections, des noeuds, un cycle de vie, des fibres et des tonalités de couleurs différentes. Ses fibres sont la continuité des traits du dessin dans un espace en deux dimensions. L’ondulation de cet espace bidimensionnel inspire et met en valeurs les corps gravés et imprimés. Il est alors important que le trait soit vibrant, comme il sera développé dans le point 3.2.2 sur l’image vibrante et changeante. Pour introduire le sujet, je crois que le bois offre une surface de création parfaite : fournis en ondulation et unique. L’arbre se fait transformer en planche. L’arbre se fait transformer en papier. L’arbre devient le sujet du cycle même de l’œuvre. L’arbre est aussi devenu la charpente de l’architecture pour accueillir l’installation : sol, plafond, poutre de l’espace d’exposition. Cet être vivant devient aussi surface pour accueillir une mise en espace des projections et du corps. Cette surface est plus que souvent usée et imparfaite quand elle est objet de création, autant du côté de papier que du bois.

En ce qui concerne le papier, je l’exploite en installation souvent dans l’idée de la couche. Ici, devant moi, le papier est tout simplement couché sur le sol, ou alors en couche dans des volumes autoportants. Je me permets, au passage, de revenir sur les installations et les expositions que j’ai faites au cours des deux dernières années de la maîtrise, justement, dans le but de définir un contexte des mises en espace du passé, pour ensuite aller de l’avant. Lors de l’exposition Entre deux peaux (Image 3), au complexe Le Cercle en 2012, je collais des grands dessins, prenant l’allure de tapisseries posées au plafond et sur les murs. Au Mars de la Maîtrise 2013, j’ai simplement placé en couches sur le sol les papiers imprimés de 8 à 9 pieds de long, en référence à un sarcophage. L’exposition

S.A.U.V.A.G.E, au futur Diamant, où l’espace était long, étroit et très haut, j’ai suspendu

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deux impressions de 20 pieds (Image 4). De plus, des volumes organiques ont été placés au sol, formés par un grand nombre de couches de papier solidifié aux intérieurs vides. Encore une fois, l’espace vide des volumes me paraît important par ses qualités plastiques et ses couches, ce qui, à mon avis, est à l’image de mon travail entre le négatif et le positif.

Ensuite, au Mars de la Maîtrise 2014, j’ai placé des contreplaqués vierges sur le sol, ce qui a absorbé toutes les traces : neige, saleté, pas des passants. Cette intervention, réussie dans son but premier, était un essai qui me permettra un jour, je l’espère, de faire de même avec du papier au sol. On retrouverait donc dans la trace des passants une continuité de l’empreinte des matrices. Lors de l’exposition Canadian Bacon première

édition au printemps 2014, aux espaces des bureaux de Plenty Humanwear, j’avais,

encore une fois, un espace en longueur ressemblant à un corridor et faisant un rappel au rouleau de papier utilisé pour les impressions. J’ai tout simplement laissé un chemin de papier imprimé sur le sol dans cet espace.

En somme, les propriétés du papier représentent, pour mon travail, plusieurs potentialités. Je peux l’utiliser en tant que couches, des strates et même de fines épaisseurs malléables. C’est aussi une matière qui peut couvrir et envelopper, comme développé plus bas. Enfin, les spécificités du papier offrent une malléabilité et des possibilités d’envelopper à la Christo et Jeanne-Claude. Ces couches de fibres prennent aussi la forme désirée ou presque. En plus de pouvoir être solidifié, ce médium est léger, fragile. Ses possibilités sont toutes des caractéristiques très importantes à retenir dans mon travail en vue d’une installation. Ma vision de cette malléabilité en couches, mes intérêts sur ses multiples possibilités et ce qu’elles représentent font de ce matériau beaucoup de sens pour mes concepts et sujets à venir.

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Figure 3 – Sarah Booth, Installation Entre deux peaux, sous-sol du complexe le Cercle, 2012

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Pour clore ce chapitre, il me paraît clair qu’une cohérence visuelle se tisse entre différents médiums. Dans mon travail, la couleur noire, le choix des matériaux et la découverte d’un monde d’empreinte laissé par la gravure sont des facettes de mon travail qui ont des fonctions bien précises. Il s’agit, à mon avis, de jouer avec la vulnérabilité et l’imperfection des matières afin de placer les œuvres dans un jeu temporel. Par la manière de manipuler la production et par les lieux où je choisis de la diffuser, je formule des questionnements qui constituent aussi le produit final. Je consacrerai le prochain chapitre à développer le processus, qui prend une place importante à travers chaque objet de ma production.

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Chapitre 2 *Dérive entre tension et abandon

D'entrée de jeu, tout au long de ce mémoire, j'ai comme objectif de survoler et, par la suite, décortiquer deux ans de processus et le contextualiser. De façon plus concrète, les interventions dans la rue m'ont fourni un point de départ important, un vocabulaire et des notions qui se sont ensuite transposées dans l'atelier et vice versa. C'est donc autour de l'action, en travaillant et en produisant que peu à peu, mon travail s’est développé et enrichi. Les notions d'abandon, de laisser-aller, de contingence et même le concept de la peau ont commencé à prendre forme et se sont consolidés dans le processus urbain.

2.1.1 traverser mes méthodes et mon processus : entre une résistance

et un laisser-aller

Les interventions de collage dans la ville représentent un travail incertain à chaque étape d’installation et de conservation. En fait, les interventions extérieures ont comblé un besoin urgent d’expérimenter cet espace complexe. Lorsque j’ai un nouveau projet en tête, une de mes motivations est la contingence et l’amour du processus. Il s’agit donc pour moi d’un rapport physique et émotif au processus. Ensuite s’enchainent plusieurs étapes de production et de création. La deuxième étape est d’effectuer le dépouillement de sources d’inspiration aussi diversifiées que chaotiques : prise de photos, visionnement de mouvements improbables sur YouTube, construction de dessins d’animation pour comprendre les séquences du mouvement et, finalement, l’observation des passants et de l’espace occupé dans la ville. Je ne m’impose donc aucune contrainte dans les étapes qui précèdent la production. Au contraire, je m’ouvre à plusieurs domaines : architecture, urbanisme, science, danse, intervention urbaine, ingénierie et plus encore. Autant dans les prises de vue que dans mes recherches sur des mouvements de danse de rue, il y a une recherche du laisser-aller, de l’abandon. Beaucoup d’inspirations sont donc puisées sur différentes plateformes de diffusion de danse, souvent dans un contexte urbain, ce qui renvoie directement à ma problématique entre le mouvement éphémère et l’espace urbain fixe, construit pour durer.

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Figure 5 – Sarah Booth, Exemple d’une intervention dans la ville

Rendue à l’étape d’esquisse, je dessine des corps humains ou des corps vivants abstraits, d’une façon gestuelle et spontanée. Plutôt que le sujet lui-même, c’est la ligne qui apparait en premier plan. Le dessinateur Leonard Baskin a réussi, à travers ses figures gravées sur bois en grand format, à faire parler la ligne avant son sujet. À mon tour, avant de faire de grands formats, je dessine plusieurs essais. Même si les dessins et les corps sont très gestuels et spontanés, je suis imprégnée de mes nombreuses recherches sur le corps, le mouvement et la posture du corps. Je suis aussi imprégnée des nombreux traits d’esquisses, ce qui me mène vers une plus grande gestualité et spontanéité. Ce trait est toujours fébrile, brut, puissant, mais pourtant subtil et vibrant. C’est grâce à ce style de trait de dessin que le public qualifie souvent mes dessins et gravures de « vivants ».

À partir du moment où un dessin m’intéresse assez pour le reprendre sur grand format, je le grave sur bois. Le thème de l’abandon se déploie d’abord par la matrice elle-même, en utilisant des panneaux de bois rugueux et de qualité moyenne, je travaille avec une énergie brute, sans soucis de précision et de correspondances anatomiques. La gravure

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sur bois, par contre, exige une force, une tension du corps qui entraine des difficultés à produire à long terme. Bien sûr, le bois est un matériau malléable, mais très résistant. Des artistes de rue actuels tels que Dale Grimshaw et Elbow-Toe présentent des corps humains en impression sur gravure sur bois dans la ville. Ces artistes de rue représentent, à leur manière, un aspect de l’abandon. Le terme abandon a plusieurs sens. Vu de façon négative, on peut dire: " abandonner quelqu'un, un projet ou même sa vie ". De façon positive, on peut parler d'abandon dans le sens du laisser-aller, de la chute ou de la confiance ; c'est alors le contraire du contrôle. C’est là que les artistes et les graveurs deviennent des exemples concrets pour mon travail. Le laisser-porter dans l’idée de la confiance, ou même dans la déformation du corps représenté sont tous des exemples qui tournent autour du paradigme de l’abandon dans la représentation du corps. Léonard Baskin (IMAGE 6), quant à lui, propose une exploration intéressante du flottement du corps, du laisser-aller dans la représentation et la gestuelle de ses lignes, où ses lignes gravées apparaissent en premier plan. Aussi, le sculpteur Erwin Wurm aborde l’abandon sous un angle intéressant à travers ses sculptures molles et ses corps obèses qui se laissent aller vers le sol, en toute pesanteur.

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Pour aller plus loin, je porte un intérêt à ses «self-sculptures» et à l’abandon que demande l’artiste aux spectateurs de ses expositions pour réussir les poses parfois ludiques, parfois difficiles ou politiques, mais toujours avec un laisser-aller, un abandon total dans l’espace et l’abandon total de l’égo du participant à travers la posture demandée. Cela dit, les « self-sculptures » offrent pourtant aux participants, placés dans des positions précaires, la possibilité de vivre une position qui joue avec une certaine tension et une compression du corps. Ce duo équilibré de tension et de compression s’est développé aussi en architecture par l’ingénieur et architecte David Georges Emmerich avec ses structures «autotendantes» qu’il met au point dès 1958. C’est presque magique de voir des matériaux mous et souples devenir assez résistants pour prendre la forme d’une structure, tel une architecture, avec la combinaison d’un élément solide en tension.

Ce tandem formé par le laisser-aller et la tension se retrouve aussi dans la position de mon propre corps face à ce corps que je construis, dans la façon dont je m’installe pour travailler. C’est une particularité qu’on peut aussi retrouver chez l’artiste Swoon. Dans les documentaires et photos de l’atelier de la jeune artiste, on voit bien qu’elle fait corps avec ce qu’elle grave et avec ce qu’elle imprime. La comparaison m’est donc apparue évidente. Cette révélation m’a aidée à trouver un sens à cette similitude, à comprendre le pourquoi et à trouver un grand intérêt à mes méthodes de production. Je m’assois au sol, je marche sur la feuille ou sur le contreplaqué de bois. Pour avoir un peu plus de recul, je pose le bois par terre et je circule à travers la composition dessinée et gravée. Le support et le dessin lui-même ne sont pas traités comme on traite habituellement une oeuvre, c'est-à-dire en la conservant propre, intacte, sans aucun changement. Tout au contraire, les traces de mes souliers, le papier qui se froisse, les œuvres qui se modifient jusqu’à disparaitre dans la ville font de l’œuvre une intervention vivante, en constante transformation. Un abandon du corps incarne aussi la spontanéité du moment. Cela devient une spontanéité permanente lorsqu’on grave dans le bois, car le retour en arrière est impossible. Il s’agit donc d’assumer, à chaque trait, la gestuelle et le mouvement de tout son corps et de tout son poids. Il s’agit aussi de vivre dans l’espace de la toile avec tout le corps, en comparaison avec Jackson Pollock. Cependant, je me différencie à bien des égards de Pollock puisque je m’installe au centre de la composition. Je souhaite être dans la composition. Il y a là une abolition d’une certaine distance picturale. Surement pour des raisons techniques, avec la qualité liquide de la peinture, Pollock ne peut se

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placer au milieu de la toile, car il ne souhaite pas avoir les empreintes de ses pieds, mais plutôt les traces des coulis de peinture. Pour moi, la gravité, le corps et l’espace constituent certainement une priorité dans mon travail. Enfin, la résistance est aussi dans mon propre corps et mon expérience. Mes méthodes de travail, autant que la gravure à l’outil rotatif électrique, sont dures sur mon propre corps. Le corps à corps entre l’œuvre et moi-même représente ensuite une mise à nu quand vient le temps de diffuser autant dans la ville que dans des expositions intérieures.

 

2.2.1 L’abandon : les interventions urbaines

D’abord, si on parle aujourd’hui d’art diffusé dans la ville, on pense directement à l’art de rue, un mouvement grandissant depuis les dernières années grâce, entre autres, à la diffusion par internet des différentes productions. Bansky, Swoon, Phelegm, Blu, Roa, Aryz, WK Interact sont quelques-uns des artistes de l’art de rue reconnus, grâce à la diffusion en ligne. Je relie le processus extérieur à un travail contextuel plutôt qu’à un travail du mouvement de l’art de rue (street art). Je me différencie donc des artistes de l’art de rue. Je souhaite diffuser mes impressions dans la ville pour insérer et expérimenter ma production dans une multitude de couches et de contextes qui se côtoient et s’entrecroisent. C’est donc un critère que je recherche pour explorer un espace non neutre comme l’espace d’exposition en fin de maîtrise, ou comme les espaces des expositions

Canadian Bacon, qui sont les bureaux de l’entreprise Plenty Humanwear et le futur Diamant de Robert Lepage. Le travail dans la ville prend une grande place dans le

processus et nourrit ma recherche.

Même si mon exposition finale, se tenant dans un local commercial ayant pignon sur rue dans la ville de Québec, est une installation concentrée dans un espace intérieur plutôt qu’extérieur, la centaine d’interventions extérieures que j’ai réalisée au cours des deux dernières années font malgré tout partie intégrante de mon processus et de mes réflexions artistiques. En effet, la volonté de coller des dessins dans l’espace urbain m’a amenée à passer du dessin à la gravure, pour enfin avoir la possibilité de coller les reproductions uniques de ces dessins. Mes motivations, à ces moments d’interventions urbaines, sont multiples et elles restent ancrées dans mon travail tel que ce choix, bien cohérent mais

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spontané, de commencer la gravure sur bois pour des impressions. Ces motivations demeurent en lien avec la contingence, l’abandon et la résistance. D’abord, contextualiser mes impressions dans la ville signifie d’insérer des impressions à travers de multiples couches de complexités. Ces différents contextes coexistent, cohabitent et s’influencent. Ce sont donc différentes versions de mondes. Il y a certainement un pluralisme, tel que Goodman le propose, dans ce choix faire cohabiter différents contextes. Par contre, même avec ce paradigme d’un univers éclectique, j’équilibre cette complexité avec un paradigme d’abandon qui vient poser une qualité de laisser-aller et de fluidité dans un univers qu’on reconnaît être laborieux à percevoir et à décrypter. La contingence et l’abandon offrent une qualité fluide au travail et à la perception qu’on peut avoir des différentes couches de réalité et de contexte entourant une œuvre dans la cité ou dans un espace intérieur composé de traits dessinés, de papier et de colle. Il y a un paradoxe qui sera développé tout au long de l’essai entre ce laisser-aller et une certaine résistance. L’abandon et la résistance proposent aussi un vecteur à travers mes méthodes et mon sujet. Je définis mon travail d’actif et non d’interactif. Les différents contextes dans lesquels je situe la production proposent un zeitgeist : l’esprit du temps. Il y a certainement un rapport à l’époque et un rapport au monde qui s’en dégage. Le contexte et l’ontologie offrent un rapport à une réalité. Je souhaite activer une réalité. J’insère un élément, une impression d’une gravure sur bois, dans un contexte pour intégrer et questionner la ville et ses composantes. Ce projet est toujours en continuation; la maîtrise est une étape qui cristallise certains résultats.

Je construis les paradigmes par mes méthodes de production et par mon cadre théorique. La circulation des passants autant que ma propre circulation pour trouver de nouveaux espaces d’interventions sont des éléments qui m’inspirent. Tout simplement me promener à travers cette circulation humaine, cette chorégraphie urbaine où chacun possède son individualité, son but, son flânage, sa posture et sa façon de marcher m’inspire pour l’énergie du dessin, la posture des corps que je propose dans les gravures. La diffusion d’œuvres dans la ville n’est pas intéressante pour toutes les pratiques, parce que plusieurs souhaitent éviter les interférences avec l’œuvre créée. C’est donc une des bonnes raisons pour lesquelles le cube blanc (the white cube) existe pour mettre en valeur l’œuvre visuelle. Mon approche et les paradigmes présentés convergent plutôt vers l’idée

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contraire. La ville offre énormément de possibilités qui renvoie aux paradigmes de complexité, d’abandon, de tension et aussi de contingence. Au cours d’un processus qui se déroule avant, pendant et après le collage de l’impression dans la ville, on verra que l’usure est un vecteur important du projet. Tous les jours, chaque marche, chaque transport en vélo ou en voiture, devient une occasion d’observer des façades propices à l’activation d’un espace. Et aujourd’hui, en fin de parcours, j’ai aussi la chance d’observer tous les jours l’espace qui accueillera mon exposition finale. Et, encore une fois, c’est l’usure des murs et les bris qui rendent l’espace réellement intéressant pour la diffusion et l’insertion d’une installation. La marche, surtout, fait partie du processus, et est même primordiale dans le projet. Francis Alÿs et les situationnistes ont développé la marche sous un angle propice à ma recherche-création.

« Les pionniers du libéralisme (Frederick Winslow Taylor, Henry Ford) déclaraient la guerre à la flânerie considérant que la marche à pied n’est pas rémunératrice, qu’elle détourne l’individu sur des chemins de traverse industriellement improductifs et économiquement non rentables. Alÿs, avec ses propres outils, construit une ligne fluide, labile - et politique-, de résistance par rapport à une conception quantitative et strictement marchande de l’efficacité. »6

L’abandon se retrouve ici dans l’idée de laisser-aller l’œuvre elle-même, après l’installation. Cet acte d’abandonner est positif. Je rejette l’idée négative de cet acte, malgré le défi que cela comporte. J’y vois plutôt un geste de courage, de force et de confiance. Ce n’est pas un acte d’opposition, mais d’insertion, d’activation et d’affirmation. Bien sûr, ce projet dans le concret questionne directement l’affichage et les lieux publics. Comment et pourquoi les villes sont-elles construites de cette façon? À la différence de l’affiche publicitaire

qui abolit le mur, refuse le paysage, oriente le temps, capte le désir, dépossède de toute prise critique [l]es images font voir, révèlent au regard et déconcentrent l’espace. Placée sur une usine, l’image publicitaire la cache, invite à confondre le réel avec ce qu’elle substitue. [L]es images, au contraire, révèlent le mur, la rue ou l’usine.

6Thierry Davila, marcher, Créer : Déplacements, flâneries et dérives dans l’art de la fin du XX siècle, p. 95-96.

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Après le collage, le dessin possède sa propre temporalité, sa vie propre avec tous ses changements, son vécu, jusqu’à sa disparition. Des écrits sur les collages de Swoon décrivent bien comment ses interventions deviennent vivantes. L’important n’est pas de montrer comment chaque impression est représentée, mais comment chacun agit. « How they behave isn’t merely an action ; it is a choreography of decline, an explicit willingness to not merely imitate but to physically inhabit desintagration. »7 Le travail en cours est considéré comme étant voué à l’éphémère, mais je tiens malgré tout à préciser que ce qui est mis de l’avant et ce que je recherche avant tout, c’est de mettre l’accent sur le processus de transformation. (IMAGE 7 (ces images sont prises à une année d’intervalle))

Figure 7- Sarah Booth, Intervention extérieure, illustration du vieillissement du papier en une année d’écart

Si on revient au pourquoi du comment, mes méthodes relient l’action et le laisser-aller à beaucoup de niveaux. Cela ne veut pas dire que mes méthodes ne possèdent aucune rigueur. Au contraire, mon modèle de travail en atelier provient d’une philosophie de travail d’un professeur de Swoon de l’école d’art Pratt Institute à Brooklyn, selon laquelle si on souhaite arriver à survivre dans le milieu de l’art à New York, on doit entreprendre l’art

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comme si c’était les Olympiques8. Cette métaphore me suit et me suivra toujours. Tout

comme l'athlète, l'artiste doit être constant et rigoureux, tout en surmontant les obstacles rencontrés. En effet, déployer une somme importante d'énergie pour relever les défis qui se présentent à l’athlète, fait souvent partie de son quotidien. Pourtant, mes méthodes et mon cadre théorique s’appuient sur la notion du laisser-aller, de l’idée de l’abandon qui est un terme pouvant représenter, au premier abord, le contraire d’un travail rigoureux. C’est pourtant une fausse direction. L’idée du laisser-aller se retrouve dans la forme, dans la façon dont je travaille les traits de crayons, dans la façon dont je m’installe dans l’espace, dans la façon dont je diffuse mon travail et même dans les choix de matériaux. Mais la rigueur du travail, par sa répétition, les pertes subites d’interventions et de ses traces représentent par contre un grand niveau de difficulté et de défis.

D’abord, si on revient à l’idée de base qui est de construire plusieurs couches de réalité dans la ville, plusieurs espaces deviendront des conversations entre les interventions et je l’espère, aussi pour les œuvres intérieures. Entre la ville et les passants, un échange se crée par le grand nombre d’interventions et la dimension « sociale » des oeuvres, tel que développé par Jocelyne Lupien dans son essai L’intelligibilité du monde par l’art. Il en est de même pour les installations intérieures. Je vise à créer un échange entre différentes versions de corps tendus ou mous, de représentation d’une grande iconicité ou pas, et de dimensions différentes.

Les trois dimensions de l’œuvre sont la dimension plastique, spatiale et iconique. En d’autres termes, ce sont les substances polysensorielles de l’expression, l’espace réel occupé in situ par l’œuvre et la représentation figurative de la perception. Ce qui m’intéresse ici est l’espace réel occupé in situ par l’œuvre qui est développé sous plusieurs angles. En effet, le format, la ville, les murs texturés ou les lieux publics deviennent tous des qualités plastiques, spatiales et iconiques qui sollicitent intensément le spectateur. Par exemple, l’œuvre convoie la perception tactile par ses textures d’un mur qui s’effrite. La polysensorialité de l’œuvre propose finalement un lien direct avec notre

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perception affective, donc peut susciter un punctum ou un affect envers l’intervention dans des lieux publics. Les éléments choisis ou perçus qui entourent l’œuvre sont indissociables.

Ces dimensions spatiales, plastiques, et/ou iconographiques du travail sensoriperceptif, qui déterminent d’une part l’acte de réception de l’œuvre et d’autre part l’aspectualisation de l’œuvre elle-même, sont en fait indissociables et solidaires lors de l’expérience esthétique puisque ce sont ces composantes spatiales, plastiques, et iconiques de l’œuvre qui induisent les impressions et les conduites sensori-perceptives du spectateur chez qui des affects inhérents à ces espaces (tactile, visuel, thermique, kinesthésique) seront ensuite déclenchés. 9

J’assume et j’utilise cette réalité selon laquelle tout est lié plutôt qu’essayer de séparer le contexte de notre époque, de notre temps, de notre peuple, de notre sensibilité à l’être. Cela veut dire, encore une fois, qu’il y a une part de hasard et d’imprévisibilité, donc un laisser-aller, un abandon dans l’œuvre étant donné qu’il y a impossibilité de contrôler tous les contextes de la rue. C’est justement cette contingence, celle qui entraine une ouverture et une fluidité certaine, qui m’intéresse au plus haut point. Elle crée également de nouvelles découvertes qui alimentent la curiosité dans ma recherche.

Ces polarités entre résister et laisser-aller oscillent à plusieurs égards. J’ai réussi à comprendre conceptuellement et physiquement ce que signifiaient vraiment cette tension et cet abandon à travers la recherche et de la construction de structures autotandantes dont les œuvres de David Georges Emmerich (annexe). Je voyais à la base un lien entre la ville, la construction de volume en creux, la posture des œuvres et enfin, même des corps dessinés. Comment le volume se tient-il ensemble de façon solide tout en ayant l’air si précaire? C’est ce questionnement qui m’a menée vers une recherche approfondie des constructions/œuvres de Georges Emmerich. Ainsi, un lien s’est fait entre les postures recherchées dans les corps gravés et mon obsession de la danse. Finalement, à travers la danse, on retrouve deux éléments très importants dans la définition de mon travail. Premièrement, la succession incessante de variations, de modifications, donc l’idée de la transformation fait sens avec mon travail. Ensuite, on ne peut ignorer que dans la danse,

9Jocelyne LUPIEN. 2004. « L’intelligibilité du monde par l’art», in Espaces perçus, territoires imagés en art. P.25

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c’est aussi la ligne des corps qui est importante, telle que la ligne dans le trait de mon dessin. J’aime donc imaginer que la physique fonctionne aussi bien pour une structure d’Emmerich que sur un corps humain. Le corps aurait donc la faculté, tel une structure, de se stabiliser par le jeu des forces de tension et de compression pour créer cette résistance à travers la structure des os, des muscles, tendons et même de la peau.

2.1.3 Analogie de la peau

L’analogie de la peau s’est développée il y a déjà plusieurs années et se manifestait en complémentarité avec les notions de la couche et du temps comme le montre bien mon installation de fin de baccalauréat faite de silicone où des empreintes de dessin étaient insérées. (IMAGE 8)

Figure 8 –Sarah Booth, Glose, intervention dans le cadre de la fin du Baccalauréat, sous-sol du Théâtre Cartier,

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Mon mouvement dans la ville est une étude, une recherche des façades et du sol. La circulation autant que l’étude du mouvement se présentent enfin comme critères de vérité et de réalité. « Et s’il fait des études, celles-ci sont consacrées à l’examen du tissu urbain et plus précisément à sa surface, sa peau. »10 Justement, si le support du papier est travaillé telle une peau, c‘est dans l’esprit de la peau qu’il recouvre, emprisonne et définit le contour des êtres humains. Paroi, elle est la limite entre le corps et l’espace. Écorce, elle est le lieu du passage du temps qui la sculpte. Empreinte, elle conserve la mémoire, la trace de la vie. Sensible, elle permet de connaître le monde autrement, par le contact et par le toucher. D’où l’usage du papier laissé libre qui ouvre notre vision face à ce qui est malléable ou non. Qui plus est, le papier entraîne l’idée de temporalité, car il est fragile et éphémère comme l’humain, en particulier lorsqu’il est confronté à son passage ou son installation dans la ville ou même à l’intérieur, avec le jaunissement du papier avec le temps. Le thème de la peau est surtout relié à l’être humain. Justement, Sigmund Freud a ébauché l’amorce d’un concept qu’Esther Bick a développé (avec La peau psychique). Par la suite, Didier Anzieu s’est efforcé de donner un statut de concept au Moi-peau qui est le titre de son livre. Son essai est développé autour du psychique sur cette membrane sensible qui est déconstruit en deux faces : la surface réceptrice de l’excitation et la surface réceptrice d’excitation des traces et des signes. La première, la couche externe, tournée vers le monde extérieur, est un écran aux stimulations. La couche interne, plus mince, plus souple, plus sensible a une fonction réceptrice. Elle perçoit des indices, des signaux, des signes. Elle est donc une pellicule sensible à double face. Même si on pense à l’être humain quand on soulève cette notion de peau, le domaine de l’architecture utilise aussi la notion de peau sur les os depuis les années 90.

Cette idée, qui désigne les façades, est donc un concept plutôt contemporain qui a amené des structures où il est possible d’avoir une transparence, d’y voir la structure, de percevoir l’intérieur comme l’extérieur tel que les architectures de Massimiliano Fuksas. De ce fait, le papier a une certaine translucidité, et donc, il m’oblige à travailler la lumière de manière conscience en vue de l’installation finale. La fonction de la peau oscille entre la relation de ce qui se passe à l’intérieur et le contexte dans lequel elle s’inscrit. Cette peau propose l’idée d’une membrane sensible et complexe, qui est le lien entre l’être et son

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espace. Mais maintenant cette analogie de la peau développée et expérimentée, est considérée, et jugée assez forte dans un espace intérieur, sans avoir besoin d’être installé sur à la surface d’une architecture. L’idée de l’installation en couche, du papier en-soi, collé, suspendu, accroché et fragile, nous fait ressentir déjà cette analogie, sans que mon travail se retrouve installé à l’extérieur.

2.2.2 Une nouvelle vision du dur et du mou : Giuseppe Penone

Les termes proposés dur et mou, se présentent comme une continuité de la résistance et de l’abandon dans la figuration, mais certainement aussi en tant que concept. Le processus de l’œuvre, L’arbre continuera à croître sauf en ce point de Penone, est aussi important que l’œuvre elle-même. Lorsqu’il a fixé sa propre main moulée en fonte à un jeune arbre, à l’endroit même où il l’avait à l’origine empoigné, le moment de contact a été transformé en prise de contact permanente. Cette œuvre a été créée en 1968 dans l’une des forêts de son village natal et elle continue toujours sa métamorphose. À mesure que l’arbre pousse, sa substance intègre le corps étranger. L’arbre devient la matière parfaite à modeler. D’après Penone, « tous les éléments sont fluides. Ce n’est qu’une question de temps. C’est la courte durée de notre existence qui fait que nous appelons dur ou mou »11.

L’artiste sculpte avec le temps. Cette œuvre m’influence depuis plusieurs années, par cette nouvelle approche de la matière fluide et aussi par l’idée d’une œuvre en continuel changement. La matière ne possède plus de résistance si on considère le temps, et surtout si la matière est vivante, on la laisse se transformer.

Depuis cette découverte, je considère que mon travail peut se qualifier de temporel par l’utilisation de la couche, des cycles, de la transformation, mais aussi grâce à cette idée de mou et de dur, d’abandon et de résistance, de laisser-aller et de tension. Voilà pourquoi tout prend son sens quand je commence, en fin de parcours, à graver les matrice-tableaux dans du bois souple appelé perform. C’est dans le but d’installer une matrice-tableau molle pour qu’elle longe les murs et le sol, comme si elle s’abandonnait d’elle-même dans

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l’espace telle une œuvre de feutre de Robert Morris (annexe) ou une sculpture à l’allure molle d’Erwim Wurm (annexe). Mais surtout, ce sera, je l’espère, dans l’installation, un échange entre la posture et l’abandon : le corps humain et ce support aussi important que la figuration. Le mou et le dur étaient déjà explorés dans l’utilisation du papier, parfois dur, parfois souple voire même très mou lorsqu’il est mouillé. Cette exploration du dur et du mou se fait aussi par l’utilisation du bois en contre plaqué et du bois souple, comme précisé plus haut, surtout à travers la résistance dans la gravure.

Finalement, force est de constater qu'à travers le processus, la représentation des corps gravés,le choix des matériaux jusqu'à la façon d'installer ce corpus, les notions d'abandon et de tension, au départ fondamentalement considérées comme opposées, se transforment en un remarquable tandem. Il est à la fois étonnant et passionnant de réaliser qu'une recherche, qui a débuté dans le chaos de notions contradictoires que je cherchais obstinément à réconcilier, aboutisse justement à l'harmonisation de ces deux notions. Il reste encore un thème très important à développer : mon intérêt et mon obsession d’espace, que j’ose mettre en lien avec la danse, la vidéo, et bien sûr, avec l’installation finale. Mais je crois que l’espace va au-delà d’un lieu. Je m’intéresse plutôt à la trace du temps qui découle de cet espace.

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CHAPITRE 3 *Mouvement, cycle et transformation : temporalité

Un lieu est un espace défini. L’espace, lui, se présente comme un élément cohérent sous plusieurs définitions. En imprimerie, il est décrit comme le blanc séparant deux mots souvent imprimés en noir. Autrement, l’espace se définit comme un lieu ou un volume occupé. Enfin, il peut aussi désigner une durée qui sépare deux moments.

Dans mon travail, le thème de l’espace est justement exploré en trois temps. Premièrement, je l’explore dans le monde de l’impression. Ensuite, dans le monde traditionnel, que l’on l’entend par l’espace qu’occupe l’utilisation d’un lieu en installation ou l’espace de la ville. Et finalement, il est exploré en tant qu’élément de temporalité. J’entends travailler à partir de la notion de temporalité en plusieurs étapes et approches. Commençons d’abord par définir l’utilisation de l’espace en tant que lieu.

L’espace est une composante en soi dans un processus de recherche-création. Je faisais référence à l’in situ, autant pour les interventions dans la rue que pour les expositions intérieures. Selon ce que j’ai avancé au chapitre 2, les interventions extérieures ont comblé un besoin direct d’expérimenter des espaces complexes. Ainsi, je crois en un dérivé du terme in situ, et ce, même si mon travail tient compte du lieu et du fait que je cherche toujours à compléter la production sur place. Mais je considère qu’un processus important se fait en atelier. Pour mon exposition finale de maîtrise, je m’offre plus de deux semaines d’installation et de travail à l’intérieur d’un local commercial. Encore une fois, comme je l’ai souvent fait par le passé, j’ajuste la production et l’impression sur papier en fonction de l'espace à ma disposition. L’espace, la mise en place, l’inspiration des lieux, et le visiteur de cet espace font tous partie intégrante de l’installation. Je tiens quand même à préciser qu'au départ, j'étais surtout motivée par une recherche sur le thème du corps humain à travers le dessin. L'aspect de l’espace complète l’œuvre, car elle est le médium de l’installation.

Le corps créé se présente dans un lieu X. Il est donc très souvent dans un espace non défini. En fin de processus, j’aborde ma production avec la même relation conceptuelle et

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visuelle qu’au début, lorsque j’explorais la gravure et l’impression. Il s’agit donc encore de la conception d’un vide ou d’un plein, dans un espace négatif ou dans un espace positif. Le corps humain créé se présente dans un espace qui pourrait être d’un autre temps ou d’un autre monde. Voilà peut-être une autre raison pour laquelle je vise des lieux de diffusion qui ont du caractère et qui m’offrent la chance de contextualiser les corps produits. Je m’outille en ce sens par un besoin de visionner des vidéos de chorégraphies dans des lieux urbains. Le contexte, mais aussi la temporalité entre le mouvement du corps, et celui de la ville et son cycle inévitable de circulation et de mouvement, m’intriguent et m’obsèdent.

J’ai une forte impression que les deux chorégraphies, celle des passants de la ville et celle du danseur, se complètent et se différencient. La circulation urbaine est un cycle chorégraphié, tandis que le danseur s’inspire de ce monde dans lequel il vit, d’une cacophonie ordonnée; celle de la ville. Les danseurs créent dans un espace qui les imprègne, les stimule et où ils se mettent en mouvement. Par exemple, les courts métrages produits par YAK films (IMAGE 9), m'inspirent sur le plan de la posture des corps pour de la gravure, mais aussi parce qu’il s’agit d’un courant artistique relié à son espace de création, de production et de diffusion. Des danseurs de haut niveau, dans leur style urbain de danse, s'exécutent directement dans la rue. Plus précisément, je vois dans les mouvements de la danse de rue une forme de construction différente, une invention urbaine, une réappropriation de la ville, des organisations alternatives. Les danseurs créent un nouvel usage de la ville.

Ce qui m’intéresse, ce sont les espaces, autant en vidéo qu’en diffusion, vides de contenu, mais pleins d’intensité et de potentiel. Les mouvements de rue sont étudiés de plusieurs façons dans mon cas. Les moyens d’expressions (la danse) ou de circulation (le parcours par exemple) forment des moyens alternatifs de circuler ou de s’exprimer. Pour moi, la ville est un lieu de création, un terrain de jeu, un laboratoire pour la diffusion, mais surtout, pour jouer avec le temps qui passe. J’aime être témoin des mouvements artistiques et d’expression dans la ville. C’est, pour moi, une manière de rendre vivant le béton et autres matériaux de constructions dans l’espace urbain. Dans des dérivés de la danse urbaine (turfing, krumping, pomping ou autre), on voit bien que l’espace imprègne les danseurs, et met en valeur leur travail parce qu’ils se produisent de deux belles façons, soit devant un

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public non averti en mouvement, soit devant un public présent dans un cyberespace accessible mondialement au public; Internet. Cela m’a poussée à travailler la vidéo, qui complète bien mon travail, puisque l’image vidéo est une source d’inspiration directe pour trouver des corps déformés, flous, ou en mouvement, en plus d’être mon inspiration principale. L’image vibrante de la vidéo sera développée plus loin. Je récupère cette source de motivation, et l’apporte en tant que médium, dans mes installations. Je reproduis cette source d’inspiration centrale, mais de façon plus gestuelle, brute, et contextualise le corps mouvant dans un espace noir ou blanc, donc vide ou plein, dans un monde négatif ou positif. Les caractéristiques de l’espace de l’installation et de l’exposition forment le contexte des corps.

Figure 9 - Image arrêtée d’un des nombreux courts métrages Yak Films, chorégraphie en lien avec les lieux

urbains

Mes vidéos de dessin d’animation viennent confirmer la façon dont je travaille l’espace. La ligne dessinée crée un mouvement, grâce à une succession des images dessinées sur fond blanc. Le trait dessiné devient mouvement par ce travail de dessins en couches multiples. (Annexe) Mais ce fond blanc est un espace X, un cadre ou un espace neutre, comme mes fonds sur papier ou matrices, pour avoir la chance d’y introduire les présences dans un espace voulu. Le corps en animation représente un cycle complété pour la maîtrise, un complément, une possibilité de réaliser, de concrétiser, et

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d’approfondir l’ensemble de mes préoccupations comme je l’ai démontré dans les chapitres antérieurs. Les vidéos sont toujours présentées en boucle, ce qui dépeint à mon sens un processus infini, le rappel d’un cycle dans mon processus entier. La présentation en boucle est donc le rappel d’un long cycle de production à travers l’installation. Ce cycle se poursuit encore à ce jour, se récupère, se recycle et traverse un circuit infini.Le dessin d’animation est une façon de concrétiser un espace-temps fuyant, intouchable. Projeté sur le même bois que la gravure ou sur l’architecture de l’espace d’exposition, il donne vie à la gravure stagnante, comme si les matériaux devenaient malléables, mous, faciles à graver. Mes différentes obsessions deviennent enfin réalisables et se complètent. De plus, je peux modeler ce corps par mes traits dessinés. Mais bien sûr, cette malléabilité utopique représente de nombreuses heures de production, compte tenu du nombre de dessins (25 à 30) pour créer une seule seconde de mouvement en vidéo. Ce médium est même plus long que le processus de gravure et d’impression. Je peux donc dire que l’ensemble de ma production s’étend sur un long espace de temps de production, donc un processus temporel. Ce corps devient temporel dans un lieu X. Mais cet espace, j’en fais usage, et de quelle façon ?

3.1.2 L’usure et l’usage : expérimenter l’espace pour une installation

en transformation

Avec le dessin d’animation, le défi est d’utiliser un grand nombre d’éléments qui formeront un tout. Comme une composition sur la toile, le nombre élevé d’éléments augmente la complexité de la composition en soi, et augmente donc la réussite de cette composition, à mon avis, pour qu’elle soit cohérente. C’est un bordel organisé. Ma solution pour la corrélation consiste en la répétition de geste, de bois, d’encre et de traits noirs, qui deviendra peut-être cohérente, dans son ensemble de l’installation. Il s’agira donc d’une répétition, pas seulement des matériaux et du geste, mais aussi du corps, de la présence dessinée, gravée, et imprimée. Voilà donc ma façon de rendre cohérents différents médiums. Le but étant d'accentuer la présence du corps, la force gestuelle et les éléments formels se retrouvent partout dans la production. Les plans d’installation pour créer ce bordel organisé sont donc basés sur un système de répétition et de symétrie, et aussi une installation des éléments pour qu’il y ait possibilité de circuler en tant que spectateur dans l’espace. Mes trois dernières expositions ont été installées dans des espaces ressemblant

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à des corridors ou des sous-sols. Ces trois installations m’ont confirmé ce besoin de créer, d’être témoin et de faire partie d’une circulation.

En somme, toutes les installations ont été dans des espaces étroits, qui guidaient la circulation et qui obligeaient le visiteur à se déplacer, à marcher dans l'espace et à se trouver à proximité des oeuvres. Ce furent souvent des espaces longs, restreints et la plupart du temps usés et sales, que personne d’autre ne voulait exploiter. De plus, ces espaces avaient déjà des fonctions bien précises : bureau, salle de spectacle, ancien théâtre, restaurant et plus encore. On pourrait dire que je cherche un espace bâtard ou hybride, entre l’espace d’exposition classique et l’espace public. Pour les installations à venir, qu’est-ce que je souhaite? J’aimerais créer plus d’un couloir de circulation, à l’image d’une ville où l’on crée de nouveaux usages dans ces espaces déjà usés. Je constate une obsession de la ville dans mes recherches tout en essayant de trouver le lien avec mon travail, qui, je crois est le corps dans cette ville. Je crée des corps, mais j’use aussi mon propre corps. Je fais usage de mon corps en réinventant l’usage d’un espace de diffusion. Il est physiquement difficile de travailler aussi brutalement le bois. Je suis également portée à diffuser dans des lieux usés qui me permettent d’user le bois pour créer les corps. L’usage et l’usure s’entremêlent et se complètent.

Cela se caractérise aussi par l’emploi que je fais de l’outil dremel. La gravure travaillée avec cet outil ne ressemble pas aux résultats de gravure traditionnelle réalisée aux ciseaux de bois. Le dremel donne plutôt un effet, dans le processus d’impression, d’usure, de grattement à répétition avec le temps qui, enfin, se matérialise par des traces creuses. L’usure, c’est en faire l’usage. L’usure, c’est créer une empreinte dans ce bois. L’usure, c’est aussi se diriger vers la disparition de la matière, ou de sa transformation en des masses usées. Parfois même, je trouve, dans des couches plus profondes du contreplaqué, des masses usées où je peux retrouver d’autres tons de beige, presque blanc, (IMAGE 10), comme si je grattais dans l’histoire du bois jusqu’à découvrir ses entrailles. L’usure linéaire vise parfois à créer une impression de volume, de mouvement flou ou même de peau. Mais si l’usure linéaire devient peau, c’est dans l’esprit de

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comment on ressent cette peau et non comment on la perçoit. Il paraît clair que cette façon de travailler est en continuité avec mon travail antérieur en dessin.

Figure 10 – Sarah Booth,Détail d’une matrice-tableau en production

Un lien s’est fait entre les postures recherchées dans ces corps gravés par l’usure dans ce bois et mon obsession de la danse lorsque j’ai enfin compris, conceptuellement et physiquement, ce que signifiait véritablement la tension et l’abandon qui leur correspond, à la lumière de la recherche et des constructions de structures autotandantes de David Georges Emmerich (annexe) Son oeuvre relance ce questionnement autour d’un volume qui se tient ensemble de façon si solide, tout en ayant l’air aussi précaire. J'y vois un lien entre la ville, la construction de volume en creux, la posture des œuvres et enfin, même des corps dessinés. Finalement, à travers la danse, on retrouve deux éléments très importants dans la définition de mon travail. Premièrement, la succession incessante de variations, de modifications donne l’idée d’une transformation qui fait sens avec mon travail. Ensuite, on ne peut ignorer que dans la danse, c’est aussi la ligne qui est

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importante, telle que la ligne dans le trait de mon dessin. J’aime donc imaginer que la physique fonctionne aussi bien pour une structure d’Emmerich que sur un corps humain. Le corps aurait donc la faculté, telle une structure, de se stabiliser grâce au jeu des forces de tension et de compression, pour créer cette résistance à travers la structure des os, des muscles, des tendons et même de la peau.

3.2.0 Les cycles, un état de transformation

3.2.1 La trace du temps : couches, séquences et dessins temporels

Mon processus ressemble à des essais, frôlant parfois la précarité puisque je ne suis jamais complètement assurée que mes nouvelles manipulations fonctionneront ou si elles formeront un tout cohérent. Une chose est certaine, mes essais s’étendent sur plusieurs années et je trouve toujours magique le moment où je découvre que l’un d’eux, souvent dans des nouveaux médiums, est assez fort et intéressant pour m’accompagner en tant que procédé. Juste avant de débuter la maîtrise, j’ai essayé un processus improvisé qui rejoignait la trace, le temps, et le dessin d’animation. Je prenais des photos de chaque dessin au fusain au mur et j’ajoutais un élément à chaque photo pour enfin créer un mouvement sur la feuille. C’était donc un procédé traditionnel d’animation, en couche, mais exécuté maladroitement. Cet essai n’avait pas été concluant. J’ai toutefois découvert, en fin de parcours de ma maîtrise, le travail d’un artiste de dessin d’animation bien connu, William Kentridge. Lors d’une exposition dans le musée de Yerba Buena of the arts, à San Francisco, intitulée Public intimacy, j’ai découvert un projet d’exposition fort intéressant à l’égard de mes questionnements autour des interventions d’espaces en dehors des murs d’exposition. Bref, cet artiste propose l’exemple parfait de sa relation à l’image qu’il crée, et de la vision du processus. Ce dernier semble rechercher un effet similaire à ce que je recherchais il y a deux ans. Mais, ce qui fonctionne extrêmement bien dans son cas, c’est qu’il efface une partie du dessin précédent, permettant ainsi de voir la trace du fusain, ou son fantôme. Je n’avais jamais essayé cette technique, pourtant très cohérente à ma pratique sur les couches de dessins, de temps et d’empreintes. Le long processus de création de l’image permet à Kentridge de s’imprégner de cette image et d’aller vers un état plus profond et empathique de l’être. Ce n’est plus un processus visuel, mais un

Figure

Figure 1- Sarah Booth, Matrice-tableau # 8, 2013
Figure 2 - Giuseppe Penone,  L’arbre continuera à croître sauf en ce point, 1968 à aujourd’hui
Figure 3 – Sarah Booth, Installation Entre deux peaux, sous-sol du complexe le Cercle, 2012
Figure 5 – Sarah Booth, Exemple d’une intervention dans la ville
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